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Jules Renard

Journal
de Jules Renard
1894-1904

 

 

 

1899

1erjanvier.

A laGloriette. Au leverje fais le voeu de renoncer cette annéeau plus possible de chosesetau déjeunerje commence parme bourrer d'oie aux marrons et de galettes de plomb.

Etl'histoire d'une fermeest-ce que vous ne croyez pas quemalgréVirgileil reste à la faire ?

2 janvier.

Clair delune. L'eau devint sérieusepincéeet serra leslèvres. Elle gelafut nette comme un miroir. Le ruisseauvoulait prendre la lune entre ses bords.

Les poulesd'eau criaientcachées dans les racinesle bec prêt.

Et la lunesemblait y aideret tout le froid tombait d'elle sur l'eau.

On latenait ! Les rats allaient la prendre avec leurs dents.

On ne latenait pas du tout. Elle s'échappecomme toujourssanseffortet laisse l'eau toute morne.

Arbresd'hiver dessinés à la plume. Le marronnier dresse sesbaïonnettes. Le saule aux cheveux secs est tout ébouriffé.

LesPhilippe. Ils oublient de fermer les portes. Ils chauffent leurscheminéesmais pas eux. Ils ne voient ni n'entendentpersonne. Les mendiants même ne viennent plus tirer lasonnettefrapper à la porte.

-- Il faittrop froiddit Philippeet ils sont plus riches que nous. Pendantl'hiverils peuvent se retirer dans leurs châteaux.

Certainementils sont plus riches que lui.

LesPhilippe n'ont eu qu'une alerte. Ils dormaient. Tout à coupils furent réveillés par une forte détonation.Au clair de la lune qui était entrée dans la chambre etl'illuminait comme une flambée de chènevottesIls seregardaientassis sur leur littout pâles de lune etd'effroi.

Longtempsils se demandèrent ce que ce pouvait êtren'osant pasremuer. Ce fut elle qui s'aperçut la première que lebalancier de l'horloge ne marchait plus. Elle n'en eut que plus peur.Philippe s'enhardit et se levapieds nus. Tout s'expliqua.

La corded'un des poids avait casséet le poids était tombéavec un bruit de canonébranlant tout. Philippe voulait leraccrochermais elle lui dit :

-- Tu leraccrocheras aussi bien demain !

Ils serendormirentaprès avoir bien ri et bien répétéà l'horloge détraquée :

-- Mâtine! Tu nous en as faitune peur !

La glacesucée par les lèvres de l'eau.

Lesplaisirs ne me font pas plaisir.

Jevoudrais être la résultante de mon village.

Le vivier.Des morceaux de glace montrent le dos et nagent comme des poissons.

Le premierjanvierils s'offrent des gouttes de cassis.

Elle esten deuil de son pèrequi est mort chez elle. Elle en profitepour ne pas faire de feu dans sa maison et pour allerle pluspossiblese chauffer chez les voisins. Elle dit qu'elle ne peut pasrester seule. Cela paraît bien naturelet tout le monde luifait place autour du poêle.

Je suis némaire de village.

Le bruitde soie que font les joncs.

Le bergeravec ses moutons a l'air d'une église avec son village.

Lescheminées. Il y descend un tel vent quesi l'on met sa mainsur le feula paume grille et le dos gèle.

Tiens ! Sil'on colonisait nos campagnes ?

-- Quoi deneuf ?

-- Oh !riendit Philippe. Qu'est-ce qu'il y aurait de neuf dans notrepauvre pays ?

--Personne n'est mort ?

--Personne. Moindrement qu'il en mourraitil n'en resterait plus.

5 janvier.

Baudelaire: «... L'âme du vin chantait dans les bouteilles. »C'est bien là cette fausse poësie qui se préoccupede substituer à ce qui existe ce qui n'existe pas. Pourl'artistedu vin dans une bouteillec'est quelque chose de plusvrai et de plus intéressant que l'âme du vin et quel'âme d'une bouteillecar il n'y a pas de raison pour donnerune âme à un objet qui s'en passe fort bien.

Tolstoïpourrait dire à Déroulède : « Il y aurades guerres tant qu'il y aura des hommes comme vous. »

6 janvier.

Lasupériorité d'une fleur sur un bouquet.

Ellepréfère l'allemandqu'elle apprend depuis deux joursà l'anglaisparce que les lettres sont plus jolies.

Une vesterouge sur un gilet breton. Des yeux qui se baissent et se relèventà chaque instant. Si peu petite fille que tout à coupon s'aperçoit qu'on lui parle comme à une femme. Unebouche rouge de femmeet bonne à cueilliret un sourired'enfant.

Descheveux frais. Une innocence qui ne peut pas durer. Des gestes quigêneraientet que l'amour réglera.

Des grandsyeux perdus dans les boisdans une herbe profonde.

-- Oh !dis-jeje voudrais avoir une fille grande comme ça !

-- Oui !dit-il. C'est gentil. Ça commence à s'ouvrir.

Oh ! chezlui et chez moiles mots ne provoquent pas la même image.

Tout hommea dans le coeur un orgue de Barbarie qui ne veut pas se taire.

7 janvier.

Il n'y apas de synonymes. Il n'y a que des mots nécessaireset le bonécrivain les connaît.

--Qu'est-ce que tu prépares ?

-- Deux outrois phrases courteset de longues rêveries.

LaFontaine. Individuellementses animaux sont vraismais leursrapports sont faux. La carpe a bien l'air d'une commèreavecson dos rond de vieille femmemais elle ne fait pas mille tours avecle brochet son compère : elle le fuit comme un ennemi mortel.

Barrèsest un homme qui joue de la raisoncommed'autresde la flûte.

Les rois :les gros numéros de l'Histoire.

Ecoutezles grelots de la diligence ! Elle arrive comme une grosse ménagèreexacte qui fait sonner son trousseau de clefs.

Oh ! moivous savezça m'est égald'être inférieurà mon oeuvre.

Je suissûr que le chat ne pense pas ; pourtantil a l'air aussiprofond que s'il pensait.

Regarderun rayon de soleil dans une chambre obscure. C'est plein depoussière. Il n'y a rien de plus sale qu'un rayon de soleil.

Messieurssi mes renseignements sont exactsla patrie est en danger.

EmilePouvillonCésette. Il aime son pays et le rend bienmaiscomme il est plus facile de voir un paysage qu'un paysansesbergers et ses bergères sont faux. Un bouvier dit : «Très succulentecette soupe au safrangrassenourrieonctueuse! » Il dit : « Qu'avons-nous besoin duvielleur ? Nos gosiers sauront bien montrer la mesure à nosjambes ! »

15janvier.

A chaqueinstantje coupe moi-même le crin de cheval de l'épéede Damoclèset je me la passe au travers du coeur.

Vouscroyez qu'il s'appelle d'Esparbès ? C'est bien lui ! Il atoujours remplacé Thomas par d'Esparbèset la vie parla légende.

Je suis unécrivain queseulle goût de la perfection empêched'être grand.

Je ne lisplus que des morceaux choisis de littérature française.J'aurais seulement voulu les choisir moi-même.

LesEspagnols s'obstinent à porter toute la vie leurs petitsgilets d'enfants ; dès qu'ils sont trop courtsils y ajoutentune ceinture.

16janvier.

AnatoleFrancequi va faire jouer Le Lys rougeest tout petittoutenfant aux pieds de Guitry. Il cherche ses compliments lui dit qu'ill'aime à cause de sa manière de comprendre l'artet ildit qu'à la lecture ça donne déjà desrésultats.

-- Ah !lui dis-jeje suis content de vous voir en proie au théâtre.

Et il esttrès aimablecomme un homme qui a toujours la figure prisedans une porte et qui ne tient pas à ce qu'on serre.

22janvier.

Unepremièrec'est une pleine salle de gens maladroits qui segâtent leur plaisir.

Février.

Bernardm'emmène aux Folies-Bergère. On voudrait êtrequelque chose dans la vie de toutes ces petites femmescelles qui sepromènenttoute leur beauté dehorset celles quis'agitent sur la scène. Sur le cinématographedesrégiments défilent au chant de la Marseillaise ;les chevaux frappent du pied dans les coulisseset l'on voudraitêtre quelque chose dans cette armée.

9 février.

Dèsqu'on dit à une femme qu'elle est jolieelle se croit del'esprit.

11 février

Ils vouscomplimentent d'un livre en disant : « Il est à lareliure. »

VotrelyrismeMendèsc'est je ne sais quel ballon qui ne tombe passur la terreparce qu'il ne s'est pas élevé de terre.

Neige. Unecampagne poudréeune campagne de Cour.

La nuitje crois souvent entendre chanter le coq. Le lendemain matinjedemande à Philippe s'il l'a entendu. Il me dit que nonetcela me trouble.

Je n'aipensé à mon père que vingt-quatre heures aprèsmon arrivéequand j'ai vu les murs blancs du cimetière.

Il fautque le mot lutte avec l'idée et ne lui donne pas decroc-en-jambe.

Peut-êtreque ma littérature serait plus gaie si j'habitais à uncinquième.

Lepapillon de nuit avec ses ailes alsaciennes.

Pourdécrire un paysanil ne faut pas se servir de mots qu'il necomprend pas.

Fantec dità sa mère : « Allume ! » pour : «Ouvre les volets ! »

Marinettesait percer à leur naissance mes humeurs qui grossiraient etdeviendraient des colères.

Changerfréquemment de type de plumeça change l'écritureet peut-êtreun peule style.

Un grainde beauté au coin de sa bouchecomme un oeuf de vipère.

Leschampignons coiffés comme des coltineurs.

La modeest à la bonté : ça ne durera pas longtemps.

Je sensque quelqu'un me guide.

Ce qui mesauverac'est un goût que j'aiun arrière-goûtde sainteté.

Il faut medécorerparce que je finirais par n'avoir plus pour moi queles ratés et les envieux.

L'oie quicrache par le derrière.

Le chatc'est la vie des meubles.

20février.

Oh !monsieurvotre antipathie ne me gêne paset je suis bienpersuadé quesi je vous envoyais mon dernier livre avec unebelle dédicacevous me trouveriez du talent.

27février.

Qu'est-ceque la vie quand elle n'est vue que par des yeux qui ne sont pas desyeux de poëtes ?

28février.

Unevieille paire de bottines que je lui ai donnéePhilippe lagarde pour venir à l'Exposition.

3 mars.

Les lamesde fond de l'amitié. Tout à coup on se sent séparéspar la pleine mer.

C'est unefemme toujours couchéeune femme qui ne tient pas debout.

4 mars.

Capus estde cette génération d'hommes de tripot devant quinousles jeunes hommes rangésnous nous sentons toujours unpeu effarés.

Ce qu'onressent pour certaines femmesce n'est pas de l'amource n'est pasde l'amitié non plus : c'est de la tendresse.

Rostand neva plus jamais au théâtre.

Claretielui a écrit :

Quandvous nous donnerez la Maison des Amants
Nous illumineronsla Maison de Molière.

Il y a desfemmes qui lui demandent des lettres d'amour.

Dans unmagasinil ne dit pas son nom tout de suite. Il indispose d'abordles gens par sa mauvaise humeur ; puisil se nommeet les visageschangent.

MmeRostand donne son nom à un guichet de poste. La jeune fillelève la têtesourit avec attendrissement et dit : «Oh ! madamece nom me rappelle une bien douce soirée ! »

Toujoursfatiguétoujours la migrainetoujours accablé degloire.

Vestonmarron et gilet de velours.

Ses doigtss'effilent de ses lourdes bagues.

6 mars.

Capusparle de ces pièces d'amis où l'on n'a même pasbesoin de faire effort pour s'empêcher de les trouver bien.

Peut-êtrequ'à cinquante anslas de la réalitéj'auraiun grand plaisir à l'imaginer.

7 mars.

Concoursagricole. Bernard joue avec les cornes d'un boeuf qui lui écrasepresque le doigt contre le bois de sa stalle.

-- Qu'onserait bientout nusur ce mouton !

-- Ouidit Bernardavec un autre mouton par-dessus.

La queuede certains boeufs est comme une tresse de graisse cordelée.

Les truiesont sous le ventre un gilet avec double rangée de boutons.

C'estbeauce Prix d'Honneur ; mais il lui manque de l'herbe jusqu'auventre. Immobile sur ses pattes inébranlablesil sembleconstruit par un maçon.

Desmoutons ont un gardénia de laine à l'épaule.

Les coqsde combat n'ont pas de crète : une épée àchaque patteils ont des jambes comme des pincettes.

Un lapinallongéles yeux mi-clossemble dire : « Le monde mefatigue. »

Je mecrois chez moi. Je dirais presque à tous ces gens : «Merci de votre bonne visite. »

-- Pourvider cette galerie en un clin d'oeildit Bernardil n'y auraitqu'à lâcher deux ou trois taureaux avec une pancarte «On ferme ».

Cesénormes boeufs avec un tout petit trou de balle. Qu'est-cequ'ils attendent pour se révolter et monter en haut del'échelle des êtres ?

9 mars.

Faire uneédition critique de Crime de village.

16 mars.

Je suis néavec deux ailesdont unecassée.

18 mars.

J'ai l'airstupide. C'est l'heure où mon esprit est au pâturage.

21 mars.

Richepinfort en vers. C'est notre vrai Coppée.

Polaire.Comment fait-elle pour mettre ainsi sa taille dans une alliance ?

-- Etvotre petite fille va bienmadame ?

-- Ouimonsieur. Merci.

-- Et vousla destinez toujours à la prostitution ?

Son jeunemari a des attaques. Elle en a peur et reste dans sa cuisine. Ellesouffre surtout de ne plus pouvoir faire son petit ménagecomme autrefois. Elle ne devine pas qu'il va peut-être mourir.Elle dit seulement : « Croyez-vous que j'en aide la chance !» On l'emmène à Beaujon. Elle est comme délivrée.

-- Il seratrès biendit-elle.

Elle ouvreles fenêtres toutes grandes et se remet à faire sonpetit ménage.

Elle iravoir son mari demain.

Un chevaljuifun mouton juif.

Si Ragottefermait ses voletsla nuitelle se croirait en enfer.

-- Je suisné un trente janvier.

-- Vous neparaissez pas votre âge.

Pour êtreoriginalil suffit d'imiter les auteurs qui ne sont plus à lamode.

Al'exposition du corps de Félix FaureBaïe prenait lesprie-Dieu pour des automobiles.

Lesaraignées dessinent des plans de villes capitales.

27 mars.

A laGloriette. Les oiseaux semblent coudre les uns aux autresavec lefil de leur voltous les arbres du bois.

Les arbresmarqués de rouge ne sont pas ceux qu'on égorge.

On neregarde plus le paysage qu'on a toujours devant les yeux.

14 avril.

Il fauttout dire. Quand on a bien envie et qu'on peut -- enfin ! -- mettreson derrière sur la lunettec'est une joie d'attendre encoreun peu.

Pour unécrivain qui vient de travaillerlirec'est monter envoiture après une marche à pied pénible.

Quand unacteur rentre dans la coulisseil semble se déshabillerbrusquementse mettre à nu.

J'abondedans mon sens.

La doucemélancolie du travaille dimanchequand les autres sepromènent.

17 avril.

L'idéal: un rêve précis.

19 avril.

Je ne mecontente pas de la vie intermittente : il me faut de la vie àchaque instant.

Elle sedéfie de son homme et ne lui dit rien de ses affaires. Elle adu bien pour plus de 80.000 francset il ne s'en doute pas. On luioffre d'acheter ses vignes à l'amiable : elle accepte le prix.Son notairequi n'a rien sur la ventelui dit qu'elle fait unebêtise. Troubléeet n'ayant rien signéellereprend tranquillement sa parole.

Il fautqu'elle ait toujours dans son armoire un billet de cent francsd'avance.

Rien nel'obligerait à déplacer son argent placé. Elleaime mieux emprunter et payer des intérêts avec sesrevenus.

Venant àParis en secondeelle avait droit à l'express à partirde Laroche. Pas presséeelle a préférérester dans le train omnibus.

Plus elleamasseet plus elle est désolée que ses enfantsn'aient pas d'enfants. A qui tout ce bien va-t-il aller ?

Sur leretourelle a des éblouissementsdes lourdeurs. Elle vatrouver son pharmacien qui lui donne une purge et lui dit que çapassera.

Elle amoins peur de mourir que de quitter son bien.

-- Je n'aipas besoin d'euxdit-elle de ses enfants. Qu'ils tâchent den'avoir pas besoin de moi !

Ilm'endort. Tout ce qu'il dit est plat. Nous mangeons des gaufres àla terrasse d'un café. Un peu de sucre tombe sur son gilet.Avec l'autorité d'un grand capitaineil demande une brosse.Le groom le brosse.

-- C'estassezdit-il d'un ton qui fait ma joieet il ajoute : Brossez aussices messieurs. Mais nous n'en avons pas besoin. D'ailleursle groominterloqué n'a pas entendu et s'éloigne.

Commec'est Capus qui paie les consommations :

-- Payezaussi le groomdit-il.

--Qu'est-ce qu'il faut lui payer ? dit Capus. Son mois ?

--Donnez-lui quatre sousdit-il sans hésiter.

C'est ungarçon admirable.

Il a surle dos un veston tout fripé qui sort de l'armoire. Ces plism'étonnent : ce doit être très chic.

Il parlesans cesseexplique tout. Ce qu'il dit est quelconquemais on senttrès bien qu'à des gens cela peut paraîtreingénieux et spirituel. Souventtandis qu'il parleGuitryflûte. On ne l'interrompt pas aisément. Il a un «Permettez ! » qui vous arrêtenet et sec.

-- Nousautresdit-illes quinze ou vingt connaisseurs de Paris...

Il ne peutpas manger un fruit sans en dire l'espèce et sans la compareraux autres.

On ne peutpas prononcer un nom de ville sans qu'il en parle comme un guide.

Il mesurela qualité d'un éditeur aux avances d'argent qui luiont été faites.

Bernardqui se promène avec un petit Montaigne de cinq sousavant qued'entrer dans une vespasiennefrappe à la portesur la tôle.

Chaquepoulela tête sous un cachet de cire rouge.

Capus ditd'une bouche de femmequ'elle a une telle odeur « qui ne ditmot qu'on sent ».

Faire detemps en temps un petit voyage de la rue du Rocher à Paris.S'en aller passer huit jours à Paris.

-- AuConcours agricolej'ai vu une vache qui était belle commetoidit Baïe à sa maman.

Poil deCarotte. Je n'ai jamais pu faire un geste de décision sans quemon frère pouffe de rire. De là ma vie humble et plate.

Je n'aipas une tourje n'ai qu'un carnet d'ivoire.

Ronflerc'est dormir tout haut.

-- Je n'aiqu'un défautdit-elle : j'ai toujours froid aux pieds.

Commefemmemon idéalc'est l'Elmire de Tartuffe.

Ah ! fairedes choses que les petits enfants copieraient sur leurs cahiers !C'est çaêtre classique.

Huysmanss'affiche en plein boulevard avec des prêtres.

Un soucien vaut un autre.

Barrèsest professeur d'énergie comme on l'est de philosophie : çan'oblige pas à être sage.

Regarderla natureça vaut tout de même mieux que de traduireVirgile.

22 avril.

Lesromantiquesdes gens qui n'ont jamais vu l'envers de rien.

Je refusede savoir ce que peut penser des hommes de talent un homme qui n'en apas.

Sorsva !Promène-toi ! Le beau temps perdu ne se retrouve jamais.

Deuxcanards traversent les airs à des hauteurs où notrecruauté n'atteint pas.

Lescanards viennent tous les soirs des étangsou s'abattentetleur vol claque comme une voile.

Les geaiscrient sur le bois comme des charrues.

Baïedemande ce que font les sergents à la guerre.

-- Pan !Pan ! lui dis-je.

-- Ah ! onles fouette ?

23 avril.

--Qu'est-ce qu'un critique ? Un lecteur qui fait des embarras.

24 avril.

La faussemodestiec'est déjà très bien.

Letremblequel joli nom d'arbre !

Quand ilscommunientils se font une raie pour l'amour de Dieu.

La truie asur le dos une raie blanche qu'elle n'a pas pu tremper dans la boue.

J'écoutepousser ma barbe.

Chaquefois qu'on a le dos tournéun bourgeon éclate.

Quand jeme suis mariéj'ai dû mener ma jeune femme dans mafamille. Mon père chercha ce qu'il pourrait faire en sonhonneur. Il décida de faire remettre quelques tuiles neuves autoit de sa maisonpuis il y renonça.

Filslégitime de mes oeuvres.

Je merelève aussi facilement que je tombe. Légèrecomme une araignéemon âme remonte à un fil.

La truieet son troupeau de seins.

En uninstantl'esprit parcourt d'immenses pays de rêvescependantque les yeux passent sur la réalité comme des tortues.

Le réveildéchire brusquement la toile fine de nos rêves.

J'écrisdes pensées pour quand je serai mort. Elles ne me servent àrien pendant ma vie ; j'oublie même de les penser.

Mon anneaude Gygès qui me rend invisiblec'est ma timidité.

Je compteun triomphe de plus à mon passif.

Déplaisantcomme un morceau de papier dans une prairie.

Ma têteest peuplée de motscomme une forêtd'oiseaux. Quandils se mettent tous à chanterc'est un vacarme !...

Au Jardind'acclimatation. Le kangourou marche sur ses mollets.

Celui-làpas d'écriteau : il n'a pas encore dit son nom.

Le yackfertile en laine comme un champ.

Le lamasourit comme Sarah.

Le tatouune tortue perfectionnée.

Leséléphants s'approchent l'un de l'autrecroisent leurstrompes et se soufflent dans la bouche comme pour se demander s'ilsn'ont pas l'haleine trop forte. Leur soupir gonflerait une voile.Puis ils dansentplutôt de la tête que des piedsenl'honneur du monsieur. Et toute cette masse molleet ce petit oeilcomme un oeillet dans un gros sac.

29 avril.

Tout demêmepeu à peu je renonce à un tas de choses queje ne peux pas avoir.

Le coqvoudrait être monogame.

Il mefaudraitmadamepour dire ce que j'éprouveun mot quiserait à « larmes » ce que « sourire »est à « rire ».

1er mai.

Samedispopulaires de Sarah. -- Les poëtes organisateurs de cesgoûters choisissent dans Victor Hugo des choses bien dureslongues et mal ditesafin que le public dépense son ennui.

Sarahquidit une pièce de versest aussi fiévreuse que si ellejouait Phèdre pour la première fois. Onapplaudit un peu le petit Brûlé qui croit à unrappelrentreet on n'applaudit déjà plus.

Mendèsdit élégamment à Guitry : « Vous faitescorps avec les proses de Jules Renard. » Rostand arrive. C'estdécidément un grand homme. Il n'offre que celle de sesmains qui tient sa canne. Il répond à peine. Je trouvecela très bienparce qu'il fait des frais pour moi.

Guitryrécite. Bernard vient me trouver. « Venez doncRenard !Guitry en est à son troisième rappel. »

Sarahglacialefeint de ne pas savoir que tout ce qu'a dit Guitry est demoi.

L'arbreavec ses jeunes branches est beau comme un cerf immobile.

Noussommes tout dans notre premier livre. Nous ne faisons plus tardqu'arracher nos défauts et cultiver nos qualitésquandnous le faisons.

L'avenirn'est peut-être qu'un perfectionnement.

On n'estplein que de promesses déjà tenues. Il ne faut pascompter sur des choses nouvelles.

Il y a lesconteurs et les écrivains. On conte ce qu'on veut ; on n'écritpas ce qu'on veut : on n'écrit que soi-même.

Je dis àLéon Blum que sa femme est de celles qui nous font sentirnotre vulgarité ordinaire. On est respectueux et dérouté.On fait une plaisanterie : elles ne répondent pasellessourient à peineet nous voilà honteux.

La pie àlongue queue perchée sur sa branchecomme une pipe.

C'est parpudeursans doutequ'ils disent : « Elle veut voir les boeufs»d'une vache qui demande le taureau.

Ils ontbien de la misèremais ils dorment comme des enfants.

-- Monmari ? Il est mort.

-- Oh !pardondis-je.

-- Oh ! cen'est pas votre faute.

Lecoquelicot chante déjà dans les blés.

Vous nedirez jamais autant de mal de moi que j'en penserais de voussi jepensais à vous.

Ils sonttellement orgueilleux qu'ils disentquand il a pluque leur ruesèche plus vite que les autres.

HenryBatailleun Rostand de vingt-six anset qui ne réussira pas.Plus laidet moins glorieux. Une figure jeune et vieillesans quel'oeil puisse nettement y localiser les âges. Un peuneurasthéniquemais prend plaisir à prononcer ce mot.

-- Je suissûr de mourir à trente ansdit-il.

Paresseuxennuyétrès artiste. Buveur de thé. Presque pasde corps dans des vêtements gris clair. Fait d'admirablesportraits en deux ou trois heureset ditquand il se trompe :

-- Voilàce que c'est que d'avoir la prétention de fixer la nature enune séance.

Quand onse regarde cinq minutes dans une glaceon ne se trouve plusressemblant.

Badyvivantenerveuse ; des yeux comme des encriers. Elle prétendqu'elle pleure quelquefois en cachettela nuit. Batailleétonnél'ignorait. Ils se disent des mots gentilsettout à coupsemblent séparés par des mondes d'indifférence.

Batailledes doigts comme des crayons.

