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Gédéon Tallemant des RéauxHistoriettes

[Les notesde Tallemant sont marquées (T.). Les notes empruntéesmême partiellementà M. L. J. M. Monmerqué(1780-1860) sont marquées d'un (M.).]



INTRODUCTIONDE L'AUTEUR

J'appellece recueil les Historiettesparce que ce ne sont que despetits Mémoires qui n'ont aucune liaison les uns avec lesautres. J'y observe seulementen quelque sortela suite des tempspour ne point faire de confusion. Mon dessein est d'écriretout ce que j'ai appris et ce que j'apprendrai d'agréable etdigne d'être remarquéet je prétends dire lebien et le malsans dissimuler la véritéet sans meservir de ce qu'on trouve dans les Histoires et les Mémoiresimprimés. Je le fais d'autant plus librement que je sais bienque ce ne sont pas choses à mettre en lumièrequoiquepeut-être elles ne laissassent pas d'être utiles. Jedonne cela à mes amis qui m'en prientil y a long-temps.

HENRIIV

Si ceprince fût né roi de Franceet roi paisibleprobablement ce n'eût pas été un grandpersonnage: il se fût noyé dans les voluptéspuisquemalgré toutes ses traversesil ne laissoit paspoursuivre ses plaisirsd'abandonner les plus importantes affaires.Après la bataille de Coutrasau lieu de poursuivre sesavantagesil s'en va badiner avec la comtesse de Guicheet luiporte les drapeaux qu'il avoit gagnés. Durant le sièged'Amiensil court après madame de Beaufortsans setourmenter du cardinal d'Autrichedepuis l'archiduc Albertquis'approchoit pour tenter le secours de la place.(1)

[ (1)Sigogne fit cette épigramme:

Cegrand Henriqui souloit estre

L'effroi de l'Espagnol hautain

Fuyt aujourd'huy devant un prestre

Et suit le c-ld'une p....n. (T.)]



Il n'étoitni trop libéralni trop reconnoissant. Il ne louoit jamaisles autreset se vantoit comme un Gascon. En récompenseonn'a jamais vu un prince plus humainni qui aimât plus sonpeuple; d'ailleursil ne refusoit point de veiller pour le bien deson Etat. Il a fait voir en plusieurs rencontres qu'il avoit l'espritvif et qu'il entendoit raillerie.

Pourreprendre donc ses amourssi Sébastien Zametcommequelques-uns l'ont prétendudonna du poison à madamede Beauforton peut dire qu'il rendit un grand service àHenri IVcar ce bon prince alloit faire la plus grande folie qu'onpouvoit faire: cependant il y étoit résolu. On devoitdéclarer feu M. le Prince bâtard. M. 1e comte deSoissons se faisoit cardinalet on lui donnoit trois cent mille écusde rentes en bénéfices. M. le prince de Conti étoitmarié alors avec une vieille qui ne pouvoit avoir d'enfants.M. le maréchal de Biron devoit épouser la fille demadame d'Estréesqui depuis a été madame deSanzay. M. d'Estrées la devoit avouer; elle étoit néedurant le mariagemais il y avoit cinq ou six ans que M. d'Estréesn'avoit couché avec sa femmequi s'en étoit alléeavec le marquis d'Allègreet qui fut tuée avec lui àIssoirepar les habitantsqui se soulevèrent et prirent leparti de la Ligue. Le marquis et sa galante tenoient pour le Roi: ilsfurent tous deux poignardés et jetés par la fenêtre.

Cettemadame d'Estrées étoit de La Bourdaisièrelarace la plus fertile en femmes galantes qui ait jamais étéen France (1); on en compte jusqu'à vingt-cinq ou vingt-sixsoit religieusessoit mariéesquitoutesont fait l'amourhautement; de là vient qu'on dit que les armes de LaBourdaisièrec'est une poignée de vesces; caril se trouvepar une plaisante rencontre quedans leurs armesil ya une main qui sème de la vesce.

[(1) Ondit qu'une madame de La Bourdaisière se vantoit d'avoir couchéavec le pape Clément VIIà Nice; avec l'empereurCharles quand il passa en Franceet avec François 1er (T.)]

On fit surleurs armes ce quatrain:

Nousdevons bénir cette main

Qui sème avec tant delargesses

Pour le plaisir du genre humain

Quantitéde si belles vesces. (2)


[(2) Cemot se prenoit alors dans le sens de femme déhontée.(M.)]

Voici ceque j'ai ouï conter à des gens qui le savoient bienoucroyoient le bien savoir: une veuve de Bourgespremière femmed'un procureurou d'un notaireacheta un méchant pourpoint àla Pourpointeriedans la basque duquel elle trouva un papier oùil y avoit: « Dans la cave d'une telle maisonsix pieds sousterrede tel endroit (qui étoit bien désigné)il y a tant en or en des potsetc. » La somme étoittrès-grande pour le temps (il y a bien 150 ans). Cette veuvevoyant que le lieutenant-général de la ville étoitveuf et sans enfantslui dit la chosesans lui désigner lamaisonet offrits'il vouloit l'épouserde lui dire lesecret. Il y consent; on découvre le trésor; il luitient parole et l'épouse. Il s'appeloit Babou. Il acheta LaBourdaisière. C'estje pensele grand-père de la mèredu maréchal d'Estrées.

Henri IV aeu une quantité étrange de maîtresses; il n'étoitpourtant pas grand abatteur de bois; aussi étoit-il toujourscocu. On disoit en riant que son second avoit été tué.Madame de Verneuil l'appela un jour Capitaine de bon vouloir;et une autre foiscar elle le grondoit cruellementelle lui dit quebien lui prenoit d'être roique sans cela on ne le pourroitsouffrir et qu'il puoit comme charogne. Elle disoit vraiil avoitles pieds et le gousset finset quand la feue Reine-mèrecoucha avec lui pour la première foisquelque bien garniequ'elle fût d'essences de son payselle ne laissa pas que d'enêtre terriblement parfumée. Le feu Roi (Louis XIII)pensant faire le bon compagnondisoit: « Je tiens de mon pèremoije sens le gousset. »

Quand onlui produisit la Fanuchequ'on lui faisoit passer pourpucelleil trouva le chemin assez frayéet il se mit àsiffler: « Que veut dire cela? lui dit-elle. -- C'estrépondit-ilque j'appelle ceux qui ont passé par ici..»

Je penseque personne n'a approuvé la conduite d'Henri IV avec la feueReine-mèresa femmesur le fait de ses maîtresses; carque madame de Verneuil fût logée si près duLouvreet qu'il souffrit que la cour se partageât en quelquesorte pour elleen vérité il n'y avoit en cela nipolitique ni bienséance. Cette madame de Verneuil étoitfille de ce M. d'Entragues qui épousa Marie Touchetfilled'un boulanger d'Orléanset qui avoit étémaîtresse de Charles IX. Elle avoit de l'espritmais elleétoit fièreet ne portoit guère de respectnià la Reineni au Roi. En lui parlant de la Reineellel'appeloit quelquefois votre grosse banquièreet leRoi lui ayant demandé ce qu'elle eût fait si elle avoitété au port de Nully (ou Neuilly) quand la Reines'y pensa noyer: « J'eusse criélui dit-elle: LaReine boit! »

Enfin leRoi rompit avec madame de Verneuil; elle se mit à faire unevie de Sardanapaleou de Vitellius; elle ne songeoit qu'à lamangeaillequ'à des ragoûtset vouloit mêmeavoir son pot dans sa chambre; elle devint si grasse qu'elle en étoitmonstrueuse; mais elle avoit toujours bien de l'esprit. Peu de gensla visitoient. On lui ôta ses enfants; sa fille fut nourrieauprès des Filles de France.

La feueReine-mèrede son côténe vivoit pas trop bienavec le Roielle le chicanoit en toutes choses. Un jour qu'il fitdonner le fouet à M. le Dauphin: « Ah! lui dit-ellevous ne traiteriez pas ainsi vos bâtards. -- Pour mes bâtardsrépondit-ilil les pourra fouetters'ils font les sotsmaislui il n'aura personne qui le fouette. »

J'ai ouïdire qu'il lui avoit donné le fouet lui-même deux fois:la premièrepour avoir eu tant d'aversion pour un gentilhommequepour le contenteril fallut tirer à ce gentilhomme uncoup de pistolet sans ballepour faire semblant de le tuer; l'autrepour avoir écrasé la tête à un moineau; etquecomme la Reine-mère grondoitle Roi lui dit : «Madamepriez Dieu que je vivecar il vous maltraiterasi je n'ysuis plus. »

Il y en aqui ont soupçonné la Reine-mère d'avoir trempéà sa mortet que pour cela on n'a jamais vu la dépositionde Ravaillac. Il est bien certain que le Roi ditun jour queConchinedepuis maréchal d'Ancrel'étoit allésaluer à Monceaux: « Si j'étois mortcethomme-là ruineroit mon royaume. »

Ceux quiont voulu raffiner sur la mort de Henri IV disent quel'interrogatoire de Ravaillac fut fait par le présidentJeannincomme conseiller d'état (il avoit étéprésident au mortier de Grenoble); et que la Reine-mèrel'avoit choisi comme un homme à elle. On a dit que la Comantavoit persévéré jusqu'à la mort.

On aseulement dit que Ravaillac avoit déclaré que le Roialloit entreprendre une grande guerreet que son Etat en pâtiroitil avoit cru rendre un grand service à sa patrie que de ladélivrer d'un prince qui ne la vouloit pas maintenir en paixet qui n'étoit pas bon catholique. Ce Ravaillac avoit la barberousse et les cheveux tant soit peu dorés. C'étoit uneespèce de fainéant qu'on remarquoità causequ'il étoit habillé à la flamande plutôtqu'à la françoise. Il traînoit toujours une épée;il étoit mélancoliquemais d'assez douce conversation.

Henri IVavoit l'esprit vif; il étoit humaincomme j'ai déjàdit. J'en rapporterai quelques exemples.

A LaRochellele bruit étoit parmi la populace qu'un certainchandelier avoit une main de gorrec'est-à-dire unemandragore: orcommunémenton dit cela de ceux qui font bienleurs affaires. Le Roiqui n'étoit alors que roi de Navarreenvoya quelqu'un à minuit chez cet homme demander àacheter une chandelle. Le chandelier se lève et la donne. «Voilàdit le lendemain le Roila main de gorre. Cethomme ne perd point l'occasion de gagneret « c'est le moyende s'enrichir. »

Quelqu'undu tiers-étatse mettant à genoux pour le haranguertrouva une pierre pointuequi lui fit si grand mal qu'il s'écriaen disant: « F... ! » Le Roi lui dit en riant: «Bonvoilà la meilleure chose que vous passiez dire; je neveux point de harangue; vous gâteriez ce que vous venez dedire. »

Une foisun gentilhomme servantau lieu de boire l'essai qu'on met dans lecouvercle du verrebut en rêvant ce qui étoit dans leverre même; le Roi ne lui dit autre chose sinon: « Untelau moins deviez-vous boire à ma santéje vouseusse fait raison. »

On lui ditque feu M. de Guise étoit amoureux de madame de Verneuil; ilne s'en tourmenta pas autrementet dit:

«Encore faut-il leur laisser le pain et les p......: on leur a ôtétant d'autres choses. »

Il étoitamateur de bons mots: un jourpassant par un villageoù ilfut obligé de s'arrêter pour y dîneril donnaordre qu'on lui fît venir celui du lieu qui passoit pour avoirle plus d'espritafin de l'entretenir pendant le repas. On lui ditque c'étoit un nommé Gaillard. « Eh bien !dit-ilqu'on l'aille quérir. » Ce paysan étantvenule Roi lui commanda de s'asseoir vis-à-vis de luidel'autre côté de la table où il mangeoit. «Comment t'appelles-tu ? dit le Roi. -- Sirerépondit lemanantje m'appelle Gaillard. -- Quelle différence y a-t-ilentre gaillard et paillard ? -- Sirerépond le paysanil n'ya que la table entre deux. -- Ventre-saint-Gris ! j'en tiensdit leRoi en riant. Je ne croyois pas trouver un si grand esprit dans un sipetit village. »

Quand ilvint à donner le collier à M. de La Vieuvillepèrede celui que nous avons vu deux fois surintendantet que LaVieuville lui ditcomme on a accoutumé: « Dominenon sum dignus. -- Je le sais bienje le sais bienlui dit leroimais mon neveu m'en a prié. » Ce neveu étoitM. de Neversdepuis duc de Mantouedont La Vieuvillesimplegentilhommeavoit été maître-d'hôtel. LaVieuville en faisoit le conte lui-mêmepeut- être depeur qu'un autre ne le fîtcar il n'étoit pas bêteet passoit pour un diseur de bons mots.

Lorsqu'onfit une chambre de justice contre les financiers: « Ah!disoit-ilceux qu'on taxera ne m'aideront plus. »

Il faisoitdes banquets avec M. de Bellegardele maréchal de Roquelaureet autreschez Zamet et autres. Quand ce vint au maréchalildit au Roi qu'il ne savoit où les traiter si ce n'étoitAux Trois Mores. Le Roi y alla; ils menèrent un page àdeuxet le Roi un pour lui tout seul: « Cardit ilun pagede ma chambre ne voudra servir que moi. » Ce page fut M. deRacandont nous avons de si belles poésies.

Un jour ilalla chez madame la princesse de Condéveuve du prince deCondéle bossu; il y trouva un luth sur le dos duquel il yavoit ces deux vers:

Absent dema divinité

Je ne vois rien qui me contente


Il ajouta:

C'est fortmal connoître ma tante

Elle aime trop l'humanité


La bonnedame avoit été fort galante. Elle étoit deLongueville.

Avant laréduction de Parisune nuit qu'il ne dormoit point bienetqu'il ne pouvoit se résoudre à quitter sa religionCrillon lui dit: « PardieuSire! vous vous moquez de fairedifficulté de prendre une religion qui vous donne unecouronne! » Crillon étoit pourtant bon chrétien;car un jourpriant Dieu devant un crucifixtout d'un coup il se mità crier: « Ah! Seigneursi j'y eusse étéon ne vous eût jamais crucifié! » Je pense mêmequ'il mit l'épée à la maincomme Clovis et sanoblesse au sermon de saint Remi. Ce Crillon comme on lui montroit àdanseret qu'on lui dit: « Pliezreculez. -- Je n'en ferairiendit-il; Crillon ne plia ni ne recula jamais. » Se peut-ilrien de plus gascon ? Il refusaétant mestre-de-camp durégiment des gardesde tuer M. de Guise; et quand M. deGuise. le filsétant gouverneur de Provences'avisa àMarseille de faire donner une fausse alarmeet de lui venir dire: «Les ennemis ont repris la ville» Crillon ne s'ébranlapointet dit: « Marchons; il faut mourir en gens de coeur. »M. de Guise lui avoua après qu'il avoit fait cette malice pourvoir s'il étoit vrai que Crillon n'eût jamais peur.Crillon lui répondit fortement: « Jeune hommes'il mefût arrivé de témoigner la moindre foiblessejevous eusse poignardé. »

Quand M.du Perronalors évêque d'Evreuxen instruisant le Roivoulut lui parler du purgatoire: « Ne touchez point celadit-ilc'est le pain des moines. »

Cela mefait souvenir d'un médecin de M. de Créquiqui àl'ambassade de son maîtreà Romecomme quelqu'un auVatican demandoit où étoit la cuisine du papedit enriant que c'étoit le purgatoire. On le voulut mener àl'inquisitionmais on n'osa quand on sut à qui il étoit.

Arlequinet sa troupe vinrent à Paris en ce temps-làetquandil alla saluer le Roiil prit si bien son tempscar il étoitfort disposque Sa Majesté s'étant levée de sonsiègeil s'en empara et comme si le Roi eût étéArlequin: « Eh! bien! Arlequinlui dit-ilvous êtesvenu ici avec votre troupe pour me divertir; j'en suis bien aisejevous promets de vous protéger et de vous donner tant depension. » Le Roi ne l'osa dédire de rienmais il luidit: « Holà! il y a assez longtemps que vous faites monpersonnage; laissez-le-moi faire à cette heure. »

Le jourque Henri IV entra dans Parisil fut voir sa tante de Montpensieret lui demanda des confitures. « Je croislui dit-ellequevous faites cela pour vous moquer de moi. Vous pensez que nous n'enavons plus. -- Nonrépondit-ilc'est que j'ai faim. »Elle fit apporter un pot d'abricotset en prenant elle en vouloitfaire l'essai; il l'arrêtaet lui dit: « Ma tantevousn'y pensez pas. -- Comment! reprit-ellen'en ai-je pas fait assezpour vous être suspecte ? -- Vous ne me l'êtes pointmatante. Ah! répliqua-t-elleil faut être votre servante.» Et effectivement elle le servit depuis avec beaucoupd'affection.

Quelquebrave qu'il fûton dit quequand on lui venoit dire: «Voilà les ennemis» il lui prenoit toujours une espècede dévoiementet quetournant cela en raillerie il disoit: «Je m'en vais faire bon pour eux. »

Il étoitlarron naturellementil ne pouvoit s'empêcher de prendre cequ'il trouvoit; mais il le renvoyoit. Il disoit que s'il n'eûtété Roiil eût été pendu.

Pour sapersonneil n'avoit pas une mine fort avantageuse. Madame de Simierqui étoit accoutumée à voir Henri IIIditquand elle vit Henri IV: « J'ai vu le Roimais je n'ai pas vuSa Majesté. »

Il y a àFontainebleau une grande marque de la bonté de ce prince. Onvoit dans un des jardins une maison qui avance dedans et v fait uncoude. C'est qu'un particulier ne voulut jamais la lui vendrequoiqu'il lui en voulût donner beaucoup plus qu'elle ne valoit.Il ne voulut point lui faire de violence.

Lorsqu'ilvoyoit une maison délabréeil disoit: « Ceci està moiou à l'église. »



LECONNÉTABLE DE LESDIGUIÈRES

Françoisde Bonneseigneur de Lesdiguièresétoit d'une maisonnoble et ancienne des montagnes du Dauphinémais pauvre.Après avoir fait ses étudesil se fit recevoir avocatau parlement de Grenobleet y plaidadit-onquelquefois; mais sesentant appelé à de plus grandes chosesil se retirachez luien dessein d'aller à la guerre. Cependantn'ayantpas autrement de quoi se mettre en équipageil emprunta unejument à un hôtelier de son villagefaisant semblantd'aller voir un de ses parents. Or cette jumentn'appartenant pas àcet hôtelierlui fut redemandéeet cela donna sujet àun procès quiquoique de petite conséquencedurapourtant si longtempscomme il n'arrive que trop souventqu'avantqu'il fût terminé M. de Lesdiguières étoitdéjà gouverneur du Dauphiné. Un jour donc qu'ilpassoit à chevalsuivi de ses gardesdans la place deGrenoblece pauvre hôtelierqui y étoit à lapoursuite de son procèsne put s'empêcher de dire assezhaut: « Le diable emporte François de Bonnetant il m'acausé de mal et d'ennui ! » Un des assistants luidemanda pourquoi il parloit ainsi; cet homme lui raconta toutel'histoire de la jument. Celui qui lui avoit fait cette demande étoitun des domestiques de M. de Lesdiguièreset le soir mêmeil lui en fit le conte; car le connétable avoitdit-oncettecoutumequ'il vouloit voir tous ses domestiques avant de se coucheret quelquefois il s'entretenoit familièrement avec eux. Ayantsu cette aventureil commanda à cet homme de lui amener lelendemain le pauvre hôtelierquibien étonné etintimidé exprès par son conducteurse vint jeter auxpieds de M. de Lesdiguièreslui demandant pardon de ce qu'ilavoit dit de lui; mais luin'en faisant que rirele relevaetpendant qu'il il l'entretenoit du temps passéon fit venir lapartie adverseavec laquelle il s'accorda sur-le-champet donnamême quelque récompense à ce bonhomme.

M. leconnétable aimoit à se souvenir de sa premièrefortuneet on en voit aujourd'hui une grande marqueen ce qu'ayantfait bâtir un superbe palais à Lesdiguièresilprit plaisir à laisser tout auprèsen son entierlapetite maison où il étoit néet que son pèreavoit habitée.

Pour venirà madame la connétable de Lesdiguièressafemmequi est morte il n'y a pas longtempselle s'appeloit MarieVignonet étoit fille d un fourreur de Grenoble. Elle futmariée à un marchand drapier de la même villenommé sire Aymon Matheldont elle eut deux filles. C'étoitune assez belle personnemais il n'y avoit rien d'extraordinaire.Son premier galant fut un nommé Rouxsecrétaire de lacour de parlement de Grenoblequidepuisla donna à M. deLesdiguières. Orce Roux étoit grand ami d'uncordelierappelé de Nobilibusqui fut brûlé àGrenoble pour avoir dit la messe sans avoir reçu les ordres.On le soupçonnoit aussi de magieet le peuple croit encoreaujourd'hui que ce cordelier avoit donne à madame laconnétable des charmes pour se rendre maîtresse del'esprit de M. de Lesdiguières. Il est bien certain qu'elleeut d'abord un fort grand pouvoir sur lui. Cette amour ne dura paslongtempsque la femme ne quittât la maison de son mari; ellene logeoit pourtant pas avec son galantmais en un logis séparéoù il lui donna grand équipageet bientôt aprèsil la fit marquise Il en eut deux filles durant cette séparationd'avec son mari. On dit que les parents de M. de Lesdiguièresgagnèrent son médecinqui lui conseillapour sasantéde changer de maîtresseet qu'en mêmetempspour essayer de la lui faire oublieron lui présentaune fort belle personnenommée Pachonfemme d'un de sesgardes. Mais la marquisecar on l'appelait ainsi alorsfit donnerdes coups de bâton à cette femmedans la maison mêmede M. de Lesdiguièreset incontinent après s'allajeter à ses pieds. Elle n'eut pas grande peine à fairesa paixet fut plus aimée qu'auparavant.

M. deLesdiguières étoit obligé de faire plusieursvoyages; elle le suivit partoutet même à la guerre; ondit pourtant qu'il il voulut faire en sorte que le drapier la reprîtet qu'il lui fit offrir pour cela de le faire intendant de sa maison.Mais ce marchandqui étoit homme d'honneurn'y voulut jamaisentendre.

Elle étoitdemeurée à Grenobletandis que M. de Lesdiguièresétoit au siège de quelque place dans le Languedoc. Ence temps-làun certain colonel AlardPiémontaisvintfaire des recrues en Dauphiné. Elle en fut cajoléemais non pas aussi ouvertement qu'elle l'avoit étéauparavant par M. de Nemoursqui lui fit mille galanteriesdurantun voyage que M. de Lesdiguières avoit étéobligé de faire en Picardie. Orcomme elle ne pensoit qu'àdevenir femme de . de Lesdiguièreset que la vie de son mariétoit un obstacle insurmontableelle persuada à cecolonel de l'assassiner; ce qu'il fit en cette sorte.

Ledrapierayant abandonné son commerces'étoit retiréaux champs depuis quelques annéesen un lieu appelé lePort-de-Giendans la paroisse de Mellanà une petite lieuede Grenoble. Le colonel monte à chevalaccompagné d'ungrand valet italien à pied; il arrive de bonne heure en celieuetayant rencontré un bergeril lui demanda la maisondu capitaine Clavel. Le berger lui dit qu'il ne connoissoit personnede ce nom-lamais ques'il il demandoit la maison de sire Mathelc'étoit l'une de ces deux qu'il voyoit seules assez prèsde là. Le colonel le pria de l'y conduireafin que le bergerlui montrât l'homme qu'il cherchoitcar il ne le connoissoitpas. Ils n'eurent pas fait beaucoup de chemin que le berger luimontra le drapier qui se promenoit seulle long d'une piècede terrele colonel le remercielui donne pourboire et le renvoie.Après il va au marchandet le porte par terre d'un coup depistoletqu'il accompagne de quelques coups d'épéedepeur de manquer à le tuer.

La justicefit prendre le valet du mort et une servantequi étoit saconcubineavec le bergerqui raconta toute l'histoiresans pouvoirnommer le meurtrier. On lui demanda s'il le reconnoîtroit bien.Il répondit qu'oui. C'est pourquoi on le mit à Grenobleà une grille de la prison qui répond sur la grandeplaceappelée Saint-André. Il n'y fut pas longtempssans voir passer le colonelqu'il reconnut aussitôtet quifut tout aussitôt emprisonnécar il avoit cru sottementque ce berger n'avoit rien vu.

M. deLesdiguièresen ayant reçu avis en diligencecraignait quesi cette affaire s'approfondissoitsa maîtressen'y fût terriblement embarrasséeil partit promptementdu lieu où il étoitetentrant dans la ville sansqu'on l'y attendîtalla d'autorité délivrer lePiémontaiset le fit sauver en même temps. Le parlementfit du bruitet voulut s'en venger sur la maîtresse de M. deLesdiguièresne pouvant s'en venger sur lui-même. Maiscomme le connétable étoit adroitil sut si biennégocier avec chaque conseiller en particulier qu'il ne separla plus de cette affaire.

Depuis cetemps-làil fut encore cinq ou six ans sans épouser lamarquiseet à la fin il s'y résolutpour légitimerles deux filles qu'il en avoit eues. Elles étoient adultérinespourtant. (1)

[(1) Enpartant pour s'aller marieril dit à sa maîtresse: «Allons donc faire cette sottisepuisque vous le voulez. »(T.)]

Voici ceque Bezançon a rapporté de sa mort. Il travailloit avecluile propre jour qu'il mourutà des départs de gensde guerre. « Il faudroitlui dit Bezançonque M. deCréqui fût ici. -- Voirerépondit le connétablenous aurions beau l'attendres'il a trouvé un chambrillon enson cheminil ne viendra d'aujourd'hui. » Il travailla de fortbon sensaprès il fit venir son curé. « Monsieurle curélui dit-ilfaites- moi faire tout ce qu'il faut.Quand tout fut fait: « Est-ce là toutdit-ilmonsieurle curé? -- Ouimonsieur. -- Adieumonsieur le curéen vous remerciant. » Le médecin lui dit: «Monsieurj'en ai vu de plus malades échapper. -- Cela peutêtrerépondit-ilmais ils n'avoient pas quatre- vingt-cinq ans comme moi. » Il vint des moines à qui il avoitdonné quatre mille écusqui eussent bien voulu enavoir encore autant. Ils lui promettoient paradis en récompense.« Voyez-vous» leur dit-il« mes pères? sije ne suis sauvé pour quatremille écusje ne le seraipas pour huit mille. Adieu. » Il mourut sur cela le plustranquillement du monde.





LAREINE MARGUERITE DE VALOIS

La reineMargueriteétoit belle en sa je unessehors qu'elle avoitles joues un peu pendanteset le visage un peu trop long. Jamais iln'y eut une personne plus encline à la galanterie. Elle avoitd'une sorte de papier dont les marges étoient toutes pleinesde trophées d'amour. C'étoit le papier dont elle seservoit pour ses billets doux. Elle parloit phébusselon la mode de ce temps-làmais elle avoit beaucoupd'esprit. On a une pièce d'ellequ'elle a intitulée:la Ruelle mal assortieoù l'on peut voir quel étoitson style de galanterie.

Elleportoit un grand vertugadinqui avoit des pochettes tout autourenchacune desquelles elle mettoit une boîte où étoitle coeur d'un de ses amants trépassés; car elle étoitsoigneuseà mesure qu'ils mouroientd'en faire embaumer lecoeur. Ce vertugadin se pendoit tous les soirs à un crochetqui fermoit à cadenasderrière le dossier de son lit.

On ditqu'un jour M. de Turennedepuis M. de Bouillonétant ivrelui dégobilla sur la gorge en la voulant jeter sur un lit.

Elledevint horriblement grosseet avec cela elle faisoit faire sescarrures et ses corps de jupes beaucoup plus larges qu'il ne lefalloitet ses manches à proportion. Elle avoit un moule (1)un demi-pied plus haut que les autreset étoit coifféede cheveux blondsd'un blond de filasse blanchie sur l'herbe.

[(1) Formede bonnets dans le genre des hennins.]

Elle avoitété chauve de bonne heure; pour cela elle avoit degrands valets de pieds que l'on tondoit de temps en temps.

Elle avoittoujours de ces cheveux-là dans sa pochede peur d'enmanquer; et pour se rendre de plus belle tailleelle faisoit mettredu fer-blanc aux deux côtés de son corps pour élargirla carrure. Il y avoit bien des portes où elle ne pouvoitpasser.

Elle aimasur la fin de ses jours un musicien nommé Villars. Il falloitque cet homme eût toujours des chausses troussées et desbas d'attachequoique personne n'en portât plus. On l'appeloitvulgairement le Roi Margot. Elle a eu quelques bâtardsdont l'undit-ona vécuet a été capucin. Ceroi Margot n'empêchoit point que la bonne reine ne fûtbien dévote et bien craignant Dieucar elle faisoit dire unequantité étrange de messes et vêpres.

Hors lafolie de l'amourelle étoit fort raisonnable. Elle ne vouloitpoint consentir à la dissolution de son mariage en faveur demadame de Beaufort. Elle avoit l'esprit fort souple et savoits'accommoder au temps. Elle a dit mille cajoleries à la feueReine-mèreet quand M. de Souvray et M. de Pluvinel luimenèrent le feu Roielle s'écria: « Ah! qu'ilest beau ! ah ! qu'il est bien faitque le Chiron est heureux quiélève cet Achille! » Pluvinelqui n'étoitguère plus subtil que ses chevauxdit à M. de Souvray: « Ne vous disois-je pas bien que cette méchante femmenous diroit quelque injure. » M. de Souvray lui-mêmen'étoit guère plus habile. On avoit fait des vers dansce temps-là qu'on appeloit les Visions de la couroùl'on disoit de lui qu'il n'avoit de Chiron que le train dederrière.

Henri IValloit quelquefois visiter la reine Margueriteet gronda de ce quela Reine- mère n'alla pas assez avant la recevoir à lapremière visite.

Durant sesrepaselle faisoit toujours discourir quelque homme de lettres.Pitardqui a écrit de la moraleétoit à elleet elle le faisoit parler assez souvent.

Le feu Rois'avisa de danser un ballet de la vieille couroùentre autres personnes qu'on représentoiton représentala reine Marguerite avec la ridicule figure dont elle étoitsur ses vieux jours. Ce dessein n'étoit guèreraisonnable en soi; mais au moins devoit-on épargner la fillede tant de rois.

A proposde balletsune fois qu'on en dansoit un chez ellela duchesse deRetz la pria d'ordonner qu'on ne laissât entrer que ceux qu'onavoit conviésafin qu'on pût voir le ballet àson aise. Une des voisines de la reine Margueritenomméemademoiselle Loiseaujolie femme et fort galantefit si bienqu'elle y entra. Des que la duchesse l'aperçutelle s'en miten colèreet dit à la reine qu'elle la prioit detrouver bon quepour punir cette femmeelle fît seulement unepetite question. La reine lui conseilla de n'en rien faireet luidit que cette demoiselle avoit bec et onglesmais voyant que laduchesse s'y opiniâtroitelle le lui permit enfin.

On faitdonc approcher mademoiselle Loiseau (1)qui vint avec un air fortdélibéré: « Mademoisellelui dit laduchesseje voudrois bien vous prier de me dire si les oiseaux ontdes cornes? -- OuiMadamerépondit-elleles ducs (2) enportent. »

[ (1) Onne donnoit alors que la qualification de demoiselle aux femmesbourgeoises; celle de madame n'appartenoit qu'aux femmes dequalité.(M.)]

[ (2)Madame de Retz étoit galante. (T.)]

La reineoyant celase mit à rireet dit à la duchesse: «Eh bien! n'eussiez-vous pas mieux fait de me croire? »

J'ai ouïfaire un conte de la reine Marguerite qui est fort plaisant. Ungentilhomme gascon nommé Salignacdevintcomme elle étoitencore jeuneéperdument amoureux d'ellemais elle nel'aimoit point. Un jourcomme il lui reprochait son ingratitude: «Or çàlui dit-elleque feriez-vous pour me témoignervotre amour? -- Il n'y a rien que je ne fisserépondit-il. --Prendriez-vous bien du poison? -- Ouipourvu que vous me permissiezd'expirer à vos pieds. » -- « Je le veux»reprit-elle. On prend jour; elle lui fait préparer une bonnemédecine fort laxative. Il l'avaleet elle l'enferme dans uncabinetaprès lui avoir juré de venir avant que lepoison opérât. Elle le laissa là deux bonnesheureset la médecine opéra si bien quequand on vintlui ouvrirpersonne ne pouvoit durer autour de lui. Je crois que cejeune homme a été depuis ambassadeur en Turquie.





MADAMEDE VILLARS

C'étoitune des soeurs de madame de Beaufort. Elle avoit épouséle neveu de M. l'amiral de Villars. Ils s'appeloient Brancaccio enleur nomet viennent du royaume de Naples. Son oncle qui ne s'étoitpoint mariélui avoit laissé beaucoup de bien; il n'ya jamais eu un si pauvre homme. Lui et .sa femme ont mangéhuit cent mille écus d'argent comptantet soixante millelivres de rente en fonds de terredont il n'en est resté quedix-septqui étoient substituées. Il avoit eu uneterre de vingt-cinq mille livres de rentede l'argent qu'il avoitreçu du cardinal de Richelieu pour le Havre-de-Grâcelalieutenance du roi de Normandieet le vieux palais de Rouen Par lemarché il eut un brevet de ducmais il ne fut reçuqu'au parlement de Provenceoù il trouva plus de créditqu'ailleursà cause qu'il étoit de ce pays-là.

Avantcelale mari et la femme demeuroient d'ordinaire au Havre. Elle yfit (il est vrai que cela n'étoit pas son eapprentissage) lecoup le plus effronté qu'aucune femme ait guère fait enamour. Un capucinnommé le père Henri de LaGrange-Palaiseaude la maison d'Harvillequi peut-êtres'étoit fait religieux pour ne pouvoir vivre selon saconditionfaute de biensfut envoyé par le Provincial aucouvent qu'ils ont au Havre. C'étoit un des plus beaux hommesde Franceet de la meilleure minehomme d'esprit. et à lavie duquel il n'y avoit rien à reprendre. Il prêchal'Avent au Havre. Dès le premier sermonmadame de Villarsdevint passionnément amoureuse de luietpour le tenterelle s'ajustoit tous les jours le mieux qui lui étoitpossible. Elle quitta pour lui l'habit extravagant qu'elle portoit auHavre. C'étoit une espèce de pourpoint avec un haut-de-chausses et une petite jupe de gaze par-dessusde sorte qu'on voyoittout au travers. Pensez qu'avec ce pourpoint elle n'avoit pas unecoiffe: elle n'avoit garde. Elle portoit toujours un chapeau avec desplumes. Parée donc de son mieuxelle s'alloit toujours mettrevis-à-vis de la chairesans masque et la gorge fortdécouvertecar c'étoit ce qu'elle avoit de plus beau;pour les traits du visageils n'étoient pas merveilleux: Elleavoit les yeux petits et la bouche grandemais sa taillesescheveux et son teint étoient incomparables. En ce temps-làelle étoit encore fort jeune. Tout cela ne toucha point notrecapucin. Que fait-elle ? Elle envoie à Rome pour faire avoirau père Henri de La Grange la permission de la confesser; elleexpose qu'elle avoit été touchée de ses sermonsqu'ayant jusques alors été trop avant dans le mondeelle croyoit que Dieu se vouloit servir de cette voie pour saconversion. En même tempselle se tue de dire partout que lesprédications de ce bon père seroient cause qu'ellechangeroit de vie. A Romeelle obtint facilement la permissionqu'elle demandoitetl'ayant fait signifierelle demande qu'ill'entende en confession dans une chapelle qui étoit chez elle.Les autres capucinsqui croyoient que cela feroit venir l'eau aumoulinl'y envoyèrent aussitôt. Mais la dameau lieude se confesser de ses vieux péchéscar elle avoit ditqu'elle vouloit faire une confession généralelevoulut persuader de lui en faire faire de nouveaux. Le bon pèrefait des signes de croix et la tance sévèrement. Ellene perd point courageelle fait tout ce qu'elle peut pour l'exciteret lui montra peut-être ce qu'elle ne lui pouvoit montrerdurant le sermon. Tout cela ne servit de rien: il la laissedemi-folle.

Au sortirde làil demande permission au supérieur de seretirer. Elle en a avis et fait garder les portes; il trouve pourtantmoyen de s'évader. Elle le saitmonte secrètement àcheval et court après. Elle l'attrape dans un boiselledescendet le presse de revenir; il se dépêtre d'elleprend son cheval et s'enfuit à Paris. L'amante délaisséeafin d'avoir un prétexte d'aller aussi à Paris et desuivre son amantfeint d'être malade et de vomir du sang.Effectivement elle en vomissoitmais ce n'étoit pas du sientout cela se faisoit par artifice. Elle se fait porter à Parisdans un brancard pour s'y faire traiter. Le bruit courut qu'elle semouroit. Elle écrivit en vain au père de La Grangeetvoyant qu'il n'y avoit plus d'espérance elle se guérittoute seule. Mais avant cela elle découvrit qu'il étoità Rouen; luiqui savoit que cette folle y étoit aussidisoit sa messe le premieret se tenoit caché tout le jour;elle y alla de si bonne heure qu'elle le vit au nez; pour elleelleétoit déguisée en bourgeoise. Il fit un grandcri quand il l'aperçutmais il ne laissa pas de dire samesse: ce fut en allant à l'autel qu'il la reconnut. Il partitdès le jour même.

Elle futaimée ensuite de M. de Chevreuse. En ce temps-làfauted'argentelle souffrit les galanteries d'un partisan nomméMoisset; c'est celui qui a bâti Ruel; c'étoit leMontauron de ce temps-là. Elle fut même si dévergondéeque de loger chez lui. M. de Chevreuse lui en fit des reproches etfeignit de la vouloir quitter. Ellepour lui montrer qu'elle nepouvoit vivre sans luifit semblant d'avaler des diamantsnonenchâssésqu'elle tenoit alors dans une boîtemais elle laissa tomber les diamantset ne fit que lécher lesbords de la boîte. Sur cela on fit un conte quelque tempsaprès: on disoit que feu Commingesfrère de Guitaudcapitaine des gardes de la Reinequi la servoit auprès de M.de Bassompierredont elle s'étoit épriselui ayantrapporté que M. de Bassompierre ne correspondoit point àsa passionelle avala des diamants; que Commingesqui étoitavarela prit par le cou et les lui fit rendre; et que sachantcombien il y en avoitil la pensa étrangler pour lui en fairerejeter un qui restoitet qu'après il les emporta tous.

Madame deVillars étoit la plus grande escroqueuse du monde. Quand ilfallut sortir du Havre pour ne point faire crier toute la villecarils devoient à Dieu et au mondeelle fit publier que tousleurs créanciers vinssent un certain jour parler àelle. Elle parla à tous en particulierleur avoua qu'ellen'avoit point d'argentmais qu'elle avoiten deux ou trois lieuxqu'elle leur nommades magasins de pommes à cidre pour dix oudouze mille écusqu'elle leur en donneroit pour les deuxtiers de leur detteet une promesse pour le reste payable en teltemps. Elle disoit cela à chacun d'eux avec sa protestationqu'elle ne traitoit pas les autres de la sorteet qu'il se gardâtbien de s'en vanter. Les pauvres gensles plus contents du mondeprirent chacun en paiement un ordre aux fermiers de donner àl'un pour tant de pommes et pour tant à l'autre; mais quandils y furentils ne trouvèrent en tout que pour cinq centslivres de pommes.





MALHERBE

Saconversation étoit brusqueil parloit peumais il ne disoitmot qui ne portât. Quelquefois même il étoitrustre et inciviltémoin ce qu'il fit à Desportes.Régnier l'avoit mené dîner chez son oncle; ilstrouvèrent qu'on avoit déjà servi. Desportes lereçut avec toute la civilité imaginable et lui ditqu'il lui vouloit donner un exemplaire de ses Psaumesqu'ilvenoit de faire imprimer. En disant celail se met en devoir demonter à son cabinet pour l'aller quérir.

Malherbelui dit rustiquement qu'il les avoit déjà vusque celane méritoit pas qu'il prît la peine de remonteret queson potage valoit mieux que ses Psaumes. Il ne laissa pas dedînermais sans dire motet après dîner ils seséparèrentet ne se sont pas vus depuis. Cela lebrouilla avec tous les amis de Desportes; et Régnierquiétoit son amiet que Desportes estimoit pour le genresatirique à l'égal des anciensfit une satire contrelui qui commence ainsi:

Rapinlefavori d'Apollon et des musesetc.

DesportesBertautet des Yveteaux même critiquèrent tout ce qu'ilfit. Il s'en moquoitet dit ques'il s'y mettoitil feroit deleurs fautes des livres plus gros que leurs livres mêmes.

Il avoitmarqué Desporteset disoit qu'il feroit de ses fautes unlivre plus gros que toutes ses poésies ensemble.

DesYveteaux lui disoit que c'étoit une chose désagréableà l'oreille que ces trois syllabes: malaplatoutesde suite dans un vers:

Enfincette beauté m'a la place rendue.

« Etvouslui répondit-ilvous avez bien mis: parablalafla.

« --Moi ? reprit des Yveteauxvous ne sauriez me le montrer. --N'avez-vous pas misrépliqua Malherbe:

«Comparable à la flamme? »

De toutecette voléeil n'estimoit que Bertautencore nel'estimoit-il guère: « Cardisoit-ilpour trouver unepointeil faisoit les trois premiers vers insupportables» Iln'aimoit pas du tout les Grecset particulièrement il s'étoitdéclaré ennemi du galimatias de Pindare.

Virgilen'avoit pas l'honneur de lui plaire. Il y trouvoit beaucoup de chosesà redireentre autres ce vers où il y a: EuboïcisCamarum allabitur oris lui sembloit ridicule. « C'estdit-ilcomme si quelqu'un alloit mettre aux rives françoisesde Paris ». Ne voilà-t-il pas une belle objection !Stace lui sembloit bien plus beau. Pour les autresil estimoitHoraceJuvénalMartialOvideet Sénèque letragique.

LesItaliens ne lui revenoient point; il disoit que les sonnets dePétrarque étoient à la grecqueaussi bien queles épigrammes de mademoiselle de Gournay .

De tousleurs ouvrages il ne pouvoit souffrir que l'Aminte du Tasse.

A l'hôtelRambouilleton amena un jour je ne sais quel hommequi disloquoittout le corps aux gens et le remettoitsans leur faire mal. Onl'éprouva sur un laquais. Malherbequi y étoitvoyantcelalui dit: « Démettez-moi le coude. » Il nesentit point de mal. Après il se le fit remettre aussi sansdouleur. « Cependantdit-ilsi cet homme fût morttandis que j'avois comme cela le coude démison auroit criéau curieux impertinent. »

Il faisoitpresque tous les jours sur le soir quelque petite conférencedans sa chambre avec RacanColombyMaynard et quelques autres. Unhabitant d'Aurillacoù Maynard étoit alors présidentvint une fois heurter à la porte en demandant: « M. leprésident n'est-il point ici ? » Malherbe se lèvebrusquement à son ordinaireet dit à ce monsieur leprovincial: « Quel président demandez-vous ? Sachezqu'il n'y a que moi qui préside ici. »

Lingendesqui étoit pourtant assez poline voulut jamais subir lacensure de Malherbeet disoit que ce n'étoit qu'un tyranetqu'il abattoit l'esprit aux gens.

Un jourHenri IV lui montra des vers qu'on lui avoit présentés.Ces vers commençoient ainsi:

Toujoursl'heur et la gloire

Soient à votre côté!

De vos faits à la mémoire

Dure àl'éternité!


Malherbesur-le-champ et sans en lire davantageles retourna ainsi:

Que l'épéeet la dague

Soient à votre côté;

Necourez point la bague

Si vous n'êtes botté.


Etlà-dessus se retirasans en dire autrement son avis.

Le Roi luimontra une autre fois la première lettre que M. le Dauphindepuis Louis XIIIlui avoit écriteet ayant remarquéqu'il avoit signé Loys sans uil demanda au Roi si M.le Dauphin avoit nom Loys. Le Roi demanda pourquoi: «Parce qu'il signe Loys et non Louys.» On envoyaquérir celui qui montroit à écrire à cejeune prince pour lui faire voir sa fauteet Malherbe disoit qu'ilétoit cause que M. le Dauphin avoit nom Louis.

Comme lesÉtats-généraux se tenoient à Parisil yeut une grande contestation entre le clergé et le tiers-étatqui donna sujet à cette célèbre harangue de M.le cardinal du Perron. Cette affaire s'échauffantles évêquesmenaçoient de se retirer et de mettre la France àl'interdit. M. de Bellegarde avoit peur d'être excommunie;Malherbe lui ditpour le consolerque cela lui seroit fort commodeet quedevenant noir comme les excommuniésil n'auroit pasla peine de se peindre la barbe et les cheveux.

Une autrefois il lui disoit: « Vous faites bien le galant; lisez-vousencore à livre ouvert ? » C'étoit sa façonde parler pour dire: Être toujours prêt à servirles dames. M. de Bellegarde lui dit que oui. « Ma foirépondit-ilje vous envie plus cela que votre duché-pairie. »

Il y eutgrande contestation entre ceux qu'il appeloit du pays d'A-Dieu-Sias(ce sont ceux de delà la rivière de Loire) et ceuxdeçàqu'il appeloit du pays de Dieu vous conduisepour savoir s'il falloit dire une cueiller ou une cueillere.Le roi et M. de Bellegardetous deux du pays d'A-Dieu-Siasétoient pour cueillèreet disoient que ce mot étantféminindevoit avoir une terminaison féminine. Le paysde Dieu vous conduise alléguoitoutre l'usagequecela n'étoit pas sans exempleet que perdrixmet (1)meret autres étoient féminins et avoient pourtant uneterminaison masculine.

[(1) C'estun mot de province pour huche. (T.)]

Le Roidemanda à Malherbe de quel avis il étoit. Malherbe lerenvoya aux crocheteurs du Port-au-Foin comme il avoit accoutumé;et comme le Roi ne se tenoit pas bien convaincuil lui dit àpeu près ce qu'on dit autrefois à un empereur romain: «Quelque absolu que vous « soyezvous ne sauriezSireniabolir ni établir un motsi l'usage ne l'autorise. »

A proposde celaM. de Bellegarde lui envoya demander un jour lequel étoitle meilleur de dépensé ou de dépendu.Il répondit sur-le-champ que dépenséétoit plus françoismais que pendudépendurépenduet tous les composés de ce vilain motétoient plus propres pour les Gascons.

Il perditsa mère environ l'an 1615qu'il étoit âgéde plus de cinquante-huit ans; et comme la Reine lui eut faitl'honneur de lui envoyer un gentilhomme pour le consoleril dit augentilhomme qu'il ne pouvoit se revancher de la bonté que laReine avoit eue pour lui qu'en priant Dieu que le Roi pleurâtsa mort aussi vieux qu'il pleuroit celle de sa mère. Ildélibéra longtemps s'il devoit prendre le deuiletdisoit: « Je suis en propos de n'en rien faire; car regardez legentil orphelin que je ferois. » Enfinpourtantil s'habillade deuil.

Un jourau cercleje ne sais quel hommequi faisoit fort le prudelui fitun grand éloge de madame la marquise. de Guerchevillequiétoit alors présentecomme dame d'honneur de laReine-mèreet après lui avoir compté toute savie et comme elle avoit résisté aux poursuitesamoureuses du feu roiHenri le Grandil conclut son panégyriquepar ces mots en la lui montrant: « VoilàMonsieurcequ'a fait la vertu. » Malherbesans hésiterlui montrala connétable de Lesdiguièresqui étoit assiseauprès de la Reineet lui dit: « VoilàMonsieurce qu'a fait le vice. »

Sa façonde corriger son valet étoit plaisante. Il lui donnoit dix solspar jourc'étoit honnêtement en ce temps-làetvingt écus de gages; et quand ce valet l'avoit fâchéil lui faisoit une remontrance en ces termes: « Mon amiquandon offense son maîtreon offense Dieuet quand on offenseDieuil fautpour en obtenir le pardonjeûner et donnerl'aumône. C'est pourquoi je retiendrai cinq sous de votredépense que je donnerai aux pauvres à votre intentionpour l'expiation de vos péchés. »

Tout soncontentement étoit d'entretenir ses amis particulierscommeRacanColombyYvrande et autresdu mépris qu'il faisoit detoutes les choses qu'on estimoit le plus dans le monde. Il disoitsouvent à Racanqui est de la maison de Bueilque c'étoitune folie de se vanter d'être d'une ancienne noblesse; que pluselle étoit ancienneplus elle étoit douteuse; et qu'ilne falloit qu'une femme lascive pour pervertir le sang de Charlemagnene et de saint Louisque tel qui se pensoit issu de ces grands hérosétoit peut-être venu d'un valet de chambre ou d'unviolon.

Il nes'épargnoit pas lui-même en l'art où ilexcelloitet disoit souvent à Racan: « Voyez-vousmoncher Monsieursi nos vers vivent après noustoute la gloireque nous pouvons en espérerc'est qu'on dira que nous avonsété deux excellents arrangeurs de syllabeset que nousavons été tous deux bien fous de passer toute notre vieà un exercice si peu utile et au public et à nousaulieu de l'employer à nous donner du bon tempset àpenser à l'établissement de notre fortune. »

Il avoitun grand mépris pour tous les hommes en généralet il disoitaprès avoir conté en trois mots la mortd'Abel: « Ne voilà-t-il pas un beau début? Ils nesont que trois ou quatre au mondeet ils s'entretuent déjà;après celaque pouvoit espérer Dieu des hommes pour sedonner tant de peine à les conserver ? »

Il parloitfort ingénument de toutes choses; il ne faisoit pas grand casdes sciencesprincipalement de celles qui ne servent qu'à lavoluptéau nombre desquelles il mettoit la poésie. Etcomme un jour un faiseur de vers se plaignoit à lui qu'il n'yavoit de récompense que pour ceux qui servoient le Roi dansses armées et dans les affaires d'importanceet que l'onétoit trop cruel pour ceux qui excelloient dans lesbelles-lettresMalherbe lui répondit que c'étoit unesottise de faire le métier de rimeurpour en espérerautre récompense que son divertissement; et qu'un poèten'étoit pas plus utile à l'État qu'un bon joueurde quilles.

Etant alléavec feu du Monstier et Racan aux Chartreux pour voir un certain PèreChazereyon ne voulut leur permettre de lui parler qu'ils n'eussentdit chacun un Pater; après le Père vint ets'excusa de ne pouvoir les entretenir. « Faites-moi rendre monPater» dit Malherbe.

Une foisil ôta les chenets du feu. C'étoient des chenets quireprésentoient de gros satyres barbus: « Mon Dieudit-ilces gros b... se chauffent tout à leur aisetandisque je meurs de froid. »

Un de sesneveux le vint voir une foisaprès avoir éténeuf ans au collège. Il lui voulut faire expliquer quelquesvers d'Ovidede quoi ce garçon se trouvoit bien empêché.Après l'avoir laissé ânonner un gros quartd'heureMalherbe lui dit: « Mon neveucroyez-moisoyezvaillantvous ne valez rien à autre chose. »

Ungentilhomme de ses parents étoit fort chargé d'enfants;Malherbe l'en plaignoitl'autre lui dit qu'il ne pouvoit avoir tropd'enfantspourvu qu'ils fussent gens de bien. « Je ne suispoint de cet avisrépondit notre poèteet j'aimemieux manger un chapon avec un voleur qu'avec trente capucins. »

Lelendemain de la mort du maréchal d'Ancreil dit àmadame de Bellegardequ'il trouva allant à la messe: «Hé quoiMadamea-t-on encore quelque chose à demanderà Dieuaprès qu'il a délivré la Francedu maréchal d'Ancre? »

Il avoiteffacé plus de la moitié de son Ronsard et en cotoitles raisons à la marge. Un jourRacanColombyYvrande etautres de ses amis le feuilletoient sur sa tableet Racan luidemanda s'il approuvoit ce qu'il n'avoit point effacé. «Pas plus que le reste» dit-il. Cela donna sujet à lacompagnieet entre autres à Colombyde lui dire qu'aprèssa mort ceux qui rencontreroient ce livre croiroient qu'il avoittrouve bon tout ce qu'il n'avoit peint rayé. «Vous avezraison » lui répondit Malherbe. Et sur l'heure il achevad'effacer le reste.

Il étoitmal meublé et logeoit d'ordinaire en chambre garnieoùil n'avoit que sept ou huit chaises de paille; et comme il étoitfort visité de ceux qui aimoient les belles- lettresquandles chaises étoient toutes occupéesil fermoit saporte par-dedanset si quelqu'un heurtoitil lui crioit: «Attendezil n'y a plus de chaises» disant qu'il valoit mieuxne les point recevoir que de les laisser debout.

Il sevantoit d'avoir sué trois fois la v...comme un autre sevanteroit d'avoir gagné trois batailleset faisoit assezplaisamment le récit du voyage qu'il fit à Nantes pouraller trouver un homme qui guérissoit de cette maladie dansune chaise; sans doute c'étoit avec des parfums. Par soncrédit il se fit céder cette chaise par un autre quil'avoit déjà retenueet il écrivit qu'il avoitgagné une chaireà Nantesoù il n'yavoit pourtant point d'université. On l'appeloit chez M. deBellegarde le Père Luxure.

Il atoujours été fort adonné aux femmeset sevantoit en conversation de ses bonnes fortunes et des merveillesqu'il y avoit faites.

Le feuarchevêque de Rouen l'avoit prié à dînerpour le mener après au sermon qu'il devoit faire en une égliseproche de chez lui. Aussitôt que Malherbe eut dîneils'endormit dans une chaiseet comme l'archevêque le pensaréveiller pour le mener au sermon: « Hé ! je vouspriedit-ildispensez-m'en; je dormirai bien sans cela. »

Quand lespauvres lui disoient qu'ils prieroient Dieu pour luiil leurrépondoit « qu'il ne croyoit pas qu'ils eussent grandcrédit auprès de Dieuvu le pitoyable état oùil les laissoitet qu'il eût mieux aimé que M. deLuynesou M. le surintendantlui eussent fait cette promesse ».

En ce mêmehiveril avoit une telle quantité de baspresque tous noirsquepour n'en pas mettre plus à une jambe qu'à l'autreà mesure qu'il mettoit un basil mettoit un jeton dans uneécuelle. Racan lui conseilla de mettre une lettre de soie decouleur à chacun de ses baset de les chausser par ordrealphabétique. Il le fit et le lendemain il dit à Racan:« J'en ai dans l'Lpour dire qu'il avoit autant depaires de bas qu'il y avoit de lettres jusqu'à celle-là.Un jourchez madame des Logesil montra quatorze tant chemise quechemisettesou doublure. Tout l'été il avoit de lapannemais il ne portoit pas trop régulièrement sonmanteau sur les deux épaules. Il disoità propos decela que Dieu n'avoit fait le froid que pour les pauvres ou pour lessots et que ceux qui avoient le moyen de se bien chauffer et de sebien vêtir ne devoient point souffrir le froid.

Quand onlui parloit d'affaires d'Étatil avoit toujours ce mot àla bouche qu'il a mis dans l'Épître préliminairede Tite-Liveadressée à M. de Luynesqu'il ne fautpoint se mêler de la conduite d'un vaisseau où l'onn'est que simple passager.

Une foisétant maladeil envoya quérir Théveninl'oculistequi étoit à M. de Bellegarde. Théveninlui proposa de faire venir quelque médecinet lui ayant nomméM. Robin: « Voilà un plaisant RobinditMalherbeje ne veux point de cet homme-là. -- Hé bien!Voulez-vous donc M. Guénebeau ? -- Nonc'est un nom dechien-courant: Guénebeau! to to ! Guénebeau! .Voulez-vous donc M. Dacier? -- Encore moinsil est plus dur que lefer. -- Il faut donc M. Provins? » Il y consentit.

Quand onlui montroit des vers où il y avoit des mots qui ne servoientqu'à la mesure ou à la rimeil disoit que c'étaitune bride de cheval attachée avec une aiguillette.

Un hommede robe de fort bonne condition lui apporta d'assez fichusvers qu'il avoit faits à la louange d'une dameet lui ditavant que de les lui lireque des considérations l'avoientobligé à les faire. Malherbe les lut d'un air fortchagrinet lui dit: « Avez-vous été condamnéà être penduou à faire ces vers ? caràmoins que de celaon ne vous le sauroit pardonner. »

Il n'étoitpas autrement persuadé de l'autre vieet disoitquand on luiparloit de l'enfer ou du paradis: « J'ai vécu comme lesautresje veux mourir comme les autreset aller où vont lesautres. »

On ditqu'une heure avant que de mouriril se réveilla comme ensursaut d'un grand assoupissementpour reprendre son hôtessequi lui servoit de garded'un mot qui n'étoit pas bienfrançaisà son gré; et comme son confesseur luien voulut faire réprimandeil lui dit qu'il n'avoit pu s'enempêcheret qu'il avoit voulu jusqu'à la mort maintenirla pureté de la langue françoise.





M .DES YVETAUX

M. desYvetaux se nommoit Vauquelinet étoit d'une bonne famille deCaen. Il y a exercé la charge de lieutenant- généraldont il fut interdit après par arrêt du parlement deRouen. Il vint à la cour et fut porté par Desportesetaprès par le cardinal du Perron. Ses vers étoientmédiocresmais il avoit assez de feu; sa proseà toutprendrevaloit mieux. Il savoit et avoit de l'esprit; il a eu en untemps toute la vogue qu'on sauroit avoir.

Henri IVle fit précepteur de M. le Dauphinaprès qu'il eut étéprécepteur de M. de Vendôme. Il s'est plaint qu'on nevouloit pas qu'il fît du feu Roi un grand personnage. Durant larégence on lui ôta cette place par intrigue; peut-êtrela plainte que le clergé fit contre luiet qui est impriméedans les Mémoires ensuite de ceux de M. de Villeroiyservit-elle.

On l'aaccusé de ne croire que médiocrement en Dieu. Je ne luiai pourtant jamais ouï dire d'impiétés. Il estvrai que je ne l'ai connu que deux ans avant qu'il mourût. Onl'accusoit aussi d'aimer les garçons. Pour les femmesil lesa aimées jusqu'à la finet a toujours mené unevie peu exemplaire. Il passoit pour médisant et pour aimer levin. Quelquefois il étoit longtemps sans parler. On dit quePluvinel et lui firent un voyage de Paris à Nantes et enrevinrentjouant toujours aux échecssans se dire mot pourcela. Ils avoient une machine dans le carrosse.

Il disoitque les courtisans appeloient bon temps le temps où lespensions étoient bien payées.

Etantdisgraciéil acheta une maison dans la rue des MaraisaufaubourgSaint- Germainvers les Petits- Augustins. En ce temps-làil n'y avoit rien de bâti au-delà dans le faubourg; onl'appeloità cause de celale dernier des hommes.Cette maison a l'honneur d'être aussi extravagamment disposéeque maison de France. Le grand jardin qu'il y joignitet auquel onva par une voûte sous terreest à peu près faitde même. Il se mit à faire là-dedans une vievoluptueuse. mais cachée: c'étoit comme une espècede grand seigneur dans son sérail. En pensionsen bénéficeset en argentil avoit beaucoup de bienet pouvoit vivre fort àson aise.

A sonordinaireil s'habilloit fort bizarrement. Madame de Rambouillet ditquela première fois qu'elle le vitil avoit des chausses àbandescomme celles des Suisses du Roirattachées avec desbrides; des manches de satin de la Chineun pourpoint et un chapeaude peaux de senteursune chaîne de paille à son couetil sortoit en cet habit-là. Il est vrai qu'il ne sortoit passouvent; mais quelquefoisselon les visions qui lui prenoienttantôt il étoit vêtu en satyretantôt enbergertantôt en dieuet obligeoit sa nymphe às'habiller comme lui. Il représentoit quelquefois Apollonquicourt après Daphnéet quelquefois Pan et Syrinx. Acause qu'il devint amoureux de madame du Pin. mère de madamed'Estradesau lieu de culs- de-lampeil fit mettre des pommes depin dorées à son plancher. Il y a des festons et deslacs d'amour de paille en je ne sais combien d'endroitsavec deschiffres de la même étoffe. Je ne sais quelle amitiéil avoit pour la paillemais il n'aimoit pas moins le vieux cuiretn'avoit point d'autre tapisserie en été ni hiver.

Il fut unpeu épris d'une de mes parentesmadame d'Haramburequi étoitallée voir son jardin. Un jouril lui écrivit unelettre fort longueoù en un endroit il se fondoitfurieusement en raisoncar il lui disoit: « Encore que vousn'aimiez point les figues (elle n'en mangeoit point)elles nelaissent pas d'être friandes; de même mon amourquoiquevous n'en fassiez point de casn'est pas pourtant méprisable»; et au bas il y avoit: « Renvoyez-moi cette lettres'il vous plaîtcar je n'ai point de double.» N'étoit-cepas là une bonne lettre à garder ?

Madame deSaint-Germain-Prévostdont le fils se vantoit d'êtrefils de M. le maréchal de Bironest celle de qui on a le plusparlé avec le bonhomme. Elle sut un jour qu'il devoit donnerla collation chez lui à des dames. Elle trouve moyen d'yentrer justement comme on venoit de serviret que les gens étoienttous allés avertir la compagnieetprenant la nappe par unboutelle jeta tout à terre. Quand il vit celail se mit àrire et dit: « Il faut que madame de Saint-Germain soit venueici. »

Maisl'amourette qui a fait le plus de bruit est celle qu'il a eue jusqu'àla fin de sa vie. Voici comme cela arriva. Vers la prise de laRochelle (1628) un jour que la porte de son grand jardinqui réponddans la rue du Colombierétoit entr'ouverteune jeune femmegrosse enfantassez bien faitemais fort tristemit le nez dedans;il s'y rencontra pas hasardetcomme il étoit civilprincipalement aux damesil la pria d'y entrer. Il appritd'elle-même qu'elle étoit fille d'un homme qui jouoitet a joué jusqu'à sa mort de la harpe dans leshôtelleries d'Etampes (présentement son fils fait lemême métier); elle lui dit qu'elle en jouoit aussi(effectivement elle en joue aussi bien que personne); qu'un jeunehomme de Meauxnommé Dupuisqui est de la meilleure maisonde la villel'avoit épousée par amouret qu'il étoitmalade dans la rue des Marais. Cette femme avoit l'air fort doux; ilen fut touché; il lui offre tout ce qu'il avoitles assistecar Dupuis étoit fort pauvreet quand elle accoucha il en euttout le soin imaginable. Relevéeelle va le remercier; luila cajole: elle prend le soin de le blanchirelle le visite souventet peu à peu se mêle de son ménage. Il se plaintà elle de ses valetsla prie d'avoir l'oeil sur eux. Dèsqu'elle étoit habilléeelle venoit passer la journéeavec lui: enfin il lui proposa de prendre avec son mari unappartement dans sa maison. Elle accepta ce parti. Quand elle y futune fois établieil prit une entière confiance enelle. Elle percevoit tout son revenufaisoit la dépense tellequ'il l'avoit ordonnéeet le reste étoit pour elle.J'oubliois de dire que ce qui l'avoit achevé de charmerc'estqu'étant tombé maladeavant qu'elle logeât avecluicette femme fut quarante jours sans se déshabiller.Croyez pourtant qu'elle achetoit bien son bonheur. Il falloit savoirdu bon homme tous les matins comment elle se coifferoità lagrecqueà l'espagnoleà la romaineà lafrançoiseetc.; quel habit elle prendroit; si elle seroitreinedéessenymphe ou bergère.

Aquatre-vingts ans il se portoit encore fort bien. Il m'a quelquefoislassé à force de me promener dans son jardin. C'étoitun petit homme secà yeux de cochon. Il a toujours eul'esprit présentetà sa modeil disoit de jolieschoses (1)

[(1) Lecuré de Saint-Sulpice l'étant allé voir et luifaisant des réprimandes sur sa conduite si peu chrétienneil lui répondit sans s'émouvoir : « Monsieur lecuré il ne faut pas croire tout ce que l'on ditil y a biende la médisance; l'on me disoit l'autre jour que vous aimiezles garçonsmais je n'en voulois rien croire. Le curéoffensé d'un tel complimentne jugea pas à propos delui parler davantageet s'en alla. (Extrait d'un manuscritdu même temps. -- M. )]

Un jourque madame d'Hautefort vint dans son jardinil lui dit d'un tonassez sérieux: « Madamevoulez-vous bien faire parlerde vous? après avoir maltraité des roisaimez un petitbonhomme comme moi »

DesYvetaux avoit de la générosité et de la bonté.J'ai ouï dire au comte de Brionnegrand seigneur de Lorraineques'étant retiré à Parisaprès laprise de NancyM. des Yvetaux le vouloit loger chez luiet luidisoit pour raison: « Monsieurvous avez si bien reçuautrefois les François en Lorrainequ'il faut bien vousrendre la pareille aujourd'hui. » Ce M. de Brionne n'avoitqu'un cheval de carrossel'autre étoit mort; il en empruntaun au bonhommequi ne vouloit pas le reprendreet disoit: «Vous m'en rendrez un quand vos affaires seront en meilleur état.»

Un andevant que de mourirNinonqui alloit quelquefois jouer du luthchez luicar il aimoit fort la musique et faisoit souvent desconcertslui demanda un jour de fête s'il avoit étéà la messe . « Il y auroitrépondit-ilplus dehonte à mon âge de mentir que de n'avoir point étéà la messe. Je n'y ai point été aujourd'hui. »Elle lui donna un ruban jaune qu'il porta je ne sais combien de joursà son chapeau .

Il fut sepromener à Rambouilletau faubourg Saint- Antoine (1)et desi loin qu'il put être ouï du maître du logisillui cria: « Monsieurje vous révèreje vousadore; mais il ne fait point chaud aujourd'huije vous prien'ôtonspoint notre chapeau. »

[ (1) A lamaison de Rambouilletbeau-père de Tallemant (M.)]

Sa plusgrandeou plutôt sa seule incommoditéétoit unerétention d'urine. Ce fut ce qui le tua; car voyanten 1649le Roi sorti de Paris et le blocus se formerpar une complaisancehors de propos pour la couril en sortit aussi. Peut-êtrecette étourdie de madame de Sacy le lui fit-elle faire. Commeil n'avoit point son chirurgien ordinairesa rétentionl'incommodantil fallut se faire sonder par le premier chirurgien devillagequi le blessaet la gangrène s'y mit. Ce fut auprèsde Meauxdans une petite maison de ce M. Dupuis. il se résolutfort constamment à la mortet fit tout ce qu'on a accoutuméde faire.

Une heureavant que de mouriril se promena par la chambreet pria la Dupuisde lui fermer les yeux et la boucheet de lui mettre un mouchoir surle visagedès qu'il commenceroit à agoniserafinqu'on ne vît point les grimaces qu'il feroit.





LECONNETABLE DE LUYNES ET MADAME DE CHEVREUSE

M. leconnétable de Luynes étoit d'une naissance fortmédiocre. Voici ce qu'on disoit de son temps. En une petiteville du comtat d'Avignonil y avoit un chanoine nomméAubert. Ce chanoine eut un bâtard qui porta les armes durantles troubles. On l'appeloit le capitaine Luynesà causepeut-être de quelque chaumière qui se nommoit ainsi. Cecapitaine Luynes étoit homme de service. Il eut legouvernement de Pont-Saint-Espritpuis de Beaucaireet mena deuxmille hommes des Cévennes à M. d'Alençon enFlandre. Au lieu d'Aubertil signa d'Albert. Il fit amitiéavec un gentilhomme de ces pays-lànommé Contadequiconnoissant M. le comte du Ludegrand-père de celuid'aujourd'huifit en sorte que le fils aîné de cecapitaine Luynes fût reçu page de la chambresous M. deBellegarde. Après avoir quitte la livréece jeunegarçon fut ordinaire chez le Roi. C'étoit quelque chosede plus alors que ce n'est il cette heure. Il aimoit les oiseaux ets'y entendoit. Il s'attachoit fort au Roiet commença àlui plaire en dressant des pies-grièches. Il avoit deux frèresavec lui. L'un se nommoit Branteset l'autre Cadenet. Ils étoienttous trois beaux garçons. Cadenetdepuis duc de Chaulnes etmaréchal de Franceavoit la tête belle et portoit unemoustacheque de lui on a depuis appelée une cadenete.On disoit qu'a tous trois ils n'avoient qu'un bel habitqu'ilsprenoient tour à tour pour aller au Louvreet qu'ilsn'avoient aussi qu'un bidet. Leur union cependant a fort servi àleur fortune.

M. deLuynes fit entreprendre au Roi de se défaire du maréchald'Ancreafin de l'engager à pousser la Reine sa mère;mais le Roi avoit si peuret peut-être son favori aussicaron ne l'accusoit pas d'être trop vaillantni ses frèresnon plusqu'on fit tenir des chevaux prêts pour s'enfuiràSoissonsen cas qu'on manquât le coup.

De Luynestout puissantépousa mademoiselle de Montbazondepuis madamede Chevreuse.

Il logeoitau Louvreet sa femme aussi. Le Roi étoit fort familier avecelleet ils badinoient assez ensemblemais il n'eut jamais l'espritde faire le connétable cocu. Il eût pourtant fait grandplaisir à toute la couret elle en valoit bien la peine. Elleétoit joliefriponneéveilléeet qui nedemandoit pas mieux. Une fois elle fit une grande malice à laReine. Ce fut durant les guerres de la religionà un lieunommé Moissacoù la Reine ni elle n'avoient pu logerà cause de la petitesse du château. Madame laconnétablequi prenoit plaisir à mettre martel en têteà madame la Reineun jour qu'elle y étoit alléeavec elledit qu'elle vouloit y demeurer à coucher. «Mais il n'y a point de litsdisoit la Reine. -- Eh! le Roin'en-a-t-il pas unrépondit-elleet M. le connétableun autre? » En effetelle y demeuraet la Reine non. Et quandla Reine passa sous les fenêtres du châteauen s'enallant car on faisoit un grand tour autour de la montagne oùce château est situéelle lui cria: « Adieumadameadieu; pour moije me trouve fort bien ici. (1) »

[(1) LouisXIII disant à madame de Chevreuse qu'il aimoit ses maîtressesde la ceinture en hautelle lui répondit « Sireellesse ceindront donc comme Gros-Guillaumeau milieu des cuisses. »(M.)]

Au boutd'un an et demimadame la connétable se maria avec M. deChevreuse. C'étoit le second de messieurs de Guiseet lemieux fait de tous les quatre. Le cardinal étoit plus beaumais M. de Chevreuse étoit l'homme de la meilleure mine qu'onpouvoit voir; il avoit de l'esprit passablementet on dit que pourla valeur on n'en a jamais vu une plus de sang-froid. Il ne cherchoitpoint le péril; mais quand il y étoitil y faisoittout ce qu'on y pouvoit faire. Au siège d'Amienscomme iln'étoit encore que prince de Joinvilleson gouverneur ayantété tué dans la tranchéeil se mit surle lieu à le fouilleret prit ce qu'il avoit dans sespochettes.

Il gagnabien plus avec la maréchale de Fervaques. (2)

[(2) Lemari de cette damepour guérir une religieuse possédéelui fit donner un lavement d'eau bénite. (T.)]

Cette dameétoit veuvesans enfantset riche de deux cent mille écus.M. de Chevreuse fit semblant de la vouloir épouser: elle endevint amoureuse sur cette espérancecar c'étoit unehonnête femmeet s'en laissa tellement empaulmer qu'elle luidonnoit tantôt une chosetantôt une autre; et enfin ellele fit son héritier. Il envoya son corps par le messager aulieu de sa sépulture.

Quand onfit le mariage de la reine d'Angleterreon choisit M. de Chevreusepour représenter le roi de la Grande-Bretagneparce qu'ilétoit son parent fort prochequ'il avoitcomme j'ai ditfort bonne mineet que madame de Chevreuse avoit toutes lespierreries de la maréchale d'Ancre elle accompagna la Reine enAngleterre. Milord Richdepuis comte Hollandl'avoit cajoléeicien traitant du mariage. C'étoit un fort bel homme; maissa beauté avoit je ne sais quoi de fade. Elle disoit desdouceurs de son galant et de celles de Buckingham pour la Reinequece n'étoit pas qu'ils parlassent d'amouret qu'on parloitainsi en leur pays à toutes sortes de personnes. Quand ellefut de retour d'Angleterrele cardinal de Richelieu s'adressa àelle dans le dessein qu'il avoit d'en conter à la Reine; maiselle s'en divertissoit. J'ai ouï dire qu'une fois elle lui ditque la Reine seroit ravie de le voir vêtu de toile d'argentgris de lin. Il l'éloignavoyant qu'elle se moquoit de lui.Après elle revintet Monsieur disoit qu'on l'avoit fait venirpour donner plus de moyens à la Reine de faire un enfant.

Elle semit aussi à cabaler avec M. de Châteauneufqui étoitamoureux d'elle. C'étoit un homme tout confit en galanterie.Il avoit bien fait des folies avec madame de Puisieux . Il donnoitbeaucoup. Il n'en fit pas moins pour madame de Chevreuse. En voyageon le voyoit à la portière du carrosse de la Reineoùelle étoità chevalen robe de satinet faisantmanège. Il n'y avoit rien de plus ridicule. Le cardinal enavoit des jalousies étrangescar il le soupçonnoitd'en vouloir aussi à la Reineet ce fut cela plutôtqu'autre chose qui le fit mener prisonnier à Angoulêmeoù il ne fut guère mieux traité que sonprédécesseurle garde-des-sceaux de Marillac. Mme deChevreuse fut reléguée à Dampierre d'oùelle venoit déguiséecomme une demoiselle crottéechez la Reineentre chien et loup. La Reine se retiroit dans sonoratoire; je pense qu'elles en contoient bien du cardinal et de sesgalanteries. Enfin elle en fit tant que M. le cardinal l'envoya àToursoù le vieil archevêque Bertrand de Chauxdevintamoureux d'elle. Il étoit d'une maison de Basque. Ce bon hommedisoit toujours ainsin comme cela. Il n'étoit pasignorant. Il aimoit fort le jeu. Son anagramme étoit chaudbrelandier. Madame de Chevreuse dit qu'un jourà lareprésentation de la Mariamne de Tristanelle lui dit:« Maismonseigneuril me semble que nous ne sommes pointtouchés de la Passion comme de cette comédie. -- Jecrois bienmadamerépondit-il; c'est histoirececic'esthistoire. Je l'ai lu dans Josèphe. »

Ellesouffroit qu'il lui donnât sa chemise quand il se trouvoit àson lever. Un jour qu'elle avoit à lui demander quelque chose:« Vous verrez qu'il fera tout ce que je voudrai; je n'aidisoit-ellequ'à lui laisser toucher ma cuisse àtable. » Il avoit près de quatre-vingts ans. Il ditquand elle fut partiecar il parloit fort mal: « Voilàoù elle s'assisa en me disant adieuet où elleme dit quatre paroles qui m'assomarent. » On trouvaaprès sa mort dans ses papiers un billet déchiréde madame de Chevreusede vingt cinq mille livres qu'il lui avoitprêtées.

Cebonhomme pensa être cardinal; mais le cardinal de Richelieul'empêcha. Il disoit: « Si le Roi eût étéen faveurj'étois cardinal. »

Commemadame de Chevreuse étoit à Toursquelqu'unen laregardantdit: « Ah! la belle femme! Je voudrois bienl'avoir....! » Elle se mit à rireet dit: « Voilàde ces gens qui aiment besogne faite. » Un jourenviron versce temps-làelle étoit sur son lit en goguettesetelle demanda à un honnête homme de la ville: « Orçaen consciencen'avez-vous jamais fait faux-bond àvotre femme? « Madamelui dit cet hommequand vous m'aurezdit si vous ne l'avez point fait à votre marije verrai ceque j'aurai à vous répondre. » Elle se mit àjouer du tambour sur le dossier de son litet n'eut pas le mot àdire. J'ai ouï comptermais je ne voudrois pas l'assurerquepar gaillardiseelle se déguisa un jour de fête enpaysanneet s'alla promener toute seule dans les prairies Je ne saisquel ouvrier en soie la rencontra Pour rireelle s'arrête àlui parlerfaisant semblant de le trouver fort à son goût;mais ce rustrequi n'y entendoit point de finessela culbuta fortbienet on dit qu'elle passa le passans qu'il en soit jamaisarrivé autre chose.

Lecardinal de Richelieu demanda à M. de Chevreuse s'il répondoitde sa femme: « Nondit-iltant qu'elle sera entre les mainsdu lieutenant-criminel de ToursSaint- Jullien. » C'étoitcelui qui l'avoit portée à se séparer de biensd'avec son mari; car M. de Chevreuse faisoit tant de dépensesqu'il a fait faire une fois jusqu'à quinze carrosses pour voircelui qui seroit le plus doux.

Lecardinal envoya donc un exempt pour la mener dans la tour de Loches.Elle le reçut fort bienlui fit bonne chèreet luidit qu'ils partiroient le lendemain. Cependantla nuitelle eut deshabits d'homme pour elle et pour une demoiselleet se sauva avantjour à cheval. Le prince de Marsillacaujourd'hui M. de LaRochefoucauldfut mis à la Bastille pour l'avoir reçueune nuit chez lui. M. d'Epernon lui donna un vieux gentilhomme pourla conduire jusqu'à la frontière d'Espagne. Dans lesinformations qu'en fit faire le président Vignieril y aentre autres chosesque les femmes de Gascogne devenoient amoureusesde madame de Chevreuse. (1)

[(1) Etantarrivée un soir proche des Pyrénéesen un lieuoù il n'y avoit de logement que chez le curéquiencore n'avoit que son litelle lui dit qu'elle étoit silasse qu'il falloit qu'elle se couchât pour se reposer :parlant néanmoins comme si elle eût été uncavalier; et le curé contestant et disant qu'il ne quitteroitpoint son litenfin ils convinrent qu'ils s'y coucheroient toustrois ensemblece qui se fit en effet. Le matin les deux cavaliersremontèrent à cheval et la duchesse de Chevreuseenpartantdonna au curé un billet par lequel elle l'avertissoitqu'il avoit couché la nuit avec la duchesse de Chevreuse et safille et qu'il se souvînt que s'il n'avoit avoit pas uséde ses avantagece n'étoit pas à elle qu'il avoittenu. » (MSS. de Conrart. Recueil in-folioXIII633.)]

Une foisdans une hôtelleriela servante la surprit sans perruque. Celala fit partir avant jour. Ses drogues lui prirent un jouron fitaccroire que c'étoit un gentilhomme blessé en duel. UnAnglois nommé Craftqu'elle avoit toujours eu avec elledepuis le voyage d'Angleterreparut quelques jours après sonévasion de Tours. On croyoit qu'il l'avoit accompagnéecar cet homme avoit de grandes privautés avec elleet on necomprenoit pas quels charmes elle y trouvoit. Elle passa ainsi enEspagne.

Revenons àM. de Chevreuse. Quoique endettésa tableson écurieses gens ont toujours été en bon état. Il atoujours été propre. Il étoit devenu fort sourdet pétoit partoutà table mêmesans s'enapercevoir. Quand il fit ce grand parc à Dampierreil le fità la manière du bonhomme d'Angoulême; il enfermales terres du tiers et du quart: il est vrai que ce ne sont pas tropbonnes terres; et pour apaiser les propriétairesil leurpromit qu'il leur en donneroit à chacun une clefqu'il estencore à leur donner.

Il avoitlà un petit sérail; à Pâquesquand ilfalloit se confesserle même carrosse qui alloit quérirle confesseur emmenoit les mignonneset les reprenoit en ramenant leconfesseur. Il avoit je ne sais quel bracelet où il y avoitje pensededans quelque petite toison. Il le montroit à toutle mondeet disoit: « J'ai si bien fait à ces pâquesque j'ai conservé mon bracelet. » Il avoit soixante-dixans quand il faisoit cette jolie petite viequ'il a continuéejusqu'à la mort.