-- FrancisJammesqui est clerc de notaire à Orthezdit Badyestinsincère et méchante langueetavec tout çaexquis. Nous l'aimons bien. Il arrive à Parisnous saute aucouet tout de suite dit par derrière que Bataille le plagie.

5 mai.

Dans lespassages sentimentaux de Courtelineil y a un bizarre mélangede Bossuet et de grisette.

6 mai.

Bientôtle cheval sera sur la terre quelque chose d'aussi étrange quela girafe.

9 mai.

J'aibeaucoup entendu parler des cyprès : je ne sais pas encore ceque c'est.

15 mai.

Je suis lemonsieur qui a toujourshélas ! le petit mot pour rire.

16 mai.

Mort deSarcey. A la mort d'un ancienon est comme sur une écluse :on change de niveau vers la mort.

Sarcey merenseignait à mon goût sur le théâtre. Sij'allais à l'étrangerje serais heureux qu'onm'indiquâtnon pas les hôtels de premier ordremais unhôtel moyen et confortable. Pour celaje m'adresserais auSarcey des voyageurss'il existe.

17 mai.

Je medestine à la profession de pontife.

20 mai

Il esttouchantLéon Blumavec sa vieille tante aveugle. Gracieuxcomme Antigoneil la sertlui nomme les platslui coupe sa viande.Depuis trente-cinq ans aveugleelle regarde dans la direction de lavoix entendue. Son visage ridé est pâle comme du lingeblanc qui se déplie un peu. Une jeune fille lui sert dedemoiselle de compagnie et lui fait la lecture. Elle s'intéresseà toute la vie qu'elle ne voit paset cela nous étonnenous qui croyons la voir.

Blumm'explique très bien la différence qu'il y a entreLemaitre et France. Lemaitre a l'air de tout comprendremais il necomprend pas l'essentiel ; il n'a ni soliditéni fond. Francen'a qu'une légèreté apparente ; il adessousl'intelligence sérieuse. Dans l'affaire Dreyfusil ne pouvaitpas broncher. Lemaitre a été le jouet de sonintelligence superficielle ; il va çà et làpartoutavec agilité. France ne se sépare jamais de laraison. Il y est planté. Il peut fairede la maindes gestescapricieux.

--L'attitude actuelle de Barrèsdit Blumdonne la peur derelire ce qu'il a fait. Impossible que ce soit aussi bien qu'oncroyait : on a du se tromper. Je suis patriotede ce patriotisme quechante Victor Hugo dans Les Châtimentset qui voudraitmême par la forceimposer au monde l'humanitéet dontle rêve serait de supprimer toute espèce de patriotisme.Je suis fier d'être Françaisà cause d'unhéritage d'idées que je n'aurais peut-être pasfait si j'avais été Anglais ou Allemand.

Il admirebeaucoup Bernard Lazare qui a eu le courage de mettre en trainl'affaire Dreyfuset quile succès assurése retirediscrètement et laisse la gloire aux autres.

29 mai.

Rostanddit qu'il s'embête. Veut un théâtre où ilsera le maître. Il affecte de s'intéresser beaucoup àDreyfusà Marchand aussi. Il ditd'un air fuyantqu'il luifautcomme à tout le monde des amis sûrs. Prèsde luion l'envie. On sent toute l'inutilité de l'effortqu'on ferait pour le rattraper ; on se venge en le trouvant grêlemaigrepâlechauve d'une calvitie à laquelle ajoutentde longues mèches de cheveux sur le couun peu ridicule. Destraits finsmais de prèstout cela n'est pas net. Il n'al'air ni vaniteuxni dédaigneux mais je crois qu'il tâched'avoir l'air impénétrable et malin. Il s'enfermera àParis cet étédira qu'il est à Pougueset onlui fichera la paix. Très indifférent à uneestime comme la miennedont il est sûrmais trèssensibleje croisaux éloges nouveaux des petitsjeunes gens. Trouve du talent à Sée. Trouve le théâtrede Capus ennuyeux et lourd ce qui l'étonne de la part d'unhomme de tant d'esprit.

1er juin.

ChezBailby. Des figures que j'ai vues il y a douze ans. Tous les soirselles vont en soirée ettous les soirss'extasient du mêmesourire devant la chanteuse mondainela harpiste et le diseur devers. Elles n'ont pas trop vieilliparce qu'elles changent de plâtrechaque jour.

Mounet-Sullydit Le Testament de Murgerun sonnet de Soularydes vers deGautier. C'est bienmais c'est trop composé. Familieril metune main dans sa pochetragiqueil se tourne brusquement àdroite ou à gaucheeffaréil cherche la queue dupiano.

Il y a undiplomate qui dit : « Moivieilli dans les Courseuropéennes... »

Laharpisteune grande harpie dorée. Ah ! ça se voitquec'est une harpe ! La femme écureuil. Ses doigts grimpent surles cordes. Il y en a une qu'ils n'ont pas touchéesanscompter celles de mon coeur.

Une Russechante : voilà ce que nous a valu M. Hanotaux.

Unmonsieur très richeà l'accent belgeet qui a deschâteaux en provincedit qu'il va recevoir prochainement unévêqueet qu'il nous invitera.

Bailbyprésente et explique.

-- Quelluxe ! lui dis-je. Je suis ébloui.

Prèsde moiMme de Saint-Victorla fille de l'écrivainse livretout de suite comme dreyfusarde et dit :

-- Je nesais pas si nous sommes du même avis ?

Onl'appelle « Notre-Dame de la Revision » : elledescendrait dans la rue.

Montesquioubavardet qui se croit artiste parce que toutes ses paroles sontcueillies aux diverses branches de l'art. Il parle des voixtâchede les décrireempruntepour parler musiqueses métaphoresà la peinturetâche d'être documentéprécisfinet est insignifiant.

2 juin.

Il s'agitd'êtrenon pas le premiermais unique.

Ah ! lebeau couplet que Molière aurait mis dans la bouche d'Alcestecontre le patriotisme !

3 juin.

Dans unecarrière j'arrache avec mes ongles des cailloux polis : je neconstruirai jamais rien.

13 juin.

LaGloriette. La vacheil faut tout de même y faire attention :d'un doux hochement de têteelle vous crèverait leventre.

14 juin.

Du coqGuitry dit très joliment qu'il court les mains dans sespoches.

-- Songeque tu as charge d'âmes.

-- Oh !s'il n'y avait que des âmes...

C'est déjàbiende trouver de jolies choses. S'il faut encore qu'elles soientvraies !...

Je poseencorehélas ! quand je dis que je pose.

Ilrencontre une petite femme dans un Moulin plus ou moins rouge. Elleest venue à Paris avec un amoureux qui l'a tout de suitelâchée. Il lui offre un bock et lui promet le mariage.Il est très content. Il l'a sauvée de la boue. Il afait une bonne actionetcomme il a 43 ansellequi n'en a que20croit aussi avoir fait une bonne action. Bien entenduilscouchent ensemble avant la cérémonie. Elle estgentilleun peu vulgaire de visagedit Mme Steinlen. Elle a reçuune bonne éducation. Elle est musicienne. Rousseelle est «couverte en briques et à cheval sur un écureuil »dit Steinlen.

Steinlenvêtusous son pardessusd'un gilet de velours bleu et d'uneculotte bleue de charpentier. Il traite sa femme de vieille scie etparle à sa fille comme un pasteur protestant.

Au fond detout patriotisme il y a la guerre : voilà pourquoi je ne suispoint patriote.

Promenade.Je passe devant le cimetière. Je n'ose pas songer à cequi reste de mon père derrière ce muràquelques pas. Je m'éloigne. Tout le long d'un sentier fleurimon âme joue avec des idées de mort. A chaque instant jetourne la tête et cherche la Gloriette. Je me demande si elleest plus haut placée que le châteauque l'écolesi elle a plus de chances qu'une autre maison d'être frappéepar la foudre. Cette peur imbécile de l'oragemême parles plus beaux joursme tient en haleine. Grâce à elleje paresserai un peu moins.

Je marchedans les blésqui sont beauxcette année. Le vent dunord leur est bon. Le vent du midi en aurait brûlé lafleur. Ma canneque je tiens derrière mon doscourbe lesépis. Des coquelicots courent devant moi. J'arrive au boisfraissilencieux et sacré comme une égliseet j'entrepar une grande allée qui le coupe en deux. Mes narines sontagacées de fraîcheuret soudain je me sens légervêtu.

Qui est-cequi vient à moide là-basà travers les arbres? Personne.

Qui est-cequi marche sur les feuilles ? Des âmes sans corps.

Desoiseaux de soleil se sont posés à terre et se cachentou se déplacent selon l'agitation des feuilles.

...Vitaï lampada tradunt Les arbres se passent l'un àl'autre le ventqui est leur âme.

Heureusementau bout de l'alléevoici le jour. Tout en moi s'éclaire.

J'entendsle sifflement de la faux dans le foin. De loinje la vois : ellesemble valser doucement. Des mouches me piquent. Le temps... Non :mon humeur va changer.

Derrièremoile coucoumystérieuxinvisiblemal faméchante. On l'accuse de déposer ses oeufsun par undans desnids de fauvettede rouge-gorgede rossignolde bergeronnettedegrive ou de merle. Le beau crime ! Eh ! bienet vous ? Avec çaque vous ne déposez jamais vos petits dans le lit des autres !Mais vous n'avez pas la loyauté de chanter : « Coucou !» pour prévenir.

Tiens ? Unporte-monnaie. Non ! C'est une taupe qu'un faucheur a tuée etjetée dans le chemin.

Je devinequ'un chariot de foin a passé par ici. Mainte ronceaupassageen a mordu un brin et le garde.

De mapremière promenade je rapporte une rose sauvageune pauvrerose qui n'a qu'une robe minceet pas de dessous.

Quel vent! Que de saluts ! Tous les arbres s'inclinent. Il y a granderéception chez euxce soir.

15 juin.

Le coq. Lecochinchinois de Guitryqui a du poil jusqu'aux talonsàpeine lâché dans la basse-cournous a joué leretour du marin. Grattant le solil appelait les poules. Elless'approchaient avec défiance et coquetterie. Il a mêmeosé s'adresser à une mère de famille quiaprèssa courte hontea vite caché ses poussins sous son aile.

Ce que jeregarde d'abord d'une maisonc'est si elle a un paratonnerre.

Le coqtâchesans y réussirde faire sonner ses éperons.

18 juin.

Les meulesde foin comme un petit village de huttes régulièrementdisposéeset la lune s'y promène dans les rues.

19 juin.

Lesétoiles. Il y a de la lumière chez Dieu.

20 juin.

Hieranniversaire de la mort de mon père. Sans Marinetteje n'ypensais pas.

Ma mèrequi est au litfait dire une messe. Ainsitrois ou quatre vieillesfemmes écoutent un prêtre qui prie pour mon père.

Marinetteet moinous lui portons une couronne assez lourdeen faïencevernie. On donne aux morts des fleurs de métalde métalqui dure.

Je suissur la tombe de mon père. Mes tablettes ! Mes tablettes !

Sur latombe d'une pauvre vieille femme fleurissent des oeillets de poëte.

Sur uneautreun bol renversé dont on se sert pour arroser lesfleurs.

Leurs nomsde famillequ'on avait oubliésréapparaissent ici.

Tellepierre tombale est le pavé de toute une famille d'ours.

Il estmoins cruel de n'aller jamais voir un mort que de n'y plus alleraprès un certain temps.

Il fautvivre à la campagne en abusant d'elle aussi peu que si l'onétait à Paris. Alorselle « se maintient ».

Neregarder que la viemais ne choisir que les faits qui ont unesignification.

J'ai mesdéfauts comme tout le monde ; seulementje n'en tire aucunbénéfice.

21 juin.

Cyrano quia la langue encore plus longue que le nez.

22 juin.

L'oiseau atoujours l'air neufné d'hier.

23 juin.

Unefeuille tombeet c'est un grand désastre : elle couvrait unnid.

Pluie. Lesarbres marchent dans l'eaubranches retroussées. Les boeufsinquietsse réunissent sur les hauteurs. De temps en tempsdes piles de bois rangées au bord de la rivièreunebûche se détache et va se promener.

Philippequand il creuse un troua la préoccupation de trouver des oshumains. Il dit qu'autrefois on enterrait partout les morts.

24 juin.

Plusieursfoisdans mes rêvesj'ai inventé le dendromètreappareil à mesurer les arbres sur pied.

Je grattela nature jusqu'au sang.

La têtelourde comme un épi.

25 juin.

Les jeunesfilles de Chaumot veulent toutes aller à Paris. Celles quin'osent pas dire « à Paris »disent « engrande ville ». Elles veulent gagner de l'argent pour semarier. Comme elles ne savent rien faireelles ajoutent qu'ellesferaient n'importe quoique ça leur est égal. Ellesont un corsage plissé et une petite brocheles cheveux auventles pieds dans des savatesdes mains propres et des onglessalesdes yeux fraisdu rose aux jouesmais des dentsinquiétantes.

27 juin.

Ces heuresoù l'on a envie de lire quelque chose d'absolument beau. Leregard fait le tour de la bibliothèqueet il n'y a rien.Puison se décide à prendre n'importe quel livreetc'est plein de belles choses.

La lune.Cette lueur rosecette clarté d'incendiece reflet de Parisqui la précède à l'horizon. C'est trèsdifficile de voir le premier liséré de son ongle rouge: c'est déjà du feu. Elle monte vite. Elle apparaîttout entière comme un globe de feu couvé. Un petitarbre de l'horizon se dessine sur elle comme sur un écranjaune foncé. Déjàelle n'est plus intéressanteet puisc'est toujours la même chose. Elle-mêmedont onprenait en pitié la solitudesemble nous dire : « Va !Va ! Tu n'es pas obligé de rester là toute la nuit. »

28 juin.

Dèsque je suis seulc'est-à-dire sans un livreme voilàmédiocre : mon tirant d'eau diminue.

A trenteans j'étais déjà comme Goncourt àsoixante-dix : seulela note m'intéressait.

Quand jevoyais mon père se promener d'une fenêtre àl'autrevoûtéles mains derrière le dossilencieuxle regard profondje me demandais : « A quoipense-t-il ? » Aujourd'huije le sais par moi-même quime promène comme luiavec son airet je peux répondreen toute certitude : « A rien. »

29 juin.

Eclairs.Celui-là casse comme du bois sec. Cet autre crépitecomme du bois qui brûle.

J'apprendsmon village comme de l'histoire.

30 juin.

Mon père.Des vieilles femmes se souviennent encore de la blouse qu'il portaitquand il est venu de Paris pour tirer au sortune blouse d'un bleupas trop fanéavec des lisérés blancs et je nesais combien de rangées de petits boutons de nacre quimontaient l'un sur l'autre.

Moi aussije l'ai connu avec des blouses. Elles s'ouvraient sur le plastronblanc de la chemise empesée. Ah ! cette chemise ! C'est encoreun étonnement pour moi. Il la gardait pour se coucheril laportait une semaineet elle était toujours blanche et jamaiscassée. Par quel mystère ?

Jour defoire. On dirait La Marche à l'étoile sur laroute. Tous ces boeufsces vachesces gensvont peut-êtrevoir l'Enfant nouveau-né. Et ces cochons criards comme si l'onne faisait que les pincer !

Les hommesont mis leur blouse des dimanchesetles femmesce qu'elles ont deplus noir. Quelques-unes s'abritent du soleil sous un parapluie.

Les boeufsque d'autres boeufsdans les présregardent passer. Lesgrosses juments qui relèvent prétentieusement leurssabots.

Dans unemoucheil y a une goutte de sang humainhumainement rouge.

2 juillet.

Un drame àécrire. Il dormait. Il se réveilla et mourut.

Dire qu'unjour je serai un vieux monsieur décoré !

4 juillet.

Bouvardet Pécuchetle livre de la guigne ; mais c'est trop : onne les croit plus.

5 juillet.

Baïemet un escargot à côté d'une tortuepour voir cequ'ils vont se dire.

Rien desale comme un lys sale.

Deschevaux labourent. Comme c'est loinon ne voit pas la charrueonvoit à peine l'homme. Et les chevaux semblent se promener toutseulsde long en largeà l'horizon.

6 juillet.

Les coudeslevésles poings aux yeuxla grenouille pleure.

Les deuxpattes de devant sur une pierreles yeux hors de la têtemenaçantetrès « quos ego !... » Mais ellene trouve rien à dire.

Les oiesmangent en marmonnant je ne sais quoi.

Elles vousregardent de leur paire de boutons et portent leur bec comme unsifflet.

Leurstrous de nez pincés et rapprochés les font parler dunez.

Elles ontun petit oreiller blanc au derrière.

Ellesnaviguent en marchantet leur queue va et vient comme un gouvernail.

10juillet.

Lescloches habitent l'air comme les oiseaux.

11juillet.

Nosenfantspauvres petits ! Nous pouvons les froisser avec la précisiond'un marteau-pilon.

12juillet.

Devieilles voitures à capote. Ils sont là-dessous commede vieux porte-monnaie ouverts.

Le jarssiffle comme un tuyau d'arrosage.

13juillet.

L'airàmidibrûle et bourdonne.

Ce Journalne pourra être lu que par Fantecetencoreque s'il a l'âmetrouble de l'homme de lettres ; et il faudra que j'écrive une« Lettre-Préface » pour lui expliquer le motet la lettre.

15juillet.

L'arbrepour m'attirerme fait des clins de feuilles. D'un mouvement rapideelles se baissent et se relèvent.

D'énervementje me suis levé à cinq heures. Etonné quedorment encore des gens que je croyais plus matinaux. Ferme déjàvidée dans les champsportes ouvertes. On retrouve les mêmesboeufs encore occupés à manger. Sur la routeunepetite servante en corsage rose ramène des veaux au pré.

Lesoiseaux ont la voix fraîche. On peut voir le sauvage loriotjaune.

Le ventluine s'est pas encore levé. Une fumée monte toutedroite.

Le soleilest doux comme une haleine tiède. Il achève un nuagedont il déjeune.

Les brumesdu sommeilqui pesaient sur les toitsremontent.

Parhasardils ont acheté Le Journal. Il y a un articlesigné de moi. Ils se sont dit : « Voyons voir ça? » Ils m'en parlentmais je dis que je me rappelle vaguementet que j'en fais tant que je les oublie.

-- Je lesoubliedis-jedès qu'ils me sont payés.

Je lesaide à me rabaisser.

16juillet.

Lessauterelles à tête d'âne.

LouisPaillard me dit en baissant les yeuxune petite rougeur auxpommettes :

-- J'aicrud'abordque le talent chez vous était une longuepatiencemais c'est bien plus spontané. Seulementau lieu dela page abondantec'est la ligne que vous trouvezles trois mots.Il y a chez vous telle petite phrase qui fait l'effet d'un volume. Ala première lecturepresque tout ce que je dis de vous meproduit mauvaise impression. Je reliset c'est meilleur.

-- Celavientdis-jede votre paresse de lecteur. Pour m'aimeril fautfaire un effort et se mettre dans l'état d'esprit nécessairecomme en état de grâce. Tout ce que j'écrisj'aià un momentla joie de l'écrire. Cette joiepasserevientmais elle existeet elle est communicableet vousdevez la ressentir. A quel instant ? Je ne sais. A la premièreà la seconde lecture ? Je ne saismais il est fatal que vousla ressentiez.

-- Plussimplementil faut plutôtcomme pour les poëtesvousrelire que vous lire. Je voudrais faire sur vous une étude oùje ne parlerais pas du « brillant fantaisiste »etc.C'est plus compliqué. Il me faudrait d'abord étudierles écrivains nivernais : Adam BillautBussy-Rabutinetc.puisvos maîtresle réalisme qui vous a influencé.Je connais très mal Flauberttrès mal Maupassantaprès la lecture duquel vous avez écrit Crime devillagequi est déjà autre chose que duMaupassant. Vous n'en aviez que certaines formes de phrasesmaisl'esprit était déjà vôtre. Je n'auraisaucun regret de consacrer deux ans à cette étude. Vousêtes un écrivain uniqueet mes relations avec vous sontuniques. Je vous connais dans le milieu même de votre oeuvre.Je connais le milieuet je suis le seuliciavec qui vous causiez.C'est une vraie occasionet j'ai de la chance.

-- Faitesdoncdis-je. Ce travail serait aussi important pour vous que pourmoi. Je vous y aiderai. Vous pensez bien que je ne réclame pasde vouspour l'ajouter aux autresun petit article sur moi. Je meconsidère comme un cas littéraire : il vous appartientcomme à moi. Chacun peut l'étudier. Je suisimpersonnelc'est-à-dire que je ne suis pas responsable dulittérateur. Je n'ai ni à le blâmerni àle vanter : il est. Regardez-le. J'en fais autant de mon côté.En un motconsidérez-moi comme votre Philippe.

-- Je vaism'y mettredit-il. J'ai déjà des notes. Je suis sûrque vous allez de plus en plus vers l'humanité et la bontémais que celle-ci est chez vous quelque chose d'acquis et deraisonné. Au fondil ne faudrait pas s'y fier.

-- Noussommes presque tous amisdis-je.

-- Poil deCarotte dit à chaque instant des choses audacieuses. Onéprouve une gênenon à cause des audacesmaisparce qu'il nous renseigne mal sur lui-même. On ne sait tropl'âge qu'il a.

-- Parcequ'il est fait de moments. Ce n'est pas un être qui se compose: c'est un être qui existe. J'aurais pu l'arrangerle tailler: je ne l'ai pas voulu. C'est un travail que vous faites vous-mêmeagacé peut-êtremais peu importeetpar ce travailvous accroissezbon grémal gréla vie de Poil deCarotte.

-- Unechose m'étonnedit-il : c'est que vous décriviez sipeu notre pays.

-- C'estparce qu'une description n'existe pas en tant que description pardétails. On regarde un pays : on ne l'énumèrepas. C'est l'impression par ce regard que je voudrais rendremais iln'y faut pas plus de deux ou trois mots. Je les chercheet je lestrouverai.

17juillet.

La mortlui a mis son clair de lune sur la face.

Les deuxpigeons. Ils s'aiment d'amour tendremais ce sont deux femelles.Chaque foisrien.

18juillet.

Chauvequand il se découvreon croit qu'il ôte sa chemise.

Sedomptern'est-ce pas aussi tuer de bons moments ?

Une foisma résolution bien priseje reste encore indécis.

Le remordsqui relève notre âme en bosse.

Si Baïeavait fait les chiffresil y en aurait un pour chaque nombre : ceserait bien plus commode.

Le rat aubout de la branchele chat sur le tronc. Ni l'unni l'autre nebouge. Coup de fusil. Le rat tombe. Le chat voleflaire ets'éloigneun peu étonné tout de même desa puissance.

Penser nesuffit pas : il faut penser à quelque chose.

La voixinarticulée et pâle de ceux qui rêvent tout haut.

19juillet.

Les brumesmontent çà et là comme des fuméeséparses. Les hommes souterrains allument leur foyer.

20juillet.

Les chosesne me frappent pas : elles me reviennent.

Le noyerest le plus taciturne des arbres.

LaMarche à l'étoile. Passent un gros cheval noirunepleine voiture de femmes dont on voit les jupons blancsune vieillesous son parapluie qui lui sert d'ombrelleun troupeau de boeufs etd'hommes qui meuglent et jurentcourent et montent les uns sur lesautresun paysan tout seul qui ne vendra ni n'achèteraquiverraun petit veau dans une caisse à jour sur une voitureun tape-cul à roues rougesdes boeufsdes boeufset encoredes boeufs.

Un coeurdur qu'il faut à chaque instant que je serrepour l'amollir.

21juillet.

VictorHugoun génie qui ne tâtonne jamais.

Notre viea l'air d'un essai.

23juillet.

Labatteusegrosse mouche qui bourdonne dans le village.

Dans lesplus joyeuses sonneries de cloches il y a toujours quelque chose degravede mortel.

24juillet.

On lesvoit dans les champs. Ils n'ont plus que la culotte et la chemiseetleurs bretelles ressemblent à des harnais.

C'est leuraptitude à la misère qui les fait vivre.

-- On peutvivre icidit Borneauquand on a les qualités d'un ânequ'on est sobre et laborieux.

Leurlangage est plein de petites images d'un sou qui les amusent.

Je croisêtre dans une mine d'oret je ne gratte que de la terre.

26juillet.

Renan.Quelques-unes de ses pages les plus saines remettent tout en place.

L'hommenaît avec ses vices ; il acquiert ses vertus.

J'ai plusd'une fois essayé d'être triste un jour entier. Je n'aipaspu. Pas même ça !

L'ânequi essaie de pleureret qui ne peut que braire.

Une légèrebrise du nord me souffle au coeur.

27juillet.

Sensible àtoutj'ai pris la sotte habitude de dire : « Tout m'est égal.»

Lespaysans ont quelquefois la charrue trop longue.

Il fautaller à la sagesse par le plus courtpar des chemins detraverse.

On neméprise bien que ce qu'on aime secrètement.

28juillet.

Le stylec'est l'habitudela seconde nature de la pensée.

Si l'hommeavait le pouvoir de compléter la natureau serpent ilajouterait des épines.

Les arbresse réfléchissent dans le canal : des masses d'ombrependues sous terre par une grosse corde.

L'arbrefait traverser la route à son ombre.

L'arbredéchausséson pied et ses gros doigts tordus visiblesau bord du fossé.

29juillet.

Une foiselle a vu un ramonat au faîte de Paris.

D'autresà ma placemonsieuront interrogé l'Infini. Ils ontvoulu l'embrasser : ils sont revenusla tête et les brasvides.

1er août.

Si l'onbâtissait la maison du bonheurla plus grande pièce enserait la salle d'attente.

Tâchonsde voir un peu clair en Dieu.

Philippe àtête de terre.

Oh ! notrepauvre oeil humain ! Dès qu'il regardeon ne voit plus.

Philippe abu trop d'eauet il a des coliques. Il n'a plus de jambes.

-- Il fautlui faire du thédit Marinette à Ragotte.

-- Oh ! jen'ai pas de cette denrée-là.

-- Je vousen donnerai. Mettez de l'eau sur le feu.

-- Oh !mon feu est éteint. Je ne veux pas le rallumer avant ce soir.

-- Mettezvotre eau sur le mien.

-- Oh ! mafoinon. Philippe aime bien la soupe aux choux. Je lui en ferai cesoir une bonne qui le guérira.

3 août.

L'impressionque nous fait dans les champs une fille quide loinnous paraîtjeune et jolie.

Bucoliques.Et si je disais qu'ils sont de la Nièvreen seraient-ils plusde la Nièvre ? Ce sont des hommes de la campagnede lanature.

Honorine.Elle laissera ses sabots à la porte du Paradis.

5 août.

FrancisJammes joue un peu trop. L'art est plus sévère etrésiste mal au goût épuré. Le simple n'estpas le mièvre.

Monsieurle curé est venu me voir. Je me suis dit : « Il ne vatoujours pas me manger ! » Maigrevoûtéminable.Un accent de terroir. On sent tout de suite l'ennemi borné. Ilaccorde qu'on puisse avoir des qualités sans aller à lamessequ'on peut être entre Dieu et le diablemais tout desuite :

--L'épreuve ramène à Dieu. On en est quitte pourprier pour les égarés. Rien n'empêche de lesvoir.

Il parlede sa conscience comme d'un rond de cuir où il seraitsolidement assis. Je voudrais lui tendre la mainmais j'y sens duplomb. Il vient me voir parce qu'un curé doit voir tout lemondeet il me fait l'éloge de ma mère : il tombe bien!

Un frontétroitcomme martelé sur l'enclume de la foi. Iltrouve que les paysans ne travaillent pas.

-- Ilsn'en sont pas plus heureuxdis-je.

Sasoutaneluisanteressemble un peu à une peau de serpent parendroits trop large.

8 août.

Oh ! laniaiserie des femmes distinguées de province ! Leur bavardagecontinuappliqué et prétentieux ! Chaque phrase est unclichéet c'est dit doucementdu bout des lèvresdel'air résigné d'une femme qui sait le fond des choses.

Déprimanteset asphyxianteselles sont les femmes supérieures pour lespetits curés de campagneles maîtresses d'écoleles commerçants de village.

Celle-cipréfère les vêpres à la messeon ne saitpourquoi.

Un orage !Mets-toi vite à ta table de travail afin quesi tu es frappéce soit sur le champ de bataille.

Lepapillonses ailes repliéesressemble à une petitevieille dans son châle

9 août.

D'un oragequi gronde au loin et ne bouge ni à droite ni à gaucheet n'avance ni ne reculeRagotte ditcomme si elle s'en prenait auxgens :

--Qu'est-ce qu'ils ont donc à toujours tonner comme çalà-bas ?

Je n'aimeque les conversations pleines de surnaturel.

22 août.

Aprèsavoir bien sondé le ciel impénétrableil fauten revenir à l'image du papier bleu percé de petitstrous.

Des présc'est des présmaisdes champsc'est des terres.

Il fautrentrer : déjà les araignées dressent leurspetites tentes pour la nuit.

6septembre.

Unevieille. Elle a filé au fuseau. Son rouet marche toujours.Elle ne se met jamais à table parce qu'elle est à peineaussi haute. Elle mange quand elle a faimjamais aux heures desrepaset toujours le pain rassis le plus dur. Elle boit le vin quitourne à l'aigre.

Il n'y apas beaucoup de vieilles femmes pour filer aussi fin qu'elle.

Elle aconnu les chènevottes qu'on trempait dans le soufre et quiservaient d'allumettes. Il y en avait toujours dans un potsur lacheminée.

Lamartine.Son génie femelle.

Deuxhirondelles se sont choquées dans l'air.

Elle criecomme si l'on ne voulait pas attenter à sa vertu.

Il a uncheval qui n'a que les pattes de devant de mauvaises.

Le chattâte l'univers avec sa patte.

Jen'admets pas que l'on contrarie mes projetssurtout quand j'ai lacertitude de ne jamais les mettre à exécution.

Lesfeuilles jaunissantes donnent aux arbres l'air d'être mûrs.

10septembre.

Lesparaphes à encre rouge de l'éclair.

23septembre.

Lesjardins qui s'éteignentà l'automne.

Lever d'unpaysage dans la brume. Voici les arbres du vergerla meule depaillela fermele canal qui bleuitettout le long du canallespeupliers fantômes écartent peu à peu leurs drapsde brume.

-- Ondevrait faire une pièceune grande pièce comme Cyranodit Baïeavec tout ce que j'ai dit quand j'étais petite.

Leplain-chant du laboureur.

Aucontraire de Césarje ne suis pas le premier dans monvillageet je ne suis rien à Rome.

Le gîted'un lièvre même absent est plein de peur.

Dickensouioui ! Mais il n'a pas le son d'humour qui plaît àmon oreille.

25septembre.

Chasse. Levent chante à mon oreille dans le canon court de mon fusil.

La luzerneverteondulée et mystérieuse comme un lacquellessurprises nous cache-t-elle ? La flûte de Panc'est une éteuledont les tiges sèches et creuses flûtent au moindrevent. Lorsque s'y mêle un chant de caillec'est exquis.

Ce villageisoléentouré de boissans horizonoù lefacteur n'arrive qu'à trois heures du soir. Tel châtelainenvoie tous les jours son domestique à la ville.

Desfermeson a l'impression que ces gens-là ne lisent jamais unjournal et n'apprennent les nouvelles qu'aux foires.

Des préset des prés. Le pays ne semble habité que par desboeufs. Je me demande : « Pourquoi cette ferme est-elle làplutôt qu'ailleurs ? » Philippe me dit qu'elle est touteproche d'une source qui ne tarit jamais. Voilà l'explication.

Il est unpeu gêné quandavec son fusilsa carnassièreson paletot de monsieuril passe près d'une charrue dont leslaboureurs le connaissent.

Voici unpré que le père Perrin a gagné aux cartes auvieux père Chat. Lui-même a perduun dimanchesoncheval et sa voituremais il les a regagnés le dimanchesuivant.

Autrefoisce ruisseau était flottable. Voici la place où l'onempilait le bois.

Des fuméesde feuilles de pommes de terre qu'on brûle.

Des arbresvieux comme le monde. Vivre ? Rien de meilleur que la vie. Une petiterate se sauve dans son trou. En plein midiun renard gratte au piedd'une haie.

Et il fautse promener le matin et le soircar le soir est aussi beau que lematin.

28septembre.

Un lièvrec'est grosc'est lourdet on est tout pâleun peu comme sil'on venait de tuer un homme.

Quand deuxmaisons ne se touchent pasça fait une rue.

16octobre.

Rentréeà Paris. Le soleil couchant est rose comme l'intérieurd'une coquille

17octobre.

Est-cedonc si sûr qu'on soit né pour vivre ?

Oh ! cespoëtes de terroir qui n'ont même pas un petit goûtde fumier !

Les motssont comme une voûte sur la pensée souterraine.

La routepasse sur le mont comme une bretelle sur une épaule.

Le ventclaque dans la nuit comme un drap noir.

Le bal.Ils étaient trois : le pèrequi jouait du violonlepetitdu trianglela mèredu violoncelle ; mais ellefaisait seulement figure : elle ne rendait aucun son. Elle n'osaitpas appuyer son archet sur les cordes.

Il y a enmoi un Musset auquel il n'a manqué que l'absinthe.

Ce soirParis me fait l'effet d'une grosse farce. Il y a de jolies femmes quifont le trottoir à leurs risquesalors qu'en province ellesferaient sûrement de riches mariages.

Tout cetétéj'ai vécu de mes rentes intellectuelles. Oh! j'ai des goûts modestes ! Il suffit à mon esprit dejoindre les deux bouts.

Je suischez mes paysans comme Chateaubriand chez ses sauvages : inutiled'aller si loin.

Lysc'esttrop pour moi : liseron suffit.

Le vancette coquille Saint-Jacques.

Toutlà-hautune alouette se pose sur un rayon de soleil.

Chasse. Jeme mets dans la peau du lièvre.

Ils secroient des hommes d'action parce qu'ils prennent toujours lesmeilleures places en chemin de fer.

De tout ceque nous écrivonsla postérité ne retiendraqu'une pageau plus. Je voudrais la lui choisir moi-même.

Capus afait trois piècesdeux dont il est sûret unemauvaisec'est-à-dire qui a plus de chances de réussirque les autres. Après avoir attendu dix ans sa décorationil affecte de dire qu'elle ne l'a fait loucher que dix jours. Arèneet Calmette ont invité Leygues à dîner et lui ontdit : « Il faut décorer Capus. » Il connaîttout le ministèreexcepté Leygues.

-- Çase porte sur le pardessusdit-il. Moije ne le fais pas.

22octobre.

Promenadesparisiennes. Vu une édition illustrée de Cyrano: c'est riche et banal. Les Histoires naturelles de Lautrecont une autre allure : il y a un cochon qui est déjà encharcuterie.

Echo deParis. Henry Simond diminue les conteurs. Il ne garde queFrançois de NionMargueritteFoley (il hésite)etHenry Fèvre parce que c'est un bon garçon pas heureux.Il me dédommagera. Que je donne toujours deux contes d'avanceà Rosati !

Il y aencore des terrasses de cafés de gens de lettres devantlesquelles je n'ose passer.

ChezGuitry. Le plaisir de remettre ma main dans la large main de cethomme. Brandès a toujours une jolie taille. Elle met beaucoupde vin dans les verres et de viande rouge dans les assiettes.

Nouslisons du Molière. Guitry récite du Misanthropeavec une intelligence dont son public ordinaire ne se doute pas.Quelle pauvreté d'images dans Molièremais quelleamère éloquence ! Un rire et des larmes irrésistibles.

24octobre.

Raynaud medemande s'il y a une différence entre La Tour d'ivoireet Les Cornes du faune.

-- Non pasdu point de vue de l'esthétiquedit-il. Je suis sûr dece que je faismais quant à l'impression que ces deux livrespeuvent produire sur le public.

Il parlede son talentlui aussides envieuxdes ratés. De Herediace sonnettiste inférieur à Soularylui fait descrasses. Il croit à la presseet voudrait des petites notesdans les jeunes revues. Il compte sur Coppée pour entrer dansun journal. Il croit que les éditeurs perdent les manuscritset il tient aux siens. Il se demandé s'il pourrait avoir unenote à La Vogue.

-- Toi quiconnais tout le monde...me dit-il.

Je leregarde : il a pourtant l'air aussi vieux que moi.

26octobre.

Je n'aimepas la musiquemais j'aime toutes les musiques.

Quelquevulgarité souligne le talent.

Le soleildiminue au fil de l'horizon comme un noeud qui se serre.

Lesfeuilles tristes semblaient me dire : « Tu as de la chancetoide ne jamais pouvoir mourir ! »

29octobre.

Bavardgueulardbanalinsupportable. Il ne lui faut pas plus d'un quartd'heure pour mettre entièrement à nu son coeursouffrant de petit littérateur. Son livre va-t-il se vendre ?L'éditeur va-t-il en reprendre un autre ? Il serait contentd'être cocu s'il pouvait en tirer un chef-d'oeuvre.

Il a connula misère. Il voudrait avoir la certitude que ce qu'il faitest bien.

Y êtrede ma résignation comme d'une seconde peautannée.

30octobre.

AndréBeaunier. Trente ansfigure grasseblancheimberbe. Tout petitriantjeunetl'air d'un séminariste qu'un excèsamuse. Prétend que Lemaitre est très ennuyéquel'homme politique de Mme de Loynesc'est Barrès. Brunetièrea l'ambition qui lui va le moins : celle d'être populaire.Beaunier a cet esprit qui consiste à tout dire avec l'air des'en amuser.

Ne jamaisse plaindre et toujours consoler.

31octobre.

Choseeffroyablese mettre en habits'asseoir sur un bout de fessemanger sans goûtparler sans abandonpuis jouerou regarderjouer aux cartes.

Certainesfemmes disent qu'elles ne trouvent aucun talent à Guitry de lamême façon qu'elles diraient : « Ce monsieur nem'offre pas do coucher avec moi. »

Ces joliesfemmes parlentsourientmangent et boivent comme des angespuisla taille desserréeelles se mettent à jouer auxcartescomme de vieilles sorcières.

Ilsmangent une poire avec une fourchetteet ils doivent tout fairecomme ça.

1ernovembre.

-- Mongrand défautdis-je à Bernardc'est de ne pasdistinguer admiration et compliments de l'obligeanceetparce qu'onm'offre des élogesde compter sur des services. Je ne devraispas vous le direà vous qui justifiez le moinsentre tousmes amiscette remarque.

-- Il y abeaucoup de vrai dans ce que vous dites en ce qui concerne lesautresun peu aussi en ce qui me concerne.

-- Lesmots que je fais sur vousBernardsont toujours bien.

-- Vousêtes sûrdit-ilde ne pas entamer mon cuir épaiset de tirer une petite flamme d'approbation de mes yeux depachyderme.

En enferje recevrai des coups de bec de toutes les perdrix que j'ai tuées.

16novembre.

Nouslaissons la nuit venir entre nous deux. Il me dit soudain :

-- Vousavez les yeux phosphorescents.

Il me ditça d'une voix de gorge : il a peur. J'ai la modestie derépondre :

-- Non !C'est le refletpar la fenêtredu bec de gaz qu'on vientd'allumer dans la rue.

23novembre.

Auxpremières. Théâtre. Ce château de cartesentouré d'un fossé de vagues humaines.

24novembre.

Ce qu'onappelle une situation neuve au théâtrec'est unesituation impossible.

26novembre.

ChezNohain. Petits carreauxpetits rideauxaquarelles jolies de MmeFranc-Nohain. Luipeut-être pas si artistemais un sérieuxdésir d'arriverde gagner de l'argentde ne pas tropplaisanter avec le succès. Déjàune hostilitébandée contre les juifs.

Prétendjuger froidement et nettement nos hommes politiquesau lieu dehausser les épaules et de dire : « Je m'en moque. »

Nousparlons décoration.

-- Voilàdit-il. A divers moments de notre vie le gouvernement nous prouvequ'il nous tient. Année de casernevingt-huit jourscroix.Il se rappelle à notre souvenir et n'est pas fâchéde nous humilier un peu dans notre dédain affecté pourla politique.

La vieillefille. Un couple sans enfants.

-- Machatte vient d'avoir un petitdit-elle.

-- C'esttoujours ça !

Concierge: Sursum cordon !

Le ventmesuré d'un beau jour d'automne.

L'oiseaude cage facilitant l'entrée d'un autre oiseau dans la mêmecage.

On estpris de pitié pour quelqu'un qui dit une bêtise énormecomme pour celui qui tombe et qu'on relève en pouffant derire.

Femme :une âme dans un corset.

Letouriste. En un quart d'heure de conversation il me dégoûtede la moitié de la terre.

-- Elleaime son enfant comme on aime une bête.

-- C'estdéjà bien gentil de sa part !

Je suis unlittérateur qui ne tire qu'à coup sûr.

Conversation.Il tombe de la neige.

Poil deCarotte. Lecture à Antoine. Avant la scène de lagrangej'entends : « C'est une merveille. » A partir dece momentje lis avec plus d'assurancec'est-à-dire moinsbien. Je n'ai d'ailleurs jamais été moins troublé.Après la scène du fenilje me sens moins priset monpublic m'échappe un peu. Antoine allume une cigarette.J'entends des sonneriesdes pas de gens qui marchent à côté.Je pousse un peu. Ça va mieux quand M. Lepic s'attendrit.C'est fini.

-- C'estune merveillerépète Antoine. Une toute petitelongueur. (Il ne peut me dire exactement oùlàsansdouteoù j'ai senti que je poussais). Mais c'est fugitif.J'ai rarement entendu quelque chose de pareil. Je ne croyais pas quevous puissiez tirer ça de Poil de Carotte. Vous aurezcent représentations.

-- Vous nebluffez pas ?

-- J'ensuis incapable.

-- Et vousacceptez de jouer Lepic ?

-- Ah ! jecrois bien !

Jem'aperçois que j'ai déjà mis mon chapeau. Jel'ôte gravement. Ça a dû faire plaisir àAntoine.

Comme lajoie est vite fatigante ! Pour rien au monde je ne voudrais êtretrop heureux. La joie fait au coeur l'effet d'une glace qui brûle.

Théâtre.Mon unique théoriec'est de ne jamais faire qu'un acte.

1erdécembre.

Il ne fautpas dire toute la véritémais il ne faut dire que lavérité.

2décembre.

Un auteurdramatique qui fait une pièce ne doit pas aller au théâtrecar il trouvedans toutes les pièces qu'il voitquelquechose de la sienne.

Théâtre.Eviter les effets vulgaireset de donner un nom ridicule à unpersonnage ridicule.

4décembre.

Concoursdu Journal. De Herediaqui précipite sa phrase et nepeut jamais arriver au bout : il bégaie avant le dernier mot.

-- Je suisun de vos plus anciens admirateursme dit-il.

Je ne dispas le contraire. Je ne dis rien.

Dans uncoinMme Judith Gautierla seule femme qui ait écrit sur moides choses désagréables. Le première femme deMendèset Mendès est là.

D'Esparbèsme reproche de n'être pas allé à son banquet. Ilm'appelle bourgeois Borneten se frappant sur les cuisses. Tout celaest bassans aucune drôlerieet peut-être que cethommedécoré par la République pour crier : «Vive l'Empereur ! » n'a jamais pensé un mot de ce qu'ila dit.

De tousc'est peut-être Mendès qui donne le plus l'impressiond'aimer la littératurecelle qu'il comprend.

5décembre.

ChezAntoine. Pas un mot de Poil de Carotteet nous sommes seuls.Il me parle de La Révoltede Villiersqu'on joue cesoiret qu'il trouve une belle chose : il me fait peur. Le public asuivi tout de travers. Mellot a pu sauter trois pages sans que çaparaisse. « Tant mieux ! » dit Antoine avec un faux airde dompteur.

--Avez-vous connu Villiers ?

-- Ah !oui. Il était épatant. Il buvait des absinthes vertes.Quel type !

Un employévient dire : « Larroumet est dans la salle. »

-- Ilvient quand on ne l'invite pasdit Antoine.

-- Ilvientdis-jepour apprendre son métier.

Ettout àl'heuresur l'ordre d'Antoineun autre employé ira diredans toutes les loges : « Attention ! Larroumet est dans lasalle ! »

7décembre.

Il fautêtre dans la vie comme le trappeur dans une forêt.

8décembre.

HenryBataille. Ses admirations : Jammes et Loti. Ses mains pâles etmaigreset de grands poils noirs tout de suitedès lepoignetdes dents ruinéesdes cheveux trop noirsun beaufront un peu terreux.

Théâtre.Dis toujours à ton ami : « Tu vas avoir un gros succès.» Il ne t'en voudra pas si tu te trompess'étant trompéavec toi.

10décembre.

Tâched'aborder le poëte avec quelques-uns de ses vers sur les lèvres.

Faites àma statue un petit trou sur la têteafin que les oiseaux yviennent boire.

11décembre.

DéjeunerCapusGuitryBernardPorto-Richeet moi. Porto-Richequi admireVictor Hugo et en sait par coeur des tas de versdit que ce n'estpas un penseur et ne craint pas d'ajouter que c'est un idiot.Il lui préfère Shakespeare.

De chaquegrand rôle il dit : « C'est un rôle àreprendre. » Il le dit d'Elmire.

Il estsurtout sensible à la pudeur d'une femme au théâtre.

Il estheureux de l'admiration des jeunes gens : ça fait toujoursplaisir.

-- VictorHugo est un Latindit-il. Il a refait tous les vers de Virgile.

CependantCapus croit qu'il nous fait manger du cassoulet rare : c'est desharicots et de l'oiele tout pas même salé. Ah ! ceMidi !...

13décembre.

Il fautavoir le courage de préférer l'homme intelligent àl'homme très gentil.

Celui quine tient pas à mourir te salue.

17décembre.

Concoursdu Journal. Comme on discuted'Esparbèsplus petitencore qu'il n'en a l'airva dire à Mendès : «Il n'y a que vous qui ayez le droit de parler. » Mendèsa un léger petit cri de protestation.

D'Esparbèsfait la gaffe de me présenter à Judith Gautier. Oh ! cesalut ! Etpeu aprèsil lui communique ma liste en disant :« Cet homme-là a du goût. Vous n'avez qu'àcopier. »

Tous cesgens ne sont pas difficiles en esprit. Ils donnent un prix àune histoire d'oeil de verre qui est de la dernièreimbécillité.

Claretiece lièvre furieux depuis les articles de Muhlfeld.

Vandaltout de même étonné de mon arrogancevient meserrer la main.

DeHeredialourdbon garçon et bègueme demande si jesuis content du concours.

Theurietet son air de vieux colonel bougon.

-- Je n'aipeut-être qu'une qualitédit Marnimais je veuxenlittératurerester femme.

Chèrefemme !

22décembre.

Guitry meparle de Curelce sauvage.

Il flanqueun coup de fusil à un magnifique chien noir qui passe sur sesterres.

A unechasseGuitry voit arriver des chevreuils qui jouaientfaisaientdes minesse donnaient des coups de pattes. Ils venaient à lamort. Guitry frappe dans ses mains : ils se sauventemportant leurspattes sous eux. Curel voulait le tuer.

Misogynec'est-à-dire amoureux de la première venue.

Ellevient. Je la prie de repasser à quatre heures. Elle revient.Elle a froid. Elle a goûté et bu un verre de Bordeauxpour se donner du coeur. Elle s'installebaisse l'abat-jour pour queson visage reste dans l'ombreet me lit sa petite chose en mettantpartout des accents toniques. Je lui dis :

-- Mais cen'est pas mal du tout ! Evidemmenton ne peut pas vous prédired'après çaun grand avenir d'auteur dramatique.

Et puisj'ai envie de lui dire : « Ecoutezma petite dame. Vous êtesbien gentillemais qu'est-ce que nous faisons là tous deux ?Nous n'allons pas coucher ensemble. Je vous parle de votre talentauquel je ne crois pasde votre avenirdont je me fiche pas mal. Ensommeje me moque de vouset je suis sans excuseparce que çane m'amuse pas. Défiez-vous des hommes qui s'amusent de vous !Si votre mari ne vous est pas trop insupportablerestez avec lui.Sinonprenez un amant qui vous aime ; ou plusieursqui vousenrichissent ; mais que voulez-vous qu'il y ait de commun entre nousdeux ? »

Elle estlàle menton appuyé sur la corne de mon bureauetelle se gratte les dents du bout du doigt.

--Qu'est-ce que vous voulez faire ?

-- Je nesais pas.

-- Oùcela va-t-il vous mener ?

-- Je n'ensais rien.

Maismoije sais bien que mon discours se retournerait contre moi et quequand vous sortiriez d'icivous me laisseriez barboter en pleinridicule.

Une joliefemme. Dès qu'elle pense bassementelle a autour des yeuxquelque chose de flétri.

Rien negâte une jolie femme comme la langue qu'elle affecte demontrer. C'est comme sisans être prévenutout àcoup on voyait son sexe.

Pourtantje la laisse ôter et remettre son manteau toute seule.

Et cetacte pourrait finir ainsi : « Et maintenant que je vous ai ditce que je devais vous dire... » Et le monsieur ôteraitson paletot.

Jevoudrais être vieux et pouvoir regarder une jolie femme sansqu'elle s'imagine que je désire coucher avec elle.

-- Si unpetit chat savait que sa mère est mortedit Baïeaurait-il du chagrin ?

Mespetites joies ne sont que le feuillage de l'ennemi qui approchedumalheur.

Jammes neconnaît pas la poësie de ce qui nous déplaîtdans la nature : il est trop pot de miel.

-- Leschevaux qui traînent un escalierdit Baïeles chevauxd'omnibus.

Si j'avaisfait autre chose que ce que je pouvais fairevous verriez comme ceserait mauvais !

Décentralisation.Il est arrivé de la campagne en sabots.

J'ai l'aird'une araignée au centre de mon moi.

Conférencede Bernard. Un monsieur sort vers le milieu. C'est surtout cemonsieur-là que je verraismoi. Bernard raconte des histoiresdrôles ; maisaprès chaque histoireil met unentr'acte. Il faut toujours tenir le public avec une laisse. Peuimporte qu'elle soit de soie ou de chanvre.

LeFardeau de la liberté est une des plus jolies piècesde Bernard.

26décembre.

Donnay.Réveillon. Cadet ne voulait pas venirmalade parce que lapresse avait été injuste pour lui dans LesPlaideurs. FaguetLarroumet l'avaient trouvé mauvais : ilétait bien sûr d'avoir été seul bon. Toutà coupil voit entrer Vanor qui l'a traîné dansla boue. Il feint de reprocher à Donnay sa gaffe ; tout àl'heureVanor et lui seront les meilleurs amis du monde.