Comme ilse portoit fort bienquoiqu'il eût quatre-vingts ansildisoit toujours qu'il vivroit cent ans pour le moinsIl eut pourtantune grande maladie bientôt après dans laquelle il futattaqué d'apoplexie. Au sortir de ce malil disoit qu'il enétoit revenu aussi gaillard qu'à vingt-cinq ans. Iltraita en ce temps-la avec M. de Luynesfils de sa femmeet luicéda tout son bienà condition de lui donner tant depension par ande lui fournir tant pour payer ses detteset ilvoulut avoir une somme de dix mille livres tous les ans pour sesmignonnes.

Madame deLuynes envoya un jour ordre aux officiers de faire vider de la duchétoutes les femmes de mauvaise vie. Les officiers lui mandèrentque pour eux ils ne les discernoient point d'avec les autreset quesi elle savoit quelque marque pour les connoîtrequ'elle prîtla peine de le leur mander.





M.D'AUMONT

M.d'Aumontfils du maréchal d'Aumontdu temps d'Henri IVgouverneur de Boulogne-sur-Meret chevalier de l'Ordreen son jeunetempsfut une vraie peste de cour. Il a eu les plus plaisantesvisions du monde. Il disoit de madame de Beaumarchaisbelle-mèredu maréchal de Vitryet femme de ce trésorier del'Epargne que la Reine- mère fit tant persécuteràcause que son gendre avoit tué le maréchal d'Ancre; ildisoit donc de cette madame de Beaumarchais qu'elle ressembloit àun tabouret de point de Hongrie. En effetelle avoit le visagecarréet tout plein de marques rouges. Cela n'empêchoitpas quepour son argentelle n'eût des galantset de bonnemaison; car M. de Mayennele dernier de ce nomen fut un. La visionqu'il eut pour la maréchale d'Estrées est encore plusplaisante. C'étoit et c'est encore une petite femme sècheet qui a le nez fort grandmais extrêmement propre. Elle étoiten sa jeunesse toute faite comme une poupée. « Necroyez-vous pasdisoit-il sérieusementcar il ne rioitjamaisqu'on la pend tous les soirstoute habilléepar lenez à un clou à crochet dans une armoire? » Ildisoit d'une dame qui avoit le teint fort luisant qu'on lui avoit misun talccomme aux portraits.

Un jourqu'il étoit à l'hôtel de Rambouilletmadame deBonneuil y vint . Elle étoit grosseet en entrant elle selaissa tomberse fit grand mal à un genouet pensa accoucherde sa chute. Le voilà qui se met à rêver: «Nous sommes bien mal bâtisdit- ilnous avons des os en tousles endroits sur lesquels nous tombons d'ordinaire; il vaudroit bienmieux que nous eussions des ballons de chair aux genouxaux coudesau haut des joues et aux quatre côtés de la tête.Quel plaisir ne seroit-ce point? ajouta-t-il. Un homme sauteroit parune fenêtre sans se blesseril passeroit par-dessus les mursd'une ville. » Et puiss'engageant plus avant dans sa rêverieil mena cet homme avec ces ballons de chair de ville en villejusqu'à La Hayeen Hollande.

Une autrefoisGombauld contoit en sa présenceà l'hôtelde Rambouilletqu'ayant été pris pour un granddébauchénommé Combaudpère du barond'Auteuilil fut maltraité par un commissaire et par dessergents qui le vouloient mener en prisonjusque-là quequoiqu'il soit assez patientil fut pourtant contraint de lever lamain pour frapper ce commissaire. M. d'Aumontaprès avoirtout écoutése lève de son siègeetcommence à faire la posture d d'un bourreau qui danse sur lesépaules d'un penduet qui tire en même temps la cordepour l'étrangleret disoit: « Monsieur le commissaireje vous pendraije vous pendraimonsieur le commissaire. »

A proposde celacomme il faisoit pendre quelques soldats à Boulogneun d'eux cria qu'il étoit gentilhomme : « Je le croislui dit-il; mais je vous prie d'excusermon bourreau ne sait quependre. »

Enmangeant des andouilles mal lavéesil dit: « Cesandouilles sont bonnesmais elles sentent un peu le terroir. »

Il disoitdu marquis de Sourdisqui faisoit fort l'empressé chez lecardinal de Richelieude la maison duquel il étoit depuis peuintendantet qui regardoit aux meubles et à toutes chosesildisoit qu'il lui sembloit le voir tirer de dessous son manteau unpetit sac de tapissier avec un petit marteauet recogner quelqueclou doré à une chaise.

Il disoitd'une damequi avoit les cheveux d'un blond fort doréet quiavoit une coiffure beaucoup trop relevée et presque point decheveux abattusqu'elle ressembloit à ces pelotes oùles merciers fichent des lardoirs.

Je croisque ce fut lui qui dit voyant une personne fort maussadequ'elleavoit la mine d'avoir été faite dans une garde-robe surun paquet de linge sale.

Une de sesmeilleures visionsce fut celle qu'il eut pour M. l'archevêquede Rouenquiquoique jeune portoit une grande barbe. Il dit qu'ilressembloit à Dieu le Pèrequand il étoitjeune.





MADAMEDE RENIEZ

Madame deReniez étoit de la maison de Castelpers en Languedocsoeur dubaron de Panatdont nous parlerons ensuite. Avant que d'êtremariée au baron de Reniezelle étoit engagéed'inclination avec le vicomte de Paulin. Cette amourette dura aprèsqu'elle fut mariéeet le baron de Panat étoit leconfident de leurs amours. Ils en vinrent si avant qu'ils se firentune promesse de mariage réciproquepar laquelle ils sepromettoient de s'épouser en cas de viduité : «En foi de quoidisoient-ilsnous avons consommé le mariage.» Un tailleur rendoit les lettres du galant et lui en apportoitréponse. Par l'entremise de cet hommeces amants se virentplusieurs foistantôt dans le village de Reniez mêmetantôt ailleursoù le vicomte venoit toujours déguisé.Un jour ils se virent dans le château même de Reniezpresque aux yeux du mari. Madame de Reniez avoit feint d'êtreincommodéeet s'étoit fait ordonner le bainet levicomte se mit dans la cuve qu'on lui apporta. Enfinils en firenttant que le mari sut toute l'histoireetpour les attraperil fitsemblant de partir pour un assez long voyage; puisrevenant sur sespasil entra dans la chambre de sa femmeet trouva le vicomtecouché avec elle. Il le tua de sa propre mainnon sansquelque résistancecar il prit son épée; maisle baron avoit deux valets avec lui. Le baron de Panatqui couchoitau-dessusaccourut aux cris de sa soeuret fut tué àla porte de la chambre. Pour la femmeelle se cacha sous le littenant entre ses bras une fille de trois à quatre ansqu'elleavoit eue du baronson mari. Il lui fit arracher cette enfantetaprès la fit tuer par ses valets; elle se défendit dumieux qu'elle putet eut les doigts tout coupés. Le baron deReniez eut son abolition.

Cetteenfant qu'on ôta d'entre les bras de Mme de Reniez futaprèscette madame de Girondedont nous allons conter l'histoire. Maisavant celail est à propos de dire ce que nous avons apprisdu baron de Panat.

LEBARON DE PANAT

Le baronde Panat étoit un gentilhomme huguenot d'auprès deMontpellierde qui on disoit: Lou baronde Panatputeau mortque natc'est-à-dire plutôt mort que né;car on dit que sa mèregrosse depuis près de neuf moismangeant du hachisavala un petit os quilui ayant bouché leconduit de la respirationla fit passer pour morte; qu'elle futenterrée avec des bagues aux doigts; qu'une servante et unvalet la déterrèrent de nuit pour avoir ses baguesetque la servantese ressouvenant d'en avoir étémaltraitéelui donna quelques coups de poingpar hasardsurla nuque du couet que les coups ayant débouché songosierelle commença à respireretque quelque tempsaprès elle accoucha de luiquipour avoir étési miraculeusement sauvén'en fut pas plus homme de bien. Aucontraireil fut des disciples de Lucilio Vaniniqui fut brûléà Toulouse pour blasphèmes contre Jésus-Christ.Il retira Théophileet pensa lui-même être prispar le prévôt. C'étoit un fort bel homme. Madamede Sullyqui vit encoreen devint amoureuseet lui demanda lacourtoisie (1).

[(1) Cemot ne dit pas seulement honnêteté ou civilitémais encore les grâces et les faveurs que l'on ravit àune dame (Dictionnaire de Le Roux)]

On ditqu'il répondit qu'il étoit impuissant. Cependant ilétoit marié; mais madame de Sullyqui n'étoitpas bellene le tenta paset il s'en défit de cette sorte.

A proposde femmes qui sont revenueson conte qu'une femme étanttombée en léthargieon la crut morteet comme on laportoit en terreau tournant d'une rueles prêtres donnèrentde la bière contre une borneet la femme se réveillade ce coup. Quelques années aprèselle mourut tout debonet le mariqui en étoit bien aisedit aux prêtres:« Je vous prieprenez bien garde au tournant de la rue. »



***

MADAMEDE GIRONDE

Revenons àla petite de Reniez. Son pèrepour ôter cet objet dedevant ses yeuxla donna à madame de Castel-Sagratsa soeur.Cette filledes l'âge de dix ansfut admirée pour sabeauté et pour la vivacité de son esprit Madame deCastel-Sagrat résolut de ne laisser point échapper unsi bon parti et de la marier à son second filsqu'on appeloitle baron de Gironde; elle les fit épouser que la fille n'avoitencore que onze ans après avoir obtenu des dispenses du Roicar ils étoient cousins-germains et huguenots. On dit quemadame de Gironde eut de tout temps de l'aversion pour son mari quiétoit un gros homme assez mal bâti; mais cette aversions'augmenta très fortlorsqu'elle se vit cajolée desprincipaux et des mieux faits de la province; car son mari l'ayantmenée à Montaubanaprès les guerres de lareligionfeu M. d'Epernon et M. de La Valetteson fils s'yrencontrèrent. Il y avoit aussi alors un autre damenomméemadame d'Islemadequi seule pouvoit disputer de beauté avecmadame de Gironde. Le père se donna à celle- ci et lefils à l'autreet toute la ville avec la noblesse desenvirons se partageant à leur exemplece fut comme une petiteguerre civilebien différente de celle dont on venoit desortir. On dit pourtant que M. d'Epernon n'en eut aucune faveur quede bienséance.

La pestevint là-dessusqui interrompit toutes les galanteriesetmadame de Gironde fut contrainte de se retirer à Reniez. Parmalheur pour elle. un avocat du présidial de MontaubannomméCrimelse retira dans le village de Reniez. Cet homme étoitméchantmais il avoit de l'esprit. Il fut bientôtfamilier avec madame de Girondequi en temps de peste ne pouvoit pasavoir beaucoup de compagnie; et comme elle se plaignit à luide son mariageon dit qu'il lui mit dans la tête qu'elle sepouvait démarieret que l'espérance qu'il lui endonnoit la charmade sorte quepour le récompenser d'un sibon aviselle lui donna tout ce que peut donner une dame.

La pesteayant cesséelle revint à Montaubanoù ellefut plus admirée et cajolée que jamais. Le marquis deFlamarensle baron d'Aubaiele vicomte de Montpeirouxet plusieursautres gentilshommes de qualité y accoururent et y demeurèrentlongtemps pour l'amour d'elle. Ce fut alors qu'un de ces messieurslui ayant donné les violons et n'y ayant point de lieu commodechez elleelle alla d'autorité avec toute cette noblessesemettre en possession de la salle d'un des principaux de Montaubanquoiqu'il lui eût refuséeen disant pour toute raisonque cet homme lui avoit bien de l'obligationet qu'elle faisoit toutce qu'elle pouvoit pour le rendre honnête homme.

Cependantl'envie de se démarier s'accroissoit de jour en jour. Pourcelaelle s'aviseafin de n'être plus sous la puissance deson maride proposer à Gironde de la laisser aller voir sesoncles maternels pour leur demander qu'ils lui fissent raison desdroits que sa mère avoit sur la maison de Panat. Elle y fut etCadaretun des frères de sa mèredevint passionnémentamoureux d'elle. Cet oncle la porta plus que personne àdemander la dissolution du mariageet lui fit raison de ce qu'elleprétendoit. Aprèsle procès étantcommencéil l'accompagna à Castres où onreconnut bientôt qu'il en étoit fort jaloux. Il falloitpourtant bien qu'il souffrît qu'elle fut cajoléecarelle ne s'en pouvoit passeret ne marchoit point sans une fouled'amantsentre lesquels il y en avoit trois plus assidus que lesautres: le baron de Marcellusjeune gentilhomme de qualitéde la Basse-Guyennequi étoit à Castres pour unprocès; Rapinjeune avocat plein d'espritet Ranchinaujourd'hui conseiller à la chambre. Ce Ranchin a faitbeaucoup de vers.

Elleparloit avec une liberté extraordinaire de sa beauté etde ses mourants; on la voyoit aller par la ville bizarrementhabillée; car quelquefois on lui a vu un habit de gaze danslaquelle elle faisoit passer de toutes sortes de fleursdepuis lehaut jusqu'au baset je vous laisse à penser si son mourantRanchin manquoit l'appeler Flore. Elle dit assez plaisamment àun garçon nommé Cayrol qui lui promettoit de faire desvers sur ellequ'elle ne prétendoit pas lui servir deporte-feuille. Elle disoit les choses fort agréablement; maisses lettres ne répondoient pas à sa conversation: samère écrivoit bien mieux.

Comme sonprocès tiroit en longueurelle alla pour quelque temps àune terre de Belaireque Cadaret lui avoit donnée pour sesprétentions. LàMarcellus et Rapin l'allèrentvoir. Ils arrivèrent assez tard; mais à peinel'eurent-ils saluée qu'on entendit heurter avec violence.C'était un gentilhomme du voisinagequi venoit l'avertir queson mari s'avançoit avec vingt ou trente de ses amis pourl'enlever. Ils se mettent à tenir conseil. Le gentilhommeétoit d'avis qu'on se sauvâtparce que la maison nevaloit rien. Mais Rapinqui ne connaissoit point ce gentilhommeetqui espéroit qu'on ne les forceroit pas si aisémentfut d'avis de demeurer. Le baronayant su qu'il y avoit compagnie etqu'on étoit résolu de se défendrene voulutpoint exposer la vie de ses amis et s'en retourna.

CependantMarcellusqui n'avoit qu'un amour de galanteriecommença às'engager tout de bon. Elle le repaissoit de belles paroles; carenfine coquetteelle faisoit que chacun de ses amants croyoit êtrele plus heureux. Pour Rapin (il est gentilhomme)qu'elle voyoitcadet et d'assez bon goût pour conduire une entrepriseellelui promit plusieurs fois de l'épousers'il pouvoit ladéfaire de Gironde. Mais il lui répondit que quand avecsa beauté elle auroit une couronne à lui donnerellene l'obligeroit pas à faire une méchante action.

Afin decontenteren quelque sorteMarcellusqui étoit fort alarméde ce qu'elle sembloit favoriser plus que lui un certain chevalier deVerdelinelle lui fit une promesse en ces termes: « Je prometsau baron de Marcellus de ne me remarier jamaissi je suis une foislibre; etsi je change de résolutionque ce ne sera qu'en safaveur. » En même temps cependant elle écrivoit auchevalier qu'il eût bonne espéranceet quepour cemisérable (parlant de Marcellus)il n'auroit qu'un morceau depapier pour son quartier d'hiver. Mais toutes ces coquetteries neplaisoient point à son oncle de Cadaretquipar jalousieoupour être las de la damecomme quelques-uns ont ditsejoignit à Girondeet lui aida à l'enlever.

La voilàdonc en la puissance de son mari et prisonnière dans une tourde Castel-Sagrat. Làne trouvant point d'autre moyen d'ensortirelle cajole madame de Castel-Sagratfemme du frèreaîné de Girondelui représente le tort qu'on luia fait de la contraindreà onze ansde se marier avec unhomme pour qui on savoit bien qu'elle avoit de l'aversion; que sansdoute le mariage seroit déclaré nulet que si ellevouloit la mettre en libertéelle épouseroit aprèsM. de Gasqueson frèrequi peut-être ne trouveroit pasailleurs un meilleur parti. Madame de Castel- Sagratgagnéela fait évader; mais les maris la suivirent et l'assiégèrentdans un châteaunommé de Bèzeoùaprèsavoir résisté quelques jourselle fut contrainte de serendreet fut ramenée à Castel-SagratoùGirondepeut-être las de se donner tant de peines pour unecoureuseou peut-être déjà amoureux d'une autrepersonnecomme vous le verrez par la suiteconsentit à ladissolution du mariagemoyennant deux mille écus pour lesfrais qu'il avoit faits.

Pourtrouver cette somme la dame a recours à son fidèleMarcelluset lui promet de l'épouser dès que l'affairesera achevée. Marcellus en tombe d'accordmais pour assuranceil demande d'être saisi cependant de la dispense de mariagedont la suppression devoit faire dissoudre le mariage. On la lui metentre les mainset il part aussitôt pour aller faire cettesomme. A peine fut-il en son paysque sa maîtresse lui écritde la venir retrouver en diligenceet de n'oublier pas d'apporter ladispense dont dépendoit toute l'affaire. Marcellus la varetrouver à Belaire. Aussitôt elle tâche partoutes les caresses imaginables de retirer sa dispense. Il n'y veutpoint entendreet va loger dans une maison du village. Elle le faitsuivre par une femme de chambre et par un garçon de dix àdouze ansqui le prient de souffrir au moins pour toute grâceque ce garçon puisse faire une copie de la dispense. Il yconsentit enfinde peur de rompre. Mais comme ce garçoncommençoit à copiercinq ou six hommes armésentrent dans la chambre en criant: Tue! tue! ils tirent leurspistoletsqui apparemment n'étoient chargés que depoudre. Dans ce désordrele garçon et la femme dechambre se sauvent avec la dispense. Ces hommes se retirèrentaussi bientôt après. et laissèrent notre baronbien camus . A la chaudeil va rendre sa plainteetd'amant demadame de Girondedevient son plus irréconciliable ennemi. Illa fait condamner à trois mille livres d'amende. Ellecependantcroyoit avoir fait d'une pierre deux coups: s'êtredéfaite de Marcelluset avoir trouvé le moyen derompre le mariage sans le consentement de Gironde et sans lui donnerde l'argent. Pour cet effet elle change de religionet surl'exposition qu'elle fait au pape qu'elle a été mariéeavec un cousin-germainsans dispenseet même avant l'âgeporté par les loiselle obtient un rescrit pour ladissolution du mariage adressé à l'official deMontauban; mais il se trouva que cette dispensedont elle avoitl'originalétoit enregistrée au présidiald'Agende sorte qu'il fallut revenir capituler avec Girondequiavoit aussi changé de religion; lui s'en tint toujours àses deux mille écus. Alors il fallut avoir recours àGasquefrèrecomme nous avons ditde madame deCastel-Sagrat. qui fut plus fin que Marcelluscar il voulut coucheravec elle avant que de donner son argent. Gironde se maria quelquetemps après à la fille d'un chandelier de Castel-Sagratdont il était amoureux. Pour ellebien qu'elle eûtcouché avec Gasqueelle était encore en doute si ellel'épouseroitcar Rapin lui ayant demandé un jour sitout de bon elle étoit mariée avec Gasqueellerépondit: « Selon »: C'est-à-dire sielle étoit grosseelle l'épouseroitmais qu'autrementelle tâcheroit de s'en défendre. Elle se trouva grosseépousa Gasqueet peu après mourut en travail d'enfant.





M.DE TURIN

M. deTurin étoit un conseiller au parlement de Parisgrandjusticiermais de qui on contoit de plaisantes choses. Il appeloitson clerc chevalson laquais mulet et sa femme p...

Ungentilhommedont il étoit rapporteuralla une fois pourparler à lui; il le rencontra en habit courtfait comme uncuistrequi revenoit de la caveavec son martinet à la main.Il ne l'avoit peut-être jamais vuou il ne le reconnut pasetil lui dit: « Mon amioù est M. de Turin? -- Monami! dit M. de Turinquel impertinent est-ce là? »Le cavalierpeu accoutumé à souffrir des injuresluidonne un soufflet et se retire. Il sut après que c'étoitM. de Turinet le voilà en belle peine. Le bonhomme rapportale procès comme si de rien n'étoitet dit à sonclerc: « Chevalapporte-moi le procès de cebatteur. » Il le voitet trouvant que le cavalier avoitbon droitil le lui fait gagneret l'ayant rencontré sur lesdegrés du Palaisil lui donne un petit coup sur la joue enriantet lui dit: « Apprenez à ne battre plus les gens:vous avez gagné votre procès.» L'autrequicroyoit tout perduse pensa mettre à genoux.

Il setrouva chargé du procès d'entre feu M. de Bouillon etde M. de Bouillon La Marckpour Sédan. Henri IV l'envoyaquériret lui dit (Voyez quelle justice !): « M. deTurinje veux que M. de Bouillon gagne son procès -- HébienSirelui répondit le bonhommeil n'y a rien plus aisé;je vous l'enverraivous le jugerez vous-même. »

Quand ilfut partiquelqu'un dit au Roi: « Sirevous ne connoissez pasle personnageil est homme à faire ce qu'il vous vient dedire. » Le Roi sur cela y envoyaet on trouva le bonhomme quichargeoit les sacs sur un crocheteur. Le Roi accommoda cette affaire.

Madame deGuise et mademoiselle de Guisesa fille. depuis princesse de Contile furent solliciter une fois. Il les fit attendre assez longtempset après il se mit à crier tout haut: « Chevalces p .... sont-elles encore là-bas ? »

Unseigneurqui avoit gagné une grande affaire à sonrapportlui envoya un mulet qui alloit fort bien le pas. M. de Turintrouva ce mulet à son retour du Palais; il ne fit autre choseque de prendre un bâtonet d'en frapper le mulet jusqu'àce qu'il le vît hors de chez lui.

On ditqu'un gentilhomme lui fit une fois un grand présent de gibier.Il laissa descendre cet hommemais comme il sortoit dans la rueillui jeta ce gros paquet de gibier fort rudement sur la têteenlui disant qu'il apprît à ne pas corrompre ses juges.





M.ViÈTE

Vièteétoit un maître des requêtesnatif deFontenay-le- Comteen Bas-Poitou. Jamais homme ne fut plus néaux mathématiques; il les apprit tout seul; caravant luiiln'y avoit personne en France qui s'en mêlât. Il en fitmême plusieurs traités d'un si haut savoir qu'on a eubien de la peine à les entendreentre autresson Isagogéou Introduction aux mathématiques. Un allemandnomméLandsbergiussi je ne me trompeen déchiffra une partieetdepuis on a entendu le reste. Voici ce que j'ai appris de particuliertouchant ce grand homme. Du temps d'Henri IVun HollandaisnomméAdrianus Romanussavant aux mathématiquesmais non pas tantqu'il croyoitfit un livre où il mit une proposition qu'ildonnoit à résoudre à tous les mathématiciensde l'Europe; oren un endroit de son livre il nommoit tous lesmathématiciens de l'Europeet n'en donnoit pas un à laFrance. Il arriva peu de temps après qu'un ambassadeur desEtats vint trouver le Roi à Fontainebleau. Le Roi prit plaisirà lui en montrer toutes les curiositéset lui disoitles gens excellents qu'il y avoit en chaque profession dans sonroyaume. « MaisSirelui dit l'ambassadeurvous n'avez pointde mathématicienscar Adrianus Romanus n'en nomme pas un defrançois dans le catalogue qu'il en fait. -- Si faitsi faitdit le Roij'ai un excellent homme: qu'on m'aille quérir M.Viète. » M. Viète avoit suivi le conseiletétoit à Fontainebleau; il vient. L'ambassadeur avoitenvoyé chercher le livre d'Adrianus Romanus. On montre laproposition à M. Viètequi se met à une desfenêtres de la galerie où ils étoient alorsetavant que le roi en sortîtil écrivit deux solutionsavec du crayon. Le soir il en envoya plusieurs à cetambassadeuret ajouta qu'il lui en donneroit tant qu'il luiplairoitcar c'étoit une de ces propositions dont lessolutions sont infinies. L'ambassadeur envoie ces solutions àAdrianus Romanusquisur l'heurese prépare pour venir voirM. Viète. Arrivé à Parisil trouva que M. Vièteétoit allé à Fontenay; le bon Hollandais va àFontenay. A Fontenayon lui dit que M. Viète est à samaison des champs. Il l'attend quelques jours et retourne leredemander; on lui dit qu'il étoit en ville. Il fait commeAppellesqui tira une ligne. Il laisse une proposition; Vièterésout cette proposition. Le Hollandais revient; on la luidonnele voilà bien étonné; il prend son partid'attendre jusqu'à l'heure du dîner. Le maître desrequêtes revient; le Hollandais lui embrasse les genoux; M.Viètetout honteuxle relèvelui fait un milliond'amitiés; ils dînent ensembleet après il lemène dans son cabinet. Adrianus fut six semaines sans lepouvoir quitter. Un autre étrangernommé Galtaldegentilhomme de Ragusese fit faire résident de sa républiqueen France pour conférer avec M. Viète. Viètemourut jeunecar il se tua à force d'étudier.



MADAMED'ALINCOURT

Un garçonde Parisnommé M. de Marcognetfils d'un maître desrequêtes appelé Langloisfit amitié avec feu M.d'Alincourtpère de M. le maréchal de Villeroietdevint en même temps amoureux de madame d'Alincourtqui étoitbelleet dont jusque- là on n'avoit encore rien dit. Il laservit fort longtemps sans en avoir la moindre faveuret il ne sepouvoit vanter que d'être un peu plus obstiné que sesrivaux. Las de cette vaine rechercheil résolut de touthasarder; et ayant remarqué plusieurs fois que la dame quiétoit alors à Lyondont son mari étoitgouverneurse retiroit fort souvent toute seule dans un cabinet quiétoit tout au bout d'un grand appartementet que ses femmesse tenoient dans un lieu assez éloignéayant remarquétout celail résolut de 1'y surprendrepour voir s'il netrouveroit point l'heure du berger. Dans ce desseinétant àla chasse avec M. d'Alincourt il se laisse tout exprès tomberdans un bourbierafin d'avoir prétexte de se retirer. M.d'Alincourt continue sa chasse; Marcognetde retourchangead'habitva chez madame D'Alincourtet la trouve où ilvouloit. Après lui avoir conté son accidentil lui dità quel dessein il s'étoit laissé tomber dans lebourbieret qu'il étoit résolu de jouer de son reste.Après celail va fermer toutes les portes. Je vous laisse àpenser si cette femme fut étonnée. Il la jeta sur unlit de repos; elle se défendit autant qu'on se peut défendre;mais comme il étoit beaucoup plus fort qu'elleà lafin il en vint à boutmoitié figuemoitiéraisin; elle n'avoit osé crier de peur de scandale; peut-êtreaussi que le dessein de cet homme lui avoit semblé une grandemarque d'amour. Il lui fit après toutes les satisfactionsqu'on peut s'imaginer. Elle le menaçoit de le fairepoignarder. « Il ne faut point d'autre main que la vôtrepour celalui dit-ilMadame »; et lui présentant unpoignard: « Vengez-vous vous-mêmeet je vous jure que jemourrai très content. »

Depuiselle ne fut pas si cruelleet ses autres galants n'eurent pas tantde peine que celui-ci.





LECARDINAL DE RICHELIEU

LaRivièrequi est mort évêque de Langresdisoitque le cardinal de Richelieu étoit sujet à battre lesgensqu'il a plus d'une fois battu le chancelier Séguier etBullion. Un jour que ce surintendant des finances se refusoit designer une chose qui suffisoit pour lui faire faire son procèsil prit les tenailles du feuet lui serroit le cou en lui disant: «Petit ladreje t'étranglerai. » Et l'autre répondit:« Etranglezje n'en ferai rien. » Enfin il le lâchaet le lendemain Bullionà la persuasion de ses amisqui luiremontrèrent qu'il étoit perdusigna tout ce que lecardinal voulut.

Lecardinal étoit avare; ce n'est pas qu'il ne fît bien dela dépensemais il aimoit le bien. M. de Créqui ayantété tué d'un coup de canon en Italieil allavoir ses tableauxprit tout le meilleur au prix de l'inventaireetn'en a jamais payé un sol. Il fit piscar Gilliersintendantde M. de Créquilui en ayant apporté trois des sienspar son ordreet lui en ayant présenté un qu'il leprioit d'accepterle cardinal dit: « Je les veux tous trois etles doit encore.»

Il nepayoit guère mieux les demoiselles que les tableaux. Marion del'Orme alla deux fois chez lui. A la première visiteil lareçut en habit de satin gris de linen broderie d'or etd'argentbotté et avec des plumes. Elle a dit que cette barbeen pointe et ces cheveux au-dessus de l'oreille faisoient le plusplaisant effet du monde. Il la baisa due volte. J'ai ouïdire qu'une autre fois elle y entra en homme: on dit que c'étoitun courrier; elle-même l'a conté. Après ces deuxvisites. il lui fit présenter cent pistoles par des Bournaisson valet de chambrequi avoit fait le m.... Elle les jetaet semoqua du cardinal. On l'a vu plusieurs fois avec des mouchesmais iln'en mettoit pas pour une. Une fois il voulut débaucher laprincesse Marieaujourd'hui la reine de Pologne. Elle lui avoitenvoyé demander audience. Il se tint au lit; on la fit entrertoute seuleet le capitaine des gardes fit retirer tout le monde. «Monsieurlui dit-ellej'étois venue pour... » Ill'interrompit: « Madamelui dit-ilje vous promets toutechose; je ne veux point savoir ce que c'est. MaisMadameque vousvoilà propre ! Jamais vous ne fûtes si bien! Pour moij'ai toujours eu une inclination particulière à vousservir. » En disant celail lui prend la mainet la luivouloit mettre dans le lit; elle la retireet lui veut conter sonaffaire. Il recommenceet lui veut prendre encore la main. Elle selèveet s'en va. Le cardinal aimoit les femmes; mais ilcraignoit le Roiqui étoit médisant.

Il étoitavide de louanges. On m'a assuré quedans une épîtreliminaire d'un livre qu'on lui dédioitil avoit rayéhéros pour mettre demi-dieu. Une espècede founommé La Peyres'avisa de mettre au-devant d'un livreun grand soleildans le milieu duquel le cardinal étoitreprésenté. Il en sortoit quarante rayonsau boutdesquels étoient les noms des quarante académiciens. M.le chanceliercomme le plus qualifiéavoit un rayon direct.Je pense que M. Servienalors secrétaire d'Etatavoitl'autreBautru ensuiteet les autres au prorata de leursqualitéspour user des termes du surintendant de LaVieuville. Il y mit Cherelles-Bautruqui n'en étoit pointaulieu du commissaire Habert. C'étoit un Auvergnatqui a faitde ridicules traités de chronologie.

Un jourqu'il étoit enfermé avec Desmarestque Bautru avoitintroduit chez luiil lui demanda: « A quoi pensez-vous que jeprenne le plus de plaisir ? -- A faire le bonheur de la Franceluirépondit Desmarest -- Point du toutrépliqua-t-ilc'est à faire des vers. » Il eut une jalousie enragéecontre le Cidà cause que ses pièces desCinq-Auteurs n'avoient pas trop bien réussi. Il ne faisoit quedes tirades pour des pièces de théâtre. Maisquand il travailloitil ne donnoit audience à personne.D'ailleursil ne vouloit pas qu'on le reprît. Une foisL'Estoilemoins complaisant que les autreslui dit le plusdoucement qu'il put qu'il y avoit quelque chose à refaire àun vers. Ce vers n'avoit seulement que trois syllabes de plus qu'ilne lui falloit. « Làlàmonsieur de L'Estoilelui dit-ilcomme s'il eût été question d'unéditnous le ferons bien passer. » Il avoit assezméchant goût. On lui a vu se faire rejouer plus de troisfois une ridicule pièce en prose que La Serre avoit faite.C'est Thomas Morus. En un endroitAnne de Boulen disoit auroi Henri VIIIqui lui offroit une promesse de mariage: «Siredes promesses de mariageles petites filles s'en moquent. »En un autreelle moralisoit sur la fragilité des choseshumaineset disoit au roi que le trône des rois étoitun trône de paille: « C'est doncdisoit le roidepaille de diamant. » On appelle une paille certainemarque dans les diamantsqui est un défaut.

Il fit unefois un dessein de pièce de théâtre avec toutesles pensées; il le donna à Bois- Robert en présencede madame d'Aiguillonqui suivit Bois-Robert quand il sortitpourlui dire qu'il trouvât le moyen d'empêcher que cela neparûtcar il n'y avoit rien de plus ridicule. Bois-Robertquelques jours aprèsvoulut prendre ses biais pour cela. Lecardinalqui s'en aperçutdit: « Apportez une chaise àdu Boisil veut prêcher. » M. Chapelain après fitdes remarques sur ce dessein par l'ordre du cardinal. Elles étoientles plus douces qu'il se pouvoit. L'Eminentissime déchira lapiècepuis il fit recoller les déchiruresle toutdans son litla nuit; et enfin conclut à n'en plus parler.

Pourl'ordinaireil traitoit les gens de lettres fort civilement. Il nevoulut jamais se couvrir parce que Gombault voulut demeurer nu-tête;et mettant son chapeau sur la tableil dit: « Nous nousincommoderons l'un et l'autre. » Cependantregardez si celas'accordeil s'assitet le laissa lire une comédie toutdeboutsans considérer que la bougie qui étoit sur latablecar c'étoit la nuitétoit plus basse que lui.Cela s'appelle obliger et désobliger en même temps. Celane lui arrivoit guère. Vingt fois il a fait couvrir et asseoirDesmarest dans un fauteuil comme luiet voulut qu'il ne l'appelâtque monsieur. On l'a pourtant loué de savoir obliger debonne grâce quand il le vouloit. Il avoità ce que ditLa Mesnardièredessein de faire à Paris un grandcollège avec cent mille livres de renteoù ilprétendoit attirer les plus grands hommes du siècle. Làil y eut eu un logement pour l'Académiequi eût étéla directrice de ce collège. C'étoit à Narbonneun peu devant sa mortque La Mesnardière dit qu'il le fitvenir sept ou huit fois pour lui en parler; et il avoit cela si fortdans la tête quemalgré son mal et toutes les affairesqu'il avoit alors sur les épaulesil y pensoit fort souvent.Il avoitajoute La Mesnardièredéjà achetéquelque collège. Il laissa une assez belle bibliothèque;mais l'avarice de madame d'Aiguillon et le peu de soin qu'elle en aeu la laissa fort dépérir. Feu Tourvillegrandmaréchal-des-logisquand le Roi alla loger au palaisvoulutà toute force en avoir la clef. Après on y trouva poursept à huit mille livres de livres à dire. Ce fat de LaSerre y loge présentementet y fait je ne sais quel taudis.

Lecardinal faisoit écrire la nuit quand il se réveilloit.Pour cela on lui donna un pauvre petit garçon deNogent-le-Rotrounommé Chéret. Ce garçon plutau cardinalparce qu'il étoit secret et assidu. Il arrivaquelques années après qu'un certain homme ayant étémis à la BastilleLaffemasqui fut commis pour l'interrogertrouva dans ses papiers quatre lettres de Chéretdans l'unedesquelles il disoit à cet homme: « Je ne puis vousaller trouvercar nous vivons ici dans la plus étrangeservitude du mondeet nous avons affaire au plus grand tyran qui futjamais.? » Laffemas porte ces lettres au cardinalqui aussitôtfait appeler Chéret. « Chéretlui dit-ilqu'aviez-vous quand vous êtes venu à mon service ? --Rienmonseigneur.-- « Écrivez cela. Qu'avez-vousmaintenant ? -- Monseigneurrépondit le pauvre garçonbien étonnéil faut que j'y pense un peu. -- Yavez-vous pensé? dit le cardinal après quelque temps.-- Ouimonseigneurj'ai tant en celatant en telle choseetc. --Ecrivez. » Quand cela fut écrit: « Est-ce tout? --Ouimonseigneur. -- Vous oubliezajouta le cardinalune partie decinquante mille livres. -- Monseigneurje n'ai pas touchél'argent. -- Je vous le ferai toucher; c'est moi qui vous ait faitfaire cette affaire. » Somme touteil se trouva six vingtmille écus de bien. Alors il montra ses lettres. «Tenezn'est-ce pas là votre écriture? lisez. Allezvous êtes un coquin; que je ne vous voie jamais. » Madamed'Aiguillon et le grand-maître le firent reprendre au cardinal.Peut-être savoit-il des choses qu'ils craignoient qu'ildivulguât. Ce n'est pas que le cardinal ne fûtterriblement redouté. Pour moije trouve que l'Eminentissimecette fois-làfut assez clément. Ce Chéret estmaître des comptes. Il avoit placé un de ses frèreschez le grand-maîtrequije croisa fait aussi quelquechose.

Lecardinal donna à madame la duchesse d'Enguien une petitechambreoù il y avoit six poupéesune femme encouchesune nourrice quasi au naturelun enfantune gardeunesage-femme et la grand-maman. Mademoiselle de Rambouilletmademoiselle de Boutevilleet autres jouaient avec ellesdéshabilloient et couchoient tous les jours les poupées;on les rhabilloit le lendemainon les faisoit mangeron leurfaisoit prendre médecine. Un jour elles voulurent les fairebaigneret on eut bien de la peine à les en empêcher. «Ah! disoit la duchesseque Saint-Maigrin est un bon garçon!qu'il joue bien avec les poupées !

Il esttemps de parler de M. le Grand. Le cardinalqui ne s'étoitpas bien trouvé de La Fayetteet qui voyoit bien qu'ilfalloit quelque amusement au Roijeta les yeux sur Cinq- Marssecond fils du feu maréchal d'Effiat. Il avoit remarquéque le Roi avoit déjà un peu d'inclination pour cejeune seigneurqui étoit beau et bien faitet il crutqu'étant le fils d'un homme qui étoit sa créatureil seroit plus soumis à ses volontés qu'un autre.Cinq-Mars fut un an et demi à s'en défendre; il aimoitses plaisirset connoissoit assez bien le Roi; enfin son destin l'yentraîna. Le roi n'a jamais aimé personne si chaudement.Il l'appeloit cher ami. Au siège d'ArrasquandCinq-Mars y fut avec le maréchal de l'Hospital mener leconvoiil falloit que M. le Grand écrivît deux fois lejour au Roi; et le bon sire se mit à pleurer une fois qu'iltarda trop à lui faire savoir de ses nouvelles. Le cardinalvouloit qu'il lui dit jusqu'aux bagatelles. Lui ne vouloit dire quece qui importoit au cardinal; leur mésintelligence commençaà éclater quand M. le Grand prétendit entrer auconseil.

Lecardinal ne trouva pas bon non plus que Cinq-Mars eût vouluêtre grand-écuyer au lieu de premier écuyer de lapetite écurie. Le Roi disoit tout en sa présence; ilsavoit toutes les affaires. Le cardinal en représenta tous lesinconvénients au Roiet que c'étoit un trop jeunehomme. Cela outra le grand- écuyerqui fit maltraiter sonespionLa Chenayepremier valet de chambrepar le Roiqui lechassa honteusement. Le Roien maltraitant La Chenayedisoit auxassistants: « Il n'est pas gentilhommeau moins. » Ill'appela coquinet le menaça de coups de bâton.Cinq-Mars s'en lava comme il put auprès du cardinalen luidisant que cet hommele mettant mal avec le Roil'eût empêchéde rendre à Son Eminence ce qu'il lui devoit. La Meillerayeson beau-frèrelui proposa à Rueloù il fitson apologiede donner un écrit signé de sa mainparlequel il s'obligeroit de dire au cardinal tout ce que le Roi luidiroit. il répondit que se seroit signer sa condamnation.

C'estapparemment Fontrailles (1) qui irrita le plus Cinq-Mars contrel'Eminentissimecar il étoit engagé contre lecardinalet voici pourquoi.

[(1)Fontrailleshomme de qualité de Languedocbossu devant etderrièreet fort laid de visagemais qui n'a pas la mined'un sot. Il est fort petit et gros. (T.)]

FontraillesRuvigny et autres étoient à Ruel dans l'antichambre ducardinal: on vint dire que je ne sais quel ambassadeur venoit; lecardinal sort au- devant de lui dans l'antichambreet ayant trouvéFontraillesil lui ditle raillant un peu fortement: «Rangez-vousrangez-vousmonsieur de Fontraillesne vous montrezpointcet ambassadeur n'aime pas les monstres. » Fontraillesgrinça les dentset dit en lui-même: « Ah !schelmetu me viens de mettre le poignard dans le seinmais je tel'y mettrai à mon tourou je ne pourrai. » Aprèsle cardinal le fit entreret goguenarda avec lui pour raccommoder cequ'il avoit dit. Mais l'autre ne lui a jamais pardonné. Cetteparole-là a peut-être fait faire la grande conjurationqui pensa ruiner le cardinal.

Pour enrevenir à M. le Grandl'amiral de Brezé ne faisoit qued'arriver; c'étoit vers l'Avent 1641quand le cardinalquivouloit partir à la fin de janvier pour Perpignanlui ditqu'il falloit se préparer pour armer les vaisseaux àBrestet puis passer le détroit pour s'en aller planterdevant Barceloneafin d'empêcher le secours de Perpignan.Quelques jours aprèsBrezé entra dans la chambre duRoi. Pensez que l'huissier ne le laissoit pas gratter deux fois. LeRoi et M. le Grand parloient dans la ruelle. Brezé entendsans être vuque M. le Grand disoit le diable du cardinal. Ilse retire; il consulte en lui-même. Il n'avoit pas encorevingt-deux ans; il avoit peur de n'être pas cru. Il se résoutde suivre le Roi à la chasse le plus souvent qu'il pourroitet s'il trouvoit M. le Grand à l'écartde lui fairemettre l'épée à la main. Une fois il le trouvaassez à propos; mais voyant venir un chienil crut qu'il yauroit des gens après. Le lendemain le cardinal lui ordonna departir le jour suivant. Il fut deux jours cachéfaisanttravailler à son équipage. L'Eminentissime le sutl'envoya quériret le malmena. Enfinle jeune hommenesachant plus que faireva trouver M. de Noyerset lui dit ce qu'ilavoit eu dessein de faire. M. de Noyers lui dit: « Monsieur. nepartez point encore demain. » Le cardinalaverti de toutlemandele remercie de son zèleet le fait partir aprèslui avoir dit qu'il y mettroit ordre.

Dans levoyage les choses s'aigrirent. Le cardinal vouloit qu'on chassâtM. le Grand. Le Roi ne le vouloit pasà cause que le cardinalle vouloit; noncomme vous allez voirqu'il aimât encore M.le Grand. L'Eminentissimme se retire à Narbonnesous prétextede son malet laisse Fabertcapitaine aux gardesmais qui étoitbien dans l'esprit du Roiet à qui le Roi avoit mêmedit un jour qu'il se vouloit servir de lui pour se défaire ducardinal. On l'avoit choisi comme un homme de coeur et un homme desens. M. de Thou sonda un jour Fabert pour lui faire prendre le partide M. le Grand. Fabert lui fit sentir qu'il en savoit bien deschoseset le pria de ne lui rien dire qu'il fût obligéde découvrir. « Mais vous n'avezlui dit l'autreaucune récompense; vous avez acheté votre compagnie auxgardes. -- Et vousrépondit Fabertn'avez-vous point dehonte d'être comme le suivant d'un jeune homme qui ne fait quesortir de page ? Vous êtes dans un plus mauvais pas que vous nepensez. »

Orvoicicomment on découvrit que le Roi n'aimoit plus M. le Grand. Unjouren présence du Roion vint à parler defortifications et de sièges. M. le Grand disputa longtempscontre Fabertqui en savoit un peu plus que lui. Le feu Roi lui dit:« Monsieur le Grandvous avez tortvous qui n'avez jamaisrien vude vouloir l'emporter contre un homme d'expérience»et ensuite dit assez de choses à M. le Grand sur saprésomptionpuis s'assit. M. le Grand lui alla diresottement: « Votre Majesté se seroit bien passéede me dire tout ce qu'elle m'a dit. » Alors le Roi s'emportatout-à-fait. M. le Grand sortet en s'en allant il dit toutbas à Fabert: « Je vous remercieMonsieur Fabert»comme l'accusant de tout cela. Le Roi vouloit savoir ce que c'étoit.Fabert ne le lui voulut jamais dire. « Il vous menace peut-être? dit le Roi. -- Sireon ne fait point de menaces en votre présenceet ailleurs on ne le souffriroit pas. -- Il faut vous dire toutMonsieur Fabertil y a six mois que je le vomis (ce sont les proprestermes du Roi). Mais pour faire croire le contraireet qu'on pensâtqu'il m'entretenoit encore après que tout le monde étoitretirécontinua le Roiil demeuroit une heure et demie dansla garde-robe à lire l'Arioste. Les deux premiers valets degarde-robe étoient à sa dévotion. Il n'y a pointd'homme plus perdu de vicesni si peu complaisant. C'est le plusgrand ingrat du monde. Il m'a fait attendre quelquefois des heuresentières dans mon carrossetandis qu'il crapuloit. Un royaumene suffiroit pas à ses dépenses. Il aà l'heureque je vous parlejusqu'à trois cents paires de bottes. »La vérité est que M. le Grand étoit las de laridicule vie que le Roi menoitet peut-être encore plus de sescaresses. Fabert donna avis de tout cela au cardinal. M. de Chavignyqu'il envoya trouver Fabertne pouvoit croire ce qu'il entendoit.Cela donna courage au cardinalquivoyant qu'après cela M.le Grand faisoit toujours bonne mineconjectura qu'il y avoitquelque grande cabale qui le soutenoit; c'étoit ce traitéd'Espagne. Avant que de dire mes conjectures sur le moyen par lequelil l'eutje dirai quelle étoit la résolution ducardinal. Un peu devant sa retraite de Narbonnesous prétextede sa maladiele cardinal dictoit un manifeste dont les cahiers ontété brûlés. Il parloit de se retirer enProvenceà cause du comte d'Alais. Il espéroit que sesamis l'y viendroient joindre. Il partit effectivementaprèss'être fait dire par les médecins que l'air de la merlui étoit si contraire qu'il ne guériroit points'ilne s'en éloignoit pas davantage. Et au lieu d'aller par terrepour plus grande sûretéil se mit sur le lac pour allerà Tarascondisant que le branle de la litière luifaisoit mal. Comme il étoit près de passer le Rhôneon dit qu'un courrierqui ne l'avoit point trouvé àNarbonnearriva avec un paquet du maréchal de Brezévice-roi de Catalognequien quatre ligneslui mandoit qu'unebarque ayant échoué â la côteon y avoittrouvé le traité de M. le Grand ou plutôt letraité de M. d'Orléans avec l'Espagneet qu'il le luienvoyoit.

Voilàle bruit qu'on fit courirmais ce n'est pas la vérité.Le cardinal (à ce qu'a dit Charpentierson premiersecrétairequi peut avoir été trompécomme un autreet qui a conté l'aventure de la barque)fortsurpriscommanda que tout le monde se retirâtexceptéCharpentier. « Faites-moi apporter un bouillonje suis touttroublé. » Charpentier le va prendre à la portede la chambrequ'on ferme après au verrou. Alors le cardinallevant les mains au ciel dit: « O Dieu! il faut que tu aiesbien du soin de ce royaume et de ma personne! Lisez celadit-il àCharpentieret faites-en des copies. » Aussitôt ilenvoie un exprès à M. de Chavignyavec ordre de levenir trouver quelque part qu'il fût. Chavigny le vint trouverà Tarasconcar il jugea à propos de passer le Rhône.Chavignychargé d'une copie du traitéva trouver leRoi. Le cardinal l'avoit bien instruit. « Le Roi vous dira quec'est une faussetémais proposez-lui d'arrêter M. leGrandet qu'après il sera bien aisé de le délivrersi la chose est fausse; mais que si une fois l'ennemi entré enChampagneil ne sera pas si aisé d'y remédier. »Le Roi n'y manqua pas; il se mit en une colère horrible contreM. de Noyers et M. de Chavignyet dit que c'étoit uneméchanceté du cardinalqui vouloit perdre M. Le Grand.Ils eurent bien de la peine à le ramener; enfin pourtant ilfit arrêter M. le Grand et puis alla à Tarascons'éclaircir de tout avec le cardinal.

A LyonM.Le chancelier dit tant à M. le Grand que le Roi l'aimoit troppour le perdreque cela n'iroit qu'à quelque temps de prisonque Sa Majesté auroit égard à sa jeunessequele pauvre M. Le Grand en crut quelque chose et confessa tout. Aprèsde peur de la question qu'on lui présentaet qu'on lui eûtdonnée jusqu'à la mortil persista. Il crut toujoursque le Roi ne souffriroit jamais qu'on le fît mourirmais queseulement on l'éloigneroitet qu'étant si jeune ilauroit le loisir de laisser mourir le cardinalet qu'après ilreviendroit à la cour. D'abord il confessa tout en secret àM. Le chancelier seul. Quand le Roi passail dit cent puérilitésau chancelierentre autres qu'il n'avoit pu jamais accoutumer ceméchant garçon à dire son Pater tous lesjours (1). M. Le chancelier dit au cardinal: « Pour M. leGrandcela va assez bienmais pour l'autre je ne sais comment nousferons. »

[(1) Uneautre foisen faisant des confituresle Roi dit: « L'âmede Cinq-Mars étoit aussi noire que le cul de ce poêlon.»( T.)]

M. leGrandaprès divers interrogatoiresfut conduit au palais deLyon. On le fit venir devant les commissaires; car pas unnon pasmême M. de Thouqui devoit savoir celane déclinaetcela dans l'opinion qu'il avoitque le Roi ne demandoit d'autresatisfactionsinon qu'il avouât publiquement son crime. Il fitd'une manière tout-à-fait débarrasséeeten termes dignes d'un cavaliertoute l'histoire de sa faveur. Ce futlà qu'il avoua que M. de Thou savoit le traitémaisqu'il l'en avoit toujours détourné. On le confrontaaprès à M. de Thouqui ne fit que lever les épaulescomme en le plaignantmais ne lui reprocha point de l'avoir trahi.M. de Thou allégua la loi Consciisur laquelle a étéfaite l'ordonnance de Louis XIqui n'a jamais eu lieumais ilexpliqua mal cette loiprenant toujours conscii pourcomplices: il y a bien de la différence. M. deMiroménil eut le courage d'ouvrir l'avis de l'absolution pourlui. Le cardinals il eût vécu plus longtempsne luien eût pas voulu de bien. Un exemple qu'on allégua d'unhomme de qualiténommé....que le premier présidentde Thou fit mourir pour la même chosenuisit fort à sonpetit-fils.

M. leGrand croyoit si peu mourir quecomme on le voulut faire manger pourlui prononcer après sa sentenceil dit: « Je ne veuxpoint manger; on m'a ordonné des pilulesj'ai besoin de mepurgeril faut que je les aille prendre. » Il mangea peu.Après on leur prononça leur sentence. Une chose si dureet aussi peu attendue ne fit cependant témoigner aucunesurprise à M. le Grand. Il fut fermeet le combat qu'ilsouffroit en lui- même ne parut point au dehors. Quoiqu'on eûtrésolu de ne lui point donner la questioncomme portoit lasentenceon ne laissa pas de la lui présenter; cela letouchamais ne lui fit rien faire qui le démentîtetil défaisoit déjà son pourpointquand on luifit lever la main pour dire la vérité. Il persévéraet dit qu'il n'avoit plus rien à dire. Il mourut avec unegrandeur de courage étonnantene s'amusa point àharanguersalua seulement ceux qu'il reconnut aux fenêtressedépêchaet quand le bourreau lui voulut couper lescheveuxil lui ôta les ciseauxet les donna au frèredu Jésuite. Il vouloit qu'on ne lui en coupât qu'un peupar derrière; il retira le reste en devant. Il ne voulut pointqu'on le bandât. Il avoit les yeux ouverts quand on le frappaet tenoit le billot si ferme qu'on eut de la peine à enretirer ses bras. On lui coupa la tête du premier coup.

Lecardinalqui avait traîné M. de Thou après luisur le Rhôneeut bien de la peine à gagner la Loire. Onle portoit dans une machineet pour ne le pas incommoderon rompoitles murailles des maisons où il logeoitet si c'étoitpar hauton faisoit une rampe dès la couroù ilentroit par une fenêtre dont on avoit ôté lacroisée. Vingt-quatre hommes le portoient en se relayant. Unefois qu'il eut attrapé la Loireon n'avoit que la peine de leporter du bateau à son logis Madame d'Aiguillon le suivoitdans un bateau à part; bien d'autres gens en firent de même.C'étoit comme une petite flotte. Deux compagnies de cavaleriel'une deçàl'autre delà la rivièrel'escortoient. On eut soin de faire des routes pour réunir leseaux qui étoient basses; et pour le canal de Briarequi étoitpresque tarion y lâchat les écluses. M. d'Enghien eutce bel emploi. Il passa aux bains de Bourbon-Lancy; mais ce remèdene lui servit guère. On trouva dans Pline que deux consulsromains étoient morts de fièvres qu'ils prirentcommeluidans la Gaule narbonnaise. Le cardinal étoit sujet auxhémorroïdeset Juif l'avoit une fois charcuté àbon escient.

Le Roi nefut voir le cardinal qu'un peu avant qu'il mourûtetl'ayanttrouvé fort malen sortit fort gai. Le curé deSaint-Eustache vint pour l'assister. On assure qu'il lui dit qu'iln'avoit d'ennemis que ceux de l'Etatet que madame d'Aiguillon étantentrée tout échaufféeet lui ayant dit: «Monsieurvous ne mourrez pointune sainte filleune bravecarméliteen a eu une révélation. -- Allezallezlui dit-ilma nièceil faut se moquer de tout celail ne faut croire qu'à l'Évangile. »

On a ditqu'il étoit mort fort constant. Mais Bois-Robert dit que lesdeux dernières années de sa viele cardinal étoitdevenu tout scrupuleuxet ne vouloit pas souffrir le moindre mot àdouble entente. Il ajoute que le curé de Saint- Eustacheàqui il en avoit parléne lui avoit point dit que le cardinalfût mort si constamment qu'on l'avoit chanté. M. deChartres (Lescot) a dit plusieurs fois qu'il ne connaissoitpas le moindre péché à M. le cardinal. Par mafoi ! qui croira cela pourra bien croire autre chose.





LEPÈRE JOSEPH

LESRELIGIEUSES DE LOUDUN

Le PèreJosephcapucinse nommoit Leclerc en son nomet étoit frèrede M. du Tremblayqu'il fit gouverneur de la Bastille. Le cardinalfit connoissance avec lui en Poitoucomme il fut envoyé parses supérieurs. Jamais il n'eut homme plus intrigant ni d'unesprit plus de feu. Il a toujours eu de grands desseins en tête.Un temps il ne faisoit que prêcher la guerre sainte. M. deMantoueM. de Brèvesmadame de Rohan et lui prenoient fortsouvent tout l'Etat du Turc. Depuisil prit la maison d'Autrichepour butet il travailla fort avec M. de Charnacé àfaire entrer le roi de Suède en Allemagne. Il se vantoitd'être né pour abattre la maison d'Autriche.Effectivement ce n'étoit pas un sot; il soulageoit fort lecardinalet le cardinal ne faisoit pas un pas sans lui. Aucommencement il alloit à cheval. Le Père Ange Sabiniavoit un jour un cheval entieret lui une jument. Ce cheval grimpela jumentet les capuchons des deux moines faisoient la plusplaisante figure du monde (1).

[(1) LePère Joseph dit: « Voilà un impudent animal. »Depuis on appela ce cheval l'Impudent. (T.)]

Pouréviter ce scandaleon lui donna un carrosse. Depuisil eutlitière et toute chose; il alloit être cardinal s il nefût pas mort.

En unepetite ville de quelque province de Franceun homme de la cour allavoir un capucin. Les principaux le vinrent entretenir. Ils luidemandèrent des nouvelles du Roipuis du cardinal deRichelieu. « Et aprèsdit le gardienne nousapprendrez-vous rien de notre bon père Joseph ? -- Il se portefort bienil est exempt de toutes sortes d'austérités.--Le pauvre homme ! disoit le gardien. -- Il a du crédit; lesplus grands de la cour le visitent avec soin -- Le pauvre homme! --Il a une bonne litière quand on voyage. -- Le pauvre homme !-- un mulet pour son lit. -- Le pauvre homme! -- « Lorsqu'il ya quelque chose de bon à la table de M. le cardinalil lui enenvoie. -- Le pauvre homme! » -- Ainsià chaquearticlele bon gardien disoit: « Le pauvre homme! »comme si ce pauvre homme eût été bien àplaindre. C'est de ce conte-là que Molière a pris cequ'il a mis dans son Tartufeoù le maricoiffédu bigotrépète plusieurs fois le pauvre homme.

On a cruque la diablerie de Loudun ne fût point arrivée sansluicar Grandiercuréet les capucins de Loudun disputoientà qui auroit la direction des religieusesqui furent ou quifirent les possédées. Il y avoit de l'amour sur jeuetil y eut un capucin tué. Les capucinsse voyant appuyésdu Père Josephpoussèrent Grandieretcomme cesreligieuses étoient pauvresils leur persuadèrent quebientôt elles deviendroient toutes d'or. On les instruisit doncà faire les endiablées. Pour du latinelles n'ensavoient guèreet on disoit que les diables de Loudunn'avoient étudié que jusqu'en troisième. LeCouldray-Montpensier y avoit deux filles qu'il retira chez luilesfit bien traiter et bien fouetter; le diable s'en alla tout aussitôt.Il pouvoit y en avoir qui ne savoient pas le secretet quiparmélancolieou parce qu'on le leur disoitcroyoient êtrepossédées. On leur appritau moins à laplupartquelques mots de latin et bien des ordures. Madamed'Aiguillon y futet mademoiselle de Rambouilletdepuis madame deMontausier. Elles virent faire quelques tours de sauteursqu'ellesfirent faire après à leurs laquais. La ville et surtoutles hôteliers s'y enrichirent. On y couroit de toutes parts.Duncanmédecin huguenotet principal du collège deSaumury fut appelé. Il s'en moqua. C'est lui qui disoitqu'un médecin étoit animal incombustibile propterreligionem. Quillet y fut aussi appeléet des religieusesde Chinon ayant voulu imiter celles de Loudunil en fit une satireen vers latinspour laquelle Bautru lui conseilla de s'éloigneret le donna au maréchal d'Estréesavec lequel il futà Rome en son ambassade extraordinaire.

Leministre de Louduncomme on le défioit de mettre ses doigtsdans la bouche des religieusesde même que les prêtresmettoient ceux dont ils tiennent l'hostierépondit qu'iln'avoit nulle familiarité avec le diableet qu'il ne sevouloit point jouer à lui ». Un diable s'étoitvanté d'enlever le ministre dans sa chaire sur la tour deLoudun. Il n'en fit rien cependant.

Cettebadinerieou plutôt ce désir de vengeance des capucinsfut cause que Grandier fut brûlé tout vif; carLaubardemontqui étoit bon courtisanle sacrifia au créditdu Père Joseph. Ce Grandier avoit été galantets'étoit fait quelques ennemis dans la ville qui lui nuisirent.Le diable dit une fois: « M. Laubardemont est cocu. » EtLaubardemontà son ordinairemit le soir: Ce quej'atteste être vraiet signa. Enfin insensiblement cela sedissipa à mesure que le monde se désabusoit.





LOUISXIII

Louis XIIIfut marié encore enfant...

Le Roicommença par son cocher Saint-Amour à témoignerde l'affection à quelqu'un. Ensuite il eut de la bonne volontépour Haranvalet de chiens. Il voulut envoyer quelqu'un qui lui pûtbien rapporter comment la princesse d'Espagne étoit faite. Ilse servit pour cela du père de son cochercomme si c'eûtété pour aller voir des chevaux.

Le feu Roine manquoit pas d'esprit; maiscomme j'ai remarqué ailleursson esprit tournoit du côte de la médisance; il avoit dela difficulté à parleretétant timidecelafaisoit qu'il agissoit encore moins par lui-même. Il étoitbien faitdansoit assez bien en balletmais il ne faisoit jamaisque des personnages ridicules. Il étoit bien à chevaleût enduré la fatigue en un besoinet mettoit bien unearmée en bataille.

Il étoitun peu cruelcomme sont la plupart des sournois et des gens quin'ont guère de coeurcar le bon sire n'étoit pasvaillantquoiqu'il voulût passer pour tel. Au siège deMontaubanil vit sans pitié plusieurs huguenotsde ceux queBeaufort avoit voulu jeter dans la villela plupart avec de grandesblessuresdans les fossés du château où il étoitlogé. Ces fossés étoient secs; on les mit làcomme en lieu sûret il ne daigna jamais leur faire donner del'eau. Les mouches mangeoient ces pauvres gens. Il s'est divertilongtemps à contrefaire les grimaces des mourants. Le comte deLa Rocheguyonétant à l'extrémitéleRoi lui envoya un gentilhomme pour savoir comment il se portoit: «Dites au Roidit le comtequedans peuil en aura ledivertissement. Vous n'avez guère à attendrejecommencerai bientôt mes grimaces. Je lui ai aidé biendes fois à contrefaire les autresj'aurai mon tour àcette heure. »

Quand M.le Grand (Cinq-Mars) fut condamnéil dit: « Je voudroisbien voir la grimace qu'il fait à cette heure sur cetéchafaud. »

Au voyagede Lyonen une petite ville nommée Tournusentre Châlonset Mâconun gardien des Cordeliers voulut faire accroire àla Reine-mère que le Roi en passant y avoit fait parler unemuette en la touchant comme si elle eût eu les écrouelles.On lui montra la fille. Ce bon Père disoit l'avoir vuetaprès lui toute la ville le disoit aussi. La Reine arrivéeà Lyonle Père Souffran fit faire une procession etchanter. La Reine prend ce bon religieuxetayant joint le Roielle lui dit qu'il devoit bien louer Dieu de la grâce qu'il luiavoit faite d'opérer par lui un si grand miracle. Le Roi ditqu'il ne savoit ce qu'on vouloit direet le Cordelier disoit: «Voyez la modestie de ce bon prince! » Enfin le Roi déclaraque c'étoit une fourberie et vouloit envoyer des gens deguerre pour punir ces imposteurs.

Dèslors il aimoit déjà madame d'Hautefortqui n'étoitencore que fille de la Reine. Les autres lui disoient: « Macompagnetu ne tiens rien; le Roi est saint. »

Ses amoursétoient d'étranges amours. Il n'avoit rien d'unamoureux que la jalousie. Il entretenoit madame d'Hautefort dechevauxde chiensd'oiseaux et d'autres choses. Il la fit damed'atours en survivance; elle eut quelques dons. Mais il étoitjaloux d'Ecquevilly-Vassé; et il fallut qu'on lui fîtaccroire qu'il étoit parent de la belle. Le Roi le voulutsavoir de d'Hozier. D'Hozier avoit le motet dit tout ce qu'onvoulut. Ce M. d'Ecquevilly étoit un fort galant homme; il fitlong-temps l'amour à la Reine avec des révérenceset c'est assez dire à une Reine. Le cardinal l'éloignaparce que c'étoit un garçon qui ne craignoit rien: ilavoit morgué le grand- maîtreen cajolant madamede Chalais sous sa moustache. C'étoit un homme froid. Il avoitune galèreet après avoir fait des merveilles aucombat qui se donna auprès de Gênesà lanaissance de M. le dauphinoù il fit des protestations contrele Pont-de-Courlay qui ne vouloit pas donneril reçut un coupde mousquet dans le visage qui le défiguroit tout. Il nevoulut plus vivreet ne souffrît pas qu'on le pansât.

Madame deLa Flotteveuve d'un des MM. du Bellaychargée d'affaires etd'enfantss'offritquoique ce fût un emploi au-dessousd'elled'être gouvernante des filles de la Reine-mèreet elle l'obtint par importunité. Elle donna la fille de safilledès l'âge de douze ansà la Reine-mère:c'est madame d'Hautefort. Elle étoit belle. Le Roi en devintamoureux et la Reine jalousece dont le Roi ne se soucioit pasautrement. Cette fillesongeant à se marierou voulantdonner quelque inquiétude au Roisouffrit quelquescajoleries. Huit jours il étoit bien avec elle; huit autresjours il la haïssoit quasi. Quand la Reine-mère futarrêtée à Compiègneon fit madame de LaFlotte dame d'atours en la place de madame du Fargiset sapetite-fille est reçue en survivance.

En je nesais quel voyagele Roi alla à un bal dans une petite ville;une fillenommée Catin Gauà la fin du balmonta surun siège pour prendrenon un bout de bougiemais un bout dechandelle de suif dans un chandelier de bois. Le Roi dit qu'elle fitcela de si bonne grâce qu'il en devint amoureux. En partantillui fit donner dix mille écus pour sa vertu.

Le Rois'éprit après de La Fayette. La Reine et Hautefort seliguèrent contre elleet depuis cela furent bien ensemble. Leroi retourna à Hautefort. Le cardinal la fit chasser; cela nela désunit point d'avec la Reine. Un jourmadame d'Hauteforttenoit un billet. Il le voulut voir; elle ne le voulut pas. Enfinilfit effort pour l'avoir; ellequi le connossoit biense le mit dansle seinet lui dit: « Si vous le voulezvous le prendrez donclà ?» Savez-vous bien ce qu'il fitil prit lespincettes de la cheminéede peur de toucher à la gorgede cette belle fille.

Le feu Roicommençoit à cajoler une fille en lui disant: «Point de mauvaises pensées. » Pour une femme mariéeil n'avoit garde. Une fois il avoit fait un air qui lui plaisoitfortil envoya quérir Bois-Robert pour lui faire faire desparoles. Bois-Robert en fit sur l'amour que le Roi avoit pourHautefort. Le Roi lui dit: « Ils vont bienmais il faudroitôter le mot de désirscar je ne désirerien. »

La Reineà ce que dit le Journal du cardinals'étoitblessée pour avoir mis un emplâtreavant que d'êtregrosse de Louis XIV. Le Roi couchoit fort rarement avec elle. Onappeloit cela mettre le chevetcar la Reine n'en mettoit point pourl'ordinaire. Il ditquand on vint lui annoncer que la Reine étoitgrosse: « Il faut donc que ce soit d'un tel temps. » Pourune pauvre foisil prenoit quelque rafraîchissement et on lesaignoit souvent. Cela ne servoit pas à sa santé.J'oubliois que son premier médecin Hérouard a faitplusieurs volumes de tout ce que le roi a faitqui commencent depuisl'heure de sa naissance jusqu'au siège de La Rochelleoùvous ne voyez rien sinon à quelle heure il se réveilladéjeunacrachapissachiaetc. (1).

[(1)Maraisson bouffondisoit au Roi: « Il y a deux choses àvotre métier dont je ne me pourrois accommoder. -- Hé!quoi? -- De manger tout seul et de ch... en compagnie. (T.)]

Le soinqu'on avoit eu d'amuser le Roi à la chasse servit fort àle rendre sauvage. Mais cela ne l'occupa pas si fort qu'il n'eûttout le loisir de s'ennuyer. Il prenoit quelquefois quelqu'unet luidisoit: « Mettons-nous à cette fenêtrepuisennuyons-nous; » et il se mettoit à rêver. On nesauroit quasi compter tous les beaux métiers qu'il appritoutre tous ceux qui concernent la chasse; car il savoit faire descanons de cuirdes lacetsdes filetsdes arquebusesde lamonnoieet M. d'Angoulême lui disoit plaisamment: «Sirevous portez votre abolition avec vous. » Il étoitbon confiturierbon jardinier; il fit venir des pois vertsqu'ilenvoya vendre au marché. On dit que Montauron les acheta bienchercar c'étoient les premiers venus. Montauron achetaaussipour faire sa courtout le vin de Ruel du cardinal deRichelieuqui étoit ravi de dire: « J'ai vendu mon vincent livres le muid. »

Le Roi semit à apprendre à larder. On voyoit venir l'écuyerGeorges avec de belles lardoires et de grandes longes de veau. Et unefoisje ne sais qui vint dire que Sa Majesté lardoit.Voyez comme cela s'accorde bienMajesté et larder!

J'ai peurd'oublier quelqu'un de ses métiers. Il rasoit bien; et un jouril coupa la barbe à tous ses officierset ne leur laissaqu'un petit toupet au menton.

Ilcomposoit en musiqueet ne s'y connoissoit pas mal. Il mit un air àce rondeau sur la mort du cardinal .

Il apasséil a plié bagageetc.

Mironmaître des comptesl'avoit fait.

Ilpeignoit un peu. Enfincomme dit son épitaphe:

Il eutcent vertus de valet

Et pas une vertu de maître.


Sondernier métier fut de faire des châssis avec M. deNoyers. On lui a trouvé pourtant une vertu de roisi ladissimulation en est une. La veille qu'on arrêta MM. deVendômeil leur fit mille caresses; et le lendemaincomme ildisoit à M. de Liancourt: « Eussiez- vous jamais crucela? - - NonSiredit M. de Liancourtcar vous avez trop bienjoué votre personnage. Il témoigna que cette réponsene lui avoit pas été trop agréable; cependantil sembloit qu'il vouloit qu'on le louât d'avoir si biendissimulé.

Il fit unefois une chose que son frère n'eût pas faite.Plessis-Besançon lui alloit rendre de certains comptes; etcomme c'est un homme assez appliqué à ce qu'il faitilétale ses registres sur la table du cabinet du Roiaprèsavoir missans y penserson chapeau sur sa tête. Le Roi nelui dit rien. Quand il eut faitil cherche son chapeau partout leRoi lui dit: « Il y a longtemps qu'il est sur votre tête.»

On l'areconnu avare en toutes choses. Mézerai lui présenta unvolume de son Histoire de France. Le Roi trouva le visage del'abbé Suger à sa fantaisie; il en fit le crayon sansrien direbien loin de rien donner à l'auteur. Il raya aprèsla mort du cardinal toutes les pensions des gens de lettresendisant: « Nous n'avons plus affaire de cela. »

Depuis lamort du cardinalM. de Schomberg lui dit que Corneille vouloit luidédier la tragédie de Polyeucte. Cela lui fitpeurparce que Montauron avoit donné deux cents pistoles àCorneille pour Cinna. Il n'est pas nécessairedit-il-- Ah! Sire. reprit M. de Schombergce n'est point par intérêt.« Bien doncdit-ilil me fera plaisir. » Ce fut àla Reine qu'on la dédiacar le Roi mourut entre deux.

Une foisà Saint-Germainil voulut voir l'état de sa maisonpour la bouche. Il retrancha un potage au lait à la généraleCoquetqui en mangeoit un tous les matins. Il est vrai qu'elle étoitassez truie sans cela.

Il trouvasur le compte des biscuits que l'on avoit donnés à M.de La Vrillière. Dans ce même momentM. de La Vrillièreentra. Il lui dit brusquement: « A ce que je voisLaVrillièrevous aimez fort les biscuits. » En revancheil parut bien libéral quanden lisant: Un pot de geléepour un telqui étoit maladeil dit: « Je voudroisqu'il m'en eût coûté sixet qu'il ne fûtpas mort. » Il retrancha trois paires de mules de sagarde-robe; et M. le marquis de Rambouilletqui en étoitgrand-maîtrelui ayant demandé ce qu'il vouloit qu'onfît de vingt pistoles qui étoient restées de cequ'on avoit donné pour acheter des chevaux pour le chariot dulitil lui dit: « Donnez-les à un telmousquetaireàqui je les dois. Il faut commencer par payer ses dettes. » Ilrabattit aux fauconniers du cabinet les bouts carrés qu'ilsachetoient pour peu de chose des écuyers de cuisine et lesleur fit donner pour leurs oiseaux sans récompenser lesécuyers de cuisine.

Il n'étoitpas humain. En Picardieil vit des avoines toutes fauchéesquoiqu'elles fussent encore toutes verteset plusieurs paysansassemblés autour de ce dégâtmais qui au lieu dese plaindre de ses chevau-légers qui venoient de faire ce belexploitse prosternoient devant lui et le bénissoient: «Je suis bien fâchéleur dit-ildu dommage qu'on vous afait là. -- Cela n'est rienSirelui dirent-ilstout est àvous; pourvu que vous vous portiez bienc'est assez. » -- «Voilà un bon peuple» dit-il à ceux quil'accompagnoient. Mais il ne leur fit rien donnerni ne songea àles faire soulager des tailles.

Je pensequ'une des plus grandes humanités qu'il ait eues en sa viecefut en Lorraine. Le paysan chez qui il dînoitdans un villageoù ils étoient bien à leur aise avant cettedernière guerrefut tellement charmé d'un potage deperdrix aux choux qu'il le suivit jusque sur la table du Roi. Le Roidit: « Voilà un beau potage. -- C'est bien l'avis devotre hôteSiredit le maître-d'hôtelil n'a pasôté les yeux de dessus. -- Vraimentdit le Roije veuxqu'il le mange. » Il le fit recouvriret ordonna qu'on le luiservît.

Lecardinal ayant chassé Hautefortet La Fayette s'étantfaite religieusele Roi dit qu'il vouloit aller au bois deVincenneseten passantfut cinq heures aux Filles de Sainte-Marieoù étoit La Fayette. En sortantNogent lui dit:« Sirevous venez de voir la pauvre prisonnière? -- Jesuis plus prisonnier qu'elle» répondit le Roi.

AucommencementM. de Cinq-Mars faisoit faire débauche au Roi.On dansoiton buvoit des santés. Mais comme c'étoit unjeune homme fougueux et qui aimoit ses plaisirsil s'ennuya bientôtd'une vie qu'il n'avoit prise qu'à contre-coeur. D'ailleurs LaChesnayepremier valet de chambrequi étoit son espionlemit mal avec le cardinalcar il lui disoit cent bagatelles du Roique l'autre ne lui disoit pointet que le cardinal vouloit qu'on luidît. Cinq-Marsdevenu grand-écuyer et comte deDampmartinfit chasser La Chesnayemais aussi la guerre futdéclarée par ce moyen entre le cardinal et lui.

Nous avonsdit comme le Roi l'aimoit éperdument. Fontrailles racontoitqu'étant entré une fois à Saint-Germain fortbrusquement dans la chambre de M. le Grandil le surprit comme il sefaisoit frotter depuis les pieds jusqu'à la tête d'huilede jasminetse mettant au litil lui dit d'une voix peu assurée:« Cela est plus propre. » Un moment après onheurtec'est le Roi. Il y a apparencecomme dit le fils de feuL'Huillierà qui on contoit celaqu'il s'huiloit pour lecombat. On m'a dit aussi qu'en je ne sais quel voyage le Roi se mitau lit dès sept heures. Il étoit fort négligé;à peine avoit-il une coiffe à son bonnet. Deux grandschiens sautent aussitôt sur le litle gâtent toutet semettent à baiser Sa Majesté. Il envoya déshabillerM. Le Grandqui revint paré comme une épousée:« Couche-toicouche-toi» lui dit-il d'impatience. Ilse contenta de chasser les chiens sans faire refaire le litet cemignon n'était pas encore dedans qu'il lui baisoit déjàles mains. Dans cette grande ardeurcomme il ne trouvoit pas que M.le Grand y correspondît tropcar il avoit le coeur ailleursil lui disoit: « Maismon cher amiqu'as-tu? que veux-tu? tues tout triste. De Niertdemande- lui ce qui le fâche; dis-moias-tu jamais vu une telle faveur? » Il le faisoit épierpour savoir s'il alloit en cachette quelque part.

Il avoittoujours craint le diablecar il n'aimoit point Dieumais il avoitgrand'peur de l'enfer. Il lui prit une visionil y a vingt ansdemettre son royaume sous la protection de la Viergeet dans ladéclaration qu'il en fit il y avoit: « Afin que tous nosbons sujets aillent en paradiscar tel est notre plaisir. »C'est ainsi que finissoit cette belle pièce. Dans sa dernièremaladieil étoit étrangement superstitieux. Un jourqu'on lui parloit de je ne sais quel béat qui avoit un dontout particulier pour découvrir les corps saintset quienmarchantdisoit: « Fouillez-làil y a un corps saint» sans y manquer une seule foisNogent dità samanière de mauvais bouffoncomme dit le Journal ducardinal: « Si je le tenoisje le mènerois avec moi enBourgogneil me trouveroit bien des truffes » Le Roi se mit encolèreet lui cria: « Maraudsortez d'ici. » Ilmourut assez constammentet disoit en regardant le clocher de Saint-Denisqu'on voit du château- neuf de Saint-Germainoùil étoit malade: « Voilà où je seraibientôt. » Il dit à M. le Prince: « Moncousinj'ai songé que mon cousinvotre filsétoitaux mains avec les ennemiset qu'il avoit l'avantage. » C'estla bataille de Rocroy.





M.DE BAUTRU

M. deBautru est d'une bonne famille d'Angers. Il a étéconseiller au grand conseil. En ce temps-làil épousala fille d'un maître des comptesnommé Le Bigotsieurde Gastines. Cette femme ne se mettoit point dans le monde; elle nesortoit guère. « Oh! la bonne ménagère ! »disoit-on. On la donnoit pour exemple aux autres. Enfin il se trouvaqu'elle ne sortoit pointparce qu'elle avoit son galant chez elleC'étoit le valet de chambre de son mari. Bautru fit mourir cegalantà force de lui faire dégoutter de la cired'Espagne sur la partie peccante (1); d'où vient que Saint-Germaincroyant que c'étoit Bautru qui avoit fait les verssur la retraite de Monsieuravoit mis dans la réponse:

Quand ilcacheta près du c...

Son valet qui le fit cocu.


[(1)Ménage dit que le valet n'en mourut pas. Bautru fit condamnerson valet à être pendu; mais sur l'appel le valet en futquitte pour les galèresparce qu'il exposa que M. de Bautrus'étoit fait justice lui-même. Madame de Bautru se fittoujours appeler madame de Nogent nonobstant son mariagedisantqu'elle ne vouloit pas être appelée madame Bautroula reine Marie de Médicisqui prononçoit le françoisà la manière des Italiens. (Voyez le Menagianaédition de 1715I267.) (M.)]

Il chassasa femmeet ne voulut point reconnoître le fils dont elleaccoucha. Il l'a reconnu depuismais long-temps après. Cettefemme jusque-là vécut de carottes àMontreuil-Belayen Anjoupour épargner quelque chose àson enfant. Jusqu'à cette heure elle demeure chez luienAnjouoù il va quelquefoismais elle ne vient point àParis. Il a le malheur d'avoir un sot fils. A propos de celaM. deGuisecomme ils dînoient ensemblelui ayant dit: «Qu'y-a-t-il entre un cocu et un autre? -- Une table»répondit-il; car ils n'étoient pas de même côté.

Il dit àla Reine-mère que l'évêque d'Angers étoitsaintet qu'il guérissoit de la v... L'évêque lesut et s'en plaignit: « Eh ! comment l'aurois-je dit? ditBautruil en est encore malade. »

Jouant aupiquetà Angerscontre un nommé Goussautqui étoitsi sot que pour dire sot on disoit GoussautBautruvint à faire une fauteeten s'écriantdit: «Que je suis Goussaut! -- Vous êtes un sotlui dit l'autre. --Vous avez raisonrépondit-il; c est ce que je voulois dire. »

Il disoità mademoiselle d'Attichyfille d'honneur de la Reine-mère:« Vous n'êtes pas trop mal fineavec votre sévérité.Vous avez si bien fait que vous pourrezquand vous voudrezvousdivertir deux ans sans qu'on vous soupçonne. »

A laprovinceje ne sais quel juge de bicoque l'importunoit trop souvent.Un jour que cet homme vint le demanderil dit à son valet: «Dis-lui que je suis au lit. -- Monsieuril dit qu'il attendra quevous soyez levé. -- Dis-lui que je me trouve mal -- Il ditqu'il vous enseignera quelque recette. -- Dis-lui que je suis àl'extrémité. -- Il dit qu'il vous veut donc dire adieu.-- Dis-lui que je suis mort. -- Il dit qu'il veut donner de l'eaubénite. » Enfin il le fallut faire entrer.

Comme ilpassoit un enterrement où on portoit un crucifixil ôtason chapeau: « Ah ! lui dit-onvoilà qui est de bonexemple. -- Nous nous saluonsrépondit-ilmais nous ne nousparlons pas. »

Il montraun crucifix à Lopez à la messeet lui dit: «Voilà de vos oeuvres. -- Hé ! répondit Lopezc'est bon à ces messieurs à s'en plaindre; mais pourvousde quoi vous avisez-vous ? »

Il disoitd'un certain Minime qu'on vouloit faire passer pour béatquele seul miracle qu'il avoit faitc'étoit que ne mangeant quedu poissonil sentoit l'épaule de mouton en diable.

Il disoitque Rome étoit une chimère apostolique; et à unepromotion de cardinaux que fit le pape Urbainoù il n'y avoitguère de gens de qualité (je pense qu'ils étoientdix en tout)Bautruen lisant leurs nomsdisoit: « N'envoilà que neuf. -- Eh! vous oubliez Fachinettiditquel qu'un --Excusezrépondit-ilje pensois que ce fûtle titre. »

Une foisqu'il y avoit ici des députés du Mirebalais quivouloient parler au cardinal de RichelieuBautruqui cherchoit àle divertirdemanda à celui qui portoit la parole: «Monsieursans vous interromprecombien valoient les ânes envotre pays quand vous partîtes? » Ce députélui répondit: « Ceux de votre taille et de votre poilvaloient dix écus. » Bautru demeura déferrédes quatre pieds. Il rencontra mieux sur ses chevaux. Il vouloitrenvoyer quelqu'un en carrossequipar cérémonieluidisoit que ses chevaux auroient trop de peine. « Si Dieurépondit-ileût fait mes chevaux pour se reposerilles auroit faits chanoines de la Sainte-Chapelle. »

Il disoitdu feu roi d'AngleterreCharles 1er: « C'est un veau qu'onmène de marché en marché; enfin on le mèneraà la boucherie. »





MADEMOISELLEDE GOURNAY

Mademoisellede Gournay étoit une vieille fille de Picardie et biendemoiselle. Je ne sais où elle avoit étéchercher Montaignemais elle se vantoit d'être sa filled'alliance. Elle savoit et elle faisoit des versmais méchants.Malherbe s'étant moqué de quelques- uns de sesouvragesellepour se vengeralla regratter la traduction qu'ilavoit faite d'un livre de Tite-Live qu'on trouva en ce temps-làoù il avoit traduit: Fecere ver sacrum par ilsfirent l'exécution du printemps sacré. Elle avoitfait un livre intitulé: L'Ombre ou les Présents dela demoiselle de Gournay. Dans ce livre il y avoit un chapitredes diminutifscomme chauderonchauderonnetchauderonneletBois-Robert lui demanda un jour la raison du titre de ce livre.Elle ne la lui sut dire. « Il faut chercherrépondit-elledans mon cabinet d'Allemagne. » Mais après avoir bienfouillé dans tous les tiroirselle ne la trouva point.

M. lecomte de Moretle chevalier de Bueil et Yvrande lui ont faitautrefois bien des malices. Une foispour se moquer de quelques versoù elle avoit mis Tit pour Titusils lui envoyèrentceux-ci:

Tit.filsde Vesp.roi du rond héritage

Des peuples inchrétiensqui cassèrent Carthage....


On dit quec'est Demarest qui les fit.

Ils enfirent encore pour elle. Il y avoit en un endroit le mot de foutaisoncomme cervaison (1). «Jamyndit-elleen ronflant selonsa coutumemerdieu ! ce mot-là n'est pas en usageje lepasserois pourtant; il est vrai qu'il est un peu vilain. »

[(1)Saison où le cerf est bon à chasser.]

Ces pesteslui supposèrent une lettre du roi Jacques d'Angleterreparlaquelle il lui demandoit sa Vie et son portrait. Elle fut sixsemaines à faire sa Vie. Aprèselle fit barbouilleret envoya tout cela en Angleterreoù l'on ne savoit ce quecela vouloit dire. On lui a voulu faire accroire qu'elle disoit quefornification n'étoit point un péchéet un jourqu'on lui demanda si la pédérastie n'étoit pasun crime: « A Dieu ne plaise ! répondit-elleque jecondamne ce que Socrate a pratiqué. » A son senslapédérastie est louable. Mais cela est assez gaillardpour une pucelle.

Saint-Amantl'a furieusement maltraitée; car c'est d'elle et de Mailletqu'il veut parler dans le Poète crotté.

Bois-Robertla mena au cardinal de Richelieuqui lui fit un compliment tout devieux mots qu'il avoit pris dans son Ombre. Elle vit bien quele cardinal vouloit rire: « Vous riez de la pauvre vieilledit-elle. Mais riezgrand génieriez; il faut que tout lemonde contribue à votre divertissement. » Le cardinalsurpris de la présence d'esprit de cette vieille fillelui endemanda pardonet dit à Bois-Robert: « Il faut fairequelque chose pour mademoiselle de Gournay. Je lui donne deux centsécus de pension. -- Mais elle a des domestiquesditBois-Robert. -- Et quels? reprit le cardinal. Mademoiselle Jamynrépliqua Bois-Robertbâtarde d'Amadis Jamynpage deRonsard. -- Je lui donne cinquante livres par andit le cardinal. --Il y a encore ma mie Piaillonajouta Bois- Robert: c'est sa chatte.-- Je lui donne vingt livres de pensionréponditl'Éminentissimeà condition qu'elle auroit destrippes. -- Maismonseigneurelle a chatonné» ditBois- Robert.

Lecardinal ajouta encore une pistole pour les chatons. Elle aimoitBois-Robert et l'appeloit toujours bon abbéelle lecraignoit aussi à cause des contes qu'il faisoit. Il disoitqu'elle avoit un râtelier de dents de loup marin. Elle l'ôtoiten mangeantmais elle le remettoit pour parler plus facilementetcela assez adroitementà tablequand les autres parloientelle ôtoit son râtelier et se dépêchoit dedoubler les morceauxetaprèselle remettoit son ratelierpour dire sa râtelée.

C'étoitune personne bien née; elle avoit vu le beau monde. Elle avoitquelque générosité et quelque force d'âme.Pour peu qu'on l'eût obligéeelle ne l'oublioit jamais.En mourantelle laissa par testament son Ronsard à l'Étoilecomme si elle l'eût jugé seul digne de le lireet àGombauld une carte de la vieille Grèce de Sophianqui vautbien cinq sous.





RACAN

Racan estde la maison de Bueil. Son père étoit chevalier del'ordre et maréchal de camp. Il portoit le nom de Racanàcause que son père acheta un moulin qui est un fiefle proprejour que ce fils lui naquitet il voulut que ce petit garçonen portât le nom. Racan commandoit les gendarmes de M. lemaréchal d'Effiat. Cela le faisoit subsistercar son pèrene lui laissa que du bien fort embrouillé; puis il avoittoujours quelque chose de madame de Bellegardedont à la finil hérita de vingt mille livres de rente en fonds de terredequarante qu'elle avoit. Elle étoit de la maison de Bueil.Racan étoit marié quand cette succession lui vint. Il aété quelquefois bien à l'étroit.Bois-Robert le trouva une fois à l'ours: la cour y étoitalors; il étoit après à faire une chanson pourje ne sais quel petit commis qui lui avoit promis de lui prêterdeux cents livres. Bois-Robert les lui prêta. Il a logélongtemps dans un cabaret borgned'où M. Conrart le voulantfaire déloger: « Je suis bienje suis bienlui dit-il:je dîne pour tant; et le soir on me trempe pour rien un potage.»

Jamais laforce du génie ne parut si clairement en un auteur qu'encelui-ci carhors ses versil semble qu'il n'ait pas le senscommun. Il a la mine d'un fermier; il bégaieil n'a jamais puprononcer son nomcarpar malheurl'r et le c sont les deuxlettres qu'il prononce le plus mal. Plusieurs fois il a étécontraint d'écrire son nom pour le faire entendre. Bon hommedu reste et sans finesse.

Etant faitcomme je le viens de direle chevalier de Bueil et Yvrandesachantqu'il devoit aller sur les trois heures remercier mademoiselle deGournayqui lui avoit donné son livres'avisèrent delui faire une maliceet à la pauvre pucelle aussi. Lechevalier s'y en va à une heure. Il heurte; Jamyn va dire àmademoiselle qu'un gentilhomme la demandoit. Elle faisoit des verseten se levantelle dit: « Cette pensée étoitbellemais elle pourra reveniret ce cavalier peut-être nereviendroit pas. » Il dit qu'il étoit Racan; ellequine le connoissoit que de réputationle crut. Elle lui fitmille civilités à sa modeet le remercia surtou de cequ'étant jeune et bien fait il ne dédaignoit pas devenir visiter la pauvre vieille. Le chevalierqui avoit de l'espritlui fit bien des contes. Elle étoit ravie de le voir d'aussibel humeuret disoit à Jamynvoyant que sa chatte miauloit:« Jamynfaites taire ma mie Piaillonpour écouter M.de Racan. » Dès que celui-là fut partiYvrandearrivequitrouvant la porte entr'ouvertedit en se glissant: «J'entre bien librementmademoiselle; mais l'illustre mademoiselle deGournay ne doit pas être traitée comme le commun. -- Cecompliment me plaîts'écria la pucelle. Jamynmestablettesque je le marque. -- Je viens vous remerciermademoisellede l'honneur que vous m'avez fait de me donner votrelivre. -- Moimonsieurreprit-elleje ne vous l'ai pas donnémais je devrois l'avoir fait. Jamynune Ombre pour cegentilhomme. -- J'en ai unemademoiselleet pour vous montrer celail y a telle ou telle chose en tel chapitre. » Aprèsillui dit qu'en revanche il lui apportoit des vers de sa façon;elle les prend et les lit. « Voilà qui est gentilJamyndisoit-elle; Jamyn en peut êtremonsieurelle estfille naturelle d'Amadis Jamynpage de Ronsard. Cela est gentil; icivous malherbisezici vous colombiser; cela est gentil.-- Mais ne saurai-je point votre nom? -- Mademoiselleje m'appelleRacan. -- Monsieurvous vous moquez de moi. -- Moimademoisellememoquer de cette héroïnede la fille d'alliance du grandMontaigneet de cette illustre fille de qui Lipse a dit: Videamusquid sit paritura ista virgo! -- Bienbiendit-ellecelui quivient de sortir a donc voulu se moquer de moiou peut-êtrevous-mêmevous en voulez-vous moquer; mais n'importelajeunesse peut rire de la vieillesse. Je suis toujours bien aised'avoir vu deux gentilshommes si bien faits et si spirituels. Etlà-dessus ils se séparèrent. Un moment aprèsvoilà le vrai Racan qui entre tout essoufflé. Il étoitun peu asthmatiqueet la demoiselle étoit logée autroisième étage « Mademoisellelui dit-il sanscérémonieexcusez si je prends un siège. »Il fit tout cela de fort mauvaise grâce et en bégayant.« Oh! la ridicule figureJamyndit mademoiselle de Gournay.-- Mademoiselledans un quart d'heureje vous dirai pourquoi jesuis venu iciquand j'aurai repris mon haleine. Où diablevous êtes-vous venue loger si haut? Ah! disoit-il en soufflantqu'il y a haut ! Mademoiselleje vous rends grâce de votreprésentde votre Omble que vous m'avez donnéeje vous en suis bien obligé. » La pucelle cependantregardoit cet homme avec un air dédaigneux. « Jamyndit-elledésabusez ce pauvre gentilhomme; je n'en ai donnéqu'à tel et qu'à tel; qu'à M. de Malherbequ'àM. de Racan -- Eh ! mademoisellec'est moi. -VoyezJamynle jolipersonnage ! au moins les deux autres étoient-ils plaisants.Mais celui-ci est un méchant bouffon. - Mademoiselleje suisle vrai Racan. -- Je ne sais pas qui vous êtesrépondit-ellemais vous êtes le plus sot des trois. Merdieu ! je n'entendspas qu'on me raille. » La voilà en fureur. Racannesachant que faireaperçoit un recueil de vers. «Mademoisellelui dit-ilprenez ce livreet je vous dirai tous mesvers par coeur. »Cela ne l'apaise point; elle crie auvoleur! Des gens montentRacan se pend à la corde de lamontéeet se laisse couler en bas. Le jour même elleapprit toute l'histoire; la voilà au désespoir; elleemprunte un carrosseet le lendemain de bonne heure elle va letrouver chez M. de Bellegardeoù il logeoit. Il étoitencore au lit; il dormoit; elle tire le rideau; il l'aperçoitet se sauve dans un cabinet. Pour l'en faire sortiril fallutcapituler. Depuisils furent les meilleurs amis du mondecar ellelui demanda cent fois pardon. Bois- Robert joue cela admirablement;on appelle cette pièce les Trois Racans. Il les a jouésdevant Racan mêmequi en rioit jusqu'aux larmeset disoit: Ildit vlaiil dit vlai.

Racan ditqu'ayant promis une pistole à une maquerelle pour unedemoiselle qu'elle lui devoit faire voirau lieu de cela elle luifit voir une guenippeet qui n'avoit rien de demoiselle. Racan nelui donna qu'une pièce de quatorze sous et demile quartd'une pièce de cinquante-huit sous; elles n'étoient pascommunes alors. « Qu'est-ce là? dit- elle. --C'estluidit-ilune pistole déguisée en pièce dequatorze souscomme vous m'avez donné une demoiselle déguiséeen femme de chambre. »





LAFONTAINE

Un garçonde belles-lettres et qui fait des versnommé La Fontaineestencore un grand rêveur. Son pèrequi est maîtredes eaux et forêts de Château-Thierry en Champagneétantà Paris pour un procèslui dit: « Tiensva vitefaire telle chosecela presse. » La Fontaine sortet n'estpas plutôt hors du logis qu'il oublie ce que son pèrelui avoit dit. Il rencontre de ses camarades qui lui ayant demandés'il n'avoit point d'affaires: « Non» leur dit-iletalla à la comédie avec eux. Une autre foisvenant deParisil attacha à l'arçon de sa selle un gros sac depapiers importants. Le sac étoit mal attaché et tomba.L'ordinaire (1) passeramasse le sacet ayant trouvé LaFontaineil lui demande s'il n'avoit rien perdu. Ce garçonregarde de tous les côtés: « Nonce dit-il: jen'ai rien perdu. --Voilà un sac que j'ai trouvéluidit l'autre. -- Ah ! c'est mon sac! s'écrie La Fontaine; il yva de tout mon bien. » Il le porta entre ses bras jusqu'augîte.

[(1) Onappeloit alors ainsi les courriers.]

Ce garçonalla une foisdurant une forte geléeà une grandelieue de Château-Thierryla nuiten bottes blancheset unelanterne sourde à la main. Une autre fois il se saisit d'unepetite chienne qui étoit chez la lieutenante-généralede Château-Thierryparce que cette chienne étoit detrop bonne gardeetle mari étant absentil se cache sousune table de la chambrequi étoit couverte d'un tapis àhousse. Cette femme avoit retenu à coucher une de ses amies.Quand il vit que cette amie ronfloitil s'approche du litprend lamain à la lieutenantequi ne dormoit pas. Par bonheurellene cria pointet il lui dit son nom en même temps. Elle pritcela pour une si grande marque d'amour que je croisquoiqu'il aitdit qu'il n'en eut que la petite oiequ'elle lui accorda toutechose. Il sortit avant que l'amie fût éveillée;et comme dans ces petites villes on est toujours les uns chez lesautreson ne trouva point étrange de le voir sortir de bonneheure d'une maison qui étoit comme une maison publique.

Depuisson père l'a mariéet lui l'a fait par complaisance.Sa femme dit qu'il rêve tellement qu'il est quelquefois troissemaines sans croire être marié. C'est une coquette quis'est assez mal gouvernée depuis quelque temps. Il ne s'entourmente point. On lui dit: « Mais un tel cajole votre femme.-- Ma foirépond-ilqu'il fasse ce qu'il pourra; je ne m'ensoucie point. Il s'en lassera comme j'ai fait. » Cetteindifférence a fait enrager cette femme; elle sèche dechagrin: lui est amoureux où il peut. Une abbesse s'étantretiré dans la villeil la logeaet sa femme un jour lessurprit. Il ne fit que rengaînerlui faire la révérenceet s'en aller.



BOIS-ROBERT

Poursubsister à la courBois-Robert s'avisa d'une subtileinvention: il demanda à tous les grands seigneurs de quoifaire une bibliothèque. Il menoit avec lui un libraire quirecevoit ce qu'on donnoitet il le lui vendoit moyennant tant deparaguante. Il a confessé depuis qu'il avoit escroquécinq ou six mille francs comme cela. On n'a osé mettre leconte ouvertement dans Francionmais on l'a mis comme sic'eût été un musicien qui eût demande pourfaire un cabinet de toutes sortes d'instruments de musique. Un jourque Bois- Robert étoit avec le cardinalalors évêquede Luçonon apporta des chapeaux de castor. L'évêqueen choisit un: « Me sied-il bienBois-Robert? -- Ouimais ilvous siéroit encore mieux s'il étoit de la couleur dunez de votre aumônier. » C'étoit M. Mulotalorsprésentqui depuis ne le pardonna jamais à Bois-Robert. Une fois ce pauvre M. Mulotqui aimoit le bon vinenattendant l'heure d'un déjeuneralla à la messe àl'Oratoire. Par malheur c'étoit M. de Bérulledepuiscardinalqui la disoitet quiavant que de consacrers'amusa àfaire je ne sais combien de méditations. Mulot enrageoitcaril voyoit bien que tout seroit mangé. Enfinaprès quetout fut dit il s'en va tout furieux trouver M. de Bérulle: «Vraimentlui dit-ilvous êtes un plaisant homme de vousendormir comme cela sur le calice: allezvous n'en valez pas mieuxpour cela. »

Pourdivertir le cardinal et contenter en même temps l'envie qu'ilavoit contre le Cidil le fit jouer devant lui en ridiculepar les laquais et les marmitons. Entre autres chosesen cet endroitoù don Diègue dit à son fils:

Rodrigueas-tu du coeur ?

Rodriguerépondoit:

Je n'aique du carreau.

On nesauroit faire plus plaisamment un conte qu'il le fait; il n'y a pasun meilleur comédien au monde. Il est bien fait de sapersonne. Il dit qu'une foispar plaisirle cardinal en particulierleur ordonna à lui et à Mondory de pousser une passionet que le cardinal trouva qu'il avoit mieux fait que le plus célèbrecomédien qui ait peut-être été depuisRoscius.

Il futpourtant disgracié une fois pour longtempset il ne profitaguère de son rétablissement. Voici comme j'en ouïsconter l'histoire: à une répétition dans lapetite sallede la grande comédie que le cardinal fit jouerBois-Robert à qui il avoit donné charge de ne convierque des comédiensdes comédiennes et des auteurspouren jugerfit entrer la petite Sainte-Amour Frerelotune mignonnequi avoit été un temps de la troupe de Mondory. Commeon alloit commencervoilà M. d'Orléans qui entre. Onn'avoit osé lui refuser la porte; le cardinal enrageoit. Cettepetite gourgandine ne se put tenir: elle lève sa coiffeetfait tant que M. d'Orléans la voit. Quelques jours aprèson joue la grande comédie. Bois-Robert et le chevalierDesroches avoient ordre de convier les dames; plusieurs femmes nonconviéeset entre elles bien des je ne sais quientrèrent sous le nom de madame la marquise celle-ciet de madame la comtesse celle-là. Deux gentilshommesqui les recevoient à la portevoyant que leur nom étoitsur le mémoire et qu'elles étoient bien accompagnéesles livroient à deux autres qui les menoient au présidentVignier et à M. de Chartres (Valençaydepuisarchevêque de Reimsque Bois-Robert appeloit le maréchalde camp comique)et ils avoient le soin de les placer (1).

[(1) Lecardinal employait des prêtres et des évêques àplacer à la comédie. Depuisle cardinal donna desbillets. (T.)]

Le Roiqui étoit ravi de pincer le cardinalayant eu vent de celalui diten présence de M. d'Orléans: « Il yavoit bien du gibierl'autre jour à votre comédie. --Hé! comment n'y en auroit-il point eudit M. d'Orléanspuisquedans la petite salleoù j'eus tant de peine àentrer moi-mêmela petite Saint-Amourqui est une des plusgrandes gourgandines de Parisy étoit. » Voilàle cardinal interdit; il enrageoitet ne dit rien sinon: «Voilà comme je suis bien servi. » Au sortir de là:« Cavoiedit-il à son capitaine des gardesla petiteSaint-Amour étoit l'autre jour à la répétition.-- Monseigneur elle n'est point entrée par la porte que jegardois. » Palevoisingentilhomme de Touraineparent del'évêque de Bois-Robertdit sur l'heure au cardinal: «Monseigneurelle est entrée par la porte où j'étois;mais ç'a été M. de Bois-Robertqui l'a faitentrer. Bois-Robert ne savoit rien de celatrouve M. Le chancelierqui lui dit: « M. le cardinal est fort en colère contrevousne vous présentez pas devant lui. » Au mêmetempsle cardinal le fait appeler. Il n'y avoit que madamed'Aiguillonqui ne l'aimoit paset M. de Chavignyqui l'aimoitassez. Le cardinal lui dit d'un air renfrogné: « Bois-Robert de quoi vous êtes-vous avisé de faire entrer unepetite garce à la répétition l'autre jour? --Monseigneurje ne la connois que pour comédienneje ne l'aijamais vue que sur le théâtreoù Votre Eminencel'avoit fait monter. » (Cependant il avoue que le matin ellel'avoit été prier de la faire entrer.) « Je nesais pas d'ailleurs ce qu'elle est: fait-on information de vie et demoeurs pour être comédienne ? Je les tiens toutesgarceset ne crois pas qu'il y en eût jamais eu d'autres. »

«S'il n'y a que celadit le cardinal à sa nièceje nevois pas qu'il' y ait de crime. »' Bois- Robert pleurafittoutes les protestations imaginables; mais le cardinalà quice que le Roi avoit dit tenoit furieusement au coeurlui dit: «Vous avez scandalisé le Roiretirez- vous. » VoilàBois-Robert au lit; toute la cour et tous les parents du cardinal levisitèrent. Le maréchal de Gramont y alla plusieursfoiset à la dernière il lui dit: « Si vouspouviez vous taireje vous dirois un secret; mais n'en parlez point:dimanche vous serez rétabli. M. le cardinal doit voir le Roisamediil vous justifiera. » Le dimanche venuvoilàl'abbé de Beaumont qui le vient trouver. Bois-Robert dit dèsqu'il le vit: «Me voilà rétabli. » Il nefit pourtant semblant de rien. L'abbé s'approche ensanglotantfait la grimace tout du longcar il ne l'aimoit pas:luiGrave et Palevoisin étoient jaloux de Bois-Robertpeut-être aussi les avoit-il joués; et enfin il lui dit quele Roi n'avoit pas voulu écouter Son Eminenceet lui avoitdit: « Bois-Robert déshonore votre maison. Bois-Roberteut donc ordre de se retirer à son abbaye (elle s appelleChâtillon) ou à Rouenoù il étoitchanoine; il aima mieux aller à Rouen.

Une foisque Bois-Robert alla au Petit-Luxembourg voir messieurs de Richelieumadame Sauvayfemme de l'intendant de madame d'Aiguillonlui ditdès qu'elle le vit: « Ah ! vraimentmonsieur deBois-Robertj'ai des réprimandes à vous faire. »Bois- Robertpour se moquer d'ellese mit incontinent àgenoux. « Vous passez partoutlui dit-ellepour un impiepour un athée. -- Ah! Madameil ne faut pas croire tout cequ'on dit; on m'a bien dità moique vous étiez laplus grande garce du monde. -- Ah ! Monsieurdit- elle enl'interrompantque dites-vous là ? -- Madameajouta-t- ilje vous proteste que je n'en ai rien cru. » Toute la maison futravie de voir cette insolente mortifiée.

Une foismademoiselle Melsonfille d'espritle déferra . Il luicontoit qu'il avoit peur qu'un de ses laquais ne fût pendu. «Voirelui dit-elleles laquais de Bois-Robert ne sont pas faitspour la potence; ils n'ont que le feu à craindre.»

Le portierde Bautru donna une fois des coups de pied au cul au laquais deBois-Robert. Voilà l'abbé dans une fureur épouvantable.« Il a raisondisoient les genscela est plus offensant pourlui que pour un autre. Aux laquais de Bois- Robert le c... tient lieude visage: c'est la partie noble de ces messieurs-là. »

Pourmontrer combien il se cachoit peu de ces petites complexionsildisoit que Ninon lui écrivoitparlant du bon traitement quelui faisoient les Madelonnettesoù les dévots lafirent mettre: « Je pense qu'à votre imitation jecommencerai à aimer mon sexe. »

Ilappeloit Ninon sa divine. Un jour il alla chez elle avec unfort joli petit garçon. « Maislui dit-ellece petitvilain vous vient toujours retrouver. -- Ouirépondit-ilj'ai beau le mettre en métieril revient toujours. -- C'estreprit- ellequ'on ne lui fait nulle part ce que vous lui faites.»

Une autrefois il vint la voir tout hors de lui. « Ma divineluidit-ilje vais me mettre au noviciat des Jésuites; je ne saisplus que ce moyen-là de faire taire la calomnie. J'y veuxdemeurer trois semainesau bout desquelles je sortirai sans qu'on lesacheet on m'y croira encore. Tout ce qui me fâchec'est queces b... là me donneront de la viande lardée de lardranceet pour tous petits pieds quelques lapins de greniers. Je nem'y saurois résoudre. » Il revint le lendemain. «J'y ai pensé; c'est assez de trois jourscela fera le mêmeeffet. » Le voilà encore le lendemain. « Madivinej'ai trouvé plus à propos d'aller auxJésuitesje les ai assemblésje leur ai fait monapologienous sommes le mieux du monde ensemble; je leur plais fortet en sortant un petit frère m'a tiré par ma robe etm'a dit: « Monsieurvenez nous voir quelquefoisil n'y apersonne qui réjouisse tant les Pères que vous. »

A unereprésentation d'une de ses pièces de théâtreles comédiens dirent un méchant mot qui n'y étoitpas: « Ah! s'écria-t-il de la loge où il étoitces marauds me feront chasser de l'Académie. »

Bois-Roberttoujours bon courtisans'avisa de faire des vers contre lesFrondeurs; il n'y eut jamais un homme plus lâche. Le coadjuteurle sutet la première fois qu'il vint dîner chez lui: «Monsieur de Bois-Robertlui dit-ilvous me les direz. -- BienMonsieurdit Bois-Robert. » Il cracheil se moucheet sansfaire semblant de rien il s'approche de la fenêtreet ayantregardé en basil dit au coadjuteur: « Ma foiMonsieurje n'en ferai rienvotre fenêtre est trop haute. »

L'abbéde La Victoire dit que la prêtrise en la personne deBois-Robert est comme la farine aux bouffonsque cela sert àle faire trouver plus plaisant.

Bois-Roberten ce temps-làs'abandonna de telle sorte à faire descontes comme celui des trois Racans qu'on disoitcomme desmarionnettes: Je vous donnerai Bois- Robert. De quelqu'un deces contes-làil voulut faire une comédie qu'ilappeloit le Père avaricieux. En quelques endroitsc'étoit le feu président de Bercy et son filsqui aété autrefois débauchéet qui maintenantest plus avare que son père. Il feignoit qu'une femmequiavoit une belle fillesous prétexte de plaiderattrapoit lajeunesse; là entroit la rencontre du président de Bercychez un notaireavec son fils qui cherchoit de l'argent àgros intérêt. Le père lui cria: « Ah !débauchéc'est toi ? -- Ah ! vieux usurierc'est vous? » dit le fils. Il avoit mis aussi la conversation de Ninon etde madame Paget à un sermonoù cette damequi ne laconnoissoit passe plaignit à elle que Bois-Robert vouloitquitter son quartier pour aller au faubourg Saint-Germainpour uneje ne sais qui de Ninonet Ninon lui répondit: « Il nefaut pas croire tout ce qu'on ditMadameon en pourroit dire autantde vous et de moi. »

Une foisle prince de Conticomme on jouoit une pièce de Bois-Robertlui dit de la loge où il étoit: « M. de Bois-Robertla méchante pièce! » Bois-Robertquiétoit sur le théâtrese mit à crier bienfort: « Monseigneurvous me confondez de me louer comme celaen ma présence. »

En cetemps-lales dévôts de la cour rendirent de mauvaisoffices à Bois-Robertet le firent exiler comme un homme quimangeoit de la viande le carêmequi n'avoit point de religionqui juroit horriblement quand il jouoitet cela est vrai. Au retouril ne put s'empêcher de dire que madame Manciniqui avoit faitsa paixne l'avoit fait revenir que pour être payée dequarante pistoles qu'il lui devoit du jeu.

Onl'obligea depuis à dire la messe quelquefois. Madame Cornuelà la messe de minuitcomme ce vint à Dominusvobiscumvit que c'étoit Bois-Robertet elle dit àquelqu'un: «Voilà toute ma dévotion évanouie.» Le lendemaincomme on la vouloit mener au sermon: « Jen'y veux pas allerdit-elle; après avoir trouve Bois-Robertdisant la messeje trouverai sans doute Trivelin en chaire. Jecroisajouta-t-elleque sa chasuble étoit faite d'une jupede Ninon. »

Bois-Robertfaisoit un conte de M. de Beuvron et de son frère Croisy. Ildisait qu'un jourà la campagneil vint une pluie qui duracinq heures. C'étoit au mois d'avril. Ils se promenèrentdurant tout ce temps dans une sallesans dire autre chose l'un àl'autre: « Mon frèreque de foin ! mon frèreque d'avoine ! » Quoique les enfants de Beuvron aient plusd'esprit que leur pèreon ne laisse pas quelquefois de leurdire: « Mon frèreque de foin ! mon frèrequed'avoine ! » Et ils en enragent un peu.

En 1661dans le temps de la mort du cardinal Mazarinun homme de Nancys'adressaau Palais aux diseurs de nouvelleset leur dit: «Je vous prieMessieursdites-moi si ce qu'on nous a mandé àNancy est véritableque Bois- Robert s'étoit faitTurcet que le Grand-Seigneur lui avoit donné de grandsrevenus avec de beaux petits garçons pour se réjouiret quede làil avoit écrit aux libertins de la cour:--Vous autresMessieursvous vous amusez à renier Dieu centfois le jour; je suis plus fin que vous: je ne l'ai reniéqu'uneet je m'en trouve fort bien. »

Il disoit:« Je me contenterois d'être aussi bien avec NotreSeigneurque j'ai été avec le cardinal de Richelieu.»

Comme iltenoit le crucifixet qu'il demandoit pardon à Dieu: «Ah! se dit-ilau diable soit ce vilain potage que j'ai mangéchez d'Olonne; il y avoit de l'oignon c'est ce qui m'a fait mal. »Et puis il reprenoit: « Le cardinal de Richelieu m'a gâté;il ne valoit rienc'est lui qui m'a perverti»



LAMARQUISE DE RAMBOUILLET

Madame deRambouillet est fille de feu M. le marquis de Pisaniet d'uneSavelliveuve d'un Ursins. Sa mère étoit une habilefemme: elle eut soin de l'entretenir dans la langue italienneafinqu'elle sût également cette langue et la françoise.On fit toujours cas de cette dame-là à la couretHenri IV l'envoyaavec madame de Guisesurintendante de la maisonde la Reinerecevoir la Reine-mère à Marseille. Ellemaria sa fille devant douze ans avec M. Le vidame du Mans. Madame deRambouillet dit qu'elle regarda d'abord son mariqui avoit alors unefois autant d'âge qu'ellecomme un homme faitet qu'elle seregarda comme un enfantet que cela lui est toujours demeurédans l'espritet l'a portée à le respecter davantage.Hors les procèsjamais il n'y a eu un homme plus complaisantpour sa femme. Elle m'a avoué qu'il a toujours étéamoureux d'elleet ne croyoit pas qu'on pût avoir plusd'esprit qu'elle en avoit. A la véritéil n'avoit pasgrand'peine à lui être complaisantcar elle n'a jamaisrien voulu que de raisonnable. Cependant elle jure que si on l'eûtlaissée jusqu'à vingt anset qu'on ne l'eûtpoint obligé après à se marierelle fûtdemeurée fille. Je la croirois bien capable de cetterésolutionquand je considère que dès vingt anselle ne voulut plus aller aux assemblées du Louvre; choseassez étrange pour une belle et jeune personne et qui est dequalité. Elle disoit qu'elle n'y trouvoit rien de plaisantque de voir comme on se pressoit pour y entreret que quelquefois illui est arrivé de se mettre en une chambre pour se divertir duméchant ordre qu'il y a pour ces choses-là en France.Ce n'est pas qu'elle n'aimât le divertissementmais c'étoiten particulier. A l'entrée qu'on devoit faire à laReine- mèrequand Henri IV la fit couronnermadame deRambouillet étoit une des belles qui devoient être de lacérémonie.

Elle atoujours aimé les belles choseset elle alloit apprendre lelatinseulement pour lire Virgilequand une maladie l'en empêcha.Depuiselle n'y a pas songéet s'est contentée del'espagnol. C'est une personne habile en toutes choses. Elle fut mêmel'architecte de l'hôtel de Rambouilletqui étoit lamaison de son père. Mal satisfaite de tous les dessins qu'onlui faisoit (c'étoit du temps du maréchal d'Ancrecaralors on ne savoit que faire une salle à un côtéune chambre à l'autreet un escalier au milieu: d'ailleurs laplace étoit fort irrégulière et d'une assezpetite étendue)un soiraprès avoir bien rêvéelle se mit à crier: « Vitedu papier; j'ai trouvéle moyen de faire ce que je voulois. » Sur l'heure elle en fitle dessincar naturellement elle sait dessiner; et dèsqu'elle a vu une maisonelle en tire le plan fort aisément.De là vient qu'elle faisoit tant la guerre à Voiture dece qu'il ne retenoit jamais rien des beaux bâtiments qu'ilvoyoit; et c'est ce qui a donné lieu à cette ingénieusebadinerie qu'il lui écrivit sur le Valentin. On suivit ledessin de madame de Rambouillet de point en point. C'est d'elle qu'ona appris à mettre les escaliers à côtépour avoir une grande suite de chambreà exhausser lesplancherset à faire des portes et des fenêtres hauteset larges et vis-à-vis les unes des autres; et cela est sivrai que la Reine-mèrequand elle fit bâtir Luxembourgordonna aux architectes d'aller voir l'hôtel de Rambouilletetce soin ne leur fut pas inutile. C'est la première qui s'estavisée de faire peindre une chambre d'autre couleur que derouge ou de tanné; et c'est ce qui a donné à sagrand'chambre le nom de la chambre bleue.

L'hôtelde Rambouillet étoitpour ainsi direle théâtrede tous les divertissementset c'étoit le rendez-vous de cequ'il y avoit de plus galant à la couret de plus poli parmiles beaux- esprits du siècle. Orquoique le cardinal deRichelieu eût au cardinal de La Valette la plus grandeobligation qu'on puisse avoiril vouloit pourtant savoir toutes sespensées aussi bien que d'un autre; et un jourcomme M. deRambouillet étoit en Espagneil envoya le Père Josephchez madame de Rambouillet; celui-cisans faire semblant de rienlamit sur le discours de cette ambassadeet après lui dit quemonsieur son mari étant employé à unenégociation importanteM. le cardinal de Richelieu pouvoitprendre son temps pour faire quelque chose de considérablepour luimais qu'il falloit qu'il contribuât de son côtéet qu'elle donnât à Son Eminence une petite satisfactionqu'il désiroit d'elle; qu'un premier ministre ne pouvoitprendre trop de précautions; en un motque M. le cardinalsouhaitoit de savoir par son moyen les intrigues de madame laPrincesse et de M. le cardinal de La Valette. « Mon pèrelui dit- elleje ne crois point que madame la Princesse et M. lecardinal de La Valette aient aucunes intrigues; maisquand ils enauroientje ne serois pas trop propre à faire le métierd'espion. » Il s'adressoit mal; il n'y a pas au monde depersonne moins intéressée. Elle dit qu'elle ne conçoitpas de plus grand plaisir au monde que d'envoyer de l'argent auxgenssans qu'ils puissent savoir d'où il vient. Elle passebien plus avant que ceux qui disent que donner est un plaisir de roicar elle dit que c'est un plaisir de Dieu. En me contant cette petitehistoire du Père Josephelle me disoitcar il n'y a pas aumonde un esprit plus droitqu'elle souffriroit encore moins qu'oneût des gens d'église pour galants que d'autres. -- «C'est une des chosesajoutoit-ellepourquoi je suis bien aise den'être point demeurée à Rome; car quoi que jefusse bien assurée de ne point faire de malje n'étoispas pourtant assurée qu'on n'en dit point de moietapparemmentsi on en eût ditla médisance m'auroitmise avec quelque cardinal. »

Jamais iln'y a eu une meilleure amie. M. d'Andillyqui faisoit le professeuren amitiélui dit un jour qu'il la vouloit instruireamplement en cette belle science; il lui faisoit des leçonsprolixes; ellepour trancher tout d'un couplui dit: « Bienloin de ne pas faire toutes choses au monde pour mes amissi jesavois qu'il y eût un fort honnête homme aux Indessansle connoître autrementje tâcherois de faire pour luitout ce qui seroit à son avantage. « -- Quoi ! s'écriad'Andillyvous en savez jusque-là ! Je n'ai plus rien àvous montrer. »

Madame deRambouillet est encore présentement d'humeur à sedivertir de tout. Un de ses plus grands plaisirs étoit desurprendre les gens. Une fois elle fit une galanterie à M. deLisieux à laquelle il ne s'attendoit pas. Il l'alla voir àRambouillet. Il y a au pied du château une fort grande prairieau milieu de laquellepar une bizarrerie de la naturese trouvecomme un cercle de grosses rochesentre lesquelles s'élèventde grands arbres qui font un ombrage très agréable.C'est le lieu où Rabelais se divertissoità ce qu'ondit dans le pays; car le cardinal du Bellayà qui il étoitet messieurs de Rambouilletcomme des proches parentsalloient fortsouvent passer le temps à cette maison; et encore aujourd'huion appelle une certaine roche creuse et enfumée la Marmitede Rabelais. La marquise proposa donc à M. de Lisieuxd'aller se promener dans la prairie. Quand il fut assez prèsde ces roches pour entrevoir à travers les fouilles desarbresil aperçut en divers endroits je ne sais quoi debrillant. Etant plus procheil lui sembla qu'il discernoit desfemmeset qu'elles étoient vêtues en nymphes. Lamarquiseau commencementne faisoit pas semblant de rien voir de cequ'il voyoit. Enfinétant parvenus jusqu'aux rochesilstrouvèrent mademoiselle de Rambouillet et toutes lesdemoiselles de la maisonvêtues effectivement en nymphesquiassises sur ces rochesfaisoient le plus agréable spectacledu monde. Le bonhomme en fut si charmé quedepuisil nevoyoit jamais la marquise sans lui parler des roches de Rambouillet.

Si elleeût été en état de faire de grandesdépenseselle eût bien fait de plus chèresgalanteries. Je lui ai entendu dire que le plus grand plaisir qu'elleeût pu avoir eût été de faire bâtirune belle maison au bout du Parc de Rambouilletsi secrètementque personne de ses amis n'en sût rien (et avec un peu de soinla chose n'étoit pas impossible parce que le lieu est assezécartéet que ce parc est un des plus grands deFranceet même éloigné d'une portée demousquet du châteauqui n'est qu'un bâtiment àl'antique); et qu'elle eût voulu ensuite mener àRambouillet ses meilleurs amiset le lendemainen se promenant dansle parcleur proposer d'aller voir une belle maisonqu'un de sesvoisins avoit fait faire depuis quelque temps; et après biendes détoursje les aurois menésdisoit-elledans manouvelle maisonque je leur aurois fait voirsans qu'il parûtun seul de mes gensmais seulement des personnes qu'ils n'eussentjamais vues; et enfin je les aurois priés de demeurer quelquesjours en ce beau lieudont le maître étoit assez monami pour le trouver bon. Je vous laisse à penserajoutoit-ellequel aurait été leur étonnementlorsqu'ils auroient su que tout ce secret n'auroit étéque pour les surprendre agréablement.

Elleattrapa plaisamment le comte de Guicheaujourd'hui le maréchalde Gramont. Il étoit encore fort jeune quand il commençaà aller à l'hôtel de Rambouillet. Un soircommeil prenoit congé de madame la marquiseM. de Chaudebonneleplus intime des amis de madame de Rambouilletqui étoit fortfamilier avec luilui dit: « Comtene t'en va pointsoupecéans. -- Jésus! vous moquez-vous? s'écria lamarquise; le voulez-vous faire mourir de faim ? -- Elle se moqueelle- mêmereprit Chaudebonnedemeureje t'en prie. »Enfin il demeura. Mademoiselle Pauletcar tout cela étoitconcertéarriva en ce moment avec mademoiselle deRambouillet; on sertet la table n'étoit couverte que dechoses que le comte n'aimoit pas. En causant on lui avoit fait direà diverses foistoutes ses aversions. Il y avoit entre autreschoses un grand potage au lait et un gros coq d'Inde. MademoisellePaulet y joua admirablement son personnage. « Monsieur lecomtedisoit-elleil n'y eut jamais un si bon potage au lait; vousen plaît-il sur votre assiette ? -- Mon Dieu ! le bon coqd'Inde ! il est aussi tendre qu'une gélinotte. -- Vous nemangez point du blanc que je vous ai servi; il vous faut donner durissoléde ces petits endroits de dessus le dos. » Ellese tuoit de lui en donneret lui de la remercier. Il étoitdéferré; il ne savoit que penser d'un si pauvre souper.Il émioit du pain entre ses doigts. Enfinaprès quetout le monde s'en fut bien divertimadame de Rambouillet dit aumaître-d'hôtel: « Apportez donc quelque autrechoseM. le comte ne trouve rien là à son goût.» Alors on servit un souper magnifiquemais ce ne fut pas sansrire.

On lui fitencore une malice à Rambouillet. Un soir qu'il avoit mangéforce champignonson gagna son valet de chambre qui donna tous lespourpoints des habits que son maître avoit apportés. Onles étrécit promptement. Le matinChaudebonne le vavoir comme il s'habilloit; mais quand il voulut mettre son pourpointil le trouva trop étroit de quatre grands doigts. « Cepourpoint là est bien étroitdit- il à sonvalet de chambre; donnez-moi celui de l'habit que je mis hier. »Il ne le trouve pas plus large que l'autre . « Essayons-lestous» dit-il. Mais tous lui étaient égalementétroits. « Qu'est ceci? ajouta-t-ilsuis-je enfléseroit-ce d'avoir trop mangé de champignons? -- Cela pourroitbien êtredit Chaudebonnevous en mangeâtes hier ausoir à crever. » Tous ceux qui le virent lui en direntautantet voyez ce que c'est que l'imagination. Il avoitcomme vouspouvez penserle teint tout aussi bon que la veille; cependant il ydécouvroitce lui sembloitje ne sais quoi de livide. Lamesse sonnec'étoit un dimanche: il fut contraint d'y alleren robe de chambre. La messe diteil commence à s'inquiéterde cette prétendue enflureet il disoit en riant du bout desdents: « Ce seroit pourtant une belle fin que de mourir àvingt et un ans pour avoir mangé des champignons ! »Comme on vit que cela alloit trop avantChaudebonne dit qu'enattendant qu'on pût avoir du contrepoisonil étoitd'avis qu'on fît une recette dont il se souvenoit. Il se mitaussitôt à l'écrireet la donna au comte. Il yavoit: Recipe de bons ciseaux et décous ton pourpoint.Orquelque temps aprèscomme si c'eût étépour venger le comtemademoiselle de Rambouillet et M. deChaudebonne mangèrent effectivement de mauvais champignons eton ne sait ce qui en fût arrivési madame deRambouillet n'eût trouvé de la thériaque dans uncabinetoù elle chercha à tous hasards.

Madame deRambouillet pouvoit avoir trente-cinq ans ou environquand elles'aperçut que le feu lui échauffoit étrangementle sanget lui causoit des foiblesses. Elle qui aimoit fort àse chauffer ne s'en abstint pas pour cela absolument; au contrairedès que le froid fut revenuelle voulut voir si sonincommodité continueroit; elle trouva que c'étoitencore pis. Elle essaya encore l'hiver suivantmais elle ne pouvoitplus s'approcher du feu. Quelques années aprèslesoleil lui causa la même incommodité: elle ne se vouloitpourtant point rendrecar personne n'a jamais tant aimé àse promener et à considérer les beaux endroits dupaysage de Paris. Cependant il fallut y renoncerau moins tandisqu'il faisoit soleilcarune fois qu'elle voulut aller àSaint-Cloudelle n'étoit pas encore à l'entréedu Cours qu'elle s'évanouitet on lui voyoit visiblementbouillir le sang dans les veines car elle a la peau fort délicate. Avec l'âge son incommodité s'augmenta; je lui ai vu unérysipèle pour une poêle de feu qu'on avoitoubliée par mégarde sous son lit. La voilà doncréduite à demeurer presque toujours chez elleet àne se chanter jamais. La nécessité lui fit emprunterdes l'invention des alcôves qui sont aujourd'hui si forten vogue à Paris. La compagnie se va chauffer dansl'antichambre. Quand il gèleelle se tient sur son litlesjambes dans un sac de peau d'ourset elle dit plaisammentàcause de la grande quantité de coiffes qu'elle met l'hiverqu'elle devient sourde à la Saint-Martinet qu'elle recouvrel'ouïe à Pâques. Pendant les grands et longs froidsde l'hiver passéelle se hasarda de faire un peu de feu dansune petite cheminée qu'on a pratiqué dans sa petitechambre à alcôve. On mettoit un grand écran ducôté du litquiétant plus éloignéqu'autrefoisn'en recevoit qu'une chaleur fort tempérée.Cependant cela ne dura pas long-tempscar elle en reçut àla fin de l'incommodité; et cet été qu'il a faitun furieux chaudelle en a pensé mourirquoique sa maisonsoit fort fraîche.

Personnene fut plus aimé de ses gensni des gens de ses amisquemadame de Rambouillet. Il y a deux ans ou environque M. Patru m'enrapporta un exemple illustre. Il soupoit à l'hôtel deNemours avec l'abbé de Saint-Spirequi est à M. deNemoursalors M. de Reims. Cet abbé va souvent àl'hôtel de Rambouillet; ils parlèrent fort de lamarquise. Un sommeliernommé Audryqui étoit làvoyant que M. Patru étoit aussi des amis de madame deRambouilletse vient jeter à ses piedsen lui disant: «Monsieurque je vous adore! j'ai été douze ans àM. de Montausier; puisque vous êtes des amis de la grandemarquisepersonne devant le soir ne vous donnera à boire quemoi. »

Madame deRambouillet est un peu trop complimenteuse pour certaines gens quin'en valent pas trop la peine; mais c'est un défaut que peu depersonnes ont aujourd'huicar il n'y a plus guère decivilité. Elle est un peu trop délicateet le mot deteigneux dans une satireou dans une épigrammeluidonnedit-elleune vilaine idée. On n'oseroit prononcer lemot de cul. Cela va dans le sens de l'excèssurtoutquand on est en liberté Son mari et elle vivoient un peu tropen cérémonie.

Horsqu'elle branle un peu la têteet cela lui vient d'avoir mangétrop d'ambre autrefoiselle ne choque point encore quoiqu'elle aitprès de soixante-dix ans. Elle a le teint beau et les sottesgens ont dit que c'étoit pour cela qu'elle ne vouloit pointvoir le feucomme s'il n'y avoit point d'écrans au monde.Elle dit que ce qu'elle souhaiteroit le plus pour sa personneceseroit de se pouvoir chauffer tout son saoul. Elle alla à lacampagne l'automne passéqu'il ne faisoit ni froid ni chaud;mais cela lui arrive rarementet ce n'étoit qu'une demi-lieuede Paris. Une maladie lui rendit les lèvres d'une vilainecouleur; depuis elle y a toujours mis du rouge. J'aimerois mieuxqu'elle n'y mît rien. Au reste elle a l'esprit aussi netet lamémoire aussi présente que si elle n'avoit que trenteans. (C'est d'elle que je tiens la plus grande et la meilleure partiede ce que j'ai écrit et de ce que j'écrirai dans celivre. Elle lit toute une journée sans la moindre incommoditéet c'est ce qui la divertit le plus.





MADEMOISELLEPAULET

MademoisellePaulet étoit fille d'un Languedocien qui inventa ce qu'onappelle aujourd'hui de son nom la Pauletteinvention quiruinera peut-être la France. Sa mère étoit defort bas lieu et d'une race fort diffamée pour les amourettes.Elle disoit que son père étoit gentilhomme. Sa mèremenoit une vie assez gaillarde. Mademoiselle Paulet avoit en sajeunesse beaucoup de vivacitéétoit jolieavoit leteint admirablela taille finedansoit bienjouoit du luthetchantoit mieux que personne de son tempsmais elle avoit les cheveuxsi dorés qu'ils pouvoient passer pour roux.

Le pèrequi vouloit se prévaloir de la beauté de sa filleetla mèrequi étoit coquettereçurent toute lacour chez eux. M. de Guise fut celui dont on parla le premier avecelle. On disoit qu'il avoit laissé une galoche en descendantpar une fenêtre. Il disoit qu'il lui sembloit avoir toujours lepetit chose de la petite Paulet devant les yeux. M. deChevreuse suivit son aînéet ce fut ce qui la décriale pluscar il lui avoit donné pour vingt mille écusde pierreries dans une cassette: elle la confia à un nomméDescoudraisà qui il la fit escamoter.

Le balletde la Reine-mère se dansa en ce temps-la. Elle y chanta desvers de Lingendesqui commençoient ainsi:

Je suiscet Amphionetc.

Orquoique cela convînt mieux à Arionelle étoitpourtant sur un dauphinet ce fut sur cela qu'on fit ce vaudeville:

Qui fit lemieux du ballet?

Ce fut la petite Paulet.


Madame deRambouilletqui avoit eu de l'inclination pour cette jeune fille dèsle ballet de la Reine-mèreaprès avoir laissépasser bien du temps pour purger la réputationet voyant quedans sa retraite on n'en avoit point méditcommença àsouffrirà la prière de madame deClermont-d'Entraguesfemme de grande vertu et sa bonne amiequemademoiselle Paulet la vît quelquefois. Pour madame deClermont. elle avoit tellement pris cette fille en amitiéqu'elle n'eut jamais de repos que mademoiselle Paulet ne vint logeravec elle. Le marifort sot homme du restesoit qu'il craignîtla réputation qu'avoit eue cette fillesoitcomme il y aplus d'apparencecar madame de Clermont n'étoit point joliequ'il crût que sa femme donnoit à mademoiselle Pauletqui alorspour ravoir son bienplaidoit contre diverses personnesle maridis-jeavoit traversé longuement leur amitié;mais enfin on en vint à bout. Ce fut ce qui servit le plus àmademoiselle Paulet pour la remettre en bonne réputation; caraprès cela madame de Rambouillet l'a reçue pour sonamieet la grande vertu de cette dame purifias'il faut ainsi diremademoiselle Pauletqui depuis fut chérie et estiméede tout le monde.

Elleretira environ vingt mille écus de son bienavec quoi elle afait de grandes charités. Elle nourrissoit une vieille parentechez elle.

L'ardeuravec laquelle elle aimoitson couragesa fiertéses yeuxvifs et ses cheveux trop dorés lui firent donner le surnomLionne. Elle avoit une chose qui ne témoignoit pas ungrand jugementc'est qu'elle affectoit une pruderie insupportable.Elle fit mettre aux Madelonnettes une fille qu'elle avoitqui setrouva grosse. Depuisje ne sais quel petit commis l'épousaet devint après un grand partisan. Après elle en pritune si laide que le diable en eût eu peur. Je lui ai ouïdire qu'elle voudroit que toutes celles qui avoient fait galanteriefussent marquées au visage. Elle n'écrivoit nullementbienet quelquefois elle avoit la langue un peu longue. Elle aimoitet haïssoit fortement. Ce furent madame de Clermont et elle quiintroduisirent M. Godeaudepuis évêque de Grasseàl'hôtel de Rambouillet. Il étoit de Dreuxet madame deClermont avoit Mézières là tout auprès.Enfin il logea avec elleset l'abbé de La Victoire appeloitmademoiselle Paulet madame de Grasse. Un soirelle alladéguisée en oublieuseà l'hôtel deRambouillet. Son corbillon étoit de ces corbillons de Flandreavec des rubans couleur de rose; son habit de toile tout couvert derubans avec une calle de même. Elle joua des oublieset on nela reconnut que quand elle chanta la chanson.

Elle nelaissa pas d'avoir des amants depuis sa conversionmais on n'a méditde pas un. Voiture dit qu'elle avoit pour serviteurs un cardinalcarle cardinal de La Valetteen riantl'appeloit ma maîtresseun docteur en théologie; un marchand de la rue Aubry- Boucher;un commandeur de Malte; un conseiller de la cour; un poèteetun prévôt de la ville. Ce marchand de la rueAubry-Boucher étoit un original. Il prit à cet hommeune grande amitié pour madame de Rambouillet; mais celle qu'ilavoit pour mademoiselle Paulet se pouvoit appeler amour. Al'entrée qu'on fit au feu Roiau retour de La Rochelleils'avisacar il étoit capitaine de son quartierd'habillertous ses soldats de vertparce que c'étoit la couleur de labelle. Tous ses verts-galants firent une salve devant lamaison où elle étoit avec madame de Rambouilletmadamede Clermont et d'autres. La Lionnequi ne prenoit pas plaisirà être aimée de cet animal-laen rugit une bonneheure. Cependant il se fallut apaiser et aller avec ces dames aujardin du galantdans le faubourg Saint-Victoroù il leurdonna la collation. Sa femme vint à mourir; il se remaria avecune personne qu'il voulut à toute forceparce qu'elle avoitde l'air de mademoiselle Paulet. A soixante ans il alla par dévotionà Rome. Si la Lionne eût été encoreau monde quand la fille de cet homme fit tant l'acariâtrecontre madame de Saint- Etiennecomme elle l'auroit dévorée!

J'oublioisune galanterie que madame de Rambouillet fit à mademoisellePauletla première fois qu'elle vint à Rambouillet.Elle la fit recevoir à l'entrée du bourg par les plusjolies filles du lieu et par celles de la maisontoutes couronnéesde fleurs et fort proprement vêtues. Une d'entre ellesquiétoit plus parée que ses compagneslui présentales clefs du châteauet quand elle vint à passer sur leponton tira deux petites pièces d'artillerie qui sont surune des tours.

MademoisellePaulet mourut en 1651chez madame de Clermonten Gascogneoùelle étoit allée pour lui tenir compagnie. M. de Grasse(Godeau) y alla exprès de Provence pour l'assister àla mort. Elle ne paroissoit guère que quarante anset enavoit cinquante- neuf. Tout le monde vouloit qu'elle fûtbeaucoup plus vieille qu'elle n'étoit. Cela venoit de cequ'elle avoit fait du bruit de bonne heure.



VOITURE

Voitureétoit fils d'un marchand de vinsuivant la cour. Il faisoitson possible pour cacher sa naissance à ceux qui n'en étoientpas instruits. Un jourse trouvant dans une grosse compagnieoùil faisoit le récit d'une aventure plaisantemadame desLogescontre laquelle il avoit parlé sans la connoîtrecherchant à le piquerlui dit: « Monsieurvous nousavez déjà dit cela d'autres fois; tirez-nous dunouveau. » Son père étoit un grand joueur depiquet. On dit encore aujourd'hui qu'on a le carré deVoiturequand on a soixante-dix de pointmarqués parquatre jetons en carréparce que ce bonhomme croyoit gagnerquand il avoit ce carré. Voiture fut bien un autre joueur queson père.

Voitureétoit petitmais bien faitil s'habilloit bien. Il avoit lamine naïvepour ne pas dire niaiseet vous eussiez dit qu'ilse moquoit des gens en leur parlant. Je ne l'ai pas trouvétrop civilet il m'a semblé prendre son avantage en toutechose. C'étoit le plus coquet des humains. Ses passionsdominantes étoient l'amour et le jeumais le jeu plus quel'amour. Il jouoit avec tant d'ardeur qu'il falloit qu'il changeâtde chemise toutes les fois qu'il sortoit du jeu. Quand il n'étoitpas avec ses gensil ne parloit presque pas. D'Ablancourt ayantdemandé à madame Saintotdu temps qu'ellen'extravaguoit pasce qu'elle trouvoit de si charmant à cethomme qui ne disoit rien: « Ah ! répondit-ellequ'ilest agréable parmi les femmesquand il veut! » Mêmeavec ceux à qui il vouloit plaireil avoit de grandesinégalitéset souvent il lui prenoit des rêveriescomme ailleurs. Quand il étoit chagrinil ne laissoit pasd'aller voir le mondemais il étoit fort mal divertissantetmême on pouvoit dire qu'il étoit à charge. Ilétoit quelquefois si familier qu'on l'a vu quitter sesgaloches en présence de madame la Princesse pour se chaufferles pieds. C'étoit déjà assez de familiaritéque d'avoir des galoches; maisma foic'est le vrai moyen de sefaire estimer des grands seigneurs que de les traiter ainsi: il leurparloit assez librement (1)

[(1) Ondit qu'un princeje crois que c'étoit M. le PrinceDucd'Enghiena dit: «Si Voiture étoit de notre conditionil n'y auroit pas moyen de le souffrir. » (T.)]

Madame deRambouillet dit qu'il n'étoit point intéresséet que ses négligences lui avoient fait perdre une infinitéd'amis; quepour elleelle s'en étoit admirablement biendivertie; quequand elle l'avoit trouvé en humeur de rêverelle l'avoit laissé causer: qu'aussiquand il avoit étéen humeur de rêverelle avoit fait tout ce qu'elle avoit eu àfairecomme s'il n'y eût point été.

Il avoitsoin de divertir la société de l'hôtel deRambouillet. Il avoit toujours vu des choses que les autres n'avoientpoint vues: aussidès qu'il y arrivoittout le mondes'assembloit pour l'écouter. Il affectoit de composersur-le-champ. Cela lui est peut-être arrivé bien desfoismais bien des fois aussi il a apporté les choses toutesfaites de chez lui. Néanmoins c'étoit un fort belespritet on lui a l'obligation d'avoir montré aux autres àdire les choses galamment. C'est le père de l'ingénieusebadinerie; mais il n'y faut chercher que celacar son sérieuxne vaut pas grand'choseet ses lettreshors les endroits qui sontsi naturelssont pour l'ordinaire mal écrites. On a eu grandtort de n'en pas ôter au moins les grosses ordures. Il sembloitqu'il craignît cela; car il disoit à madame deRambouilletsix mois avant que de mourir: « Vous verrez qu'ily aura quelque part d'assez sottes gens pour aller chercher çàet là ce que j'ai faitet après le faire imprimer;cela me fait venir quelque envie de le corriger ». Il fautavouer aussi qu'il est le premier qui a amené le libertinagedans la poésie; avant lui personne n'avoit fait des stancesinégalessoit de verssoit de mesure.

Corneilleest aussi celui qui a gâté le théâtre parses dernières piècescar il a introduit ladéclamation.

Voitureavoit une plaisante erreur: il croyoit qu'ayant réussi engalanterie il feroit de même en toute autre choseet qu'àun homme de bon sensquand il étoit nécessairetoutesles connoissances venoient sans être étudiées.Aussi il n'étudioit quasi jamais. Il étoit fortdivertissantquand il n'étoit pas tout-à-faitamoureux; et qu'il ne faisoit que dire des galanteries; mais quand ilétoit bien éprisc'étoit un stupide. Il étoitsi sujet à en conterque j'ai ouï dire àmademoiselle de Chalais quecomme elle étoit auprès demademoiselle de Kervenoet qui la venait voiril en vouloit conterà mademoiselle de Kervenoqui n'avoit que douze ans. Ellel'en empêchamais elle l'en laissa dire tout son soûl àla cadettequi n'en avoit que sept. Après elle lui dit: «Il y a encore une fille là- basdites-lui un mot en passant.»

Ayanttrouvé deux meneurs d'oursdans la rue Saint-Thomasavecleurs bêtes emmuseléesil les fait entrer toutdoucement dans une chambreoù madame de Rambouillet lisoitle dos tourné aux paravents. Ces animaux grimpent sur cesparavents; elle entend du bruitse tourneet voit deux museauxd'ours sur sa tête. N'est- ce pas pour guérir de lafièvresi elle l'eût eue? Il fit bien pis au comte deGuiche par le conseil de madame de Rambouillet; carsous ombre quele comte lui avoit dit un jour que le bruit couroit qu'il étoitmariéet lui demanda s'il étoit vraiil alla une foisle réveiller à deux heures après minuitdisantque c'étoit pour une affaire pressée: « Eh bien!qu'y-a-t-il? dit le comteen se frottant les yeux. -- Monsieurrépond très sérieusement Voiturevous me fîtesl'honneur de me demanderil y a quelque tempssi j'étoismariéje vous viens dire que je le suis. -- Ah! peste !s'écria le comtequelle méchanceté dem'empêcher ainsi de dormir! -- Monsieurreprit Voitureje nepouvois pasà moins que d'être un ingratêtreplus long-temps marié sans vous le venir direaprès labonté que vous aviez eue de vous informer de mes petitesaffaires. »

Madame deRambouillet l'attrapa bien lui-même. Il avoit fait un sonnetdont il étoit assez contentil le donna à madame deRambouilletqui le fit imprimer avec toutes les précautionsde chiffre et d'autre choseet puis le fit coudre adroitement dansun recueil de vers imprimés il y avoit assez longtemps.Voiture trouve ce livreque l'on avoit laissé exprèsouvert à cet endroit-là; il lut plusieurs fois cesonnet; il dit le sien tout baspour voir s'il n'y avoit pointquelque différence; enfin cela le brouilla tellement qu'ilcrut avoir lu ce sonnet autrefoiset qu'au lieu de le produire iln'avoit fait que s'en ressouvenir; on le désabusa enfinquandon en eut assez ri.

Dèsque Voiture fut tombé malademadame Saintotla fidèlemadame Saintoty courut. Il ne la voulut point voir à cequ'on dit. Elle y alla pourtant tous les jours. Elle dit qu'elle levit et qu'elle fit avec lui le compte de quelque argent qu'il avoit àelle. On l'alla consoleret elle disoit: « Voilà ledernier coup que la fortune avoit à tirer contre moi. »

Il y allaune autre femme avec laquelle il avoit vécu fortscandaleusement. C'étoit la fille de Renaudotle gazetierqu'il avoit mise mal avec son mari. Il avoit fait une promenade avecelleil n'y avoit que fort peu de jours. Elle n'étoit pointbellemais il la vouloit faire passer pour un esprit admirable. Pourcelle-la on assure qu'il ne la voulut point voir. Mademoiselle Pauletdisoit qu'il étoit mort comme le grand-seigneur entre les brasde ses sultanes.

L'étédevant sa mortil fit une promenade à Saint-Cloud avec feumadame de Lesdiguières et quelques autres. La nuit les pritdans le bois de Boulogne. Ils n'avoient point de flambeaux. Voilàles dames à faire des contes d'esprits. En cet instant Voitures'avance du carrosse pour regarder si un écuyerqui étoità chevalsuivoitcar la nuit n'étoit pas encorefermée: « Ah! vraimentdit-ilsi vous en voulez voirdes espritsn'en voilà que huit. » On regardeeneffetil paroissoit huit figures noires qui alloient en pointe. Pluson se hâtoitplus ces fantômes se hâtoient aussi.L'écuyer ne voulut jamais en approcher. Cela les suivit jusquedans Paris. Madame de Lesdiguières conte leur frayeur aucoadjuteurdepuis cardinal de Retz. « Dans huit joursluidit-ilj'en saurai la vérité. » Il découvritque c'étoient des Augustins déchaussés quirevenoient de se baigner à Saint-Cloudet quide peur que laporte de la ville ne fût ferméen'avoient point voululaisser éloigner ce carrosseet l'avoient toujours suivi.

Voiture aune bâtarde religieuse; c'est d'elle qu'on a eu son portrait.Pour l'avoir dans sa chambreelle le fit habiller en saint Louisparce que de grands cheveux plats ressemblent assez à ceux dece roiet qu'on lui fait la mine un peu niaisecomme Voiture se lafait dans la lettre à l'inconnue.

Un soirque M. Arnauld avoit mené le petit Bossuet de Dijonaujourd'hui l'abbé Bossuetqui a de la réputation pourla chairepour donner à madame la marquise de Rambouillet ledivertissement de le voir prêchercar il a préchottédès l'âge de douze ansVoiture dit: « Je n'aijamais vu prêcher de si bonne heure ni si tard. »



ARNAULDD'ANDILLY

M.d'Andillyfils d'Antoine Arnaulds'étant rendu habile dansles financesfut premier commis de M. de Schomberg; maiscomme il ade la vanité à revendreil affectoit devant le mondede faire paroître qu'il avoit tout le pouvoir imaginable surl'esprit du surintendant. M. de Schomberg n'y prenoit pas plaisiretdit: « Mon Dieu! cet homme parle beaucoup ! »

Au retourdu voyage de Lyonil revint avec un nommé Baratqui étoità M. de Puisieux; cet hommeplus fin que luilui tira lesvers du nez; l'autregrand parleur comme il étoitdit plusde choses qu'il n'en devoit dire. Barat en tira avantage; et M. deSchombergayant été disgracié quelque tempsaprèson dit que d'Andilly en étoit cause; mais M. deSchombergne l'a jamais cru car il le tint au nombre de sesmeilleurs amiset M. et madame de Liancourt prirent conseil de luien leurs affaires.

Ce M. deSchomberg avoit les mains netteset d'Andilly aussi. Quoiqu'on luidît ques'il vouloit prendre le soin de parler au Roiildissiperoit toutes les cabales qu'on faisoit contre luiil ne s'ensoucia pointet dit: « Je ferai mon devoiret il en arriverace qu'il pourra. » Il avoit succédé au présidentJeanninqui ditquand on le fit surintendant: « De quoi sesont-ils avisés de m'aller charger de leurs finances ? Lemoindre marchand fera cela. » C'étoit encore un homme debien: quand il vit à Tours que la partie étoit faitepour mettre M. de Schomberg en sa placeil dit au Roi: « Sireje suis vieuxje vous prie de me donner M. de Schomberg poursuccesseur. »

Ce M.d'Andilly s'est mêlé de vers et de prosemais il n'aguère de génie; il saitet il a de l'esprit. Il a étédévot toute sa vie. Il épousa une grande femme brunequi n'étoit pas mal faite; on vouloit la faire passer pour unesainte. Cependant on en conte une fort plaisante histoire. On disoitqu'un des Arnauldquelques-uns ont dit le maréchal de campétoit fort bien avec elle. J'ai ouï dire àquelques personnes que c'étoit un cavalier qu'on ne nommepoint. Mais voici ce qu'on saitqui ne peut venir que d'elleetqu'apparemment elle ne sauroit avoir dit qu'à un galant: c'estque cet homme étoit un des plus grands abatteurs de bois qu'onpût trouvermais qu'il faisoit cela d'une façonla plus incommode du monde. Il la poussoit la nuit: « Catau!Catau!»la réveilloit en lui disant: « C'estpour l'acquit de ma conscience. » Puis... avant que d'en venirplus avantil faisoit une prière à Dieu... poursanctifier l'oeuvre de la chairet cela lui prenoit quelquefois sixou sept fois en une nuit.

Madamed'Andilly étoit fille d'un fort honnête homme d'auprèsde Caennommé M. de La Boderie. Il fut secrétaire deM. de Pisani en une ambassade de Romepuis résident je nesais oùet enfin ambassadeur en Angleterre. C'est ce qui fitla connaissance de Ml. d'Andilly et de madame de Rambouillet.

M.d'Andilly perdit sa femme qu'il étoit encore vigoureux;d'ailleursc'est le plus ardent et le plus brusque des humains; jevous laisse à penser s'il n'étoit pas incommodén'ayant plus de femme à éveiller.

Il luiarriva en ce temps-là une assez plaisante chose. La nuitilentend souffler; il se réveilleet met la main sur descheveux; le voilà qui croit aussitôt que le diable levenoit tentercomme si le diable n'avoit que cela à faire. Ildit: « Si tu es de Dieuparle; si tu es du diableva-t en. »Orce diable étoit un laquais quis'étant endormi lesoirs'étoit couché au pied du lit de son maîtreet ayant senti du froid s'étoit venu mettre sous lacouverture.

Je ne saissi c'est pour se consoler de son veuvagemais il alloit voir desfemmes et les baisoit et embrassoit charitablement un gros quartd'heure. Je ne saurois comment appeler cela; maissi c'est dévotionc'est une dévotion qui aime fort les belles personnescar jen'ai point ouï dire qu'il baisât comme cela que celles quisont jolies. Il querella une fois la présidente Perrot de cequ'elle s'étoit retirée après quelques baiserset jura qu'il ne la traiteroit plus ainsisi elle ne prenoit celacomme elle devoit.

Il est sibrusquecomme j'ai ditqu'en parlant à un parloir decarmélites il se fourra un fichon de la grille dans lefront. En parlant il donne des coups de poingaux gens. Madame deRambouilletqui savoit que M. de Grasse devoit dîner avec luiécrivit en riant à ce petit prélat«qu'il se gardât bien de se mettre à côté deM. d'Andillys'il ne vouloit être écrasé. »





ARNAULD(ANTOINE)

LEDOCTEUR

Onl'appeloit le petit oncleparce qu'il étoit plus jeuneque son neveu Le Maistrel'avocat. Celui-cisans douteest le plushabile de ses frèresau moins en fait de littérature.

Voicil'origine de cette sectequ'on appelle les Jansénistesetqui fait aujourd'hui tant de bruit. La marquise de Sablé ditun jour à la princesse de Guémené: «qu'aller au balavoir la gorge découverte et communiersouventne s'accordoient guère bien ensemble »; et laprincesse lui ayant répondu que son directeurle pèreNouetjésuitele trouvoit bonla marquise la pria de luifaire mettre cela par écritaprès lui avoir promis dene le montrer à personne. L'autre lui apporta cet écrit;mais la marquise le montra à Arnauldqui fit sur cela lelivre de la fréquente communion. On accuse messieursArnauld de n'avoir pas été fâchés d'avoirune occasion de faire parler d'eux. Les Jésuites leshaïssoient déjà à cause du plaidoyerd'Antoine Arnauldetsur la matière de la grâceilsles accusèrent d'être huguenotset disoient: «Paulus genuit AugustinumAugustinus CalvinumCalvinus JanseniumJansenius SancyranumSancyranus Arnaldu et fratres ejus. »D'ailleursles Jésuitesà qui il importe de faire unpartiont poussé à la roue tant qu'ils ont pu et sesont prévalus de tout ce qui est arrivécomme de fairecroire à la Reine que la Fronde étoit venue dujansénisme.



LAMARQUISE DE SABLÉ

Lamarquise de Sablé est fille du maréchal de Souvraigouverneur du feu Roi; mais elle ne lui ressemble pascar elle abien de l'esprit. J'ai déjà dit qu'elle avoit étéfort galante. M. de Montmorency dont par vanité elle voulutêtre serviela méprisoit et la faisoit enrager; elledissimuloit tout cela par ambition. Voici ce que j'en ai appris aprèscoup: elle étoit fort jeune quand il la vint voir la premièrefois: c'étoit dans une salle bassedont une des fenêtresétoit ouverte. Au lieu d'entrer par la porteil entra envoltigeant par la fenêtre; cette disposition et un certain airagréable qu'il avoit la charmèrent d'abordet elle sesentit prise. Il y eut plusieurs absences durant le cours de cettegalanterie. Une fois qu'il revenoit de Languedocelle étoit àSabléet elle envoya un gentilhomme au-devant de lui àune demi-journéepour lui témoigner l'impatiencequ'elle avoit de le revoir; il lui avoit promis de passer chez ellequoique ce fût un grand détour. Ce gentilhomme le trouvaet vint rapporter à la marquise qu'il brûloit de larevoir. « Mais encorelui dit-elleque faisoit-il ? --Madamele lieu où il a dîné n'a pas de trop bonscabarets; il a été contraint d'envoyer à deschasseurs du voisinage chercher deux perdrix; il les a faitaccommoder en sa présenceles a vues rôtiret les amangées de grand appétit. » Cela ne parut pas àla marquise une grande marque d'impatience; elle en fut piquée;et quand il arrivaelle ne le voulut pas voir. Or. elle fit une foisce conte-là à madame de Saint-Loupdans le temps queM. de Candale commençoit à s'éprendre de Madamed'Olonne: il alloit souper chez elle assez souvent tête àtête. Le premier soir qu'il y fut ensuitepar hasard il avoitfaimil mangea beaucoup: après il voulut payer son écot;elle boudaet lui conta l'histoire de la marquise. Il ne setourmenta point trop de l'apaiseret la laissa là.

Elledevint fort jalouse de M. de Montmorencyet elle lui reprocha fortd'avoir dansé à un balau Louvreplusieurs fois avecles plus belles de la cour. « Hé! que vouliez-vous queje fisse? -- Que vous ne dansassiez qu'avec les laidesMonsieur»lui dit-elleaveuglée de sa colère. Mais ce fut bienpis lorsqu'il se mit à faire le galant de la Reine. Elle ne lelui put pardonneret elle a avoué qu'elle n'avoit point étéfâchée de sa mort.

Sadernière galanterie fut avec Armentièrespetit-fils dela vicomtesse d'Auchygarçon qui avoit l'esprit vifet quidisoit plaisamment les choses. Il alloit presque tous les soirsdéguisé en femme chez elle. Elle en eut une fille quiest à Port-Royal; mais cette fille vint durant la vie du mariaprès la mort duquel elle la montrasans en avoir rien ditauparavant. Voici; la raison qu'elle en rendoit: « Je nevoulois pasdisoit-elleaprès le grand mépris que jetémoignois avoir pour mon mariqu'on me pût dire que jecouchois encore avec lui. » Ce mari étoit un fort pauvrehomme. La lasse d'être dans un greniers'est mise en religion.

Elle al'honneur d'être une des plus grandes visionnaires du monde surle chapitre de la mort. Quand quelqu'un dit qu'il ne craint point demourir: « Eh bien! s'écrie-t-ellequel mal peut-on doncvous souhaitersi vous n'appréhendez pas le plus grand detous les maux. --Je crains la mort plus que les autresdit-elleparce que personne n'a jamais si bien conçu ce que c'est quele néant. » Cependant elle est dévotecomme j'aidéjà remarquéet fort persuadéeàce qu'elle ditde l'autre vie. Dans cotte appréhensionellesoutient que tous les maux sont contagieuxet dit que le rhume segagne. Souvent j'ai vu mademoiselle de Chalais reléguéedans sa chambre parce qu'elle nasilloitdisoit la marquiseet qu'elle seroit bientôt enrhumée. Plusieurs personnesl'ont pense faire mourir de frayeur en disantsans y songerqueleur soeurque leur frèreque leur tante avoient quelquerougeoleou même la fièvre continue. Comme Mademoiselleavoit la petite-vérolefeu M. de Nemours alla voir lamarquise. Elle lui demandadès qu'elle le vits'il n'avoitpas été assez imprudent pour passer chez Mademoiselle.« Ouidit-il. -- Je m'en vais gagerajouta- t- elleque vousavez monté en haut. -- Je voulois parler à quelqu'unrépond-ilmais une de ses femmes est venue au- devant de moi.» Il disoit tout cela par malice. Voilà la marquise quifait un grand cri et le chasse. Madame de Longueville vint un peuaprèsqui trouva la chambre toute pleine de fuméecaron y avoit brûlé de tout ce qui peut chasser le mauvaisair. Après lui en avoir fait des excuseselle disoit àtout bout de champ: « Pour celaMadamece M. de Nemours estle plus étrange homme du monde; mais qui a jamais rien vu depareil ? »

Quand illa faut saignerelle fait d'abord conduire le chirurgien dans lelieu de la maison le plus éloigné de celui oùelle couche. Là on lui donne un bonnet et une robe de chambreet s'il a un garçonon fait quitter à ce garçonson pourpointet tout celade peur qu'ils ne lui apportent dumauvais air. Une fois qu'elle étoit chez la maréchalede Guébriantau faubourg Saint-Germainelle disoit: «Ah! que je suis empêchée ! par où m'enretournerai- je? J'ai vu sur le Pont-Neuf un petit garçon quia eu depuis peu la petite-vérole; il demande l'aumône;en le chassantmes gens pourroient gagner ce malet il y a quelquechose au Pont-Rouge qui craque. » Enfinquoiqu'elle logeâtau faubourg Saint-Honoréelle alla passer par-dessus le pontNotre-Dame. Dans cette visiteelle dit de mademoiselle de Guébriant:« Cette fille a de beaux endroits à l'espritmaisquelquefois cet esprit fait des chutes si effroyables qu'il est endanger de se rompre le cou. »

Dans untemps qu'on parloit un peu de peste à Pariselle crut avoirbesoin de faire une consultation. Elle fit venir trois médecinsauxquels on donna à chacun une robe de chambreau lieu deleur manteau; puis on les fit asseoir près de la porte d'unegrande salleau bout de laquelle étoit la marquise sur unlit; et mademoiselle de Chalais alloit leur faire la relation du malde madameet rapportoit à madame leur sentimentsans quejamais elle leur permît d'approcher d'un pas.

Une foiselle voulut faire faire son horoscope; elle dit six ans moins qu'ellen'avoit. Mademoiselle de Chalais lui dit: « Madameon nesauroit faire ce que vous voulez si vous ne dites votre âge aujuste. -- Il se moqueil se moquece monsieur l'astrologuerépondit-elle; s'il n'est pas content de celadonnez-luiencore six mois. »

Avant quede loger dans une maisonelle fait enquête s'il n'y est mortpersonneet on dit qu'elle ne voulut pas en louer une parce qu'unmaçon s'étoit tué en la bâtissant.

Elle sefait celer fort souvent sans nécessitéet quelquefoisses éclipses durent si longtemps que l'abbé de LaVictoirelas d'aller tant de fois inutilement à sa portes'avisa de dire un jour en parlant d'elle: « Feu madamela marquise de Sablé» et ajouta qu'il falloit fairetendre sa porte de deuil. Cela fut rapporté à lamarquisecar il l'avoit dit en plus d'un lieu: ce discours lui donnade l'horreur. Elle eut peur d'être morteet en fut long-tempsbrouillée avec lui. Elle est toujours sur son litfaite commequatre oeufset le lit est propre comme la dame.

Durant leblocus de Paris (en 1649)elle se sauva à Maisonscar leprésident de Maisons étoit alors son bon ami. Latoutde même qu'à Paristoujours vautrée sur un litelle ne s'en levoit que pour jouer au volantafin de faire un peud'exercice. Il fit les plus beaux froids du mondemais jamais on neput la faire sortir autrement qu'en chaise; encore ne sepromenoit-elle qu'au soleil et à l'abriquoiqu'elle eûtune chaise qui fermoit comme une boîte. Qu'on ne croie pas quece soit quelque santé délicate comme celle de madame deRambouillet; c'est une grosse dondon qui n'a que le mal qu'elles'imagine avoir.

En 1663le jour que la comtesse de Maure mourutla marquise de Sablésa voisine et sa bonne amiemais non pas au point de l'assister àla mortcar il n'y a personne au monde à qui elle pûtrendre ce devoirenvoya Chalais pour en savoir des nouvelles: «Maislui dit-ellegardez-vous bien de me dire qu'elle est passée.» Chalais y va comme elle expiroit. Au retour: « Eh bien!Chalaisest-elle aussi mal qu'on peut être? Ne mange-t-elleplus ? (La marquise est fort friande.) -- NonréponditChalais. -- Ne parle- t-elle plus? --Encore moins. -- N'entend-elleplus ? -- Point du tout. --Elle est donc morte ? -- MadameréponditChalaisau moinsc'est vous qu'il l'avez ditce n'est pas moi. »

A causeque le sommeil est l'image de la mortelle ne vouloit pas dormirprofondément; elle se faisoit veiller par un médecin etdes filles tour à tour. Ces gens faisoient de temps en tempsquelque petit bruitet tenoient une bougie allumée en lieu ouelle la pût voir en ouvrant les yeux. Pour cela elle avoittoujours ses rideaux levés. Menjotmédecinson amil'a défaite de cela; mais ce n'est que depuis la Saint- Jean1665.