CependantHuretavec ses lèvres doublesmange deux fois de tout.

-- Je suisavec les Anglais contre les Françaisdit Capus. Je suiscontre les Anglais avec les Boërs.

Donnay etLa Révolution de Michelet. Il trouve çapassionné. Il range ses livres par ordre alphabétique :je suis presque par terre.

Cadet areçu une lettre d'une Anglaise qui devait autrefois se marieravec lui. Elle lui écrit : « Je vous aime toujours commehomme ; comme Françaisje vous exècre. » Et jene peux dire le nombre d'x et d'r que le sociétairede la Comédie-Française met dans ce mot.

ChezBrandès. Elle dit à quelqu'un qui se tait :

-- Bien !Ne vous fatiguez pas.

Aquelqu'un qui tousse :

-- Faitespas ça. Vous savezc'est très dangereux.

Elletrouve ses camarades de la Comédie-Française tropconventionnels.

Capusraconte :

Micheaule directeur des Nouveautésqui a gagné troismillions(sa femme en veut six)est le plus triste des hommes. Il aacheté aux environs de Paris une maison qui est un tombeau. Safemme est encore plus triste que lui. Ils ont une fille de vingt ansgaiefinecharmanteet il veut la marier à un architecte.Il ne donnera pas de dot : il lui servira une rente et l'obligera àhabiter une cellule du tombeau.

-- QuandMirbeau parle de son chiendit Guitryil prétend que c'estun chien de race préhistoriquequi tuerait deux cents moutonsen une nuit et les mangerait. Mirbeau devient nationaliste. Il estimeque Picquart est un traître et que France n'a jamais rien écritde propre. Il souffre d'avoir été toujours obligéde cacher son âme de conservateur.

Allaisunhomme qui s'excuserait de venir dîner sans sa femme en disanttout haut : « Elle a mal aux parties génitales. »

L'ironiene dessèche pas : elle ne brûle que les mauvaisesherbes.

Le verrede lampe met au plafond un oeil de cyclope.

-- Dansmon mondedit Bernardje suis devenu l'homme célèbre.Des femmes qui m'appelaient Paul m'appellent tout à coupTristanet ça m'agace.

Puisilva voir Lintilhac au ministèrepour moi. Il a mis son chapeauhaute formeet c'est en fronçant les sourcilspresque d'unair méchantqu'il dira à Lintilhac : « Vousn'allez pas encore ne pas décorer Jules Renard ! »

28décembre.

On ne seprépare du bonheur que pour jusqu'au soir ; et il fautrecommencer le lendemainet tous les jours.

Faire unJournal où je ne donnerais que mes notes de l'annéeprécédente. Qui les reconnaîtrait ? Et lespenséesn'étant plus actuellesauraient l'airprofond.

Salle dethéâtre vide. Toutes ces gencives nues font mal àvoir. Une bouche sans dents.

29décembre.

Poil deCarotte. Lecture chez Guitry. Après la scène de laservante il dit : « C'est beau. » A la scène dusuicide : « Çac'est bien. » Je lis jusqu'aubouten poussant un peu. Quand c'est finije vois qu'il a leslarmes aux yeux.

-- C'estbeaudit-il.

-- Etmaintenantdis-jeles critiques.

--Attendez ! D'abordil faut absolument donner ça à laComédie-Française. Moi seulje peux vous jouer M.Lepic. Sa bonté. » (Je pense à part moi : «M. Lepic n'est pas un homme bon ; c'est un homme qui a desattendrissements poignants »).

Guitryinsiste. Je réponds que je ne peux pas.

-- Lescritiquesdis-je.

-- Lepublic aura la gorge étranglée : il ne faut pasdépasser une certaine émotion. Après la sortiede Mme Lepicje finirais le tout en cinq pages. A ce momentonn'attend qu'une chose : que le père et le fils s'embrassent.Il ne faut plus que du comique et du tendre. Supprimer les duretéset les phrases générales : Poil de Carotte sur lafamilletrop dur ; c'est une phrase trop haute pour lui. M. Lepicsur ceux qui acceptent tout d'une femmeetc. Supprimez. Songez quevous travaillez dans la peauet les autres dans l'alpaga. Il ne fautpas que Poil de Carotte soit un martyr. Antoine ne vous donnera pasla grande bonté apitoyée de M. Lepic. Il faut quedanschaque phrase de M. Lepicon sente le « pauvre petit ! »la caresse dans les cheveux roux de Poil de Carotteet qu'il leprenne paternellement par l'oreille. Faire faire quelque chose àPoil de Carotte et à la servante. Il ne faut pas que Poilde Carotte ait l'air d'une vengeance de Jules Renard.

30décembre.

LéonDeschamps enlevé par un érysipèle. Ce seraitimpressionnantce corps dans cette boîtesous ces voûtesimmenses et sonoressi les prêtres ridicules n'enlevaient toutsérieux.

Paul Adama le nezles moustachesle dosvoûtés. Scholl se dit: « La vie est belle ! » Il promène sa vieillefigure parcheminée et ne reconnaît plus personne.

C'estcommodeun enterrement. On peut avoir l'air maussade avec les gens :ils prennent cela pour de la tristesse.

Rebellrasé comme un derrière de prêtre. Et Bibi laPurée ! Et Jean Moréas intelligent comme un corbeau !Des visages glabres et des cheveux gras.



1900

1erjanvier.

Il y a desgens qui ne passent une bonne soirée au théâtreque s'ils peuvent dire : « C'est idiot ». Aux Chaponsune loge à ma gauche disait : « C'est idiot. »Uneà ma droitedisait : « C'est beau. »

Guitry vajouer le vieux grenadier de L'Aiglon. Il en est tout pâle.

-- C'estsuperbedit-il.

--Rostanddis-jec'est le génie.

-- Oui !Pour faire quelque chose d'aussi prodigieux que L'Aiglonilfaut être malade. Capus ne s'en tirera pas en disant que c'estde la musique.

Rostand aécritpour moiune lettre au ministre Leygues. Mme Rostanden cite des phrases à Marinettequi me les rapporte. J'en ailes yeux mouillés et le coeur gonflé. J'en suis décoré.

Leministre a dû le prendre pour un fou.

Il estmalheureuxce pauvre Rostand. Il croit L'Aiglon ennuyeux. Ilne vit plus. Il ne s'endort pas avant six heures du matin ; chaquejour son médecin lui fait une piqûre de je ne sais quoi.

A minuitAllaisGuichesCapusbaisent la main de Brandès ; moijene peux pas. Je prends ses deux mainsque je serre. Heureusementoncommence à me passer des chosesen disant : « C'estbien vous ! »

2 janvier.

J'ai peurde ne pas aimer le monde simplement parce que le monde n'est pas àmes pieds.

S'acheterune concession perpétuelle près de la fosse commune.

Jetravaille en pleine pâte. Je ne délaie pas.

Ils disent« audacieux » là où il faudrait simplementdire « obscène ».

L'humoristea les yeux grands ouverts. Il ne comprend rien à la vieet sepassionne à la regarder. Le reste est en carton.

4 janvier.

Beaubourg.L'air d'un vieux petit employé de bureau qui aurait l'airjeune. Très touché parce qu'à tout le monde jedis du bien des Joueurs de boules... Voudraitau théâtre« allier le rire aux larmes ».

-- Commetout le mondedis-je.

A trouvél'autre joursur les quaisson livre dédicacé àPaul Adam.

Fait unepièce avec la manie que l'homme de lettres a de faire de lalittérature avec tout.

Beausujetdis-je. Notre sujet.

Il ditqu'il n'a jamais joué aux boulesmais qu'il n'a pas commisd'inexactitudeet que les joueurs de boules parlent de son livrecomme du livre de quelqu'un qui les connaît.

Deuxsoeursqui n'ont plus d'espoir qu'un mari les sépare.Vingt-huit et vingt-six ans. Même chapeaumême noeud aucou. Elles racontent en même temps les mêmes histoires.Chacune apporte son détail. Une phrase commencée parl'une est finie par l'autre. C'est charmant et triste. Comme ellessont pauvreselles n'ont pas honte de ne pas se marier. Ellesdonnent des leçonsl'aînéede musiquelacadettede peinture.

Si j'étaisrichej'épouserais les deux. Elles sont fraîches commedes cerises qu'on a oublié de cueillirqui deviennentorageusesqui s'assombrissent.

Entrel'une d'elles et un lieutenanton a parlé de quelque chose.

-- Ehbienqu'attend-il ?

-- Il vapasser capitaine.

Mais onsent que ce n'est pas une raisonet que c'est déjàvieuxfini.

6 janvier.

Al'OeuvreMonsieur Bonnetde Maurice de Faramond. Lepublic est plein de respect pour les intentions de faire grand.Chaque spectateur est joint à la scène par un filélastique. Un mot le tireun autre le détend. Bauërse promène dans les couloirs et cherche des gens qui luiexpliquent.

Lesspectacles de l'OEuvre me feraient aimer le vaudeville.

8 janvier.

Hiver. Cesoleil glacé dont on ne peut jouir que derrière lafenêtre.

Au ThéâtreAntoine. La Jeunesse me dit de loin : « Ça y est ? »Je réponds : « Non ! » A l'entr'acteil me ditqu'on ne sait rien. Il a fait avec Muhlfeld la note sur Paul Adam.DehorsFranc-Nohain me dit que la note du Gaulois est deLapauze : c'est presque aussi sûr que si elle était duministre.

-- Jetiens de Guitryme dit Bernardque ce sont Paul AdamMontégutet Toudouzemais cela me paraît peu probable.

Je rentre.Marinette me dit que ça y estMme Rostand a apportéune petite boîte de rubans et une petite croix de diamant.Stupéfaction. Aucune joie. Tout de suiteje doute. Marinetteme rassure. Le TempsLes Débatsrien. La Pressedit que je ne le suis pas.

J'envoieMarinette chez Rostand. Télégramme de Franc-Nohain : ila vu Lapauzequi ne sait rien de précis.

Et voilà.C'est le coup le mieux réussi de cette sotte aventure quifinit par me dégoûter. Mon frère est làdans le fauteuilet fait des réflexions stupidescomme unhomme qui s'y connaît. Il savait bien !

9 janvier.

Mauvaisenuit. Ce matinje reçois les félicitations de JeanRignaultancien concierge de la pension Rigal. Il a lu LeGaulois. Picard m'écrit que Lapauze a téléphonéau ministèreque Leygues est en voyageet qu'il estimpossible de savoir si c'est fait ou pas en ce qui me concerne.

J'arrive àla torpeurpresque à l'indifférence. Il me semble quesur ce papier j'écris les mésaventures ridicules d'unautre.

10janvier.

Quand jeserai richedit un enfant qui ne mange pas à sa faimjem'achèterai un sandwich.

11janvier.

Il n'y aque l'égoïste à souffrir vraiment et tout letemps.

12janvier.

Par lafenêtre je vois des gens s'arrêter sur l'autre trottoiret regarder. Je me pencheet j'aperçois un cheval blanc :c'est la voiture de Rostand. Le coeur me bat. Mme Rostand entreunpeu grave.

-- Monpauvre amije vous apporte une mauvaise nouvellej'aime mieux vousle dire tout de suiteJ'en pleurerais. C'était sûretau dernier momenton vous remplace par Morandqui est un ami deLoubet. Rostand est furieux.

Elle achaud. Je n'ai pas trop d'émotionet je ne sais pourquoi j'aiun coin d'oeil mouillé.

-- Il vavenir vous voirdit-elle. Il vous expliquera. On saura des détails.

Je ne suisvraiment pas ému. Je remarque seulement qu'elle a une robe desoie noireun chapeau printanieret qu'elle est un peu fatiguée.Elle trouve que je prends bien ça. J'ai l'air intéressantd'une pâle accouchée.

Elle a degrandes dentsmaisau bout de quelques minutesson sourire lescache.

14janvier.

Conférenced'Allais. Il s'avanceune main dans la poche gauche. On sent que lepublicnombreuxtrouve déjà que c'est drôle. Ilfeint de s'être trompé et d'avoir apportépeut-êtreun mémoire de fournisseur au lieu de sesnotes.

On fait «Chut ! » aux gens qui entrent.

-- C'estpour moi que vous dites ça ? demande-t-il.

Ilcommenceplein de frousseau fondaccoudéla têtederrière sa main. On lui crie : « Plus haut ! »comme à une danseuse.

Avec destemps trop longsdes temps de peuril parle du doge de VenisedeLouis XIV et de Rancet pas de Capusdont il dit seulement : «Il a été ingénieur des Mineset il a lâchéle métier par peur du grisou. »

Eclats derire épars. Des gens résistent. On a un peu peur que lepublic ne l'emballe. Le verre d'eau et le sucrier le sauvent. Ilprend du sucre avec sa pincele met dans son verrele remet avec lapince dans le sucrier et le reprend avec ses doigts.

-- Je n'enai pas préparé plus longdit-il. Je vais improviser lereste.

Ilremercie le public de sa tolérancerevient saluer et met lamain sur son coeur.

Il dit quedivers conférenciers lui ont donné des indications.Courteline lui a conseillé de l'aplombBernardde labonhomieCroissetl'air élégant et hautainLefèvrede se caresser la barbe.

-- Laconférence touche à sa findit-il.

Et il s'enva.

20janvier.

Franc-Nohain.Conférence sur les Marionnettes. De l'aplombune bonnevoixun peu trop administrative. Bon début et trèsbonne fin. Il distribue des prix à ses confrèresmedonne le prix d'honneurà Bernardle prix de littératureanglaise. Sa pièceLa Grenouille et le Capucinc'estneufplein de choses plutôt judicieuses que jolies. Manque unpeu de proportions et de clarté. Phrase trop littéraireje veux dire : trop serpentine. Au théâtrele sujetleverbe et l'attribut suffisent : plusc'est trop.

Gémierme félicitemollement d'ailleursd'avoir honoré laLégion d'honneurouvre mon paletotne voit rien et a le tortde s'excuser.

On parlede mon autorité. A vrai direon m'embête. J'aila réputation d'être réservé. Je ne peuxplus dire une chose agréable sans que ça prenne desproportions gênantes pour ma sincérité. Je n'iraiplus nulle partet je ne dirai plus de choses aimables àpersonne.

22janvier.

Six heuresdu soir. Maurice. De la part de Mlle Neyratla Sociétéprotectrice des animaux vient de m'adresser un chien loulou. Déjàles enfants jouent avec lui. On lui donne le nom de Papillonquandun employé des Chemins de fer de l'Etat vient nous dire queMaurice est tombé en syncope et qu'on ne peut le ramener.Impression de maussaderie. Je ne pense pas à la mort. Je merappelle les syncopes de papa. Je vais le ramenermoile secoueret lui dire quequand on est maladeon se couche.

Rue deChâteaudunn° 42. Des gens dans le vestibule. Un petitmonsieurgroscourtdécoréme dit : « Votrepauvre frère est bien bas ! » puisà l'oreillepour que Marinette n'entende pas : « Il est mort. » Lemot ne me fait rien.

-- Eh !biendis-jeoù est-il ?

J'entends: « Retenez madamene la laissez pas monter. » Je prieavec une nervosité croissantequ'on me montre où ilest. On monte.

Il est làétendu sur un canapé vert-pâlebouche ouverteun genou ployéla tête sur un Bottindans la pose d'unhomme fatigué. Il me rappelle mon père. Par terredestaches d'eauun torchon.

Il estmortmais ça n'entre pas. Marinette crie un peusuffoquedemande un médecin. Je me passe plusieurs fois la main sur lefrontavec la conscience que ce geste est inutileet je demandecomment c'est arrivé. Plusieurs fois il s'était plaintde la chaleurde tortillements à l'estomac. Au moment dequitter le bureauil a tourné sur sa chaise. On l'a portésur le canapé. Quelques suffocationsà peine desrâles. Pas un mot. En deux ou trois minutesc'étaitfini. Le médecin en chefappeléa tout tenté.Rien à faire : angine de poitrine.

Je peuxm'asseoir et pleurer un peu. Marinette m'embrasseet je lis dans sesyeux l'effroi quedans deux ansce sera mon tour.

Je neressens encore qu'une espèce de colère contre la mortqui se plaît à nous jouer de ces farces imbéciles.

Je tâchede lirede loinla réclame imprimée en noir sur lestranches du Bottin.

J'écrisdes dépêches sur des bouts de papieretdevant tout cemondeje crois bien que j'écris mal pour faire croire que jetremble ; car ça n'entre toujours pas.

Nousrestons là. On lui a retiré ce qu'il avait dans sespoches. On m'emmène vers son bureauque je ne vois pas.Chauffé à la vapeuril y a jusqu'à 20°. Ilavait le dos à la colonne montante. Il avait souvent dit : «Ils me tuerontavec leur système de chauffage ! »

L'ambulancearrive. A deuxils le descendent dans un fauteuilla têtecouverte d'une serviette. Je le vois ballotté. Comme il estgrand et mou ! Au bas de l'escalier on le couche sur un brancardpuis on le porte à la voiture. Elle laisse derrièreelle un sillage de gravité. La mort passeet c'est notreparente à tous.

Rue duRocheron le couche sur son lit. Je lui mets un mouchoir sur latête.

Lesenfants crient à Marinette : « Nous t'aimons bien ! »Ils promettent d'être bien sages. Et puisil y a le petitchien : ils jouent gravement avec lui.

Je vais aucommissariat de police signer des papiers. Dans la ruetoute cettevie du soir ! Ça n'entre pas.

Peu àpeuMaurice Renard fera place à grand frère Félix.Alorsça entrera.

Marinetteet moinous le veillons jusqu'à quatre heures du matin. Detemps en tempsje lève le mouchoir. Je regarde sa bouche unpeu entrouverte. Il va respirer. Il ne respire pas.

Le nezqui était : un peu empâtéprend des lignes plusnettes. Les oreilles durcissent comme des coquillages. S'il allait sesoulever ? Il ne se soulève pas.

Il estdéjà de pierre. La face jaunit et les traits sepincent. Je l'embrasse pour la dernière fois. Les lèvrescollent au front dur et froid.

Sa vie apassé dans les meublesdont le moindre craquement nous faitfrissonner.

23janvier.

Mardi.Courbature. On a la poitrine traversée de courants nerveux. Onse tâteun peu étonné de vivre.

Visites.Des camarades viennent rendre leurs derniers devoirs. Touss'efforcent de se rappeler un détail qui distingue le souvenirque chacun d'eux conserve de Maurice.

Quand onpasse à certains endroitsune âcre odeur pique lesnarines. La mort travaille.

On diraitque son visage s'emplit de nuit.

Une pauvrepetite femmelocatairequi passe avec sa boîte à laitdevant la portes'arrêtepose sa boîtedit : «Pardon ! Je ne savais pas. » Elle s'agenouillefait une courteprièrese signeet s'en va.

Mise enbière. Le plombier arrive avec son réchaudpuisdeshommes portant un sac de sonpuisles trois cercueils : unlégerde sapinun de zincun de chêne. On enveloppe Maurice dansson drap. On le couche. Il faut lui décroiser les bras. Rienne craque.

Que defois j'ai entendu dire : « C'était un employémodèle qu'on ne remplacera pas ! »

Oh ! lavie affolante d'employé modèle !

24janvier.

Mercredi.Voyage à Chitry. On est surpris que maman et ma soeurpermettent des obsèques civiles. On dit : « C'est Jules.» J'y tenais si peu ! Mais Philippe et Pierre Bertin viennent àmon aide : Maurice leur disait toujours qu'il voulait êtreenterré comme son père.

Ragotte meraconte qu'elle était à Pazy. Une femme qui venait deCorbigny lui dit : « Savez-vous la nouvelle ? -- Non. --Monsieur Jules est mort. On le ramène demain. » Ellerevient à la hâte. Elle ne pouvait marcher assez vite.Elle disait : « Oh ! une si gentille dame qui le caressait tant!... Siencorec'était M. Maurice !... » QuandPhilippe la détrompeelle est soulagée. Elle m'aportémortdans son coeurpendant trois kilomètres.J'en éprouve je ne sais quelle sotte satisfaction d'hommeintéressant.

Nuitglacialeoù ma calotte jusqu'aux yeux n'arrive pas àme réchauffer la tête.

Dans lanuit de veilleplusieurs fois je lui ai demandé pardonpresque à haute voixd'avoir été dur enverslui. Mais lui n'était pas non plusexcepté au fondtrès fraternel.

La mort demon père était une leçon. Si Maurice avait étémaladepeut-être -- oh ! je ne sais pas -- que j'aurais étébon pour ses derniers jours.

25janvier.

Jeudi. Unenterrement de poëte. On m'annonce que ses camarades lui ontoffert « une couronne de toute beauté ». Lefourgon est couvertle cercueil placé sur un pauvre breackdont le cheval a l'air d'avoir étéce matin mêmebarbouillé de noir sale.

Je marchederrière mon frère. Arrivent Pierre BertinBorneauRobinetc. Les couronnes se balancent. Parfoisle cheval va tropvite et ralentit brusquement.

Il faitfroid. Nous marchonsla tête couverte. Quand arrive un groupequi venait au-devant de nousje salue. A l'entrée du villagele maireceint de son écharpem'attend et me demande lepermis d'inhumer. Il marche devant le break et nous conduit aucimetière. En traversant le villageje reste tête nue.Des femmes sur les seuils. Quelques maisons ferméesoùse cachent des gens qui ont peur. Je regarde à droite et àgauche les champs que mon frère et lui ont parcourus. C'estsilencieuximpressionnant. Il fait soleil. C'est bien.

Le breacken entrant au cimetièreheurte la grille. On descend le corpsdans la fosse profonde. Un gros ver au bord : on dirait qu'il seréjouitqu'il se pavane. Les femmes commencent à jeterde la terreles unesdes pincéesles autresdes poignées.Une pierre sonne.

Jem'écarte pour pleurer.

Ma soeurva chez le curé. Je dis à Marinette de la suivre.Jusqu'au dernier moment il a espéré : il n'a dit samesse qu'à onze heures. Comme prêtreil trouve quec'est un grand malheur pour sa paroisse ; comme amiil prend part.Il hésite à accepter un billet de cent francs. On luidit qu'il ne sera pas obligé de dire que ça vient de lafamille Renard. Il le prend.

1erfévrier.

-- Vousêtes en deuil ?

-- Oui.J'ai perdu mon frère.

-- Ah !

Un peu detristesse dans ce « Ah ! »un léger nuage sur lafigureet on parle d'autre chose.

2 février.

Mauriceune nouvelle épreuve de mon pèremal réussieet qui n'a pas duré. Déjàil se disperse dansl'espace. Il faut tirer son image volante.

4 février.

ChezGuitry. Bernard cite des vers de Mendèsqui ne sont pas mal.

-- Ilsgagneraient à signifier quelque chosedit Capus.

Guitryrécite de L'Aiglon. Oui ! Oui ! Des centaines de fleursqui sortent d'un chapeau. On est amuséétonnépas très ému. Et puisles fleurs sont en papier. Desvers qui excitentqui ne touchent pas.

10février.

Il fautles entendre me dire : « Vous ne connaissez pas les femmes ! »Ces êtres vulgaires s'imaginent sentir des choses que je nesens pas. Quand je leur explique : « Que voulez-vous donc direavec vos coucheries ? » ils me ripostentavec des yeux quitournent au blanc : « Mais il ne s'agit pas de coucheries. »

J'ai lasensibilité d'une lyreet le vent suffit à me fairevibrer.

12février.

Poil decarotte. Répétition. Antoine pas là. Onn'avance pas. Vu le décor en maquette. C'est un joujoud'enfant. C'est à la scène ce qu'est à la sallele petit théâtre en carton du bureau de location.

PuisDonnay et Descaves viennent pour La Clairière. Oncollationne le premier acte. Il y a plus de vingt personnes sur lascène.

-- On secroirait dans un squaredit Descaves.

Il y en aqui dorment. La concierge du théâtre passe sur la scènecomme si elle allait réclamer le prix des chaises.

13février.

Claudeldéjeune. Il parle du mal que l'affaire Dreyfus nous a fait àl'étranger. Cet homme intelligentce poëtesent leprêtre rageur et de sang âcre.

-- Mais latolérance ? lui dis-je.

-- Il y ades maisons pour çarépond-il.

Ilséprouvent je ne sais quelle joie malsaine à s'abêtiret ils en veulent aux autresde cet abêtissement. Ils neconnaissent pas le sourire de la bonté.

Sa soeur adans sa chambre un portrait de Rochefort etsur sa tableLaLibre Parole. Elle a envie de le suivre dans ses consulats.

Et cepoëte affecte de ne comprendre et de n'admirer que lesingénieurs. Ils produisent de la réalité. Toutcela est banal.

Il a lepoil rare et regarde en dessous. Son âme a mauvais estomac. Ilrevient à son horreur des juifsqu'il ne peut voir ni sentir.

14février.

Prèsd'une femmej'éprouve tout de suite ce plaisir un peumélancolique qu'on a sur un pont à regarder l'eaucouler.

Antoinecomprend la réalitépas la poësiequielleaussiest vraie.

19février.

_Poil deCarotte. Répétition. Antoine est là et faittravaillerd'abord en scènepuis au foyeravec uneintelligence qui me rend modeste au point que je n'ose pas lecontredire une fois.

-- Vousêtes indispensablelui dis-je.