GOMBAULD

Gombauldest de Saint-Justauprès de Brouaged'honnêtenaissancemais cadet d'un quatrième mariageet parconséquent avec peu ou point de bien. Le père vivoit deses renteset il en vivoit si bien qu'il les mangeoit. Il ne faisoitque chasser et faire bonne chèreet enfin il s'acheva deruiner en procès. D'ailleurs ce garçon fut maltraitépar ses cohéritierset faute d'avoir de quoi poursuivreiln'en eut jamais aucune raison.

Son pèrequoique de la religioneut la faiblessese voyant chargéd'enfantsde consentir que celui-ci fût instruit dans lareligion catholiqueà Bordeauxafin de le faire d'église.Il m'a ditcar il est huguenot à brûlerquenaturellement il avoit de l'aversion pour la religion catholiqueetque dès seize ans il cessa de lui-même d'aller àla messe et revint à noussans pourtant faire d'abjuration nide connoissancecar il ne prétendoit pas nous avoir quittéset choisissoit plutôt une religion qu'il n'en changeoit.

Il vint àParis qu'il étoit encore fort jeune; il fit d'abordconnoissance avec le marquis d'Uxelles le rousseau. Cet homme avoitassez d'habitudeset ne pouvoit bien faire les lettres dont il avoitbesoin; et dans les desseins de mariage ou de galanterie qu'ilpouvoit avoiril se servoit de Gombauld pour celaet luientretenoit un cheval et un laquais.

Gombauldfit assez de vers pour Henri IVqu'il n'a jamais montrés. Ildit que le Roi lui donnoit pension. La Reine- mère étantrégenteelle le regarda fortà ce qu'il ditau sacredu feu Roioù il étoit allé avec son rousseau.Mademoiselle Catherinefemme de chambre de la Reineeut ordre desavoir de M. d'Uxelles qui il étoit. Catherine prit un autrerousseau pour M. d'Uxelleset alla dire à la Reine: «Il dit qu'il ne le connoit point. Cela se peutrépondit laReinevous avez pris un rousseau pour l'autre. » Enfin elle enparla elle-même à M. d'Uxelleset voulut voir desouvrages de notre homme.

A quelquetemps de làUxelles avertit Gombauld qu'on alloit fairel'état de la maison du Roiet que c'étoit la Reineelle-même qui le faisoit. Si cela estdit Gombauld« jene m'en veux point inquiéteril en arrivera ce qu'il plaira àDieu. » Il y fut mis pour douze cents écus. Uxelles lelui vint direet ajouta ces mots: « Vous aviez raison de nepas vous tourmenterla Reine a assez de soin de vous; je voudroisêtre aussi bien avec elle. » La Reine le cherchoitpartout des yeux. La princesse de Conti lui dit qu'il étoitvrai que la Reine avoit de l'affection pour lui.

Un jour ilentra dans sa chambreelle étoit couchée sur son litla jupe relevée; on lui pouvoit voir les cuisses; car le litn'étoit que de lacis. « Ah! dit-elleoùallez-vous ? » Persuadé d'être bien dans l'espritde la Reineil ne se hasarda jamais de faire quelque démonstrationd'être son adorateur.

Il nied'en avoir jamais été amoureux; mais bien d'une autrepersonne de grande qualité qu'il appelle aussi Phillisdans ses poésies; l'une est la grande et l'autre la petite. Ilaccuse mademoiselle Catherine du peu d'avancement qu'il a eu; car ilest persuadée que la Reine en tenoitet que Catherine luiavoit avoué que la Reine ne l'avoit jamais vu sans émotionparce qu'il ressembloit à un homme qu'elle avoit aimé àFlorence. Catherine étoit une brutale; cependant ellegouvernoit les amours de la Reine.

Il fitl'Endymion durant qu'il étoit le mieux. Ce livre fit unfurieux bruit. On disoit que la Lune c'étoit laReine-mèreavec un croissant sur la tête. On disoit quecette Irisqui apparoît à Endymion au bout d'un boisc'étoit mademoiselle Catherine. La Reine témoigna de levouloir entendre lirecar il avoit beaucoup de réputationeteffectivement c'est un beau songe. Pour luiil y entend centmystères que les autres ne comprennent pascar il dit quec'est une image de la vie de la couret que qui le lira avec cetesprit y trouvera beaucoup plus de satisfaction. Il en avoit tantfait de lectures avant que de le faire imprimer que M. de Candalequand ce livre fut mis en lumièredit que la deuxièmeédition ne valoit pas la première; car il lit bien etfait bien valoir ce qu'il lit (1).

[(1) Illut deux jours de suite l'Endymion à une compagnie oùil y avoit une femme quiaprès que cela fut faitlui dit:«MaisMonsieurje ne vois point là cette madame Yonde qui on m'avoit parlé.» (T.)]

Dèsque Gombauld crut que la Reine lui vouloit faire cet honneuril allatrouver madame de Rambouilletqui a toujours été deses amieset la pria de lui vouloir dire son avis sur la manièredont il s'y devoit prendre: « Madameluit dit-ilprenez quevous soyez la Reineet j'entrerai avec mon livre. » En disantcelail va dans l'antichambre; madame de Rambouillet se mordoit leslèvres de peur de rire. Il rentre un peu après avec desgrimaces les plus plaisantes du mondeet à tout bout de champil lui demandoit: « Cela sera-t-il bien ainsi? -- OuiMonsieurfort bien. » Il s'approche et commence à lire.« Madametrouvez-vous ce ton-la comme il faut ? N'est-il pointtrop haut? Est-il assez respectueux ? » Et lui demandoit commecela sur toutes choses. Elle dit qu'elle n'a jamais mieux passéson temps en sa vie; mais quepour avoir un plaisir parfaitil eûtfallu que quelqu'un les eût vuset qu'elle l'eût su.Cependant je ne sais pas par quelle aventure tout ce soin futinutilecar il dit qu'il n'a jamais lu Endymion à laReine-mère.

Je ne saissi madame de La Moussayesoeur du feu comte de La Suzeet mèrede La Moussayele petit-maîtreétoit cette petitePhillis; mais on croit qu'il a eu de grandes privautésavec ellecar il a toujours affecté d'en vouloir à desdames de qualitéet me faisoit excuse une fois de ce quedans ses poésiesil y avoit des vers pour une paysanne. «Maisdisoit-ilc'étoit la fille d'un riche fermier deXaintongeet elle avoit plus de dix mille écus en mariage. »

Cettepension de douze cents écusdont il a été parléci- dessusne lui fut pas toujours continuée; dès letemps de la Reine-mère mêmeon lui en retrancha quelquechosenonobstant la ressemblance avec cet amant florentin. Aprèsl'éloignement de la Reineil lui dédia l'Amarantheet la lui envoya. «Ah!dit-elleje savois bien que celui-làne m'oublieroit pas. »

Il croittoujours qu'il a mille ennemis qu'il n'a point. Il m'a dit quederage de ce que l'Endymion réussissoitun homme l'avoitjeté dans le feu. Son caractère est l'obscuritéet cependant il croit être l'homme du monde le plus clair. Ilfut si têtu qu'il ne voulut jamais ôter du commencementde ses poésies un sonnet que l'on n'entend paset qui n'a passervi au débit de son livre; il l'entendoit lui. « Etpuisdisoit- ilje l'ai fait pour être à la tête.» Il y avoit je ne sais quoicomme une espèced'avant-proposqu'il vouloit que M. d'Enghien prît pour unelettre dédicatoirequoiqu'il ne le nommât pointet quecela ne lui fût point adressé.

Ses verspour l'ordinairene vont point au coeur; ils ne sont point naturels;puis il y a grand nombre de sonnetset pour bien rimer il tiresouvent les choses par les cheveux. Ses vers de ballets et sesépigrammes valent mieux; mais ce qu'il a fait de meilleur envers et en prosece sont ses ouvrages chrétiens. Il n y a nisel ni sauge à ses lettres impriméesqu'il croit êtreautant de chefs-d'oeuvre. C'est le plus cérémonieux etle plus mystérieux des hommes. Il a découvertdit-ille secret de faire des sonnets facilementet s'il l'eût suplus tôtil en eût autant fait que Pétrarque. Iln'a garde de le dire ce secretcar je crois qu'il n'en a point;quand il lui est arrivé de faire un sonnet en commençantpar la finil dit que c'est ainsi qu'il faut faire; quandaucontraireil n'a fait la fin qu'après tout le resteilsoutient qu'il ne faut jamais commencer par la conclusion. Il saitaussi un secret pour jeter son homme à bas à la lutte;il en sait un autre pour lui faire sauter le poignard des mains; maisil ne le vous dira pas.

Il a cruque M. Arnaudle maréchal de camplui a toujours voulu unpeu de mal depuis qu'aux champs il lui donna une botte en faisant desarmes. Il s'est battudit-ilquatre fois en duel; il disoit mêmequ'il s'étoit battu deux fois en une heureetparlant decela avec plaisiril s'en vantoit. S'étant trouvé àla campagneen lieu où l'on couroit la bagueil gagna leprix sans l'avoir jamais courue. Il a bien danséà cequ'il dit; pour moije ne lui trouve rien de naturel; et madame deRambouillet dit que quoiqu'il chante de sa vieille courles gensn'étoient point faits comme luiet qu'il a toujours étéunique en son espèce; j'entends aux habits près.

Il sepiquoit de bien danser et de bien faire des armes et souvent il luiest arrivé de pantalonneret de se mettre en gardedevant ses plus familiers. Une fois même il se battit dans sarue: C'étoit contre un homme qui l'avoit querellé surun logement qu'ils prétendoient tous deux; il lui dit: «Passez à telle heure devant ma porteje sortirai avec uneépée. » Il fit lâcher le pied àl'autreet il disoit en racontant cela que ses voisins disoient: «Quoi! cet homme qui choisit les pavésqui marche siproprement! » Il poussoit l'autre dans les boues et ne sesoucioit pas de se crotter. Ils furent séparés.

Il ditqu'il auroit inventé la musique de lui-mêmesi ellen'avoit été inventée. En effetil a appris àjouer de la mandore et en jouoit admirablement bienà cequ'on m'a dit; mais comme cet instrument n'est plus guère enusageil l'a laissé là; auparavant même ilfalloit bien des cérémonies pour le faire jouer.

Madame deRambouillet l'appeloit le beau Ténébreux. J'aidit qu'il étoit cérémonieux. Madame deRambouillet se repentit bien de l'avoir mené en une promenadeà Lisyà Monceaux et ailleurs; car il falloit livrerbataille toutes les fois qu'on se mettoit à table ou qu'onmontoit en carrosse.

En effetil est très incommode sur ce chapitre-làet croitavoir dit une belle chose quand il a répondu à ceux quilui disent qu'il est trop cérémonieux: « Ce n'estpas que je le sois tropmais c'est qu'on l'est trop peu àprésent. »

A tableil seroit plutôt tout un jour à frotter sa cuiller quede toucher le premier au potage. Je sais toutes ses façonscar je l'ai mené et le mène encore quand je puis àCharenton. Il ne vouloit point se mettre dans le fondparcedisoit-ilque les gueux le prendroient pour le maître ducarrosse. Il a une chose bonne dans sa cérémoniec'estqu'il ne se fait jamais attendre; mais il est si peu comme les autresgenset il vous embarrasse tellement par la peur de vousembarrasserqu'il faut avoir de la charité de reste pour s'encharger.

Il estpropre jusqu'à marcher proprement; il veut choisir les paveset aller seul. Madame de Rambouillet dit qu'il n'y a rien de plusplaisant que de voir son embarras quand quelque dame le salue par laville. Il veut la reconnoître; il veut faire la révérencede bonne grâceet en même temps il veut prendre garde àses pieds; tout cela ensemble lui fait faire une posture assezplaisante. Il s'est mis dans la tête certaines choses qui neservent qu'à le tourmentercomme par exemple il dit qu'ilconnoît les moeurs et la qualité des personnes àvoir leurs portraitsparcedit-ilque dans leurs portraits leurstraits se voient bien mieux qu'à voir la personnequi peutsouvent changer de posture. Il dit plusieurs exemples de cesjugements.

Novissimè(1658)après la maladie du Roiil fit un sonnet qu'il nevoulut jamais donnerquoiqu'il fût beauà quelquechose prèsdisant qu'il ne vouloit pas que la premièrechose que le Roi verroit de lui ne fût pas achevéecomme si le Roi s'y connoissoitou ceux qui l'approchent.

Pellissonqui le fait subsister par le moyen du surintendant Fouquetàqui il estne put obtenir ce sonnet; on eut beau l'en presser.Cependant il en a fait imprimer cent qui valent moins. Je ne l'aijamais vu si poètepour ne rien dire de pisqu'en cetterencontre. Il pesta contre tout le mondeet contre Pellisson mêmeou peu s'en fallut. J'y découvris de l'envie: « On paiesi maldisoit-ildes vers immortels! un sonnet immortel que je fispour M. Servienque m'a-t-il valu? » Etpour toute raisonquand je le pressois de donner de temps en temps quelque chose qui nefût pas imprimé à Pellissonpour entretenir lesurintendant en belle humeur pour luiil me répondoit que cemême esprit qui lui faisoit faire ces sonnets immortelsl'empêchoit de faire ce que je lui conseillois. Il veut qu'onle reprennepuis il en enrageet dit qu'il y des gens quiélèvent témérairement des nuages dedifficultés.

UneItaliennenommée Foscariniqui sert madame de Rambouilletvoyant un jour les grimaces de cet hommedit quand il fut parti: «Signoraè matto quel huomo ? -- Comment matto! --c'est un des plus sages hommes du monde. -- Pensava che fossematto_répondit-elle.

J'ai déjàdit que c'étoit un huguenot à brûler. Il a écritplusieurs petites pièces de controverseet croits'il osoitles imprimerque cela persuaderoit tout le monde. Un jour il ditàpropos d'ouvrages chrétiensà un de mes beaux-frèresqu'il avoit fait une fois des prières assez belles pour croirequ'elles lui avoient été inspiréeset qu'eneffet il n'avoit jamais rien fait qui en approchât. « Unenuitdisoit-il que je n'avois point dormij'entendissur le pointdu jour un grand bruit dans ma cheminée; c'étoit l'étéil n'y avoit point de feu; je me lèvej'y trouve une fortgrosse et fort belle plume de pigeon: je la taillaiet j'en écrivisces prières. » Il vouloit qu'on crût que leSaint-Esprit y avoit part. Aprèsil s'avisa que c'étoitune extravaganceet pria ce garçon de n'en rien dire. Ilajouta que ce qu'il avoit écrit un jour sur Notre Pèreavec cette même plume tomba dans le feucomme si ses mainseussent été de beurreet que ces papiers seconsumèrent tous en un instant. A propos de religionil estsi emporté sur celaqu'il trouve que madame de Rambouillet atort d'être si bonne catholique. Un jour qu'il étoitavec elleil s'enfuit en voyant arriver de jeunes femmes qu'ilconnoissoit fortdisant qu'il faisoit peur à la jeunesse ».D'autres foisil leur contera fleurettes.

Logéavec les Beaubrunpeintresqui ont deux femmes assez raisonnablesils lui voulurent donner à souper. Il ne voulut point y allerque le repas ne fût commencéet leur fit bonne chère.

Il délogeade chez un chirurgienauprès des Beaubrunà cause desa servante. C'est une fille fière comme une princesseet quia quelque chose de démontéou je suis le plus trompédu monde. Elle n'est pas trop mal faite. Je ne sais ce qu'il y amais le bonhomme a dit à madame de Rambouillet qu'ilconnoissoit une pauvre fille pour qui trois hommes étoientmorts d'amour: il y a apparence que c'est celle-là. Elle causefortet c'est quelque divertissement pour lui. Orcette fille a latête près du bonnet; elle dit quelque chose de traversau chirurgien; le bonhomme entendit du bruitdescendit; il trouvaque son hôte avoit donne quelque horion à cette fille;cela le mit en colèreil le frappa. Le chirurgien fut assezsage pour ne pas riposter. C'est pour cela qu'il délogea.

Bien desgens tâchèrent de le désabuser de cette fillequi le pilloit; mais on n'en put venir à bout; elle étoitmaîtresse absolue et excluoit qui il lui plaisoit. Une foiselle chassa La Mothe Le Vayerle prenant pour un ministre. Ellesurprit une lettre dé Conrartoù il la déchiroit;elle la gardaet dit qu'il étoit bien obligé àsa gouttecar sans cela elle lui feroit donner le fouet par la maindu bourreau. On ne savoit même si ce bonhomme ne l'avoit pointépousée. Enfinil mourut après avoir étélong-temps incommodé d'une chute qu'il fit dans sa chambre. Ila confessé en mourant qu'il avoit quatre-vingt-seize ans. Onlui avoit fait donner quelque subvention de bel esprit par M. deColbert.

MadameMarie se garda bien de faire venir des prêtrescar il luieût coûté à le faire enterreret elleétoit légataire universelle. Dans notre religionil necoûte quasi rien à mourir; ce fut la raison pourquoi lelieutenant-criminel Tardieu laissa mourir sa belle- mèrehuguenote.

Ménagedemanda un jour à cette fille si effectivement elle étaitmariée avec M. de Gombauld. « Moirépondit-elleMonsieur! Hé ! que voudriez-vous que je fisse de cet homme-là? J'ai plus de bien que lui. » Elle avoit raison; car elle luiavoit pris tout ce qu'il avoit.

Pellissonétant entré chez M.. Fouqueteut soin de lui fairepayer quatre cents écus tous les anset lui fit donner centlouis d'or pour avoir dédié les Danaïdes ausurintendant; mais depuis la détention de M. Fouquetil tombadans une grande pauvreté.



CHAPELAIN

Chapelainest fils d'un notaire de Paris; il fut précepteur- gouverneurde MM. de la Troussefils du grand-prévôt. Boutard ditqu'il portoit une épée pour faire le gouverneuretmême depuisquoiqu'il ne fût plus chez ces messieursilne laissoit pas de la porter. Ses parentsne sachant comment la luifaire quitterprièrent Boutard de lui en parler; maisaulieu de celail s'avisa d'une bonne invention: il fit que quelqu'unqui feignoit d'avoir été appelé en duelpritChapelain pour son secondquidès ce moment- làpendit son épée au croc.

Il futintroduit à l'hôtel de Rambouillet vers le siègede La Rochelle (1627). Madame de Rambouillet m'a dit qu'il avoit unhabit comme on en portoit il y avoit dix ans; il étoit desatin colombindoublé de panne verteet passementé depetits passements colombin et vertà oeil de perdrix. Ilavoit toujours les plus ridicules bottes du monde et les plusridicules bas à bottes. Il y avoit du réseau au lieu dedentelle. Depuisil ne laissa d'être aussi mal bâti enhabit noir: je pense qu'il n'a jamais rien eu de neuf. Le marquis dePisanien je ne sais quels vers qu'on a perdusdisoit:

J'avoisdes bas de Vaugelas

Et des bottes de Chapelain.


Quelquevieille que soit sa perruque et son chapeauil en a pourtant encoreune plus vieille pour la chambreet un chapeau encore plus vieux. Jelui ai vu du crêpe à la mort de sa mèrequiàforce d'être portéétoit devenu feuille-morte.On lui a vu un justaucorps de taffetas noir moucheté; je penseque c'étoit d'un vieux cotillon de sa soeuravec qui ildemeure. On meurt de froid dans sa chambre: il ne fait quasi point defeu.

FeuLuillier disoit de lui qu'il étoit vêtu comme unmaquereauet La Mothe Le Vayer comme un opérateur; laid devisagepetit avec celaet crachotant toujours. Je ne comprends pascomment ce diseur de véritéscet homme qui rompt envisièreM. de Montausieren un motn'a jamais eu le couragede lui reprocher sa mesquinerie. Souvent je lui ai vu àl'hôtel de Rambouillet des mouchoirs si noirs que cela faisoitmal au coeur. Je n'ai jamais tant ri sous cape que de le voir cajolerPelloquinune belle fille qui étoit à madame deMontausieret qui avoit bien la mine de se moquer de luicar ilavoit un manteau si usé qu'on en voyoit la corde de cent pas;par malheur encore c'étoit à une fenêtre oùle soleil donnoitet elle voyoit la corde grosse comme les doigts.

Chapelaina toujours eu la poésie en têtequoiqu'il n'y soitpoint né; il n'est guère plus né à laproseet il y a de la dureté et de la prolixité àtout ce qu'il fait. Cependant à force de retâteril afait deux ou trois pièces fort raisonnables: le Récitde la Lionnela plus grande partie de Zirphéeetla principaleI'Ode au cardinal de Richelieuque je devoismettre la première. MM. Arnauld (car il cajoloit jusques audocteurqui étoit alors au collège) et quelques autresde ses amis lui firent faire tant de changements à cettepiècequ'elle parvint à l'état où on lavoitet sans difficulté c'est une des plus belles de notrelangue. J'y trouve pourtant trop de raisontrop de sagessesi j'oseainsi dire: cela ne sent pas assez la fureur poétiqueetpeut-être est elle trop longue.

Il esttemps de venir à la Pucelle. Je ne m'amuserai point àcritiquer ce livre; je trouve qu'on lui fait honneuret LaMesnardière en cela a rendu à M. Chapelain le plusgrand service qu'il lui pouvoit rendre. Pour moije suis épouvantéd'un si grand parturient montes . Après cela prenez lesItaliens pour maîtres; allez-vous instruire chez ces messieurs.Patru a raison. qui dit que M. Chapelain n'est sage qu'àl'italiennec'est-à- dire que la morgue et le flegme fonttoute sa sagesse. Il sait assez bien notre langueje veux dire ilopine bien sur notre langue; mais il y a bien de la superficie àtout le reste: cependant M. de Longuevilledont il avoit tiréquarante-six mille livresa augmenté sa pension de millefrancs. Cette fois-laMartial a bien menti:

SintMoecenatesnon deeruntFlacceMarones.

D'abord lacuriosité fit bien vendre le livre. La grande réputationde l'auteur y fit courir bien du monde; mais ce ne fut qu'un feu depailleet je ne saiss'il n'espéroit encore quelqueaugmentation de pensions'il penseroit à l'achevercar il aappelé de son siècle à la postérité:mais je me trompe fort si la postérité a fort lesoreilles rompues de cet ouvrage.

Aprèsle succès de sa première odeil crut qu'il n'avoit quefaire du conseil de personne: il est retourné à sadureté naturelle; et pour l'économiehélas !peut-on avoir rêvé trente ans pour ne faire que rimerune histoire ? Car tout l'art de cet homme c'est de suivre legazetier. Comme le livre étoit cheron le vendoit quinzelivres en petit papier et vingt- cinq livres en grand (car lesauteurs aimoient fort le grand volume depuis quelque temps)ils'avisa d'une belle invention: il associa deux personnes pour ne leurdonner qu'un exemplaire au lieu de deuxcomme à madamed'Avaugour et à mademoiselle de Vertussa belle-soeurquiquoiqu'elles fussent alors à Paris ensemblesont pourtantpour l'ordinaire fort éloignées l'une de l'autrecarla première demeure en Bretagneet l'autre ici; comme àM. Patru et à moi qui sommes logés à une lieuel'un de l'autreM. Pellisson et à La Bastideun de ses amisqui est secrétaire de Bordeauxambassadeur en Angleterre. Ilen a donné même à quelques-unsàcondition de laisser lire à tel et à tel; mais àceux qu'il craignoità des pestesil leur en a donnéun tout entiercomme à Scarronà Boileau (Gilles)à Furetières et autres. Voici encore une sordideavarice et ensemble une vanité ridicule. Il a dit qu'il luicoûtoit quatre mille livres pour les figuresquiparparenthèsene valent rien; cependant il est constant qu'outrecent exemplaires que Courbé lui a fournisdont il y en aplusieurs quià cause du grand papier et de la reliurereviennent à dix écus et davantageet cinquante qu'illui a fallu donner et qu'il n'a point payésil est constantque le libraire lui a donné deux mille livreset depuis millelivresquandpour empêcher la vente de l'édition deHollandeil en fallut faire ici une en petitparce que dans letraité il y a deux mille livres pour la premièreédition et mille livres pour la seconde.

Lesobservations du sieur du Rivage fâchèrent fort lacabaleet M. de Montausieren parlant à La Mesnardièrequi s étoit déguisé sous ce nom-làditaprès avoir bien parlé coutre cet écritquecelui qui l'a fait mériteroit des coups de bâton; et ilvouloit qu'on bernât Linière au bout du Cours. C'est unpetit fou qui a de l'espritet quije ne sais par quelle chaleur defoiea fait des épîtres et des épigrammes contreM. Chapelainet devant et après l'impression de la Pucelle.Il y a une épigramme fort jolie qu'on lui a raccommodée;la voici:

La Franceattend de Chapelaince rare et fameux écrivain

Unemerveilleuse Pucelle:

la cabale en dit force bien ;

Depuis vingt ans on parle d'elle:

Dans six mois oun'en dira rien.


C'est pourfaire voir que beaucoup de gens en étoient désabusésavant qu'on l'imprimâtcar il en avoit lu les quatre premierslivrescà et làen mille lieux. On dit que messieursde Port-Royal ont été les seuls à qui il acommuniqué son ouvrage; mais ou il ne les a pas crusou ilsne s'y connoissoient guère. Il l'a montré aussi àMénagecar il le craint comme le feuet ne manque pas unefois d'aller à son académienon plus que de visiterbien soigneusement le petit Boileau.

Pourrevenir à La Mesnardièrec'est une espèce defou qui n'est pas ignorant; mais c'est un des plus méchantsauteurs que j'aie vus de ma vie. Il s'avisadans son livre de versde mettre en lettres italiques certains mots par-cipar-là;personne ne put deviner pourquoicarpar exempledans un vers il yaura le mot d'amour en ce caractère. Je lui en demandaila raison: « C'est un mauvais conseilme dit-ilquequelques-uns de mes amis m'ont donné de marquer ainsi ce queje croyois de plus fort dans mes vers. » Saint-Amantàqui je dis celame dit: « Je pensois qu'il eût voulumarquer le plus faible. »



CONRART

Conrartest fils d'un homme qui étoit d'une honnête famille deValencienneset qui avoit du bien; il s'étoit assez bienallié à Paris. Cet homme ne vouloit point que son filsétudiâtet est cause que Conrart ne sait point delatin. C'étoit un bourgeois austère qui ne permettoitpas à son fils de porter des jarretières ni des rosesde soulierset qui lui faisoit couper les cheveux au-dessus del'oreille; il avoit des jarretières et des roses qu'il mettoitet ôtoit au coin de la rue. Une fois qu'il s'ajustoit ainsiilrencontre son père tête pour tête; il y eut biendu bruit au logis: son père mortil voulut récompenserle temps perdu.

Son cousinGodeau lui donnoit quelque envie de s'appliquer aux belles-lettres;mais il n'osa jamais entreprendre le latin; il apprit de l'italien etquelque peu d'espagnol. Se sentant foible de reins pour faire parlerde luiil se mit à prêter de l'argent aux beaux-espritset à être leur commissionnaire: même ilse chargeoit de toutes les affaires des gens de réputation dela province: cela a été à un tel point quepourfaire parler de lui en Suèdeil prêta six mille livresau comte Tottqui étoit ici sans un sou; ce fut en 1662. Jene sais s'il en a été payé. Ménageconnoissoit ce cavalier et avoit emprunté ces deux mille écusd'un auditeur des comptesson beau-frère; mais quand chez lenotaire celui- ci vit que c'étoit pour un Suédoisilremporta son argentet dit que Ménage étoit fou.Conrart le sutet les lui prêta.

Lafantaisie d'être bel-esprit et la passion des livres le prirentà la fois. Il en a fait un assez grand amaset je pense quec'est la seule bibliothèque du monde où il n'y ait pasun livre grecni même un livre latin. L'effort qu'il faisoitla peine qu'il se donnoitet la contention d'esprit avec laquelle iltravailloitlui envoyant tous les esprits à la têteillui vint une grande quantité de bourgeons; pour celacarc'étoit une vilaine choseil se rafraîchit tellementque ses nerfs débilités (outre qu'il est de race degoutteux) furent bien plus susceptibles de cette incommoditéqu'ils n'eussent été. Il fut affligé de lagoutte de bonne heureet de bien d'autres mauxsans en êtremoins enluminé pour cela; en sorte que c'est un des hommes dumonde qui souffre le plus. Son ambition a fait une partie de son mal;car il a cabalé la réputation de toute sa forceet ila voulu faire par imitationou plutôt par singerietout ceque les autres faisoient par génie. A-t-on fait des rondeauxet des énigmes ? il en a fait; a-t-on fait des paraphrases ?en voilà aussitôt de sa façon; du burlesquedesmadrigauxdes satires mêmequoiqu'il n'y ait chose au monde àlaquelle il faille tant être né. Son caractèrec'est d'écrire des lettres couramment; pour cela il s'enacquittera bienencore y aura-t-il quelque chose de forcé:mais s'il faut quelque chose de soutenu ou galantil n'y a personneau logis. On le verra s'il imprimecar il garde copie de tout cequ'il fait; il ne sait rien et n'a que la routine.

Mallevilledisoit qu'il lui sembloit que Conrart allât criant par lesrues: « A ma belle amitié! qui en veutqui en veut dema belle amitié? » A propos de celail demanda àplusieurs de ses amis des devises sur l'amitiéqu'il fitenluminer sur du vélin. Madame de Rambouillet lui en donna unedont le corps étoit une vestaledans le temple de Vestaquiattisoit le feu sacréet le mot étoit fovebo.Elle le fit en françoiset M. de Rambouillet le tourna enlatin.

Conrarttrouvoit sa belle-soeur de Barré fort jolie; ailleurs ellen'eût pas laissé de l'êtremais dans cettefamille disgraciée c'étoit un vrai soleil. Il lavouloit traiter de haut en bas. Il vouloit qu'elle fût sous saféruleen être le patron et la mener partout oùil lui plairoit. Cette femmequi est plus fine que luile laissoitdireet en a fait après à sa modemais doucementtoutefoiscar elle a affaire à une des plus sottes famillesdu monde. Un jour qu'elle étoit allée par complaisancepromener avec lui et Saphoet autres beaux- esprits du Samedielledit par hasard: « J'ai été norrie. - - Ilne faut pas dire cela lui dit-il d un ton magistralil faut direnourrie. » Cela l'effaroucha un peuet comme ellen'avoit déjà aucune inclination à faire lebel-espritelle ne voulut pas se promener davantage avec toutes ceshéroïnes. Quoique cela ne plut guère àConrartil ne laissa pas de continuer à tâcher de serendre maître de cet esprit. Une foisil lui prit fantaisied'avoir le portrait de sa belle-soeurcar il affecte d'avoir lesportraits de ses amies. Un beau matin il envoie sa femmequi vintdire à madame de Barré « que M. Conrarte(elle prononce ainsi à la mode de Valenciennesd'oùelle est) n'avoit pu dormir de toute la nuittant il avoitd'impatience d'avoir son portrait. » Il fallut donc vite lui enfaire faire un par le peintre qu'il nommapar le plus cheret il lalaissa fort bien payer. Il exerce encore quelque sorte de tyranniesur ellecar il faut qu'elle aille le voir régulièrementet elle veut bien avoir cette complaisance pour son mari; mais en sonâme elle se moque terriblement de M. le secrétaire del'Académie. Regardez un peu quelle figure de galant! j'ai vuqu'il se faisoit les ongles en pointeset au même tempsils'arrachoit les poils du nez devant tout le monde: il y prétendpourtant; il est vrai qu'au prix de Chapelain il pourroit passer pourtelau moins pour son ajustementcar il est toujours assez propre.



LEMARÉCHAL DE BASSOMPIERRE

Lemaréchal de Bassompierre étoit d'une bonne maison entrela France et le Luxembourg; la plupart des lieux de ce pays-làont un nom allemand et un nom françois: Betstein est lenom allemandet Bassompierre le françois.

On conteune fable qui est assez plaisante. Un comte d'Angeweillermariéavec la comtesse de Kinspeineut trois filles qu'il maria avec troisseigneurs des maisons de CroySalm et de Bassompierreet leur donnaà chacune une terre et un gage d'une fée. Croy eut ungobelet et la terre d'Angeweiller; Salm eut une bague et la terre dePhinstingue ou Fenestrangeet Bassompierre eut une cuiller et laterre d'Angeweiller. Il y avoit trois abbayes qui étoientdépositaires de ces trois gagesquand les enfants étoientmineurs: Nivelle pour CroyRemenecourt pour Salmet Epinal pourBassompierre. Voici d'où vient cette fable.

On dit quece comte d'Angeweiller rencontra un jour une féecomme ilrevenoit de la chassecouchée sur une couchette de boisbientravaillée selon le tempsdans une chambre qui étoitau-dessus de la porte du château d'Angeweiller; c'étoitun lundi. Depuis durant l'espace de quinze ansla fée nemanquoit pas de s'y rendre tous les lundiset le comte l'y alloittrouver. Il avoit accoutumé de coucher sur ce portailquandil revenoit tard de la chasseoù qu'il y alloit de grandmatinet qu'il ne vouloit pas réveiller sa femme; car celaétoit loin du donjon. Enfinla comtesse ayant remarquéque tous les lundis il couchoit sans faute dans cette chambreetqu'il ne manquoit jamais d'aller à la chasse ce jour-làquelque temps qu'il fîtelle voulut savoir ce que c'étoitet ayant fait faire une fausse clefelle le surprend couchéavec une belle femme; ils étoient endormis. Elle se contentad'ôter le couvre-chef de cette femme de dessus une chaiseetaprès l'avoir étendu sur le pied du litelle s'en allasans faire aucun bruit. La féese voyant découvertedit au comte qu'elle ne pouvoit plus le voirni làniailleurs; et après avoir pleuré l'un et l'autreellelui dit que sa destinée l'obligeoit à s éloignerde lui de plus de cent lieues; mais quepour marque de son amourelle lui donnoit un gobeletune cuiller et une baguequ'ildonneroit à trois filles qu'il avoitet qu'ellesapporteroient tout bonheur dans les maisons dans lesquelles ellesentreroienttandis qu'on y garderoit ces gages; que si quelqu'undéroboit un de ces gagestout malheur leur arriveroit. Cela aparu dans la maison de M. Pangeseigneur lorrainqui dérobaau prince Salm la bague qu'il avoit au doigtun jour qu'il le trouvaassoupi pour avoir trop bu. Ce M. de Pange avoit quarante mille écusde revenuil avoit de belles terresétoit surintendant desfinances du duc de Lorraine. Cependantà son retourd'Espagneoù il ne fit rienquoiqu'il y eut étéfort long- temps et y eût fait bien de la dépense (il yétoit ambassadeur pour obtenir une fille du roi Philippe IIpour son maître)il trouva sa femme grosse du fait d'unjésuite; tout son bien se dissipa; il mourut de regret; ettrois filles mariées qu'il avoit furent toutes trois desabandonnées. On ne sauroit dire de quelle matière sontces gages; cela est rude et grossier.

Lamarquise d'Havréde la maison de Croyen montrant legobeletle laissa tomber; il se cassa en plusieurs pièceselle les ramassa et les remit dans l'étui en disant: «Si je ne puis l'avoir entierje l'aurai au moins par morceaux. »

Lelendemainen ouvrant l'étuielle trouva le gobelet aussientier que devant. Voilà une belle petite fable.

Le pèredu maréchal étoit grand ligueur; M. de Guise l'appeloitl'ami de coeur: c'étoit un homme de service. Ce futchez lui que la Ligue fut jurée entre les grands seigneurs. Ilmourut subitement au commencement de la Ligue. Le maréchalavoit de qui tenir pour aimer les femmeset aussi pour dire de bonsmotscar son père s'en mêloit. Il gagna la v...et safemme lui ayant dit: « J'avois tant prié Dieu qu'il vousen gardât ? -- Vraimentrépondit-ilvos prièresont été exaucéescar il m'en a gardéde la plus fine.»

A sonavènement à la courc'étoit après lesiège d'Amiensil tomba par malheur entre les mains deSigongnecelui qui a été si satirique. C'étoitun vieux renard qui étoit écuyer d'écurie chezle Roi: il vit ce jeune homme qui faisoit l'entendu; il lui voulutabattre le caquetEtfaisant le provincial nouveau venuil le prianiaisement de le vouloir présenter au roi. Bassompierre crutavoir trouvé un innocentet s'en jouer; il entraet dit auRoi en riant: `` Sirevoici un gentilhomme nouvellement arrivéde la province et qui désire faire la révérenceà Votre Majesté. » Tout le monde se mit àrireet le jeune monsieur fut fort déferré.

On ditquejouant avec Henri IVle Roi s'aperçut qu'il y avoit desdemi-pistoles parmi les pistoles. Bassompierre lui dit: « Sirec'est Votre Majesté qui les a voulu faire passer pour pistoles--- C'est vous» répondit le Roi. Bassompierre lesprend toutesremet des pistoles aux pages et aux laquais par lafenêtre. La Reine dit sur cela: « Bassompierre fait leroiet le Roi fait Bassompierre » Le Roi se fâcha de cequ'elle avoit dit. « Elle voudroit bien qu'il le fûtrepartit le Roielle en auroit un mari plus jeune. »Bassompierre méritoit bien autant d'être grondéque la Reine.

AprèsM. de Rohanqui avoit eu pour trente mille écus la charge decolonel des SuissesBassompierre eut cette charge et la fit bienautrement valoir qu'on ne l'avoit fait jusqu'alors; d'ailleurs ilétoit habile et faisoit toujours quelque affaire. Il n'y avoitpresque personne à la cour qui eût tant de train que luiet qui fit plus pour ses gens. Lametson secrétairefutpréféréen une recherche d'une filleàun conseiller au parlement.

Parlons unpeu de ses amours. On a dit qu'il avoit été un peuamoureux de la Reine- mèreet qu'il disoit que la seulecharge qu'il convoitoitc'étoit celle de grand panetierparce qu'on couvroit pour le Roi. Il disoit qu'il y avoit plusde plaisir à le dire qu'à le faire. Il étoitmagnifiqueet prit la capitainerie de Monceauxafin d'y traiter lacour. La Reine- mère lui dit un jour: « Vous y mènerezbien des putains (on parloit ainsi alors). -- Je gagerépondit-ilmadameque vous y en mènerez plus que moi. » Un jour illui disoit qu'il y avoit peu de femmes qui ne fussent putains «Et moi ? dit- elle -- Ah ! pour vousMadamerépliqua-t-ilvous êtes la Reine. »

Une de sesplus illustres amourettesce fut celle de mademoiselle d'Entraguessoeur de madame de Verneuil; il eut l'honneur d'avoir quelque tempsle roi Henri IV pour rival. Testuchevalier du guety servoit SaMajesté. Un jourcomme cet homme venoit lui parlerelle fitcacher Bassompierre derrière une tapisserieet disoit àTestuqui lui reprochoit qu'elle n'étoit pas si cruelle àBassompierre qu'au Roiqu'elle ne se soucioit non plus deBassompierre que de celaet en même temps elle frappoit d'unehoussinequ'elle tenoitla tapisserie à l'endroit oùétoit Bassompierre. Je crois pourtant que le Roi en passa sonenviecar un jour le Roi la baisa je ne sais oùetmademoiselle de Rohanla bossuesoeur de feu M. de Rohansurl'heure écrivit ce quatrain à Bassompierre:

Bassompierreon vous avertit

Aussi bien l'affaire vous touche

Qu'onvient de baiser une bouche

Dans la ruelle de ce lit.


Ilrépondit aussitôt:

Bassompierredit qu'il s'en rit

Et que l'affaire ne le touche;

Celleà qui l'on baise la bouche

a mille fois baiséson ...


« Jemettraiquand il vous plairala rime entre vos belles mains.»

Henri IVdit un jour au père Cottonjésuite: « Queferiez-vous si on vous mettoit coucher avec mademoiselle d'Entragues? -- Je sais ce que je devrois faireSiredit-il; mais je ne saisce que je ferois -- Il feroit le devoir de l'hommedit Bassompierreet non pas celui de père Cotton. »

Mademoiselled'Entragues eut un fils de Bassompierrequ'on appela longtempsl'abbé de Bassompierre; c'est aujourd'hui M. de Xaintes. Elleprétendit obliger Bassompierre à l'épouser (1);la cause fut renvoyée au parlement de Rouenil y gagna sonprocès.

[(1) En cetemps-là Bautru se mit à lui faire les cornes chez laReine; on en rit. La Reine demanda ce que c'étoit. «C'est Bautrudit-ilMadamequi montre tout ce qu'il porte. »(T.)]

Bertinièresplaida pour lui: c'étoit un homme qui disoit qu'il ne savoitce que c'étoit que de se troubler en parlant en publicetqu'il n'y avoit rien capable de l'étonner. Le maréchallui servit à avoir l'agrément de la cour pour la chargede procureur-général au parlement de Rouenet il lalui fit avoir pour vingt mille écus. Au retour de Rouencommeelle montroit son fils à Bautru: « N'est-il pas joli ?disoit-elle. -- Ouirépondit Bautrumais je le trouve toutabâtardi depuis votre voyage de Rouen. » Elle nelaissa pascomme elle fait encorede s'appeler madame deBassompierre. « J'aime autantdit Bassompierrepuisqu'elleveut prendre un nom de guerrequ'elle prenne celui-là qu'unautre » Il n'étoit pas maréchal alors. On luidit: « Depuis elle ne se fait point appeler la maréchalede Bassompierre -- Je crois biendit-ilc'est que je ne lui ai pasdonné le bâton depuis ce temps- là. »

Quand ilacheta Chaillot la Reine-mère lui dit : « Hé !pourquoi avez-vous acheté cette maison ? C'est une maison debouteille. -- Madamedit-ilje suis Allemand -- Mais ce n'est pasêtre à la campagnec'est le faubourg de Paris --Madamej'aime tant Paris que je n'en voudrois jamais sortir. -- Maiscela n'est bon qu'à y mener des garces. -- Madamej'y enmènerai. »

On croitqu'il étoit marié avec la princesse de Conti. La cabalede la maison de Guise fut cause enfin de sa prisonet sa langueaussi en partiecar il dit: « Nous serons si sots que nousprendrons La Rochelle. »

Il eut unfils de la princesse de Contiqu'on a appelé La TourBassompierre; on croit qu'il l'eût reconnu s'il en eût eule loisir. Ce La Tour étoit brave et bien fait. En un combatoù il servoit de secondayant affaire à un homme quidepuis quelques années étoit estropié du brasdroitmais qui avoit eu le loisir de s'accoutumer à se servirdu bras gaucheil se laissa lier le bras droit et battit pourtantson homme. Il logeoit chez le maréchal; depuis il est mort demaladie.

Bassompierregagnoit tous les ans cinquante mille écus à M. deGuise; madame de Guise lui offrit dix mille écus par an etqu'il ne jouât plus contre son mariil répondit commele maître- d'hôtel du maréchal de Biron: «J'y perdrois trop . »

Il atoujours été fort civil et fort galant. Un de seslaquais ayant vu une dame traverser la cour du Louvresans quepersonne lui portât la robealla la prendre en disant: «Encore ne sera-t-il pas dit qu'un laquais de M. le maréchal deBassompierre laisse une dame comme cela. »

C'étoitla feue comtesse de La Suze; elle le dit au maréchalqui surl'heure le fit valet de chambre.

Il seroità souhaiter qu'il y eût toujours à la courquelqu'un comme lui: il en faisoit l'honneuril recevoit etdivertissoit les étrangers. Je disois qu'il étoit àlà cour ce que Bel Accueil est dans le Roman de laRose. Cela faisoit qu'on appeloit partout Bassompierre ceuxqui excelloient en bonne mine et en propreté. Une courtisanese fit appeler à cause de cela la Bassompierreuneautre fut nommée ainsi parce qu'elle étoit de bellehumeur. Un garçon qui portoit en chaise sur les montagnes deSavoie fut surnommé Bassompierreparce qu'il avoitengrossé deux filles à Genève. A propos de cesurnom de Bassompierreil lui arriva une fois une plaisanteaventure sur la rivière de Loire. Il alloit à Nantes dutemps que Chalais eut la tête coupée; une demoiselle luidemanda place dans sa cabane pour elle et pour sa fille: cettedemoiselle alloit à la cour pour y faire sceller une grâcepour son fils. On alloit toute la nuit. Dans l'obscurité ils'approche de cette filleet il étoit près d'entrerdans la chambre défenduequand un batelier se mit àcrier: _Vire le peautre (1)Bassompierre. »

[(1)Gouvernail]

Cela lesurpritetje crois mêmele désapprêta. Il sutaprès qu'on appeloit ainsi celui qui tenoit le gouvernailetqu'on lui avoit donné ce nomparce que c'étoit le plusgentil batelier de toute la rivière de Loire.

Uneillustre maquerelle disoit « que M. de Guise étoit de lameilleure mesureM. de Chevreuse de la plus belle corpulenceM. deTermes le plus sémillantet M. de Bassompierre le plus beauet le plus goguenard. »

Ceux queje viens de nommeravec M. de Créquy et le père deGondyalors général des galèresmangeoientsouvent ensembleet s'entre-railloient l'un l'autre; mais dèsqu'on sentoit que celui qu'on tenoit sur les fonts se déferroiton en prenoit un autre: leurs suivants aimoient mieux ne point dîneret les entendre.

J'ai déjàdit ailleurs qu'il n'a jamais bien dansé; il n'étoitpas même trop bien à cheval; il avoit quelque chose degrossier; il n'étoit pas trop bien dénoué. A unballet du Roi dont il étoiton lui vint dire sottementcommeil s'habilloit pour faire son entréeque sa mère étoitmorte; c'étoit une grande ménagère à quiil avoit bien de l'obligation: « Vous vous trompezdit-ilelle ne sera morte que quand le ballet sera dansé. »

Il futplus d'une fois en ambassade; il contoit au feu Roi qu'àMadrid il fit son entrée sur la plus belle petite mule dumondequ'on lui envoya de la part du roi. « Oh! la belle choseque c'étoitdit le feu Roide voir un âne sur unemule! -- Tout beauSiredit Bassompierrec'est vous que jereprésentois. »

Il disoitque M. de Montbason se parjuroit toujoursqu'il juroit par lejour de Dieula nuitet le jourpar le feu qui nouséclaire.

LaReine-mère disoit: « J'aime tant Paris et tant Saint-Germain que je voudrois avoir un pied à l'un et un pied àl'autre. -- Et moidit Bassompierreje voudrois donc être àNanterre »; c'est à mi-chemin.

M. deVendôme lui disoit en je ne sais quelle rencontre: « Vousserez sans doute du parti de M. de Guisecar vous baisez sa soeur deConti ? -- Cela n'y fait rienrépondit-il: « j'ai baisétoutes vos tanteset je ne vous en aime pas plus pour cela. »

On lui al'obligation de ce que le Cours (1) dure encorecar ce fut lui quise tourmenta pour le faire revêtir du côté del'eauet pour faire faire un pont de pierre sur le fossé dela ville.

[(1) LeCours la Reine.]

Il étoitencore agréable et de bonne mine quoiqu'il eûtsoixante-quatre ans; à la véritéil étoitdevenu bien turlupincar il vouloit toujours dire de bonsmotset le feu de la jeunesse lui manquantil ne rencontroit passouvent; M. le Prince et ses petits-maîtres en faisoient desrailleries.

Sur leperron de Luxembourgune dame de grande qualitéaprèslui avoir fait bien des compliments sur sa libertélui dit: «Mais vous voilà bien blanchimonsieur le maréchal. --Madamelui répondit-il en franc crocheteurje suis comme lespoireauxla tête blanche et la queue verte. » Enrécompenseil dit à une belle fille: «Mademoiselleque j'ai regret à ma jeunesse quand je vous vois! »

Il ditaussi de Marescotqui étoit revenu de Rome fort enrhuméet sans apporter de chapeau pour M. de Beauvais: « Je ne m'enétonne pasil est revenu sans chapeau. »

Comme ilavoit une grande santéet qu'il disoit qu'il ne savoit encoreoù étoit son estomacil ne se conservoit point; ilmangeoit grande quantité de méchants melons et depaviesqui ne mûrissent jamais bien à Paris. Aprèsil s'installa à Tanlayoù ce fut une crevaillemerveilleuse: au retouril fut malade dix jours à Paris chezmadame Bouthillierqui ne voulut pas qu'il en partît qu'il nefût tout à fait guéri; mais Yvelinmédecinde chez la Reinequi avoit affaire à Parisle pressa derevenir. A Provinsil mourut la nuit en dormantet il mourut sidoucement qu'on le trouva dans la posture où il avoitaccoutumé de dormirune main sous le chevet àl'endroit de sa tête et les genoux un peu haussés. Iln'avoit pas seulement étendu les jambes. Son corps gros etgraset en automnefut cahoté jusqu'à Chaillotoùon lui trouva les parties nobles toutes gâtées; maisc'est que le corps s'étoit corrompu par les chemins.



VANDY

Feu Vandyétoit un homme qui rencontroit assez bien. Son onclele comtede Grandpréavoit été son tuteuret onaccusoit ce tuteur d'avoir un peu pillé son pupille; il luidit un jour: « Mon neveuvous faites trop de dépense;assurémentvous vous ruinerez. -- Mon oncleréponditVandycomment me ruinerois-jesi vousqui avez plus d'esprit quemoin'avez pu venir à bout de me ruiner ? »

Ungentilhomme de ses voisins lui demandoit une attestation pour fairedéclarer son frère fou: « MaisMonsieurluidisoit-ildonnez-le-moi bien ample. -- Je vous la donnerai si amplerépondit Vandyqu'elle pourra servir pour votre frèrepour vous. » Il étoit un homme fort froidet il nesembloit pas qu'il songeât à ce qu'il disoit. Un jourqu'il dînoit chez ce même comte de Grandpréonservit devant lui un potageoù il n'y avoit que deux pauvressoupes qui couroient l'une après l'autre; Vandy voulut enprendre une; mais comme le plat étoit fort grandil faillitson coup; il y retourne et ne peut l'attraper; il se lève detable et appelle son valet de chambre: « Un teltire-moi mesbottes. -- Que voulez-vous fairemon cousin ? lui dit M. de Joyeuse;je crois que vous êtes fou. -- Souffrez qu'il me débottedit froidement Vandyje veux me jeter à la nage dans ce platpour attraper cette soupe. »

Il étoitbravemais n'alloit jamais à la guerre sans donzelleset ildisoit ordinairement: « Point de p...point de Vandy. »On dit qu'étant à une foire de village il y rencontraune mignonne qu'il avoit entretenue autrefois; il en vouloit user àla manière de Diogènequi plantoit des hommes en pleinmarché; la demoiselle le rebuta: « Hé quoi? luidit-ilne sait-on pas que tu f... et moi aussi ? » Il avoitépousé une nièce du maréchal de Marillac.

Lecardinal de Richelieu voulut qu'il fît son testament; lui s'endéfendoitdisant qu'il n'avoit pas de biens; enfin l'éminencel'emporta. « Ecrivez doncdit-ilje donne mon âme àDieumon corps à la terrema femme et mon fils à M.le cardinal (il fut son page)et ma fille au public. »

Une foisqu'il venoit de la guerre avec un de ses amisil lui dit: «Nous irons descendre chez une dame bien faiteavec laquelle vousverrez que je ne suis pas mal; mais je n'en suis point jaloux; jevous laisserai ensemble avant que vous en partiez: vous pousserezvotre fortune. » C'étoit chez sa femme qu'il futdescendre; il lui présenta son ami. On dîna: aprèsle dîneril entra avec elle dans un cabinetet ensuite ils'alla promener dans le jardin. Cet hommedemeuré seul avecellese mit à lui en conteret après il lui voulutbaiser la main. « Monsieurpour qui me prenez- vous'? -- HéMadameM. de Vandy m'a tout dit. » Enfinelle fut contrainted'appeler M. Vandy par la fenêtre. Cet hommevoyant qu'onl'avoit fait donner dans le panneaumonta à cheval ets'enfuit.

Une autrefois qu'il couroit la posteen passant par Lyonon l'obligea àaller parler à feu M. d'Alincourtpère de M. deVilleroyqui exerçoit cette petite tyrannie sur lescourriers. Il y fut; M. le gouverneursans autrement le saluerluidit: « Mon amique disoit-on à Paris quand vous en êtesparti? -- Monsieuron disoit vêpres. - - Je demande ce qu'il yavoit de nouveau ? -- Des pois vertsMonsieur.» Alors sedoutant que ce n'étoit pas ce qu'il pensoitil lui ôtele chapeauet lui dit: « Monsieurcomment vous appelez-vous?-- Cela n'est pas régléreprit Vandytantôt monamitantôt monsieur. » Et il s'en va. On ditaprès à M. d'Alincourt qui c'étoit. Il envoyaaprèsmais en vain; Vandy le laissa la pour ce qu'il étoit.



MESDAMESDE ROHAN

Madame deRohanmère du premier duc de Rohan qui a tant fait parler deluiétoit de la maison de Lusignand'une branche qui portoitle nom de Parthenay. C'étoit une femme de vertumais un peuvisionnaire. Toutes les fois que M. de NeversM. de Brèves etelle se trouvoient ensembleils conquêtoient toutl'empire du Turc (1).

[(1) Ce M.de Brèvesà ce qu'on ditappela le Papele grandTurc des Chrétiens. Il cria: Allah ! en mourantetsans Gédoinle Turcqui croyoit en Notre Seigneur comme luiil ne se fût jamais confessé; mais Gédoin lui ditqu'il le falloit faire par politique. (T.)]

Elle nevouloit point que son fils fût ducet disoit le cri d'armes deRohan:

Roije nepuis

Ducje ne daigne

Rohan je suis.


Elle avoitde l'esprit et a écrit une pièce contre Henri IVdequi elle n'étoit pas satisfaiteje ne sais pourquoioùelle le déchire en termes équivoquesComme ceprince n'a rien d'humainetc. . Elle a été deplusieurs cabales contre lui.

Elle avoitune fantaisie la plus plaisante du monde: il falloit que le dînerfût toujours prêt sur table à midi; puisquand onle lui avoit ditelle commençoit à écriresielle avoit à écrireou à parler d'affaires;brefà faire quelque chose jusqu'à trois heuressonnées: alorson réchauffoit tout ce qu'on avoitserviet on dînoit. Ses gensfaits à celaalloient enville après qu'on avoit servi sur table. C'étoit unegrande rêveuse. Un jour elle alla pour voir M. Deslandesdoyendu parlement; madame des Loges étoit avec elleet enattendant qu'il revînt du palaiselle se mit àtravailleret à rêver en travaillant; elle s'imaginequ'elle étoit chez elleet quand on lui vint dire que M.Deslandes arrivoit: « Hé ! vraimentdit-elleil vientbien à propos. HéMonsieurque je suis aise de vousvoir ! Hé ! Quelle heure est-il ? Il faut puisque vous voilàque nous dînions ensemble. -- Madamevous me faites tropd'honneur» dit le bonhommequi aussitôt envoye àla rôtisserie. Enfin on sertelle regarde sur la table. «Maismon amivous ferez méchante chère aujourd'hui. »Madame des Loges eut peur qu'elle ne continuât sur ce ton-là;elle la tire. « Hé ! Où pensez-vous être ?» lui dit-elle. Madame de Rohan revintet lui dit en riant: «Vous êtes une méchante femme de ne m'en avoir pasavertie de meilleure heure. » Elle ditpour s'en allerqu'elle étoit conviée à dîner en ville.

Son filsétoit sans doute un grand personnage. Il n'avoit point delettrescependant il a bien fait voir qu'il savoit quelque chose; ona deux ou trois ouvrages de lui: le Parfait CapitainelesIntérêts des Princeset ses Mémoires.On a dit que ce n'étoit pas un fort vaillant homme quoiqu'ilait toute sa vie fait la guerreet qu'il soit mort à unebataille. On en a fait un conte: on disoit que de frayeur il scellaune fois un boeuf au lieu d'un chevalet on l'appela quelque tempsle boeuf sellé; cependant il payoit de sa personnequand il le falloit.

Dans sonVoyage d'Italieil y a une terrible pointe: il parle d'unhomme de fortune qui étoit à la Cour d'Angleterre; onl'accusoit de venir d'un boucher. « On ne peut pas diredit-ilqu'il ne vienne de «grands saigneurs. » Enparlant de la Villa Ciceronisqui est au Royaume de Naplesil met: « La métairie de Cicéronoù ilcomposa le plus beau de ses ouvrageset entre autres lesPandettes. » Quelque sot d'Italien lui avoit dit celaetil la pris pour argent comptant. Voilà ce que c'est que de nemontrer pas ses ouvrages à quelque honnête homme!

Il eutdessein une fois d'acheter du Turc l'île de Chypreet d'ymener une colonie. Il alloit pour faire un partià ce qu'onditavec le duc de Weimarquand il fut blessé à labataille de Reinfeld que donna ce ducet après il mourut desa blessure. C'étoit un petit homme de mauvaise mine. ilépousa mademoiselle de Sully qu'elle étoit encoreenfant.; elle fut mariée avec une robe blancheet on la pritau col pour la faire passer plus aisément. Du Moulinalorsministre à Charentonne put s'empêchercar il atoujours été plaisantde demandercomme on fait aubaptême: « Présentez-vous cet enfant pour êtrebaptisé ? » On leur en fit faire lit à part; maiselle ne s'en put tenir longtemps; et quand on vint dire à M.de Rohan que sa femme étoit accouchéeil en futsurpriscar à son compte cela ne devoit pas arriver si tôt.On m'a dit que ce fut Arnauld du Fortdepuis mestre de camp descarabinsqui en eut le pucelage. Le maréchal de Saint-Luc estapparemment celui qui l'a mis à malsi quelque suivant n'apassé devant lui; carpour des valetselle a toujours dit enriant qu'elle n'étoit point valétudinaire. (1)

[(1) Onentendoit par là des femmes qui se donnoient à desvalets. (T.)]

M. deSaint-Luc en étoit en possession quand M. de Candale vint àla cour. La grandeur du père faisoit qu'on le regardoit commeune illustre conquête. Elle lui fit toutes les avancesimaginables; il n'étoit pas bien fait de sa personne; mais ilavoit beaucoup d'esprit et étoit fort agréable; cen'étoit ni un braveni un grand capitaine.

Madame deRohan étoit fort jolieet avoit quelque chose de fort mignond'ailleurs née à l'amour plus que personne au mondeetqui disoit les choses fort plaisamment. Lorsque M. de Candale futmariéelle se brouilla avec sa femme et fut cause qu'il sedémaria. Sa femme lui offrit le congrèsil ne voulutpoint l'accepter; ensuite madame de Rohanpour fortifier le partides huguenotslui fit changer de religion. Il y avoit souvent noiseentre euxet quand il fut revenu à l'Eglise romaineil ditsouvent à madame Pilou: « Qu'il n'y avoit point demauvais offices que madame de Rohan ne lui eût rendus. Elle m'amis maldisoit-ilavec le Roiavec mon père et avec Dieuet m'a fait mille infidélités; cependant je ne m'ensaurois guérir. » Il laissa tout son bien àmademoiselle de Rohanaujourd'hui madame de Rohanqui ne le voulutpoint accepter. Guitautdepuis capitaine des gardes de laReine-mèrevengea M. de Saint Lucà qui il avoit étécar il coucha avec elleet puis la battit bien serré dans undémêlé qu'ils eurent ensemble. Madame Pilou luidébaucha feu d'Aumontcadet du maréchal d'aujourd'huiet le maria; elle lui débaucha aussi Miossens; mais madame deRohan n'en a rien suet elle le maria comme l'autre. Un jour elleégratigna Miossens; carayant appris qu'il avoit étéau bal au Louvreau sortir de chez ellequoiqu'elle le lui eûtdéfenduelle l'alla battre et égratigner dans son lit.De dépitil entendit à la proposition que madame Piloului fit.

Bonneuilintroducteur des ambassadeurscomme des ambassadeurs d'Angleterrelui eussent demandé: « Qui est cette dame-là ?(C'étoit madame de Rohan.) -- C'est le docteurleurrépondit-ilqui a converti M. de Candale. » Théophilefit une épigramme sur celaqui est dans le Cabinetsatyrique . L'épigramme qui dit:

Sigismondeest la plus gourmandeetc.

est faiteaussi pour elle; elle n'est pas imprimée.

M. deCandale avoit amené deux ou trois capelets de Venise àParis; lui et Ruvigny en trouvèrent une fois un couchéavec une g.... dans la Place-Royale. Ruvigny lui dit: « Je tedonne un écu d'or si tu la veux baiser demainen plein mididans la place. » Il le promitet comme il étoit aprèsM. de CaudaleRuvigny et quelques autres firent exprès ungrand bruit: toutes les dames mirent la tête à lafenêtre et virent ce beau spectacle.

Pourrevenir à madame de Rohanun soir qu'elle retournoit du balelle rencontra des voleurs; aussitôt elle mit la main àses perles. Un de ces galants hommespour lui faire lâcherprisela voulut prendre par l'endroit que d'ordinaire les femmesdéfendent le plus soigneusement; mais il avoit affaire àune maîtresse mouche: « Pour celalui dit-ellevous nel'emporterez pasmais vous emporteriez mes perles. » Durantcette contestationil vint du mondeet elle ne fut point volée.

Un jour laduchesse d'Hallwinfille de la marquise de Menelayesoeur du Pèrede Gondyse rencontra avec elle à la porte du cabinet de laReineet comme elle la pressoit fort pour entrer la premièremadame de Rohan se retira bien loin en disant: « A Dieu neplaise quen'ayant ni vergeni bâtonj'aille me frotter àune personne armée.» Car cette femme toute contrefaiteavoit un corps de fer; et puis elle avoit été femme deM. de Candaleet s'étoit démariée d'avec lui.On dit qu'un jour d'Hallwindepuis M. le maréchal deSchombergdemanda à M. de Candale pourquoi il s'étoitdémarié: « C'estdit-ilque madame couchoitavec tel et tel de mes gens » M. d'Hallwin s'en voulut fâcher:« Tout beaului dit-iltout cela est sur mon comptevous n'yavez rien à voir. »

Il y avoitchez M. de Bellegarde la peinture d'un... pétrifiéetun sonnet au-dessous qu'Yvrande avoit fait; il est dans le Cabinetsatyrique. Madame de Rohan mit la main devant ses yeux pour nepas voir la peinture; mais par-dessous elle lisoit les vers endisant: « Fi! fi ! »

Quelquebenêtla consolant de la mort de M. de Soubise dont elle ne setourmentoit guèrelui dit une stance de Théophileoùil y a:

Et dansles noirs flots de l'oubli

Où la Parque l'a faitdescendre

Ne fût-il mort que d'aujourd'hui

Ilest aussi mort qu'Alexandre.


Elleacheva la stance en l'interrompant:

Etme touche aussi peu que toi.

Il y a:

Etvous _toucheetc.

Madame deRohan a toujours la vision de se faire battre par ses galants; on ditqu'elle aimoit celaet on tombe d'accord que M. de Candale etMiossens (1) l'ont battue plus d'une fois.

[(1)Miossenslui coûte deux cent mille écus. Miossens prit un suisse;il étoit alors bien gredin; madame Pilou lui dit: «Quelle insolence! un suisse pour garder trois escabelles! -- Cela abon airlui répondit-il; quoi qu'il ne garde rienil semblequ'il garde quelque chose; on le croira. » (T.) ]

Voici ceque j'ai ouï conter de plus plaisant de M. de Candale et d'elle.Deux autres seigneurs et deux autres damesdont je n'ai pu savoir lenomavoient fait société avec euxet une fois lasemaine ils faisoient tour à tour des noces d'une de ses damesavec son galant. Un jour qu'ils étoient allés àGentillyM. de Candale et madame de Rohan se séparèrentdes autres et entrèrent dans une espèce de grotte.Quelques grands écoliers qui étoient allés sepromener dans la même maison les aperçurent en uneposture assez déshonnête; ils la voulurent traiter degourgandine et M. de Candale n'ayant point le cordon bleunepouvoit leur persuader qu'il fût ce qu'il disoit. On n'a jamaissu au vrai ce qui en étoit arrivé; etpour faire leconte bonon disoit qu'elle avoit passé par les piques; maisqu'elle n'en avoit point voulu faire de bruit. Cette femme' en unpays où l'adultère eût été permiseût été une femme fort raisonnable; car on ditcomme elle s'en vantequ'elle ne s'est jamais donnée qu'àd'honnêtes gens; qu'elle n'en a jamais eu qu'un à lafoiset qu'elle a quitté toutes ses amourettes et tous sesplaisirs quand les affaires de son mari l'ont requis. Elle a cabalépour lui et l'a suivi en Languedoc et à Venise sans aucunepeine.

Madame etmademoiselle de Rohan et M. de Candale étoient à Venisequand madame de Rohan se sentit grosse. Elle fit si bien qu'elle eutpermission de venir à Paris; car elle cacha cette grossesseet il y a toutes les apparences du monde que son mari ne lui touchoitpasautrement elle ne se fût pas mise en peine de cela. Cen'est pas qu'il s'en souciât autrementcar Haute-Fontaineayant voulu sonder s'il trouveroit bon qu'on lui parlât descomportements de sa femmeil lui fit sentir que cela ne lui plairoitpas.

A Parismadame de Rohan se tenoit presque toujours au lit. M. de Candale quiétoit aussi revenuétoit toujours auprèsd'elle: elle envoyoit mademoiselle de Rohan sans cesse se promeneravec Rachelsa femme de chambre. Madame de Rohan étantaccouchéel'enfant fut porté chez une madame Miletsage- femmeaprès avoir été baptisé àSaint-Paulet nommé Tancrède Le Bondu nom d'un valetde chambre de M. de Candale.

OrdèsVeniseRuvignyfils de Ruvigny qui commandoit sous M. de Sullydans la Bastilleétant comme domestique de la maisonet ytrouvant une grande licenceà cause de M. de Candalese mità badiner avec mademoiselle de Rohanqui n'avoit alors quedouze ans.

.....Maisaux âmes bien néesLa vertu n'attend pas lenombre des années.

Cela durajusqu'à l'âge de quinze ansqu'à Paris il en euttout ce qu'il voulut. Ruvigny étoit rousseaumais lafamiliarité est une étrange chose; puis il étoiten réputation de brave. Il s'étoit trouvé àVenise par hasardcherchant la guerre; il étoit allé àMantoue; làPlassacfrère de Saint-Preuilbravegarçonmais quiavant que de mettre l'épée àla mainavoit un tremblement de tout le corpseut querelle. Ruvignyle servit et eut affaire à Bois d'Almaisun bravissimequiavoit disputé la faveur de Monsieur à Puy- Laurens;Ruvigny le tuamais il reçut un grand coup d'épéeau côté. M. de Mantouequi avoit logé tous lescavaliers françois dans son palaispar bienséancepria le blessé de se faire porter dans une maison de la ville;mais il lui envoya son chirurgien. Il y avoit alors des comédiensà Mantoue. Vis-à-vis de cette maison logeoit lePantalon de cette troupedont la femme étoit fortjolie et de fort bonne composition. De son litRuvigny la voyoit àla fenêtre. Dès qu'il put sortiril y alla; dans troisjours l'affaire fut conclueet ils en vinrent aux prises. Ruvignyfut malade trois mois de cette folie. GuériM. de Candale lefit aller à Venise pour faire une compagnie de chevau-légers:là ce fut cause qu'il ne se trouva pas au siège deMantoue.

Il nemettoit pas mademoiselle de Rohan en danger de devenir grosse.Regardez quelle bonne fortune il avoit là! Soigneux de laréputation de la belleil prenoit garde à tout; et ilfut long-temps sans qu'on se doutât de rienà causecomme j'ai ditqu'il étoit en quelque sorte de la maison.L'étéil alloit à l'armée par honneur;cela le faisoit enragé d'être obligé de quitter.Ce commerce dura près de neuf ans.

Le méprisavec lequel elle traitoit sa mère l'avoit mise en une telleréputation de vertu qu'on croyoit que c'étoit laPruderie incarnée. Pour une petite personneon n'enpouvoit guère trouver une plus belle ayant la petite-vérole.Elle étoit fière; elle étoit riche; elle étoitd'une maison alliée avec toutes les maisons souveraines del'Europe. Cela éblouissoit les gens. On la prenoit fort pourune autreet jamais personne n'a eu de la réputation àmeilleur marché; car elle a l'esprit grossieret ce n'étoità proprement parler que de la morgue. Le premier avec qui onproposa de la marier ce fut M. de Bouillon; mais elle tenoit cela au-dessous d'elle.

Jusques àun an après la naissance du Roipersonne n'avoit eu aucunsoupçon de mademoiselle de Rohan. Sillonen proseGombauldet autresen versse tuoient de chanter sa vertu. Le premier qui sedouta de la galanterie de Ruvignyce fut M. de Cinq-Marsdepuis M.le Grand. Madame d'Effiat lui ayant fait un si grand affront que decroire qu'il vouloit épouser Marion de Lormeet d'avoir eudes défenses du Parlementil sortit de chez elle et allaloger avec Ruvignyvers la rue Culture-Sainte- Catherine. Presquetoutes les nuitsil alloit donner la sérénade àMarion. Il remarqua que Ruvigny s'échappoit souventet quequoiqu'il ne fût revenu qu'à une heure aprèsminuitil sortoit pourtant à sept heures du matinet étoittoujours ajusté. Si c'étoit pour la mèredisoit-il en lui-mêmecar il savoit bien où il alloitsouffriroit-il que Jerzai fût son galant tout publiquement ? Ilen conclut donc que c'étoit pour la filleetpour s'enéclairciril dit un jour à Ruvigny : « J'aipensé donner tantôt un soufflet à un homme pourl'amour de toi; il disoit des sottises de toi et de mademoiselle deRohan. » Ruvignyqui vit où cela alloitlui répondit:« Tu aurois fait une grande folie; cela auroit fait bien dubruit pour une chose si éloignée de toute apparence. »Ensuite il lui dit qu'on ne lui faisoit point de plaisir de luiparler de cela; aussi Cinq-Mars ne lui en parla- t-il jamais depuis.

Jerzaiquand il se vit galant établi et bien payé de la mèreen sema quelque bruit; car il trouvoit toujours en sortant le soirbien tardun laquais de Ruvignyet ce laquais lui disoit: «Mon maître est là-haut. » Il savoit bien que cen'étoit pas avec la mère; il se douta aussitôt dequelque chose. La mère s'en doutoit aussi: les laquais deRuvigny répondoient franchementcar il ne leur disoit riende peur qu'ils ne causassent.

Un idiotd'ambassadeur de Hollandenommé Langueracdit un journaïvement à mademoiselle de Rohan: « Mademoisellen'avez-vous point perdu votre pucelage? -- Hélas! Monsieurdit la mèreelle est si négligeante qu'elle pourroitbien l'avoir laissé quelque part avec ses coiffes.»

Enfincomme toutes choses ont un termemademoiselle de Rohan ne s'envoulut pas tenir à Ruvigny seul: elle aimoit à danser;il n'étoit nullement homme de balni de grande naissancenid'un air fort galant. Le prince d'Enrichemontaujourd'hui M. deSullyy mena Chabotson parent et parent de madame de Rohan. Sousprétexte de danser avec ellecar il dansoit fort bienilvenoit quelquefois chez elle le matin. Ruvigny étoit averti detout par Jeannetonla femme de chambrequi n'avoit étéen aucune sorte de la confidence que depuis que Chabot commençoità en conter à mademoiselle de Rohanencore nesavoit-elle point que sa maîtresse eût étééprise de Ruvigny; mais elle croyoit seulement que ce qu'il enfaisoit étoit pour empêcher qu'elle ne fît unesottise; Ruvignyvoyant que la chose alloit trop avantlui en ditson avis plusieurs fois. Enfinelle lui promit de chasser Chabotdans quinze jours: au bout de ce temps-làc'étoit àrecommencer (1).

[(1) Dansle mal au coeur qu'avoit Ruvignyne se souciant plus tant demademoiselle de Rohanil voulut débaucher Jeannetonquiétoit jolieet lui dit si elle ne feroit pas bien ce que samaîtresse avoit faitet qu'il le lui feroitsinon voirdumoins entendre. Elle le lui promit. Le lendemaincomme il entroitàsept heures du matindans la chambre de mademoiselle de Rohanlesfenêtres étant ferméesil se fit suivre parcette fillequipieds-nusse glissa dans un coin. Ruvigny fit desreproches à mademoiselle de Rohan de sa légèretéet lui dit qu'après ce qui s'étoit passé entreeuxetc.etc. Jeanneton fut persuadée de la sottise de samaîtresse; mais pour cela elle ne voulut pas en faire une.(T.)]

«MaisMademoisellelui disoit-ilje ne veux point vous obliger àm'aimer toujoursavouez-moi l'affaire; je ne veux seulement que nepoint passer pour votre dupe. -- Ah ! répondit-ellevoulez-vous qu'il sache l'avantage que vous avez sur moi ? il lesaura si je le fais retirercar il dira que je n'ai osé àvos yeux en aimer un autre; mais donnez-moi encore deux mois. --Biendit-il. » Et pour passer ce temps-là avec moins dechagrinil s'en alla en Angleterre voir le comte de Southamptonquiavoit épousé madame de la Maison-Fortsa soeur. Leprétexte fut le duel de Paluauaujourd'hui le maréchalde Clérambaultqu'il avoit servi contre Gassioncar lecardinal de Richelieu l'avoit trouvé fort mauvais. Au retouril apporta des bagues de cornaline fort jolies. Mademoiselle de Rohanen prit unemais il ne la trouva point convertieau contraire. Aquelque temps de làil sut par le moyen de Jeanneton qu'elleavoit donné cette bague à Chabot.

Un jour illes trouve tous deux jouant aux jonchets; il se met à joueret voit la bague au doigt de Chabot. Il lui demande à la voiret se la met au doigt. Chabot la lui redemande: « Je vous larendrai demainlui dit-il. J'ai à aller ce soir en compagniej'y veux un peu faire la belle main. » Chabot la redemande parplusieurs fois: « Voyez-vouslui répond Ruvignyje mesuis mis dans la tête de ne vous la rendre que demain. »Enfinmademoiselle de Rohan la lui demandail la lui rendit. Il seretire: mademoiselle de Rohan lui envoie son écuyer àminuit pour le prier de venir parler à elle. « Je serairépondit-ildemain au point du jour chez elle si elle veut. »L'écuyer revient lui dire que mademoiselle le viendroittrouver s'il n'alloit lui parler. Il y va; elle le prie de ne pointavoir de démêlé avec Chabot; il le lui promet.Quelques jours après il rencontre Chabot sur l'escalier demademoiselle de Rohanqui le salue et lui laisse la droite; luipasse sans le saluer. Chabot fut assez imprudent pour se plaindre decela à Barrièrequi étoit son parent. Ruvignynia tout à Barrièrequi ne se doutoit encore de rien.Mais mademoiselle de Saint-Louyssa soeuralors fille de la Reineet qui fut depuis madame de Flavacourtse doutoit bien de quelquechose.

Ruvignyenragéet ne voulant pourtant pas la perdre de réputations'avisa de faire une grande brutalité; il leur voulut parler àtous deuxafin qu'ils n'ignorassent rien l'un de l'autre. Un jourayant l'épée au côtéil monte (1).

[(1)Saint-Luc tenoit la porte en baset avoit des chevaux tout prêtsavec des pistolets à l'arçon de la selle: il faisoit unfroid de diable; mais Ruvigny en revint si échaufféqu'il n'avoit pas besoin de feu. 11 étoit si transportéde colèreque vous eussiez dit un fou. (T )]

Chabotétoit dans la ruelle avec des gens de la maison; elle étoità la fenêtre; il l'appelleet tout bas leur dit: «Monsieurje suis bien aise de vous direen présence demademoiselleque vous êtes l'homme du monde que j'estime lemoinset à vousMademoiselleen présence demonsieurque vous êtes la fille du monde que j'estime le moinsaussi. Monsieurayez ce que vous pourrez; mais vous n'aurez que monreste; et vous savez bienMademoiselleque j'ai couché avecvous entre deux draps. -- Ah!dit- elleen voilà assez pourse faire jeter par les fenêtres. -- Je n'ai pas peurrépliquaRuvigny en se reculant un peuque vous ni lui l'entrepreniez. »Chabot ne dit pas une parole. Elle fut assez sotte pour conter toutcela à Barrièremot pour mot; Ruvigny le niaet contala chose tout d'une autre sorte à son amiet il dit que celan'a éclaté qu'à cause que Chabot étoitbien aise de la décrier pour la réduire àl'épouser. Depuis celales soeurs de Chabotmadame dePienneleur parenteaujourd'hui la comtesse de Fiesqueetmademoiselle de Haucourt servirent Chabotetpour le voir pluscommodémentmademoiselle de Rohan alla loger chez sa tantemademoiselle Anne de Rohanbonne fillefort simplequoiqu'elle sûtdu latin et que toute sa vie elle eût fait des vers; àla véritéils n'étoient pas les meilleurs dumonde.

Sa soeurla bossueavoit bien plus d'esprit qu'elle. Elle avoit une passionla plus démesurée qu'on ait jamais vue pour madame deNeversmère de la reine de Pologne. Quand elle entroit chezcette princesseelle se jetoit à ses piedset les luibaisoit. Madame de Nevers étoit fort belleet elle ne pouvoitpasser un jour sans la voirou lui écrire si elle étoitmalade: elle avoit toujours son portraitgrand comme la paume de lamainpendu sur son corps de robeà l'endroit du coeur . Unjourl'émail de la boîte se rompit un peu; elle ledonna à un orfèvre à raccommoderàcondition qu'elle l'auroit le jour même. Comme il travailloit àsa boutiquel'émail s'envoilacomme ils le disentparce qu'une charrette fort chargéeen passant là toutcontrefit trembler toute la boutique. Elle y alla pour le ravoiret fit des enrageries épouvantables à ce pauvre hommecomme si c'eût été sa faute que ce portraitn'étoit pas accommodé; on le lui rendit en l'étatqu'il étoitet le lendemain elle le renvoya.

Elle pensase jeter par les fenêtres quand madame de Nevers mourutet ondit qu'elle hurloit comme un loup. Quand elle mouruton l'enterraavec ce portrait. Elle disoit: « Je voudrois seulement êtremariée pour un jourpour m'ôter cet opprobre devirginité. » On dit qu'elle y avoit mis bon ordre.

Miossenscependant avoit succédé à Jerzay auprèsde madame de Rohanqui payoit bien. Il ne se contenta pas de cela;c'est un garçon intéressé: ce fut lui qui portamadame de Rohan à faire une donation générale àsa fillemoyennant douze mille écus de pension tous les ans:il le faisoit parce qu'il y avoit cinquante mille écusenargent comptantdont il vouloit s'emparer. En effetces cinquantemille écus étant demeurés à la mèreelle lui acheta une compagnie aux gardesdu prix de laquelle il eutensuite la charge de guidon des gendarmes; puisle maréchalde l'Hôpital ayant vendu sa lieutenance à SalignyMiossens devint enseigne en payant le surplus de ce qu'il tira de lacharge de guidon. Depuisen 1651il est devenu lieutenant (_généralet après maréchal de France.

Quandcette donation se fitil y avoit dans la maison cent dix millelivres de rente en fonds de terre (mais en quelles terres !) outreles meubles et les cinquante mille écus. Miossens n'attenditpas son congécomme Jerzay; il se maria avec mademoiselle deGueneneaud. Quand madame de Rohan vit cette infidélitéelle envoya chercher Le Plessis- Guenegaudalors trésorier del'épargnefrère de la demoiselleet lui dit qu'ilprît bien garde à qui il donnoit sa soeur que Miossensétoit un perfide qui les tromperoit; qu'il n'avoit rien; quece n'étoit qu'un misérable cadet; que sa charge deguidon ou d'enseigne n'étoit point à luiqu'elle luien avoit prêté l'argentqu'il étoit vrai qu'ellen'en avoit point de promessemais qu'elle l'alloit obliger àfaire un faux sermentet qu'au moins elle auroit la satisfaction dele faire damner.

On peutdire que madame de Rohan est celle qui a commencé àfaire perdre aux jeunes gens le respect qu'on portoit autrefois auxdamescar pour les faire venir toujours chez elleelle leur alaissé prendre toutes les libertés imaginables. Quoiqueveuveelle tenoit tableet avoit toujours quelque belle voix. Il yavoit tous les jours chez elle sept ou huit godelureaux toutdébraillés; car ces hommes étoient presque enchemise de la manière qu'ils étoient vêtus.Depuis on n'a pas tiré sa chemise sur ses chaussescomme onfaisoit alors. Ils se promenoient en sa présencepar lachambreils rioient à gorge déployéeils secouchoient; etquand elle étoit trop long-temps venirils semettoient à table sans elle.

Laretraite de mademoiselle de Rohan chez sa tante parutaux gens quine savoient pas l'affaire. une résolution digne du courageetde la vertu de mademoiselle de Rohan. La cabale de Chabot eutdésormais ses coudées franches. Les femelles étoienttoutes ou ses soeurs ou ses parentes: elles étoient toujoursdans l'adoration. On les surprit un jour qu'elle étoit commeVénuset les autres comme les Grâces à sespieds.

Ruvignycroit que Chabot a couché avec elle avant que de l'épouser;mais je crois que son premier galant valoit bien celui-làcaril a la réputation de frère Conrartau livre des CentNouvelleset on appelle son bourdon à la cour)lecarrécomme celui du baron du Jour-Brillandpeut-êtreà cause du conte d'un Brillanddans le Baron de Foeneste.

On ditqu'à SullyChabot et sa femme entendirent que M. de Sullydisoit à madame: « Je ne sais comment j'obligerai mesgens à appeler Chabot M. de Rohan; car le vieux cuisinier defeu M. de Sullycomme on lui ace matindemandé un bouillonpour M. Rohana dit que M. de Rohan étoit mortet que lesmorts n'avoient que faire de bouillon; quepour Chabot il s'enpasseroit bien s'il vouloit. » On ajoutoit que cela avoit unpeu mortifié la demoiselle.

Le peu deréputation de Chabot pour la bravouresa gueuserieet ladanse dont il faisoit son capitalfaisoient qu'on en disoit beaucoupplus qu'il n'y en avoit. Il étoit bien faitet ne manquoitpoint d'esprit. Le marquis de Saint- Lucami intime de RuvignyUnjour au Palais-Royalà je ne sais quel grand balcomme oneut ordonné aux violons de passer d'un lieu dans un autredittout haut: « Ils n'en feront riensi on ne leur donne unbrevet de duc à chacunvoulant dire que Chabotqui avoitfait une couranteet qu'on appeloit Chabot la Courantecaril avoit deux autres frèresn'étoit qu'un violon.

Madame deChoisy dit à mademoiselle de Rohanlorsqu'elle la vit mariée:« MadameDieu vous fasse la grâce de n'avoir jamais lesyeux bien ouvertset de ne voir jamais bien ce que vous venez defaire. »

Elle avoitune demoiselle fort bien faitequ'on appeloit du Genet; elle étoitma parente. Cette fille la quittaet lui dit: « Aprèsla manière dont vous vous êtes mariéej'auroispeur que vous ne me mariassiez à votre grand laquais. »





FONTENAYCOUP-D'ÉPÉE

LECHEVALIER DE MIRAUMONT

Fontenayfut surnommé Coup-D'Epéeà cause de sabravoure. J'ai appris que ce fut à cause d'un furieux coupd'épée dont il abattit une épaule à unsergent qui le vouloit mener en prison: il étoit sur un chevalde poste et revenoit de l'armée; il avoit de l'or sur sonhabitet l'or avoit été défendu depuis quelquesjours. On dit qu'une fois un autre gladiateur et lui s'étantrencontrés tête pour tête au tournant du pontNotre-Dame chacun voulut avoir le haut du pavé. Notre hommedit à l'autre d'un ton de Rodomontpensant l'intimider: Jem'appelle « Fontenay-Coup-d'Epée. -- Et moirépondit l'autreLa Chapelle-Coup-de-Canon_.»Ils mirent l'épée à la mainmais on les sépara.

Fontenayétoit de fort amoureuse manière: il a cajolé uneinfinité de personnes; et quoique ce fût une fille àqui il en contoitil ne l'appeloit jamais autrement que belleDame. La principale belle dame qu'il cajola ce fut madamede Bragelonnedu Marais; il fit mille folies pour elleet enfinn'en étant pas satisfaitsur quelque jalousie qu'il lui pritun beau jourcomme elle entendoit la messe dans les Petits-Capucinsil s'alla mettre à genoux auprès d'elleetlui ditprenant Dieu à témoins'il n'étoit pasvrai qu'elle étoit la plus ingrate du monde de lui faire desinfidélités comme elle lui en faisoitet en pleurantil lui rendit des bracelets et autres bagatelles qu'elle lui avoitdonnés. « Mais il faut lui dit-ilque vous me rendiezmon coeur; je vous donné deux jours pour cela et n'y manquezpas. »

Une foisil aimoit une femme dont il jouissoit; cette femmesoit qu'elle fûtlasse de luicar il étoit fort quinteuxou qu'en effet ellese voulut retirerlui déclara qu'elle vouloit changer de vieet le pria de ne plus venir chez elle. Lui n'en fit que rire: il yretournemais il trouvecomme on ditvisage de bois. quefait-il? Après avoir bien harangueil trouva moyen d'avoir unpétardil l'attache à la porte de cette femme. Ellequi connoissoit le pèlerinet qui étoit une espèced'amazoneouvre une trappe de cave qui étoit àl'entrée de l'alléeet se tient au bout de l'ouvertureavec deux pistolets. Je m'étonne qu'ils ne s'accordoientmieuxcar c'étoit là une vraie nymphe pour un Coup-d'Epée. Le pétard fait son effetet le capitanentroit déjà par la brèchecriant: Villegagnée ! quand il trouve ce nouveau retranchement quil'obligea à faire retraite.

Une autreextravagantamoureux à Turin d'une femme logée devantses fenêtresn'en pouvant venir à boutenvoyaemprunter deux fauconneaux du gouverneur de la citadellequi étoitFrançoistout aussi bien que lui. Il lui fit accroire quec'étoit pour un divertissement qu'il vouloit donner àsa dame. Quand il les eutil les braque à la fenêtre deson grenier contre la maison de cette femmeet puis l'envoie sommerde se rendre.

Uneautrefoisen une compagnieau lieu d'entretenir les damesFontenayse mit à cajoler la suivante de la maisonet plus tôtqu'on ne s'en fût aperçuil la poussa dans une garde-robe; làil se met en devoir de faire ce pourquoi il étoitentrésans avoir seulement songé à fermer laporte. La fille crie; tout le monde veut aller au secours: Fontenayprend un chenetet les épouvantede sorte qu'on futcontraint de parlementer avec lui et de le laisser sortir baguessauves et tambours battant.

Il nesortit pas à si bon marché d'une aventure qu'il eutauprès de l'Arsenal. Il étoit allé au sermon auxCélestinsoù il voulut faire quelque insulte àun bourgeois quine s'épouvantant point de ses rodomontadeslui donna un beau soufflet: il n'ose faire du bruit dans l'église.Il sortet se met à se promener sous les arbres du Mail enattendant que le sermon fût achevé. Je vous laisse àpenser s'il étoit en belle humeur: il se promenoit le manteausur le nez et le chapeau enfoncé: c'étoit un dimancheet il y avoitentre autres menues gensun garçon menuisierqui dit à l'autre en lui montrant Fontenay: « Ardezenvoila un qui est en colère. » Fontenaydont la bilen'étoit déjà que trop émuemet l'épéeà la main pour donner sur les oreilles de ce garçon;mais le menuisier avoit une estocade sous son bras; ç'avoitété un valet-gladiateur; il se défendet commeson épée étoit beaucoup plus longueil blessenotre capitan à la cuisse et le laisse à terre. Sesamisen ayant eu avisle vinrent quériret il fut contraintde se railler lui-même d'avoir été battu en sipeu de temps et de deux façons différentes par unbourgeois et par un garçon menuisier.

Une foisil rencontra à onze heures du soirdans une rueune fillequi pleuroit; sa maîtresse la venoit de chasser. Il la trouvaassez jolie: il lui demanda si elle vouloit venir servir sa femmeelle y va: mais elle fut bien étonnée quand elle vitque ce n'étoit qu'un garçon. Il lui offre la moitiéde son lit; elle le refuse: il l'enferme et la tient six semaines àla prendre tantôt par menacestantôt par douceur.Enfinil en vint à boutmais il s'en lassa bientôtetlui demanda si elle vouloit continuer le métier ou se remettreà servir. Elle aima mieux se remettre à servir: il lapaya bienet lui fit trouver condition. Il étoit sujet àfaire de ces tours-là.

Il leurprit une plaisante vision au chevalier de Miraumont et à lui:ils firent attacher à la poulie de leur grenier un grandpanier d'arméeet prirent deux gros crocheteurs quiquand ilpassoit quelque jolie filleen riantla mettoient dans ce panieret puis la guindoient en haut. La fille n'avoit pas sitôt perduterre qu'elle ne pensoit qu'à se bien tenir. Quand elle étoiten hautsi les deux galants qui l'y attendoient ne la trouvoient pasà leur goûtelle retournoit incontinent par la mêmevoie; mais si elle leur plaisoitils en faisoient ce qu'ilspouvoient.

Il cajolaje ne sais oùla veuve d'un bourgeoisnomméBrunetière. Cette femme étoit joliejeune et sansenfants; et quoique cet homme lui parût extravagant et malbâticar il étoit tout percé de coups et quasiestropiéelle se mit pourtant si bien dans la têtequ'il la vouloit épouser quequoiqu'il lui eût ditdepuis mille fois qu'il n'y avoit jamais penséet qu'il endisoit autant à toutes les veuves et à toutes lesfilles. elle ne laissa pas de le croirede l'aimer et d'êtredans une profonde mélancolie jusqu'à ce qu'elle l'eûtvu marié avec une autre; aprèselle se guéritquand elle n'eut plus d'espérance.

Voicicomment Fontenay se maria: il eut connoissance d'une grossedemoiselle des Cordesveuve d'un auditeur des comptesqui étoitmort incommodéde sorte que cette femme n'avoit pu retirertoutes ses conventions matrimoniales; elle vivotoit tout doucementet alloit manger chez madame Rouillard et chez madame Le Lièvrede la rue Saint-Martinqui étoient des femmes riches et sesvoisines. Fontenayalors capitaine aux gardesla trouva àson goût; elle étoit gaie et agissante. Le mariage futfait du soir au matin: cette fois- là il trouva chaussure àson pied; car c'étoit une maîtresse femmequi le rangeasi bien qu'on dit que de peur il s'alla cacher une fois dans legrenier au foin. Cela excuse Bazinièreque FontenayCoup-d'Epée ait choisi même retraite que lui. Il ne duraguèreet elle s'est remariée.

Pour lechevalier de Miraumontson camaradece fut aussi un brave. Il yavoit certaines gardes d'épée qu'on appeloit àla Miraumont. C'étoit un assez plaisant homme. « Monpèredisoit-ilfit un jour apporter demi-douzaine d'oeufsfrais pour déjeuner. J'en mangeai quatre; mon père medit: -- Vous êtes un sot. -- Je lui répondis: «Vous avez mentivieux b...et quelques autres petites paroles defils à père. ( 1 ) »

[(1) Ungentilhomme nommé Châtillondisoit queson pèreayant fait apporter une omelette pour se ragoûterce bon hommes'amuse à causeret lui la mangea presque toute. « Monpère me dit que j'étois un sot; moirempli deprudenceje ne lui voulus pas donner un souffletmais je lui dis:-- Tu as mentivieux b... »(T.)]

Un jourqu'une femmeà qui il devoit de l'argentl'étoit venutrouver qu'il étoit encore au litpour l'empêcher d'yrevenir une autre foisil l'alla conduire jusqu'à la porte dela rue tout nucar il couchoit toujours sans chemise; elle ne putjamais l'en empêcher. « Je vous rendrailui disoit-ilce que je vous dois. »

On dit queluiFontenayet quelques autres extravagants voulurent éprouverde quelle façon on tombe quand on est sur un arbre que l'on acoupé par le pied. On ne m'a su dire s'il y en eut de blessés.



DUMOUSTIER

DuMoustier étoit un peintre en crayon de diverses couleurs; sesportraits n'étoient qu'à demi et plus petits que lenaturel. Il savoit de l'italien et de l'espagnolaimoit fort àlireet il avoit assez de livres. C'étoit un petit homme quiavoit presque toujours une calotte à oreillesnaturellementenclin aux femmessale en proposmais bonhomme et qui avoit de lavertu. Il était logé aux galeries du Louvre comme uncélèbre artisan; mais sa manière de vivre et deparler n'attiroit plus les gens que ses ouvrages. Son cabinet étoitpourtant assez curieux: il y avoit sur l'escalier une grande paire decorneset aux bas: « Regardez les vôtres ; et aux bas deses livres: « Le diable emporte les emprunteurs de livres. »

Il y avoitune tablette où il avoit écrit: Tablette des sots:le père Arnoulconfesseur du Roiqui étoit unglorieux jésuitelui demanda qui étoient ces sots. «Cherchezcherchezlui dit-ilvous vous y trouverez. » Unautre jésuite s'y trouva effectivementet lui ayant demandépourquoisans se nommerdu Moustier lui répondit engrondantcar il n'aimoit point les jésuites: « Parcequ'il a dit que Henri IV avoit été nourri de biscuitd'acier. » A propos de livresil contoit lui-même unechose qu'il avoit faite à un libraire du Pont-Neufqui étoitune franche escroquerie; mais il y a bien des gens qui croient quevoler des livres ce n'est pas volerpourvu qu'on ne les vende pointaprès. Il épia le moment que ce libraire n'étoitpoint à sa boutiqueet lui prit un livre qu'il cherchoit il yavoit longtemps. Je crois que la plupart de ceux qu'il avoit luiavoient été donnés.

Il avoitun petit cabinet séparé plein de postures de l'Arétinqu'il appeloit tablatureshastam arrigendi causa... Outrecelail savoit toutes les sales épigrammes françoises.J'ai vu un de ses cousins germains à Romedu mêmemétierqui savoit aussi mille vers comme cela.

Iln'aimoit pas plus les médecins que les jésuites et illes appeloit les magnifiques bourreaux de la nature.

Le premierprésident de Verdun désira de le voir; un de ses amisl'y voulut mener. « Je ne suis ni aveugle ni enfantj'y iraibien tout seul » répondit-il. Il y va; le premierprésident donnoit audience à beaucoup de gens; enfin ildit: « J'ai mal à la tête; qu'on se retire. »On fit donc sortir tout le monde; il n'y eut que du Moustier qui ditqu'il vouloit parler à M. le premier président quiavoit souhaité de le voir; il vient et avoit fait dire quec'étoit du Moustier. Le premier président lui dit: «Vousmonsieur du Moustier! Vous êtes un homme de bonne minepour être M. du Moustier ! » Lui regarde si personne nele pouvoit entendreets'approchant de M. de Verdunil lui dit: «J'ai meilleure mine pour du Moustier que vous pour premier président(1)

[(1)Verdun avoit la gueule de côté (T.). ]

-- Ah!cette fois-làdit le présidentje connois que c'estvous. » Ils causèrent deux heures ensemble le plusfamilièrement du monde.

Quand ilpeignoit les gensil leur laissoit faire tout ce qu'ils vouloient;quelquefois seulement il leur disoit: « Tournez-vous. »Il les faisoit plus beaux qu'ils n'étoientet disoit pourraison: « Ils sont si sots qu'ils croient être comme jeles fais. et m'en payent mieux. »

Vaillantpeintre flamandnatif de Lillequi peint en crayon comme luiàcelles qui ne le payoient pasil faisoit comme des barreaux surleurs portraitset disoit qu'il les tenoit en prison jusqu'àce qu'elles eussent payé.

Il seremaria à sa servantequi étoit fort jolie. La Reinelui demanda pourquoi il avoit épousé une servante. «Madameje n'oserois vous le dire. -- Ditesdites. -- C'estdit-ilparce qu'elle avoit un beau chose. » En effetill'avoit trouvé si beau qu'il en avoit fait plusieursportraits.

La plusbelle aventure qui lui soit arrivéec'est que le cardinalBarberinétant venu légat en Francedurant lepontificat de son oncleeut la curiosité de voir le cabinetde du Moustier et du Moustier même. Innocent Xalors monsignorPamphilioétoit en ce temps- là dataire et le premierde la suite du légat; il l'accompagna chez du Moustieretvoyant sur la table l'Histoire du Concile de Trentede labelle impression de Londresdit en lui-même: « Vraimentc'est bien à un homme comme cela d'avoir un livre si rare ! »Il le prend et le met sous sa soutanecroyant qu'on ne l'avoit pointvu; mais le petit hommequi avoit l'oeil au guetvit bien cequ'avoit fait le dataireettout furieuxdit au légat qu'illui étoit extrêmement obligé de l'honneur que SonEminence lui faisoitmais que c'étoit une honte qu'elle eutdes larrons dans sa compagnie »; et sur l'heureprenantPamphile par les épaulesil le jeta dehors en l'appelantbourguemestre de Sodome_et lui ôta son livre.

Depuisquand Pamphile fut créé papeon dit à duMoustier que le pape l'excommunieroit et qu'il deviendroit noir commecharbon. « Il me fera grand plaisirrépondit-ilcar jene suis que trop blanc. » Malherbecomme vous avez vuditquasi la même chose à M. de Bellegardeet le maréchalde Roquelaure avant eux eut la même pensée. Henri IV luidit un jour: « Mais d'où vient qu'à cette heureque je suis roi de France paisibleet que j'ai toutes choses àsouhaitje n'ai point d'appétitet qu'en Béarnoùje n'avois pas de pain à mettre sous les dentsj'avois unefaim enragée? -- C'estlui dit le maréchalque vousétiez excommunié; il n'y a rien qui donne tantd'appétit. -- Mais si le pape savoit celareprit le Roiilvous excommunieroit -- Il me feroit grand honneurréponditl'autre; car je commence à être bien blancet jedeviendrois noir comme en ma jeunesse. »

A la mortde du Moustierle chancelierpar l'instigation des jésuitesfit acheter tous les livres qu'il avoit contre euxet les fitbrûler.



DESBARREAUX

DesBarreaux se nomme Vallée et est fils d'un M. des Barreauxquiétoit intendant des finances du temps de Henri IV. En sajeunessec'étoit un fort beau garçon; il avoitl'esprit vifsavoit assez de choseset réussissoit àtout ce à quoi il se vouloit appliquer; mais ayant perdu troptôt son pèreil se mit à fréquenterThéophile et d'autres débauchésqui luigâtèrent l'espritet lui firent faire mille saletés.C'est à lui que Théophile écrit dans ses lettreslatinesoù il y a à la suscription: TheophilusValloeo suo. On ne manqua pas de dire en ce temps-là queThéophile en étoit amoureuxet le reste.

Quelquetemps après la mort de ce poèteen une débaucheoù étoit le feu comte du Ludedes Barreaux se mit àcriaillercar ç'a toujours été son défautle comte lui dit en riant: « Ouaispour la veuve deThéophileil me semble que vous faites un peu bien du bruit.»

On l'avoitfait conseillermais ce métier ne lu; plaisoit guèreet il mit au feu l'unique procès qui lui fut distribué;carcomme il vit qu'il y avoit tant de griffonnages àdéchiffreril prit tous les sacs et les brûla tous l'unaprès l'autre. Les parties étant venues pour savoirs'il les expédieroit bientôt: « Cela est faitleur dit-il; ne pouvant lire votre procèsje l'ai brûlé.-- Ah! nous sommes ruinéesdirent-elles. -- Ne vous affligezpas tant; il ne s'agissoit que de cent écusles voilàet je crois en être quitte à bon marché. »Depuisil n'en voulut plus ouïr parleret disoit plaisammentque le Roi alloit plus souvent que lui au Palais. Il ne garda pas sacharge longtemps car il fit tant de dettes qu'il la fallut vendre.

Ce fut luiqui mit Marion (de l'Orme) à mal. Il fut huit jourscachée chez elle dans un méchant cabinet où l'onmettoit du bois: làelle lui apportoit à mangeret lanuit il alloit coucher avec elle. Depuiscomme elle a eu plus dehardiesseelle l'alloit trouver en une maison au faubourgSaint-Victorqu'il avoit fait fort bien meubleroù il yavoit un grand jardin. Il appeloit ce lieul'Ile de Chypre.Elle devint grosse trois ou quatre fois; mais elle se faisoitavorter. Une foiselle s'en avisa trop tardet quoiqu'elle eûtpris assez de drogues pour tuer un Suisses'il eût étédans son corpselle fit pourtant un petit garçon qui seportoit le mieux du mondeet qui crioit le plus fort.

DesBarreaux a toujours été impie ou libertincar biensouvent ce n'est que pour faire le bon compagnon. Il le fit bien voirdans une grande maladie qu'il eutcar il fit fort le sot et baisabien des reliques. Quelques mois aprèsayant ouï unsermon de l'abbé de Bonzezil lui fit dire par madame Saintotqu'il vouloit faire assaut de religion contre lui. « Je le veuxbienrépondit l'abbéà la premièremaladie qu'il aura. »

Il étoitinsolent et ivrogne. A Veniseil alla lever la couverture d'unegondolequi est un crime en ce pays de liberté; aussi fut-ilbien battu. Il dit qu'il étoit conseiller de Franceet ce futen cette rencontre-làà ce qu'on ditque pour lapremière fois on dit en Italie: O povera Franciamalconsigliata !

Sonivrognerie lui a fait courir mille périls et recevoir milleaffronts. Un jour qu'il avoit buil vit un prêtre quiportantcorpus Dominiavoit une calotte; il s'approcha de luijetasa calotte dans la boueet lui dit « qu'il étoit bieninsolent de se couvrir en présence de son Créateur ».Le peuple s'émutet sans quelques personnes de considérationqui le firent sauveron l'eût lapidé.

En unedébaucheil dit quelque chose à Villequieraujourd'hui le maréchal d'Aumontqui lui rompit une bouteillesur la têteet il lui donna mille coups de pied. des Barreauxle jour même pria Bardouvilleson amigentilhomme deNormandiehomme d'espritmais libertinde faire un appel àVillequier. Bardouville (1)qui connoissoit le pèlerinluipromit tout ce qu'il voulutet le fit coucher.

[(1)Saint-Ibar dità la naissance du fils de Bardouville qu'illui falloit mettre des entraves quand on le baptiseroitqu'autrementil regimberoit contre l'eau bénite (T.)]

Lelendemainil le va trouver; le galant homme dormoit le plustranquillement du mondeet depuis ne s'en est pas souvenu. (1642) Ilpouvoit avoir trente-cinq ans quand il fit partie avec un nommePicotet autres qui leur ressembloientd'aller écumer toutesles délices de la France; c'est-à-dire de se rendre enchaque lieu dans la saison de ce qu'il produit de meilleur. Balzacqu'ils virent en passant appela des Barreaux le nouveau Bacchus.Ils passèrent à Montauban et dans le temple de ceux dela religion ils se mirentun jour de prêcheà chanterdes chansons à boire au lieu de psaumes. Ils ne pouvoient pasêtre ivrescar c'étoit à huit heures du matin.Sans un M. Daliezgalant homme de ce pays-làon les alloitjeter par les fenêtres. Il a continué ces sortes devoyages assez longtemps.

A un bal àParisquelques années aprèsil fut battu plus quepartout ailleurs. Aux pieds d'une dameil disoit tout haut tout cequi lui venoit dans l'esprit: il dit d'une fort grande fille quec'étoit la reine Estheret qu'il l'avoit vue mille fois endes pièces de tapisserie. Dans cette belle humeuril allaôter la perruque à un valet de chambre qui servoit de lalimonade. Le valetqui faisoit le beause sentit si outragéde cet affront qu'un quart d'heure aprèsayant ouvert uneportecouverte de la tapisseriequi étoit justement derrièredes Barreauxil lui donna cinq ou six grands coups de bâtondont un le blessa à la têteet puis se sauvasans quepersonne le put attraper car il tira la porte sur lui. Le coup futdangereuxet il pensa être trépané.

L'étésuivantil fut en grand danger d'être assommé par despaysans en Touraine. Il étoit allé voir un de ses amisà la campagnechez lequel il vint coucher deux Cordeliers. Ildit au maître du logis qu'il vouloit faire l'athéepourrire de ces bons pères; il n'eut pas grand'peine àcelaet dit tant de choses que les religieux dirent qu'ils nelogeroient point sous même toit que ce diable-làets'en allèrent chercher gîte chez le curé. Lesvillageois en eurent le vent et cette nuit-làpar malheurpour des Barreauxles vignes ayant été geléesils crurent que c'étoit ce méchant homme qui en étoitla causeet se mirent à l'assiéger dans la maison deleur seigneur même; ils s'y opiniâtrèrent si bienqu'on eut de la peine à faire sauver le galant hommequ'ilspoursuivirent assez longtemps.

Il y aplus de douze ans qu'il est si déchu que la plupart du tempsil ne dit plus que du galimatias; il criaillemais c'est toutetc'est rarement qu'il fait quelque impromptu supportable. Il joueilivrognemange si salement qu'on l'a vu cracher dans un plat afinqu'on lui laissât manger tout seul ce qu'il y avoit; il se faitvomir pour remanger tout de nouveau. et est plus libertin que jamais.Il dit qu'il ne fit le bigot à sa maladie que pour ne pasperdre quatre mille livres de rente qu'il espéroit de sa mère.Cette femme étant morteles beaux-frères de desBarreaux furent contraints de retenir ce bien et de lui donnerseulement une pensionafin qu'il ne se pût ruiner entièrement.

Il avoitun oncle paternel huguenotnommé M. de Chenaillesqui mourutgarçon et fit beaucoup d'avantages à des neveux de lareligion qu'il avoitde sorte que des Barreaux et ses soeursn'eurent pas grand'chose. Il en fut fort en colèreet disoità ses soeurs: « : Encorepour vous autresvous aurezle plaisir de croire qu'il est damné; mais moije ne lesaurois croire. » De ce qu'il en eut pourtantil en acheta unbénéfice et ne s'en cachoit point.

Bien loinde s'amender en vieillissantil fit une chanson où il y a:

Etpar maraisonje butte

A devenir bête brute.


Il prêchel'athéisme partout où il se trouveet une fois il futà Saint-Cloud chez la du Ryer passer la semaine sainteavecMitongrand joueurPotelle conseiller au ChâteletRaineysMoreau et Picotpour fairedisoit-illeur carnaval.

Picotmourut à peu près comme il avoit vécu : il tombamalade dans un village; il fit venir le curéet lui dit qu'ilne vouloit point qu'on le tourmentât et qu'on lui criaillâtaux oreillescomme on fait à la plupart des agonisans: lecuré en usa bienet il lui donna par son testament troiscents livres; mais comme il vit que le curele croyant expédiéou peu s'en falloitse mettoit à criaillier comme on a decoutumeil le tira par le braset lui dit: « Sachezgalanthommesi vous ne me tenez ce que vous n'avez promisqu'il me resteencore assez de vie pour révoquer la donation. » Celarendit le curé plus sageet l'abbé expira assez enrepos.

Pour desBarreauxil a eu tout le loisir de chanter la palinodie; il a bienfait le fou en mourantcomme il le faisoit quand il étoitmalade.



MARIONDE L'ORME

Marion del'Orme étoit fille d'un homme qui avoit du bien et si elle eûtvoulu se marierelle eût eu vingt-cinq mille écus enmariage; mais elle ne le voulut pas. C'étoit une bellepersonneet d'une grande mineet qui faisoit tout de bonne grâce;elle n'avoit pas l'esprit vifmais elle chantoit bien et jouoit biendu théorbe. Le nez lui rougissoit quelquefoiset pour celaelle se tenoit des matinées entières les pieds dansl'eau. Elle étoit magnifiquedépensière etnaturellement lascive.

Elleavouoit qu'elle avoit eu inclination pour sept ou huit hommeset nondavantage: des Barreaux fut le premierRouville après; iln'est pas pourtant trop beau: ce fut pour elle qu'il se battit contreLa Ferté-Senecterre; Miossensà qui elle écrivitpar une fantaisie qui lui prit de coucher avec lui; ArnauldM. leGrand (Cinq-Mars)M. de Châtillonet M. de Brissac.

Elledisoit que le cardinal de Richelieu lui avoit donné une foisun jonc de soixante pistoles qui venoit de madame d'Aiguillon. «Je regardois celadisoit-ellecomme un trophée. » Elley fut déguisée en page. Elle étoit un peujalouse de Ninon.

Le petitQuilletqui étoit fort familier avec elledit que c'étoitle plus beau corps qu'on pût voir... Il lui a baisé centfois ce que vous savezmais c'étoit tout... Il lui disoit: «Comme il vous vient des visions en débauches de manger desorduresde même il pourra venir quelque envie en ma faveur. »C'est un vilain petit homme couperosé.

Elle avoittrente-neuf ans quand elle est mortecependant elle étoitaussi belle que jamais. Sans les fréquentes grossesses qu'ellea eueselle eût été belle jusqu'àsoixante ans. Elle pritun peu avant que de tomber maladeune forteprise d'antimoine pour se faire avorteret ce fut ce qui la tua. Onlui trouva pour plus de vingt mille écus de hardes; jamais lesgants ne lui duroient que trois heures. Elle ne prenoit pointd'argentrien que des nippes. Le plus souvent on convenoit de tantde marcs de vaisselle d'argent.

Sa grandedépense et le désordre des affaires de sa famillel'obligèrent à mettre en gage le collier que d'Emerylui avoit donné. Elle disoit de ce gros homme qu'il étoitd'agréable entretienqu'il étoit propreet qu'ilfaisoit bien la chosette. Il lui fit faire quelques affaireset ce collier ne fut pas donné tout franc; ce fut en quelquefaçon comme cela; mais il ne fit rien pour ses frères.

Houssettrésorier des parties casuellesaujourd'hui intendant desfinancesretira ce collierpuis il le retint; il étoitamoureux d'ellemais il n'osoit en faire la dépense.

Le premierprésident de la cour des aidesAmelotétoit aprèsà traiter quand elle mourut. Un peu auparavant LaFerté-Sénecterrealors maréchal de Franceseprévalant de la nécessité où elle étoitpensa l'emmener en Lorraine; mais on lui conseilla de s'en garderbiencar il l'eût mise dans un sérail. Chevry étoittoujours son pis-allerquand elle n'avoit personne.

Lorsqu'ellefut solliciter le feu président de Mesmes de faire sortir sonfrère Baye de prisonoù il avoit été mispour dettesil lui dit: « Eh! Mademoisellese peut-il quej'aie vécu jusqu'à cette heure sans vous avoir vue? »Il la conduisit jusques à la porte de la ruela mit encarrosseet fit son affaire dès le jour même. Regardezce que c'est : une autreen faisant ce qu'elle faisoitauroitdéshonoré sa famille; cependant comme on vivoit avecelle avec respect! Dès qu'elle a été morte on alaissé là tous ses parenset on en faisoit quelque caspour l'amour d'elle. Elle les défrayoit quasi tous.

Elle seconfessa dix fois dans la maladie dont elle est mortequoiqu'ellen'ait été malade que deux ou trois jours: elle avoittoujours quelque chose de nouveau à dire. On la vit mortedurant vingt-quatre heuressur son lit avec une couronne de pucelle.Enfinle curé de Saint-Gervais dit que cela étoitridicule.



LEPRÉSIDENT PASCAL ET BLAISE PASCAL

Leprésident Pascal portoit ce titre parce qu'il avoit étéprésident de Clermont en Auvergne; c'est un homme qui a eud'assez beaux emplois: il s'étoit appliqué auxmathématiques; mais il a été plus considérablepar ses enfants que par lui- mêmecomme nous verrons par lasuite.

Quand onfit la réduction des renteslui et un nommé deBourgesavec un avocat au conseil dont je n'ai pu savoir le nomfirent bien du bruitet à la tête de quatre centsrentiers comme euxils firent grand'peur au garde des sceaux Séguieret à Cornuel. Le cardinal de Richelieu fit mettre dans laBastilleles deux autres; pour Pascalil se cacha si bien qu'on nele put trouveret fut long-temps sans oser paroître. En cesentrefaitesles petites Saintot et sa fillequi est à cetteheure en religionjouèrent une comédiedont cettefillequi n'avoit que douze ansavoit fait presque tous les vers.

Lecardinal de Richelieu en ce temps-là eut la fantaisie de fairejouer le Prince déguisé (de Scudéry)à des enfants. Bois-Robert en prit le soin. Il choisitcommevous pouvez pensercette petite Pascal; il prit aussi une despetites SaintotSocratineet le petit Bertautson frère.La représentation réussit; mais la petite Pascal fit lemieux. Comme on la louoitelle demande à descendreetd'elle-mêmesans en avoir rien dit à personneelle vase jeter aux pieds de Son Eminenceet lui récite en pleurantdix ou douze vers de sa façonpar lesquels elle demandoit leretour de son père. Le cardinal la baisa plusieurs foiscarelle étoit bellottela loua de sa piétéet lui dit: « Ma mignonneécrivez à votre pèrequ'il revienneje le servirai. » En effetil le servit et lecontinua dix ans à l'intendance par moitié deNormandiecar il s'étoit défait de sa charge en faveurd'un de ses frères. Ils étoient tous d'Auvergne.

Sa fillefit d'autres sersj'en ai quelques-uns. Enfinà d x- huitanselle se mit dans la dévotionetcomme j'ai ditelle sefit religieuse.

Leprésident Pascal a laissé un filsqui témoignadès son enfance l'inclination qu'il avoit aux mathématiques.Son père lui avoit défendu de s'y adonner qu'il n'eûtbien appris le latin et le grec. Cet enfantdès douze outreize ans lut Euclide en cachetteet faisoit déjà despropositions; le père en trouva quelques-unes; il le faitvenir et lui dit: « Qu'est-ce que cela ? » Cc garçontout tremblantlui dit: « Je ne m'y suis amusé qu'auxjours de congé. -- Et entends-tu bien cette proposition? --Ouimon père. -- Et où as-tu appris cela ? -- DansEuclidedont j'ai lu les six premiers livres (on ne lit que celad'abord). -- Et quand les as-tu lus? -- Le premier en une aprèsdînéeet les autres en moins de temps àproportion. » Notez qu'on y est six mois avant que de les bienentendre.

Depuiscegarçon inventa une machine admirable pour l'arithmétique.Pendant les dernières années de l'intendance de sonpèreayant à faire pour lui des comptes de sommesimmenses pour les taillesil se mit dans la tête qu'onpouvoitpar de certaines rouesfaire infailliblement tontes sortesde règles d'arithmétique; il y travailla et fit cettemachine qu'il croyoit devoir être fort utile au public; mais ilse trouva qu'elle revenoit à quatre cents livres au moinsetqu'elle étoit si difficile à faire qu'il n'y a qu'unouvrierqui est à Rouenqui la sache faire: encore faut-ilque Pascal y soit présent. Elle peut être de quinzepouces de long et haute à proportion. La reine de Pologne enemporta deux; quelques curieux en ont fait faire. Cette machine etles mathématiques ont ruiné la santé de cepauvre Pascal.

Sa soeurreligieuse à Port-Royal de Parislui donna de la familiaritéavec les jansénistes: il ]c devint lui-même. C'est luiqui a fait ces belles lettres au Provincial que toute l'Europeadmireet que M. Nicole a mises en latin. Rien n'a tant fait enragerles jésuites. Long-temps on a ignoré qu'il en fûtl'auteur; pour moije ne l'en eusse jamais soupçonnécar les mathématiques et les belles-lettres ne vont guèreensemble. Ces messieurs du Port-Royal lui donnoient la matièreet il la disposoit à sa fantaisie. Nous en dirons davantagedans les Mémoires de la régence.



LUILLIER(PÈRE DE CHAPELLE)

Luillierétoit de bonne famillefils d'un conseiller au grand-conseilqui après fut maître des requêtespuisprocureur-général de la chambreet enfin maîtredes comptes. Voyez quelle bizarrerie ! sa femmequi avoit obligéle procureur-généraldont elle étoit filleàse démettre de sa charge en faveur de son marifut si sotteque de mourir de chagrinvoyant l'inconstance de cet homme. Ce bonhomme étoit débauchéet eut la v..... en mêmetemps que son cousin Tambonneau. Il avoit assez bon nombre d'enfantset entre autresun garçon fort aimable quine pouvantsouffrir sa ridicule humeuralla voyagerfit naufrage au pas deRhodes et se noya.

Luillierdont nous allons écrire l'historiettedemeura seul garçonavec deux filles. Ce fils ressembloit à son pèreaumoins en deux chosesen -garçaillerie_ et en inquiétudepour les charges. Il fut d'abord trésorier de France àPariset vendit sa charge pour assister des Barreaux; ils enmangèrent une bonne partie ensemble. Après il se fitmaître des compteset enfin conseiller à Metz.

Etantmaître des comptesil eut une amourette avec une de sesparentes qui étoit mal avec son mariil en eut un filsetpar son créditquoique cet enfant fût adultérinil le fit légitimeret lui assura de quoi vivre par leconsentement de ses soeurs. Ses soeurs lui envoyoientsous prétextede lui faire des confituresune jolie suivantequi demeuroit deuxmois tous les ans avec lui. Il n'avoit que des femmes chez luietdisoit qu'elles étoient plus propres.

Il avoiteu un carrossemais il n'en vouloit plus avoirparcedisoit-ilqu'il ne sortoit jamais quand il vouloità cause que soncocher ne se trouvoit point au logis lorsqu'il avoit affaireetqu'il n'arrivoit jamais quand il vouloità cause desembarras. Il avoit des lettressavoit et disoit les chosesplaisamment. Il étoit un peu cynique; il disoit: « Ne mevenez point voir un tel jourc'est mon jour de b...l. »

Il y menason filset lui fit perdre son p... en sa présence....

Il étoitvêtu comme un simple bourgeoisalloit toujours à piedet avoit pourtant dix- huit mille livres de rente. Il assistoitquelques gens de lettresmais il étoit avare: il disoitqu'il travailloit à faire en sorte que son bien ne lui donnâtpoint de peine; et j'ai logé dans la quatrième maisonqu'il a bâtie à dessein de les revendre. Voyez quelrepas d'esprit; quand ce ne seroit que d'avoir à criailleretsouvent à plaider contre toutes sortes d'ouvriers. Et puisaller débattre de prix avec le tiers et le quart. Pour monparticulierj'ai fort à me louer de lui. Il disoit lui-mêmeque nous avions fait un marche du siècle d'or. Il est vraiqu'en le traitant généreusement je faisois qu'il sepiquoit d'honneuret que j'en avois tout ce que je voulois; ildisoit: « je ne comprends point comment nous l'entendons: j'ailoué autrefois une maison à un évêque quine me payoit point; j'en ai loué une autreà unhuguenotil me paie paravance. » Lui et un de ses amisnomméBoulliaugrand mathématicienallèrent par un jourfort chaudà pied à Saint- Denisvoir le Trésoret manger des talemouses.

Quand illui prit fantaisie de se faire conseiller à Metzil en parlaà MM. Du Puyqui s'en moquèrentet lui dirent qu'ilse mettoit en danger d'être pris tous les anset qu'il lui encoûteroit dix mille écus pour sa rançon. Il lesquitte làet de ce pas il va signer le contrat. Il en avoitaussi parlé à Chapelainen présence de Guyetcelui qui disoit ques'il eût été Juifilauroit appelé de la sentence de Pilate à minima.Guyet dit que comme Chapelain vouloit détourner Luillier de sefaire conseiller à Metzl'autre lui dit: « Mordieu ! jevous ai laissé faire de méchants vers toute votre viesans vous en rien direet vous ne me laisserez pas changer de chargeà ma fantaisie! ». Je crois pourtant que Chapelain nel'entendit pascar ils ont toujours vécu en amis depuis cela.

J'ai ditailleurs qu'il disoit que La Mothe Le Vayer étoit vêtuen charlatancar il avoit des souliers noircis avec un habit depanneet Chapelain en maquereau.

J'ai vuune estampe de Rabelaisfaite sur un portrait qu'avoit une de sesparentesqui ressembloit à Luillier comme deux gouttes d'eaucar il avoit le visage chafouin et riant comme Luillier. Pourl'humeurvous voyez qu'il y a assez de rapport.

Il fit sonbâtard (1) médecinparcedisoit-ilqu'en cettevacation-là on peut gagner sa vie partout. Ce garçonlui ressemble fort pour l'humeur et pour l'esprit.

[(1)Chapelle. (T.)]

Luillierétoit inquiet à un point qu'il disoit franchement : «Dans un an je ne sais où je seraipeut-être irai-je mepromener à Constantinople. » Il ne mentoit pascar unbeau joursans rien dire à personneil part. Ses parensdisoient qu'il s'étoit allé promener pour quatre ans.Il alla bien se promener pour plus longtempscar il est encore àrevenir. Il alla en Provence trouver son bâtard. qu'il avoitdonné à instruire à Gassendison intimequiavoit logé ici chez lui si long-temps. Il disoit pour sesraisons que son parlement de Toulet ses amis l'occupoient trop àsolliciter leurs affaires. Il fut bien malade à Toulon: de làil passa en Italiefut encore malade à Gêneset enfinmourut à Pise. Il n'y a jamais eu que lui au monde qui se soitfait conseiller à Toul pour aller mourir à Pise.



LACOMTESSE DE LA SUZE

Madame deLa Suzequi paroissoit stupide en son enfance et qui en conversationne disoit quasi rienil n'y a pas trop long-temps encorefit desvers dès qu'elle fut en Ecosse; elle en laissa voirdèsqu'elle fut remariéequi n'étoient bons qu'àbrûler. Depuis elle a fait des élégies les plustendres et les plus amoureuses du mondequi courent partout.

Le premierdont on a parlé fut un garçon de notre religionnomméLacger; il est à cette heure conseiller à Castres: il ade l'esprit et fait des versmais médiocres. D'ailleursc'est un gros tout rondet qui n'est nullement honnête homme(1).

[(1) Hommedu monde. (T.)]

Il étoitallé à Lumigny avec un de ses amis qui connoissoitmademoiselle de La Suze. Là cette folle s'éprit deLacgeret le lui dit. Elle lui a écrit un million de lettreset de vers les plus passionnés qu'on puisse voir; mais sesbelles-soeurs les empêchoient de joindre. Elle vint ici;il alloit la voir et portoit une lettre; elle se tenoit sur le litlui au piedet mettoit cette lettre dans sa mule de chambre droiteet en prenoit une autre dans la gauche. Il la vitdéguisésur les cheminset une autre foiscomme il faisoit semblant d'allerà la chasse. Il se ruinoit en laquais et en messagers qu'il afallu quelquefois envoyer jusqu'à Betfort.

Ce galanthomme avoit conté cette histoire à Frémontquine le croyoit pascar c'est un des plus grands menteurs du monde;mais il n'en douta plus par une aventure assez plaisante que voici:Comme il étoit en Champagneun Anglois lui demanda la passade(2).

[(2)L'hospitalité pour une nuit.].

«J'avoislui dit-il en mauvais françoisune attestation de M.l'agent du roi d'Angleterre; mais on me l'a déchirée àLumigny. » Frémontqui étoit peut-être leseul homme en Champagne qui sût cette affairelui demandecomment cela étoit arrivé. « Comme je fus àLumignydeux demoiselles me demandèrent si j'avois deslettres de M. Lacgerj'entendis M. l'agent; je tiremon attestation; elles se jettent dessus eten se l'arrachant l'uneà l'autrela déchirent; après cela la plusjeune (on l'appeloit mademoiselle de Nermanville) vint à moiavec une lettreet me dit: -- C'est de Lacgeret non de l'agentque je vous demande une lettredonnez-la-moi; en voilà unepour lui (elle faisoit cela pour voir s'il n'en avoit point). -- Jelui jurai que je ne savois ce que c'étoit. » La comtessetrouva moyen après de lui parler; elle lui parla en angloislui donna une lettre pour Lacgerlui enseigna son logiset l'assuraqu'il l'assisteroit. Il les servit depuiset porta quelque tempsleurs lettres. Déjà Lacger s'étoit servi de cespauvres Angloisqui vont demandant leur vieet c'est pourquoi lesdeux filles demandèrent des lettres à celui-ci.

Le comtede La Suze est un homme où jamais il n'y a eu ni rime niraison. Lui et sa femme avoient plus de quatre- vingt mille livres dedette. Pour l'acquitteron lui proposa de se contenter de douzemille écus par an pour quelques années; jamais il n'yvoulut entendre. Il avoit cent personnes chez luicent cinquantechiens avec lesquels il n'a jamais rien prisgrand nombre deméchants chevaux. Là-dedans on n'est point surprisquand on vous annonce de vous coucher sans soupertant toutes chosessont bien réglées. Il buvoit un temps du vinun autrede la bièreet un autre de l'eau. On dit qu'il est assezplaisant en débauche. « Quand je n'aurai plus riendisoit-ilj'irai avec les Allemands. » Betfort lui valoitquarante mille livres de rente; maisayant pris le parti de M. lePrinceil a tout perdu.

On parlaensuite d'un greffier du Conseilnommé Potelgarçonfort médiocre; mais il fit de la dépense pour elleetla suivit au Maine. je crois qu'il n'en a rien eu; mais le comte duLudequi parut après sur les rangsen eut apparemment toutce qu'il voulut.

De VannesMatharelqui étoit familier chez le maréchal deChâtillonlui fit un jour des reproches de sa façon devivrecar elle avoit fait cent sottises. Elle lui dit: «Vois-tu ce n'est pas ce que tu penses; ce n'est que pour tâterque pour baiserpour badiner; du resteje ne m'en soucie point. Monmari me le fit douze fois; c'étoit comme s'il l'eût faità une bûche. Si on m'avait mariée comme j'eussevouluje ne ferois pas ce que je fais. » Parlant à unedame huguenoteveuve de M. de Clermont de Gallerandebeau-frèredu maréchalelle lui confessa que le comte du Lude en avoittout eu; depuiselle niaet lui dit: « Que c'étoit uncoureur qui avoit eu la v...s'il ne l'avoit encore. » Mais ceque je sais de mieuxc'est ce qu'elle a fait à Rambouilletcelui qu'on appela depuis Rambouillet-Candale. Elle lui dit une foisqu'elle étoit entièrement persuadée de sonmérite; depuisà la première occasion... ellelui écrivit cent extravagances. Il ne lui fit aucune réponse;mais il y fut un jour qu'elle l'en avoit fort prié: elle étoitau lit. Elle fit si bien qu'en présence de ses demoisellesqui ne sortoient jamais de la chambre (elles étoient un peuespionnes)elle mit le rideau sur luide sorte qu'elle se fit voirà lui toute nue. Elle a le corps beau; mais pour le visage ily a de la moue de son père... Elle fut après pour levoiret le pressa de trouver un lieu où ils pussent êtreen liberté. Luiqui croyoit qu'il n'y faisoit pas trop sûret qui étoit engagé ailleursfut long-temps sans s'yrésoudre. Enfinil fallut pourtant cesser de faire le cruel:il n'alla point un dimanche à Charentonet il s'assura de laporte de la cour de derrière du logis de son père.Après avoir fermé soigneusement toutes les fenêtreset toutes les portes qui donnoient sur cette couret avoir fait direqu'il n'y étoit pasil prit ensuite des porteurs affidésdont la chaise étoit marquée 20et les envoya chezmadame de Revelveuve d'un avocat général de Grenobleoù elle avoit demeuré quelque tempsquand elle changeade religionde peur d'être obligée de suivre son mari.Orla comtesse devoit aller chez cette dame en chaiseet renvoyertout son mondefaisant semblant d'y vouloir passer l'après-dînée;ce qu'elle fitet après avoir été un moment enhautelle dit à madame de Revel: « Qu'elle étoitmontée plutôt pour savoir si elle la retrouveroit dansdeux heures que pour lui faire une visite; cardit-ellej'ai uneaffaire qui presse. »

Aprèselle descend et crie: Mes porteurs; c'étoit le mot;elle entre dans la chaiseva chez Rambouillet; on la porte jusquesur l'escaliercar l'appartement du galant répond sur lederrièreet est par bas. Il la baisa tant qu'il put. Dans ledéduit il lui disoit: « Voilà le sang de Colignybien humilié ! » Il dit qu'elle n'est point badineetqu'elle ne sut jamais dire que: « Ah ! mon cherque je vousaime ! » Il lui dit: « Qu'il ne lui avoit pas autrementd'obligation de ce qu'elle avoit fait pour luiet que le comte duLude en avoit eu autant. » Elle souffrit cela sans se fâcher;elle ne lui avoua pourtant rienet lui dit seulement qu'en causantde l'amour avec sa belle-soeur de Nermanvillela pucelle lui disoit:« Maisma soeurà vous ouïrje pense que si vousvous trouviez seule avec un homme que vous aimassiezvous luipermettriez toute chose. -- Peut-êtredisoit-elle; je n'envoudrois pas répondre. » Rambouillet fut quinze jourssans y aller: il lui dit qu'il y avoit été trois fois;elle le crut bonnementcar on lui fait accroire tout ce qu'on veut;mais il ne lui fit rienetce qui est étonnantils se sontvus cent fois depuiset elle n'a jamais fait semblant de se souvenirde ce qui s'étoit passe entre eux. Vous diriez une g...qu'ona vue en une passade.

UnSaint-d'Hierryfils de feu Roquesécuyer du cardinal deRichelieua été son galant ensuite. Les demoiselles serelâchoientet tout alla à l'abandon. De Vannes setourmenta tant qu'il lui fit donner l'ordre de se retirer. Depuisses parents la pressant d'aller trouver son mariqui étoitpassé en Allemagneelle dit à madame de la Forcequ'elle avoit du mal. Regardez quelle effronterie! Cela pouvoit êtrevrai. On disoit qu'elle avoit donné une v.... à l'abbéd'Effiat. Elle a dit depuis à Rambouillet qu'elle avoit ditcela pour ne pas aller avec son mariet au même temps elle luiavoua qu'elle avoit couché avec le comte du Lude.

Enfin ellechangea de religionafin qu'on ne la fît point sortir deParis. Elle fut quelque temps aux Carmélitesàcondition de ne point quitter ses quelques moucheset de sortir deuxfois la semaine. Un nommé Hacqueville étoit alors songalant. Les dévotesvoyant qu'elle ne prioit point Dieu lesmatinset qu'elle ne faisoit que se mirerlui ôtèrentses miroirs. Le lendemain elle n'en trouva pas un; on lui dit qu'ellen'en auroit qu'après avoir prié Dieu.

M. deGuise lui en a conté huit mois durant; mais ils sont sivisionnaires l'un et l'autre qu'on ne sauroit trop dire s'il en estrien arrivé. Rambouillet l'avertit quedès qu'elle luiauroit fait quelque faveuril la laisseroit là. Le maréchald'Albert y alla ensuite.

Un nommédes Colombysgrand brutallui en contaet lui donna sur lesoreilles une fois. L'abbé de Brucfrère de madame duPlessis-Bellière et de Montplaisirs'y attacha ensuite. Il yva tant de gens que c'est une vraie cohue. Elle devient fort grosse;elle a des affectations insupportables. Elle ne parle qu'àcertaines gens; ailleurselle dit les choses si languissammentetavec une telle négligencequ'elle ne daigne pas former lesparoles.



LIANCE

Liance estla preciosa de France. Après la belle Egyptienne deCervantesje ne pense pas qu'on en ait vu une plus aimable. Elleétoit de Fontenay-le-Comteen bas Poitou; c'est une grandepersonnequi n'est ni trop grasse ni trop maigrequi a le visagebeau et l'esprit vif; elle danse admirablement. Si elle ne sebarbouilloit pointelle seroit claire- brune. Au restequoiqu'ellemène une vie libertinepersonne ne lui a jamais touchéle bout du doigt. Elle fut à Saint-Maur avec sa troupeoùM. le Prince étoit avec tous ses lutins de petits maîtres;ils n'y firent rien. Benserade la rencontra une fois chez madame laPrincessela mère; il pensa la traiter en Bohémienneet lui toucha à un genou. Elle lui donna un grand coup depoingdans l'estomacet tira en même temps une demi-épéequ'elle avoit toujours à la ceinture. « Si vous n'étiezcéanslui dit-elleje vous poignarderois. -- Je suis doncbien aiselui dit-ilque nous y soyons. » Madame laPrincessela jeunefit ce qu'elle put pour la reteniret luifaisoit d'assez belles offres. Il n'y eut pas moyen. Elle dit pourses raisons: « Sans ma dansemon pèrema mèreet mes frères mourroient de faim. Pour moije quitteroisvolontiers cette vie-la. » La Reine s'avisa de la faire mettreen une religion. Elle pensa faire enrager tout le mondecar elle semettoit à danser dès qu'on parloit d'oraison. La Roquecapitaine des gardes de M. le Princedevint furieusement amoureuxd'elle; il la fit peindre par Beaubrun. Gombauld fit ce quatrainpendant qu'on travailloit à son portrait:

Une beauténon commune

Veut un peintre non commun

Iln'appartient qu'à Beaubrun

De peindre la bellebrune.


Ils luidonnèrent à dîner. Ils disent qu'ils n'ont jamaisvu personne manger si proprementni faire toute chose de meilleuregrâceni plus à propos. La veille qu'elle partitLaRoque lui donna à souper; elle étoit en bergèreet lui en berger. Enfin on la maria à un des mieux faits de latroupe. Ce faquin s'amusa avec quelques autres à voler par lesgrands cheminset fut amené prisonnier à l'Abbayeaufaubourg Saint-Germain. Elle sollicita de toute sa force et de tellefaçonque le Roi envoya quérir le bailli qui lui fitvoir les charges. Le Roi dit à Liance et à sescompagnes: « Vos maris ont bien la mine d'être roués.» Ils le furentet la pauvre Liancedepuis ce temps-làa toujours porté le deuil et n'a point dansé.



M.DE CHAMP-ROND

C'étoitun président des enquêtes quiétant demeuréveuf assez âgéfort avare et sans enfantsse remaria àune fort jolie personne; mais elle ne lui dura rien. En troisièmesnoces il se remaria avec la fille du marquis de Dampierrequi étoitfort gueux: cette personne est honnêtement follette; horsqu'elle a les cheveux rouxelle peut passer pour jolie. Il falloitsouper tous les jours à sept heures et se coucher àhuit: mais elle se relevoit à une heure de la nuit et nerevenoit se coucher qu'à cinq heures du matin. Je croisqu'elle se servoit de quelque drogue pour l'assoupir. Le bonhomme selevoit pour aller au palaiset ordonnoit bien qu'on ne réveillâtpoint sa femme. Il étoit sous-doyen du parlementcarpourmonter à la grand'chambreil avoit quitté sacommission. Quelquefois il lui prenoit des chagrins du grand abordqu'il y avoit chez lui; madame l'apaisoit en lui disant que sa soeurqui logeoit avec ellene trouveroit jamais maris'il ne venoit biendu monde les voir. Enfin il tomba malade l'été de 1658.Au dix-septième jour de sa maladieil appelle sa femme. «Madamelui dit-ilce M. Brayer fait durer mon mal autant qu'ilpeutcela me ruine; congédiez-le. La nature me guérirabien sans lui. » Et le soir il dit à une fille: «Charlotteà quoi bon deux chandelles? Eteignez-en une. »Le lendemain il fut à l'extrémité. Sa femmequin'avoit pas découchéle voyant dans une convulsionfait aussi l'évanouie de son côtéelle nemanquoit jamais à jouer la comédie. Il revint qu'ellefaisoit encore la pâmée. « Revenezma chèrelui dit-ilrevenez. J'ai fait tirer mon horoscopeje dois avoirquatre femmes; vous n'êtes encore que la troisième. »Cependant il passa le pas. Elle le sut si bien cajoler qu'outre tousles avantages qu'il lui avoit faits elle lui fit donner vingt-quatremille livres à sa soeurune laideronne qu'il haïssoitcomme la peste. Pour montrer ce que c'est que cette femmeil ne fautque dire que le maréchal d'Estrées ayant étéobligé d'aller coucher chez elleen Beauceà causeque son carrosse s'étoit rompu la nuitelle et sa soeur luiallèrent donner le fouetquoiqu'il eût quatre-vingtsans. Il ne fit qu'en rire.

A Parisle 2 septembre 1657 (1).

[(1) Lacopie de cette lettre s'est trouvée dans l'un desportefeuilles de Tallemant des Réaux.]

«Sire Bonnartcomme je m'aperçois que la sentence decondamnation du criminel appelant sera confirmée par messieursde la couret qu'il sera renvoyé exécuter sur leterritoire de ma terre d'Oléje vous fais ce motpour vousavertir que j'ai vu un arbre vieuxsur son retourprès ducimetière de l'égliseque je désire que vousfassiez émonder et abattreet d'icelui arbre faire unepotence pour faire l'exécution d'icelui criminelet de faireserrer les émondures d'icelui arbre et les copeaux d'icellepotence sous le hangard de ma basse-cour. Si mes officiers n'eussentcondamné ce pendart qu'au fouetla sentence auroit étéinfirméeet il auroit été pendu en Grèveen meilleure compagnieet il m'en auroit coûté bienmoins qu'il ne m'en coûtera. Il faut néanmoins mesnagerauprès de l'exécuteur de Chartresque vous verrez dema partet ferez marché avec lui au plus juste prix que vouspourrez. Il me semble que j'ai vu chez vousà mon advisquelque corde et une échelle qui peuvent lui servir. Si paraventure icelui exécuteur vouloit faire le renchérijelui ferai bien connoître qu'il est obligé de faire cetteexécution gratispuisqu'il reçoit dans Chartreset dans les marchés circonvoisins un droit qui s'appelle_droit de havage. Je vous laisse la conduite dé cetteaffaireet suis votre bon ami. »

LePrésident Champ-Rond

Pourépargner la dépense du prisonnieril le mena lui-mêmedans son carrosseet pour cela fit surseoir l'exécutionpendant quelque temps.

Enrevenant de sa terreil apporta une fois un veau dans son carrosseet quelqu'unpar maliceen ayant donné avis au commis dupied fourchéil eut grand démêléavec eux pour l'entrée.

On ditqu'à l'enterrement de sa seconde femmecomme les prêtresentonnoient le Liberail recommanda bien les escabeaux surquoi étoit la bièreen disant: « On m'en voladeux à l'enterrement de ma première femme. »



Unorfèvrenommé Cambrayqui avoit sa boutique vers leChâteletau bout du Pont- au-Changeavoit une femme aussibien faite qu'il y en eût dans toute la bourgeoisie. Elle étoitentretenue par un auditeur des comptes nommé Pec. Le mariquoique jaloux naturellementn'en avoit point de soupçon; caril le tenoit pour son amiet croyoittant il étoit bonquec'étoit à sa considération que ce garçonlui prêtoit de l'argent pour son commerce. Par ce moyen il fitune fortune assez grandeet il se vit riche à quatre-vingtmille écus.

Un jourPatrucomme il pleuvoit bien fortse mit à couvert tout àcheval sous l'auvent de sa boutique; maispour être pluscommodémentil descendit et entra dans l'allée de lamaison. La Cambray étoit alors toute seule dans sa boutique;etl'ayant aperçuelle le pria d'entrer: luiqui la vit sijoliey entra fort volontiers; les voilà à causer. Ladamequi n'étoit pas trop mélancoliquese mit àchanter une chanson assez libre. « Ouais ! dit le galant enlui-mêmeje ne te croyais pas si gaillarde. » Elle vitbien qu'il en étoit un peu surpris. «Vois-tuluidit-ellemon cher enfantje n'en fais point la petite bouche:l'amour est une belle chose; mais cela n'est pas bon avec toute sortede gens; j'ai une petite inclination. » Cependant la pluie sepasse et notre avocat remonte à cheval: comme il étoitun peu coquetil avoit assez d'autres affaires. Il fut présd'un mois sans retourner chez la Cambray: il la trouva tout aussigaieetpour ne point perdre de tempsil la voulut mener dansl'arrière-boutique. « Tout beaului dit-ellemon mariest là haut; mais venez me voir dimancheil n'y serapeut-être pasets'il y étoitvous n'avez qu'àdemander un bassin d'argent de dix marcs; il n'y en a jamais de faitsde ce poids-làet vous direz que c'est une chose pressée.» Qui s'imagineroit qu'un jeune garçon manquât àune telle assignation? Patru y manqua pourtant; il étoitamoureux ailleurs.

Quelquetemps aprèscomme il étoit à Clamartil sutque cette femme étoit à une petite maison qu'elle avoitau Plessis-Piquet. Il lui envoie demander audience pour le lendemain;et tandis que toute la compagnie étoit à la grand'messeil s'esquiveetà travers champsil galope jusque-là.Il la trouve seule et s'imaginoit déjà avoir villegagnée; mais il fut bien étonné quand cettefemme après lui avoir laissé prendre toutes lesprivautés imaginableslui déclara que pour le reste iln'avoit que faire d'y prétendre. Il la culbuta par plusieursfois; il fit tous ses efforts; il la mit en chemise; il fallut enfins'en retourner sans avoir eu ce qu'il étoit venu chercher. Unmois ou deux aprèscomme il passoit devant sa boutiqueil lasalua; un gentilhommenommé Saint-Georges-Vasséquiconnoissoit Patruétoit avec elle et lui demanda en riant sielle connoissoit ce beau garçon. « Je le connois mieuxque vouslui dit-elle; je l'ai vu tout nu. » Et sur cela ellelui conta toute l'histoireet ajouta qu'après y avoir un peurêvéelle avoit trouvé que c'eût étéune grande sottise à elle de lui accorder la dernièrefaveur; que c'étoit un jeune garçonbeauspirituelet qui avoit des amourettes; qu'elle s'en fût embrelucoquée(ce fut son mot); qu'il l'eût fait enrager et qu'il l'eûtpeut être ruinées'il eût été hommeà cela. Il sut depuis que le jour même qu'elle le vit lapremière foiselle commença à s'informer de savie et de ses connoissances. En effetcette même femmequi lelui avoit refusé à luil'accorda à sarecommandation. .

CeSaint-Georges avoit aussi couché avec ellemais elle n'avoitpas sujet de craindre de s'embrelucoquer de ces deuxmessieurs. Pour Pecce ne fut que par intérêt aucommencement et depuis par reconnoissance. Aucun autre n'en a jamaisrien eu par intérêt. Le premier président Le Jaylui offrit une assez grosse somme pour une fois; mais elle s'enmoquaet disoit qu'elle ne faisoit cela que pour son plaisir.



LEPÈRE ANDRÉ

Le PèreAndréaugustinvulgairement appelé le petit PèreAndré étoit de la famille des Boullangerde Parisqui est une bonne famille de la robe. Il a prêché uneinfinité de Carêmes et d'Avents; mais il a toujoursprêché en bateleurnon qu'il eût dessein de faireriremais il étoit bouffon naturellementet avoit mêmequelque chose de Tabarin dans la mine. Il parloit en conversationcomme il prêchoit.

Il ytâchoit si peu que quand il avoit dit des gaillardises il sedonnoit la discipline; mais il y étoit néet il nes'en pouvoit tenir. Comme il prêchoit un Avent au faubourgSaint- Germainfeu M. de Parisà cause de je ne sais quellecabale de moines dont il étoit des principauxet aussi pourle scandale que ses bouffonneries donnoientl'envoya quériret le retint en prison à l'archevêchéM. de Metzs'en formalisadisant « que M. l'archevêque ne pouvoitfaire arrêter un religieux qui prêchoit dans un faubourgqui « dépendoit de l'abbaye de Saint-Germain »; eteffectivement il le fit délivrer; mais ce fut àcondition qu'il prêcheroit plus sagement. Il remonte donc enchaire; mais de sa vie il n'a été si empêché:il avoit si peur de dire quelque chose qui ne fût pas bienqu'il ne dit rien qui vailleet il fut contraint. de finir assezbrusquement. Il étoit bon religieux et fort suivi par toutessortes de gens; par quelques-uns pour rireet par le reste àcause qu'il les touchoit. Effectivementil avoit du talent pour laprédication. On fait plusieurs contes de lui dont j'airecueilli les meilleurs.

Il disoitque « Christophe pensa jeter le petit Jésus dans l'eautant il le trouvoit pesant; mais on ne sauroit noyer qui a àêtre pendu. »

Il fit unefois de gros bras potelés à la Samaritaineet il luifaisoit dire par Notre- Seigneur: « Je te donnerai bien d'uneautre eau et que tu trouveras bien meilleure. »

Prêchantun carême à Saint-André-des-Arcsil se plaignoittoujours que les dames venoient trop tard. « Quand on vousvient réveillerleur disoit-il: Mon Dieudites-vousquellemisère de se lever si matin! Vous disputez avec votre chevet.Une telledites- vous à votre fille de chambreje gage quela cloche n'a pas sonné; vous êtes toujours si hâtée!il n'est point si tard que vous dites. -- « Hé! sij'étois làajoutoit-ilque je vous ferois bien leverle cul! »

Parlant desaint Lucil disoit « que c'étoit le peintre de laReine-Mèreà meilleure titre que Rubensqui a peintla galerie de Luxembourg; car il est le peintre de la Reine-mèrede Dieu. »

Ilprêchoit sur ces paroles: J'ai acheté une métairieje m'en vais la voir. « vous êtes un sotdit-ilvous la deviez aller voir avant que de l'acheter. »

A la fêtede la Madelaineil se mit à décrire les galants de laMadelaine; il les habilla à la mode: « Enfindit-ilils étoient faits comme ces deux grands veaux que voilàdevant ma chaire. » Tout le monde se leva pour voir deuxgodelureaux quipour euxse gardèrent bien de se lever. Unjouril lui prit une visionaprès avoir bien haranguécontre la débauche de cette pauvre pécheressede dire:« J'en vois là- bas une toute semblable à laMadelaine; maisparce qu'elle ne s'amende pointje la veux noteret lui jeter mon mouchoir à la tête. » En disantcelail prend son mouchoir et fait semblant de le vouloir jeter:toutes les femmes baissèrent la tête. « Ah!dit-ilje croyois qu'il n'y en eût qu'uneet en voilàplus de cent. »

Cela mefait souvenir d'un conte qu'on fait d'un prédicateur du tempsde François 1er. « La Madelainedisoit-iln'étoitpas une petite garcecomme celles qui se pourroient donner àvous et à moi; c'était une grande garce comme madamed'Étampes. » Cette madame d'Étampes lui fitdéfendre la chaire. Quelques années aprèsayantété rétablile jour de la Madelaineil dit: «Messieursune fois pour avoir fait des comparaisons je m'en suis maltrouvé. Vous vous imaginerez la Madelaine telle qu'il vousplaira. Passons la première partie de sa vieet venons àla seconde. »

Le pèreAndré comparoit une fois les femmes à un pommier quiétoit sur un grand chemin. « Les passans ont envie deses pommes; les uns en cueillentles autres en abattent: il y en amême qui montent dessuset vous les secouent comme tous lesdiables. »

Il disoitaux dames: « Vous vous plaignez de jeûner; cela vousmaigritdites-vous. Teneztenezdit-ilen montrant un gros brasje jeûne tous les jourset voilà le plus petit de mesmembres. »

Il faisoitparler ainsi une fois les soldats d'Holopherneaprès qu'ilseurent vu Judith: « Camaradequi est-ce quien voyant de sibelles femmestamdecoras mulieresn'ait envie d'enfoncerla barricade ? »

Je lui aiouï prêcher sur la Transfiguration. « Cela se fitdit-ilsur une montagne. Je ne sais ce que ces montagnes ont fait àDieu: mais quand il parle à Moïsec'est sur unemontagne; il ne montra pourtant que son derrièreet parla àlui comme une demoiselle masquée. Quand il donne sa loic'estencore sur une montagne; le sacrifice d'Abrahamaussi sur unemontagne; le sacrifice de Notre Seigneurencore sur une montagne. Ilne fait rien de miraculeux que sur ces montagnes; aussi laTransfigurationn'étoit-ce pas une affaire de vallon? »

Voyant desgens jusque sur l'autelil dit en entrant en chaire: « Voilàla prophétie accomplie: Super altare tuum vitulos. »

Ilprêchoit en un couvent de Carmes sur l'église desquelsle tonnerre étoit tombé sans en blesser un seul. «Ah! dit-ilregardez quelle bénédiction de Dieu; si letonnerre fût tombé sur la cuisineil n'en fûtréchappé pas un. » On dit Carme en cuisine.

A la fêtede Pâquesil se faisoit une objection. « Mais un mari etune femme qui couchent ensemble un si bon jourque feront-ils ? Acela il faut répondre par une comparaison. Si le jour dePâques un débiteur vous apporte de l'argentil estbonne fête; mais les gens ne sont pas toujours en humeur depayer; je suis d'avis qu'on le reçoive. Faites l'applicationMesdames. »

A proposde romansil disoit: « J'ai beau les faire quitter àces femmesdès que j'ai tourné le culelles ont lenez dedans. »

Parlant deDavidil dit quequand il alla en paradisDieu ditle voyantvenir de loin: « Qui est-ce ? » et puisquand il futplus près: « Ah! c'est mon bon serviteur David; brasdessusbras dessouscamarades comme cochons. »

Le jour del'Ascensiondécrivant la réception qu'on fit àJésus-Christ au Cielil dit que Dieu dit à David: «Tenez la musique toute prêtevoici mon fils qui vient. »

Prêchantdes religieuses qui l'avoient fort pressé de leur donner unsermonil leur dit: « Eh bien ! me voilà; àcause que je suis Boullangervous croyez que j'ai toujours dupain cuit; mais vous ne songez pas combien j'ai de choses àfaire. » Il se mit à leur conter toutes ses occupations.Aprèsil compara une fille qui entroit en religion àun peloton. « Une novicedit-ilc'est comme un morceau debureau ou de papier sur lequel on commence à déviderles premières aiguillées; mais quelque bien qu'onfasseil reste toujours un petit trou qu'on ne sauroit boucher. »

APoitiersles Jésuites le prièrent de prêchersaint Ignace; il voulut leur donner sur les doigts. Il fit undialogue entre Dieu et le saintqui lui demandoit un lieu pour sonordre. « Je ne sais où vous mettredisoit Jésus-Christ:les déserts sont habités par saint Benoît et parsaint Bruno. » Il faisoit une énumération deslieux occupés par les principaux ordres. « Mettez-nousseulementdit saint Ignaceen lieu où il y ait àprendreet laissez- nous faire du reste.». En sortantil dità un de ses amis: « Je n'ai voulu prêcher céansqu'après dînercar je savois bien qu'autrement on m'yauroit fait méchante chère. » Une autre foisàParisil en donna encore aux Jésuites en pareille occasion. «Le christianismedit-ilest comme une grande salade; les nations ensont les herbes; le sel les docteurs; vos estis sal terroe; levinaigreles macérations ; et l'huile les bons pèresJésuites. Y a-t-il rien de plus doux qu'un bon pèreJésuite ? Allez à confesse à un autreil vousdira: Vous êtes damné si vous continuez. Un Jésuiteadoucira tout. Puisl'huilepour peu qu'il en tombe sur un habits'y étendet fait insensiblement une grande tache; mettez unbon père Jésuite dans une provinceelle en sera enfintoute pleine. » Les Jésuites se plaignirent àlui-même de ce qu'il avoit dit. « J'en suis bien fâchémes Pèresleur dit-il; mais je me suis laisséemporter; je ne saurois que vous dire; dans quatre jours c'est lafête de notre Père saint Augustinvenez prêcherchez nouset dites tout ce qu'il vous plairaje ne m'en fâcheraipoint. »

Il disoitque Paradis étoit une grande ville. « Il y a la granderue des Martyrsla grande rue des Confesseurs; mais il n'y a pointde rue des Vierges: ce n'est qu'un petit-cul-de sac bien étroitbien étroit. »

« Uncatholiquedisoit-il une foisfait six fois plus de besogne qu'unhuguenot; un huguenot va lentement comme ses psaumes: Lèvele coeurouvre l'oreilleetc. Mais un catholique chante:Appelez Robinettequ'elle s'en vienne ici-basetc. »Eten disant celail faisoit comme s'il eût limé. J'aiouï dire que ce conte vient de Sédanoù du Moulinayant dit à un arquebusier qui chantoit Appelez Robinettequ'il feroit bien mieux de chanter des psaumesl'arquebusier lui dit. « Voyez comme ma lime va vite en chantant Robinetteet comme elle va lentement en chantant: Lève le coeurouvre l'oreilleetc. »

On ditencore qu'un artisan lui dit que: qui au conseil des malins n'aété empêchoit sa lime d'alleret qu'ilfaisoit beaucoup plus d'ouvrage avec Jean Foutaquin pour du painet pour des poiresJean Foutaquin pour des poires et pour du pain.

«L'Evangiledit-il une foisest une douce loi: Jésus- Christnous l'a dit; il le faut croire. » Deux Jésuites entrentlà-dessus. « Tenezdit-ilvoilà deux descamarades de Jésusdemandez-leur plutôt s'il n'est pasvrai. » Cela me fait souvenir d'un nommé du Fourquidans les guerres des huguenotsayant trouvé des Jésuitesà chevalleur demanda qui ils étoient: « Noussommesdirent-ilsde la compagnie de Jésus. -- Je leconnoisdit-il; brave capitainemais d'infanterie; à piedàpiedmes Pères. »; et il leur ôta leurs chevaux.



MADAMEPILOU

MadamePilouétant nouvelle mariéese trouva logéepar hasard vis-à-vis de mesdemoiselles Mayerne-Turquetsoeursde ce Mayerne (1) qui a été premier médecin duroi d'Angleterreoù il a fait une assez grande fortune:c'étoit un peu après la réduction de Paris.

[(1) Ilétoit gentilhommemais si adonné à la médecinequ'étant enfant il faisoit des anatomies de grenouilles. (T.)]

Elle fitamitié avec ses fillesqui étoient des personnesraisonnableset quicomme huguenotesen fuyant la persécutionavoient vu assez de pays (2).

[(2) Unede ces filles fut mise par feu M. de Rohan auprès de madame deRohanqui avoit été mariée fort jeune: ainsimadame Pilou connut tout le monde à l'Arsenal. (T.) ]

Cetteconnoissance lui servitet la tira en quelque sorte du câlinage(3) de sa famillecar son père n'étoit qu'unprocureur.

[(3)Niaiseriecommérage.]

Cela luiservit à connoître une madame de La Fosseleur parenteriche veuvequi avoit été galanteet quien mourantlui laissa du bien. Elle épousa un procureurnomméPilouqui ne fit pas grand'fortune; en récompenseelle n'aeu qu'un filsqui vit encore. Il n'y a peut-être jamais eu unemoins belle femme qu'ellemais il n'y en a peut-être jamais euune de meilleur senset qui die mieux les choses.

Cettemadame de La Fossepour reprendre le filn'étoit pas la plusgrande prude du royaume. Madame Piloupar son moyeneut bientôtun grand nombre de connoissancesmais la plupart de la ville.Insensiblementelle en fit aussi de la couret enfin elle parvint àêtre bien venue partoutet chez la Reine même. Elle afait trois classes de tout le monde: ses inférieursàqui elle fait tout le bien qu'elle peut; ses égauxaveclesquels elle est toute prête de se réconcilierquandils voudrontet les grands seigneurspour qui elle dit qu'on nesauroit être trop fier en un lieu comme Paris. Elle ne se mêlepoint de donner des gens à personneet ne veut point souffrirque des suivants ou des suivantes lui viennent rompre la tête.Elle dit qu'il y a quelquefois de sottes gens qui rient dèsqu'elle ouvre la bouchecomme les badauds qui rient dès queJodelet paroît.

La femmed'un procureurlaide comme un diablequi avoit commencé pardes femmes qui n'avoient pas le meilleur bruit du mondene pouvoitguère passer dans l'esprit de ceux qui ne la connoissoient pasbien particulièrementque pour une créature quiservoit aux galanteries de tant de jolies personnes qu'ellefréquentoit. ( on a dit de madame de La Maisonfort qu'ellen'étoit plus si cruelle

Depuisqu'elle fut à Saint-Cloud

Avec madame de Pilou.


(1659juin) M. de Tresmesduc à brevetâgé dequatre-vingts anstomba malade. Son filsle marquis de Gèvresva trouver madame Pilouet lui dit: « Je vous prieparlez àmon pèreil ne veut point me voir. Mademoiselle Scarron(soeur du cul de Jatte)qu'il entretientm'a mis mal aveclui; mais le pisc'est qu'il ne veut rien faire de ce qu'il fautpour bien mourir. » Elle y vala première foisellefit venir les morts subites à proposet dit qu'on étoitbien heureux d'avoir le loisir de penser à soi. Le malade ditqu'il se sentoit bien. Elle ne voulut pas pousser plus loin. Laseconde foiselle presse davantageet voyant que cet homme disoitque les gens d'église mêmes avoient des maîtresseselle marche sur le pied à Guénaultafin qu'il l'aidât.Au lieu de celale médecin dit: « Madame Pilouvosprônes m'ennuient. » Elle se retireet ne s'en mêleplus. Sur cela on fait un conte par la villeet que M. de Tresmeslui avoit répondu: « Vous n'étiez pas siscrupuleuseil y a trente ans. » Elle l'apprend àquelques jours de là; elle va voir M. de Langres (laRivière): il avoit dîné assez de gens aveclui: « Ah ! dit-ilmadame Pilouje défendois votrecause. » Elle se met là dans un fauteuil. « Jevous entendslui dit-elle; je sais le conte qu'on fait par la ville;je ne m'étonne pas que ces bruits-là aient couru. Je mesuis trouvée engagée avec des femmes qui ont bien faitparler d'elles : j'ai fait ce que j'ai pu pour les remettre dans lebon chemin; c'est ce qui est cause qu'on a cru que j'étois dela manigance. Je vous laisse à penser siavec la beautéque Dieu m'avoit donnéeet de la naissance dont je suisj'eusse été bien reçue à rompre avecelles à cause de cela. Leurs gens croyoient que j'étoisde l'intrigue; ils ont semé cela partout: mais Dieu a permisque j'aie vécu quatre- vingts ansafin qu'on me fîtjustice. Ceux qui font ce conte-là n'oseroient le faire en maprésence. Je sais toutes les iniquités de toutes lesfamilles de la ville et de la cour Je connois les ladres et les fous.Tel fait l'homme de bonne maison que je sais bien d'où ilvient; à d'autresje leur montrerois que leur pèreétoit un cocu et un banqueroutier; je les défie toustant qu'ils sont. »

Elle ditque naturellement elle sent le sotet que dès qu'il yen a quelqu'un en une compagnieelle l'évente tout aussitôt.

Elledisoit que les amants entre deux vins sont les plus plaisants detous; elle appelle ainsi ceux qui sont quasi fous « Ils me fontriredit-ellecar ils croient que personne ne voit ce qu'ils font.»

Une foisqu'elle entendoit une femme de la ville quien parlant de je ne saiscombien de dames de grande conditiondisoit: Nous autresetc. « Cela me fait souvenirdit-elledu conte qu'on faitd'un bateau d'oranges qui alla à fond dans la rivière.Les oranges alloient sur l'eau. Il y avoit (révérencede parler) un étron sec parmi elles; cet étron disoit:Nous autres oranges nous allons sur l'eau. »

Depuis sonveuvage elle dit que deux ou trois hommes l'ont voulu épousermaissoit dit à mon honneurils ont été toustrois mis aux Petites-Maisons. »

Elle m'aavouécar j'en avois ouï parler par la ville qu'il étoitvrai que comme un soir un conseiller d'étathomme de quelqueâgela ramenoit chez elleelle étoit à laportièreet lui au fondil la prit par la têteellequi avoit plus de soixante-dix anset la baisa tout son soûlen lui disant sérieusement qu'il l'aimoit plus que sa vie.Elle en fut si surprise qu'elle ne songeoit seulement à sedépêtrer de ses mains; et elle arriva à sa portecar il n'y avoit pas loinavant que d'avoir eu le loisir de lui riendire. Elle ne l'a jamais voulu nommer. Un jourcomme elle étoitchez la Reinemadame de Guémené dit à SaMajesté: « Madamefaites conter à madame Piloul'aventure du conseiller d'état. -- Ne voilà-t-il pasdit la bonne femmevous regorgez d'amantsvous autreset dèsque j'en ai un pauvre misérablevous en enragez. » Apropos d'amants: elle dit qu'elle a fait bâtir un hôpitalpour mettre ceux à qui les femmes arracheront les yeux pourleur avoir parlé d'amour; mais il n'y a que des araignéesdans ce pauvre hôpital. Au diable l'aveugle qu'on y a encoremené.