-- Jeviendraidit-ilmaisquelquefoisça m'embête. Ilfaut que je fasse deux métiers.

Il joue --et c'est admirable de justesse -- le rôle de Poil de Carottesans dire une seule de mes phrasesmais il dit à « ses» femmes :

-- Netouchez pas au texte. Si l'auteur a écrit çac'estqu'il a ses raisons.

Il me ditcomme pour s'excuser :

-- Nefaites pas attention. Je leur indique là des choses de cabot.

Quandc'est finije le remercie avec une joie enfantine. Guitryc'esttoute la dictionAntoinetoute l'actionje veux dire : le feulaviele sens tout nu des phrases.

24février.

Antoinedéjeune en ville. On répète à peine. Cesdames sont très préoccupées par leurs jupes.Antoine arrive. Il a bien déjeunéon oublie derépéter. On s'assied aux fauteuils d'orchestre. Il y alà HenniqueCourtelineGémierDuményDesfontainesetsur la scènetrois femmes : Ellen AndréeMaupinDesprèsqui causent bien naturellementassises surun banccomme trois commères chez elles.

ChezGuitry. La place Vendôme est sa cour.

1er mars.

Poil deCarotte. Répétition. Me voilà tranquille.Tropcar le toit de la maison des Lepic est en tuiles.

On répèteune première foissans s'arrêterdans un décorincompletqui d'ailleurs n'emballe personne. Quelques personnes dansla sallefemmesacteurs. La première partie me semble dureet sèche. Antoine sait mal son rôlepuisbrusquementje sens que ça partet ça ne s'arrête plus. Deslarmes coulent sur la figure de Poil de Carottedélaient sonrouge. Il a une tête terribled'assassin de sa mère. Etl'on sent qu'Antoine se gardequ'il sera beaucoup mieux à larépétition générale. Maupin pleure parcequ'elle trouve dure Mme Lepicet elle ajoute :

-- Cen'est rien. Ce n'est que du cabotinage.

On répète« pour fignoler »dit Antoine qui ne serait pas fichu dedire exactement trois répliques de son rôleet cevéritable artiste donne de rares indications.

Marinetten'a plus peur de rien. Elle m'effraie un peu Cependantme voilàsoulagé. J'ai extrait de Poil de Carotte l'essence queje voulais. Qu'il y en ait pour dix ou pour dix mille personnespeum'importe. Qu'ils s'arrangent !

Répétitionà minuithachéesaccadéemaisaprèscelle de ce matinje ne suis plus inquiet. Marinettedans la logede Maupin qui lui raconte toutes ses histoiresme dit : «Elles sont gentillestoutes ces petites femmes ! »

Desprèstrempe son doigt dans un pot de vaseline et en avale une bonnebouchée. Il paraît que c'est bon pour la voixmaisc'est bien écoeurant pour celui qui n'en mange pas.

Une petitefemme qui fait « la passante »et qui me dit que son nomne sera même pas sur l'affiches'est maquillée comme sila pièce dépendait de l'éclairage de sa face.Elle n'a fait jusqu'ici qu'ouvrir et fermer des portesmais elleparle des rôles qu'elle a créés.

Aplusieurs reprisesAntoineécoutant Desprèsdit : «Voilà une actrice ! C'est intéressant de fairetravailler une femme comme ça. » Elle en rougit.

On soupeau bar du théâtre Des agents frappent à la porteAntoine leur répond : « Je suis chez moi. »

2 mars.

Répétitiongénérale. Je vais à pied au théâtre.Les bruits de coulisses sur la pièce d'Hermant ne sont pasbons. Ça ne passe pas. On proteste. Je sens un public dur.Desprès est pâle d'émotion. Antoine est énervé.Je lui fais une recommandation qu'il écoute à peine. Jereste dans sa loge.

Je marche.Je regarde vaguement. Je touche des choses. Enfin j'entends le rideause baisseret des bruits. Puis des figures étranges arriventAntoinequi embrasse Desprès et dit en se retenant : «C'est un gros succès ! » Desprès déperruquéeet rayonnantequi me dit : « C'est à vous qu'il fautdemander si vous êtes content ! »

Ah ! lesbeaux visages qui arriventéclairés de souriresadoucis de larmes. Guitry : « C'est encore mieux que ce qu'onespérait de vous. » Brandès : « Oh ! que jesuis contente ! Quel grand artiste vous êtes ! »Marinette dont la joie débordeDescavesCourtelineun peusecPorto-Riche qui hoche la têteCapus qui me dit : «C'est de premier ordre »et qui me donne des remords d'avoirété dur pour sa pièce.

-- Moidit Antoine à Marinetteje n'ai rien fait. C'est lui qui atout fait. Il m'a apporté un monceau de notes.

7 mars.

Sameditrès bien. Dimanchele gros public rit trop. LundiDuményme dit :

-- Lepublic est froidce soirmais dès les premièreslignes Poil de Carotte part.

C'estàmon sensla meilleure représentation. Le public a suivi commedans une barque.

Le Bargyet sa femme viennent dans la loge d'Antoine. « C'est unchef-d'oeuvre »dit-il ; mais Antoine trouve qu'on a mal jouéet veut une répétition pour le lendemain. C'estquelqu'unqu'Antoine ! Il donne de la vie au texte un peu mort de lascène entre Poil de Carotte et la servante. Il dit àDesprès :

-- Oui !Vous avez été bienmais vous jouez mal la pièce.Le Bargy me disait hier qu'il n'avait jamais vu jouer la comédieainsietmoije dis que je n'ai jamais vu de pièce aussimal jouée. Elle est solide ; sans çaelle seraittombée.

Il ajoutequ'il a joué lui-même comme un cochon.

9 mars.

A LaRevue blancheMirbeau me tire dans un coin et me demande si jeveux qu'il pose ma candidature à l'Académie desGoncourt. Si ouic'est chose faite. Henniqueme dit-ila sautésur l'idée.

Jeréponds... que je répondraiet que je ne veux pasmarcher contre Descaves. Je réfléchirai.

Rentréchez moije cherche certain petit papier d'il y a dix ansoùje n'ai pas été tendre pour Goncourt. Voilà uncas de conscience de pluscomme je les aimeet qui m'occupera.

15 mars.

L'Aiglon.Répétition générale. Un prodigeun peulongde virtuosité. C'est écrasant de beauté etun peuaussid'ennui. On admire sans émotion. Inouï etbanal. Une pièce où des gens bâillerontd'admiration. On est comme devant une belle chute d'eau : bientôton veut s'en aller.

Dans laloge de SarahRostand m'appelle. Nous nous embrassonsmais jen'étais pas préparé. Je n'ai pas d'émotion.Malgré les mots « génie »« centcoudées au-dessus de Cyrano »je sens que jeréussis à peine à être gentil.

Guitry aété l'éclat de ce prodige sombre. Unapplaudissement interminable le salua après sa premièretirade. Sarah souriait et avait l'air toute petitedans une poche.

Lapremière. Après une interminable réclamationdu publicRostand est venu saluer deux fois. Demains'il veutilsera roi de France.

Sarah estmeilleureGuitry moins bon.

--Embrassons-nous encore ! me dit Rostand.

Il medonne ses joues J'embrasse tout seulet je n'aime pas ça.

-- Jevaisdis-jedans les couloirs recueillir quelques critiques.

A la finje dis :

-- Il n'ya que Rostand qui puisse faire mieux.

17 mars.

Oh ! cespauvres femmes d'auteurs joués qui vous disent : « Allezdonc voir mon mari après le deuxième acte ! Il est siénervé ! Et vous me rapporterez de ses nouvelles. »C'est la modemaintenantqu'elles président à cesbataillesqu'elles donnent le signal des applaudissementset quequelquefoisles pauvres femmes ! elles applaudissent toutes seules.Et ce sont elles qui fontde leurs maris artistesdes manoeuvres.

19 mars.

ChezAntoine. J'écoute Poil de Carotte en toute sécurité.Les effets sont sûrs. Je les attendsils viennent. La servantea le plus groset Desprès en est un peu gênée.Elle me conseille de lui faire une observation.

Dans laloge d'AntoineTrarieuxAntoineBrieuxcontre Rostand que jesoutiensmais j'ai un peu l'air d'un agent provocateur.

-- Unjourdit Antoinej'ai entendu le premier acte des Romanesques.J'ai trouvé ça tellement bien que je suis partidepeur d'aimer les deux autres.

20 mars.

Beau !Admirable ! Superbe ! Ces louanges ont quelque chose d'essouffléet d'anémique.

J'habiteune cuirasseet les chagrins ne font que sonner sur moi.

21 mars.

Rostand.Ce matinles journaux sont pleins de mauvaises nouvelles. Marinettese rappelle ce que lui a dit Mme Rostand : en cas de rechutelemédecin ne répondrait plus de rien. Elle va auxnouvelles. En effetles médecins ne se prononcent pas. Onparle pneumonie et grande faiblesse. La mort peut-être joue sondrame.

Et mevoilà un peu honteux des plaisanteries que je me permettaissur cet homme tout de même unique.

Une de cesfemmes jolies et fines avec lesquelles il suffirait de parlerd'amour.

24 mars.

Leshabilleusesassises et chuchotant dans les coinspauvres vieillesque les étoiles rabrouent et qui ne peuvent se rendresupportables que par leurs flatteries.

27 mars.

J'aiconfiance dans mon étoile pâle.

3 avril.

Des gensde mérite hésitent à avoir du caractèreparce qu'ils ont peur d'être traités de poires.

Lamauvaise charitéc'est celle qui offre plutôt un verrede vin qu'une bouchée de pain.

9 avril.

Sociétédes gens de lettres. Marcel Prévostbien habillébienpeigné. Frais et grosil reluit. Hervieu. Ouiouiun grandtalentmais comme on voit bien qu'à ses yeux un beau livreune belle oeuvre dramatiquen'ont pas plus d'importance qu'uneélection à l'Académie ou à la présidencede la Société des gens de lettres ! Il s'appliqueautant à se faire valoir qu'à écrire.

-- C'estsi agréable de n'être de rien ! me dit Edouard Rod.

-- Ouiàla condition d'être quelque chose.

AlphonseLabitte me parle encore de sa première femme.

Il y aderrière moi un couple assez jeune qui travaille -- l'homme etla femme -- dans la littérature.

Marni meprésente à Daniel Lesueurà qui je promets mavoix. Dès qu'une femme me fait un complimentpour peu qu'ellesoit jolietout de suite je me sens amoureux d'elle.

11 avril.

Femmes quinous troublent un peuqui laissenten passantsur la nettetéde notre coeurune buée légère.

-- Est-ceque des hommes vous suivent ?

-- Trèssouvent. Il est facile de me prendre pour une demi-mondaine.

-- Quevous disent-ils ?

-- Rien dedrôle. Sinonje m'arrêterais.

-- Maisque vous disent-ils ?

-- «Madamevous êtes méchante. » « Madamerépondez-moi. » « Madamepourrais-je vousaccompagner chez vous ? » Je réponds : « Ouisivous désirez faire connaissance avec mon mari. » Unouvrier m'a ditet c'est ce que j'ai entendu de plus drôle : «A la bonne heure ! Elle a du poil sur la têtecelle-là! »

27 avril.

LaGloriette. Elections municipales. Un jeune fouqui a épousépour sa fortuneune mère de famille de quarante-cinq ansvoudrait être maire de Chaumot.

Borneautravaille douze heures par jour et ne gagne pas cent sous. Son filsqui l'aide en gagne cinquante-cinqmais n'a aucun goût aumétier. Sa filleLucien'a aucun goût au ménagece qui le désole. Pierreson plus petitqui est enfant dechoeur et se saoule déjà au point de se jeteravec sesburettesdans la soutane de M. le curéveut être valetde chambre.

Borneauvoudrait avoir une bicyclette pour aller à son travail et enrevenirmais c'est trop cher. Il ira à l'Exposition àParisoù il a deux soeurs. Il couchera chez ellessur unepaillasseet il se promèneratoute la journéeavecun jambon sur l'épaule au bout d'un bâton. Encore unvoyage qui va bien lui coûter cinquante francs ! Diable lepètec'est vrai.

Il parlesurtout à Philippeet ils causent tous deux comme si jen'étais pas là. Quand il s'en vacomme il ne sait sije vais lui tendre la mainil me tourne tout de suite le doset jetends la main à son derrière.

Il ne litLe Petit Parisien qu'en hiveraux veillées. En étéil n'a pas le temps. Il travaille et dort.

2 Mai.

Maman.Marinette me décide à aller la voir. Le coeur me bat unpeu de malaise. Elle est dans le corridor. Tout de suiteellepleure. La petite bonne ne sait où se mettre. Elle m'embrasselonguement. Je lui rends un baiser.

Elle nousfait entrer dans la chambre de papa et m'embrasse encore en disant :

-- Que jesuis contente que tu sois venu ! Viens donc de temps en temps ! MonDieu ! Que j'ai donc du malheur !

Je neréponds rien et je vais au jardin. Elle dit :

-- Va voirle pauvre jardin ! Les poules n'y laissent pas une graine.

A peinesuis-je parti qu'elle tombe aux genoux de Marinette et la remercie dem'avoir amené. Elle dit :

-- Je n'aiplus que lui. Maurice ne me regardait pasmais il venait me voir.

Elle veutme donner un couvert en argent. A Marinetteelle offre une pendule.Elle disait un jour à Baïe : « A Saint-Etiennej'ai vu un joli petit canif pour toiet j'ai bien failli tel'apporter. »

Il y aplus d'un an que je ne l'avais vue. Je la trouvenon pas trèsvieillemais grasse et flasque. C'est toujours la même figureavec un fond de physionomie inquiétantcelle que montre unephotographie où elle tient Maurice sur ses genoux.

Personnene pleure et ne rit aussi facilement qu'elle.

Je lui disau revoir sans tourner la tête.

Je jurequ'à mon âge personne ne m'impressionne autant qu'elle.

Elections.M. Thibaudat me rejoint sur le banc et me dit qu'il y a du nouveau.M. de Talonque je croyais bien et qui est mal avec Dervaults'inquiète de ses manoeuvresa fait trois listeset m'aporté sur les trois. Et me voilà embêtécomme toujours avec des nuances. Je pourrais dire à M. deTalon que je n'admets pas cette manière de se servir de monnom sans me prévenirou accepter. Ce n'est pas aussi simple.

Ai-jeouiou nonenvie d'être conseiller municipal ? Oui. Mais jevoudrais être sûr de passer au premier tour. Alorsjelouvoieje mens. Je feins d'être irrité contre M. deTalon. Je feins de rester parce quesi je me retiraisje pourraiscompromettre l'élection des « vrais républicains» et assurer celle de Dervault. Je feins d'être détachédes choses de la politique. Je dis que j'ai besoin de me consulterde consulter Philippe.

-- Il y abien des gens qui voteront pour vousme dit-il. Mais y en aura-t-ilassez ?

Nous entrouvons vingt-huit ou trentemais il y en a une dizaine de douteuxet il en faut au moins vingt-cinq. Je dis à Thibaudat :

-- J'ailonguement réfléchi. D'abordje ne comprends pas queM. de Talon m'ait porté sur sa liste sans me prévenir.Si la liste passeles gens de Chaumot diront : « C'est doncpour ça que M. Jules nous offrait des sucres d'orge ? »Si elle ne passe pasje serai gêné cette annéepour leur en offrir. Etce qui m'ennuiec'est que M. de Talon n'estpas républicain.

-- Faitesune autre liste !

-- Non. Jene voudrais pas avoir l'air de marcher contre lui. Il n'est pasrépublicainc'est vraimais il connaît son affaire.D'ailleursj'accepterais d'être conseillermairenon pas.

-- Entreztoujours au conseildit-il. C'est un commencement. Vous pourrez enfaire un conseil républicain.

-- Mais jesuis presque toute l'année à Paris ! Si je m'occupe desintérêts de la communeje veux le faire sérieusement;

-- Vousêtes ici en mai pour la session principale : ça suffit.D'ailleursil n'y a rien à fairequ'à signer.

-- Enfinje verraidis-je.

Ah ! commeon se croit vite un fin politique ! Je mériterais une bonneveste.

Les mêmesmots servent partout. On dit d'un tel qu'il ne songe qu'à sesintérêtsd'un autreque ce n'est pas un mauvais hommeet qu'il a seulement de l'ambition. J'ai le feu aux pommettes àl'idée que dimanche soir je serai peut-être ridiculecomme un autre.

Thibaudata vu M. de Talon hier soir et m'apporte une lettre de luid'excuseset d'encouragement. Quelques conseillers sont allés le voirhier et lui ont demandé s'il ne faisait pas une liste.

-- Ouia-t-il dit. Je porte l'ancien conseil tout entier. Pour remplacer unmembre disparu j'ajoute M. Jules Renard. Ce n'est pas le premiervenu. Il a déjà fait quelque chose pour la commune. Ilcontinuera.

Je suis ledernier sur la listepour ne pas froisser les autres. PuisM. deTalon les a fait boire ; mais le prudent Philippe me dit :

-- Cesgars-là boivent d'un côtémais ils pensent del'autre.

Icionfait une différence entre les nobles et les riches parvenus ;on préfère les nobles.

Le facteurme remet deux papiersdeux listescelle de M. le maire et uneautre. Qui a fait l'autre ? J'ai quelque fierté d'êtresur les deux.

PierreBertin a rêvé cette nuit qu'il était maire. Assisdans un fauteuil avec les conseillers autour de luiil fumait «un quartier de cigare » qui les aveuglait tous.

5 mai.

On separle en baissant la voixdans les coins. Hier soirréuniondes conseillers. M. de Talon les a emmenés boire. Il a ditquesans moil'école retomberait à rien.

Ce matinje croise M. le maire de Chitry. Il revient de planter ses pommes deterre. Il marche sous sa hotte. On dirait le plus pauvre du village.Ce serait biensi on le renommait à cause de cet air-là.

Ragotteserait vexée si Philippe ne passait pas : elle aime bien qu'ilsoit « regardé ».

8 mai.

Electiondu 6 maidimanche. Elu par 31 voix sur 50 votants.

Toute lamatinéeje surveilledu banc. Philippe surveille l'arrivéedu père Garnierl'ancien bergerqui a cinq livres de pain dela commune et qui cherche le reste. Philippe lui donne le bonbulletin et le pousse dans la salle de vote. Je le vois entrer. Ils'approchele bras tenduson bulletin à la maincomme àtâtonsparce qu'il ne voit pas bien clairdépose sonbulletin et s'assiedla tête sur son bâtonvoûtémaladele visage dégradé comme un vieux mur. Ilprononce des mots qu'on n'entend paset s'en vadisant : «Bonsoirla compagnie ! » Il viendra le lendemain à maporteet je lui donnerai dix sousn'osant faire plus de peur qu'ilne se saoulemais Philippe me dit quedans ces cas-làil neboit que du café.

Aprèsdéjeunerje me décide à aller à lamairie quijusque-làme faisait un peu peur. Des gens selèvent. Je donne des poignées de mainmaisje lesensmal. M. de Taloninquietdépose les bulletins dansl'urne etchaque foisfrappe de la paume sur la boîte commepour dire : « Il n'y a pas à y revenir. »

L'heureapproche de fermer le scrutin. Les pointeurs s'installent. On vide laboîte.

C'estfini. Tous les conseillers sortants passentplus moi. Je dis àtous :

--Messieursje vous inviteceux qui ont voté contre moi etpour moià venir boire un verre de bière.

Ilsviennent presque tous Je ne les compte pasmais trente-septbouteilles jonchent le solcomme des petits canons partis. Si onvotait maintenantj'aurais dix voix de plus.

Déjàun vieux a quelque chose à me demander. Je l'entraînedans un coin. Il commence une histoire. Je le remets à plustardquand le conseil sera formé.

Je mecouchecontenténervépoisseuxla tête pleined'un feu d'artifice de bulletins.

10 mai.

La communede Chaumot est d'une telle importance que les journaux du départementne parlent même pas de ses élections municipales. Ceuxde ParisLa PresseLe MatinL'Evénementannoncentmon électionmaisà Corbignyà 4 kilomètreson ne se doute pas que je suis élu. Il est vrai que j'ai prisla précaution de prévenir moi-même Paris.

11 mai.

Promenade.L'air supérieur où chante l'alouetteoù elle segrise de soleil jusqu'à tomber comme un plomb.

Le muguet: deux longues oreilles vertes et un petit bouton blanc.

Donnez-moide la vie : je me charge de « la partie littéraire ».

Je vaiscomme une taupe. De temps en temps je fais crouler un peu de terre.Une éclaircie. Puisje rentre dans ma nuit.

Le radisnoir : taupe de velours noir.

16 mai.

Lesmeilleurs d'entre nous ne font que voir leurs défauts.

17 mai.

Commej'appelle le chienle vieux se retournecroit que c'est lui quej'appelleque je lui fais un signepeut-être un pied de nez.Il s'éloigne et va m'attendre à une barrière depré qu'il feint de consolider. Comme je passeil se retourneoh ! pas nettementet nos regards se rencontrent par-dessous nosnez. Il ne salue pasmoi non plus. Nous passons. Il crache un boncoup. Et tout de suite j'imagine un drame.

Lesurlendemaincomme Marinette m'offre le brasje lui dis :

-- Si levieux nous voyait !...

-- Ilcracheraitdit-elle.

Elle aussil'avait remarqué. M'en voilà malade.

Type demaire de village. Des sabotsune culotte avec deux grandes piècesà chaque genoula braguette grande ouverte comme si c'étaitplus convenableune chemise à raies déteintesuntricot grisun gilet sur ce tricot qui le dépasseetdernier vêtementautre gros tricot marron. Un tout petitchapeau de paille orné d'un ruban noir. Le toutuséet cependant inamovible.

Il trouveque c'est coûteuxd'être maire. Il dit :

-- On abeau être intéressé : il faut tout de mêmede temps en tempsdépenser quelque petite chose. C'est desfraisallez !

On attacheau lien de la vache quelques poils coupés à la queue duveau qu'on lui enlève. Je trouve ça raisonnable.L'odeur la trompecomme les vêtements d'un mort trompent ladouleur de ceux qui restent.

Une jumentau pré va toujours faire son poulain vers l'eaus'il y en arivièreou mare. Il faut la surveillersinonon trouve lepoulain noyé. Il naît enveloppé d'une peau commed'un sac ; il y meurt si l'on ne le délivre. A l'écuriesa mèreretenue par le licolne peut pas l'aider.

Le veauqui a mangé de l'herbe ne vaut paspour le boucherle veauqui n'a que bu du lait.

19 mai.

Leursrhumesce sont des bronchites et l'on est étonnéqu'ils ne meurent pas tous les huit jours.

30 mai.

Une flamme-- est-ce la dernière ? -- dans la cheminée ; une rose-- c'est la première -- dans un verre d'eau.

Notre âmeimmortellepourquoi ? Et pourquoi pas celle des bêtes ? Quandles deux flammes sont éteintesquelle différence ya-t-il entre la flamme d'une pauvre chandelle et celle d'une bellelampe au bec compliquéhaute sur tigeet dont l'abat-jours'écarte comme une jupe ?

2 juin.

Cettemanie que j'ai d'être bon tue peut-être en moi un talentde polémiste qui serait rare. Quand je lis un article deRochefort ou de Drumontje me dis parfois : « Oh ! les pauvres! C'est tout ce qu'ils trouvent ? »

Le curéde Chitry estau fondtrès humilié parce que je nelui ai jamais rendu la visite qu'il a hésité trois moisà me faire. Il ne le dit pas : il en dit d'autres. Chaque foisqu'ils sontlui et le vicaire de Corbignychez Louis Paillardilsparlent de moi.

-- Vousvoyez ! dit le curé de Chitry. Il a de l'ambitionvotreRenard ! Il est venu à Chaumot soigner son élection. Ilveut des titres. Ne pouvant être de l'Académieil sefait nommer conseiller municipal. Il a des illusions sur les gens dupays. J'ai causé avec lui. Je sais ce qu'il est : un rêveur(avec un sourire) : un poëte. C'est aussi un orgueilleux. On luia offert d'être l'adjoint de M. de Talon : il est trop fieretil a fait nommer Philippe. Oui ! Oui ! Il nous a donné sondomestique comme adjoint. Il a écrit Poil de Carottepour se venger de sa mèrequi est si bonne !

Unexemplaire de Poil de Carotte circule à Chitryannotéà peu près en ces termes : « Exemplaire trouvépar hasard chez un libraire. C'est un livre où il dit du malde sa mère pour se venger d'elle. »

J'écouteLouis Paillard. Ce n'est pas pour potiner qu'il me raconte tout cela.Nous traversons un champ de blé où chante une caillepar un sentier si étroit qu'il marche poliment derrièremoi.

-- Toutceladis-jem'attristerait peut-être si je n'avais lucematinles dernières pages d'un livre de Maurice Maeterlinck :La Sagesse et la Destinée. Quel beau livre !

Et quellemagnifique nature ! Et toutes ces herbes semblent pousser plus hautque le clocher de l'église.