L'abbéde Lenoncourtle marquis présentementse mit un jour àla railler fort sottement « Monsieurlui dit-elleavez- vousété condamné par arrêt du parlement àfaire le plaisant? Carà moins que de celavous vous enpasseriez fort bien. »

Une foismadame de Chaulnesla mèrelui dit quelque chose qui ne luiplut pas. « Si vous ne me traitez comme vous devezluidit-elleje ne mettrai jamais le pied céans. Je n'ai quefaire de vous ni de personne; Robert Pilou et moi avons plus de bienqu'il ne nous en faut. à cause que vous êtes duchesseet que je ne suis que fille et femme de procureurvous pensez memaltraiter ! AdieuMadamej'ai ma maison dans la rue Saint-Antoinequi ne doit rien à personne. » Le lendemainmadame deChaulnes lui écrivit une belle grande lettreet lui demandapardon.

Quand M.de Chavigny alla demeurer à l'hôtel de Saint- Pauliltrouva madame Pilou quelque partet lui dit: « Madameàcette heure que je suis votre voisinje prétends bien quevous me viendrez voir » Elle y va; mais elle ne fut pointsatisfaite de lui: il fit assez le fier. Depuis celadèsqu'il entroit en un lieu elle en sortoit. Enfin à je ne saisquelles accordailleschez M. Fieubetau fort de sa faveuril vit qu'elle s'étoit allée mettre à l'autrebout de la chambre; il alla à elle fort humblementet lui ditqu'il vouloit être son serviteur. « Monsieurrépondit-elleje ne suis qu'une petite bourgeoise. Vous êtesun grand seigneur; vous ne m'avez pas bien traitéevous nem'y attraperez plus; je n'ai que faire de vous ni de personne. »Il lui fit mille soumissionset fit tout ce dont elle le pria depuiscela.

Elle ditqu'on ne doit point tant s'affliger pour ce qui arrive à nosparents. « Une foisdisoit-ellequ'on attrape le cousingermainc'est bien fait de se déprendre. J'avois je nesais quel parent qui fut un peu pendu à Melun; sa soeur disoitqu'il avoit été mal jugé. -- A-t-il étéconfessé? lui dis-je. A-t-il été enterréen terre sainte ? -- Oui. -- Je le tiens pour bien penduma mie. »

Le curéde Saint-Paul s'avisa une fois de faire un prônecontre ladanse; elle l'alla trouver et lui dit: « Mon bon amivous nesavez pas ce que vous dites. Vous n'avez jamais été aubal; cela est plus innocent que vous ne pensez. Je suis bien plusscandaliséemoide voir des prêtres qui plaident touteleur vie les uns contre les autres. »

«Quand je passe par les ruesdisoit-elle une foisje vois deslaquais qui disent: Mon Dieu ! la laide femme ! Je me retourne.Vois-tumon enfantje suis aussi belle que j'étois àquinze ansquoique j'en aie plus de soixante-douze. Il n'y a que moien France qui se puisse vanter de cela. » Elle disoit qu'il n'yavoit personne au monde qui se fût si bien accomodéqu'elle de deux fort vilaines chosesde la laideur et de lavieillesse. « Cela me donne disoit-elleun million decommodités: je fais et dis tout ce qu'il me plaît »

Pourvu quece ne soit pas par une extravaganceelle approuve fort les mariagespar amour; « cardit-ellevoudriez-vous qu'on se marie parhaine ? »

Son filsayant ouï dire qu'on l'avoit mise dans un romancroyoit quec'étoit une étrange choseet s'en vint lui dire: «Jésus ! madame Pilou! on vous a mise dans un roman. -- Vavalui dit-ellela comtesse de Maure y est bien. » Cela l'arrêtatout courtcar c'est aussi une dévote. Ce romanc'est laClélie de mademoiselle de Scudéryoù elles'appelle Arricidie et y est fort avantageusementcomme unephilosophe et une personne de grande vertu. Elle l'en alla remercier.et lui dit: « Mademoiselled'un haillon vous en avez fait dela toile d'or. » L'autre lui voulut dire: « Madamemonfrère a trouvé que votre caractèreetc. --Voirevotre frèreje ne connois point votre frère;c'est à vous que j'en ai l'obligation. A celaen véritéj'ai reconnu que j'avois bien des amis; car il n'y a pas jusqu'àla Reine qui ne s'en soit réjouie avec moi. Voilà lefruit qu'on retire de ne faire mal à personne. Une foisajouta-t-elleje me trouvai embarrassée au Palais-Royalàla mort du cardinal de Richelieuavec bien des femmesentre descarrosses. Un homme me prendet me porte jusque dans la salle oùl'on voyoit son effigie. Je regarde cet homme. Il me dit: Vous avezautrefois pris la peine de solliciter pour moije vous servirai entout ce que je pourrai. »

C'est laplus grande accommodeuse de querelles qui ait jamais été:il y a bien des familles qui lui sont obligées de leur repos.On la choisit toujours pour dire aux gens ce qu'il leur faut dire.Madame d'Aumontveuve de M. d'Aumont. dont nous avons parlédit: « Quand madame Pilou n'y sera plusqui est-ce qui ferajustice aux gens? »

La pauvremadame Pilou fut surprise à Saint-Paul d'un si granddébordement de bile qu'elle en tomba de son haut; revenueelle se confessa sur l'heure; elle n'en fut malade que dix ou douzejours. Toute la cour l'alla voir; la Reine y envoya. Le Roi enpassant arrêtoitet envoyoit savoir comme elle se portoit. M.Valotpremier médecin du Roiy fut de leur part. Des gensqui ne la voyoient point y allèrent; c'étoit la mode.Il en arriva quasi autant l'année passéequ'elle eutun rhumatisme dont elle se porte bien quoiqu'elle ait quatre- vingtsans; elle est allée à Saint-Paul rendre grâces àDieu avec un manteau de chambre noirdoublé de panne verte;c'est une antiquaille qu'elle a il y a longtemps. Elle a une maisonaussi propre qu'il y en ait à Paris.



MADAMEDE MONTBAZON

C'étoitune des plus belles personnes qu'on pût voiret ce fut ungrand ornement à la cour; elle défaisoit toutes lesautres au baletau jugement des Polonoisau mariage de laprincesse Mariequoiqu'elle eût plus de trente-cinq anselleremporta encore le prix. Maispour moije n'eusse pas étéde leur avis; elle avoit le nez grand et la bouche un peu enfoncée;c'étoit un colosseet en ce temps-la elle avoit déjàun peu trop de ventreet la moitié plus de tétonsqu'il ne faut; il est vrai qu'ils étoient bien blancs et biendurs; mais ils ne s'en cachoient que moins. Elle avoit le teint fortblanc et les cheveux fort noirset une grande majesté .

Dans lagrande jeunesse où elle étoit quand elle parut àla courelle disoit qu'on n'étoit bon à rien àtrente anset qu'elle vouloit qu'on la jetât dans la rivièrequand elle les auroit. Je vous laisse à penser si elle manquade galants. M. de Chevreusegendre de M. de Montbazonfut despremiers (1).

[(1) Cecouplet de Neufgermain fait voir que le duc de Saint-Simon en a tâtéaussi bien que les autres (il ne ressemble pas mal à unramoneur):

Unramoneur nommé Simon

Lequel ramoneur haut etbas

A bien ramoné la maison

DeMonseigneur de Montbazon. (T.)]



On en fitun vaudeville dont la fin étoit:

Mais ilfait cocu son beau-père

Et lui dépense tout sonbien.

Tout en disant ses patenôtres

Il fait ceque lui font les autres.


M. deMontmorency chanta ce couplet à M. de Chevreuse dans la courdu logis du Roi; je pense que c'étoit à Saint- Germain.M. de Chevreuse dit: « Ah ! c'est trop» et mit l'épéeà la main; l'autre en fit autant. Les gardes ne voulurent pasles traiter comme ils pouvoientà cause de leur qualitéet on les accommoda. M. d'Orléans l'a aiméeet M. leComte aussi. Il en contoit auparavant à madame la princesse deGuémenébelle-fille de M. de Montbazonet la rivalede la duchesse. Elle l'obligeaà ce qu'on m'a ditde faireune trahison à madame de Guémené; ce fut defaire semblant de remettre ses chausses comme il entroit du monde. Ille fitet après en demanda pardon à la belle. J'ai ditailleurs pourquoi M. le Comte quitta madame de Montbazon.Bassompierre l'entreprit; mais il n'en put rien avoirje ne saispourquoi. Hocquincourtfils du grand prévôtaujourd'hui maréchal de Franceest un de ceux dont on a leplus parlé.

Ce M.d'Hocquincourtayant gagné une femme de chambrese mit unsoir sous le lit de la belle. Par malheurle bon homme se trouva enbelle humeuret vint coucher avec sa femme; il avoit de petitsépagneuls quiincontinentsentirent le galantet firenttant qu'il fut contraint d'en sortir. Pour un sot il ne s'en sauvapas trop mal: « Ma foidit-ilmonseigneurje m'étoiscaché pour savoir si vous êtes aussi bon compagnon qu'ondit. » Quand il se mit à la cajoleil lui déclaraen homme de son paysqu'il ne savoit ce que c'étoit que defaire l'amant transiqu'il falloit conclureou qu'il chercheroitfortune ailleurs. C'est comme il faut avec une femme qui a toujourspris de l'argent ou des nippes. Rouvilleaprès lui y laissabien des plumeset on a dit que Bonnelle Bullionc'est-à-direle dernier des hommesy avoit été reçu pour sonargent. En un vaudevilleil y avoit:

Cinq centsécus bourgeois font lever ta chemise.

Quand leduc de Weimar vint ici la première foisen causant avec laReine de la manière dont il en usoit pour le butinil ditqu'il le laissoit tout aux soldats et aux officiers. « Maislui dit la Reinesi vous preniez quelque belle damecomme madame deMontbazonpar exemple? --Ho ! Ho ! Madamerépondit-ilmalicieusementen prononçant le B à l'allemandeceseroit un un pon putin pour le général. »

On n'osoitconclure qu'elle se fardoit; mais un jourà l'Hôtel-de-Villequ'il faisoit un chaud de diablela Reine aperçut que quelquechose lui découloit sur le visage. On dit pourtant qu'elle nemettoit du blanc qu'aux jours de combataux grandes fêtesetqu'elle l'ôtoit dès qu'elle étoit de retour. Sesamours et ses intrigues avec M. de Beaufort et sa mort se trouverontdans les Mémoires de la Régence. J'ajouterai quequandelle se sentoit grosseaprès qu'elle eut eu assez d'enfantselle couroit au grand trop en carrosse par tout Pariset disoit: «Je viens de rompre le cou à un enfant. »



LAMARQUISE DE SY

M. de Syétoit de la maison de Bourlemont de Lorraine mais il demeuroiten Champagne. Sa femme étoit une des plus belles femmesetlui un des plus pauvres hommes du monde. Amoureux d'ellec'étoitau commencement de leur mariageil lui mettoit familièrementla main sous la jupeen présence de feu M. le Comtegouverneur de Champagne. Aussi s'en trouva-t -il comme il leméritoitcar M. le Comte le fit cocu.

Depuisunnommé Neufchâtelcadet du baron de Chapelainedont lepère gagna tout son bien dans les gabellesacheta la terre deChapelaine en Champagneet plusieurs autresla fit bâtirmagnifiquementet y fit une fort grande dépense.

CeNeufchâtelqui étoit un brave garçonet fortbien faitdevint amoureux de la belleet en jouit. L'affaire sefaisoit si hautement que les parents du marquis de Sy l'obligèrentà appeler Neufchâtel. Cet hommequoique fort peuvaillantse battitmais si mal qu'on voyoit bien qu'il ne s'étoitbattu que pour n'avoir osé contrevenir à un avis deparents. Ce combat donna encore plus de liberté àNeufchâtel: il continue à voir la dameavec tantd'autorité que le mari et lui partagèrentet mêmeil eut une nuit par semaine plus que le mari. Cette folle se dégoûtedu marquis à tel point qu'elle ne veut plus qu'il couche avecelle.

C'étoitcomme j'ai ditun fort pauvre hommeetde plusfort amoureux desa femme. Ne sachant plus que faireil se jette aux genoux deNeufchâtel pour obtenir cette grâce de sa femmequi n'yvoulut jamais consentir. Les parents de Lorrainesans qu'il y fûtviennent avec main forteet surprennent Neufchâtel couchéavec la marquise. Il se sauve pourtantsuivi d'un valetdans uncabinet au bout d'une galerie. Laavec quelques armes qu'ilsavoientils défendirenten tuèrent unet puis sesauvèrent. Tout cela ne servit qu'à rendre ces amantsplus insolents: ils vendent les troupeaux et coupent les bois; enfinelle se trouve grosseetparce que tout le monde savoit qu'il yavoit deux ans que son mari n'avoit couché avec elleelles'en alla en Hollande pour y accoucher. Neufchâtel l'y futtrouveret après elle retourna en Champagne.

Voici quiest encore pis que tout le reste. Elle maria sa fillequi n'avoitque onze ansà Neufchâtelet le baisoit devant tout lemonde comme son gendreet ils étoient tombés d'accordqu'il coucheroit trois fois la semaine avec elle et trois fois avecsa filleet que le dimanche il se reposeroit. Elle ne s'en contentapaset ôta un jour à sa fille. Le marivoyant queNeufchâtel avoit plus d'affaires que jamaisdemandoit àcoucher quelquefois avec sa femmemais en vain. Il alla plusieursfois la trouvercomme ils étoient au litpour tâcherd'obtenir qu'on le laissât coucher une heure seulement avec safemme.

Une nuitqu'ils ne pouvoient dormirils allèrent fouetter ce pauvrehomme pour se divertir.

Neufchâtelfut tué au blocus de Paris un an ou environ après qu'ilse fut marié. Elle remaria sa fille aussitôt à ungentilhommenommé Juvignyà condition que le pèrede ce garçon coucheroit avec elle; mais elle le trouva bientôttrop vieux. Enfin elle en vint jusqu'à s'en faire donner parses valets. Elle mourutil y a cinq ans ou environâgéede trente-neuf à quarante ans.



SOUSCARRIÈRE

Il y avoitun pâtissier à Parisà l'enseigne desCarneauxqui traitoit par tête. Ce pâtissier avoitune femme assez jolieà qui plusieurs personnes firent leurcouret entre autres M. de Bellegarde. Vers le temps où cedernier la fréquentoitcette femme se sentit grosse etaccoucha d'un fils. Ce garçon devint adroit à toutessortes de jeux et d'exercices; il étoit bien fait et heureuxau jeuil se pousseil gagne. Comme il étoit adroit de lamainil s'adonna à des tours d'adressecomme de faire tenirune pistole dans la fente d'une poutreet autres choses semblables.Il y gagna beaucoupmais son plus grand butin fut dans cecommencement une fourberie. Il trouva un inconnunomméDalichonqui jouoit fort bien à la paume; lui y jouoit fortbien aussi: il ne faisoit pourtant que seconder; mais c'étoitun des meilleurs seconds de France. Il fait acheter des pourceauxdes boeufsdes vaches à cet hommeet fait courir le bruitque c'étoit un riche marchand de bestiauxà qui onpouvoit gagner bien de l'argent; que cet homme aimoit la paume: on yjouoit fort en ce temps-là. Souscarrièrec'est le nomd'une maison qu'il achetadès qu'il eut du bienfaisoit desparties contre cet hommequi faisoit l'Allemandet découvroitinsensiblement son jeu. Notre galant trahissoit ceux qui étoientde son côtéet quand il parioit contre DalichonDalichon se laissoit perdreet faisoit perdre ceux qui étoientde son côtéou qui parioient pour lui; et avant que lafourbe fût découverteon dit que le marchand debestiauxà qui Souscarrière savoit que donnergagnaplus de cent mille écus. Comme il eut un grand fondsle petitLa Lande (1)qui le connoissoitétant du même métiercar il avoit appris à jouera la paume au feu Roilui dit unjour:

[ (1) Cepetit homme étoit une espèce de m... et d'escroc. On adit de lui dans un vaudeville:

M...etfranc cocuLanturlu

Ses deuxfilles sont du métier. Ce qu'il y a d'extraordinaire en cethommec'est qu'il étoit aussi franc athée qu'on en aitjamais vu: à sa mortil ne se vouloit point confesser. M. deChavignyqu'il appeloit Eumènesy alla pour lepersuader à se confesser. «Bienlui dit-ilEumènesje le ferai pour l'amour de vouset à condition que le grandprotrotosne (il nommoit ainsi le cardinal de Richelieu) croiraque je meurs son serviteur. » Sa femme lui dit: « Si vousne vous confessez pasnous voilà ruinés; on ne nouspaiera plus notre pension. » Il se confessa doncet en seconfessantil disoit à sa femme: « Voyezma mieceque je fais pour vous. » (T.) ]

«Pardieumonsieur de Souscarrièrevous êtes bien faitvous avez de l'espritvous avez du coeurvous êtes adroit etheureux; il ne vous manque que de la naissance; promettez- moi dixmille écuset je vous fais reconnoître par M. deBellegarde pour son fils naturel. Il a besoin d argent; vous lui enpouvez prêter. Voici le grand jubilé: votre mèrejouera bien son personnage; elle ira lui déclarer que vousêtes à lui et point au pâtissier; qu'en conscienceelle ne peut souffrir que vous ayez le bien d'un homme qui n'estpoint votre père. » Souscarrière s'y accorde. Lapâtissière fit sa harangue; M. de Bellegarde toucha sonargentet La Lande pareillement. Voilà Souscarrière enun matindevenu le chevalier de Bellegarde.

Souscarrièreenleva la fille d'un nommé Rogersécuyer in ognimodoà ce qu'on ditde feu M. de Lorraine. L'affaires'accommodaet on disoit qu'il eût eu beaucoup de biensansle désordre qui arriva. Cette femme se laissa cajoler parVillandrycadet de celui que Miossens tua. Il en découvritquelque chose. On dit qu'il la menaça du poignard et qu'il fitsemblant de la vouloir jeter dans le canal de Souscarrière(c'est vers Gros-Bois). Enfinil eut avis qu'elle avoit donnéun bracelet de cheveux à Villandryet qu'il y avoit eu desrendez-vous. Notre homme en colèreet sans considérerqu'il avoit jusque-là donné assez mauvais exemple surla fidélité à sa femmerencontre Villandry auxMinimes de la place Royaleà la messeoù il lui donnaun souffletet mit l'épée à la main dansl'église. Villandry l'appelaetcraignant un peu sonadressese battit à cheval contre luidans la place Royalemême; mais il ne laissa pas d'être battu.

Montbrun(il s'appela ainsi depuis qu'il fut marié)après lecombattint sa femme un an et demi dans une religionà lacampagne; puis il lui manda qu'elle pouvoit aller où ilplairoitmais qu'il ne la tiendroit jamais pour sa femme. Elle seretira en Lorraine. On se moqua fort de Montbrun d'avoir étéà la cavalerie du Roiet encore côte à côtedu marquis de Richelieu. Après il s'avisa d'aller fairefanfare tout seul à la place Royale; car il n'y eut que luiqui allât faire comme cela l'Abencerrage. Au restec'est un vrai Sardanapale; il a toujours je ne sais combien dedemoiselles; il en élève même de petites pours'en divertir quand elles seront grandes. Il a des valets de chambrequi jouent du violon; il se donne tous les plaisirs dont il s'avise.

La fin deMontbrun n'a pas été agréable. J'ai déjàdit qu'il étoit pipeur. Il alloit jouer chez Frédoc. Unjour qu'il jouoit à la prime contre Montgeorgebrave garçonfils de M. Gomin l'escamoteurMontgeorge s'aperçut qu'ilavoit escamoté une prime qu'il tenoit sur ses genoux. Voilàun bruit de diable. Montgeorge le traite de fripon et de filou. Parbonheur pour luile maréchal de la Ferté entreetpar compassion pour luiil parvint à obliger Montgeorge àachever la partie. Mais depuis cela il n'osoit plus guèrealler chez Frédocou du moins il envoyoit voir si Montgeorgen'y étoit point. Il avoit soixante-dix- sept ans. Lavieillesse et le chagrin de cette aventure le tuèrent.



LALIQUIÈRE

C'étoitla femme d'un procureur de Castresnommé Liquière;elle étoit belleavoit de l'espritet étoit d'unecomplexion fort amoureuse; mais c'étoit une personne assezextraordinairecar elle donnoit à ses galantsau lieu derecevoir d'euxet c'étoit la plus grande joie qu'elle pûtavoir au monde. Les guerres de la religion obligèrent sonmariqui restoit catholiqueà se retirer à Toulouseavec toute sa famille. Comme on commençoit à pacifiertoutes chosesun jeune avocat de Castres fut obligé d'aller àToulouse pour y poursuivre quelques affaires: par hasard il se trouvalogé vis-à-vis de cette femme; il la connoissoit déjà:les voilà les plus grands amis du monde. Il devient amoureuxd'elleet lui déclare sa passion. Elle lui réponditnaïvement qu'elle étoit engagée ailleurs; «car il faut que vous sachiezlui dit-elleque comme je ne puisvivre sans amiaussi ne puis-je en avoir plus d'un à la fois.Tout ce que je puis faire pour vous présentementc'est devous prendre pour mon confidenten attendant que la place soit vide;car je vous trouve bien fait et discretet ce sont les deux seulesqualités que j'estime. » Celui qui la possédoitalors étoit un jeune hommenommé Canabèrefrère d'un président au mortieret un des garçonsde Toulouse le mieux fait. Le jeune avocat savoit tout ce qui sepassoit entre euxvoyoit les poulets du galant et aidoit quelquefoisà la belle à faire réponse; mais quoi qu'il fîtil n'en put jamais rien obteniret cette femme qui gardoit si mal lafoi à son marila gardoit si exactement à son galant.Enfin Canabère la quitta pour se marieretprenant laconnoissance du jeune avocat pour prétextelui écrivitune lettre pour rompre avec elle. Elle en fut sensiblement touchéeet pleura la moitié d'un jouravec autant de douleur qu'il sepouvoit. Le jeune avocat tâcha de la consoler; mais il n'en putvenir à bout. Le soir il la fit souvenir de sa promesse;aussitôt toute son affliction cesse; elle se donne àluiet d'une extrême tristesse passe en un instant àune extrême joie. Ils vécurent en fort bonneintelligenceet eurent bientôt pour se voir la plus grandecommodité du monde; car la Chambre de l'éditqui étoitséparée à cause des troublesse rejoignit aprèsla déclaration du Roiet fut envoyée à Béziers;de sorte que le mari de cette femme y transporta sa famille; etl'avocatqui étoit fils d' un conseilleret qui commençoità travailler au barreaufut obligé de s'y rendre.

Le mariqui n'étoit pas autrement satisfait de la conduite de safemmeétoit en mauvais ménage avec elleet ellecouchoit d'ordinaire seule dans une arrière-chambreoùl'on ne pouvoit aller sans passer par la chambre du père dumaridans laquelle il y avoit toujours de la chandelle alluméeparce que cet homme étoit extrêmement vieux etincommodé; etquoiqu'elle eut assez de commodité devoir de jour son galantelle eut la fantaisie de passer une nuitavec lui. Il fallut obéiret passer par cette chambre dont jeviens de parler. Le vieillardqui ne dormoit presque pointsoitqu'il eût entendu du bruitou qu'il eût entrevu quelquechosese leva du mieux qu'il putetprenant la chandelletrouvales deux amants couchés ensemble. Ce spectacle le surpritdesorte qu'il laissa tomber sa chandellesans dire autre chose queJésus ! Maria! et s'en retourna comme il étoitvenu. La belle voulut persuader au galant de sauter par la fenêtredans le jardin; mais il ne voulut point quitter un chemin qu'ilconnoissoit pour un autre qu'il ne connoissoit pasetretournantsur ses pasil ne trouva personne qui l'empêchât de seretirer. Néanmoinssoit que cet accident l'eût dégoûtéou qu'il pensât à quelque nouvelle amouril commençafort à se relâcher. Il arriva qu'un nommé Gérardqui étoit de Bézierss'imagina que ce garçon envouloit à une personne qu'il aimoit etpour se vengerilentreprit de faire l'amour à la Liquière. Ellequi nepouvoit endurer qu'on l'aimât à demiaprès avoirgagné absolument Gérardle mit en la place del'avocat. Sur cela la peste prit à Béziers. Gérardqui étoit mariésous prétexte de mettre safemme et ses enfants en sûretéles envoya à unvillage nommé Florensacaprès avoir promis de les yaller bientôt trouver. La Liquièrede son côtélaissa aussi partir toute sa familleetayant feint d'avoir quelqueaffaire pour un jouralla trouver Gérardqui n'étoitpoint sorti de la ville. Làmalgré la peste etl'affliction généraleils passèrent le tempsaussi tranquillement que de nouveaux mariés eussent pu faire.Cela ne dura guère; car Gérard fut attaqué de lapesteet par conséquent obligé de sortir. Elle lesuivit dans la huttele servit jusqu'à l'extrémitéetaprès sa mortrésolut aussi de mourirbaisa centfois ses charbonsafin de prendre le mal: « Car aussi biendisoit-elleje me laisserai mourir de faim. » On eut bien dela peine à l'arracher de dessus le corps de cet homme; on lamena dans une autre hutteoù elle fut attaquée. Elleen eut de la joieet ne recommanda autre chose en mourantsinonqu'on l'enterrât dans la même fosse où l'on avoitmis son amant.



M.DE GUISEPETIT-FILS DU BALAFRÉ

M. deReimsaujourd'hui M. de Guiseest un des hommes du monde le plusenclin à l'amour. Tandis qu'il possédoit tous cesgrands bénéfices de la maison de Guiseil devintamoureux de madame de Joyeusefille du baron du Touret femme d'unM. de Joyeusede Champagnede la vraie maison de Joyeuse. Le mariquoique accommodése fit l'intendant du galant de sa femme.Ce Joyeuse étoit si lâche que de prendre pension dumarquis de Mouyde la maison de Lorrainequi étoit aussi undes galants de sa femme. Fabri a dépensé cent milleécus auprès d'elle. Elle ne profitoit point de toutcelaet dépensoit tout. C'étoit une fort bonne femme.Joyeuse étoit un original. Il avoit je ne sais quelle filleavec laquelle il couchoitmais il juroit qu'il ne lui faisoit rienet qu'en cela il n'offensoit point Dieu.

Madame deJoyeuse n'étoit plus ni jeune ni belle; mais elle avoit biende l'esprit et jouoit bien de la harpe. Durant cette amouretteM. deGuise donna au frère de sa suivante une prébende deReims. « Mais je veuxlui dit-ilque tu prennes l'habit dechanoinecar c'est à toi que je donne la chanoinie. »En effetil lui mit l'habit de chanoineet en cet état lacroqua . Ce n'étoit pas la première fois.

M. deReims aima ensuite la Villiersqui est encore à l'hôtelde Bourgogne. Elle n'étoit pas trop belle. Pour lui plaireilportoit des bas de soie jaune sous sa soutane: elle aimoit cettecouleur.

En cetemps-làquoique cadetil le portoit si haut quepourimiter les princes du sangil se faisoit donner la chemise aux plusrelevés qui se trouvoient à son lever. Il se trouvahuit ou dix personnes qui firent cette sottise-là. Une fois onla présenta comme cela à l'abbé de Retzqui lalaissa tomber dans les cendres et s'en alla.

Etantdevenu l'aînésous prétexte qu'il étoitmariéle cardinal de Richelieu lui voulut ôter sesbénéfices. Cela l'obligea à se retirer àSedan. Après la mort de M. le Comteétant passéen Flandreil prit l'écharpe rouge (_d'Espagne) et ce futpour cela qu'on lui fit ici son procès. Là il devintamoureux de la veuve du comte de Bossutune fort belle personne; ill'épousa du soir au matinetparce qu'il y avoit quelqueformalité omisele mariage fut confirmé parl'archevêque de Malines.

Deschevaliers de Maltenatifs de Provencese mirent en fantaisie laconquête de l'île de Saint-Domingueaux Indesetjetèrent les yeux sur M. de Reimsdepuis de Guisepour lemettre à leur tête. Le dessein étoit bien pris;mais le cardinal de Richelieu ne le voulut pas.

M. deGuise revint en France après la mort du cardinal de Richelieu.Il alla voir sa soeurl'abbesse de Saint-Pierreà Reims. Ildîna dans un parloir; après il entra dans le couventcomme princecomme un homme qui avoit avoit été leurarchevêqueet comme frère de madame l'abbesse. Làil se mit à courir après les religieuseset en tâtafort une qui étoit une belle fille. « Mon frèrecrioit madame de Saint-Pierrevous moquez-vous ? Aux épousesde Jésus-Christ!!! Ah !ma soeurdisoit-ilDieu est trophonnête homme pour craindre d'être cocu. La religieuseassez fière naturellementfaisoit bien du bruit de cetteinsolence. L'abbesse eut peur qu'elle n'en fît faire desplaintes à la Reineetpour y remédierelle dit àson frère tout bas: « Faites-en autant à celle-làqui n'est point jolie -- Ma soeurelle est bien laide; maisqu'importepuisque vous le voulezelle sera tâtée. »Cette laide lui en sut si bon gré qu'elle se garda bien des'en plaindreet la belle s'apaisavoyant qu'elle n'étoitpas la seule.

Il ne futpas longtemps à la cour sans oublier madame de Bossuttout demême que la princesse Anne. Il devint amoureux d'une fille dela Reinenommée mademoiselle de Pons. Elle étoit filledu marquis de La Casede la maison de Pons; son père et samère étoient venus ici pour quelque affaire. Madamed'Aiguillon fit cajoler cette fille quimourant d'envie de demeurerà la courchangea de religionafin d'entrer chez la Reine.Madame de Bossut étoit tout autrement belle; celle-ci étoittrop grossière et trop rouge en visage pour des cheveuxblonds; d'ailleursun accent de Saintongele plus désagréabledu mondeet l'esprit comme le corps; mais coquette et folle de beauxhabits autant que fille du monde. On en avoit déjà unpeu parlé avec le maréchal d'Aumontqui n'étoitalors que capitaine des gardes-du-corpsmais qui étoit mariéil y avoit quinze ans.

Il a écrità madame de Bossut qu'il étoit vrai qu'il l'avoitépouséemais que tant de docteurs lui avoient assuréqu'elle n'étoit pas sa femmequ'il étoit obligéde les en croire; qu'il alloit mettre ordre à ses affaires etqu'il la satisferoit; car il lui avoit mangé quatre cent millelivres qu'elle avoit; et il la laissa gueuse. Cette femme n'étoitpas de si bonne maison que le comte de Bossutelle étoitpourtant bien demoiselleet une des plus belles personnes de sontemps. Elle vint jusqu'à Rouenil y a treize ou quatorze ansdéguiséeavec desseindisoit-ellede lui demander aumilieu du Cours s'il la reconnoissoit pour sa femmeets'il disoitque nonde lui tirer un coup de pistoletet de se tuer elle-mêmeaprès. Mademoiselle de Rambouilletaujourd'hui madame deMontausierqui étoit alors à Rouen pour un procèsquêta pour elle. Le crédit de madame de Guise fit qu'onlui ordonna de se retireret elle ne vint point à Paris .

M. deGuise fit d'abord entendre à mademoiselle de Pons que sonmariage avec madame de Bossut étoit nulet qu'il le feroitcasser si elle vouloit l'aimer. L'ambition d'être duchesse etprincesse fit goûter la proposition à la demoiselleetinsensiblement elle s'y engagea si bien que M. de Guise n'étoitque douze heures du jour avec elle; car en ce temps-làcommebien depuis encorela Reine laissoit faire à ses filles toutce qu'il leur plaisoitet on les cajoloit tous les jours àses yeux. Pour leur chambreleur gouvernantela pauvre madame duPuysn'y avoit pas grand pouvoir; elles lui faisoient même desmalices épouvantables; carnon contentes de lui avoir coupédes brins de vergette dans son litpour l'empêcher de dormirà Fontainebleauun été qu'il fit un chaudétrange (1646) elles lui mirent des réchauds de feusous son lit. Elle crut que c'étoit l'air étoufféde Fontainebleau qui lui causoit cette incommodité; elle seleva pour respirer à la fenêtrepensant que son litdécouvertse rafraîchiroitet elle le trouva encoreplus chaud; elle fut longtemps avant que de deviner ce que c'étoit.

On voyoitdurant cette amour M. de Guise expliquer devant tout le monde àsa maîtresse un rescrit du pape qu'il avoit obtenuet elle luifaire des difficultés. Un jour M. d'Orléans larencontra seuleet lui dit plaisamment: « Mademoisellesivous n'y prenez gardemon frère de Guise vous épousera:au moinsje vous en donne avis. »

Toutes lesfois que la Reine sortoiton le voyoit suivre le carrosse desfilleset ses folies amoureuses étoient si publiques que tousles artisans de la rue Saint-Honoréapprochant duPalais-Royalne s'entretenoient d'autre chose. On lui rapporta qu'unmédecin nommé...... (1)qui servoit la maisonfitquelques vers où il rioit des amours de M. de Guise et demademoiselle de Pons.

[(1) Lenom est en blanc dans le manuscrit.]

Tout cequi touchoit cette fille étoit à son égard uncrime de lèse-majesté; de sorte quesans s'informer sice qu'on lui avoit dit étoit vraiil fit monter ses gens chezcet hommeet il demeura à la porte tandis qu'on le bâtonnoit.Cela est assez vilaince me semble.

Un automneque la cour étoit à Fontainebleaula demoiselledemeura chez sa belle-soeur de La Casepour se baigner. On lapurgea; il se voulut purger aussi. Il prit de la même droguela même doseet de la main du même apothicairedisantqu'il en avoit besoinet qu'il ne pouvoit pas se bien porterpuisque que mademoiselle de Pons étoit indisposée. Unefoisil lui prit je ne sais quelle vision; sur ce qu'elle lui avoitdit qu'il ne l'aimoit pointde tirer son épée pour setuerdisoit-il. On entendit un grand cri: on y courut; elle se tuoitde lui dire: « Remettez votre épéemonsieur deGuiseremettez votre épée; je crois que vous m'aimezplus que votre vie. »

M.d'Orléans le fit nommer son lieutenant-généralen Flandre. Il ne put se résoudre à partir; il envoyason train. Il fut fort long-temps en justaucorps; mais il n'alla pasplus loin que Fontainebleau; làpour le moins aussi fou qu'aParisil prit des eaux parce qu'elle en prenoit; il les prenoit àmême heure qu'elle et avec les mêmes précautions;soit qu'il fût plus échauffé qu'elleil lesrendoit fort malquoiqu'elle les rendît fort bien. Pour yremédieril lui prit une de ses jupeset se la mettoit quandil buvoitet cela sérieusement. Toute la cour l'a vu en cetétat quinze jours et davantage. Il passoit les journéesentières avec elle; tout le monde étoit en peine de cequ'il lui pouvoit tant dire; enfinon découvrit qu'il luidisoit bien souvent des choses par coeur: et un jour qu'elle luiavoit demandé le second volume de Cassandreil ne le luienvoya pasmais il le lut toute la nuitet le lendemain il le luirécita d'un bout à l'autresans s'amuser aux parolesde l'auteurcar il est constant qu'il a la mémoireexcellente: son grand jugement au moins ne l'empêche pasd'en avoir beaucoup. il sait quelque chosea de l'espritdit leschoses agréablementn'est pas méchanta de lagénérositédu coeuret est fort civil. «C'est dommage qu'il est fou» comme disoit M. de Chevreuse.

LECHEVALIER DE ROQUELAURE

Lechevalier de Roquelaure est une espèce de fouqui est aveccela le plus grand blasphémateur du royaume. On dit qu'ils'est un peu corrigé. A Malteil fut mis dans un puitsoùon le laissa quelque temps par punition. A l'armée navalelecomte d'Harcourt fut sur le point de le jeter dans la meravec unboulet au pied. Cela ne le rendit pas plus sage; car quelques annéesaprèsayant trouvé à Toulouse des gens aussifous que luiil dit la messe dans un jeu de paumecommuniadit-on...baptisa et maria des chienset fit et dit toutes lesimpiétés imaginables. (1)

[(1) Unjour qu'il jouoit et perdoitil blasphéma tant qu'un orageétant survenu tout le monde eut peur et se retira: il demeuraseul à dîneret disoit en regardant le ciel : «Tonnetonnemordieu ! tonne; tu penses me faire peur. » Unnommé Frissartgrand joueur de paume et grand blasphémateurfit un jour venir un maçon pour lever un carreau d'un jeu depaumeoù il y avoitdisoit-ilun diable dessous. Il fallutle leveret il fit mille signes de croix avant qu'on le remît.(T.) ]

On enavertit la justice. On y fut; mais ils se défendirentet il yeut un conseiller battu. Enfin pourtant il fut pris. Quelques joursaprès il corrompit le geôlier moyennant six centspistoles: le geôlier se sauva avec luidont mal lui en pritcar le chevalier lui prit son argentet le renvoya comme un coquin.On les suivitet le chevalier fut repris. Son frère aînéne perdit point de tempset obtint une évocation àParisoupour mieux direune jussion de ne passer point outre.Cela lui sauva la viecar c'est un crime capitalet voilà lechevalier en liberté à Parisquiau lieu de seretirerou du moins de vivre modestementse promenoit à lavue de tout mondene bougeoit du cabaret et menoit toujours sa vieordinaire . Quelques dévôts représentèrentà la Reine que sa régence ne prospéreroit pointsi elle laissoit ce sacrilège impuni. On donne donc ordreàl'insu du cardinal Mazarinau prévôt de l'Ile deprendre le chevalier; ce qu'il fitnon sans y perdre des archers;etdu côté du chevalierBiranun de ses frères.grand gladiateury fut fort blessé. On le mena à laBastilleoù il fut assez longtemps. Le cardinal assura lemarquis de la vie de son frère; carpour la prisonsesparents eussent été ravis qu'on l'y eût tenu àperpétuité. A la couron murmuroit de cette sévéritéet les femmes mêmes disoient tout haut « qu'on n'avoitjamais vu arrêter un homme de condition pour des bagatellescomme cela. » Madame de Longueville étoit de ce nombre.Après il fut mené à la Conciergerieet on parlatout de bon de lui faire son procès. En ce temps-làcomme quelqu'un lui disoit qu'il couroit fortuneet qu'il avoit Dieupour partieil répondit: « Dieu n'a pas tant d'amis quemoi dans le Parlement. » Quoiqu'il y eût bien destémoinson ordonna pourtant qu'il seroit plus amplementinforméet cela peut-être pour` lui donner le temps defaire évader les témoins; mais le chevalier trouva quele plus sûrsans douteétoit de s'évaderlui-même. La femme du geôliernommée Dumontquiétoit une grande coquetteà qui souvent lesprisonniers donnoient les violonsdevint amoureuse de lui. Il seconsoloit avec elle tout doucement; il la gagnaet elle fit faire untrou par lequel il se sauva au bout d'un an de prison. On dit qu'iljouoit au piquet avec le gros La Tauladequi étoit làpour dettesquand on lui vint dire à l'oreille que le trouétoit fait; il ne se le fit pas dire deux foiset fitsemblant d'aller dire un mot à quelqu'un (1).

[(1) Letrou avoit été fait dans un cabaret qui répondoitau mur de la Conciergerie. (T.)]

Lechevalier sort; La Tauladelas de l'attendre. alla voir pourquoi ilétoit si longtemps; il trouva le trou; l'occasion lui semblabelleil voulut en faire autant; mais il n'y put jamais passer: lamesure n'avoit pas été prise pour lui. Le lendemain del'évasion du chevalieril arriva douze témoins contrelui; il en avoit eu peut-être aviset c'est apparemment ce quiobligea son amante à ne pas différer davantage: on laprit avec son mariet on la mena au Châtelet. Je pense qu'iln'y a pas eu de preuves contre elle; pour moije le lui auroispardonnéà cause de sa générosité;car elle avoit mieux aime se priver d'un homme qu'elle aimoit que dele voir prisonnier.

Il revintà un an de làet on ne lui dit plus rien. C'est unassez plaisant Robin: il appelle son beau-frère deBalagny le cocu On ne se fâche point de tout ce qu'ildit. On croit qu'il a été amoureux de madame laPrincesse; il lui disoit ce qu'il lui plaisoit. Il la suivit àBordeaux; mais il ne l'a pas suivie en Flandre. Il dit plaisammentquand M. de Luynesle jansénisteenvoya demander dispensepour épouser sa tantemademoiselle de Montbason: « Desgens de notre religion ne voudroient pas faire cela.» Il étoittout mélancoliquedisoit- ilde ce qu'on lui avoit défendude chanter messe. Une fois il disoit: « Je viens de ce b... lde la maréchale de Roquelaure. Elle lui disoit: «Chevalierje suis toute tristefaites-moi rire » Il luidisoit cent extravagances. Un jour Romainvilleillustre impiesonamiétoit à l'extrémité; un Cordeliervint pour le confesser. Le chevalier prend un fusilet couchant lePère en jouelui dit: « Retirez- vousmon Pèreou je vous tue: il a vécu chienil faut qu'il meure chien. »Cela fit tellement rire Romainvillequ'il en guérit.Cependant le chevalier se confessa à quelques années delàet mourut comme un autre hommeen disant qu'il necraignoit que de n'avoir pas assez de temps pour se bien repentir. Ilavoit les jambes fort enfléeset il disoit: « Je lesveux léguer à Laverdeux. » C'est un gros frèrequ'il avoit.



MADAMEDE COURCELLES-MARGUENAT

Madame deCourcelles est fille d'un homme riche de Paris qui s'appeloitPassart: elle a un frère maître des comptes. On la mariaà un maître des compteshomme qui n'étoit pointmal fait. Elle est petite et a les yeux petitsmais elle est fortjolie et fort coquette. Sa mère lui avoit tant fait entendrede messes qu'elle n'en fut guère friande quand elle futmariée. Elle souffrit bien avec son beau-pèreun vieuxfouchez qui il falloit aller passer tous les ans six moisenChampagne; mais en revanche elle en tiroit beaucoup. Le premier qui afait galanterie avec elle est un conseiller au grand conseilnomméGizaucour; il est de Champagneet étoit voisin du beau-pèreet frère de la première femme de Courcelles. CeGizaucour se jeta dans la débauche; c'étoit avant qued'être conseiller; et négligea la dameou bien en futnégligé; mais il a eu la curiosité d'avoirtoujours quelqu'un des gens de la belle à luiqui lui contetout ce qu'elle fait. Il dit que Brancas lui succédaet quedurant sa gueuserie madame de Courcelles répondoit pour luiaux marchands. Un soir que Courcelles vint par hasardet contre sacoutumedans la chambre de sa femmeil y trouva Brancas qui prenoitcongé; il le conduisit en bas. Un valetfavori du mariditassez haut pour être entendu de la femme: « Mordieu! jene saurois souffrir que monsieur fasse comme cela de l'honneur àun homme qui le fait cocu. » Elle le fit chasser; mais ilfallut six mois pour cela.

Cebonhomme de mariquand elle avoit fait bien des fredainessevouloit mêler quelquefois de l'admonester de son devoir. «Je vois bienlui disoit-elleque vous êtes d'humeur deprêcher. » Elle lui apportoit un grand fauteuil. «Mettez-vous làlui disoit- elleet prêchez tout votresoûl. » Puisquand il avoit bien harangué: «C'est làlui disoit-ellele plus court chemin que souspuissiez prendre pour vous faire bien haïr. » Enfin lemari se rebutaet ne couchoit plus avec elle; mais elle couchoitavec Brancaset elle se sentit grosse. Orelle se prévalutde l'arrivée de leur fermierappelé Fissierqui étoitun paysan qui avoit bon sens et qu'ils aimoient assez; ils lefaisoient toujours manger avec eux. Le soirquand il fut temps de secoucherle mari dit: « Je m'en vaisadieu. -- Hé ! oùallez-vous ? dit cet homme qui avoit le mot -- Dans mon appartement.-- Par ma foije sous trouve bien de loisir de faire ainsi lit àpart: il ne faut jamais user quatre draps quand on peut n'en user quedeux. » Tout en goguenardantil les fit coucher ensemble. Uneautre foisen pareille rencontreelle fit ôter toutes lesvitres de sa chambreet le soirfeignant que le vitrier lui avoitmanqué de paroleelle dit à son mari: « Jem'enrhumerai bien cette nuit; si vous vouliezje demeurerois ici. --Ce que vous voudrez. » Elle le caressa bienet il adoptaencore cette fois-là l'enfant d'un autre.

Lescoquetteries de cette femme firent tourner la cervelle à sonmari. Quand elle eut lieu de le traiter un peu de fouelle l'enfermadans une chambre sur le devant du logisdont les fenêtresétoient grillées et même condamnéesdepeur qu'il ne vît le beau monde qui alloit voir sa femme. Ondisoit qu'elle avoit Brancas pour bravele chevalier de Gramont pourplaisantCharleval pour bel espritet le petit Barillon pourpayeur. Un jour elle et deux ou trois autres coquettes étoientau Cours avec le chevalier de Gramontet autres. Le petit Coulonenfant gâtéy étoit; il est leur voisin; ellesl'avoient pris en badinant dans leur carrosse. Ces jeunes gensprirent leurs manteauxà cause d'un vent frais qui s'élevaet aprèspar-dessous leurs manteauxportèrent la mainà ces femmes où vous savez. Ce sont leurs belles façonsde faire. Quelques jours aprèscet enfant étoit chezmadame la présidente de Pommereuil avec sa mèreet làayant froidil prit son manteau. puis mit la main où voussavez à la présidente. Elle et sa mère legrondèrent. « Oy ! dit-ilje vis faire comme celal'autre jour au Cours. » On approfondit l'affaire et laPommereuil disoit: « Mais ce sont donc des perdues ! Il ne lesfaut plus voir. » cela se sutil y eut une querelle de diable.Enfin on les accommoda.

Lemaréchal d'Albret s'avisail y a quelque cinq ansd'enconter à la Courcelles; elle étoit éprise deBachaumont comme elle l'est encore. Le bruit court qu'ils sontmariés. Le maréchal n'y fit rienet Roquelaure enfaisoit une plaisanterie. « Ce brave Miossensdisoit-ilceconquérantà qui rien ne résistoita ététrois mois devant une bicoqueune méchante place qu'onappella Marguenatet a levé le piquet honteusement. »Les goguenards disoient: « Il n'avoit garde de la prendreil ya trop de gens dedans »

Son maridevint hébété. elle l'enferma fort bien dans unechambre. Cependant M. Bachaumont-le Coigneux s'en épritetle mari étant mortil vécut avec elle comme avec safemme. Enfinau bout de dix ou douze ansils firent jeter des banset se marièrent comme s'ils n'eussent jamais couchéensemble.



CHAMPAGNE

Champagnele coiffeur contoitil y a long-tempsune chose de madame de Choisyque personne n'a crue: il disoit qu'étant une fois allétrouver la princesse Marie à Notre- Dame-des-Vertusoùelle prenoit l'air chez Montelonson avocatil étoit entrédans la chambre de madame de Choisyqui y étoit aussietquel'ayant rencontrée au litil avoit étéassez heureux pour trouver l'heure du berger; mais que ce n'étoitpas ce qu'on pensoitet qu'elle avoit les cuisses fort maigres. Undes parents de la damequi m'a conté celadit qu'il cherchaquelque temps Champagne pour le rouer de coupsmais que le coquin secacha. Je ne sais commentaprès une chose comme celle-lalareine de Pologne a pu emmener Champagne avec elle.

Ce faquinpar son adresse à coiffer et à se faire valoirsefaisoit rechercher et caresser de toutes les femmes. Leur foiblessele rendit si insupportable qu'il leur disoit tous les jours centinsolences: il en a laissé telles à demi coiffées;à d'autresaprès avoir fait un cotéil disoitqu'il n'achèveroit pas si elles ne le baisoient; quelquefoisil s'en alloitet disoit qu'il ne reviendroit pas si on ne faisoitretirer un tel qui lui déplaisoitet qu'il ne pouvoit rienfaire devant ce visage-là. J'ai ouï dire qu'il dit àune femmequi avoit un gros nez: « Vois-tude quelque façonque je te coiffetu ne seras jamais bien tant que tu auras cenez-là. » Avec tout cela elles le couroientet il agagné du bien passablement; carcomme il n'est pas sotiln'a pas voulu prendre d'argentde sorte que les présentsqu'on lui faisoit lui valoient beaucoup. Lorsqu'il coiffoit une dameil disoit ce que telle et telle lui avoit donnéet quand iln'étoit pas satisfaitil ajoutoit « Elle a beaum'envoyer quérirelle ne m'y tient plus. » L'idiotequi entendoit celatrembloit de peur qu'il ne lui en fîtautantet lui donnoit deux fois plus qu'elle n'eut fait. Avec celail étoit médisant comme le diable: il n'y avoitpersonne à sa fantaisie. De Pologne il alla en Suèdeet revint ici avec la reine Christine.



SÉVIGNYET SA FEMME (1)

[(1)Madame de Sévigné.]

Sévignyqui par la faveur du coadjuteurson parentà qui l'abbéde LivryCoulangesfou de la mèreavoit voulu faire sacouravoit épousé cette jolie mademoiselle de Chantalde la maison de Rabutin de Bourgognequi avoit cent mille écusen mariage. Ce Sévigny devint amoureux de madame de Gondran.Pour moij'eusse mieux aimé sa femme. Pour réussir enson desseinil se met à faire la débauche avec le mariet à le mener promener. Il étoit une fois au Cours avecluiet le chevalier de Guise se mit avec eux. Gondran disoit qu'iln'y avoit point d'homme plus heureux que luiqui étoittoujours en festinet avec de grands seigneurs; que les gens de lacour étoient autrement agréables que les gens de lavilleet qu'il ne pouvoit plus souffrir les bourgeois. Le chevalierde Guise demanda à voir la belle madame de Gondran; le mari nes'y opposa pas autrementmais la belle-mère ne le voulut pas.M. d'Aumaledepuis M. de Reimsaujourd'hui M. de Nemoursy futreçu: je pense que sa soutane rassura la bonne femme.

Ce Sévignyn'étoit point un honnête hommeet ruinoit sa femmequiest une des plus aimables et des plus honnêtes personnes deParis. Elle chante. elle danseet a l'esprit fort vif et fortagréable; elle est brusque et ne peut se tenir de dire cequ'elle croit joliquoique assez souvent ce soient des choses un peugaillardes; même elle en affecte et trouve moyen de les fairevenir à propos. Quelqu'un lui avoit écrit un billet etl'avoit priée de ne le montrer à personne: elle laissapasser quelques jourspuis le montra et dit: « Si je l'eussecouvé plus long-tempsil fût devenu poulet. »

Sévignyavoit fort peu de bien: il faisoit des marchés qu'aprèsil rompoit. On fit séparer sa femme. Cependantpar amitiéelle s'engagea jusqu'à cinquante mille écus. Cesesprits de feupour l'ordinairen'ont pas grand'cervelle. Elle dit:« M. de Sévigny m'estime et ne n'aime point; moi jel'aime et ne l'estime point. » Ménage lui disoit: «Le plus grand malheur qui pouvoit arriver à M. de Sévignyc'étoit de vous épouser; car tout le monde dit: «Quel homme pour cette femme ! »

Il étoitconstant que la princesse d'Harcourt et elle étoient néesen même jour. « Madamelui dit-elle une foistombonsd'accord de nos faits; dites-moivoyonsquel âge voulons-nousavoir ? »

Ellebaisoit un jour Ménage comme son frère; des galantss'en étonnoient. « On baisoit comme celaleur dit-elledans la primitive église. » Une fois qu'il lui disoitqu'elle avoit tort d'avoir mis tant de bien sur la tête de sonmari: « Pourvudit-elleque je ne lui mette que cela sur latête; patience! » Elle faisoit confidence de tout àMénageet luiqui en avoit été amoureuxautrefoislui disoit: « .J'ai été votre martyrje suis à cette heure votre confesseur -- Et moirépondit-ellevotre vierge. » Vassé en aété amoureux; Ménage lui demanda comment celaétoit arrivé; elle se mit à chanter une chansonque Patris fit à Gravelines pour un provincialoù il yavoit:

Il futblessé comme là

Et moij'étois commeici.


Et endisant celaelle lui montra l'endroit où ils étoientassis tous deux.

Un Gasconnommé Lacger dont nous avons parlé dans l'historiettede la comtesse de La Suzes'avisa de faire une fable qui fut cruepar tout Paris: il alla débiter que l'abbé de Romillypar jalousieen un balavoit dit les plus étranges choses dumonde à madame de Gondranet avoit déchiré seslettres en sa présence. A tout cela il n'y avoit rien de vrai; l'abbé seulement lui avoit dit chez elle qu'elle l'avoitmieux traité autrefois qu'elle ne faisoit. Sévignypour venger la bellevouloit donner des coups de bâton àLacger dans une assemblée: où il devoit être;mais on en fut averti. Ce Lacger est un grand coquin; il fait l'hommeà bonnes fortunes: il avoit une fois un portrait de la desUrlisil le montroit assez volontiers et disoit que c'étoitd'une dame de qualité; Il y eut une femme qui trouva moyen demettre dans la boîte la reine de carreau au lieu du portraitet en pleine table le comte de Roussychez qui ils étoient àla campagnelui ayant demandé à voir ce portraiton ytrouva la reine de carreau.

LecarnavalSévigny emprunta les pendants d'oreille demademoiselle de Chevreuse pour mademoiselle de La Vergne et puis lesporta à madame de Gondran. Deux jours aprèson demandaà mademoiselle de Chevreuse d'où venoit qu'elle avoitprêté ses pendants à madame de Gondran; la choses'éclaircitet mademoiselle de la Vergne fut obligéd'aller remercier mademoiselle de Chevreuse. Le chevalier d'Albretfrère de Miossensaujourd'hui le maréchal d'Albretalloit aussi chez la belleet lui en contoit; mais il n'avoit pointgarde d'être si bien traité que Sévigny. Sévignyen fit des railleriesdont le chevalier lui envoya faireéclaircissement par Saucour. Ils se battirentet lechevalier le tuaaussi franc que Miossens avoit tuéVillandry. Saint-Maigrin disoit: « Ma foi ! ce chevalierd'Albret est un fort joli garçonbien faitbien spirituelet qui tue fort bien le monde. » La pauvre amante disoit: «M. de Gondran et moi perdons notre meilleur ami. » Madame deSévigny lui renvoya toutes ses lettres: on dit qu'ellesparloient aussi bon françois que celles de La Roche Giffard.Pour faire le conte bonon dit que madame de Sévigny n'ayantni portraitni cheveux de son maricar il étoit enterréquand elle arriva de Bretagneenvoya incontinent en demander àmadame de Gondran.

On conteune chose étrange de ce combat. Sévigny reçutune lettre de sa femme quatre jours avant qu'il se battîtparlaquelle elle lui faisoit des reproches de ce qu'elle avoit apprispar d'autres qu'il s'étoit battu contre un tel qu'elle luinommoitet qu'il y avoit reçu un coup d'épée.Madame de La Loupemère de madame d'Olonne et de la maréchalede La Fertédit quequelques mois avant la mort de sonpremier mariun frère qu'elle avoit lui apparut: apparemmentc'étoit un songe; elle dit que nonelleet qu'elle nedormoit pointet qu'il lui dit: « J'ai été tuéje suis en purgatoire; mais il n'est pas fait comme vous pensez; onsouffre diversement; j'ai pour punition d'errer certain temps dans laforêt des loups ici proche; votre mari me viendra trouver danscette année. » Ellequi aimoit tendrement ce frères'est promenée vingt fois bien avant dans cette forêttoute seulepour voir si ce frère ne lui apparoîtroitpoint.

Madame deSévignyayant rencontré Saucour deux ans aprèsdans un balpensa s'évanouir; une autre foiselle s'évanouità demi pour avoir vu le chevalier d'Albret. Le printempssuivantcomme elle s'étoit allée promener àSaint- Cloudelle aperçut Lacger dans une allée prochede la source. « Ah! dit-elle à deux officiers aux gardesqui étoient avec ellevoilà l'homme du monde que jehais le plus. -- Madamelui dirent-ilsvoulez- vous qu'on le pendequ'on le noiequ'on l'extermine? -- Nondit-elleil suffit qu'onle jette dans la fontaine. » En ces entrefaites la compagnieavec laquelle Lacger étoit venu parut; elle y reconnut desgens et n'osa faire affront à ce garçon devant eux. «Arrêtezdit-ellevoilà de mes parents avec lui. »C'eût été un beau tour à elle.



NINONDE LENCLOS

Ninon estfille de Lenclosun suivant de M. d'Elbeufqui jouoit fort bien duluth (1).

[(1)Lenclos étoit un gentilhomme de Tourainequi avoit épouséune demoiselle de Raconisd'une famille noble de l'Orléanais.Anneleur filleplus ordinairement appelée Ninonnéeà Paris en 1616y mourut en 1706. (T.)]

Elle étoitencore bien petite quand son père fut obligé de sortirde France pour avoir tué Chabansde façon que celapouvoit passer pour un assassinatcar l'autre avoit encore le pieddans la portière quand Lenclos le perça d'un coupd'épée.

Durant sonabsencecette fille devint grandette. Elle n'eut jamaisbeaucoup de beautémais elle avoit dès lors beaucoupd'agréments; etcomme elle avoit l'esprit vifjouoit bien duluth et dansoit admirablementsurtout la sarabandeles dames duvoisinage (c'étoit au Marais) l'avoient souvent avec elles.

Saint-Etiennefut le premier qui lui en conta: il avoit de grandes libertéslà-dedans. La mère croyoit qu'il épouseroitNinon; mais enfin ce commerce finitnonà ce qu'on ditsansla mettre à mal. Le chevalier de Raray en fut amoureuxensuite. On dit qu'une fois qu'on ne vouloit point qu'elle luiparlâtl'ayant vu passer dans la rueelle descend vite àla porteet lui parle. Un gueux les incommodoit fort; elle n'avoitrien pour lui donner: « Tiensdit-elle en lui tendant sonmouchoiroù il y avoit de la dentellelaisse-nous en paix. »

CependantCoulon poussoit sa fortunecar il lui en vouloit aussi. Je pensequ'il traita avec la mère au Mesnil-Cornuel. Madame Coulondécouvrit tout le mystère; alors toutes les honnêtesfemmesou soi-disantesabandonnèrent Ninon et cessèrentde la voir. Coulon leva le masque et l'entretint tout ouvertement; illui donnoit cinq cents livres par moisqu'il adit-oncontinuéde lui donner jusqu'en 1650huit ou neuf ans durantquoiqu'il fûtbien arrivé des désordres entre eux. Aubijouxquelquetemps aprèsfut associé à Coulonet contribuaaussi de son côté.

Le premierdont elle devint amoureuse fut feu M. de Châtillonqui fut tuéà Charenton; il n'étoit alors qu'Andelot. Elle luiécrivitet lui donna rendez- vous. Il y va; mais commec'étoit un inconstantil la quitta bientôt. Ellequicomme vous verrez par la suiteétoit plutôt d'humeur àquitter qu'à être quittéene trouva point cetraitement supportableet s'en plaignit à La Moussayequifit leur paix et lui ramena le fugitif. On a ditmais j'en douteque pour s'en vengerelle avoit bien voulu prendre du maletqu'elle l'avoit si bien poivré qu'il ne pût êtreremis de long-temps. Il avoit le sang fort subtil et gagnoit aisémentdu mal. Cela lui sauva peut-être la vie; cars'il n'eûtpoint été incommodédevant servir sous lemaréchal de Gramontil eût été àla bataille d'Honnecourt et sans doute eût payé de sapersonne. Ensuite elle eut des amourettes en assez bon nombre. On laservoit par quartiers. Quand elle en étoit lasseelle leurdisoit: « En voilà assezcherchez fortune ailleurs. »

Cependantla subvention de Coulon marchoit toujoursSévignyRambouillet ont été de ses amants par quartier. Elle aeu un fils de Méréet un de Miossens. Un jourauCourselle vit que le maréchal de Gramont obligea un hommebien faitqui passoit à chevalà se venir mettre dansson carrosse; c'étoit Navaillesqui n'étoit pas encoremarié: il lui plut; elle lui envoie dire qu'elle seroit bienaise de lui parler à la sortie; brefelle l'emmena chez elle.Ils soupèrent; après elle le conduit dans une chambrebien proprelui ditqu'il se coucheet qu'il aura bientôtcompagnie. Luiqui étoit peut-être lass'endort. Quandelle le vit ainsielle alla coucher dans une autre chambreetemporta les habits de ce dormeur. Le lendemain elle s'en habilleetl'épée au côtéentre dans la chambred'assez bonne heure en jurant. Navailles se réveille; il voitun homme qui veut tuer: « Ah! Monsieurlui dit-ilje suishomme d'honneur; je vous satisferai; point de supercherieau nom deDieu ! » Alors elle s'éclate de rire....

CommeCharleval la pressoit de lui accorder ce que vous savezelle luidit: « Attends mon caprice. » Ça étéson premier martyr; jamais il n'en a pu avoir riennon plusque Brancas. Mais ce qui m'a le plus surprisça étéfeu Moreaufils du lieutenant civil: il étoit fort aimable.Elle l'a toujours bien voulu pour ami; mais il est mort sans en avoirreçu aucune faveur. On a distingué ses amants en troisclasses: les payeurs dont elle ne se soucioit guèreetqu'elle n'a soufferts quo jusqu'à ce qu'elle ait eu de quois'en passer; les martyrs et les favoris. Elle disoitqu'elle aimoit bien les blondsmais qu'ils n'étoient pas siamoureux que les bruns. En 1648elle fit un voyage à Lyon:les uns disoient que c'étoit pour se faire traiter secrètementde quelque incommoditéles autres par fantaisie. Elle disoitque ce fut pour Villars Orondatedepuis ambassadeur enEspagneet qu'elle fit le voyage en poste comme un courrieretpoint en chaise comme on a fait depuis. Elle étoit déguiséeen homme. Elle disoit que c'étoit à dessein de seretirer; en effetelle se mit dans un couvent. Làlecardinal de Lyon devint un peu amoureux de sa belle humeuret fitquelques folies pour elle.

Un frèrede Perrachon en fut transpercé de part en part etsans luidemanderla pria de trouver bon qu'il la vît quelquefoisetqu'il lui donnât une maison qui pouvoit bien valoir huit milleécus; mais comme après il en prétendit deschoses qu'elle ne lui vouloit pas accorderun beau matincar ellen'est pas intéresséeelle lui rendit sa donation.

De retourelle se met dans la tête de ne s'abandonner absolument qu'àceux qui lui donneroient dans la vue; elle alloit au devantle leurdisoitou le leur écrivoit. Elle eut Sévignytoutmarié qu'il étoittrois mois ou environsans qu'illui en ait rien coûté qu'une bague de peu de valeur.Quand elle en fut lasseelle le lui ditet mit Rambouillet en saplacepour trois autres mois. Elle lui écrivit en badinant: «Je crois que je t'aimerai trois mois; c'est l'infini pour moi. »Charlevaly ayant trouvé ce jouvenceaus'approcha del'oreille de la belle et lui dit: « Ma chèrevoilàce qui a bien la mine d'être un de vos caprices. » Depuison appelle ses passantsses capriceset elle disoitparexemple: « J'en suis à mon vingtième caprice »pour dire à mon vingtième galant. Durant sa passionpersonne ne la voyoit que celui-là ; il alloit bien d'autresgens chez ellemais ce n'étoit que pour la conversation etquelquefois pour soupercar elle avoit un ordinaire assezraisonnable. Sa maison étoit passablement meubléeetelle avoit toujours une chaise fort propre.

Vassésuccéda à Rambouillet. Elle reçut de celui-làparce qu'il étoit fort riche: il ne laissa pas de payer encorequand son temps fut fait; maiscomme Coulon et Aubijouxil ne luitouchoit que quand la fantaisie en prenoit à Ninon.

Fourreaugros garsfils de madame Larcherqui n'a qu'un talentc'est de seconnoître admirablement bien en viandeétoit comme sonbanquier; elle tiroit sur lui des lettres de change: M. Fourreaupaieraetc. On croit qu'il n'en a quasi rien eu. Elle disoitqu'elle lui avoit vu un javarttant elle le traitoit decheval.

Charlevalun M. d'Elbène et Miossens ont fort contribué àla rendre libertine. Elle dit qu'il n'y a point de mal à fairece qu'elle faitfait profession de ne rien croirese vante d'avoirété fort ferme en une maladie où elle se vit àl'extrémitéet de n'avoir que par sa bienséancereçu tous ses sacrements. Ils lui ont fait prendre un certainair de dire et de trancher les choses en philosophe; elle ne lit queMontaigne et décide de tout à sa fantaisie. Dans seslettresil y a du feumais tout y est bien déréglé.Elle se fait porter respect par tous ceux qui vont chez elleet nesouffriroit pas que le plus huppé de la cour s'y moquâtde qui que ce soit qui y fût.

Coulon etelle se brouillèrent (1650)parce qu'elle quitta le Maraispour le faubourg Saint-Germainoù logeoit Aubijoux. Feu lepetit Moreaufils de la lieutenante civileen étoit alorsfurieusement amoureux; il étoit devant elle comme devant laReine: il payoitmais on ne sait s'il couchoit avec elle. J'ai ouïdire à des voisins que son laquais lisoit toujours le billetde son maître en rentrant chez la demoiselleet la réponsede la demoiselle après en sortant. Elle disoit un jour àRambouillet: « Dites-moiun tel est-il beau ? car j'ai grandbesoin de ragoût. » Elle faisoit cela assez enhonnête personnecar elle n'en prenoit jamais trop et ne sehasardoit que rarement à devenir grosse.

Le carêmede 1651des gens de la cour mangeoient gras chez elle assez souvent;par malheuron jeta un os par la fenêtre sur un prêtrede Saint-Sulpice qui passoit. Ce prêtre alla faire un étrangevacarme au curéetpar zèleajoutacomme unevétillequ'on avoit tué deux hommes là-dedansoutre qu'on y mangeoit de la viande tout publiquementLe curés'en plaignit au bailliqui était un fripon. Ninonavertiede celaenvoya M. de Candale et M. de Mortemart parler au bailliqui leur fit civilité.

L'étésuivant elle se trouva au sermon auprès d'une madame Pagetfemme d'un maître des requêtes. Cette femme prit grandplaisir à causer avec elleet demanda à du Pintrésorier des menus plaisirsqui elle étoit: «C'est madame d'Argencourtde Bretagnequi vient plaider ici.» Il goguenardoit sur ce mot d'Argencourt; l'autre le crut etdit à Ninon: « Madamevous avez donc un procès?Je vous y servirai; j'aurois la plus grande joie du monde desolliciter pour une si aimable personne. » Ninon se mordoit leslèvresde peur de rire. Bois-Robert en ce temps-là lasalua. « D'où connoissez-vous cet homme? » ditmadame Paget. -- Madameje suis sa voisine; je loge au faubourg --Ah! je ne lui pardonnerai jamais de nous avoir quittés pourune Ninonpour une vilaine. -- Ah! madamedit Ninon un peudéferréeil ne faut pas croire tout ce qu'on ditc'est peut-être une honnête fille. On en peut peut-êtreautant dire de vous et de moi; la médisance n'épargnepersonne. » Au sortirBois- Robert aborde madame Paget (1) etlui dit: « Vous avez bien causé avec Ninon. »

[(1) Cettemadame Paget est galante. (T.)]

Voilàla dame en colère contre du Pin et contre Ninon aussi:cependant elle l'avoit trouvée si agréable que du Pinhasarda de mener Ninon dans le jardin de Théveninl'oculisteà la porte de Richelieuoù le voisinage alloit sepromener. Madame Pagetqui est femme du neveu de madame Thévenins'y trouvaet elle causa encore avec Ninon.

Un jourqu'on faisoit la guerre à Bois-Roberten présence deNinonqu'il aimoit les beaux garçons: « Ah! vraimentdit- ilil n'y a pas d'apparence de dire cela en présence demademoiselle. -- Moquez-vous de celadit-elleje ne suis pas sifemme que vous penseriez bien. »

Villarceauxest le dernier galant qu'elle ait eu. Pour le voir plus facilement etn'être point à Paris (c'étoit en 1652)elle alladans le Vexin chez un gentilhomme de qualiténomméVaricarvillequi est riche et fait bonne chère aux gens; maisc'est un originalet surtout en mangeaillecar il ne tâterien qui ait eu vienon point par aversion comme un gentilhomme deBeaucenommé d'Auteuilqu'on n'a jamais pu tromperlà-dessusl'estomac lui soulève incontinentmais parvision. Ce Varicarville ne croit pas grand'chosenon plus qu'elle.Un jour ils s'enfermèrent tous deuxpour raisonner; on leurdemanda ce qu'ils faisoient là. « Nous tâchionsdit-ellede réduire en articles notre créancenous enavons fait quelque chose une autre fois nous travaillerons tout debon. »

Un jourVillarceauxdans sa grande passionvit par sa fenêtrecar illogeoit exprès vis- à-visqu'elle avoit une bougieallumée; il lui envoya demander si elle se faisoit saigner;elle répondit que non: il conclut donc qu'elle écrivoità quelque rival. La jalousie le prendil veut aller luiparler; etdans ce transportcroyant prendre son chapeauil se metune aiguière d'argent dans la têteet de telle forcequ'on eut bien de la peine à l'arracher. Elle ne le satisfitpas; il tombe malade dangereusement: elle en fut si touchéequ'elle se coupa tous ses cheveuxqui étoient trèsbeauxet les lui envoyapour lui faire voir qu'elle ne vouloitpoint sortir ni recevoir personne chez elle. Ce sacrifice fit cesserson mal; la fièvre le quitta aussitôt: Elle l'apprendva chez lui; se couche dans son litet ils demeurent couchésensemble huit jours entiers.

Elle a eudeux enfants de Villarceaux. On disoit: « Elle vieillitelledevient constante. » Elle pouvoit avoir trente ans. Deux ansaprèsun grand garçon fort bien faitnommé desMousseauxau retour de Suèdeoù la reinesur sabonne minel'avoit fait capitaine de ses gardes. fit connoissanceavec Ninon à la comédieet l'alla voir; elle étoitau lit. « Qui êtes-vouslui dit-ellevous qui avez lahardiesse de me venir voir sans introduction -- Je n'ai point de nomrépondit-il. -- D'où êtes-vous? -- Je suis Picard(elle hait les Picards). Où avez-vous éténourri? -- En Candie. -- Jésus! quel homme! Mais ne seriez-vous point un filou? Pierrotprenez garde qu'il ne me vole. Je nesais qui vous êtesil me faudroit un répondant. -- Jevous donnerai Bois-Robert. -- Ce n'est pas ce qu'il me fautni àvous aussi. -- Je vous donnerai donc Roquelaure. -- Il est tropgascon (notez qu'il ne les connoissoit que de vue). -- Mais quandj'aurois un répondantqu'en seroit-il? -- Nous verrions; vouspasseriez quelque temps icicar je suis changeante; Pierrot vousserviroit. -- Mais je n'ai riendit-ilil me faut entretenir. --Combien voulez-vous? -- Une pistole par jour. -- Allezdit-ellejevous donne quarante sous. » Enfin il se coupa et nommaRambouillet qu'il connoît. « Ah! dit-elleje prendscelui-là pour répondant. » Ils se séparèrentlà-dessus. Depuisce garçon s'est donné àM. de Noailles..

L'amourettede Villarceaux donna bien du chagrin à sa femme. Bois-Robertdit qu'un jour qu'il étoit allé à Villarceauxcar Villarceaux est son hôte à Parisle précepteurde ses enfants voulut faire voir à Bois-Robert comme ilsétoient bien instruits: il demanda à l'un d'eux: «Quis fuit primus monarcha ? -- Nembrod. -- Quem virum habuitSemiramis? -- Ninum. » Madame de Villarceaux se mit encolère contre le pédagogue. « Vraimentluidit-ellevous vous passeriez bien de leur apprendre des ordures »;et que c'étoit la mépriser que de prononcer ce nom-làchez elle. Villarceaux (1656) prit jalousie du maréchald'Albretquin'ayant pu rien faire chez Guerchyqui logeoit vis-à-vis de Ninonpassa le ruisseauet en conta à Ninon pour ladeuxième fois. Il se vantoit hautement qu'il en étoitdéfait pour toujours. On verra dans les Mémoires de laRégence la persécution que les dévots firent àla pauvre Ninonet le reste de ses aventures. En 1671elle s'épritd'un garçon de ma connoissance. Un jourcomme ils étoientensemble en carrosseelle remarqua que ce jeune homme remarquoittoutes les femelles qui passoient. « Hé! vous lorgnezbien» lui dit-elle; et en disant cecielle lui donne ungrand soufflet: c'est qu'elle n'est plus jeuneet qu'elle se défiede ses forces.

Ce fut lamaréchale de Gramontprude maligneet de qui le maréchalson maridisoit qu'elle donneroit quinze et bisque àBelzebuthqui fut cause que la Reine-mère la fit mettre auxMadelonnettes. Madame de Vendôme fit l'exécution. Onl'accusoit de jeter la jeunesse de la cour dans le libertinage.

On alladire après que tous les galants de la cour vouloient incendierla maison des Madelonnetteset on y envoya le guet faire lapatrouille autour toute la nuit. Une autre foison assura que descavaliers fort dorés avoient prisd'une maison voisinelahauteur des murs du couvent. On en fit tant de bruit qu'il fallutl'ôter de là; mais ce fut à condition de passerquelque temps dans un couvent à Lagny. Tant de gens l'yallèrent voir qu'elle retint tout l'hôtel de l'EpéeRoyale. Bois-Robert y fut pour voir sa divinec'est ainsiqu'il l'appeloit. Il avoit un petit laquaisetquand il fut partiune servante dit à quelqu'un qui occupoit la mêmechambre: « Monsieurne fera-t-on qu'un lit pour vous et pourvotre laquaiscomme à M. l'abbé de Bois-Robert?»Ninon lui en fit la guerre et lui dit . « Monsieurje nevoudrois point des laquais. -- Vous ne vous y entendez pasluidit-illa livrée c'est le ragoût. »

Un abbéqui se faisoit appeler l'abbé de Ponsgrand hypocritequifaisoit l'homme de qualitéet étoit fils d'unchapelier de provincela servoit assez bien; c'étoit un drôlequi de rien s'étoit fait six à sept mille livres derentes; c'est l'original de Tartufecar un jour il luidéclara sa passion; il étoit devenu amoureux d'elle. Entraitant son affaireil lui dit qu'il ne falloit pas qu'elle s'enétonnâtque les plus grands saints avoient étésusceptibles de passions; que saint Paul étoit affectueuxet que le bienheureux François de Sales n'avoit pu s'enexempter.

Cela mefait souvenir de la comtesse de La Suzequi dans les derniers joursde sa vie devint amoureuse de Jésus- Christ. Elle se le figuracomme un grand garçonbeaude fort bonne mine. Ninon luidisant: « Je crois qu'il est blond. -- Pointma chèrevous vous trompez; je saisd'original. qu'il étoit brun. »



M.DE VILLARCEAUXMADAME DE CASTELNAU

M. ETMADAME DE NOUVEAU

Villarceauxest fils d'un M. de Villarceauxqui étoit un gentilhomme dequalité du Vexin françois; sa mère étoitde Leuvillegrande joueusequi avoit de l'espritmais fortmédiocrement de cervelle. Au retour de Hollandeoù ilavoit porté les armesquoiqu'il fût tout jeuneonparla de le marier à la fille d'une madame d'Espinaydont lemariqui étoit Girardavoit gagné du biendurant lestroublesà être gouverneur de Saint-Denis. La mèreest de Châteaudun: elle a bien chanté autrefois. Ils seprirent d'amour tous deux; etmoitié figuemoitiéraisinil en eut tout ce qu'il vouloit. Le lendemain elle luiécrivit qu'elle étoit au désespoir de ce qu'elleavoit faitqu'elle vouloit mouriretc. Cependant le mariage seromptet Castelnau-Mauvissière l'épouse. Villarceaux yretourne comme si de rien n'étoit; etdès que le marifut à l'arméevoilà le commerce établientre eux. Cela dura assez longtempsquoique Villarceaux fûtmarié; car il avoit épousé mademoiselled'Eschesdont le frère étoit devenu fou d'amour pourmademoiselle de Gramontaujourd'hui madame de Saint-Chaumont. Il futdix ans sans vouloir sortir de son écurie; depuis le mariagede sa soeuril est revenu en son bon senset a épousémademoiselle de Clinchamp. Castelnau réussit à l'armée;il parvint à être lieutenant-général. Ilétoit peint comme un général d'armée dansla ruelle du lit sur lequel on le faisoit cocu. Dans l'action mêmeelle le voyoit et .... elle disoit d'un ton entremêlé desoupirs et tremblotant: « Faut-il que je fa.. fa.. fasse cocuun si vaillant hom... homme! » Et quelquefois elle s'écrioit:« Grand hérosme le pardonnerez-vous ?» Avec celail est bien fait; mais je crois qu'il n'a pas grande vivacitéet qu'il n'est bon qu'au métier qu'il fait.