Oh ! lalégende du bon vieux curé de campagne ! Oh ! leparapluie de l'abbé Constantin ! Ils disent n'importe quoipourvu qu'ils ajoutent : « Je parle au nom de ma conscience. »

Ilsprennent tout : cinq cents francs pour faire un voyagecent francs àla mort de mon frère enterré civilement. Maislameilleure de nous tousune brave femme vraimentc'est cette pauvrevieille qui vous a ditun matin : « Je vais àl'enterrement de monsieur Maurice. » Vous lui avez dit : «Je vous défends d'y aller : c'est un enterrement de païen.» Mais elle vous a répondu : « Pardon ! J'irai àson enterrement. Son père m'a fait donner du pain par lacommuneetlui-mêmec'était un bon jeune homme quetout le monde aimait et estimait. » Et vous l'avez mise àla porte. C'était la misère pour ellemais la hontepour vous.

Ne la faispas au saint laïc. Sois modeste. Si tu te crois supérieurdemande pardon à ton idéal. Fais le bien si tu peuxmais dis toujours : « Pardonnez-moimême si je fais lebien : je ne sais jamais ce que je fais. »

Il a dedouze à quinze mille francs de rentes ; il vit dans la saleté.Il mange à la cuisine avec une vieille bonne repoussante. Unjourle Dr Paillardqui le soignelui demande un poisson de sonvivier. Il le donneet se le fait payer. Il oublie toujours derendre la menue monnaie qu'il emprunte.

Sur lavieille routedeux enfants agenouillés flattent un cochon.

-- Il estmalade ?

-- Oh !non. Il joue.

Caresséil fait semblant de dormirs'allonge et grogne de gratitude. Sonoreille bien ouverte est noire comme un fouret les mains des petitsse promènent sur sa saleté.

3 juin.

Secrétairede mairiesabotier et joueur de vielle. Il fait encore des sabotsparce que ça rapportemais sa femme lui a défendu dejouer de la viellesans doute parce que ce n'est pas convenable pourle mari d'une institutrice.

Si on luicommande une paire de sabotsça l'humilie un peu. Il acceptela commandemais il les fait d'un air détachécommeun amateur adroitlégersen bois de sauleet ne les noircitmême pas. Ils vont toujours assez bien. Ils prendrontl'habitude du pied. Il cloue la bride devant vousavec de petitscoups de marteau supérieurs.

-- Est-ceque j'ai seulement un couteau dans ma poche pour couper ce quidépasse de la bride ? Voilàdit-il.

Et iljette les sabots à vos pieds avec l'air de dire : « Vousen feriez autant si vous vouliez. »

En véritéle talent de faire des sabots lui est venu comme malgré lui.

Paul Adam.Après chacune de ses phrases il faudrait un petit coup detambour.

5 juin.

Une fermeisoléelivide sous un orage.

6 juin.

Conseilmunicipal. Délibération pour faire entrer « lesieur Garnier » aux Incurables de Nevers. Sept heures du matin.Quatre conseillers ne viennent pas : ils ont des pommes de terre àpiocher. Les uns boudentles autres disent : « Ils seronttoujours bien assez ! »

Etd'aborddois-je ôter mon chapeau comme M. le maire ? Lesconseillers gardent le leur. Ma foije fais comme euxpour ne pasles froisser ; maistout le temps que dure la séanceje medemande : « Devrais-je ou non garder mon chapeau ? » M.le mairequi a rédigé la délibérationme dit :

-- Il y ades répétitionsmais nous ne faisons pas de lalittérature.

Je vaislui dire que ça ne gêne jamaisquand il ajoute :

-- Encorefaut-il que ce soit correct.

Laconcession me suffit.

-- LeJournaldit-ilest quelquefois bien ennuyeux. Il a des sériesassommantes. Et puisce qu'ils appellent La Vie drôlece n'est pas drôle du tout. Il n'y a pas le motle motvouscomprenez ? le trait ! Ce n'est pas parisien.

Puisiléclate contre ses administrés. Il s'est dévouépour eux. Il a trouvé la commune dans un état !... Rienque des dettes. Il leur à fait un budgetmais çal'embête. Tous ces gars-là sont jaloux. Ils voudraientêtre les maîtreseuxles autochtonesles aborigènes.M. le maire me fait l'honneur de ses mots distingués.Qu'est-ce que ça lui rapported'être maire ? Ni gloireni argent. Les propriétés qu'il a sur la commune n'ontbesoin de rien. Il est maire par dévouementparce qu'il estcomme çaqu'il est honnête hommeet qu'il veut finirdans la peau d'un honnête homme.

Et cemaire d'une humble commune parle comme Cromwellmoins bienmais ilgémit avec la même hypocrisie.

Songeuroui. Penseurje m'en fiche.

On pense àla mort tant qu'on espère y échapper.

Lamartinerêve cinq minutes et il écrit une heure. L'artc'est lecontraire.

EmileAugierses vers en pierres sèches.

Monimaginationc'est ma mémoire.

Je vais aucoeur des femmes par le sentier le plus fleuri et le plus long.

Mes joiessans me faire de bienfont du mal aux autres.

Jevoudrais seulement avoir assez de talent pour qu'il me préservede l'envie.

--Avais-tu des enfants quand tu t'es marié ? me demande Baïe?

Oh ! monémotion ne m'engage à rien. Je ne suis pas si sûrque ça de ma sensibilité.

-- A quoiça sertla mer ? demande Baïe.

-- Maiscomment irait-on d'un continent à l'autre ?

-- Ehbienpar le chemin de fer !

Paul Adamécrit tout ce qui nous passe par la tête.

Je n'aique la nostalgie de la jungle. Kipling y est allé.

La taillefaite comme par un tailleur.

Campagnecliché qui peu à peu se révèle.

Je tiens àmon âge de trente-cinq ans : je n'ai que celui-là.

Heureuxencore l'homme qui peut dire : « Autrefoisj'étais unhomme heureux ! »

La naturene sait jouer que de l'orgue de Barbarie.

Ilsportent leurs lourdes mains comme de vieux outils.

-- Vousconnaissez l'Italie ?

-- Pasmême de nomrépond Guitry.

-- Lesarticles de Capus ? dit Bernard. Des gens qui causentsans sepresserà un buffetet quià la finse dépêchenten disant : « Nous allons rater le train ! »

Le petitair fanévieillotdes feuilles qui s'ouvrent.

Ne pas selever trop matin : la nature n'est pas prête.

Lesescargots et leurs petits bâtons pour mangercomme lesChinois.

Notrebontéc'est notre méchanceté qui dort.

La pouleet le coq. Tout de suite aprèsils se mettent àpicorer etde temps en tempsse regardent à la dérobée.

Ce sontles pommiers sauvages qui ont les plus belles fleurs.

Femmetroublantevous que je n'ai qu'entrevue et que j'espère bienne jamais revoir !

L'oiseaune sent rien quand on lui coupe les plumes de ses ailesmais il nepeut plus voler.

12 juin.

Rentréeà Paris. -- Ah ! sur la joue les lèvres d'une mèrequ'on n'aime pas !

La femmed'Allais regardeà l'Expositiondeux superbes chevauxempaillés et s'exclamed'admiration.

-- Nem'embête pas ! dit Allais. Demainà midiils serontdevant ta porte.

Exposition.Danse du ventre. C'est obscèned'abordpuis çadevient très bien. Une belle fillegraveles seins et leventre roulant sous une étoffe légère et rosesemble la déesse des confitures. L'étoffe se creuse aunombril. On sent que c'est un art et qu'aux yeux de tous ces hommesaccroupis et fascinésil y a les danseuses médiocreset les divines.

Les jetsdu ventre en avant ne sont que lubriquesmais le roulis des fessesdes hanchesdes seinsdes épauleset le petit va-et-vientde la têtec'est très bien.

L'uned'ellestout en dansants'assied sur une bouteille qu'elle couvrede ses jupesse relève avec la bouteilleoù ça? dans le derrièresans doutecontinue de dansers'accroupit encore et repose la bouteille. Puiscouchée surune tableelle met quatre ou cinq verres sur son ventre et les faitpar simple rouliss'entrechoquer rythmiquement.

Leshommesaffreux. Des Juifs à la Drumont. Mais on s'habituedoucement au teint mat des femmesà leurs cheveux durs etnoirsà leur gravité. Elles sourient parfoismaispourquoi plutôt à ce moment qu'à cet autre ?

Le restece n'est rien. Le centre des rêves de ce peuplec'est lenombril d'une femme.

16 juin.

Je ne peuxpas regarder une feuille d'arbre sans être écrasépar l'univers.

Ilsgardent un tison de la bûche de Noël pour mettre dans lefoyer quand il tonne.

J'ai lamaladie de la prose comme j'ai eu celle du vers. Aprèsenquoi vais-je écrire ?

17 juin.

Guitry àl'Exposition. Devant le Petit Palaisune vieille femme voûtéelui dit :

--Voulez-vous me donner la mainmonsieurpour m'aider à monterl'escalier ?

-- Maiscomment doncmadame !

Et voilàle beau Guitrygênéun peu rougemontant l'escalierle poing tendu où la main de la vieille femme s'appuie commeun vieux faucon. J'entends :

-- Quandon est jeune !...Il devrait y avoir une rampe.

-- Ouimadame.

Sur lebord de la dernière marcheil se débarrasse. Puis ilme dit :

-- Jeregarde si j'ai encore ma montrecar c'est toujours ainsi que çafinit.

18 juin.

Oh ! lespauvres petits faits de mon humble vie !

Qu'est-ceque cette étoile ? Et on lit son nom sur un livreet on croitla connaître.

L'anniversairede Baïe.

-- Moidit-elleje suis née demain.

Madamejevous écoute avec les oreilles du coeurles oreillettes.

J'écrisavec une plume à poil.

Il y a desmoments où la vie abuse ; l'art doit se garder de touteexagération.

Maintenantil faut lire entre les lignes du téléphone.

Baïen'a appris à faire ses devoirs que pour les faire faire àsa poupée.

Lachevelure bien peignée d'un beau feu.

Tel quevous me voyezj'ai mis en vers la scène de l'évêqueet du Conventionnel des Misérables.

Le métierd'un écrivainc'est d'apprendre à écrire.

J'ai untravail qui pressepour la postérité.

Il n'y apas de mal à être le sujet d'un roi quand on se fait unebelle idée du roi.

Vouspleurezmadame ? Ah ! prenez garde à votre peinture !

Je ne fumepasmais je sais bien tout ce qu'on peut faire avec un paquet detabac.

Nuages :comme si on avait sur la tête une mer furieuse.

Poësies: beau titre pour un livre de prose.

Je n'auraipas lu une fois Pascal tout entierni La Bruyèreavant demouriretquand je parle d'euxj'en ai plein la bouche.

Je monteje m'élèvemais j'éprouve chaque échelon.

Chaumotpauvre communeouimais humble.

Guiches.Guitry l'avait dépeint à Sarah comme un homme timidede sorte qu'à leur première entrevue elle semblaittoujours lui dire : « Ne vous troublez pas ! Qu'ai-je donc desi intimidant ? » Guiches n'avait pas le temps de protester. Enla quittant : « C'est intolérable ! » dit-il.

Des petitspoulets autour de leur mèrec'est joli à voir commeune branche chargée de fruits.

Etalon. Ilest le seuliciqui ait un uniformeun uniforme de cheval degénéral.

Ce matinje suis heureux : tous mes petits ballons me tirent en haut.

Lareligion ne devrait êtrepour les pauvresque de la gaieté.

Nuagespâlespresque blancsqui se détachent du noir etsemblent être la fumée des coups de tonnerre.

L'horizonse rétrécit. Le vert des présun vert bilieuxqui fait mal aux yeux et au coeur. Calme au soleil couchantet mêmedes restes de bleu.

On en voitqui vont à l'appel de l'orageattirés au centre.

Là-basest la bataille.

Une régionrelativement calmeoù se forment des troupes fraîchesde nuages.

Pas unegoutte de pluie sur ma tête ; à quelque distancedesarbres noyés sous la pluie.

C'est lamêlée. C'est un coup de canon qui décide.Grondement de grêle.

Des fondsrouxdes colères bleuesdes rages jauneset ce continuclignement d'yeux.

Un combatde nuages. Quelques-uns reviennentcomme blessésvidés.

Des petitsse sauventpuis y retournent. Une arméenombreuse etépaissede pluie accourt de là-bas.

Et celadevient si impressionnant que le carnet se ferme sur le crayon.

Le soirles nuages revinrent de la batailleéclopéssanglantsles unsen hâteles autresse traînant àpeine.

Là-basà l'horizonle soleil roulaitcomme une roue de char perduedans l'eau sanglante.

La rivièredébordeet les boeufsinquietstraversent la mer.

Jevoudrais être l'homme d'un seul rêve.

Il y a ennous éclipse de soleil.

C'estdrôlecommedès qu'une femme de talent nous ditqu'elle a un mariça nous refroidit pour son talent !

AGermenayils sonnent encore les cloches pour éloignerl'orage. Leur prouverFlammarion en mainque le sonneur risqued'être foudroyé.

Ilsm'écouteraient. Au premier orage ils s'abstiendraientet lafoudre tomberait sur le clocher et incendierait l'église.

20 juin.

La paressea cela de mortel quedès qu'on en triompheon la sent déjàqui renaît.

Des perlesplein les doigtscomme si elle avait traîné ses mainsau fond de la mer.

24 juin.

Al'exposition de la Grande-BretagneGuitry me montre des Reynoldsjecrois. Pas besoin de m'expliquer : c'est beau jusqu'au fond de notrecoeur. C'est de la peinture d'amant. Enfantspetites fillesfemmesnous laissent la tristesse de n'être pas aimés d'eux.

-- Etpuisdit Guitryc'est fait avec rien. A travers la peinture on voitle grain de la toile.

-- Oh !çaje m'en fiche.

Auxmachineshalte joyeuse. Il y a des danseuses cocassesdes rageusesdes voluptueusesdes pistons qui jouissent. Huysmans en ferait toutun livre.

26 juin.

J'aimemieux être impoli que banal.

28 juin.

Diderot.Oh ! tout ce vent pour nous apporter quelques graines et quelquesfleurs !

Le castorqui a l'air d'accoucher d'une semelle de soulier.

Exposition.Au théâtre d'Andalousie il y asur la scèneunedizaine de femmes qui dansent et battent des mains. Parmi ellesunevieillevêtue comme une féeet qui a une rose dans sescheveux blancs.

Un chevaldoit courir plus vite quand il se sent une jolie fille sur les reins.

3 juillet.

Pourquoidéfinir ce que fait Rodin ? Mirbeau est le plus fort àenvelopper de ténèbres la simplicité de cetartisteouvrier robustepénétrant et malin.

Il y a unetête de femme en argentet l'on ne peut nier qu'il ne tire sagrâceune grâce neuvede l'argent. Un monsieur hausseles épaules.

Dans leBalzacil y a de l'admiration pour son oeuvrede la colèrede sculpteur contre la terre qu'il pétritet un défiaux hommes.

Il y a desseins qui fondent dans la main de l'amant.

Un beauRochefortdont les joues font des plis tombants de rideau.

Un VictorHugo dont la tête grossie par notre culte écrase uncorps que nous ignorons.

Les Amantstournent l'un sur l'autre et semblent dire : « Comment nousprendre pour nous aimer comme personne ne s'est aimé avantnous ? »

4 juillet.

-- J'aimebien à me promener avec vousdis-je à Guitry parce queles passants disent : « Voilà Guitry »et qu'ilsajoutent quelquefois : « L'autrec'est Rostand. »

5 juillet.

Un espritsans abat-jour.

-- Lavoiture est en bas.

--Faites-la monter.

Guitrychoisitdans Edgar Poe traduit par Baudelaireun passage subtiletle lit. Mais Capus a le courage de demander qu'est-ce que çaveut dire.

Baïeaime à déjeuner au restaurant parce qu'on n'y plie passa serviette.

Les motstombent parfois de notre bouche comme des personnages ridiculesettout de suite nous rions de leur chute grotesque.

Expositioninternationale de peinture et de sculpture. En dehors d'un Besnarddont on peut dire que « ce n'est pas bête »desCarrièred'un Boldini amusantquoi ? De la peinturece doitêtre compris par un enfant. Il y a dix ans que je nem'intéresse qu'à la vérité ; comment cesgens-là pourraient-ils me tromper ? Des Bonnat : c'est ducartondes Carolus-Duran : c'est du tocetmême desLhermittec'est de la fausse poësie. Il n'y a qu'àouvrir les yeux.

Si !encore un peintre allemand dont j'oublie le nom. Son portrait deGuillaumec'est brutal et franc. Cette vieillec'est une vieille.

Mais duGervexdu Detaille ! Çade la vie ? D'ailleursil y a deuxou trois écrivains de mon temps que j'aimeet je suis sûrqu'eux seuls font bien. Pourquoi la proportion serait-elle plus forteparmi les peintres ?

7 juillet.

Exposition.Au théâtre de Loïe Fullerle théâtrechinois. Un mélange de Guignol et de ThéâtreAntoine. Comme des clownsils se battent sans se faire de malet ils ont des mines qu'envieraient nos meilleurs comédiens.Des gestes de mains qui semblent désossées.

Au théâtrede la Danse une ouvreuse raide nous offre à chacun une rose.

-- Oh !moije n'en veux pas.

-- Un soirde galatout le monde est obligédit-elled'avoir une roseà la boutonnière.

Intimidéje prends sa rose.

Robert deFlersqui est conseiller général dans la Corrèzea fait un ballet pour ce théâtre. Il nous fait entrermais l'air un peu gêné parce quece soir de galanousne sommes pas en habit.

Al'Aquarium. Le supplice d'un scaphandrier qui aurait envie de segratter le nez. Il n'y a de bien que les hippocampes. Ils se tiennentdroits comme des épingles de cravate. Ils montent oudescendent dans l'eau en dépliant ou repliant leur queue.

9 juillet.

Exposition.Guitry. Nous parlons de nos ministres. Nous aimons ce sujet. Il medit que Waldeck-Rousseau est un timidetimide jusqu'àl'impassibilitéet quequand il prononce d'un ton calme unde ses discoursil tremble en dedanset qu'il sue à changerde tout dès que son ordre du jour est voté. C'est leplus intelligent de tous. Leur excusec'est de n'avoir pas le tempsde s'occuper de nous.

Aux Indesnéerlandaisesnous voyons de petites sculptures puérilespour lesquelles Rodin a une grande admiration. Guitry les admireàcôté de mon silence. Je crois quesi elles n'avaientpas presque toutes le nez cassé...

20juillet.

Il y a enmoi un homme qui écrirait un acte par jour ; mais je l'ai misaux fersdans la cale.

Philippeest encore plus rouge à Paris qu'à la campagne. Iltrouve quela gare de Lyonc'est bien gentil.

Tout desuite en sortant du trainBorneau veut aller à mon théâtre.Ça lui est bien égalde voir les autres !

11juillet.

Philippe aapporté une énorme caisse pleine de groseilleset untout petit baluchon qui se compose d'une chemise dans un mouchoir.

Il faut àl'Amitié six mois de congé par an pour renouveler sonrépertoire. L'amour devrait en faire autant.

Avares.Ils vivent avec les rentes de ce qu'ils gagnent.

Philippeécrit pour la première fois à sa femme. Elle luirépondrapuis il lui récrira. Ça l'étonnede l'appeler Madame sur une enveloppe.

Denis lesa promenés dans le palais des tableauxles faisant arrêterdevant les « beaux tableaux » qu'il connaissait par LePetit Journal. Philippe ne disait rienmais s'ennuyait ferme.Sur la plate-formeBorneau riait des bons coups.

-- Je nesais quel banquier richissimeraconte Guitryentre chez unherboriste. Il dit : « Avez-vous de la poudre à punaises? -- Ouimonsieur. -- Donnez-m'en pour quatre sous. -- Dans uncornet ? -- Non ! Ici »dit le banquier en ouvrant d'un doigtson col de chemise.

L'âged'ornonmais l'âge de l'or.

A laSculpturePhilippe ne s'est amusé qu'à l'endroit oùil y a de gros chevaux.

Borneau avu des tas de généraux qui allaient manger la soupechez le Président.

-- Quandje serai vieuxdit-ilje prendrai un vieux sac de plâtrejele secouerai et j'irai chercher mon pain. Je coucherai dans lapaille.

Telle estla retraite qu'il se promet.

Il a vuune église où des vieux bonshommes tendent la têtejusque sur la place.

Philippen'aime pas à rester à la maison. Il se promènedans la rue du Rocher jusqu'à ce que la soupe soit prête.

Ce qu'ilpréfèrec'est le Parc Monceausi bien arroséavec des gros pigeons.

Tout cequ'il voitil l'appelle des denrées.

Trèsfrappé par le veau marin du Jardin des Plantesqui est «une drôle de bête ».

Borneaul'arrête devant Notre-Dame et lui crie que tous ses plombsviennent de Chitry.

Le matinil prend de la viande et boit du vin. Puisil prend du fromage etboit du café. Comme le café ne rafraîchit pasilboit encore un verre de vin.

Il estinquiet sur le bateau-mouche : l'eau est bien près du bord !

15juillet.

Je prévoistrès bien quemoi aussij'aurai des heures de vieillesse oùun coup de fusil dans la tête ne me fera plus aucun mal.

22juillet.

Exposition.Au restaurant allemand. On s'y trouve très bien parce quec'est très bienet aussi parce que les nationalistes nousassomment.

Cesgrosses pluies orageuses qui tombent de lassitude de se tenir enl'air.

Au Boisavec Guitry. Vers une heure du matintout est fermé. Desombres qui ôtent de l'assurance.

Capus. Sapetite figure insignifianteC'est un homme de talent qui se promènetoujours incognito.

24juillet.

Guitryraconte :

Pasteur seprésente chez madame veuve Boucicautla propriétairedu Bon Marché. On hésite à le recevoir. «C'est un vieux monsieur »dit la bonne. « Est-ce lePasteur pour la rage des chiens ? » La bonne va demander. «Oui »dit Pasteur. Il entre. Il explique qu'il va fonder unInstitut. Peu à peu il s'animedevient clairéloquent.« Voilà pourquoi je me suis imposé le devoird'ennuyer les personnes charitables comme vous. La moindre obole...»-- « Mais comment donc ! » dit Mme Boucicaut avec la mêmegêne que Pasteur. Et des paroles insignifiantes. Elle prend uncarnetsigne un chèque et l'offrepliéàPasteur. « Mercimadame ! dit-iltrop aimable. » Iljette un coup d'oeil sur le chèque et se met àsangloter. Elle sanglote avec lui. Le chèque était d'unmillion.

Guitry ales yeux rougesmoila boule de gorge.

Et nousvoilà parlant bontépleins d'une bonté qui fonden nous et nous fait du bienavanthélas ! que nous n'enfassions aux autres.

-- Je vaisme déshabillerdit-elle.

--Avez-vous besoin d'un homme de chambre inoffensif ?

-- Je lepréférerais dangereux.

--Pourquoi ?

-- Jesaurais mieux me défendre.

26 juillet

A Chaumot.

Enaccouchantelle a été prise d'une crise d'estomac. Ona cru qu'elle passait. On est allé le chercher. Il arriveetn'est pas étonné.

-- Quoi ?Qu'est-ce qu'elle a ? Je l'ai déjà vue comme ça.

Outréede son indifférenceelle lui crie :

-- Carne !C'est toi qui m'as mise dans cet état ! C'est toi qui as toutfait !

Et ilss'engueulent.

Unebouteille de champagneofferte par Marinettel'a remise.

Quand ellea de ces crises d'estomacelle boit de grands verres d'eau-de-viequ'elle envoie prendre chez ses voisinsou qu'elle achète.

Il estinscrit sur la liste d'Assistanceellepas. On l'a inscrited'office. Elle croyait que c'était impossibleparce quel'accouchement n'est pas une maladie.

-- LeChâteau-d'Eaudit Philippelà où l'eau serenverse de tous les côtés.

La natureest toujours d'un poëterarement les livres.

Undéjeuner digne qu'à chaque plat on y change de table.

On ne selasse pas de vous voiret vous ne vous fatiguez pas d'êtreregardée.

Sonnet :quatorze vers pour une idée.

Lesportraits de Carrière : des visages vus à travers unstore.

27juillet.

Philippen'a eu les larmes aux yeux qu'une fois dans sa vie : il regardaittomber la grêle.

9 août.

Tout cequ'il prend à la naturele poëte le lui restitue. C'estdéjà bien joli quand elle ne réclame pas !

Voleuse etcruellepour donner le changela vie se déguise en soeur decharité.

Il ne fautpas dire qu'on relit les chefs-d'oeuvrecar il semble toujours qu'onne les a jamais lus.

Philosophie! morale ! J'ai remarqué quedès que je réfléchisun peuje suis très profond.

Ceux quiont le mieux parlé de la mort sont morts.

Penserqu'un jour mes amis s'aborderont en disant :

-- Tu sais? Notre pauvre vieux Jules Renard...

-- Oui. Ehbien ?

-- Eh bien!il est mort.

Il y a desheures où il faut chercher tous ses mots dans le dictionnaire.

11 août.

Les heuresde dégoût où l'on ne veut plus avoir aucunrapport avec soi-même.

Vieille :toute la grêle de la vie lui est tombée dessus.

J'ai lessentiments d'Alceste et la conduite de Philinte.

-- Le roid'Italie est assassiné.

-- Ah !dit Philippe. C'est pour ça qu'hier soir ils ont fait unepoliceà Chitry !

Sommeilhaché menu en mille petits réveils.

Le motécrit me tient encore par des tas de fils que je suis long àcasser.

Jardin.Avoir des fleurs à la sueur de son front.

Le merleblanc existemais il est si blanc qu'on ne le voit paset le merlenoir n'est que son ombre.

La terrequi s'endort ramène la nuit sur elle.

Exposition.Ils nous font sueravec leurs pays chauds !

16 août.

Dépêchedu ministre Georges Leygues à Edmond Rostand13 août1900 « M. Edmond Rostandhomme de lettres29rueAlphonse-de-Neuville. Cher Monsieur. Jules Renardque vous avez bienvoulu me recommanderaura sa croix. Il passera dans mon mouvement del'Exposition. Et vouscher monsieurvous aurez demain la rosette dela Légion d'honneur. Je suis heureux que les hasards de lapolitique et de la vie me permettent de donner ce témoignaged'admiration à l'un des hommes qui honorent le plus lesLettres françaises. Cordialement vôtre. Georges Leygues.»

8septembre.

Oh !madamej'ai eu dans mon coeurcette nuit-làun des plusbeaux clairs de lune de ma vie.

Prétentieusechacun de ses mots est comme roulé dans de la farine.

-- Vousqui n'êtes pas bête quand vous voulez... dit le maire àPhilippe.

Al'horizon bleula lune monte d'abord presque blanche.

L'arc dema phrase est toujours tendu.

7 octobre.

Rentréeà Paris.

8 octobre.

Guitry vaprendre un bain et revient avec une belle redingote et un gilet toutfleuri. Il est heureux de n'avoir pas grossi depuis la premièrede L'Aiglon.

Je disl'effet que ma décoration a produit dans ma famille.

-- Ah ! lafamille ! dit Capus. Mon père n'a pas vu que j'étaisdécoré : comme je l'avais prévuil étaitdéjà gâteux. L'autre jourje regardais saphotographiesur ma table. Je riais et pleurais tout à lafois. Ça faisait un bruit énormeet tout cela n'estd'ailleurs pas exempt d'un certain respect filial. Quant à lacroixça ne sert plus à rienmême dans lesgares. Tout le monde a le ruban : on le distribue avec les billets.

-- Chermonsieur...

-- Chermonsieur vous-même ! répond Allais.

Voyage. Lechangement de figure du maître d'hôtel dès qu'ilapprend qu'on n'a pas l'intention de passer sa vie chez lui.

C'est labienfaitrice du pays. Tout le monde se ferait un plaisir d'aller àson enterrement.

Des fleursdans des verres demandent la clef des champs.

J'aiparfois une âme de concierge sur sa porte.

Arc-en-ciell'écharpe du tonnerre.

Je vois unarc-en-ciel là-bas. Je vais aller passer dessous.

Brisésd'un coup de foudre les nuages se rassemblent. Un éclair coudl'arc-en-ciellui fait un point.

J'éclairenon pas d'un bout à l'autre du cielmais dans mon petit coind'horizon.

On n'a pasle droit d'attaquer la vie privée des gens ; c'est pourtant delà qu'il faudrait déloger l'infâme.

Emporte envoyage une idée ! Il n'y a plus de distance.

Avec leursécriteaux de « Chasse gardée »les arbresressemblent à des aveugles.

Dèsque les sourcils poussentles soucis viennent.

Laborimprobus... Le travail des coquins triomphe de tout.

-- Monpère aurait voulu vous voir écrire des Lettrescomme Paul-Louis Courierme dit Louis Paillard.

Chacune denos oeuvres doit être une crisepresque une révolution.

Lesgirouettes qui ne peuvent pas se voir en face.

9 octobre.

Paysage.Quel calme ! Vois cette fumée : elle monte toute droite.

Orage. Jecrains la foudre intelligente.

«Estime. » Ce mot n'a pas d'adverbe. Sans quoi quel gaspillageau bas des lettres !

Automne.Une nature bien mûrie.

Toilesd'araignée : les fées ont laissé leur cerveauaux buissons.

Cet étatd'espritde coeurplutôtoù l'on ne s'étonneraitpas d'entendre crier une pantoufle parce qu'on marche dedans.

La têtedu coq éclate comme le bout d'une allumette.

«Commis-voyageur »ils disent cela comme ils diraient «comique voyageur ».

L'institutricedit que son ouvrage n'est pas faite.

La croix.Que de félicitationscomme si on venait d'accoucher !

Je saisqueayant résolu de dire la véritéje diraipeu de chose.

Etoilesfilantespièces qui tombent toutes à côtédu plateau d'argent de la lune. Qui donc s'exerce ainsi ?

La fleurqui n'a qu'une vie de jeune fille.

Maupassanta du sentiment comme les autresmais il y met des formes brutales.

Certainsamis n'ont d'agréable que leur virginité. Dèsqu'on est marié avec euxça ne va plus.

Pouvillonune âme simplepeut-êtremais trop distinguée.

Le boeufaux cornes tordues comme s'il s'était battu avec quelque Milonde Crotone.

Qu'on melaisse ! Je suis roulé dans la paresse. J'ai noué surmoi les cornes de l'édredon.

Lesremords qui passent dans leur petit costume de gendarmes.

Une petitesonnette à mon porte-plume pour que je ne m'endorme pas.

Unechauve-souris cherche à entrer dans ma tête.

Jevoudrais conquérir le mondeet je ne peux même pasfaire tourner un petit village autour de moi.

Lemeilleur de nous est incommunicable.

-- Je suissi timideme dit Louis Paillardquemoi qui parle bien avec lesautresje vous assureje parle mal avec vous. Ma langue s'irrite etsèche.

Ilvoudrait être un grand chirurgien. C'est jolide tenir dans samain un cerveau vivantmais en restant un littérateurc'est-à-dire un homme.

Ilvoudrait aussi être un grand sculpteur. Qu'est-ce qu'un hommequi ne se propose pas d'avoir du génie ?

Et nouscherchons la clef du monde.

Il croitque son père vit encore. Il en a des preuves incommunicablesmais des preuves.

12octobre.

L'arbreremue comme une girafe qui dort debout.

Notrevanité ne vieillit pas : un complimentc'est toujours uneprimeur.

Comme uneeau qui ne voudrait pas refléter.

L'arbren'a jamais pu faire faire à son ombre un tour complet autourde lui.

Balzac. Ily a des puristes qui ne le lisent pas parce qu'il écrit : «Son oeil embrassait. »

Les gensqui se font incinérer s'imaginent queréduits encendresils échapperont à Dieu.

Un dégoûtexquis.

Saufcomplicationsil va mourir.

Jedonnerais cent petits chapeaux de Napoléon pour un bonnet denuit de Balzac.

-Qu'est-ce qu'un arriviste ?

-- Unfutur arrivé.

L'hommequi aime le gibier faisandétraite les vautours de mangeursde charogne.

Quellehaleine ! Il n'a jamais pu attraper une mouche vivante.

15octobre.

ChezMaire. On apporte des rince-bouche après le poisson -- c'estdéjà fini ? -- et on change de serviette. Et j'entendsle garçonqui arrange je ne sais quoi sur la dessertecriertout-à-coup : « Chameau ! »

Etmaintenantà nous la gloire départementale !

Je n'aipas assez de souffle pour tourner la page.

Théâtre.Il ne faut pas qu'un personnage dise des choses qu'il seraitincapable d'écrire.

Leurménage. Lui :

-- Ilfaudra que je profite de mon voyage à Paris pour m'acheter unepipe.

--Précisémentdit-ellej'en ai vu de trèsjoliesce soir. Je t'en aurais acheté une si je n'avais eupeur que tu me grondes.

Il y après de vingt ans qu'ils sont mariés : elle n'a pasencore pu s'habituer à l'amour. Même tout éteintelle brûle de honte. Elle a peur de son désir et de sescoups de poings ; parfoisil lui donne sur la fesse une tapemaritale qui la ferait crier.

17octobre.

Ils ontété admirableshier soirà Poil de Carotte.Il voulait absolument voir ça. Il aurait l'air trop bêtelà-bassi on lui demandait : « Avez-vous vu Poil deCarotte ? » et s'il répondait : « Non. »

J'arrivedans la logeles mains vaguement tenduescomme c'est l'usage. SiMarinette n'avait pas été là pour me donner lasienne...

Luirien.Elle a les yeux mouillésmais parce qu'elle a vu desfantômes. Et ils rient gros aux Gaietés del'escadron.

Pour lesmettre sur la pisteje dis :

-- Ils ontmal jouéAntoine me l'a dit.

-- Non !Non ! dit-il. Je n'ai pas trouvémoi.

Et elle :

-- Oh !c'est parfait.

Un peuplus tardils trouvent que les décors sont bien. Il affirme :

-- Lagrille est épatante. Et la fenêtre de la cuisine ! Oncroit y être.

--J'aimerais mieuxdit-ellequ'Antoine ne parle pasparce que çadétruit mon illusion.

C'esttoutet il faut bien que je m'en contente.

Ilm'explique qu'il a acheté les Gaietés de l'escadronen livraisonset quequand il veut rire un quart d'heure...Courteline a dû faire ses cinq ans. Il faut avoir passépar là.

Etpar-dessus le marchéje paie le vestiaire.

Tout demêmela nuit passéeelle a dû avoir des remords.Ce matinelle dit à Marinette :

-- Tucomprends ? J'avais la gorge serrée. Je n'ai rien pu dire àJules. D'ailleursc'est le meilleur éloge qu'on puisse luifaire.

Ainsitâche-t-elle de se rattrapermais elle ne tâche qu'unefois.

J'ai desombres éclipses où la lumière se recrée

19octobre.

Antoines'est rasé longuement trois ou quatre foisdeboutpuis ils'étale dans un fauteuilavec les gros souliers de M. Lepicetle cou nuil cause. Il aime qu'on l'écouteet je deviensbon écouteur. Bougonà angles dursau fond il abesoin de tendresse. Il n'aime rien tant que les gens qui ont ducoeurde l'honnêteté. Il se vante de ne craindrepersonne et d'avoir « foutu un coup de tête dans leventre à Bauër ».

Ambitieuxil veut être décorépuis directeur de l'Odéon.

-- Jeveuxdit-ilgagner comme fonctionnaire dans un bon théâtre8.000 francs par soir avec vos pièces. Et il faut que voussoyez de l'Académie. Et c'est un malheur que Zola n'ait pas puen être. D'abordc'était une formule consacrée ;et puisl'affaire Dreyfus aurait pris une autre tournure s'il avaitsigné J'accuse : Emile Zolade l'Académiefrançaise.

20octobre.

-- DeBernardde Capus et de moiquel està votre avisle pluségoïste ?

-- Moidit Guitry

L'oeuvredes autres me dégoûtela mienne ne m'enchante pas.Voilà ma force et ma faiblesse.

Le tempspasse par le trou de l'aiguille des heures.

ChezAntoine. Courtelineavec une serviette pleine de vieillelittératureet ses mèches de cheveux toujours colléescomme des pinceauxgueule contre ce malfaiteurce cochon de Boileauqui n'a fait qu'em...bêter Corneillecontre la Sociétédes auteurs qui touche 11 pour cent sur nos droits en province etétend la province jusqu'au boulevard des Capucinescontre lapetite Société où l'on se partage 13 centimesentre cinquante.

22octobre.

Pas lespetites politessesmais la politesse.

24octobre.

Il y a desracontars en bien comme en mal.

L'autrejourc'était un cocherà la porte du Bon Marchéce matinc'est un tailleur High life tailorqui me demandedes arrhes.

-- Mais...

-- Lisezl'écriteau à la caisse. Tout le monde donne des arrhes.

J'ai enviede lui mettre ma boutonnière sous le nez : « Vous nevoyez donc pas que je suis chevalier de la Légion d'honneur ?C'est bien la peine d'être connu et décoré ! »Je dis simplement :

-- Moiçam'est égal. (Je suis furieux.) Mais je vous donne monimpression : avec ce système vous devez perdre beaucoup declients.

-- Nonmonsieurdit le vendeur d'un ton calme. Ça les impressionned'abordpuis ils comprennent et nous reviennent.

-- Mais jen'ai pas d'argent sur moi.

-- Onpassera chez vous et vous donnerez ce que vous voudrezpeu de chose.

-- On peutprendre des renseignementsdis-je.

-- Il nousfaudrait un service trop considérable.

Ainsimonnommon adressene leur disent rien. Ces choses vexantes nem'arrivaient pas avant la croix.

Ah !l'orgueilce qu'on en dépense par jour !

26 octobre

ACorbignyils ne sont pas pressés de vous servirmais ilssont tout étonnés quand on leur paie leur note.

28octobre.

ChezCapus. Schwob. Plus de jouesni de ventreni de chair aux doigts.

-- Ah ! unvieil amidis-je.

Il me rendun bonjour de glace.

A dixheuresMoreno emmène ce pauvre maladepour le panser. Il estlivideet elle lui fait raser sa moustache. Des yeux rentréset blancsetavec çal'air de se moquer du monde comme s'ilavait un siècle à vivre. A chaque instantil regardeMoreno comme pour dire : « Hein ? Quels idiotsque tous cesdécorés ! »

31octobre.

LeDemi-Monde. Aujourd'huiDumas fils aurait sans doute bien dutalentplus que quiconque ; mais quelle vieille pièce ! Desgens qui font les malinsqui passent leur temps à dire : «On ne me la fait pasà moi ! » et se laissent prendre àdes pièges puérils. Et ceciqu'on a supprimé :« Vous venez de faire pleurer un homme qui n'avait pas pleurédepuis la mort de sa mère ! »

Tout celaest joué distinguéaux distances les plusrespectueuses. Le peintre Besnard salue chaque réplique d'unpetit signe de tête. Il y a de grosses dames qui digèrentreligieusement.

Guitrynous joue la scène du delirium. Absurdeces ratscette ménagerie. Sauf une ou deux foispresque pas d'effet.Ça a l'air d'une scène pour terrifier -- en l'amusant-- la conciergeMme Boche.

Bernard etmoinous avons peur pour notre amimais comment le lui dire ?

Au fondles plus grands acteurs détestent les belles phrasesj'entends : les phrases bien faites. De beaux décorsde beauxcostumes et de beaux gestes : ils se fichent bien de ce qu'ils disent!

1ernovembre

Bernardest allé trouver Guitry à minuit pour lui dire que lascène du delirium est mauvaiseque je suis de sonaviset il lui apporte un autre texte.

-- Il aété admirableme dit Guitry. Je n'ai pas voulu d'unseul de ses conseilset je n'ai jamais été aussi sûrde moi.

Assommoir.Première. Porto-Richequi trouve que le concierge de l'Odéonest un égoïsteme demande à chaque instant : «Où est la scène ? Je ne vois pas la scène.Trouvez-vous que c'est du bel art ? Comment le public peut-il rire deça ? »

Françoisde Curel et son air d'ours jovial. Il ne porte pas sa décoration.

Bauër: sa chemise brodéesa cravate de mousseline blanche qui luifait trois ou quatre fois le tour du couet les fils d'or quipendent à son gilet.

5novembre.

Exposition.Chrysanthèmes qui ressemblent trop à des caniches.Belles pommes qui ont des peaux humaines. Je préfèreles belles porcelaines aux orfèvreries. Au moinsc'estfragile : on peut espérer que ça ne va pas durerindéfiniment.

Arbresgrêles de la route courbés sous le vent comme desvieillards sur leurs cannes.

6novembre.

Heureuxqui coupe dans tous les ponts !

Je nedemande pas mieux que d'être bien avec Dieu. Ma foije croisen Dieus'il est bon.

7novembre.

Le sourired'une jolie femme qui dit : « Je ne suis pas convenable ! »

10novembre.

Voyage auHavre. Tous ces trains qui foncent sur Paris.

Paysparfois si plat qu'on s'étonne que le train ne prenne pas parle plus court.

Noussommes les amoureux impuissants de la vertuune vieille femme ;maiscomme dans la comédie de Banvilleun baiser larajeunirait.

L'homme.Rentrant à l'Hôtel Frascatije le vois couchésur le trottoir. Il est sur le ventreses longues jambes étenduesla tête sur ses bras en carré. Près de la bouchedes taches de vinou de sang ; par le toit sans gouttière lapluie tombe sur lui : il va se noyer. Est-il tombé ? N'est-ilpas saoul ? Est-il mort ? Les tramways passentvides. Je suis seulbien embêtésurtout à cause de ma décoration.Comme je m'éloigneje rencontre deux hommes.

-- Je nesuis pas du paysleur dis-je. Vous devriez prévenir lecommissaire de police.

-- Il estloin. Maissi nous voyons un agent...

-- C'estça. Moivous comprenezje ne suis pas du pays.

Je rentreà l'hôtelnon sans remords. En ressortantje ne peuxm'empêcher de repasser du côté de l'homme. Il n'yest plus.

De grandsgarsdes hommesviennent pêcher sur la jetée. Ilslancent des lignes de plus de cent mètresalourdies par unplombetquand ils ramènent un petit poisson de rienilssont tout pâles.

Le rêvece n'est que de la vie éperdument dilatée.

Antoinequi l'avoue d'ailleursa pour Guitry une haine de pauvre bougre pourle fils d'un grand seigneur qui réussit sans avoir l'air des'en donner la peine.

Quand uneactrice qui bavarde s'aperçoit qu'elle va un peu loinelle aencore le cabotinage de dire : « Je fais du cabotinage. »

-- On m'afait à tort une réputation de jolie femmedit RenéeMaupin. Je ne suis pas si jolie que ça.

Ellepleureau Havreen écoutant Antoine dire la plaidoirie de LaFille Elisacette chose fadeetcomme elle est seule àpleurerelle traite le public d'imbécile.

Samedisoirau Havreje dis à Antoine :

-- Il estentendu que je paierai la moitié du dîner offert àMévistoNau et Maupin.

-- Nousparlerons de ça demaindit-il.

Lelendemain :

-- EhbienAntoinecombien vous dois-je ?

-- Oh !laissez donc !

-- Mais si! Mais si !

-- Ehbiendonnez-moi ce que vous voudrez ! Quinze francs ?

-- Voyons! Ce n'est pas assez.

--Donnez-m'en vingtlà.

- Oh !vingt francs. Je veux payer la moitié.

--Donnez-m'en vingt-cinq.

-- Oh !vingt-cinq ! dis-je.

Mais jem'empressai de les donner. Où nous serions-nous arrêtés?

13novembre.

Baïequi a la scarlatineregarde l'heure à son petit coucousuisse. Elle ne sait pas bien la lire. Elle saitpar exemples'ilest plus de deux heuresou moinset s'il est deux heures. Elleconnaît l'heuredit-elle« quand il est juste ».

On luiachète des poupées qui ne vivront que quarante jours.On les brûlera quand elle sera guérie.

Histoiremélancolique d'une poupée qu'on achète au débutd'une scarlatine. Elle est dorlotée. On la peigne tous lesmatins. On lui fait sa toilette deux fois par jour. Elle est toujourssur un litjamais sur une chaise dure ou par terre. Elle est trèsheureusesauf que sa maman ne la mène jamais à lapromenade. Enfinelle a une joie : sa maman se lèvese faitbelleva sortir. Etonnement de la poupée qu'on ne la préparepaselle aussi. Sa stupéfaction quand sa maman la prendl'embrasselui dit : « Pauvre petite ! » et la jette aufeu.

Dans unechambre bien chaude où il y a toujours un feu de boischaquematinun monsieur en chapeau haut de forme vient les voir et joueavec la maman. Il a toujours un mot aimable pour la poupée.

Elle restequelque temps sans mangerparce que la maman ne mange pas ; puiselle a sa part de petits plats succulents. Sa mèremagrand-mèrene nous quitte pas. Elle est aux petits soins pournous deux. Bien qu'elle puisse me faire rirepleurer et dormir quandelle veutelle le fait à des heures assez régulières.

JeanJullien s'imagine qu'il fait du théâtre d'idées.

-- Maisdit-ilLa Poigne aura été inutile. Capus mesuccédera avec une pièce à femmes en grandestoilettes. Il recréera au Gymnase une atmosphère defrivolité.

ArriveGeorges Anceyet voilà deux ours un peu blancs. Les premiersauteurs d'Antoine sont sinistres. Quelles pauvres natures ! Ils ontl'air tout étonné qu'on s'obstinedans la vieàdanser malgré eux.

14novembre.

Il faut unquart d'heure pour devenir un saint.

Famille.Ils ne connaissent pas ce vivantmais ce mort est à eux.

Serinbeau comme un jaune d'oeuf.

-- Il secroit discret parce qu'il raconte ses amours à tout le mondeexcepté à moidit Capus.

Une amitiébonne pour deux ou trois raccommodementspas plus.

Que degens vivent comme des morts !

Une femmeavec de bons yeux de gruyère.

Le mieuxn'est l'ennemi que du mal.

Les doigtsde la flamme sous la bûche.

Beaucoupde talentmais seulement de littérateur : ses livres ne sontque des livres.

Je lis despages de ce Journal : c'est tout de même ce que j'auraifait de mieux et de plus utile dans ma vie.

15novembre.

-- Commentvous portez-vous ? dis-je.

-- Oh ! jevais mieux.

-- Vousavez donc été malade ?

Et voilàqu'il faut avoir l'air de s'intéresser à la santéd'une personne qui se porte bienquand on serait à peinetouché par la nouvelle de sa mort.

La pluiepose à terre des miroirs à étoiles.

La naturea horreur des bavards.

16novembre.

Qu'elleest bizarrecette manie -- ce doit être une forme de vanité-- qu'ont des gens que nous connaissons à peineque nous nevoyons jamaisde nous envoyer des nouvelles de leurs morts !

Unmonsieur dont j'ignore l'adressedont je confonds le nom avec unautrequi ne m'envoie pas ses livresqui ne me félicite pasd'un succèsque je ne saluerais pas dans la rue parce quenous nous connaissons à peinem'informe tout à coupqu'il a perdu sa tante. Qu'est-ce que ça peut me faire ?Espère-t-il que je vais m'intéresser à unaccident qui ne l'intéresse pas lui-même ?

Le bonheurque les autres vous croient ajoute à notre détresse desavoir que nous ne sommes pas heureux.

Aujourd'huipour qu'un compliment porteil est bon de le faire en termesmodérés.

17novembre.

Je nedéteste pas les gaffes. Elles prouvent la droiture del'esprit. Elles sont les gages comiques de notre bonne foi.

Théâtre.Une pièce nous vient d'abord par bouffées ; puisc'estle bon vent à pleines voiles.

Elle estfurieuse. Elle ne recommencera pas. Elle a eu un succès degrue. Ça lui apprendra à se faire habiller chez Paquinplutôt que d'avoir des toilettes simples comme Bartet !

Quel estle couturier qui lui trouvera la robe simple qu'il lui fauttoutd'une ligne ?

-- Car ilparaît que je ne suis pas mal faitedit-elle.

Enfinàvingt-cinq ans et demielle peut se rattraper. Réjane avaitplus de trente-cinq ans lorsqu'on lui a reconnu du talent.

Ecrire. Leplus difficilec'est de prendre la plumede la tremper dans l'encreet de la tenir ferme au-dessus du papier.

--Modestie affectée !

--Contentez-vous-encar je ne peux vous offrirà la placequ'une insupportable vanité.

-- Envieux!

-- Ouimais pas de tout le monde : de ceux-là seulement qui méritentl'envie.

Ce sacd'avoine qu'est une tête de cheval.

Quand l'und'eux a la patience d'écouter une histoire jusqu'à lafinc'est qu'il lui faut tout ce temps-là pour préparerla sienne.

La pie quia toujours l'air de descendre un escalier.

18novembre.

La Bruyère-- Des esprits forts -- dit : « L'esprit fortc'estl'esprit faible. »

Pascal --Penséesarticle IXI -- dit : « Rien n'est pluslâche que de faire le brave contre Dieu. »

Combienc'est vrai ! Quand nous faisons le malin avec Dieunous savons bienqu'il ne va pas s'amuser à nous foudroyer sur place.

Une femmequi ne dure qu'une nuitpas mêmequi ne dure qu'un rêvenous laisse les plus doux regrets.

Bonde : lenombril du tonneau.

Une voix ànous dégoûter de nos oreilles.

Je vaisfaire mon chef-d'oeuvre dans un coin.

Lorsquedans sa journéeun homme a lu un journalécrit unelettreet qu'il n'a fait de mal à personnec'est biensuffisant.

19novembre.

Ecrire unlivre de Caractères selon La Bruyèremais comiques.

Comme unlibraire quidonnant un dictionnaire de rimes à un poëtelui dit : « Celui-là est bon. »

20novembre.

L'espècede petite piquante décharge au cerveau que nous donne la vuede notre nom imprimé dans un journal.

Cottier --ou Gautier -- m'apporte un bouquet pour ma Légion d'honneur.Une fête pour eux. Se dit concierge rue de la Bienfaisance ettypographe chez Chaix. Il parleparle ! Il connaît tout lemondeRostand intimement. Il sait toutetdepuis longtempsque jedevais être décoré. Me met sur le même rangque Courtelinepuis :

-- Despetits auteurs comme vous et Xavier Privas.

Et Rostanda trop travaillé : il a un arrêt dans le cerveau. Et ilssont dix ou douze qui forment une société de cors dechasse ; on donne ce qu'on veutet ils inscrivent les noms.M'explique comment Victor Hugo travaillait. En s'en allantmesouhaite bonne chance dans mes oeuvres.

Il doitêtre le plus rapide de la bandecelui qu'on délègueet qui ditau retour : « Ils ne me font pas peurmoicesgens-là ! »

21novembre.