Enfin ilvint un soupçon à Villarceaux; il crut que Nouveaubeau-frère de la dameétoit trop bien avec elle; ilinterrogea une petite filleet lui fit direen badinant avec elleque Nouveau et sa maman se baisoient. Un jour qu'elle lui avoit faitfinesseet qu'il y avoit apparence qu'elle se vouloit défairede luiNouveau arriva; la voilà embarrassée; ilconclut que c'étoit un rendez-vouset que c'étoit pourcela qu'on avoit fait tant de façons; il s'emportafurieusementet dit à Nouveau: « Venez-vous-enetcelui qui en aura eu le moins la cédera à soncompagnon. » Il montra deux cents lettresdes portraitsdesbracelets de cheveux de tous les endroitsNouveau lui avoua qu'iln'en avoit jamais eu que des baisers: « Mais si vous pouvezlui dit-ilm'en faire avoir davantagevous me ferez plaisir.»Dans cette fureur il lui donna je ne sais combien de lettresetaprès avoir traité la dame de carogneil semale reste par tout Paris. On croit que Nouveau lui succéda.Cette femme fait la cavalièreet tire un pistolet; elle aplus d'esprit que sa soeurmais sa soeur est plus jolie; ce n'estpas grand'chose pourtant. Ce Nouveauun jourau commencement qu'ileut équipage de chassecourant un cerfdemanda à sonveneur: « Dites-moiai-je bien du plaisir à cette heure? » Un jour il parut sur son balcon avec un Saint-Esprit àson justaucorpsle cordon et la croix par- dessuset un autreSaint-Esprit à son manteau. Vineuil dit en riant: « Dece balcon je pense qu'on a fait un colombier; que de pigeons ! »

Madame deNouveau est la plus grande folle de France en braverie. Pourun deuil de six semaineson lui a vu six habits; elle a eu des jupesde toutes les couleurs à la fois. Qu'on la prie de montrercelle qu'elle a: « Ah ! dit-ellec'est la moindre; ma verteest débordée; on met des points de soie à mableue; le brodeur refait quelque chose à ma jaune;la ceinture de mon incarnate est défaite. » Unejupe de toile d'or avec quatre grandes dentellesce n'est qu'unepetite jupe: « Ne vous amusez pas en celadisoit- ellemais regardez mon velourscar il est divin. » Et tout le jourelle ne parlera d'autre chose. Une vanité la plus impertinentequ'on ait jamais vue: « Mademoisellemademoiselle de Chevreuseet moidisoit- ellenous donnerons les violons tour à tour.»Elle dit une fois que la Reine lui avoit dit en amiequ'elle ne tînt plus tablequ'il n'y avoit plus qu'elle quifît cette dépense: « Aussi ne la tiens-je plus.Pourtant Miossens (et quatre ou cinq autres qu'elle nommoit) ont dînéchez moi; mais je n'appelle pas cela du monde. » Etant grosseon retint deux nourricesde peur d'en manquer. Une fois elle nevoulut pas prendre un laquais parce qu'il étoit laidet quesi elle devenoit grosseil y auroit du danger à le regarder.« Voirerépondit ce laquaiset ne voit-elle pas tousles jours son mari ? »



MONTAURON

Pendantque Montauron étoit à Pommeuseil en conta à ladernière et la plus jolie des filles de M. de Pommeuse: il n'yavoit qu'elle qui n'eût point été mariée;on l'appeloit mademoiselle Louise. Patruqui étoit son amiquoique beaucoup plus jeune qu'elle. dit que c'étoit une fortaimable personne . Montauron étoit laid et impertinent;cependant comme elle ne voyoit que luiet qu'on ne la mariâtpointelle l'aima faute d'autre. Patruà qui elle contatoute son histoire depuislui disoit: « Maisma chèrec'est donc pour faire dire vrai à Chéva que tu as aimécet homme ? --Ce sera ce que tu voudrasdisoit- elle en rougissant.La voilà grosse: elle accouche; Montauron reçoitl'enfant par une fenêtreet l'emporte à Paris; il avoitun cheval de louage. Il a dit depuis que quand il fut question de ledonner à une nourriceil n'avoit que deux écus. Pensezqu'il on trouva à emprunter quelque part. elle accoucha encoredeux fois. La seconde fois elle fut découverte par uneservante. La mère croyoit qu'elle étoit hydropiqueetle père étoit un méditatifqui ne voyoit pas cequ'il voyoit. L'ayant suil alla trouver sa fille le troisièmejourqu'elle étoit fort mal. Elle se voulut jeter àses piedsil la retint et lui dit: « Traitez bien cetteservante toute votre viecar elle vous peut perdreet n'y retournezplus. » Elle n'y retourna effectivement qu'après samort; mais c'est qu'il mourut bientôt. Des trois enfantsqu'elle eutil n'y eut que l'aîné qui vécut;c'étoit une fille.

Montauronses amours étant découvertesne demeura plus àPommeuseet il se mit au régiment des gardes; après ilse fit commispuis il eut quelque intérêt dans larecette de Guienne. Il avoit promis à mademoiselle Louise del'épouser; il ne s'en tourmentoit pas autrementdisoit pourexcuse que cela nuiroit à ses affaires. Il y avoit deux ansqu'elle n'en avoit eu aucune nouvellequand elle mourut de dépitde se voir ainsi trahieet de ce que la femme de son frère dePommeuse lui reprochoit quelquefois sa petite vie. S'étantbien mis avec feu M. d'EspernonMontauron acheta la charge dereceveur général de Guienne; il se fourra tout de bondans les affaires.

VoilàMontauron opulent; il étoit si magnifique en toute chose qu'onl'appeloit Son Emminence gasconeet tout s'appeloit àla Montauron (1)comme aujourd'hui à la Candale.

[(1) Il yavoit même des petits pains au lait qu'on appeloit àla Montauron: «Sunt etiam panes qui aliâs à laMontoron ab inventore forsan dicti sunt quibus sal et lacadjiciebantur» . Petri Gontiermedici regis ordinariiExercitationes Hygiasticoe. » (Lugdini1668in-quartop.111)]

Pourentrer laquais chez luion donnoit dix pistoles au maître-d'hôtel. Jamais je n'ai vu un homme si vain; il donnoitmaisc'étoit pour le dire. Sa plus grande joie étoit detutoyer les grands seigneursqui lui souffroient toutes cesfamiliarités à cause qu'il leur faisoit bonne chèreet leur prêtoit de l'argent; il étoit ravi quand il leurdisoit: « Çàçàmes enfantsréjouissons- nous. » Mais c'étoit bien pis quandM. d'Orléanscar cela est arrivé quelquefoisoùM. le Prince d'aujourd'hui (2) y alloient; il étoit au comblede sa joie.

[(2) Legrand Condé.]

Une foisM. de Châtillon lui dit: « Mordieu! monsieurnous sommestous des gredins au prix de vous. Faites-moi l'honneur de meprendre à vos gageset je renonce à tout ce que jeprétends de la cour. » Une fois qu'il ne dînoitpoint chez luiRoquelaure et quelques autres y vinrentet se firentservir à dîner comme s'il y eût été.Il ne se fâcha pointet dit qu'il vouloit que désormaison servît chez lui tant en absence qu'en présence. Ildisoit insolemment: « Il est sur l'état de ma maison(3). »

[(3)Corneille a dédié Cinna à Montauron.]

Il avoitfait élever la fille qu'il eut de mademoiselle Louisesacousine germainecomme une princesseet il la vouloit marier toutde même que si elle eût été sa fillelégitime. Une foisen je ne sais quelle affaire de familleM. de Dardanie fit passer mademoiselle de Montauron devantmademoiselle Margonne. On lui dit: « Mais celle-là n'estpas légitime. -- Voiredit-ilbâtarde pour bâtardeencore celle-là est-elle l'aînée. »

FeuSaint-Charmes Tervauxconseiller au grand conseilgarçond'esprit et qui faisoit joliment des versn'en voulut pourtantpointquoiqu'elle eût cinquante mille écuset qu'il yeût beaucoup à espérer encore. Mais Tallemant (1)conseiller au grand conseilgarçon de grande dépenseespérant avoir des millionsl'épousa aprèsavoir changé de religionet de l'agent du mariage en achetaune charge de maître des requêtes.

[(1)Gédéon Tallemantmaître des requêtes etintendant de justice de Languedoc.]

Il futnourri quelques annéeslui et son trainchez Montauronetil en tira plus de dix mille écus de hardes. L'éducationde cette fille avoit été étrangecar elle nevoyoit que vitupère; tout fourmilloit de bâtardslà-dedanset sa gouvernante avoit à tout bout de chample ventre plein (2).

[(2)Montauron avoit des demoiselles chez lui et dehors tout à lafois. (T.)]

Desuccession il n'en falloit point parler; car cette fille étoitincestueuseet il n'y avoit pas même un contrat de mariage.Tallemant négligea avec tout cela de prendre toutes sessûretés à la chambre des comptes pour lalégitimation. Pas un de ses parentshors sa soeurneconsentit à ce mariageet ils n'ont jamais voulu signer lecontrat. Lui et sa femmeau lieu d'épargner s'imaginoientavoir des millions de Montauronet le gendreà l'exemple dubeau-pèrefaisoit une dépense enragée; il semit même à joueret on se confessoit de lui gagner sonargentcar il jouoit comme un idiot. Il avoit aussi des mignonnes.Montauron souffroit qu'on dît des gaillardises à satableet il est arrivé souvent à sa fille de feindrede se trouver malet de se retirer tout doucement dans sa chambre.Les petits maîtres et autres prenoient ce qu'il y avoitde meilleur; et souvent à peine daignoient-ils faire place àcelui qui leur faisoit si bonne chère. J'ai cent fois ouïdire à Montauron qu'il avoit les meilleurs officiers deFrance; il n'y avoit que lui alors qui parlât comme cela. Ildisoit familièrement à son gendrefils d'un hommed'affaires: « Il n'y a que moi d'homme de condition dans lesaffaires. » Il avoit des armes à son carrosseàla vérité sans couronnes; s'il revientil en mettra.Dans sa grande abondanceil avança un homme de son nomjusqu'à le faire président au mortier àToulouse: Tallemantà la prière de son beau-pèreprêta quarante mille livres pour` aider à acheter lacharge.

Une foisaux comédiens du MaraisM. d'Orléans y étantquelqu'un fut assez sot pour dire qu'on attendoit M. de Montauron.Les gens de M. d'Orléans le firent jouer à la farceetil y avoit une fille à la Montauron qu'on disoit êtremariée Tallemant quellement.

Comme cethomme n'avoit nul ordre ni en ses dépenses ni en ses affaireset que feu M. le Princequi l'aimoitne lui put jamais faire tenirun registretout cela enfin alla cul par sus tête: il futcontraint de vendre La Chevrette à M. d'Emeryet sa maison duMarais à M. le duc de Retz. A cette Chevrette il avoit établiune chose fort raisonnablec'est quesi un de ses gens eûtpris un sou de qui que ce soit qui y couchoitil auroit étéchassé. Il ne payoit point ce qu'il devoit; cependant il avoitencore une maison de quatre mille cinq cents livres de loyerettenoit bon ordinaire. Il avoit épousé clandestinementla soeur de Souscarrièrela fille du pâtissier (1)carle jubilé n'avoit point fait de miracle pour elle.

[(1) VoirHistoriette consacrée à Souscarrière.]

Souscarrièrequi n'entend point railleriedès qu'il vit que notre hommes'enflammoitlui déclara que s'il ne voyoit sa soeur àbonne intentionil n'avoit qu'à n'y plus retourner; mais s'ilvouloit l'épouserque ce lui seroit honneur et faveur. Lafille étoit bien faiteil l'épousa. Sous son nom il aacquis quelques terres autour de Paris; on l'appelle madame de LaMarchecar La Marchevers Villepreuxest à elle: il n'apoint encore déclaré tenir à sa femme le rangqu'elle doit tenir. Il y a eu du grabuge entre eux.

En cetemps-là (1658) il fit une insigne friponnerie à unhomme qui étoit devenu receveur des tailles; c'est unToulousain. Montauron lui proposa d'épouser une de ses niècesdont le père a été libraireà conditionde prendre sa charge et de lui en donner une de trésorier deFrance à Montauban qui valoit vingt mille livres de plus quela sienneet que par le contrat il confesseroit avoir reçuces vingt mille livres pour la dot. Le mariage s'accomplit: ce garçonvient à Paris pour se faire recevoir; à la chambreonse moque de luicar ce bureau est de nouvelle créationetn'est pas vérifiéou du moins il ne l'étoit pasalors. La mère et la soeur du marié chassèrentla nièce de Son Eminence gascone. Cependant Montauronqui étoit à Toulousefaisoit flores ; mais ausortir on lui arrêta son équipagefaute de payer sesdettes. Il revint à Parisoù il fut obligéd'aller chez son gendrequi avoit un logis à part. Depuis queMontauron avoit vendu sa belle maisonil n'avoit ni cheval ni mule.

Durant lesiège de Parisil se laissa tomber et se rompit une jambe: onle porta chez son gendreoù il prenoit ses repas; il y fitvenir une petite fillette de quinze ansnommée Nanonfillede Jeanneune grosse fruitière à qui il avoitl'honneur de devoir honnêtement: il l'avoit habillée endemoiselle. Il falloit que madame Tallemant souffrît que cettepetite friponne se mît en rang d'oignonet qu'on lui envoyâtde quoi dîner avec lui. Nonobstant tous ces soinsun beau jouril se fait lever et s'en va chez lui; sa fille eut beau pleurerlegendre eut beau tempêteril n'y eut pas moyen de le retenir.Cela venoit de ce qu'il craignoit qu'on lui débauchât saNanonet de ce que dame Jeanne n'alloit pas là-dedans silibrement que chez lui. Cet homme avoit mis son honneurquand safille logeoit avec luià débaucher toutes les fillesqu'elle prenoitpourvu qu'elles fussent jolies.

Depuisdutemps des rentes rachetéesMontauronqui ne se trouvoit pasbien ici sous la coulevrine de ses créancierss'en alla enGuienneoù son gendre étoit intendantpour y faireses recouvrementscar il est receveur- général; maisavant que de partiril découvrit pour dix mille écus àMonnerottoutes les rentes qu'avoient rachetées ceux dont ilavoit été associé en quelque traité. Ilest encore à revenir de ce pays-là.

Il s'y estamusé à faire de son mieuxetcontentant sa vanitéaux dépens de ses créanciersil a toujours fait bonnechère. Il s'est occupé à l'astrologiejudiciairelui qui ne savoit ni A ni Bet il a fait quelquefois deshoroscopeset dit qu'il y a des moyens infaillibles pour accorderles religions. Il alla à Saint-Jean-de-Luz à laconférenceet y tenoit table. Il vint ici l'hiver aprèsle mariagese fiant sur un arrêt du conseil; mais on le fitmettre à la Conciergerie d'où Tubeuf- Bouvilleconseiller de la grand'chambreet Tallemant le tirèrent. Ilavoit fait rappeler Bouville d'exil du temps du cardinal deRichelieu.

Il écrività sa femmeaprès le mariage déclaré: «Mettez mon fils à l'Académiedonnez- lui ungouverneurcar il le faut élever en homme de condition. »Elle lui répondit: « Je lui donnerai des pagessi vousvoulez; vous n'avez qu'à m'envoyer de l'argent. »

Unefamille de Puget de Provencequi est assez ancienne voyant Pommeusetrésorier de l'épargneet Montauron déjàen grande faveurles reconnut pour ses parents. Il y en a une bellegénéalogie chez Tallemant.



MADAMEDE CAVOYE

Madame deCavoye est fille de Sérignangentilhomme de qualité deLanguedocqui fut maréchal de camp en Catalogne; elle épousaen premières noces un gentilhommenommé La Croixquila laissa veuve fort jeune et sans enfants; elle étoit joliespirituelle et assez riche. Cavoyegentilhomme de Picardiepeuaccommodémais de beaucoup de coeurétoit à M.de Montmorency quand il en devint amoureux; il n'avoit pas grandeespérance de réussir en sa recherchequandayant étépris pour second par un de ses amisil alla chez un notaire faire untestament par lequel il donnoit à madame de La Croix tout cequ'il pouvoit avoir au mondeet après alla dire à uneamie commune qu'il venoit de rendre à madame de La Croix laplus grande marque d'amour qu'il lui pouvoit rendre; qu'on trouveroitson testament chez tel notairequ'il s'alloit battreet qu'il lasupplioit d'assurer la belle ques'il mouroitil mourroit sonserviteur; etaprès celas'en va. Cette femme court le direà madame de la Croixqui fit monter son père et tousses amis à cheval. On cherche partout: on trouve que Cavoyeavoit eu l'avantage. Elle fut si touchée de ce témoignaged'affection qu'elle l'épousa. Jamais femme n'a plus aiméson mari. Le cardinal de Richelieu le fit son capitaine des gardes.

Quand lacour n'étoit pas à Pariselle avoit toujours unelettre dans sa poche pour son mari; et des qu'elle entendoit dire quequelqu'un alloit à la courelle lui donnoit sa lettre;celle-la partieelle en alloit faire une autre; et tel jour elle luien a envoyé plus de trois. Un jour le cardinal lui demandalequel elle aimoit le mieux de lui ou de son mari: «Monseigneurrépondit-elleVotre Eminence ne m'en voudrapoint de mals'il lui plaît; mais je lui avouerai franchementque j'aime mieux mon mari. Vous ne me donnez que de l'inquiétudeje suis toujours en peine pour votre santéet lui me donne duplaisir -- Mais lequel aimeriez-vous mieuxajouta le cardinalqueM. de Cavoye mourût ou tout le reste du monde? -- J'aimeroismieux que tout le monde mourût. -- Mais que feriez-vous tousdeux tout seuls ? -- Nous ferions ce qu'Adam et Eve faisoient. »

Elle ditqu'elle avoit tout le soin des affaires et du ménage: «Quand il revenoit au logisje le caressois; je me faisois toute laplus jolie que je pouvois pour lui plaire; il n'entendoit parler derien de fâcheux; point de plaintespoint de crieriepointd'affaires. Enfinc'étoit comme si le sacrement n'eûtpoint passé. »

Elle ditun jour à mademoiselle de Bussyavec laquelle elle causoit ily avoit une demi- heure: « Mademoisellenous nous ennuyonsl'une l'autreadieu; il vaut mieux se séparer; je vois que laconversation languit. »

Une foisau retour de la campagnequand ce mari fut couchéet qu'ileut fait le devoirils parlèrent un peu de leurs petitesaffaires: « J'ailui dit-ilplus dépensé que jene pensois; la nourriture a été fort chère; j'aiété contraint d'emprunter tant. -- Hé bien! dit-ellepatienceje trouverai bien de quoi remplacer cela. »Après il recommença: « Oh! lui dit-elleCavoyetu as fait encore quauque dette. » Car elle a un petitaccentet quelques mots du paysqui donnent encore plus de grâceà ce qu'elle dit.

Ce marimourut avant le cardinal de Richelieu. La pauvre madame de Cavoye enfut terriblement affligée. Madame de Bennelle y alla comme lesautresetcomme elle prit congé: « Hélas ! ditl'affligéeque je serois heureusemon enfantsi j'étoisaussi oison que toi! je ne sentirois pas ce que je sens. »D'Ornanole dévoty fut aussiet avoit avec lui deuxvilains grimauds. d'enfants: « Sont-ils à vous? «lui dit-elle. - - OuiMadame. -- Hé ! mon pauvre Monsieurs'écria-t-ellepriez bien Dieuet ne faites plus d'enfants.» Elle avoit une fille bien faitemais fort éveillée;elle ne la perdoit point de vue: « Cela a le cul trop chauddisoit-elleil faut que je lui donne un mari de Languedoc. »elle lui en donna un; et sa filleaprès quelques annéesétant venue ici avec son mari (c'étoit un assez pauvrehomme)elle tâcha de faire quelque chose pour lui à lacour; mais comme elle vit qu'il ne s'aidoit point: « Petitedit-elle à sa filleremène ton mari à laprovinceje n'en sais que faire ici. »

Quoiquechargée de beaucoup d'enfantselle fait si bien qu'ellesubsiste honorablement; elle a eu la moitié du don des chaisesde Souscarrière (1) dès le temps du feu cardinal etcela lui vaut beaucoup.

[(1)L'invention des chaises à porteur importée d'Angleterrepar Souscarrièrequi en obtint le privilège en Franceen commun avec madame de Cavoye. (M.)]

Elle faitsa cour; elle est adroite et aimée de tout le mondepleureencore quand on lui parle de son mari. Il sera parlé d'elledans les Mémoires de la régencecar elle dit toujoursquelque chose de plaisant. Ellemadame Pilou et madame Cornuelcesont trois originaux. Elle est fort libre. Un jourun garçonc'est l'abbé Testul'aînéla menoit chez madamede Chavigny: « Mon pauvre abbélui dit-elle en passantdans une grande salletourne la tête. » Et aprèselle se met à pisser dans une cuvette. Elle a cinquante ansetaprès douze grossesses pour le moinsla gorge aussi bellequ'à quinze ans; elle n'a jamais eu le visage fort beaumaisagréable; pour le corpsil n'y en avoit guère de mieuxfaite.



LEPETIT SCARRON

Le petitScarronqui s'est surnommé lui-même cul-de-jatteest fils de Paul Scarronconseiller à la Grand'Chambrequ'onappeloit Scarron l'Apôtreparce qu'il citoit toujours saintPaul. C'étoit un original que ce bonhommecomme on voit dansle factum burlesque que le petit Scarron a fait contre sa belle-mèrequi estpeut-êtrela meilleure pièce qu'il ait faiteen prose. Le petit Scarron a toujours eu de l'inclination à lapoésie; il dansoit des ballets et étoit de la plusbelle humeur du mondequand un charlatanvoulant le guérird'une maladie de garçonlui donna une drogue qui le renditperclus de tous ses membresà la langue près etquelque autre partie que vous entendez bien: au moins par la suitevous verrez qu'il y a lieu de le croire. Il est depuis cela dans unechaisecouverte par le dessuset il n'a de mouvement libre quecelui des doigtsdont il tient un petit bâton pour se gratter;vous pouvez croire qu'il n'est pas autrement ajusté en galant.Cela ne l'empêche pas de bouffonnerquoiqu'il ne soit quasijamais sans douleuret c'est peut-être une des merveilles denotre sièclequ'un homme en cet état-là etpauvre puisse rire comme il fait. Il a fait piscar il s'est marié.Il disoit à Giraultà qui il a donné uneprébende du Mans qu'il avoit: « Trouvez-moi une femmequi se soit mal gouvernéeafin que je la puisse appeler p...sans qu'elle s'en plaigne. » Girault lui enseigna un jour lademoiselle de la mère de madame de La Fayette. Cette filleavoit eu un enfantet n'avoit jamais voulu poursuivre un écuyerqui le lui avoit fait; mais notre homme n'en fit que rire. Depuis iltraita avec Girault de sa prébendeetdans la penséed'aller en Amérique.; il croyoit rétablir sa santéil épousa une jeune fille de treize ansfille du baron deSurimeaufils de d'Aubigny l'historien (1).

[(1)D'Aubigné.]

CeSurimeau avoit tué sa première femmeà Niortavec son galantaprès en avoir bien souffert d'autres;ensuite il se remaria. Cet hommepour s'être mariécontre le gré de son pèrefut déshérité;il alla aux Indesne sachant que faireet je pense que cette filley étoit née. Pour le voiril fallut qu'elle se baissâtjusqu'à se mettre à genoux. Il changea encore d'avis etn'alla point dans l'Amérique. Cela lui coûta trois millelivres qu'il avoit mises dans la société: et voyant quela chose alloit malil disoit une fois à sa femme: «Avant que nous nous fussions ce que nous nous sommesqui n'est pasgrand'choseetc. » Il disoit qu'il s'étoit mariépour avoir compagniequ'autrement on ne le viendroit point voir. Eneffetsa femme est devenue fort aimable. Il a dit aussi qu'ilcroyoit en se mariant faire révoquer la donation qu'il fit deson bien à ses parents; mais il faut donc que quelqu'un fassedes enfants à sa femme. Ordepuisil a trouvé moyende retirer ou le tout ou partie du bien qu'il avoit donné àses parents; il y avoit à cela une métairie auprèsd'Ambroise; il en parle à M. Nubléavocathommed'esprit et de probitéde qui il disoit en une épîtreau feu premier président de Bellièvre: « Je nevous connois pointmais M. Nubléquo non Catonior alterm'a dit tant de bien de vousetc. » Scarron lui dit qu'ilestimoit cet héritage quatre mille écusmais que sesparents ne lui en vouloient donner que trois. M. Nublé ditqu'il le vouloit biensa vue dessus. Il va au paysaux vacations;on lui dit que ce bien-là valoit bien cinq mille écus;il fait mettre cinq mille écus dans le contrat au lieu dequatre. Les parentsqui n'en vouloient donner que troisl'ontretiré par retrait lignager.

MadameScarron a dit à ceux qui lui demandoient pourquoi elle avoitépousé cet homme: « J'ai mieux aimél'épouser qu'un couvent. » Elle étoit chez madamede Neuillanmère de madame de Navaillesquiquoique saparentela laissoit toute nue. L'avarice de cette vieille étoittelle quepour tout feu dans sa chambreil n'y avoit qu'un brasier:on se chauffoit à l'entour. Scarronlogé en mêmelogisoffrit de donner quelque chose pour faire cette petited'Aubigny religieuse: enfin il s'avisa de l'épouser. Un jourdonc il lui dit: « Mademoiselleje ne veux plus vous riendonner pour vous cloîtrer. » Elle fit un grand cri. «Attendezc'est que je vous veux épouser: mes gens me fontenrageretc. » Elle n'avoit rien; ses cousins d'Aubigny semirent en pension chez elle.

Depuisleprocureur général Fouquetqui est aussi surintendantet qui aime les vers burlesquesa donné une pension àScarron. Quelquefois il lui échappe de plaisantes choses; maisce n'est souvent. Il veut toujours être plaisantet c'est lemoyen de ne l'être guère. Il fait des comédiesdes nouvellesdes gazettes burlesquesenfin tout ce dont il croittirer de l'argent. Dans une gazette burlesqueil s'avisa de mettrequ'un homme sans nom étoit arrivé le samedis'étoithabillé à la friperieet le vendredi s'étoitmariéqu'il pouvoit dire: Venividivici; mais qu'onne savoit si la victoire avoit été sanglante. Oren cemême jourLa Fayettetoutes choses étant concluesdèsLimogespar son oncle qui en est évêqueétoitvenu ici et avoit épousé mademoiselle de La Vergne. Lelendemainquelqu'unpour riredit que c'étoit La Fayette etsa maîtresse. Dans la gazette suivanteScarron s'excusaet enécrivit une grande lettre à Ménagequiétourdimentl'alla dire à mademoiselle de La Vergneet il se trouva qu'elle n'en avoit pas ouï parler.

Il y a deplaisants endroits dans ses oeuvrescomme:

Ce n'estque maroquin perdu

Que les livres que l'on dédieetc.


Dans uneépître dédicatoire au coadjuteuril lui disoit:« Tenez-vous bienje m'en vais vous tuer.» Il y a unproverbe qui dit: « Tenez-vous bienje m'en vais vouspeindre. »

Cependanttout misérable qu'est Scarronil a ses flatteurscommeDiogène avoit ses parasites; sa femme est bien venue partout;jusques ici on croit qu'elle n'a point fait le saut. Scarron asouffert que beaucoup de gens aient porté chez lui de quoifaire bonne chère. Une fois le comte du Ludeun peubrusquementen voulut faire de même. Il mangea bien avec lemarimais la femme se tint dans sa chambre. Villarceaux s'y attacheet le mari se moque de ceux qui ont voulu lui en donner toutdoucement quelque soupçon. Elle a de l'esprit; maisl'applaudissement la perd: elle s'en fait bien accroire.

Scarronmourut vers l'automne de 1660. Sa femme l'avoit fait résoudreà se confesseretc.; d'Elbène et le maréchald'Albret lui dirent qu'il se moquoit; il se porta mieux; depuis ilretomba et sauva les apparences.

Sa femmes'est retirée dans un couvent pour n'être àcharge à personnequoique de bon coeur Franquetotson amiel'eût voulu retirer chez elle; mais l'autre a considéréqu'elle n'est pas assez accommodée pour cela. S'étantmise à la Charité des Femmesvers la Place-Royaleparle crédit de la maréchale d'Aumontqui y a une chambremeublée qu'elle lui prêtala maréchale luienvoya au commencement tout ce dont elle avoit besoinjusques àdes habits; mais elle le fit savoir à tant de gens qu'enfin laveuve s'en lassaet un jour elle lui renvoya par une charrette lebois que la maréchale avoit fait décharger dans la courdu couvent. Aussitôt sa pension fut régléeetelle paya. On saura qui lui en a donné l'argent. Lesreligieuses disent qu'elle voit furieusement de genset que cela neles accommode pas.

J'oublioisqu'elle fut ce printemps avec Ninon et Villarceaux dans le Vexinàune lieue de la maison de madame de Villarceauxfemme de leurgalant. Il sembloit qu'elle allât la morguer.

Depuis ona trouve moyen de lui faire avoir une pension de la Reine-mèrede deux mille cinq cents ou trois mille livres: elle vit de celaaune petite maison et s'habille modestement. Villarceaux y vatoujours; mais elle fait la prudeet cette année (1663)quetout le monde a masquéjusques à la Reine-mèreelle n'a pas laissé de dire qu'elle ne concevoit pas commentune honnête femme pouvoit masquer.

LaCardeaufille de cette célèbre faiseuse de bouquetsqui en fournissoit autrefois à toute la couret qui est siconnue par l'amour qu'elle a pour les femmesest devenue amoureused'elle. Elle a fait en vérité tout ce qu'elle a pu pouravoir le prétexte d'y demeurer à coucheret enfin il ya quelques jours que madame Scarronétant sur des carreauxdans sa ruelle du litavec un peu de coliquecette filleenentrantse va coucher auprès d'elle et lui voulut mettre unegrosse bourse pleine de louis en l'embrassant. L'autre se lèveet la chasse.



SCUDÉRYET SA S‘UR

Scudéryà ce qu'il ditest originaire de Sicileet son vrai nom estScudari. Ses ancêtres passèrent en Provenceensuivant le parti des princes de la maison d'Anjou. Son pères'attacha à l'amiral de Villarsetpour l'amour de luis'établit en Normandie. Ce garçon-ci et sa soeur quijusqu'en 1655 (il y a trois ans) a toujours demeuré avec luin'avoient guère de bien. Il a eucomme il se vanteunrégiment aux guerres de Piémontavant la guerredéclarée contre l'Espagne. Il s'amusa après àfaire des pièces de théâtre: il commençapar Ligdamon et le Trompeur punideux méchantespièces. Cependant il s'y étoit fait mettre entaille-douce avec un buffleet autour ces mots:

Et poèteet guerrier

Il aura du laurier.


Quelqu'unmalicieusement changea cela et dit qu'il falloit mettre:

Et poèteet Gascon

Il aura du bâton.


Il fit unepréface sur Théophileet il disoit qu'il n'y avoit euparmi les morts ni parmi les vivantspersonne de comparable àThéophile. « Et s'il y a quelqu'unajoutoit-ilparmices derniersqui croie que j'offense sa gloire imaginairepour luimontrer que je le crains aussi peu que je l'estimeje veux qu'ilsache que je m'appelle de Scudéry. »

En uneautre rencontre il écrivit une lettre à la louanged'une pièce de quelqu'un de ses amis; elle commençoitainsi: « Si je me connois en verset je pense m'y connoîtreetc. » Et à la fin: « C'est mon amije lesoutiensje le maintiens et je le signe de Scudéry. »Dans la préface d'une pièce de théâtrenommée Arminiusil met le catalogue de tous sesouvrageset il ajoute qu'à moins que les puissancessouveraines le lui ordonnentil ne veut plus travailler àl'avenir. En une lettre à sa soeuril mettoit: « Vousêtes mon seul renfort dans le débris de toute ma maison.» Sa soeur a plus d'esprit que luiet est tout autrementraisonnable; mais elle n'est guère moins vaine: elle dittoujours: « Depuis le renversement de notre maison. »Vous diriez qu'elle parle du bouleversement de l'empire grec. Pour dela beautéil n'y en a nulle: c'est une grande personne maigreet noireet qui a le visage fort long. Elle est prolixe en sesdiscourset a un ton de voix de magister qui n'est nullementagréable. Elle m'a conté qu'étant encore fortjeune fille un D. GabrielFeuillantqui étoit sonconfesseurlui ôta un roman où elle prenoit bien duplaisiret lui dit: « Je vous donnerai un livre qui vous seraplus utile. » Il se mépritetau lieu de ce livreillui donne un autre roman: il y avoit trois marques en des endroitsqui n'étoient pas plus honnêtes que de raison. Lapremière fois que le moine revintelle lui en fit la guerre.« Ah ! dit-ilje l'ai ôté à une personne;ces marques ne sont pas de moi. » Quelques jours aprèsil lui rendit le premier romanapparemment parce qu'il avoit eu leloisir de le lireet dit à la mère de mademoiselle deScudéry que sa fille avoit l'esprit trop bien fait pour selaisser gâter à de semblables lectures. M. Sarrauconseiller huguenot à Rouen (il l'a été depuis àParis)lui prêta ensuite les autres romans. Elle se plaintfort de la fortuneet me conta un témoignage de leur malheurqui est assez extraordinaire. Un de leurs amis étoit sur lepoint de leur faire toucher dix mille écus d'une certaineaffaireet il n'avoit jamais voulu dire par quel biais ni parquelles personnes. En ce temps-là ils revenoient de Rouen; ilstrouvèrent un homme de leur connoissance sur le cheminquivenoit de Paris. « Quelles nouvelles? -- Riensinon qu'un tel(c'étoit cet ami) a été tué d'un coup detonnerre parmi un million de gens qui se promenoient à laTournelle. »

Par lemoyen de M. de Lisieuxau commencement de la Régencemadamede Rambouillet dit avoir le gouvernement de Notre-Dame-de-La-Gardede Marseilleà Scudéryet l'emporta sur Boyerquil'avoit euet qui le redemandoit au cardinal Mazarinà quiil étoit. Quand il fut question d'en donner les expéditionsM. de Brienne écrivit à madame de Rambouillet qu'ilétoit de dangereuse conséquence de donner cegouvernement à un poètequi avoit fait des poésiespour l'Hôtel de Bourgogneet qui y avoit mis son nom. Madamede Rambouillet lui fit réponse qu'elle avoit trouvé queScipion l'Africain avoit fait des comédiesmais qu'àla vérité on ne les avoit pas jouées àl'Hôtel de Bourgogne. Après Scudéry eut sesexpéditions. Il part donc pour aller demeurer àMarseilleet cela ne se put faire sans bien des fraiscar ils'obstina à transporter bien des bagatelles et tous lesportraits des illustres en poésiedepuis le père deMarot jusqu'à Guillaume Colletet: ces portraits lui avoientcoûté; il s'amusoit à dépenser ainsi sonargent à des badineries. Sa soeur le suivit; elle eûtbien fait de le laisser aller; elle a dit pour ses raisons: «Je croyois que mon frère seroit bien payé; d'ailleursle peu que j'avoisil l'avoit dépensé. J'ai eu tort delui tout donner; mais on ne sait ces choses-là que quand onles a expérimentées. »

Orilfaut dire quand mademoiselle de Scudéry a commencé àtravailler: elle a fait une partie des harangues des Femmesillustres et tout l'Illustre Bassa. D'abord elle trouva àpropospar modestieou à cause de la réputation deson frèrecar ce qu'il faisoitquoique assez méchantse vendoit pourtant biende mettre ce qu'elle faisoit sous son nom.Depuisquand elle entreprit Cyruselle en usa de mêmeet jusqu'ici elle ne change point pour Clélie.

Vous nesauriez croire combien les dames sont aises d'être dans sesromansoupour mieux direqu'on y voie leurs portraits; car il n'yfaut chercher que le caractère des personnesleurs actionsn'y sont point du tout. Il y en a pourtant qui s'en sont plaintescomme madame Tallemantla maîtresse des requêtesquis'appelle Cléocrite. La comtesse de Fiesque ditlà-dessus: « La voilà bien délicate; je laveux bien êtremoi. » Elle en fait une personne qui aimemieux avoir bien des sots que peu d'honnêtes gens chez elle.Madame Cornuelqu'elle nomme Zénocriteet àqui on ne fait épargner ni amis ni ennemiss'en plaignit àelle-mêmeà la promenade. Madamelui dit l'autre avecson ton de prédicateurc'est quequand mon frèrerencontre un caractère d'esprit agréableil s'en sertdans son histoire. » Madame Cornuelpour se vengerdisoit quela Providence paroissoit en ce que Dieu avoit fait suer de l'encre àmademoiselle de Scudéryqui barbouilloit tant de papier.

Il y a unplumassier dans la rue Saint-Honoré qui a pris pour enseignele Grand Cyrus et l'a fait habiller comme le maréchald'Hocquincourt.

Cettecarte de Tendreque M. Chapelain fut d'avis de mettre dans la Cléliefut faite par mademoiselle de Scudérysur ce qu'elle disoit àPellisson qu'il n'étoit pas encore prêt d'être misau nombre de ses tendres amis. Je doute que ce soit trop bienparler.

La plupartdes dames de la cabale de mademoiselle de Scudéryqu'onappela depuis le Samedin'étoient pas autrementjolies: mon frèrel'abbéfit cette épigrammecontre elles:

Ces damesont l'esprit très- pur

Ont de la douceur àrevendre.

Pour elles ont a le coeur tendre

Et jamaison n'eut rien de dur.


Madame deLonguevillen'ayant rien de meilleur à leur donnerleurenvoya de son exil son portrait avec un cercle de diamants; ilpouvoit valoir douze cents écus. Les livres de cette fille sevendent fort bien: elle en tiroit beaucoup; mais son frères'amusoit à acheter des tulipes. Enfin Dieu l'en délivra;il s'avisa de cabaler pour M. le Princeet fut contraint de sesauver en Normandie. Comme il alloit chercher un gentilhomme quifaisoit admirablement bien des papillons de miniatureil trouvaqu'on l'enterroit; mais en volant le papillonil attrapa unefemme; car une demoiselle romanesquequi mouroit d'envie detravailler à un romancroyant que c'étoit lui qui lesfaisoitl'épousa. Ils sont chez une tante qui les nourrit:elle est mal avec ses enfants; je ne sais comment cette tante n'apoint fait rompre le mariage. Il vint ici il y a un an: mais sa soeurlui déclara qu'il n'y avoit qu'un lit dans la maisonet ils'en retourna.



BRlZARDIÈRE

Brizardièreétoit un sergent royal de Nantes fort employé et quidépensoit extraordinairement pour un homme comme lui. Vousallez voir d'où cela venoit. Cet hommedéjàâgése mêloit de dire la bonne aventure auxfemmeset d'une façon inouïecar il leur disoitquandil trouvoit quelque difficulté à ce qu'ellessouhaitoient: « Vous ne sauriez obtenir cela que par un moyenque je vous enseignerai; peut-être le trouverez- vous fâcheuxmais il est infaillible. » La curiosité les prenoitetpar la confiance qu'elles avoientelles s'y résolvoient.Voici ce que c'étoit: il les faisoit mettre toutes nuesetavec des verges il les fouettoit jusqu'au sangpuis se faisoitfouetter par elles tout de mêmeafin de mêler leur sangensemble pour en faire je ne sais quel charme... Dans Nantesiln'osa s'y jouer; mais sa réputation lui fit trouver des follespar toute la Bretagneet principalement à Rennes. Il y aapparence qu'il y gagnoit; carcomme je l'ai déjàremarquéil dépensoit plus qu'un sergent ne pouvoitdépenser. Il fut découvert à Rennes par unhuissier du Parlementnommé Bohamontqui le vit par un huisfesser deux fort belles filles qu'il avoit. Il rendit saplainte; on fit jeter des monitoires. Plusieurs demoisellessuivantes et femmes de chambre vinrent à révélation;mais quand on voulut savoir qui étoient les fesséeselles ne le vouloient point dire. Le Parlement s'assemblaet làayant vu qu'il y avoit des présidentes et des conseillèresen assez bon nombreon se servit des deux filles de l'huissier et dela femme d'un menuisieret sur cela on l'envoya aux galères.Il pensa être pendu. La présidente de Magnanfort bellefemmeétoit des fouettées; outre ce que les autresavoient souffertcelle-ci se faisoit donner quinze coups parsemainepour avoir une succession pour laquelle il falloit que troispersonnes mourussent. Elle n'est pas riche. La présidente deBrie eut quarante-huit coups et en donna à Brizardièrecinquante-deux; une madame de Kerollin se fit fouetter pour trouverun bon tiercelet (elle faisoit la fausse monnoie)c'est-à-dire un bon alliage. Mais le plus plaisantce futmademoiselle de Taloet; comme il la fouettoit rudementc'étoitpour avoir un mari qui eût beaucoup de bienelle crioit: «Hémonsieur de La Brizardièredoucementj'aime mieuxqu'il soit moins riche.»



LADU RYER

La du Ryerétoit une pauvre filled'auprès de Mons en Hainautqui étoit assez jolie en sa jeunesse: elle se donna àSaint-Preuilqui lui fit gagner dix ou douze mille livresen unecampagneoù elle fut vivandière. Elle épouse unnommé du Ryeret se met à tenir auberge; elle étoitaussi un peu m...... Un jour qu'elle demanda de l'argent àSaint- Preuilil la battit. Au lieu de se fâcher de celaellelui alla demander pardonet lui dit qu'elle étoit uneimpertinente de lui avoir demandé de l'argentelle qui savoitbien qu'il n'en avoit pas. Quand il eut la tête coupée àAmienselle reçut sa tête dans son tablieret lui fitfaire un magnifique service à ses dépens.

Veuve dedu Ryerelle se remaria à un homme dont elle n'a jamais portéle nom; il étoit son maître cuisinierà Saint-Cloudoù elle fit un cabaret magnifique. Au commencementlesdames n'y vouloient point aller; elle avoit un jardin làauprèsoù on leur portoit ce qu'elles avoientcommandé; enfin on s'y apprivoisa.

Madame deChampréà Saint-Cloudchez la du Ryerdurant ungrand orageregarda par curiosité par le trou de la serrured'une chambreet elle vit un homme et une femme qui sedivertissoient. « Jésus! dit-ellepar le temps qui fait! ... »

Un jour ladu Ryer ayant ouï dire qu'un gentilhommequi se venoit debattre en duelétoit demeuré fort blessé assezprès du pont de Saint-Cloudelle y vale fait emporter chezellele fait traiteret quand il fut guérielle lui donnecinquante pistoles pour se retirer chez lui. Cet hommeau bout dequelque tempsla vient trouveret lui présentant une bourseoù il y avoit quatre cents pistoles: « TenezMadameprenez; si ce n'est pas assezje tâcherai d'en avoir encore. »Elle lui dit qu'il se moquoitlui fit bonne chèreet nevoulut jamais prendre que deux pistolesqu'elle jeta à sesgensen leur disant: « Tenezvoilà ce que monsieurvous donne. » Durant les troublesun jour que le Conseil étoità Saint-CloudM. Tubeufayant su qu'elle n'avoit rien vouluprendre pour la nourriture de leurs chevaux et de leurs genslui fitdonner une ordonnance de cent écusau lieu de quarante qu'onlui devoit. Elle en fut payée. Les gendarmes du Roi avoientfait quelque dépense chez elle; elle ne leur en fit payer quela moitié. « Ce n'est pasdit- elleavec vous autresque je prétends m'enrichir.» Elle prit en amitiéle baron des Essartset lui demanda un de ses garçons ànourrir; il lui donna son second fils. Cette femme le faisoit élevercomme un grand seigneur. Il étoit vêtu de toile d'argentsi pesante qu'il ne pouvoit porter sa robe. Elle le vouloit faire sonhéritier. Elle nourrissoit aussi une pauvre femme avec troisenfants. Elle alloit faire plus de profit que jamaiscar elle avoitpercé trois ou quatre maisons; il y eût eu quatre-vingtschambres meubléesdont il y en eût eu de fort propres;mais elle mourut trop tôt.

Une pauvrefilleâgée de dix-huit ansqui sert chez un banquierhollandoisnommé Van Ganghelqui est un huguenotentretientde ce qu'elle peut gagnerdeux petits frèresqu'elle a en métier; tous deux étant tombésmalades et ayant été portés à l'hôpitalsecret de ceux de la religioncar la fille et ses frères sontaussi huguenotselle paya leur dépensedisant quepuisqu'elle avoit encore assez de reste pour celaelle ne vouloitpoint être à la charge de l'Egliseet qu'au pis-allerelle auroit toujours ses bras.



MADEMOISELLETHOMAS

MademoiselleThomas étoit femme d'un commis de Nouveau; c'étoit uneassez jolie personne et fort coquette. Il y avoit furieusement degalantssoit garçonssoit gens mariésautour d'elle:c'étoit une continuelle frérie là-dedans. Lessottes femmes du quartier avoient leur part du poupelinet n'enbougeoient. Cette femme avoit un frère quipour avoir donnéun coup de poignard à son homme. avoit été forten peine; mais son pèrenommé du Boissecrétairedu Roiet valet de chambre de la Reinel'en avoit tiré etaprès l'avoit enfermé à Saint-Lazare.Mademoiselle Thomas avoitau bout de quelque tempsobtenu du pèrequ'il sortiroit et l'avoit pris chez elle. Il couchoit dans sa proprechambresoit faute de logementou pour ce que vous verrez ensuite.Ce garçon et cette femme se promenoient à l'Arsenaltrois et quatre heures de suite ensemble; il étoit chagrinetelleaprès avoir bien ritout à coup disoit: «Ah! mon Dieu ! voilà ma mélancolie qui me reprend. »Ils couchoient ensembleet apparemment quelque confesseur avoit misà cette femme la conscience en combustion. Ce garçondevient tout sauvageet un soiraprès avoir parléquelque temps au coin du feu à sa soeuril lui donne deuxcoups de baïonnettel'un dans la gorgel'autre dans l'épauleet défaisant son pourpointil s'en donne après dans lecoeuret se jette sur un lit. La femme criemais foiblement. Laservante accourt: on ILS trouve tous deux expirants. Le commissairedu quartierqui étoit aussi un des galants de la damesetrouva là par hasardfit un procès-verbalcomme ilfalloitpour étouffer l'affaire. Ils furent enterrés àSaint-Paul; mais le curé ne voulut jamais mettre le garçonqu'avec les morts-nés. La veillecette femme disoit àtout le monde: « Je n'ai plus guère à vivre;donnez-moi un De profundis quand je serai morte. » Et cejour-là même elle avoit été deux heures àconfesse.

On trouvadans la poche de ce garçon une lettre de quatre côtésadressante à sa soeuroù il disoit qu'il avoit étéen Italie pour se défaire de sa passionmais en vain. Ilnommoit par leurs noms tous les galants de sa soeuravouoit qu'il nepouvoit souffrir qu'on la cajolât; et qu'encore qu'il eûteu toutes les privautés imaginables avec elleet qu'il ne pûtdouter qu'elle ne l'aimât mieux qu'euxil ne pouvoit pourtantsupporter qu'elle se laissât galantiseret qu'il étoitpersuadé que c'étoit plutôt par coquetteriequ'autrement qu'elle vouloit qu'il ne vécût plus avecellecomme par le passé; et après avoir dit qu'ilvouloit finir cette inquiétudeil concluoit: « Il fautma chère soeurque nous mourions tous deux à la fois.»



MONDORYOU L'HISTOIRE DES PRINCIPAUX COMÉDIENS FRANÇOIS

Agnan aété le premier qui ait eu de la réputation àParis. En ce temps-làles comédiens louoient deshabits à la friperie; ils étoient vêtusinfâmementet ne savoient ce qu'ils faisoient. DepuisvintValeranqui étoit un grand homme de bonne mine; il étoitchef de la troupe; il ne savoit que donner à chacun de sesacteurset il recevoit l'argent lui- même à la porte.Il avoit avec lui un nommé Vautrayque Mondory a vu encoreet dont il faisoit grand cas. Il y avoit deux troupes alors àParis; c'étoient presque tous filouset leurs femmes vivoientdans la plus grande licence du monde; c'étoient des femmescommuneset même aux comédiens de l'autre troupe dontelles n'étoient pas.

Le premierqui commença à vivre un peu plus réglémentce fut Gaultier-Garguille: il étoit de Caenet s'appeloitFleschelles. Scapincélèbre acteur italiendisoitqu'on ne pouvoit trouver un meilleur comédien. Gaultierétudioit son métier assez souventet il est arrivéquelquefois que comme un homme de qualité qui l'affectionnoitl'envoyoit prier à dîneril répondoit qu'ilétudioit.

Bellevilledit Turlupinvint un peu après Gaultier-Garguilleet ils ontlongtemps joué ensemble avec la Fleurdit Gros-Guillaumequiétoit le farinéGaultier le vieillardetTurlupin le fourbe. Turlupinrenchérissant sur la modestie deGaultier-Garguillemeubla une chambre proprement; car tous lesautres étoient épars çà et làetn'avoient ni feu ni lieu. Il ne voulut point que sa femme jouât(elle a joué depuis sa mortétant remariée avecd'Orgemontdont nous parlerons ensuite)et il lui fit visiter levoisinage; enfin il vivoit en bourgeois.

La comédiepourtant n'a été en honneur que depuis que le cardinalde Richelieu en a pris soinetavant celales honnêtesfemmes n'y alloient point. Il trouva Bellerose sur le théâtrede l'Hôtel de Bourgogne avec sa femmebonne actricelaBeaupré et la Valiottepersonne aussi bien faite qu'on en pûttrouver; elle a eu bien des galantsetlorsqu'elle ne valoit plusrienl'abbé d'Armentièresqui devint aprèsl'aînépar la mort de son frèrela tira duthéâtreet en fit le fou à un point si étrangequ'après sa mort il eut long-temps le crâne de cettefemme dans sa chambre.

Mondorycommença à paroître en ce temps-là. Ilétoit fils d'un juge ou d'un procureur fiscal de ThiersenAuvergneoù l'on faisoit autrefois toutes les cartes àjouer; pour luiil se disoit fils de juge. Son père l'envoyaà Paris chez un procureur. On dit que ce procureurqui aimoitassez la comédielui conseilla d'y aller les fêtes etles dimancheset qu'il y dépenseroit et s'y débaucheroitmoins que partout ailleurs. Il y prit tant de plaisir qu'il se fitcomédien lui- même; etquoiqu'il n'eût que seizeanson lui donnoit des principaux personnageset insensiblement ilfut le chef d'une troupe composée de Le Noir et de sa femmequi avoient été au prince d'Orange. Cette Le Noir étoitune aussi jolie petite personne qu'on pût trouver. Le Noirmourutet sa femme s'en tira. Le comte de Belinqui avoit Mairet àson commandementfaisoit faire des piècesà conditionqu'elle eût le principal personnage; car il en étoitamoureuxet la troupe s'en trouvoit bien. La Villiers y étoitaussi. On dit que Mondory s'en épritmais qu'elle lehaïssoit; et que la haine qui fut entre eux fut cause qu'àl'envi l'un de l'autre ils se firent deux si excellentes personnes enleur métier. Le comte de Belinpour mettre cette troupe enréputationpria madame de Rambouillet de souffrir qu'ilsjouassent chez elle la Virginie de Mairet. Le cardinal de LaValette y étoitqui fut si satisfait de Mondoryqu'il luidonna pension. Il en donnoit comme cela aux hommes extraordinairesqui lui plaisoient.

Mondoryeut toujours de la reconnoissance pour madame de Rambouillet; car cefut de ce jour-là qu'il commença à entrer enquelque crédit. Sa femme n'a jamais pensé àmonter sur le théâtreet lui n'a jamais joué àla farce; c'est le premier qui s'est avisé de cela: Bellerosey jouoit. Il ne laissa voir sa femme à personneet il disoitaux gens: « C'est une innocente qui ne bouge des églises.» Il tiroit part et demie. Il étoit de certainesconversations spirituelles chez Giry et chez du Ryeret faisoit desvers passablement: il ne manquoit point d'espritet savoit fort bienson monde. Je me souviens qu'on fit une certaine pièce qu'onappeloit l'Esprit Fortoù l'on avançoitencontant les visions de l'Esprit Fortqu'il disoit que Mondoryfaisoit mieux que Bellerose; et Bellerosecar c'étoit àl'hôtel de Bourgogne et en parlant à lui qu'on disoitcelafaisoit la plus sotte mine du monde à cet endroit-làau lieu de ne faire pas semblant de l'entendre. Cependant le mondefut bientôt de l'avis de l'Esprit fort; mais le feu Roipeut-être pour faire dépit au cardinal de Richelieuquiaffectionnoit Mondorytira Le Noir et sa femme de la troupe duMarais (c'est où jouoit Mondory)et les mit à l'hôtelde Bourgogne. Mondory prit Baronet dans peu sa troupe valoit encoremieux que l'autre; car lui seul valoit mieux que tout le reste: iln'étoit ni grandni bien fait; cependant il se mettoit bienil vouloit sortir de tout à son honneuret pour faire voirjusqu'où alloit son artil pria des gens de bon senset quis'y connoissoientde voir quatre fois de suite la Marianne.Ils y remarquèrent toujours quelque chose de nouveau; aussipour dire le vraic'étoit son chef-d'oeuvreet il étoitplus propre à faire un héros qu'un amoureux. Cepersonnage d'Hérode lui coûta boncarcomme il avoitl'imagination fortedans le moment il croyoit quasi être cequ'il représentoitet il lui tomba en jouant ce rôleune apoplexie sur la langue qui l'a empêché de jouerdepuis. Le cardinal de Richelieu l'y obligea une fois; mais il ne putachever. Si ce cardinal eût vouluau moins Mondory en eût-ilpu instruire d'autres; mais pour celail eût fallu lui donnerde l'autoritécar il n'y avoit si petit acteur qui ne crûten savoir autant que lui. Ce fut lui qui fit venir Bellerosedit leCapitan Matamorebon acteur. Il quitta le théâtreparce que Desmarets lui donnaà la chaudeun coup de cannederrière le théâtre de l'hôtel deRichelieu. Il se fit ensuite commissaire de l'artillerie. et y futtué. Il n'osa se venger de Desmaretsà cause ducardinalqui ne le lui eût pas pardonné.

Lecardinalaprès que Mondory eût cessé de montersur le théâtrefaisoit jouer les deux troupes ensemblechez luiet il avoit dessein de n'en faire qu'une. Baron et laVilliersavec son mariet Jodelet même allèrent àl'Hôtel de Bourgogne. D'Orgemont et Floridoravec la Beauprésoutinrent la troupe du Maraisà laquelle Corneilleparpolitiquecar c'est un grand avaredonnoit ses pièces; caril vouloit qu'il y eût deux troupes.

D'Orgemontà mon goûtvaloit mieux que Bellerosecar Belleroseétoit un comédien fardéqui regardoit oùil jetteroit son chapeaude peur de gâter ses plumes: ce n'estpas qu'il ne fît bien certains récits et certaineschoses tendresmais il n'entendoit point ce qu'il disoit. Le Baronde même n'avoit pas le sens commun; mais si son personnageétoit celui d'un brutalil le faisoit admirablement bien. Ilest mort d'une étrange façon. Il se piqua au piedenmarchant trop brutalement sur son épéecomme ilfaisoit le personnage de don Diègueau Cidet lagangrène s'y mit. Floridor était amoureux de la femmede Baronet une fois qu'il sembla au mari qu'elle avoit parlétrop passionnément à Floridorau sortir de la scèneil lui donna deux bons soufflets. Elle est encore fort jolie; etn'est pas une merveilleuse actricemais elle est fort bienet elleréussit admirablement pour la beauté; cependant elle aeu seize enfants.

D'Orgemontmourut bientôt après. Floridorqui y est aujourd'huilui succéda. Il jouoit encore au Marais (1649) avec laBeauprévieille et laidequand il arriva une assez plaisantechose. Sur le théâtreelle et une jeune comédiennese dirent leurs vérités. « Eh bien ! dit laBeaupréje vois bienMademoiselleque vous voulez me voirl'épée à la main . » Et en disant celac'étoit à la farceelle va quérir deux épéesdéjà épointées. La fille en prit unecroyant badiner. La Beaupréen colèrela blessa aucou et l'eût tuéesi on n'y eût couru. DepuisM.de Beaufort donnant certaine comédie où cette filleétoit nécessaireil l'alla prier de venir. Elle y allaembéguinéequoiqu'elle eût juré de nejouer jamais avec la Beaupré. Plusieurs personnes luiparlèrent d'accommodement; elle dit qu'elle n'en vouloit rienfaireet elle s'en alla dès qu'elle eut finicar son rôlene duroit pas jusqu'à la fin de la pièce. Cette Beaupréquitta le théâtre il y a six anset présentementelle joue en Hollande.

Floridorlas d'être au Marais avec de méchants comédiensacheta la place de Bellerose avec ses habitsmoyennant vingt millelivres; cela ne s'étoit jamais vu. Le chef ayant part et demiedans la pension que le Roi donne aux comédiens de l'Hôtelde Bourgognec'est ce qui faisoit donner cet argent. (le Floridorest fils d'un ministre; il s'appelle Josias. Autrefoisquand ilparoissoitdu temps de Mondoryles laquais crioient sans cesse: «JosiasJosias. » Ils le faisoient enrager. C'est unmédiocre comédienquoi que le monde en veuille dire;il est toujours pâle; cela vient d'un coup d'épéequ'il a eu autrefois dans le poumon; ainsi point de changement devisage. Montfleurys'il n'étoit point si groset qu'iln'affectât point trop de montrer sa scienceseroit un toutautre homme que lui. Jodeletpour` un fariné naïfest un bon acteur; il n'y a plus de farce qu'au Maraiset c'est àcause de lui qu'il y en a. Il dit une plaisante chose au Timocratedu jeune Corneille (1656)dont la scène est à Argos;on lui avoit dit qu'il y avoit dans cette ville-là unefontaine où Junontous les ansrevenoit prendre une nouvellevirginité. Il vint conter cela après que la piècefut achevéeet dit: « S'il y avoit une fontaine commecela au Maraisil faudroit que le bassin en fût bien grand. »Il fait bien un personnage de valetet Villiers dit Philippinmari de la Villiersne le fait pas mal aussimais n'est pas sibien. Jodelet parle du nezpour avoir été mal panséde la v..et cela lui donne de la grâce. Gros-Guillaumeautrefois ne disoit quasi rien; mais il disoit les choses sinaïvementet avoit une figure si plaisante qu'on ne pouvoits'empêcher de rire en la voyant; peut-être s'il fûtvenu du temps de Trivelinde Scaramouche et de Briguellequ'iln'auroit pas tant fait rire les gens.

Il fautfinir par la Béjard. Je ne l'ai jamais vue jouer; mais on ditque c'est la meilleure actrice de toutes. Elle est dans une troupe decampagne; elle a joué à Parismais ç'a étédans une troisième troupequi n'y fut que quelque temps. Sonchef- d'oeuvrec'étoit le personnage d'Epicharisàqui Néron venoit de faire donner la question.

Un garçonnommé Molièrequitta les bancs de la Sorbonne pour lasuivre; il en fut long-temps amoureuxdonnoit des avis à latroupeet enfin s'en mit et l'épousa. Il fait des piècesoù il y a de l'esprit; ce n'est pas un merveilleux acteursice n'est pour le ridicule. Il n'y a que sa troupe qui joue sespièces; elles sont comiques. Il y a dans une autre troupe unnommé Filandre qui a aussi de la réputation; mais il neme semble pas naturel. La Bellerose est la meilleure comédiennede Paris; mais elle est si grosse que c'est une tour. La Beauchâteauest aussi bonne comédienne; elle ne manque jamaiset faitbien certaines choses.

Le théâtredu Marais n'a pas un seul bon acteurni une seule bonne actrice.

Il y a àcette heure une incommodité épouvantable à lacomédiec'est que les doux côtés du théâtresont tout pleins de jeunes gens assis sur des chaises de paille; celavient de ce qu'ils ne veulent pas aller au parterrequoiqu'il y aitsouvent des soldats à la porteet que les pages ni leslaquais ne portent plus d'épées. Les loges sont fortchèreset il y faut songer de bonne heure. Pour un écuou pour un demi-louison est sur le théâtre; mais celagâte tout et il ne faut quelquefois qu'un insolent pour touttroubler. Les pièces ne sont plus guère bonnes.



MADAMEDE LANGEY

Le marquisde Courtaumerqui fut tué à l'expédition ducolonel Gassiondepuis maréchal de Francecontre lesPieds-nudsà Avranchesne laissa qu'une fillequi futmariée fort jeune au fils unique d'un M. de Maimbrayhomme dequalité du pays du Maine. Ce garçon s'appeloit Langeydu nom d'une terre. Il y avoit de grands procès dans la maisonde cette héritièreà cause qu'elle avoit unonclecadet de feu de son pèreà qui la mèreavoit fait tout l'avantage qu'elle avoit pu. Langey et l'oncle eurentdonc bien des choses à démêler. Au bout de troisanscomme ils étoient à Rouensur le point des'accommoderil arriva du désordre entre le mari et la femme.Il l'accusoit d'être pour son oncle; cela venoit de ce qu'il nevouloit point qu'elle eût de trop de communication avec sesparents pour les raisons qu'on verra ensuite. Cela fit du bruit. Elleen écrivit à madame Le Cocqveuve d'un conseillerhuguenot soeur aînée de feue sa mèreet àM. Magdelaineson grand-père maternelafin qu'ils fissenttous leurs efforts pour la délivrer de la misère oùelle étoit. Déjàle bonhomme et la tantes'étoient aperçus de la mauvaise humeur du cavalier .

Durantdeux misérables campagnes qu'il fitil n'avoit jamais voulupermettre à sa femme d'aller chez madame la marquise de LaCazesa mère ; au contraireil l'avoit donnée engarde à madame de Maimbray. On avoit reconnu qu'il avoit millebizarrerieseten une occasionla jeune femme avoit lâchéquelques paroles qui donnoient lieu de soupçonner qu'il étoitimpuissant. Avec celail étoit horriblement jaloux; car cessortes de gens-là savent bien que leurs femmes ne sauroienttrouver pires qu'eux. Il la vouloit jeter dans la dévotion; illui lisoit et lui faisoit lire sans cesse la Sainte Ecriture.

En unvoyage que Langey fit ensuite à la campagne chez le bonhommeMagdelaineancien conseiller huguenoton fit avouer à safemme qu'il n'avoit point consomméet on prit ses mesurespour la faire venir à Paris sans lui.

Pour celasous prétexte qu'il n'étoit pas trop bien avec lebonhommeet que pourtant ses affaires requéroient qu'il vîntà Parismadame Le Cocq lui proposa d'y envoyer sa femme; il yconsentit. Elle parut bien dissimulée en cette rencontre; caraprès avoir bien fait des façons pour le quittercommeelle étoit déjà en carrosseelle remontevaencore l'embrasseret lui dire qu'elle ne pouvoit se résoudreà le laisseretc. Depuisjusqu'au jour où il reçutl'exploitelle lui écrivit les lettres les plus tendres dumondeet ici sa tante la mena au Cours et aux noces. Peut-êtreeût-on mieux fait de ne point faire tout cela. L'exploit lesurpritcomme vous pouvez le penser; il vient à Parisdemande à la voir; on le lui refuse. Il y envoie M. du Mans(Lavardin)son parentqui dit tout ce qu'il y avoit àdire là-dessuset offrit le congrès en particuliermais en vain; le ministre Gasches offre la même choseon passeoutre.

M.Magdelainequi n'est habile homme que par routinene daigne pass'informer comment il falloit agir; il se fie à ce que sapetite-fille lui dit que Langey n'est point son mariet il oublied'exposer dans la requête qu'en quatre ans que cet homme a étéavec elleil n'a eu que trop de temps pour la mettre en étatsoit avec les doigtsou autrementde ne passer plus pour fille.Aprèselle offre de se laisser visiteret on fit pour elleun factum si sale que depuis on a trouve à propos de ledésavouer.

Aprèsbien des procédureson en vient à la visite chez lelieutenant civilà cause que les parties étoient de lareligion. Madame Le Cocqpour s'excuserdit qu'elle avoit vu leprocès-verbal de la visite de mademoiselle de Soubiseaussihuguenoteet qu'il y avoit douze expertsau lieu qu'àl'ordinaire il n'y en a que quatretout au plus. « Mais n'ennommer que deux de chaque côtedisoit-ellece petit nombre sepeut corrompre aisément; il en faut quatrepuis la cour ennomme d'office. » Il y en eut donc douze entre lesquels il yavoit deux matrones.

Langey estbien fait et de bonne mine. Madame de Franquetot-Carquebuten levoyant au Coursdit: « Hélas! à qui sefiera-t-on désormais? » Cela donnoit de mauvaisesimpressions contre la demoiselle. Je ne sais combien de harengèreset autres femmes étoient à la porte du lieutenantcivilet dirent en voyant Langey: « Hélas! plût àDieu que j'eusse un mari fait comme cela! » Pour elleelleslui chantèrent pouilles. La visite lui fut fortdésavantageusecar on ne la trouva point entière.Renevilliers-Galandalors conseiller au Châteletdisoit: «On ne pourra pas dire que Langeydurant ces quatre ansn'a pas faitoeuvre de ses dix doigts. » D'avoir été tâtéeregardée de tous les côtés par tant de gens et silong-tempscar cela dura deux heuresdonna une si grandeindignation à tout le sexe que depuis ce temps-làjusqu'au congrèstoutes les femmes furent pour Langey;d'ailleursil ne disoit rien contre elle. Il se mit en ce temps-làbeaucoup plus dans le monde qu'il n'avoit jamais faitet on disoitque cette affaire lui avoit fait venir de l'esprit. S'il en eûteuil lui étoit bien aisé de garder sa femme toute savie; il n'avoit qu'à avouervoyant la visite sidésavantageuse pour ellequ'il s'étoit effilépar les excès qu'il avoit faits en la servant. Au lieu decelail demanda le congrès. Tout le monde pourtant s'étonnoitde son audace. car il n'y avoit qui que ce fût qui pûtdire: « Je l'ai vu en état. » On doutoit fort desa vigueur. Le seul ministre Gache et le médecin L'Aimononqui est à M. de Longuevillesoutenoient qu'il étoitcomme il falloitl'un se fioit à ce qu'il étoit tropcraignant Dieu pour mentiret l'autre disoit qu'il étoit detrop bonne race du côté de père et de mère.Menjotle médecindisoit plaisamment qu'ils étoientles deux c....... de Langey: M. L'Aimonon le droit et M. Gache legauche.

Madame deLavardin et madame de Sévigny (1)amies du lieutenant civilétoient en carrosse à deux portes de là oùil les alla trouver après; on les entendoit rire du bout de larue. On prétendit que le lieutenant civil avoit étéfavorable à Langey à cause de madame de Lavardin.

[(1) Lamarquise de Sévigné.]

Il y eutbien des procédures pour celaqui firent durer la chose prèsde deux ans; on ne parloit que de cela partout Paris. Je me souviensquesur le rapport des expertsdes femmes disoient: « Jésus! on disoit qu'elle étoit si bien faite! Regardez ce qu'endisent ces gens-là. Elle est bien faite pourtant! » Lesfemmes s'accoutumèrent insensiblement à ce mot decongrèset on disoit des ordures dans toutes les ruelles. Uneparente de la dame dit un jour de visiteparlant de Langey: «On a trouvé la partie bien forméemais point animée.» Madame Le Cocqau lieu d'ôter sa fillela laissacoucher avec madame de Langey. Je pense qu'elle y aura appris debelles choses. Il est vrai qu'elle l'ôta quand on en vint aucongrès; mais il étoit bien temps. On en fit des versméchants à la véritémais qui disoientbien des saletés. Les vaudevilles ne chantoient autre choseet madame Le Cocq alloit débitant tout ce qu'elle savoitlà-dessuscar c'est la plus grande parleuse de France; lesparoles sortent de sa bouche comme les gens sortent du sermon. Onl'appeloitluile marquis de Congrès. Il avoit leportrait de sa femmeet montroit partout de ses lettres. Un jourqu'il disoit à madame de Gondrand: : « Madamej'ai laplus grande ardeur du monde pour elle. -- Hé! Monsieurgardez-la pour un certain jourcette grande ardeur. » Madamede Sévigny lui dit un peu gaillardement: « Pour vousvotre procès est dans vos chausses. » Madame d'Olonne unjour disoit: « J'aimerois autant être condamnée aucongrès. »

Cettemadame de Langey ne témoigna pas beaucoup de coeurcardansune rencontre qui eût mis une autre personne au désespoirelle jouoit aux épingles avec sa cousine Le Cocqet n'a pasparu extrêmement touchée de toutes les indignitésqu'on lui a fait souffrir. Les juges de l'édit étoientassez mal satisfaits d'elleet si Langey n'eût point étési sot que de demander le congrèselle eût étébien empêchée. Il ne tint qu'à lui des'accommoder assez avantageusement. Pour peu qu'il y eût eu degalanterie du côté de madame de Langeyelle étoitperduecar on ne trouva pas bon qu'elle fût allée encachettechez un des parents de sa tante. voir un feu d'artifice surl'eau; il est vrai que c'étoit au sortir de chez le rapporteuroù Langey avoit permission de lui parler durant trois jours.Le père et la mère de Langey vinrent ici exprèspour le faire résoudre à s'accommoder; ils n'en purentjamais venir à bout. On n'a jamais vu un tel espritd'étourdissement.

Le jourqu'on ordonna le congrèsLangey crioit victoire vous eussiezdit qu'il étoit déjà dedans: on n'ajamais vu tant de fanfaronnades. Mais il y eut bien des mystèresavant que d'en venir là. Il fit ordonner qu'on la baigneroitauparavantc'étoit pour rendre inutiles les restringentsetqu'elle auroit les cheveux éparsde peur de quelque caractère(1) dans sa coiffure. Faute d'autre lieuon prit la maison d'unbaigneur au faubourg Saint-Antoine.

[(1)Quelques caractères magiques.]

La veillelui et elle furent encore visités par quinze personnesetlejourje pense qu'il avoit aposté de la canaillela plupartdes femmesau coin de la rue de Seinequi dirent quelques injures àla patiente. Plusieurs foisil en a fait dire à madame LeCocqau Palais. Elle y alla bien accompagnéeet les laquaisdisoient à ceux qui demandoient qui c'étoit: «C'est M. le duc de Congrès. » Elle étoitfort résolue en y allant et dit à sa tantequidemeura: « Soyez assurée que je reviendrai victorieuse;je sais bien à qui j'ai affaire. » Làil luitint toute la rigueurjusqu'à ne vouloir pas souffrir quandon la couchaqu'on la coiffât d'une cornette que deux femmesdes parentes de son grand-père avoient apportée; il enfallut prendre une de celles de la femme du baigneur. En s'allantmettre au litil dit: « Apportez-moi deux oeufs fraisque jelui fasse un garçon tout du premier coup. » Mais iln'eut pas la moindre émotion où il falloit; ilsua pourtant à changer deux fois de chemise: les drogues qu'ilavoit prises l'échauffoient (1).

[(1) Oncroit que les ch...p... qu'il a eues l'ont effilé. (T.)]

De rageil se mit à prier. « Vous n'êtes pas ici pourcela» lui dit-elle; et elle lui fit reproche de la duretéqu'il avoit eue pour ellelui qui savoit bien qu'il n'étoitpoint capable du mariage. Or il y v avoit làentre lesmatronesune vieille madame Pezéâgée dequatre-vingts ansnommée d'officequi fit cent folies; ellealloit de temps en temps voir en quel état il étoit. etrevenoit dire aux experts: « C'est grand' pitié il nenature point. » Enfin le temps expireon le fit sortirdu lit: « Je suis ruiné» s'écria-t- il ense levant. Ses gens n'osoient lever les yeuxet la plupart s'enallèrent. Au retour de làun laquais contoit naïvementà un autre: « Il n'a jamais pu se mettre en humeur.Pour mademoiselle de Courtaumerelle étoit en chaleur:il n'a pas tenu à elle. »

L'hiversuivantil arriva une chose quasi semblable à Rheims: lafemmepar grâceaccorda au mari toute une nuit. Les expertsétoient auprès du feu; ce pauvre homme se crevoit denoix confites. A tout bout de champil disoit: « Venez; venez»; mais on trouvoit toujours blanque. La femelle rioitet disoit: « Ne vous hâtez pas tantje le connois bien.» Ces experts disent qu'ils n'ont jamais tant ri ni moins dormique cette nuit-là.

Lelendemainqui étoit la cène de septembre àCharentonon ne fit que parler de l'aventure de Langey. Jamais onn'a dit tant d'ordures le jour du mardi gras. Le ministre Gache étoitsi confus que vous eussiez dit que c'étoit à lui quecela étoit arrivé. Jusque- làquand il marioitquelqu'unil se tournoit vers le bonhomme Magdelaineàl'endroit où il y a: Doncce que Dieu a jointque l'hommene le sépare point et crioit à haute voix.Depuisil a lu cela comme le reste. Les femmes qui avoient étépour Langey étoient déferrées: « C'est unvilaindisoient-elles. « n'en parlons plus. »

Dèsle lundiune infinité de gens allèrent se réjouirchez madame Le Cocq; elle leur dit une bonne chose: « Excusezma nièceleur disoit-elle; elle est si fatiguéequ'elle n'a pu descendre. » Langey ne laissa pas de présenterencore requêtedisant qu'il avoit été ensorceléqu'on l'avoit bassiné d'une autre eau qu'elle. Cela fut causequ'on ne put avoir arrêt à ce parlement-là.

Depuis laSaint-Martin jusqu'à ce qu'il y eût eu arrêtilalla partout à son ordinaireet tout le monde en étoitembarrassé.

Au boutd'un an et demiLangey prit des lettres en forme de requêtecivilepour faire ôter de l'arrêt la défense dese marier; mais M. le chancelier le rebutaen disant: « A-t-ilrecouvré de nouvelles pièces? “

Depuis lamort de sa grand'mère de Télignyil se fit appeler lemarquis de Téligny; mais il ne laisse pas d'êtreLangey pour cela.

Au bout dequelques mois pourtantLangey ne laissa pas de trouver qui levoulut; il épousa une fille de trente anshuguenotenomméemademoiselle de Saint-Geniezsoeur de M. le duc de Navailles. Il apris là une étrange poulette. Voici ce que j'en ai ouïdire à Tallemantmaître des requêtes. Comme ilétoit intendant en Guiennela goutte et la fièvre leprirent à Saint-Severen Limousin. On n'entroit pas dans sachambrelorsqu'un prêtre essoufflé vint prier madameTallemant de le faire parler à M. l'intendantet qu'il yalloit de la vie de deux hommes; elle le fait entrer. C'étoitqu'une vieille mademoiselle de Navaillestante du ducne pouvantavoir sa légitimes'étoit emparée d'un châteauoù mademoiselle de Saint-Geniezl'ayant forcéel'avoit mise en prison dans une chambreoù il n'y avoit queles quatre murssans pain ni eauet avoit enfermé deuxgentilhommes de son parti dans une armoire qui étoit dans lemuroù l'on a accoutumé en ce pays de mettre du salé;et ces trois personnesdepuis deux fois vingt-quatre heuresn'avoient ni bu ni mangé. L'intendant les envoya délivrer.Il y a apparence qu'elle salera Langey.

Madame deLangey a déjà eu un enfantle mari en a triomphéà la province et ici; beaucoup de gens doutent qu'il luiappartienne. Il faut donc qu'il soit supposéou qu'unje-ne-sais-qui en soit le pèrecar la dame est maigrevieille et noire. Présentementelle et son mari sont àParis: elle est encore grosseet dit quepour la premièrefoiselle en a été bien aisemais quepour celle-cielle s'en seroit bien passéeet madame de Boesse ne devientpoint grosse.

J'ai vuLangey à Charenton faire baptiser son second enfant; car il afils et fille; jamais homme ne fut si aiseil triomphoit. D'autrecôtéon dit que sa première femme a aussi faitun enfant; on ne médit point de sa secondeet elle n'est brinjolie. Le temps découvrira peut-être tous ces mystères.J'espère qu'un de ces matins le cavalier présenterarequête pour faire défense à l'avenir d'appelerles impuissants Langeys. On dit que mademoiselle des Jardinspour s'éclaircir de la véritélui offrit lecongrès. Elle est fille à cela; elle en a bienfait pis ensuite.

QuandLangey eut des enfantsil s'en vantoit sans cesse. Un jour qu'il lesmontroitBenserade lui dit: « MoiMonsieurje n'ai jamaisdouté que mademoiselle de Navailles ne fut capabled'engendrer. »



MADAMED'ESPAGNETMADAME DE MORANGISGENS D'ÉGLISEETC.

Madamed'Espagnetpersonne bien faite et spirituellefemme du plus grandfrondeur du parlement de Bordeauxpassoit pour une dévotemais on découvrit ses intrigues par ce moyen. Une femme veuvede qui elle se servoitet chez laquelle étoient ses rendez-vousfit un jour une confession généraleet elle dittoute la petite vie de la dame. Le confesseur trouva à propospour retirer madame d'Espagnet du vicede lui en faire parler parson curé. Le Père Bonnetcuré deSainte-Eulaliequi étoit un assez galant hommedit qu'iln'en croyoit rien. La veuve offre de la lui faire voirdans ledéduitavec un minimenommé le Père Romain. Onl'enferma dans un cabinetet il vit plus qu'il n'en voulut voircarle bon curé croyoit être le seul qui jouit desembrassements de la dameavec laquelle il étoit fort bienily avoit longtemps. Ce Père Bonnet sut ensuite toutel'histoireet la conta à Darbode qui je la tiens. Leminimene gagnant rien auprès de madame d'Espagnets'adressaenfin à la confidenteet moyennant cent pistolesquoique ladame dit qu'il sentoit trop l'huileil en vint à bout. Elleles voulut compter l'une après l'autrele moine les ayantapportées dans une bourse de velours vert; après ilsfirent la chosette. Leur commerce dura quelques jours; enfinle moinequi avoit eu bien de la peine à amasser ces centpistoleset qui les eut bien voulu ravoir à cette heure qu'iln'étoit plus si affamés'avisa de lui dire qu'il lesavoit empruntées. Elle se moqua de lui. Le moine enragérésolut de s'en venger. Il ne fait semblant de rien et luidonne un rendez-vous; maisavant que d'y alleril passe chez uneveuve dévoteoù il s'en donne à coeur-joiedepeur d'être tenté par la dame qu'il avoit envie dechâtier. Il la va trouverpourvu d une bonne discipline. Sonbini disoit à la confidente: « Je ne sais commentle Père Romain l'entendmais avant de venir ici il en a prishonnêtement. » Quand le moine la tint sur le litil tiresa disciplinela trousseet lui en donne à tour de brasenlui disant: « Hé ! vous ne me rendez pas mes centpistoles ! Hé ! vous ne me rendez pas mes cent pistoles! »Elle n'osa jamais crieret il fallut souffrir patiemment lafustigation; car le paillard étoit fortet il la tenoitsoussou bras gauchesi ferme qu'elle ne pouvoit remuer. On dit qu'elleavoit toujours quelque moineà cause qu'ils sont obligésau silenceet que son mari eût été homme àla poignarder s'il eût eu quelque soupçon. On l'accuseaussi de s'être servie du précepteur de ses enfantsparla même raison. Ce Père Bonnet passoit pour un saint. Onl'a pensé béatifier.

Voicicomme on a découvert que madame de Morangis avoit quelquecommerce un peu gaillard avec un jacobin nommé le PèreLouvetqui est le tout-puissant chez elle. C'est celui-làmême qui a remarié le maréchal de l'Hospital etque madame de Villesavin appelle Papa-Louvet. Nauci-devantprocureuraujourd'hui intendant de Marseilleavoit une bâtardequi fut entretenue par Perraultde M. le Prince. Feue madame laPrincessepar dévotionla fit mettre dans un couventaprèsil la maria à je ne sais quel faquinet la tenoit quelquefoisdes trois mois entiersoù elle ne voyoit pas le jour. Le marise lassa de cela et l'emmena en Angleterre. Ordurant qu'elle étoiten religionle Père Louvet et elle devinrent amoureux l'un del'autre. En Angleterreun cousin de Fairfax l'entretintmais ilmourut bientôt. elle revient brusquement Elle n'est pas plustôt ici que Fairfax lui écritla presse de retournerlui déclare qu'il a toujours été amoureuxd'ellemais que le respect qu'il avoit pour son parent l'avoitempêché de le témoigner. Elle n'étoit pasfort bellemais elle avoit un embonpoint admirable; elle étoit.spirituelle et de l'humeur du monde la plus enjouée. ellerepasse en Angleterre. Les personnes à qui elle envoyoit seslettresen trouvant une qui s'adressoit au moineeurent curiositéde voir ce qu'il y avoit; ils trouvèrent ces mots: «Jusqu'à ce que vous m'ayez remis entre les mains le portraitde madame de Morangisje ne croirai point que vous m'aimez. »

FeuHobierdocteur de Sorbonnepassoit pour un saint; cependant nousavons su d'un homme d'honneur qu'une petite mignonne que Hobierentretenoit secrètement disoit qu'il n'y a jamais eu un hommeplus lascif.... Elle étoit au désespoir de sa mortcaril la payoit bien. On pensa couper des morceaux de ses habitspouren faire des reliques.



MARIGNY-MALENOE

C'est ungentilhomme de Bretagnequi épousa la soeur de M. de laFeuillée du Belaybelle filledont il devint amoureux. Aubout de quelque tempsla jalousie le prità ce qu'on ditavec quelque fondement. Un beau matinil dit à sa femme: «Vous n'êtes point bonne cavalière; il faudroit que vousvous accoutumassiez à aller à cheval. Venez- vous-enavec moi visiter de nos amis et de nos parents. » Ils montenttous deux à cheval: alors les carrosses n'étoient passi communs qu'à cette heure. Il la mène assez loinpuis lui dit: « Ecoutezmon dessein est d'aller jusqu'àRomeet de vous y mener. -- J'irai partout où vous voudrez. »répondit-elle. Quand ils furent en ItalieMarigny lui déclarefroidement que son intention étoit de la faire mourir. Cettefemmequoiqu'elle n'eût que vingt-deux anslui réponditfroidement: « J'aime autant mourir ici qu'en Franceet autantdans huit jours que dans cinquante ans. » (Car on n'a jamais vuun couple de gens si extraordinaires.) -- « Bienlui dit-il;voyez de quel genre de mort vous voulez mourir. » Ils furentquelques jours à en parler aussi froidement que si c'eûtété simplement pour s'entretenir. Enfin elle choisit lepoison. Il lui en apprêteet le lui présente dans unecoupe. Elle le prend délibérément; etcommeelle l'alloit avaleril lui retint le bras. « Allezluidit-ilje vous donne la vie; vous méritez de vivrepuisquevous aviez le courage de mourir si constamment. Désormaisjevous veux donner liberté tout entière; vous ferez toutce que vous voudrez de votre côtéet moi du mien. »Ils se le promirent réciproquementet revinrent les meilleursamis du monde ensemble. Depuisil ne s'est point tourmenté dece qu'elle faisoitet ellequand elle savoit qu'il avoit quelqueamouretteelle l'y servoit. Ils n'ont ont eu qu'une fillequivoyant qu'ils ne songeoient point à la marieret qu'on lavouloit tenir toute sa vie en religionen sortitet se maria àl'âge de trente-quatre ans sans leur consentement. Le gendrecar la coutume de Bretagne rend le mariage d'une fille responsabledes dettes de la famillemême contractées depuisvoulut les faire interdire. Ils firent évoquer à Parissur parentéset ici ils gagnèrent leur procès;De peur d'accidentsils vendirent Marigny et Malenoedont ilsfirent cinquante mille écustoutes dettes payées. Ilen donna la moitié à sa femmeet garda l'autre pourlui. Il est souvent en Bretagneoù il a le gouvernement duPort-Louis. Elle ne fait que jouer à Parisoù elledemeure toujours jours depuis quelques années. Elle eut unegrande maladie l'hiver passé; elle fut abandonnée desmédecins; cependant sa chambre étoit pleine de monde àl'ordinaire; elle étoit aussi tranquille que si elle eûtété en parfaite santé seulement. de temps entempselle disoit: « Faites-moi venir M. de La Milletière;il parle de Dieu si gentiment ! » Elle en est revenue.

Son mariavoitil y a quelques moisune petite fillette assez jolie; il lalaissa iciet alla faire un tour en Bretagne. Girardin fitconnoissance avec elleet la mit en chambre. Il en eut avis; il lefut trouveret lui dit: « Si dans quatre jours vous ne me larendezje vous irai poignarder. » L'autre nia: «Prenez-y garde! » Deux jours aprèsil lui dit: «Monsieurje vous viens avertir quedes quatre joursil n'en resteplus que trois. Prenez garde à vous ; informez-vous quel hommeje suis. » Ma foiGirardin eut peurcar déjà ilavoit des gens à ses trousses; il lui alla dire un matin qu'illa lui cédoit de bon coeur. « Ah! lui dit-ilvous voilàréduit; je ne voulois que cela. Je vous la rends: une autrefoisusez-en plus civilement. » Après ils firent amitiéensemble. C'est une espèce de philosophe cynique; il ne jouepoint.



MADEMOISELLEDES JARDINS

L'ABBÉD'AUBIGNAC ET PIERRE CORNEILLE

Mademoiselledes Jardins (1) est fille d'une femme qui a été àfeue madame de Montbazonet d'un homme d'Alençon quijepenseest officier: c'est une personne quitoute petitea eubeaucoup de feuelle parloit sans cesse.

[(1)Madamede Villedieu.]

Voiturequi logeoit en même logis que la mèreprédit quecette petite fille auroit beaucoup d'espritmais qu'elle seroitfolle. La petite vérole n'a pas contribué à lafaire belle; hors la tailleelle n'a rien d'agréableet àtout prendre elle est laide; d'ailleursà sa minevous nejugeriez jamais qu'elle fût bien sage.

Il y atrois ans ou environ qu'elle est à Pariscar elle a fait unlong séjour à la province; maisquoiqu'elle y soitsous sa bonne foielle ne laisse pas de voir toute sorte de gensetde les recevoir dans une chambre garnie.

Madame deChevreuse et mademoiselle de Montbazon s'en divertissent. Elle a unefacilité étrange à produire; les choses ne luicoûtent rienet quelquefois elle rencontre heureusement. Tousles gens emportés y ont donné tête baisséeet d'abord ils l'ont mise au-dessus de mademoiselle de Scudéryet de tout le reste des femelles.

Une despremières choses qu'on ait vues d'elleau moins des chosesimpriméesça été un Récit de lafarce des Précieusesqu'elle dit avoir fait sur lerapport d'un autre. Il en courut des copiescela fut impriméavec bien des fauteset elle fut obligée de le donner aulibraireafin qu'on le vît au moins correct. C'est pour madamede Morangisà ce qu'elle a dit; j'use de ce termeparce quele sonnet de jouissance qui est ensuite fut fait aussià cequ'elle a dità la prière de madame de Morangis.

Cela neconvenoit guère à une dévote; aussi s'enfâcha-t-elle terriblement. Depuisla demoiselle s'est aviséede dire que ç'avoit été par gageureet que desgens le lui avoient escroqué. Pour moiquand je vois tous lesautres vers qu'elle a faitset qui sont même imprimésavec ce gaillard sonnet (1) dans un recueil du Palaisje ne sais quepenser de tout cela; d'ailleurs elle fait tant de contorsions quandelle récite ses versce qu'elle fait devant cent personnestoutes les fois qu'on l'en pried'un ton si languissant et avec desyeux si mourantsque s'il y a encore quelque chose à luiapprendre en cette matière-làma foi! il n'y en aguère.

[(1)Tallemant a conservé ce sonnet dans ses portefeuilles.Il commence par ce vers:

Je n'aijamais rien vu de moins modeste; elle m'a fait baisser les yeux plusde cent fois. Aujourd'hui dans tes bras j'ai demeuré pâméeetc.]

Conviéeà un balelle emprunta un collet; il lui étoit tropcourt: « Voilà bien de quoi s'embarrasserdit-ellenesais-je pas allonger des vers? j'allongerai bien ce collet. »Elle y mit du ruban noir tout autour. Cela étoit épouvantable.Ma soeur de Ruvigny dit: .«Voilà un ajustement bienpoétique!

Pour fairevoir sa cervelleil ne faut que ce madrigal. J'en dirai auparavantle sujet. L'abbé Parfaitconseiller au Parlementétoitallé chez elle pour la première fois; elle avoit étésaignée. Justementcomme il entroitelle eut une foiblesseet pensa tomber: il la soutint. Le lendemainelle lui envoya cemadrigal au Palaisdans sa chambreafin que plus de monde le vît:

Madrigal


Quoi !Tircisbien loin de m'abattre

Vous m'empêchez desuccomber!

Quoi ! vous me relevez lorsque je veux tomber

Et vous prêtez des bras pour vous combattre!

Aprèscette belle action

On verra votre nom au Temple de Mémoire

Et l'on vous nommera le héros de ma gloire

Maisaussi le bourreau de votre passion.


Il n'y apas une plus grande menteuse au mondeni une plus grande étourdie:elle a faitdit-elleun roman. même elle en a traitéavec je ne sais quel libraire. On lui demande: « Où estle plan de votre roman ? -- Je ne sais s'il y en arépondit-ellemaiss'il y en a unil faut qu'il soit dans ma tête. »

Ce romancommence par l'histoire de madame de Rohan de Ruvigny et de Chabot.Madame de Rohansachant celapria Langeyqui connoît lademoisellede lui faire voir ce livre avant qu'on l'imprimât.Elle lut son histoire et pria de changer quelque chose. La filleaulieu de lui faire voir le manuscrit corrigéle donne aulibraireen disant qu'elle avoit fait ce qu'on avoit souhaité.Langey alla ensuite chez elleet il fit tant qu'elle envoya sa soeurdire à l'imprimeur qu'on sursît jusqu'à nouvelordre. Cette soeur en arrivant trouve un huissiermené par unlaquais de Langeyqui vient saisir les exemplaires. Cela fâchafort la faiseuse de romanset elle veut y mettre toute l'histoire ducongrès (1).

[(1) VoirHistoriette consacrée à madame de Langey.]

Cependantelle fut à M. le chancelierqui dit: « Je veux voirl'histoire: qu'on m'apporte les exemplaires. » Il l'a lueetn'y trouvant rien d'offensant pour madame de Rohanil donna la mainlevée. J'ai lu l'ouvrage; il n'y a pas grand choseet madamede Rohan est bien au-dessous en toute chose de celle sous le nom delaquelle on a mis quelques endroits de son histoire. Ce livre estmeilleur qu'on n'avoit lieu de l'espérer d'une telle cervelle;il n'y a encore qu'un volume.

Mais voiciune belle histoire de la demoiselle: L'hiver de 1660à un baloù elle étoitil y avoit un garçon appeléLa Villedieu: il porte l'épée. Ce garçon sortitdu balet puis revint en disant qu'on n'avoit jamais voulu luiouvrir la porte chez luiet qu'il il ne savoit où allercoucher. Notre rimeuse lui offrit son litettout en riantil vaavec elle et demeure à coucher . La mèreje penseoule père étoit ici; elle alla coucher avec sa soeur. Cegarçon tombe malade cette nuit-làet si maladequ'ilfut six semaines avant que de pouvoir être transporté.Elle eut tant de soin de lui durant son grand mal quene croyant pasen réchapperil pensa être obligé à luidire qu'il l'épouseroits'il en revenoit. Il en revintilcoucha avec elle trois mois durant assez publiquement: en voici unepreuve: un jourentre une et deuxl'été dernierqu'il faisoit assez chaudelle et lui étoient encore au litet sans chemise: une demoisellede qui je le tiens y alla pour lavoir. La Villedieu ne vouloit point qu'on la laissât entrer;elle le voulutet tout ce que La Villedieu put fairece fut dereprendre une chemise. Il prit celle de la demoiselle au lieu de lasienneet comme il la mettoitcette femme entrequi remarquequelque chose au- devantmarque infaillible que ce n'étoitpoint la chemise du cavalieret elle prit celle de son amant.

OrLaVilledieu s'en est lasse; elle dit que c'est son mari; lui dit quenon; elle ne s'en tourmente que médiocrementet dit: «Pourquoi le contraindre? S'il ne le veut pas êtrequ'il ne lesoit pas ! »

Cettefille fit imprimer tout ce qu'elle avoit faitoù il y a uncarrousel de M. le Dauphin qui est joli. Cette fantaisie lui vint àcause d'un petit carrousel que fit le Roi en 1662 . Aprèselle fit une pièce de théâtre qu'on appelaManliusoù Manlius Torquatus ne fait point couper latête à son fils. Quoi qu'en dise l'abbéd'Aubignacson précepteurje ne crois pas que cela se puissesoutenir. Cette pièce réussit médiocrement. Uneautreappelée Nitétisréussit encoremoins. Or Corneille dit quelque chose contre Manliusquichoqua cet abbéqui prit feu sur-le-champcar il est tout desoufre. Il critique aussitôt les ouvrages de Corneille; onimprime de part et d'autre; pour sa critiquepatiencecar il ensait plus que personne: mais le diable le poussa de mettre au jourson roman allégorique de la philosophie des Stoïciens. Ilest intitulé: Macarisereine des îles Fortunées.

Patru luiconseilla de mettre son allégorie à la fin du livreoutout au plus succinctement à la marge. L'abbé ne levoulut pas croireet persuadé qu'un libraire deviendroit tropriche s'il imprimoit un si précieux ouvrageil le fitimprimer à ses dépensc'est-à-dire le premiertome. Or comme il a en tête de faire une académiequ'enriant on appelle l'Académie des allégoriesilobligea tous les jouvenceaux qui lui faisoient la cour à luidonner des vers pour mettre au-devant de son livre. Il passa plusoutre; Ogierle prédicateurne se put dispenser de lui fairedes vers latins; le bonhomme Giry se vil forcé de lui faire unéloge en proseet Patru aussiquoi qu'il pût fairepour s'en exempter. La moitié du premier volume est doncemployée à ces élogeset à cetteallégoriequi rebute tout le mondeetce qui est de pirele roman est mal écritet la galanterie en est pitoyable. Jesais quesans les avis de Patruce seroit bien peu de chose.

Cependantson livre ne se vend point; quand il seroit moins désagréableil auroit de la peine à en avoir le débit car leslibraires ne sont pas pour lui. Ils disent une plaisante chose:Corneilledans un in-folio qu'il a fait imprimer depuis cettequerelles'est fait mettre en taille douce foulant l'Envie sous sespieds. Ils disent que cette Envie a le visage de l'abbéd'Aubignac. Cependant Corneilled'assez bonne foireconnoîtdans de certains discours au devant de ses piècesles fautesqu'il a faites; mais j'aimerois mieux qu'il eût tâchéde faire disparaître celles qui étoient les plus aiséesà corriger. En véritéil a plus d'avarice qued'ambition et pourvu qu'il en tire bien de l'argentil ne setourmente guère du reste. L'abbé s'opiniâtre etest si fou que de faire imprimer les autres volumesà sesdépens s'entendcarquand il le voudroitje ne crois pasque personne les imprimât pour rien. On dit qu'il pourroit bienapprendre aux fous un nouveau moyen de se ruiner; car il y aplusieurs volumeset cela coûtera bon. Il fit et fit fairequantité d'épigrammes contre Corneillequi toutes nevaloient rien; on n'a pas daigné en prendre copie.

Corneillea lu par tout Paris une pièce qu'il n'a pas encore fait jouer.C'est le couronnement d'Othon. Il n'a pris ce sujet que pour fairecontinuer les gratifications du Roi en son endroit; car il ne faitpréférer Othon à Pison par les conjurésqu'à causedisent-ilsque Othon gouvernera lui-mêmeet qu'il y a plaisir à travailler sous un prince qui tiennelui-même le timon; d'ailleursce dévot y coule quelquesvers pour excuser l'amour du Roi. Il vous va mettre sur le théâtretoute la politique de Tacitecomme il y a mis toutes lesdéclamations de Lucain. Corneille a trouvé moyend'avoir une chambre à l'hôtel de Guise. C'est dommageque cet homme n'est moins avare; il auroit étudié lalangue et les autres choses où il pèche. Je lui trouveplus de génie que de jugement.

Pourrevenir à mademoiselle des Jardinsau temps de l'entreprisede Gigery (en 1664)sachant que Villedieu devoit passer àAvignon pour y allerelle se fit donner trente pistoles par avancesur une troisième pièce de théâtre appeléele Favori ou la coquettequ'elle avoit donnée àla troupe de Molière. Avec cette somme elle s'en va en poste àAvignon. Je crois qu'elle y a fait bien des gaillardises dont je n'aiaucune connoissance.

Ellerevint ici vers Pâques; il fut question de faire jouer sapièce: une comédienne et elle se pensèrentdécoiffer; elle querella Molière de ce qu'il mettoitdans ses affiches le Favori de Mademoiselle des Jardins etqu'elle étoit bien madame pour luiqu'elle s'appeloitMadame de Villedieucar elle a bien changé d'avis surcela. Molière lui répondit doucement qu'il avoitannoncé sa pièce sous le nom de Mademoiselle desJardins; que de l'annoncer sous le nom de madame de Villedieucelaferoit du galimatias; qu'il la prioit pour cette fois de trouver bonqu'il l'appelât madame de Villedieu partouthormis sur lethéâtre et dans ses affiches.

Un jourqu'il la fut voir dans sa chambre garnieune femmequi étoitencore au litdit d'un ton assez haut: « Est-il possible queM. de Molière ne me reconnoisse point? ». Il s'approcheentre les rideaux: « Il seroit difficileMadameque je vousreconnusse» répondit-il. Elle les fait tous lever etouvrir toutes les fenêtres; il la reconnoissoit encore moins: «Sans douteajouta-t-ilc'est la coiffure de nuit qui en est cause.-- Allezlui dit-ellevous êtes un ingrat; quand vous jouiezà Narbonneon n'alloit à votre théâtreque pour me voir. »



ANECDOTES

Allant àla foire Saint-GermainHenri III trouva un jeune garçonendormi; un assez bon prieuré vaquoitplusieurs personnesétoient aprèsà qui l'auroit. « Je leveux donnerdit-il. à ce garçon afin qu'il se puissevanter que le bien lui est venu en dormant. » Ce jeune garçons'appeloit Benoise; il le prit en affection et le fit secrétairedu cabinet. Ce Benoise avoit soin de lui tenir toujours des plumesbien tailléescar le Roi écrivoit assez souvent. Unjourpour essayer si une plume étoit bonneBenoise avoitécrit au haut d'une feuille ces mots: Trésorier demon épargne. Le Roiayant trouvé celay ajouta: «Payez présentement à Benoisemon secrétairelasomme de trois mille écus »et signa. Benoise trouvacette ordonnance et en fut payé.

M. deMayennepour attraper sa femmequi s'inquiétoit fort de cequ'il sortoit la nuitfaisoit mettre son valetavec sa robe dechambreauprès d'une tableavec bien des papiers comme s'ileût travaillé à quelque grande affaire; ce valetde loinfaisoit signe de la main à madame de Mayenne qu'ellese retirât. et elle se retiroit par respect.

Mademoisellede Guisedepuis princesse de Contifut cajolée de plusieurspersonneset entre autres du brave Givry. On dit qu'en ayant obtenuun rendez-vouselle s'avisapar galanteriede se déguiseren religieuse. Givry monta par une échelle de corde: mais ilfut tellement surpris de trouver une religieuse au lieu demademoiselle de Guise qu'il lui fut impossible de se remettre et ilfallut s'en retourner comme il étoit venu Depuis il ne putobtenir d'elle un second rendez-vous; elle le méprisa etBellegarde acheva l'aventure. Il est vrai que' de peur de semblablesurpriseelle ne se déguisa point en religieuse. J'ai ouïdire que ce fut sur le plancherdans la chambre de madame de Guisemême qui étoit sur son litet quis'étanttrouvée assoupieavoit fait tirer les rideaux pour dormir.Mademoiselle de Vitryconfidente de mademoiselle de Guiseétoitla Dariolette. La bellequand ce vint aux prises. fit ouflamère se réveillaet demanda ce que c'étoit: «C'estrépondit la confidenteque mademoiselle s'est piquéeen travaillant. »

Un fils deM. de Sancyqui fut ambassadeur en Turquiese fit Père del'Oratoire. Un jour il passa par un couvent de Carmélitesfondé par quelqu'un de sa maison; les religieuses ne luifirent pas plus d'honneur qu'à un autre. Il s'en plaignit;comme il repassoitla supérieure voulut réparer safaute; mais il y eut bien du mystère pour avoir la clef de lagrilleet après pour lever le voile: enfin elle le leva:«Vraimentlui dit-ilma mèrela trouvant fort jauneil falloit bien faire tant de cérémonie pour montrer cevisage d'omelette ! Baissezbaissez votre voile. ». Et il luitourna dos.

Madame deMoret étoit de la maison de Bueil. N'ayant ni père nimèreelle fut nourrieje pensechez madame la princesse deCondéCharlotte de La Trémouille. Elle étoit làen bonne école. Henri IVqui ne cherchoit que de bellesfilleset quiquoique vieuxétoit plus fou sur cechapitre-là qu'il n'avoit été en sa jeunesselafit marchanderet on conclut à trente mille écus. Maismadame la princesse de Condé souhaita quepar bienséanceon la mariât en figuresi j'ose ainsi dire. Césyde lamaison de Harlayhomme bien faitet qui parloit agréablementmais qui avoit mangé tout son biens'offre à l'épouser. On les maria un matin. Le roiimpatientet ne goûtant pastrop qu'un autre eût un pucelage qu'il payoitne voulut paspermettre que Césy couchât avec sa femmeet la vit dèsce soir-là. Césylâche comme un courtisan ruinéprétendait ravoir sa femme le lendemainrésolu de toutsouffrir pour faire fortune; mais elle n'y voulut jamais consentir.On rompit le mariageà condition que Césy auroit lestrente mille écus.

M.d'Angoulême contait les choses fort agréablement. Ildisoit qu'en sa verte jeunesse il étoit amoureux d'une dameet qu'un jour la servante de cuisinequi étoit une vieillefort mal propre et fort dégoûtantelui ayant ouvert laporteil prit occasion de la prier de lui être favorableetil voulut donner quelque chose; mais elleen le repoussantlui dit:« ArdezMonsieurje ne veux point de votre argent; il n'y aqu'un motc'est que madame n'en a jamais tâté que jen'aie fait l'essai auparavant; c'est comme du bouillon de mon pot; ilfaut passer par là ou par la fenêtre. » Il eutbeau tourner et vireril fallut satisfaire cette vieille souillon.et il dit qu'il détournoit le nez de peur de sentir sontablier gras.

On contede Le Fouilloux qu'étant nouveau venu de sa province deSaintonge les filles de la Reine le prirent pour un bon campagnardil n'étoit pourtant pas si niais. Elles lui demandèrentbien des choses à quoi il répondoit en innocent. «Eh! ma compagnequ'il est bon! se disoient-elles l'une àl'autre. Mais à quoi vous divertissez-vous dans votrevoisinage? -- Eh! dit-ilje nous entre-f....» Les voilàtoutes à fuir: depuis elles ne se jouèrent plus àlui.

Une foispour se ragoûterle président de Chevry pria une m....de lui faire voir quelque bavolettetoute fraîche venue de lavallée de Montmorency. On fait habiller une petite garce enbavoletteet on la mène au président qui coucha toutela nuit avec elle. Le lendemain il la fit lever pour aller voir queltemps il faisoit. Elle lui vint dire que le temps étoitnébuleux. « Nébuleux! s'écria-t-ilah ! vertuchouxj'ai la v... Eh! qu'on me donne vite mes chausses. »

M. Faureétoit un bourgeois de Parisriche de deux cent mille écus.C'étoit un des plus grands avares qu'on ait jamais vus. Il yavoit trois bûches dans la cheminée de sa belle chambre.Ces bûches avoient trempé dans l'eau de sorte que lefagot qu'on mettoit dessous brûloit tout seul et ne faisoit queles faire suer seulement. La compagnie étant retiréesi le feu du fagot les avoit un peu trop séchéesonles remettoit dans l'eau.

Un peuaprès que M. de Bellièvre eût étéfait garde des sceauxquelqu'un qui ne savoit pas son logisledemanda à un savetierce savetier dit: « Je ne sais oùc'est. » Cet homme va plus bason lui dit: « C'estvis-à-vis ce savetier. « Oh hé! compère.dit-il au savetiervous ne connoissez donc pas vos voisins: -- Je neconnois pointrépondit le savetierles gens avec qui je n'aipoint bu. » Cet homme conta cela au garde des sceauxquienvoya convier le savetier à souper. Le galant dit qu'il nemangeroit pas. En effet il prend ses habits des dimancheset avecune bouteille de vin et un chapon tout cuitdont il avoit rompu unpiedil va chez le garde des sceaux ; il met son vin àl'office et y laisse son chapon aussientre deux plats. Comme on eutservi le second: « Oh hé! dit-il Monsieurje ne voispoint mon chapon. » M. de Bellièvre demande ce qu'ilvouloit dire; il le lui conte et ajoute: « En voilà lepiedque j'ai rompu de peur qu'on ne me le changeât. Il vaudrabien tout ce que vous avez-làet mon vin est bien aussi bonque le vôtre; nous en usons ainsi entre nous. » Onapporta la bouteille et le chapon. Le garde des sceaux ne but plus etne mangea plus que ce qu'avoit apporté le savetieret ilsfirent la plus grande amitié du monde.

Une fillede Paris fut longtemps recherchée par un homme qui la vouloitépouser; mais quoique ce fût son avantageelle ne s'yput jamais résoudreet le lui déclara àlui-même plusieurs fois. Cet homme ne se rebutoit point pourcelaet continuoit de la voir. Un jour il la trouva seuleil lapresseet ayant rencontré l'heure du bergeril en obtintplus d'une fois ce qu'elle avoit résolu de ne lui jamaisaccorder. Elle devient grosseil la va voiret lui dit qu'il esttout prêt à l'épouser. Cette fille lui répondqu'il est vrai qu'elle est en danger de se perdremais qu'elle lehait plus que jamais; qu'elle ne comprend point comme quoi ellel'avoit laissé faireet qu'elle n'en sauroit dire de raisonenfin il n'en put venir à boutet cessa de l'importuner. Jen'ai jamais pu savoir le nom de la fille ni de l'hommecar on ne meles a pas voulu dire; mais la chose est véritable.

Un garçonde fort médiocre condition de Parisqui traînoittoujours une épéebadinoit fort avec les filles de sonquartier et en mettoit quelques-unes à mal. Un jouramoureuxde la fille d'un mercieril trouve moyensous de faux donner-à-entendrede la mener promener au bois de Vincenneset lui faitfaire bonne collation. On ne fait pas tant de façons parmi cepetit monde; après il lui dit son besoin et la presse fort:elle résiste et lui arrache quelques cheveux. Luienragémet l'épée à la mainet la menace de la tuer: «Ah ! lâchelui dit-ellemettre l'épée àla main contre une fille ! » Ce garçonsurpris etconfuslaisse tomber son épée. Elle fut si touchéede son étonnementet le prit si fort pour une marque d'amourqu'après elle lui laissa tout faire.

On conteune chose assez notable de la fin de ce grand hommeMaurice deNassau. Etant à l'extrémitéil fit venir unministre et un prêtreet les fit disputer de la religion; etaprès les avoir ouïs assez longtemps: « Je voisbiendit-ilqu'il n'y a rien de certain que les mathématiques(1). » Et ayant dit cela se tourna de l'autre côtéet expira.

[(1) Onconte d'un prince d'Allemagnefor adonné aux mathématiquesqu'interrogé à l'article de la mort par un confesseurs'il ne croyoit pasetc. : « Nous autres mathématicienslui dit-ilcroyons que 2 et 2 font 4et 4 et 4 font 8. »(T.)]

A l'âgede soixante-dix ansou peu s'en falloitle maréchal d'Estréealla voir madame Cornuelquipour aller parler à quel qu'unle laissa avec feu mademoiselle de Belesbat. Elle revint et trouva lebonhomme qui vouloit lever la jupe à cette fille: « Eh !lui dit- elle en riantmonsieur le maréchalque voulez-vousfaire? -- Damerépondit-ilvous m'avez laissé seulavec mademoiselle: je ne la connois point; je ne savois que lui dire.»

Les Etatsvoulurent qu'on déclarât la guerre à l'Espagneparce qu'encore que nous les assistassionsleur pays ne laissoit pasd'être le théâtre de la guerre. Puis la bataillede Nortlingue avoit fort affoibli les Suédois. On gagna labataille d'Aveinet au lieu d'aller à Namur; qu'on eûtpris (car l'épouvante étoit si grande qu'on a dit quele cardinal-infant faisoit tenir un vaisseau prêt pour s'enaller)on s'en alla pour joindre le prince d'Orangeà qui onavoit écrit qu'on lui envoyoit les maréchaux deChâtillon et de Brezé pour faire ce qu'il jugeroit àpropos. Lui les fit languir long- temps dans le siègeet nese hâta point de sortir. Quand il fut jointon prend Diestqu'il fait traiter de rebelledisant qu'il étoit baron deDiest. Après on va à Tillemont. Il y avoit làdedans des vivres pour nourrir notre armée toute la campagne.M. de Châtillonà cause de celafit tout ce qu'il putpour empêcher de la faire emporter d'assaut; et durant qu'ilsdisputoientles Anglois d'un côtéet les Françoisà leur exemplede l'autreces derniers la prirent de force.On saccagea touton viola dans les églises mêmesetdepuisdans les libelles imprimés durant les négociationsde Munsteron a reproché aux François qu'une abbesseayant dit qu'elle étoit l'épouse de Jésus-Christun François avoit répondu en riant: « Eh bien !nous ferons Dieu cocu. »

Bois-Yvoncomme on lui parla de Dieudit: « Dieu est si grand seigneuret moi si petit compagnon ! Nous n'avons jamais eu de communicationensemble. » Ce Bois-Yvon étoit un homme persuadéde la mortalité de l'âmeet quand on lui voulut parlerde se confesseril s'en moquaet dit qu'il lui restoit trente sousqu'on donneroit à des porteurs. quidans leur chaiseleporteroient à la voirie. Il mourut ainsiet on n'en putobtenir autre chose. Etant malade une autre foisje ne sais queljeune moine lui parloit de Dieu: « Frère Jeanluidit-ilne me parlez point tant de Dieu: vous m'en dégoûtez.» Desbarreaux lui amena un confesseur: « Il n'est pas dema croyancedit-il »; il lui dit aussi: « Faire ce quevous dites n'est pas de la vie que j'ai faiteet ce que vous faitesn'est pas de la vie que vous menez. »

Monsieurs'avisa une fois de faire une espèce d'académie chezluioù il mit pour rire plus de quatre personnes qui savoientà peine lire. Le Boulay-Brûlardparent du chancelier deSilleryeut quinze mille livres pour accommoder la sallefournir depapierd'encrede quelques livresetc. On trouva qu'il n'avoitrien fait de ce qu'il falloit Monsieur le fait venir: « Je vousdirai la vérité (dit Boulay)dès quej'ai été trésorierje suis devenu voleur commeles autreset j'ai tout mis dans ma bourse. »

M.d'Orléans a toujours l'esprit un peu page. Un jour qu'il vitun des siens qui dormoit la bouche ouverteil lui alla faire un petdedans. Ce pagedemi-endormicria: « B....je te ch...dansla gueule. » Monsieur avoit passé outre. Il demande àun valet de chambrenommé de Fresne: « Qu'est- ce qu'ildit ? -- Il ditMonseigneurdit gravement le valet de chambrequ'il ch... dans la gueule de votre Altesse Royale. »

Etantamoureux d'une dame en Piémontet la ville où elleétoit ayant été assiégéeM. deMontausier se déguisa en capucin pour y entrery entraet ladéfendit. Un jouren contant cela à sa mèreetcomme cette femme l'avoit reçuil s'emporta tellement quesans songer à qui il parloitil lui dit: « Je latrouvai seule un jourje la jetai sur le litet je la .... »Il trancha le mot; mais revenant à soi et voyant qu'il parloità sa mèreil se lèvefuittire la porteetsort du logis. Sa mère l'aimoit passionnément.

Un vicomtedu Bac de Champagnequi fait l'homme d'importancevouloit quelquechose du maréchal de Gramontet ne le quitta point de tout lejour; même il soupa avec lui. Après souper il ne s'enalloit point; le maréchal dit à un valet de chambre: «Fermez la portedonnez des mules à Monsieur le vicomtejevois bien qu'il me fera l'honneur de coucher avec moi. --Ah!Monsieurdit l'autreje me retire. -- Nonmordieu! reprit lemaréchalmonsieur le vicomtevous me ferez l'honneur deprendre la moitié de mon lit. » Le vicomte se sauva.Toute la province se moqua fort de ce monsieur le vicomte.

Lemaréchal de Gramont avoit un fripon d'écuyernommédu Tertrequi un jour le vint prier de le protéger dans unenlèvement qu'il vouloit faire. « Hé bien ! lafille t'aime-t- elle fort? Est- ce de son consentement ? -- NennyMonsieurje ne la connois pas autrementmais elle a du bien . --Ah! si cela estreprend le maréchalje te conseilled'enlever mademoiselle de Longuevilleelle a encore davantage. »; et sur l'heure il le chassa .

MadameCompain étoit plaisante. Une foisà Parisje ne saisquel godelureau lui donna une sérénade. Le lendemainelle lui dit: « Monsieuren vous remerciant; vos violons ontréveillé mon mariet il m'a croquée. »

Le comtede Vertus étoit un fort bon hommequi ne manquoit pointd'esprit. Son foible étoit sa femme; il l'aimoitpassionnémentet ne croyoit pas qu'on pût la voir sansen devenir amoureux. Un gentilhomme d'AnjouappeléSaint-Germain La Trochehomme d'esprit et de coeuret bien fait desa personnefut aimé de la comtesse. Le mariqui avoit desespions auprès d'ellefut averti aussitôt de l'affaire.Il estimoit Saint-Germainet faisoit profession d'amitié aveclui; il trouva à propos de lui parlerlui dit qu'ill'excusoit d'être amoureux d'une belle femmemais qu'il luiferoit plaisir de venir moins souvent chez lui. Saint-Germain s'entrouva quitte à bon marché. Il y venoit moins enapparencemais il faisoit bien des visites en cachette: c'étoità Chantocéen Anjou. Le comte savoit tout; il n'entémoigna pourtant rien jusqu'à ce quedurant un voyagede dix ou douze joursle galant eût la hardiesse de coucherdans le château. Les gens dont la dame et lui se servoientétoient gagnés par le mari. Ayant appris celaildéfendit sa maison à Saint-Germain. Cet hommeaudésespoir d'être privé de ses amoursécrità la belleet la presse de consentir qu'il la défassede leur tyran. Les agents gagnés faisoient passer toutes leslettres par les mains du mariqui avoit l'adresse de lever lescachets sans que l'on s'en aperçût. Elle réponditqu'elle ne s'y pouvoit encore résoudre. Il réitèreet lui écrit qu'il mourra de chagrin si elle ne consent àla mort de ce gros pourceau. Elle y consent. Et par unetroisième lettreil lui mande que dans ce jour-là ellesera en libertéque le comte va à Angerset que surle chemin il lui dressera une embuscade. Le comte retient cettelettreet se garde bien de partir; et ayant appris que Saint-Germaindînoit en passant dans le bourg de Chantocé il serésolut de ne pas laisser échapper l'occasion. Il luienvoie dire qu'il fera meilleure chère au château qu'aucabaretet qu'il le prioit de venir dîner avec lui. Le galantqui ne demandoit qu'à être introduit de nouveau dans lamaisonne se doutant de riens'en va. Il n'avoit pas alors sonépée; il l'avoit ôtée pour dîner; iloublie de la prendre. Dès qu'il fut dans la sallele comtelui dit: « Tenezen lui présentant son dernier billetconnoissez-vous cela ? -- Ouirépondit Saint-Germainetj'entends bien ce que cela veut dire. -- Il faut mourir. » Lesgens du comte mirent aussitôt l'épée à lamain . Ce pauvre homme n'eut pour toute défense qu'un siègepliant. Il avoit déjà reçu un grand coup d'épéequand le mari entra dans la chambre de sa femme qui n'étoitséparée de la salle que d'une antichambre. Il la prendpar la mainet lui dit: « Venezne craignez rien; je vousaime trop pour rien entreprendre contre vous. » Elle futobligée de passer sur le corps de son amant qui étoitexpiré sur le seuil de la porte.

Rénevilliersa toujours aimé le sexemais à son profit. Il étoitgrand et bien faitet baisoit une fruitière pour avoir dudessertune bouchère pour de la viandeet une grainetièrepour de l'avoine. Il est vrai qu'il paya une fois une pourpointièreen la plus plaisante monnoie du monde. Une vieille femme veuvede larue de la Pourpointerieavoit longtemps habillé ses laquaisde sorte qu'il lui devoit une assez grosse somme: cette femmel'alloit voir souvent et lui présentoit ses parties;Rénevilliers la remettoit de jour à autreet cependantil cherchoit quelque invention pour ne pas payer. Enfin il lui ditune fois: « Venez demain matin à dix heuresje vousdonnerai contentement. » La vieille fut dès neuf heuresdans sa chambre: il envoie chercher à déjeunerla faitboirela met en belle humeuret tout d'un coup il la pousse sur lelitoù il la contenta si bien qu'après cela elle prendses partiesles jette au feuet lui dit: « Allezvous neméprisez point vieillesse; il ne sera jamais dit que jedemande rien à un si honnête homme que vous. »

On fait unplaisant conte des filles de Saint-Nicolas. Les Cravates brûlèrentSaint- Nicolas quand on prit la Lorraine; plusieurs d'entre elles seretirèrent d'abord à Châlon: la plupart avoientété violées par ces brûleurs de maisonset comme il n'y avoit pas moyen de le nierelles appeloient celasouffrir le martyre. On dit quecomme elles faisoient lerécit de leur infortune à l'évêqueiln'en avoit telle qui disoit l'avoir souffert deux foisqui troisqui quatre: « Ah ! ce n'est rien au prix de moidit l'autreje l'ai souffertjusqu'à huit fois. -- Huit fois le martyres'écria l'évêque: Ah ! ma soeurque vous avez demérite! »

Ruquevilleétant à l'extrémitéson tailleuràqui il devoit beaucoup le pria de lui donner une reconnoissance. «Bonmon amilui dit-ilécrivezje la signerai. » Illui dicta: « Je soussignéetc..promets àmaîtreetc..maître tailleur d'habits à Parisdemeurant rue Saint-Honoréparoisse Saint-Eustacheetc. »Il lui en fait mettre tout le plus long qu'il peutetaprèsl'avoir bien fait écrireil ajoute cent coups de bâtonau lieu de la somme. Le tailleur le donne au diableet s'en va. Jene sais si le diable prit Ruquevillemais il trépassa peu detemps après.

Unauditeur des comptesdont j'ai oublié le nomavoit ordonnépar son testament que les quatre Mendiants seroient à sonenterrementet que ces quatre ordres porteroient quatre gros ciergesqu'il avoit dans son cabinet. Comme on fut dans l'églisetout-à-coup ces cierges crevèrentet il en sortit despétards qui filent un bruit épouvantable. Les moines ettoute l'assistance crurent que c'étoit le diable qui emportoitl'âme du défunt. Regardez quelle vision de se préparerainsi une farce après sa mort.

Il y a euici un certain fou qui alloit l'hiver sur le Pont- Neufavec unréchaud plein de feuoù il chauffoit toujours un fercomme ces fers de plombierets'approchant des passantsil leurdisoit: « Voulez-vous que je vous mette ce fer chaud dans lec.l ? -- Coquin!... -- Monsieurrépliquoit-il naïvementje ne force personneje ne l'y mettrai pass'il ne vous plaît.» On rioit de celaet puis il demandoit quelque chose pour ducharbon.

Un hommeperdant chez la Blondeauqui tenoit académie à laPlace-Royaletout d'un coup descend en baset revient avec uneéchellel'appuie contre la tapisserieet avec des ciseaux semet à couper le nez à une reine Esther qui y étoiten disant: « Mordieu ! il y a deux heures que ce chien de nezme porte malheur. » Un autre donna un écu à sonlaquais pour aller jurer cinq ou six bonnes fois pour lui.

Il y a euun chevalier d'Andrieux quià trente ansavoit tué enduel 72 hommescomme il dit une fois à un brave contre qui ilse battoit; car l'autre lui ayant dit: « Chevaliertu seras ledixième que j'aurai tué. -- Et toidit- illesoixante-douzième. » En effetle chevalier le tua.Quelque fois il les faisoit renier Dieuen leur promettant la viepuis il les égorgeoitet cela pour avoir le plaisirdisoit-ilde tuer l'âme et le corps. Un jouril poursuivoitune fille pour la violerc'étoit dans un château; ellese jeta par la fenêtre et se tua. Il descendet la trouvantencore chaudeil en fit son plaisir. Cela me fait souvenir d'unhomme de Tours qui avoit une femme fort travaillée du mal demèreet quand cela lui prenoit on couroit vite chercher lemari pour la soulager. Une fois on ne le trouva pas assez tôt;elle étoit morte quand il arriva. « Hélas! mapauvre femmedit- ilsi faut-il que je te..... tandis que tu esencore chaude. » Et il fit comme le chevalier d'Andrieux. Cegalant homme étoit filou avec cela; il eut la têtecoupée.

Un jeunehomme natif de Stockholm prit querelleà Stockholm mêmeavec un trompette du prince Charlesaujourd'hui roi de Suèdeet le tua. Le voilà en prison dans le château; caraunordil y a toujours une prison dans le palais du prince. Il estcondamné à mort. Ce garçon étoit accordéavec une jeune veuve; elle le fut voir durant le terme qu'on donneaux condamnés pour dire adieu à leurs amis. Il lui ditque le seul regret qu'il avoit en mourantc'étoit de nel'avoir pas épousée; mais que s'il pouvoit obtenir dela Reine et d'elle de l'épouser et de consommer le mariageilmourroit content. Elle y consentitet sur l'heure il présentaune requête aux jugesquiaprès avoir fait faire uneconsultation par les théologiensavec le consentement de laReine lui permirent de se marier. La Reine eut la curiosité devoir quelle contenance auroient ces deux mariés en une actionsi extraordinaireetpar une fenêtre qui répondoitdans la prisonelle se mit à les considéreret trouvaque ce garçon avoit un visage aussi gai que s'il n'eûtpoint dû mourir. Pour luiil reconnut la Reine à cettefenêtreet lui fit tous les remerciements dont il puts'aviserde la bonté qu'elle avoit eue de lui accorder cequ'il avoit demandé. La Reinetouchée de sa constancelui donne encore quatre jourspar- dessus les huit que la loi donne.Ce garçon consomma le mariageet le terme de l'exécutionapprochoit quand les ambassadeurs de Moscovieétant sur lepoint d'avoir leur audience de congéfurent priés dedemander la grâce de ce jeune hommeou bien la demandèrentd'eux-mêmesen remontrant à la Reine que le princequiétoit jeune et galantseroit ravi d'avoir sauvé la vieà un homme qui savoit si bien aimer; quesans douteilreconnoîtroit cette faveuret qu'il en témoigneroit sesressentiments à sa Majesté. La Reinequi avoit pitiéde ce jeune hommeet qui n'osoit pourtant violer les loisqui sontfort sévères contre les meurtriersfut bien aise depouvoir dire qu'en bonne politique elle ne pouvoit refuser cettefaveur aux ambassadeurs de Moscovie. Elle leur accorda donc la grâcede ce jeune hommeet eux l'en remercièrent genouxet entouchant du front la terrequi est la plus grande marque de respectparmi eux.

Deuxgentilshommes de Normandiedont je n'ai pu savoir les nomsétoientennemis mortels. L'un d'eux tomba maladeet se vit bientôt àl'extrémité; l'autrecomme s'il eût cru qu'il yalloit de son honneur que cet homme mourût autrement que de samainse déguise en médecinentre dans la chambre dumalade (les valets crurent que c'étoit un médecin qu'onavoit mandéou qui devoit consulter avec le médecinordinaire); cet homme donne diverses commissions aux gens du maladeet fait si bien qu'il demeure seul dans la chambre; alors ils'approche du litet dit à son ennemi: « Me connois-tubien ? -- Ah ! répondit l'autreje te prielaisse-moi mouriren paix. Nonrépliqua le meurtrieril faut mourir de mamain. » Et en disant celail lui donne cinq ou six coups depoignardet le tue; puisil le couvre du drapdescend en basditaux gens qu'ils eussent bien soin de faire ce qu'il avoit ordonnéque leur maître reposoit qu'on ne lui fît point de bruitet qu'il se porteroit mieux. « Pour moiajouta t-iljerepasserai tantôt par ici. » Il monte à cheval etse sauve.

Un garçonde Parisdont je n'ai pu savoir le nomcouchoit avec la femme deson voisinet ayant été obligé d'aller au lieud'honneurpar compagnieil gagna du malet en donna aprèsà cette femmesans savoir qu'il en eut lui-mêmecommecela arrive assez souvent. Elle s'en aperçut de bonne heureet lui dit qu'il trouvât quelque invention pour en donner àgarder au mari. Ce garçon convie quelques-uns de ses amis àdîner chez lui; il invite aussi le mari de cette femme; il vavoit fait trouver des mignonneset en avertit une qui étoitla plus jolie et la plus adroitede faire toutes les chosesimaginables pour obliger cet homme à la voir. Elle en vint àbout. Le soirsa femmequi avoit le motle caressa si bien qu'ilfit le devoir conjugal. Il ne manqua pas de gagner le mal qu'elleavoit. Dès qu'elle s'en fut aperçueelle lui fit unbruit du diableet le pauvre mari confessa son délitet luidemanda humblement pardon.

Pellotétoit un intendant de M. de Metzaujourd'hui le duc deVerneuil. Ce garçon avoit du bien et de l esprit; j'ai vud'assez bons vers de sa façon. Il tomba dans une mélancoliequi lui fit haïr la vie. Il envoie quérir son médecinet lui demande sérieusement quel genre de mort lui sembloit leplus doux; quepour luiil avoit dessein de sortir de la vieetqu'il avoit pensé à se couper la gorge avec un rasoir.« Ne faites pas celadit le médecin; quelquefois on nese coupe pas la gorge qu'on croit se l'être coupée; onguéritmais on souffre beaucoup. -- Si je me jetois d'untroisième étage sur le pavé ? -- J'en ai vu quise sont estropiés seulement. Mais voici le plus sûr: jevous purgerai plusieurs foiscar il est aisé de feindre unemaladieet aprèssous prétexte d'insomnieje vousdonnerai de l'opium; vous mourrez en dormant. » L'intention dece bon docteur étoit de le délivrer tout doucement decette humeur mélancolique. Il le purge trois ou quatre foisavec succès; le malade devenoit plus gai et ne se plaignoitplus que de ne point dormir; notre médecin lui donna del'opium croyant seulement lui donner du repos. Il le va voiron luidit: « Il dort.» Il y retourne. « Il dort encore.-- Loue soit Dieu! » A la troisièmetrouvant qu'ilavoit assez dormiil voulut le réveillermais il n'étoitplus temps; ce bon hommesans y pensertint mieux parole àson malade qu'il n'avoit cru.

LaVallièredès l'âge de quatre ansavoit uneestampe du Roiet disoit qu'elle vouloit être sa maîtresse.Ce fut elle qui eut l'adresse de se faire faire fille de Madame.



MUETS

J'ai vumille fois un homme muet et sourdassez bien fait de sa personne etassez propre. Il plioit le linge admirablement bien en toutes sortesd'animauxet se faisoit entendre aussi bien que personne ait jamaisfait. Il alloit à Charentonet par signes on lui demandoit dequelle religion il étoitil mettoit son chapeau sur sa têteet son manteau sur ses deux épaulespuis mettoit une tabledevant lui: il faisoit des mains comme un ministre en chaire. Avectout celaquand il y avoit procession à Saint- Sulpicesaparoisseil prenoit une hallebardeetmarchant devantil faisoitranger le monde. Il lui prit envie de se marieret pour faireentendre sa volonté il se présenta au consistoire.Mestrezatle ministrefut le premier qu'on envoya pour tâcherd'entendre ce qu'il vouloit. Le muet lui fit quelques signeset setouchoitmettoit les mains l'une dans l'autrecomme ceux qui sedonnent la foi; mais le bonhomme n'y comprit rien. On y envoyaensuite Dailléaussi ministreà quioutre tous lessignes précédentsil en fit encore un autrecarfaisant un rond de son pouce et du doigt index de la main gaucheilpassoit dedans le doigt index de la droiteet mettoit la chevilledans le trou. Daillé dit qu'il croyoit que cet homme vouloitfaire du boudin. Enfin on le fait entreret lui pour lever toutedifficulté tira son chose en bon étatet .....ainsi qu'un sonneur de cloches. Alors on le lui permitvoyant qu'ilsavoit si bien ce qu'il demandoitet qu'il étoit si bienpréparé. Sa femme et lui se mirent à se mêlerde maquerellage. Un jour de petits enfants lui avoient fait quelqueniche; il prit un pistolet et en suivit un. Un armurier l'arrêta;il tira à cet homme sans le blesser; pourtant voilà dela rumeur: on pilla la maison du muetet je ne sais ce qu'il devint.

Il y avoitsur le chemin de Notre-Dame-de-Liesse un gueux qui faisoit le muet;effectivementil savoit si bien retirer sa langue qu'on ne la voyaitpoint du tout. Une dame de mes amies (madame Perreau) se douta qu'ily avoit de la subtilitéet lui promit dix sous s'il vouloitdire combien il y avoit qu'il étoit muet. Il fut long-temps às'y résoudre; enfin après avoir bien regardés'il n'y avoit point d'autres gensil lui dit: « Madameil ya quatre ans que je suis muet. » Et il eut son demi-quartd'écu.

Tillet-Saint-Leuconseiller à la grand'chambrea un grand fils bien faitquiest d'église: ce garçon est sourd et muetnaturellement. Cependant insensiblement il a appris quelques mots: ilparle comme un enfant qui ne sait que quelques façons deparler; il écrit des lettres comme celles que les enfantsdictent: cela ne se suit point. Il n'entend que certaines personnesencore est-ce plutôt au mouvement de leurs lèvresqu'autrement; il est propreil fait bien des choses de ses doigts;et ce qui m'étonne le plusc'est qu'il danse bien et encadence.



CONTESSUR LE MARIAGE

MylordDigbyhomme de qualité en Angleterreétoit un hommequi aimoit fort les secrets; il a cherché la pierrephilosophale. La peinture étoit une de ses passions. Orcethomme avoit une femme qui étoit une des plus belles personnesde l'Angleterre; il l'aimoit tendrementmais il vouloit bien qu'onle sût; et comme il affectoit de passer pour le meilleur maridu mondeet que son esprit se portoit assez de soi-même auxchoses extraordinairesil fit peindre sa femme nuepuis en mettantsa chemiseen habit du matinhabilléecoiffée denuitles cheveux épars se coiffant; brefde toutes lesmanières dont il put s'aviser. etcomme elle mourut jeuneilla fit peindre dès le commencement de son malpuis quand ellefut affoiblieet ensuite quasi tous les jours jusqu'à samort. Ces derniers portraits étoient bien faitsmais ilsfaisoient peur. Ils étoient tous de la main d'un excellentenlumineur.

Feu M. deNoailles avoit un Suisse qui se marioit en tous les lieux oùson maître faisoit d'ordinaire du séjour. Il avoit unefemme en Rouergueune en Gascogneune en Limousin et une àParis.

Un hommequi fut en prison parce qu'il avoit quatre femmesinterrogé àla Tournelle pourquoi il en avoit tant épouséréponditnaïvement qu'il avoit voulu voir s'il en trouveroit une bonne;que la première ne valoit rien du toutla seconde guèremieuxla troisième n'étoit pas si méchantelaquatrième un peu meilleure que la précédente etqu'il espéroit enfin rencontrer ce qu'il cherchoit. On trouvaqu'il disoit cela si bonnement qu'on se contenta de l'envoyer auxgalèrespour punition de la folle entreprise qu'il avoitfaite.

A proposde celaoutre la vigne qu'on dit que M. l'archevêque doitdonner à celui qui au bout de l'an n'aura point de repentir des'être mariéon dit qu'il y avoit un curé àSainte- Opportune qui disoit au prône qu'il donneroit des poispour le carême à ceux qui n'obéissoient point àleurs femmes. Quand il avoit questionné les marispas unn'emportoit de ses pois. Un crocheteur y allabien résolud'en avoir; le curé l'interroge sur la taverneetc.: il ne lepouvoit attraper. « Prenez donc des pois » lui dit-il.Comme le crocheteur remplissoit son sac: « Vous deviezajouta-t-ilen prendre un plus grand. -- Je le vouloisdit lecrocheteurmais notre femme n'a pas voulu. -- Ah ? je vous tiensdit le curé: vous n'avez que faire de sac; laissez mes pois. »

Unmarchand de Bordeauxdont je n'ai pu savoir le nométoitamoureux de la servante de sa femmeet afin de pouvoir coucher aveccette fille sans que sa femme s'en aperçûtil obligeaun des garçons de la boutique à tenir sa place pour unenuitaprès lui avoir bien fait promettre qu'il ne toucheroitpoint à madame. Ce garçonqui étoit jeunenese put conteniret fit quelque chose de plus que le mari n'avoitaccoutumé de faire. Le lendemainla femme croyant que ç'avoitété son maricar il s'étoit revenu coucherauprès d'elle un peu devant le jourlui alla porter unbouillon et un couple d'oeufs frais. Le marchand s'étonne decet extraordinaire: « Eh! lui dit-elle en rougissantvousl'avez bien gagné. » Par là il découvritle pot aux roses. Depuisil accusa ce garçon de l'avoir voléet le mit en procès. Ce garçon dit le sujet de la hainede son maître; etpar arrêt du parlement de Bordeauxlafemme fut déclarée femme de bienet le mari cocu àtrès juste titre.

Voici uneautre histoire un peu plus tragique. Un gentilhomme de BeauceentreDourdan et Etampesnommé Baye-Saint-Légeravoit unefort belle femmeet cette femme avoit une femme de chambre aussibelle qu'elle. Le maricomme on se lasse de toutdevient amoureuxde cette fille; la presseelle résisteet enfin le dit àsa maîtresse. La femme dit: « Il faut l'attraper. Dansquelque temps faites semblant de consentir et lui donnez unrendez-vous. ». Oril arriva que le propre soir queSaint-Léger avoit rendez- vous de cette filleun de sesmeilleurs amis vient chez lui. Pour s'en défaireil le mènecoucher bien plus tôt que de coutume. L'ami en a du soupçonveut savoir ce que c'est; il le lui avoue. Ce gentilhomme lui en faithonteet lui persuade de lui donner sa place; il va au rendez-vousau lieu de Saint Léger. Il y trouve la femme de son amiquipour se moquer de son mariavoit joué tout ce jeu-là.Il fait ce pourquoi il étoit venu. Elle a conté depuisquede peur de rireelle se mordoit les lèvres. C'étoitdans un jardinet il ne faisoit point clair de lune. L'ami revientbien satisfaitet le mari se couche auprès de sa femme. Lerécit que lui avoit fait son ami lui avoit fait venir l'eau àla bouche; il veut en passer son envie. Sa femme lui dit en riant: «Seigneur Dieu! vous êtes de belle humeur ce soir. -- Quevoulez-vous dire? lui dit- il. -- Eh! répondit-ellene voussouvenez-vous plus du jardin ? » Le pauvre homme devinaincontinent ce que c'étoit. Il ne fit semblant de rien; maisil fut si saisi qu'il en mourut. Elledepuisa étéfort abandonnée et est morte de la v...

Le comtede Saint-Pauldernier mortfut aussi attrapé par sa femmequi prit la place d'une demoisellemais il ne put rien faire. VoyantcelaElle lui dit en riant: « Vraimentvous êtes un belhomme à rendez-vous ! -- Ah! lui dit-ilje ne m'en étonnepas... il sentoit sa vieille écurie. »

Unprésident de Parisdont on n'a jamais voulu me dire ni lenomni la cour dont il étoit présidentni mêmes'il vivoit ou s'il étoit morttant on avoit peur que je nedécouvrisse qui c'estun président donc fut averti parson clerc que sa femme couchoit avec un cavalier. « Prenez biengardedit-il à ce clercà ce que vous dites.--Monsieurrépondit l'autresi vous voulez venir du Palaisquand je vous irai quérirje vous les ferai surprendreensemble. » En effetle clerc n'y manque paset le mari entreseul dans la chambreles surprend. Il enferme le galant dans uncabinet dont il prend la clefet retourne à son clerc. «Untellui dit-ilje n'ai trouvé personne; voyez vous-même.»Le clerc regarde et ne trouve point son cavalier. « Vous êtesun méchant hommelui dit le président; tenezvoilàce que je vous doisallez-vous-enque je ne vous voie jamais. »Il le met dehors; après il revient au cavalier: «Monsieurc'est ma femme qui a tort; pour vousvous chercherez votrefortuneallez-vous-en; mais si je vous rattrapeje vous feraisauter les fenêtres. » Pour sa femmequand elle futseuleil lui dit qu'il ne savoit pas de quoi elle pouvoit seplaindre; qu'à son avis elle avoit toutes les chosesnécessaires. Elle pleuraelle se jeta à ses piedsluidemanda pardonet lui promit d'être à l'avenir lameilleure enfant du monde. Il le lui pardonnaet depuis elle lui arendu tous les devoirs imaginables.

Unconseiller d Etat de l'infante Claire-Eugénie avoit une bellefemmeet quoiqu'ils n'eussent guère de bienleur maisonalloit pourtant comme il falloitet ils faisoient fort bonne chèrecar la galante en gagnoit. Cela dura assez longtemps sans que le maris'informât d'où venoit cette abondance. La femmeétonnée d'une si grande stupiditépeu àpeupour voir s'il s'apercevoit de quelque chosediminual'ordinaire. Il ne disoit rienet faisoit semblant de ne le voirpas. Enfinelle retrancha tant qu'elle le réduisit àun couple d'oeufs. Alors la patience lui échappa il prit lesdeux oeufset les jeta contre la murailleen disant: « Est-celà le dîner d'un cocu ? » Ellevoyant qu'ilentendoit raillerieremit dès le lendemain les choses en leurpremier état. J'ai ouï faire ce conte d'un Françoiset je pense qu'il est de tous pays; mais il n'en est pas moins bonpour cela.

M.Guycélèbre traiteur à Parisne trouvant ni safemme ni un des principaux garçonsune fois qu'il avoit biendes gens chez luialla fureter partoutet les rencontra aux prises:« Hé ! vertu-Dieu! ce dit-ilc'est bien se moquer desgens que de prendre si mal son tempset ne pouviez-vous pas attendeque nous eussions un peu moins d'affaires ? »



BONSMOTSNAïVETÉS.

M.l'évêque de Noyon (Baradas)disoit à l'abbéLe Camusaumônier du Roi (1658): « Tout est ruinéà mon évêchéil ne s'est sauvé quemes prés. -- Hé bien ! répondit l'abbéavec un peu d'avoinevoilà de quoi vivre. »

Mon pèreavoit un commis naïffort dévot et fort chaste: un jouril ne trouvoit pas son compte. on ouït qu'il prioit Dieuetdisoit: « Seigneurtu sais que j'ai mon pucelage et cependantje ne trouve point mon compte. »

La Cuissechirurgien qui accouche les femmesdit qu'un jour une personne bienfaite et bien vêtue le vint prier chez lui de l'accoucherlecontenta bienet après le pria de donner l'enfant à unhomme fait de telle façon. Quelque temps aprèson vintquérir La Cuisse pour une maîtresse des requêtes;c'étoit elle-mêmeet elle lui dit tout bas: « Jecrierai cette fois pour celle-ci et pour l'autre. »

Le jeuneGuénautmédecinvenoit d'accoucher une fille de bonlieuet comme il en apportoit l'enfant sous son manteauun grandlaquais de la maison lui vint dire tout bas à l'oreille: «Monsieurse porte-t-il bien? -- Quel coquin est- ce là? ditle médecin. -- Monsieurrépond le laquaisj'ai autantd'intérêt qu'un autrepour le moins; c'est de mon fait.»

Henri IVétant à Cîteauxdisoit: « Ah ! que voiciqui est beau ! mon Dieule bel endroit!... » Un gros moineàtoutes les louanges que le Roi donnoit à leur maisondisoittoujours: Transeuntibus. Le Roi y prit gardeet lui demandace qu'il vouloit dire: « Je veux direSireque cela est beaupour les passans et non pas pour ceux qui y demeurenttoujours. »

Henri IVà Poissydemanda à la petite de Maupeoudepuisabbesse de Saint-Jacques- de-Vitry: « Qui est votre pèremignonne? -- C'est le bon DieuSire. -- Ventre saint- gris ! jevoudrois bien être son gendre. » Elle en donna plus d'unau bon Dieula bonne dameet elle juroit familièrement parles six enfants que j'ai portés.

LaReine-mère demanda un jouren riantau passager (1) du portde Nully (Neuilly) si sa femme étoit belle. « Mafoi! ce dit-ilMadamel'on en f... de plus laides.»

[(1)Passeur.]

Le laquaisde Gombauldlisant le livre des Roisdisoit: « Si j'eusse étéDieuje n'eusse point fait de si sots rois que cela. »

Un laquaisne vouloit point quitter son maîtreet disoit: « Oùen trouverois-je un qui me fît autant rire que celui-ci ? »

Un moineprêchoit sur la mort à Fontevrault: il y avoit une fortjolie religieuse à un coin de la grille; elle lui avoit étécruelle. Il disoit: « On dit à la Mort: Prends cettevieille. -- Je ne veux pasdit-elle; je veux cette jeuneje veuxcette jeune. » Il trouva moyen de dire dix fois: je veuxcette jeune.

D'Audiguierauteur de Lysandre et Calistedisoit à Théophilequ'il ne tailloit sa plume qu'avec son épée: « Jene m'étonne donc paslui dit Théophileque vousécriviez si mal. »

Unbourgeois de Châlons avoit son fils au collège desJésuites à Rheims. Ce filspar l'avis des Jésuites.lui demanda les Vies des Saints: il lui envoya les Vies desHommes illustres de Plutarqueet lui manda que c'étoientles saints des honnêtes gens.

A Alençonil y avoit un M. Fouteau: pour rireon appeloit sa femmemademoiselle Foutelle . Un homme alla le demanderet dit: «Monsieur Fouteau y est-il ? -- Nondit une fille. -- Et mademoiselleFoutelle ? -- NonMonsieur. elle mange son potage. »

Une joliefemme de Clermonten Auvergneappelée madame de Vincellesquand son mari lui a fait celalui dit naïvement et debonne foi: « Grand mercimonsieur de Vincelles ! »

Le ducd'Ossonesans être vuentendit une fois trois soldats quifaisoient des souhaits. L'un souhaitoit d'être capitaine degalèrele second d'avoir une lieutenance dans un des châteauxde Naplesle troisièmemoins intéressé decoucher avec la femme du vice- roi. Le duc leur dit: « Mesamisil ne tiendra pas à moi que vous ne soyez contents. »Il fit le premier capitaine de galèrele second lieutenantdans un des châteauxetpour le troisièmeil le menaà sa femme et lui dit: « Madamej'ai fait ce que jepouvois pour satisfaire ces messieurs; mais il y en a un que je nepuis contenter sans vousvoyez si vous êtes assez obligeantepour cela. »

Etantentré dans les galères de Naplesil s'informa desforçats ce que chacun avoit fait; tous firent leur apologieon les y avoit mis à tort; il n'y en eut qu'un seul qui luiavoua franchement qu'il le méritoit et par-delà. «Otezdit-il au commissairece méchant homme d'iciilgâteroit tous ces gens de bien. »

Uncriminel qu'il avoit condamné à sauter d'un rocher enbas faisoit bien des façons et avoit bien de la peine àfranchir le saut. « Tu es bien longtempslui cria-t-il. --Monsieurrépondit l'autrecroyez-vous cela si aisé?Je vous le donne en douze. » Le mot lui sembla plaisant. il luifit grâce.

Un neveudu petit Gramond de M. d'Orléans fut mené chez madamede Bournonville. « Quoi ! dit-ellele neveu du petit Gramondce grand m... ! -- Quoi ! madamelui répondit ce garçonseroit-il assez heureux pour vous avoir rendu quelque service ? »

Le feu Roitrouva un paysan naïf dans je ne sais quel villageversSaint-Germain; il s'en voulut divertir et le fit approcher. «Hé bien ! Monsieurlui dit cet hommeles bléssont-ils aussi beaux vers chez vous qu'ils sont vers chez nous? »Il se nommoit Jean Doucet. Le Roi le prit en affectionet le mena àSaint-Germain. Là il se mit à jouer à lapierrette avec luiet lui gagna dix solsce dont l'autre pensaenrager. Le Roi en étoit si aise qu'il porta ces dix sols àRuelpour les montrer au cardinal. Un jour le Roi lui donna vingtécus d'or; il les pritetfrappant sur son goussetildisoit: « I vous revanrontSirei vous revanront; vousmettez tant de ces taillesde ces diébleries sur les pauvresgens ! »

AuPays-Basdes moines et des religieuses représentoient laPassion. Un gros moine étoit en croixet une belle religieuseà ses piedsqui faisoit la Madeleine. Elle avoit des tétonsqui tentoient le drôle. Comme il sentit que le linge qui étoitdevant son honneur commençoit à se soulever . «Otezdit-ilcette Madeleine; elle gâte tout le jeu. »

Une bonnefemme dit à une Reine de France qui alloit en pèlerinageà Chartrespour avoir des enfants: « Vous n'avez qu'àvous en retournercelui qui les faisoit est mort. »

Il y a àMontmartre un tableau de Notre Seigneur et de la Madeleinede labouche de laquelle sort un écriteau où il y a Raboni.Les bonnes femmes en ont fait un saint Rabonny qui rabonnitles mariset on y fait des neuvaines pour cela.

Legrand-prieur de La Porte disoit: « Je ne suis pas plus àmon aise que quand je n'avois que vingt-cinq mille livres de rentes;cela ne me sert qu'à avoir plus de voleurs autour de moi. Monsommelier dit que le vin lui appartient dès qu'il est àla barreet n'a point d'autre raison à m'alléguersinon qu'on en use ainsi chez M. le cardinal; le piqueur prétendque le lard est à lui dès qu'il en a levé deuxtranches; le cuisinier n'est pas plus homme de bien qu'euxnil'écuyerni les cochers; sans parler du maître d'hôtelqui est le voleur majormais ce qui me chicane le plusc'estque mes valets de chambre me disent: « Monsieurvous porteztrop long-temps cet habit; il nous appartient. »

Unepaysannecomme on portoit en procession le chef de saint Marclejour de sa fêtepar les vignesqui avoient étégelées pendant la nuitdit naïvement: « HaussezHaussez-le bien hautqu'il voie le beau ménage qu'il a fait.»

Lescapucins de Grasse prirent un garçon qui voloit leurs fruits;ils firent venir le pèrequi lui dit: « Hé bien! si tu ne veux rien valoirfais-toi au moins capucin. »

Ma mèreme dit un jour: « Pourquoi acheter des livres ? N'avez- vouspas fait toutes vos études ? »

M. deVendômebâtard de Henri IVpassant à Noyonlogea aux _Trois-Rois. Le fils du maître de la maisonnouvellement reçu avocatcrut que sa nouvelle dignitél'autorisoit à aller faire la révérence àM. de Vendôme; il y va. M. de Vendôme lui demande qui ilétoit. « Monsieurje suis le fils des Trois-Rois.-- Le fils de trois Rois.... Monsieurje ne suis le fils que d'un:vous prendrez le fauteuil: je vous dois tout honneur et tout respect.»

Un ivrognepissoit dans sa cour; il pleuvoit et une gouttière alloit. Ildemeuroit trop long-temps; sa femme l'appelle. Il croyoit que c'étoiten pissant qu'il faisoit le bruit que faisoit l'eau dans lagouttièreet il lui répondit: « Vavajepisserai tant qu'il plaira à Dieu. »

Un avocatau Conseilnommé Chapuiseaufit un cachet où un chatpuisoit de l'eau. Il composa un livre qu'il appeloit le Devoir del'homme. Il promit à un conseillernomméChampdentde lui montrer le manuscrit; il fut chez ce conseilleretn'ayant trouvé que madameil lui voulut laisser son livre(c'étoit un gros rouleau qu'il avoit fourré dans seschausseset qui paroissoit). Il y met la main pour le tirer. «Jésus! monsieur Chapuiseauque faites-vous ? -- madamedit-il naïvementc'est le Devoir de l'homme. »

En unvillage d'Espagneon condamna un tailleur à être pendu;les habitants allèrent trouver le jugeet lui dirent: «Cela nous incommodera biencar il n'y a que ce tailleur.Laissez-le-nousetsi c'est que vous vouliez prendre quelqu'unnous avons deux charronsprenez lequel il vous plaira: ce sera assezd'un de reste. »

Unbourreau vouloit quitter la ville d'Angers parce qu'on n'y faisoitpoint d'oeuvre délicatequ'on n'y faisoit que pendre.

MadameCornuel faisoit un jour des réprimandes à une gueusequi traînoit deux ou trois petits enfantsde ce qu'elle ne secontenoit pointn'ayant pas de quoi se nourrir elle seule. «Que voulez-vous ? lui répondit la pauvre femmequand le painnous manquenous nous ruons sur la chair. »

Rotroulepoète comiqueou tragiqueou tragi-comiquecomme il vousplairacajoloit une fille à Dreuxsa patrie. Elle lerecevoit assez mal. On lui dit: « Vous maltraitez bien cethomme: savez-vous bien qu'il vous immortalisera ? -- Lui ? dit-elle.Ah ! qu'il y vienne pour voir. »

Unintendant de Languedocdont la femme étoit morte dansBéziersvouloit que la province la fît enterrer àses dépens. Un député qu'on lui envoya lui ditque cela tireroit à conséquence. « Si c'étoitvousMonsieuron le feroit volontiers. »

Morinlefleuriste (c'est le jeune)est une espèce de philosophe; unefois qu'il étoit bien maladeson curé lui disoit: «Ramassez toutes vos peines et les offrez à Dieu. -- Je luiferois làdit-ilun beau présent! »

Un founommé Cyrano fit une pièce de théâtreintitulée la Mort d'Agrippineoù Séjanus ditdes choses horribles contre les dieux. La pièce étoitun peu galimatias. Sercy qui l'imprimadit à Bois-Robertqu'il en avoit vendu l'impression en moins de rien. « Je m'enétonnedit Bois- Robert. -- Ah ! Monsieurreprit lelibraireil y a de belles impiétés. »



SUITEDES BONS MOTS ET NAïVETÉS (1)

[(1) Cechapitre est extrait d'un manuscrit qui n'est plus attribué àTallemant et que Monmerquétrompé par le tonavaitinséré dans sa 2e édition. Les mots quel'on y trouvera n'en sont pas moins bons_.]

Au sacredu coadjuteur de Rouenune dame disoit qu'il lui sembloit sembloitêtre en paradistant elle trouvoit beau ce cercle d'évêques.« En paradis ? lui dit-onil n'y en a pas tant que cela. »

L'abbéde La Victoirevoyant entrer les dames quêteusescrioit àses gens du haut de l'escalier: « Qu'on ne laisse entrerpersonne à cause de cette petite vérole. » Ellescourent encore.

Pour dire:Je n'ai pas tant de mérite que vousune dame françoisedisoit à une Italienne: « Non sono tanto meretrice(1) ccome vostra signoria. »

[(1)Meretricecourtisane en italien.]

DesBarreaux entendant un grand tonnerre un vendredipendant qu'ilmangeoit une omelette au lardse leva de table et jeta l'omelettepar la fenêtredisant: « Voilà bien du bruitlà-haut pour une omelette. »

M. L...disoit: « J'ai reçu tous les sacrementsexceptéle mariageque je n'ai jamais reçu en original; mais j'en aitiré plusieurs copies. »

M. LeFéron étant attaqué des voleurs dès lescinq heures du soir leur dit: « Messieursvous ouvrez de bonneheure aujourd'hui. »

Montmaurétant à table en compagnie où l'on faisoit grandbruit de rire et chanterdit tout haut d'un air chagrin: « Ah! Messieursun peu de silence ! On ne sait ce qu'on mange. »

La chargela plus difficile à exercer à la cour est celle defille d'honneur.

Un ivrogneayant roulé tout un escalierétant en basditfroidement: « Aussi bien voulois-je descendre ! -- Dieu vous abien aidélui dit-onde ne vous être pas blessé.-- Parbleurépondit-ilvoilà un beau secours! Il nem'a pas aidé d'un seul échelon. »

Uncapitaine ayant volé une pièce de drap à unmoine de pays ennemi qu'il rencontrale moine lui dit en s'enallant: « Je vous remets au jour du jugementoù vous mela rendrez. » Le capitaine dit: « Puisque tu me donnes unsi long termeje prendrai encore ton manteau. »

L'on ditun jour à un prélat qui ne résidoit que rarementdans son évêché: « C'est bien faitMonseigneurcela marque la confiance que vous avez en Dieu; votrediocèse peut- il être mieux que sous la conduite de laProvidence ? »

L'Angeliétant entré un matin chez monseigneur l'archevêquede Harlayon lui dit à l'antichambre que monseigneur étoitmalade. Il attendit et vit sortir de la chambre une jeune fillehabillée de vert. Enfin il entraet monseigneur lui dit qu'ilavoit eu trois ou quatre évanouissementsla nuit. «C'est donc celadit-ilque j'en ai vu passer un habillé devert ? »

Le Ducd'Ossone promit mille pistoles aux Jésuitess'ils luifaisoient voir qu'on pût donner l'absolution par avance d'unpéché non encore commis. Après avoir biencherchéils lui apportèrent un de leurs auteursetlui donnèrent l'absolution qu'il demandoit. Il leur donna unelettre de change à recevoirà quatre lieues. Ilstrouvèrent en chemin douze drôles qui les battirent etleur prirent la lettre de change. Ils vinrent se plaindre au ducquileur dit que c'étoit là le péché qu'ilavoit envie de commettreet qu'ils l'en avoient absous.

Unconfesseur demandoit à un soldat qui se confessoit s'il avoitjeûné. « Que tropmon pèrerépondit-il;j'ai quelquefois été huit jours sans manger du pain. --Mais si vous en eussiez eudit le confesseurvous en eussiez mangé? -- Très assurémentrépondit le soldat. --Maisajouta le confesseurDieu ne prend pas plaisir à cesjeûnes forcés. -- Ma foirépliqua le soldatnimoi non plusmon père. »

Maldachinétant amant favori de donna Olimpiaet partageant ses plusdouces faveurs avec le papeelle lui dit un jour dans ses transportsles plus violents: Coragiomi Maldachinti fara cardinale;mais il lui répondit: Quando sarebbe per esser papa non possopiù_ (1).

[(1)Courageje te ferai cardinal. -- Quand cela serait pour êtrepapeje ne peux plus. ]

Clermont-Tonnerreévêque de Noyondisoit dans une maladie qu'il avoit: «Hélas ! Seigneurayez pitié de ma grandeur. »

Le mêmeévêque disoit des docteurs de Sorbonne: « C'estbien affaire à des gueux comme cela de parler du mystèrede la Trinité. »

Rabelaisétant fort maladeson curéqui ne passoit pas pour unhabile hommele vint voir pour lui administrer les sacrementsetlui montrant la sainte hostielui dit: « Voilà votreSauveur et votre maître qui veut bien s'abaisser jusqu'àvenir vous trouver; le reconnaissez-vous bien? -- Hélas ! ouirépondit Rabelaisje le reconnois à sa monture. »

Lesvoleurs attaquèrent un soir madame Cornuel. L'un d'euxentrant dans son carrossecommença par lui mettre la main surla gorge; mais elle lui repoussa le bras sans s'effrayerlui disant:« Vous n'avez que faire làmon ami; je n'ai ni perlesni tétons. »



MOTSD'ENFANTS

Cetteenfantla petite de Montausierelle n'a encore que onze ansa ditde jolies choses dès qu'elle a été sevrée.On amena un renard chez son papa; ce renard étoit à M.de Grasse. Dès qu'elle l'aperçut elle mit ses mains àson collier; on lui demanda pourquoi: « C'est de peurdit-elleque le renard ne me le vole: ils sont si fins dans lesFables d'Ésope. »

Quelquetemps après on lui disoit: « Tenezvoilà lemaître du renard; que vous en semble? -- Il me sembledit-elleencore plus fin que son renard. » Elle pouvoit avoir sixans quand M. de Grasse lui demanda combien il y avoit que sa grandepoupée avoit été sevrée: « Et vouscombien y-a-t-il? lui dit-ellecar vous n'êtes guèreplus grand. »

A cause dela petite vérole de sa tante de Rambouilleton la mit dansune maison là auprès. Une dame l'y fut voir: « Etvos poupéesMademoisellelui dit-elleles avez- vouslaissées dans le mauvais air ?-- Pour les grandesrépondit-elleMadameje ne les ai pas ôtéesmais pour les petitesje les ai amenées avec moi. » Apropos de poupéeselle avoit peut-être sept ans quandla petite des Réaux la fut voir. Cette autre est plus jeune dedeux ans. Mademoiselle de Montausier la vouloit traiter d'enfantetlui disoit en lui montrant ses poupées: « Mettons dormircelle-là. -- J'entends biendisoit l'autrece que vousvoulez dire. -- Nontout de bonreprenoit-elleelles dormenteffectivement. -- Voire ! je sais bien que les poupées nedorment pointrépliquoit l'autre. -- Je vous assure que siqu'elles dormentcroyez-moi; il n'y a rien de plus vrai. -- Ellesdorment doncpuisque vous le voulez» dit la petite des Réauxavec un air dépité; et en sortant elle dit: « Jen'y veux plus retournerelle me prend pour un enfant. »

On luidemandoit laquelle étoit la plus bellede madame deLongueville ou de madame de Châtillonqu'elle appeloit sabelle mère. « Pour la vraie beautédit-ellema belle- mère est la plus belle. »

Elledisoit à un gentilhomme de son papa:« Je ne veux passeulement que vous me baisiez en imagination. »

Ellefaisoit souvent un même conte. Madame de Montausier dit: «Fi ! fi ! où avez-vous appris cela? De qui le tient-elle ? --Attendezdit cet enfantne seroit-ce point de ma grand'maman deMontausier ? » Cela se trouva vrai.

Elledisoit qu'elle vouloit faire une comédie: « Maismagrand'mamanajoutoit-elleil faudra que Corneille y jette un peules yeux avant que nous la jouions. »

Un page deson pèrequi étoit fort sujet à boires'étantenivréle lendemain elle lui voulut faire des réprimandes.« Voyez-vouslui disoit-elle. pour ces choses-làjesuis tout comme papavous n'y trouverez point de différence.»

« CeMégabase (C'est M. de Montausier dans Cyrus)quelhomme est-ce à votre avis ? lui dit madame de Rambouillet. --C'est un homme promptrépondit-ellemais il n'est rienmeilleur au fond; il est comme cela pour faire que les gens soientcomme il faut. »

On luidit: « Prenez ce bouillon pour l'amour de moi. -- Je leprendraidit-ellepour l'amour de moiet non pour l'amour de vous.»

Un jourelle prit un petit siège et se mit auprès du lit demadame de Rambouillet. « Or çàma grand'mamandit-elleparlons d'affaires d'étatà cette heure quej'ai cinq ans. » Il est vrai qu'en ce temps-là on neparloit que de fronderie.

M. deNemoursalors archevêque de Reimslui disoit qu'il la vouloitépouser. « Monsieurlui dit-ellegardez votrearchevêché: il vaut mieux que moi. »





MAUVAISESHABITUDES EN PARLANT

M. LeMageconseiller à la cour des aides de Parisdit toujourschose au lieu du nom. Un jourrapportant un procèsilvouloit dire: « Ils le prirent par son manteau »; et ildit: « Ils le prirent par son chose. » Voilàtout le monde à rire. Le pauvre homme fut si déferréqu'il ne put jamais achever .

M. deNesmondpremier président à Bordeaux ne pouvanttrouver néant à proposprononça: «La cour a miset met l'appellation au b....l. »

On fait unconte de lui assez plaisant. Il avoit à recevoir un procureurqui avoit été cuisinier. Il l'interrogea ainsi: «Que trouvez-vous le meilleur à un chapon de l'aile ou de lacuisse ? -- Distinguo dit l'autrequi étoit boncompagnon; quand il est rôtil'aile; quand il est bouillilacuisse. -- Reçu procureurdit le président. il a ditdistinguo. »

Madame deLoméniemère de M. de Briennedisoit toujours sansque cela vînt à propos: Pour reprendre la façon.

Le frèreaîné du président Le Feronprévôtdes marchands durant le blocusen 1649 (je pense qu'il a étéaussi président aux enquêtes) disoit toujours aprèsquelques motsnon ? d'un ton interrogateur: et puis ils'arrêtoitcomme s'il eût voulu demander l'approbationdes assistants.

Feu M. lecomte de Soissons disoit tout de même quoi? Souvent onne savoit s'il ne demandoit point ce que l'on vouloit direet celafaisoit des coq-à-l'asnes.

Un hommedont j'ai oublié le nomaprès avoir bien parléne pouvoit s'empêcher de dire contre son propre sentiment: Riende tout cela..

Un autreentremêloit toujours patatinpatata; un autre parcipar là.

J'ai aussioublié le nom d'un homme de quelque condition qui ajoutoittoujours au bout de ce qu'il avoit dit: Perroquet violet sur lapointe du pied..

Leprésident Charretonaux enquêtesentremêletoujours je via ça et même dans les sentences ill'a dit jusqu'à trois fois.

Le frèredu feu président Boulanger (c'étoit un marchand)parloit beaucoup et commençoit par ce mot: Response.

Un autredisoit toujours: Ecoutez mon raisonnement; et cela quand ilavoit fait une narration.