MonsieurVernet. Il a lui-même poussé sa femme vers Henri. Au2e acteune vraie douleur. Il dit à Henri de s'éloignermais il est trop tard. Au 3e actetout se sait. Fin tragique de MmeVernet.

Moimoipas enthousiaste ? Quelques notes de musiquele bruit d'une eaucourantele vent dans les feuilleset voilà mon pauvre coeurqui déborde de larmesde vraies larmesouioui !

Les adieuxd'Henri et de Mme Vernet. Trop tardcar M. Vernet les surprend.D'abordil les a soupçonnés ; maintenantil est sûr.

Paulineest musicienne. En l'entendant jouerHenri pleure. L'âme d'unpiano n'est pas méchante. Henri à Pauline :

-- Je suisun raté comme vous. J'entends le piano sous vos doigtset jevoudrais être un grand musicienetc. Je ne suis rienet je neserai jamais rien.

J'attendspour travaillerque mon sujet me travaille.

Je regardeun camelot poser sur une table de café un petit cochon gonfléd'air et transparentqui se dégonfle en criants'aplatitetse couche sur le côté.

Voilàbien mes enthousiasmesen moins long.

23novembre.

Ce sont làde ces petites bêtises qu'on pardonne à une femmeàcondition qu'elle les dise toute nue.

Il sepromène tout embêtésans décorationregardant au nez toutes les femmes.

Un amiavec lequel je suis intime à peine une fois par andans unede ces causeries à coeur ouvert où l'on se dit tout.Puison reste des mois et des mois sans se voirsans se cherchercomme honteux de s'être abandonnés.

En amitiéil y a aussi l'homme dans la vie duquel on regrette de n'êtrerien.

Nousénumérons les motifs que nous avons de ne pas nouscroire heureux. C'est comme une collaboration sur un sujet donné.La causerie terminéeça va mieux. Il alui aussiseslongues paresses. Il voudrait vivre à la campagne : avec deuxcents francs par mois on y nourrit cinq personnes.

A Parisil n'est pas tentémais il est troublé. Il regrette den'être pas quelque chose dans la vie de toutes les femmes quipassent. Je crois bien ques'il ne porte pas sa décorationc'est pour pouvoir mieux les suivre.

Comme moiil n'envie personne. Il n'y a rien qu'il désire de toutes sesforcespas même sa liberté. Il croit avoirlui aussiune femme qui lui dit : « Ne te fatigue donc pas ! Tu as bienle temps ! »

Ilvoudrait avoirpour vivreune règle de monastèreouun enfantdeux mêmeparce qu'il faut un garçon et unefille.

Unmendiant avec deux jambes de moins et une raie irréprochablebel hommeaprès tout.

26novembre.

Guitrytoujours bonvoudrait prolonger L'Assommoirpour sesacteurs.

Nousvoyons tous les gens qui viennent louer qui défilent devant lepetit théâtre de carton et regardent ce qu'il y a danscette bouche.

Lecontrôle : trois chaises. Celle du milieu a le dossier plushaut. L'importance de ces trois roiset leur insignifiance dèsqu'ils descendent de leur estrade. La dame de location vient sechauffer les pieds à la bouche du calorifère. Ellepasse sa vie dans cette petite boîte. Elle y mange. Le soirvenuelle fait un brin de toilette et pique une rose à soncorsage.

Un sergentde ville très bien désigne aux gens leurs places dansle petit théâtre en carton. Il a un col de fantaisie.Très gracieux avec Guitry.

Il paraîtque des dames parisiennes envoient d'abord leur valet de chambre etse font faire un rapport sur la pièce.

Adultère.

-- Mais laquestion est de ne pas faire de peine à sa femme !

-- Çane se sait pas.

-- Çase sait toujours.

-- Comment?

--N'importe commentpar tout le mondepar le premier venupar moitiens ! Je ne laisse rien perdreetquand j'ai fait de la peine àquelqu'unje veux qu'il le sache.

Mon talentne sera peut-être plus qu'un cahier d'expressions.

29novembre.

LéonBloy. LuparcouruhierLe Mendiant ingrat. C'est troublant.L'homme peut être ignoblemais ce qu'il dit fait réfléchir.

« Iln'y a qu'un signeun seulpour discerner ses amis. Ce signes'appelle l'argent... Je reconnais un ami à ce signe qu'il medonne de l'argent. (Ouimais on lui répondrait : « Jereconnais un faux ami à ce signe qu'il se décide àm'emprunter de l'argent. ») S'il n'en a paset qu'il me donneson désir crucifiéson désir flagrantvisiblecrevant l'oeil du coeurc'est absolument comme s'il me donnait del'argentet je le reconnais aussitôt pour un ami véritable.»

Cettelettre à d'Esparbès est belleet terriblement vraie.

C'estencore de Léon Bloycette phrase : « Tout homme qui acent sous me doit deux francs cinquante. »

Suivonsjusqu'au bout cet écrivain âprecyniquemoins grandécrivainmoins artiste et d'un moins haut orgueil que sonmaître Barbey d'Aurevilly. Une insulte de Léon Bloy vautbien cent sous. Soit !

Maisaprès toutes ces brutalités qui souvent sonnent fauxcomme c'est bon de relire un chapitre du nobledu « propre »La Bruyère !

Sesinjures sont d'un pauvre. Elles ne portent pas. Appeler quelqu'unidiotcochonc'est montrer son propre état d'humeur : cen'est pas peindredistinguer un homme d'un autre. Il ne suffit pasd'appeler Barrès « chameau ».

Elle nem'écrit jamais de lettre de moins de six pageset tous lesmots sont soulignés.

Ce que cetécrivain dit du coeur est si fade qu'on en a mal au coeur.

AudessertBaïe étudie la circulation du sang dans lesmandarines.

Vousrevendez trois mille francs ce que vous avez eu pour cinq centsetvous ditestrès tranquille : « C'est une affaire. »Mais non ! C'est un vol.

30novembre.

LéonBloy nous donne tout de même -- je parle de ceux qu'iln'insulte pas -- de bons coups sur les doigts. Maisavec CamilleLemonnieril est trop de l'école des rugisseurs.

Il profère« l'absolusans pitié ». Ça dispense debien des délicatesses.

Guitryaffalé après sa scène de deliriumenveloppédans des couvertures et dans un vieux manteau noir. Des «billets de faveur » entrentle cherchentle trouvent derrièreson paraventhochent une tête attristée et s'éloignentsur la pointe du pied.

Il esttoujours un peu sérieux avant cette scène. Il prend lessentiments misérables du visage qu'il se fait devant la glace.

1erdécembre.

Un amivous raconte une histoire. On lui ditsans l'écouter : «Au revoirmon vieux. » Et il tient si peu à sonhistoire qu'il répond : « Mon vieuxau revoir »Et on se sépare.

4décembre.

Hernaniau Français. Mounet-Sully se donneà chaque instantcinq ou six coups de poing à la poitrineetsentant qu'iln'y a pas le comptes'en donne encore deux ou trois. Il pousse descris de phoqueouvre une bouche de tube digestifretrousse sesnarines jusqu'à l'oeilqui est d'un blanc d'oeuf effrayant.On ne l'entend pasou bien il hurlemais il y aen toutunecinquantaine de vers qu'il dit comme un dieu.

Wormscomique et sans grandeur dans son petit manteau raide. Il a tort des'amuser à entrer ainsi dans les tombeaux : un beau jouril yrestera. Il récite le monologue comme une petite fable.Personne n'est moins empereur.

L'extraordinairemétier d'Hugo ne gêne pas son génie.

LaBourse ou la viede Capus. De l'espritet du meilleurde lafantaisie sans mesurede l'immoralité veuleet une piècemal faite. Son « tout ça finira mal » vaut son «tout ça finira bien ».

5décembre.

Leschefs-d'oeuvre de passage.

6décembre.

A chaqueinstant ma plume tombe parce que je me dis : « Ce que j'écrislà n'est pas vrai. »

7décembre.

Quand jeveux être aimablele mot qui suit gâte le mot quiprécède.

11décembre.

L'Aiglon.Lu ces six actes. Rostand est bien le seul à qui jereconnaisse une supériorité rayonnante. Il a des aileset nous rampons.

Ce n'estjamais très beau comme du Victor Hugomais c'est d'unehabileté prodigieuseet cela passe avec aisance par dessentiers charmants.

Et il y adans Hernani ausside mauvais vers que le temps a supprimés.Don Carlos fait au vieux comte des plaisanteries bien grossièressur ses cheveux.

Et puisles ficelles y sont ficelles d'or.

VictorHugo chante la femme sans la regarder. Rostand est charmant avec unefemme qu'il regarde et qu'il aime.

L'émotionque nous donne Victor Hugo a quelque chose de gonfléqui faitmal. On pleurerait avec Rostandmême en étant ridicule.Cinq ou six fois j'ai eu le coeur étranglé : j'auraisvoulu être Rostand.

12décembre.

-- Vousêtes-vous déjà battu en duel ?

-- Nonmais j'ai déjà reçu des calottes.

D'un style: « C'est fin comme la pluie. »

LouisBarthou. Déjeuner. GuitryCapusLéon Barthoumaîtredes requêtesune femme de préfetdeux jeunes gens dontje ne saurai jamais les noms.

Ledéjeuner ex-ministérieloù il faut se servirsoi-même à boire. Tout de suite je sens qu'il ne fautpas faire l'ironistecar il faudrait direà chaque instant :« C'est une ironie. »

«Quand j'étais ministre de l'Intérieur... » celafait bienau départ d'une phrase.

Ils sontintelligentsmais ils ne goûtent jamais la vie.

LéonBarthoutrès bibliophilec'est-à-dire un de ceshommes qui savent qu'il faut feuilleter un beau livre en tournant lespages par le hautet qui a toujours les deux mains prêtes aucas où vous laisseriez tomber le livre qu'il vous faitadmirer. Parole facileaiséedentaletrop d'accentàmon goût. Parole d'un homme qui explique bienmais qui n'a pastrouvé lui-même ce qu'il explique.

-- Si jeredeviens ministre de l'Intérieur et que cela vous fasseplaisir d'être député...dit-il.

-- C'estdonc si facile ?

-- Oui !Oui !

-- Contreun homme comme Jaluzot ?

-- Maisoui ! Mais oui !

-- Ilvient de m'arriver la chose la plus désagréable depuisma naissanceme dit Guitry.

Il melaisse chercheret il dit :

-- J'aiquarante ans ce soir.

Barthou --c'est très chic-- ne fume ni ne boit. Il dit « vous »à sa femme.

Ilslaissent à chaque phrase percer l'orgueil de leur force.

-- Ce doitêtre faciled'avoir les palmes ?

-- N'encroyez rien ! disent-ils.

17décembre.

Lesfeuilles remuent comme les lèvres d'un enfant qui ne sait passa leçon et qui a l'air de chercher ce qu'il va dire.

Porter seslivres écrits sur son visage.

Laver sonlinge sale en famille en utilisantpour la lessiveles cendres desaïeux.

-- Bellefemmejolie.

-- Ouimais ça ne vaut pas un petit garçon.

18décembre.

Pourquoitant écrire ? Le public ne sait jamais qu'un ou deux titresdes livres des auteurs les plus féconds.

J'ai lafolie des petitesses.

Secontenter de peu d'argentc'est aussi du talent.

Lesironistesces poëtes scrupuleuxinquiets jusqu'à sedéguiser.

VictorHugo est si grand qu'on ne s'aperçoit même pas qu'ils'appelle ridiculement Victorcomme vous et moi.

20décembre.

Capus medit qu'il va mettre de l'ordre dans ses affairesprendre uneassurance pour sa femmeetc.qued'ailleursil n'est pas inquietcars'il venait à mourirnousses amisnous nous mettrionsen quatre pour arranger son héritage de pièces.

-- Soistranquillelui dis-je. Tu peux mourir.

Ilprojette d'aller rejoindre Guitry à Sienne et àFlorence. Ils ne savent pas où ça se trouve. Pasd'atlas.

-- Moidit Capusje mets Florence au bord de la merpas loin de Rome. Çadonnera ce que ça donnera.

21décembre.

Cettedragonne de vertu a eu son aventure.

A tablecomme elle donne quelque chose à un petit chienelle sent unemain qui tripote la sienne. Elle croit à une erreur. Uneseconde foiselle offre quelque chose au chienet la mêmemain. Elle est furieuse. Puisun autre tripotage à la faveurd'une tasse qu'elle présente. Elle rentre « toute rougeintérieurement ». Le lendemainelle raconte tout àson mari qui lui répond :

-- Ildevait être saoul.

-- Jen'aime pas çamoidit-elle. Je suis un bon garçon. Jene veux pas que l'on me prenne pour une coquette. Oh ! je l'auraisgiflé !

-- Il estcoutumier du faitparaît-il.

-- Maisc'est un hommage ! lui dis-je.

C'esttouchant et drôlela vertu d'une femme laide. Et le marirépète :

-- Pourmoiil était saoul. Sans quoije lui aurais dit ànotre première rencontre : « Eh bienmon vieuxtu enas été pour tes frais ! »

Un joueurd'orgue de Barbarie s'arrête devant une fabrique de grandesorgues à tuyauxpianos de tous facteurset joue un air àdeux petits qui collent leur visage à la porte. On devinequ'au fond de la boutique le papa et la maman se cachents'impatientant de voir là ce vieil hommeet les petitspresque cramponnés. Donneront-ils le sou ? Disent-ils auxpetits : « A table ! A table ! » ou bien : « Vousentendez de bien plus belle musique tous les jours » ? Queva-t-il se passer ?

Rien. Lasd'attendrele vieux s'éloignes'aidantpour marcher avecses pauvres jambesde la jambe de bois qui soutient son petit orgue.

Les deuxvisages se décollentouplutôtl'accordeur tire sesenfants en arrièresort sur le pas de sa porte et dit auvieux : « Vous le faites exprès »en lui montranttout ce qui est écrit sur la devanture. Maisluiil ne saitpas lire. S'il partc'est tout simplement qu'on le chasse.

22décembre.

Antoinedans sa loge. Des fleurs naturelles offertes par les habilleuses etles ouvreuses. Antoine est radieux.

Halévyles yeux rougesme dit :

Voilàle théâtre que je rêvaissans complications. Maisnous serions peut-être perdus sur la scène duThéâtre-Français.

-- Je ledéclare devant Dieu qui voit mon âme ! dit Courteline.Les hommes de ma générationmoiRenardnous avonscompris qu'il fallait enfin oser faire des pièces sans amour.Qu'est-ce que ça peut nous faire qu'un monsieur couche avecune dame ?

-- Hé! Hé ! dit Halévyl'amour a du bon.

-- Je veuxdirerépond Courtelineque l'amour a gêné destas d'auteurs dans une foule de pièces.

Et il citedes titrescar il est documenté.

-- Le 9janvierdit-ilnous déjeunerons en veston chez Lathuilepour fêter la décoration d'Antoine. Il faudra limiter.Trop de gens paieraient bien dix francs pour voir nos gueules.

Aprèsla représentation les acteurs d'Antoine vont lui offrir unecroix en diamant.

Dix joursà La Gloriette du 24 décembre 1900 au 4 janvier 1901.

Le trainpasse et son troupeau de fumées se disperse pour paîtrepar les champs.

Il ne faitque s'arrêtercomme si une épine le blessait àla roueun caillou à l'essieu.

Cetautomneles peupliers ont bien plus maigri que les chênes.

Lesfeuilles des marronniers se sont fermées en boutons gomméset passent l'hiver dans leurs cocons.

Une troupede corbeaux s'envole. Un seul restepar on ne sait quellemisanthropie de corbeau qui ne veut pas suivre les autres.

Des tas defumier en ordrecomme déposés là par une troupede géants.

Il a gelécette nuitetce matinla terreles arbresles toitsont depetites plumes.

S'attendrirsur une belle bûche qui brûlerêver éperdument.Notre rêverie monte de nouslente et légèrecomme la fumée.

Labouillotte chantonne sa prière au feu.

Canardcivilisé tué près du moulin par un sauvage.

Philippe apeur du vent dans le grenier. Le vent jappe comme un chien.

Ils sonttous aussi malins les uns que les autresmais pas plusde sortequetout compte faitcette malice ne leur sert à rien.

On entasseles betteraves dans le champ : il n'y a pas de place dans les fermeset elles sont mieux dehors. On les recouvre d'un lit de paillepuisde terre. On diraitde loindes petites maisons récemmentbâtieset deux ou trois betteravespiquées au faîtefont les cheminées.

Que desouvenirs mes yeux retrouvent sur les couvercles du petit poêleà deux marmites !

Ah ! lesfeuilles de buis qu'on y faisait tordre comme des insectes !

Comme uneétincelle qui s'échappe des cendres etaprès unbref éclatva mourir dans la suie.

La maison.A chaque chambre on change de climat.

Le goûtde la mort ne peut aller sans le dégoût du reste.

Les nuagesvinrent du nord. Le coq du clocher se raidit sur son pic de fer. Lapie était embarrassée de sa queuecomme d'une robe àqueue. Les perdrix volèrent comme des pigeonset le ventfurieuxdressa les lièvres debout dans leurs gîtes.

Par lescarreaux de sa porte vitréeon peut voir la vieille quisomnole au coin du feu.

Elle estcourbéela tête pas loin de ses pieds. Elle ne setiendra plus comme il fautque morte.

Y a-t-ilen elle plus de vieet d'une autre qualitéque dans la bûchequ'elle regarde ?

La bûchecroule jusqu'au sabotjusqu'au chaussonLe pied se retirela têtese redresse. C'est la bûche qui ranime la vieille.

Leuraffection mêlée de reproches pour les bons poêlesqui brûlent trop de bois.

Lesmauvais sourireséparsdes morts dans les maisons qu'ilshabitèrent et où nous entrons.

On nes'habitue pas vite à la mort des autres. Comme ce sera longquand il nous faudra nous habituer à la nôtre !

Il faut latrace longuement appuyée d'un vivant pour effacer la traced'un mort.

Ils sontjeunes quelques années à peinequelques mois. Trèsviteils n'ont plus d'âgemais ils restent vingt ans commeça.

Ils mefont l'effet d'une peuplade de pauvres sauvages pas méchants.

Mon père.Tout-à-l'heurela main sur le bouton de la portej'aihésité. Par peur ? Non. Avant d'ouvrirje lui ai donnéle temps de quitter la chambre où il doit revenir.

Un jouril se fera surprendre.

Les mortscomme l'airhabitent -- c'est sûr -- là où nousne sommes pas.

Demainmamère sera morte. Je connaîtrai un fantôme de plus.

Rêverrêver éperdumentet n'en rien faire paraître.Etre des puits où dorment de pâles vérités.

Poëtene cherche pas autre chose. Tu as été crééet mis au monde pour être la conscience de tout ce qui n'a pasde conscience.

Mon frèreest déjà aussi loin que mon père. Déjàmême il passe derrière. La lutte silencieuse des mortsdans notre souvenir. Ils ne se battent pas. Ils s'écartentsans bruit les uns les autresavec une force irrésistible.

En chasse.A toutes ces petites maisons isoléesperdueson dirait : «Rapprochez-vous donc du villagede nousde la vie ! »

Rêverc'est comprendre en artiste.

Il y a desendroits et des heures où l'on est tellement seul qu'on voitle monde entier.

Oh !celui-làc'est un pauvre pauvre.

La moitiéde l'écorce d'un arbre ignore le vent du nord.

Le corpsest le bon chien de notre âme aveugle.

Tempêteéclaircies. Le soleil réunit ses rayons en un richebalai et chassede droite et de gaucheles nuages qui se reformenten bougonnant.

Paysanj'eusse été le malin grand rouge. J'aurais étéle meneur aux élections ; mais on ne m'aurait pas nommémaireparce qu'on se serait défié de moi.

Tableaud'une vie supposée. J'aurais fait un riche mariageavec lafille du fermier.

(Titre :Le Dégoût de tuer. La grande décision : je nechasse plus. Puisun an aprèsj'empêche Philippe dechasser.) L'écureuil. Il n'est pas comme la pie : il nedistingue pas une arme à feu d'un bâton. Il grimpe àl'arbrese cache et se croit en sûreté. Je ne vois queson nez. Au premier coup de feuil glisse de stupeur et seraccrochese cramponne. Il est mort. Nonil remue. Second coup defeu ! Il tombe. J'ai tué ce gracieux animal inoffensif quiramène sa queue sur sa tête pour se mettre àl'abri quand il pleut.

Brute !

Pourm'excuserje dis que ça amusera Baïe : elle n'a mêmepas voulu y toucher. Meurtre inutileet le remords s'enroule dansmon coeur.

L'oiseauce fruit nomade de l'arbre.

Si un seulcochon savait sa destinéeavec cette gueuleces dentscescriscette tête lourde et puissantela race humaine auraitvite le dessous.

L'intérieurd'un cochon est frais comme le trousseau d'une mariée Quelbeau linge que cette toile de graisse qui se détache !

Il n'y ad'inutileen luiqu'un petit sac d'amer. Les chiens mêmesn'en veulent pas.

Ce quenous avons de plus inutilec'est peut-être aussi notreamertume.

Ils nepréfèrent rien à la soupe. Ils mangent avecgourmandise l'oignon cru.

En hiverils ne boivent pas en mangeantnon qu'ils n'aient pas soifmaisl'eau est trop froide.

Inlassablestous les jours ils se remettent à vivre.

Nature.Plus rienque le corbeau et la piele deuil et le demi-deuil.

-- Vousêtes venu passer les fêtes ?

Ilsparlent comme des gens de Venise.

On lesvoitle matinéclairer avec leur bougie leur pauvre réveil.

-- Ragotteaime bien ferrer ses sabotsdit Philippeparce quequand elle va àla messeles clous « poteillent » sur les dalles del'église.

MaisPhilippe ne ferre pas les siens : ce n'est pas économique. Ilmarche mieux avec des sabots qu'avec des souliers : c'est plus léger.Une paire de sabots coûte 25 sous. Il en use une douzaine paran.

Il fautpresque un cent de clous pour les ferreret les clous valent de 15 à16 sous le cent. Les ferrer ne sert que pour le verglas.

Le rapidepetit galop du feu dans le poêle.

Lesprêtres vendent la peau de la Grande Ourse avant d'avoir leciel.

Je connaismon chemincomme un ruisseaule sien.

Fils defer vêtus de la laine des moutons.

Ce quiperd le lièvrece sont ses ruses. S'il ne faisait que courirdroit devant luiil serait immortel.

Perdrixrougerubisoiseau précieux de cette désolation.

Le vent nedort pascet hiver ! Il se lève à chaque instant.

Le cielpropre comme un verre.

Les dindesnoires comme les petites filles qui vont en classeencapuchonnées.

Le dernierjour de l'annéela plus grosse femme se sent mélancolique.

Ilreconnaît que « ça ne va pas bien »quandil met plus de sept jours à fumer son paquet de tabac.

Philippeconfond « prodigue » et « avare ». Poursignifier qu'il les ménage : « Je suis prodigue decartouches »dit-il.

LesPhilippe se ressemblentau même foyercomme un soufflet etune marmite.

A quatreheures du soir ils mettent la soupe au feu. Assisles mains tenduesà la flammeils rêvassenttandis que l'horloge batcomme le coeur de la maison.

Ils sontmoins vivants qu'elle.


1901

1erjanvier.

Les vieuxde Germenay portent des bonnets de coton noirs toute la journée.

D'unefemme communeils disent qu'elle ne ressemble pas à une dame.

Lesmoineaux gonflent leurs plumes au haut des branches et paraissenténormes.

La naturea fait bien du tort à mon cabinet de travail.

J'ai legoût du sublimeet je n'aime que la vérité.

Ce quireste d'un feu pour qu'on ne puisse pas dire qu'il est éteintPhilippe l'appelle « l'âme du feu ».

Un jouràParispendant l'ExpositionBorneau a passé devant la maisondu Président de la Républiquemais il n'a pas oséentrer.

Inondation.Toute la rivière est renversée.

Veniseouije sais. Le soirc'est presque aussi bien illuminé quela gare de Lyon.

EugénieNau me raconte son enfance à Châtellerault. Son pèreétait paysan. Dans la rivière toute proche on n'avaitqu'à jeter un filet « avec une épingle au bout »pour pêcher un poisson gros comme la cuisse.

La bontéramollit peut-êtreet c'est ce qu'on peut dire de plus fortcontre elle.

Je suis lavie pas à paset la vie ne fait pas un livre par an.

Aucimetière de Pazy. Une tombe. Dans un coinune femme depierreà genouxpleureavec une bien vilaine grimace. Elleécrase à terre la flamme d'une torche. Il y a aussi uneurne brisée. Il y a tout. C'est laid et touchantet c'estunique dans ce petit cimetière de campagne.

Un petitvent ulule dans les sapins.

Leurconfiante habitude de mangertoute la vieleur soupe dans la mêmeécuellec'est le symbole de l'union du ménagePhilippe.

Ce Journalme vide. Ce n'est pas une oeuvre. Ainsifaire l'amourquotidiennementce n'est pas de l'amour.

8 janvier.

La viemène à toutà la condition d'en sortir.

-- C'estprofondça !

-- Et bêtecomme tout ce qui est profond. Et ceci même ne veut rien dire.

Dèsqu'un homme perd une femmeil a au menton quelques poils deBarbe-Bleue.

Ilsécrivent leur théâtre sur le papier. Ils nevoient ni des personnagesni des acteurs sur la scène. Ilsécrivent leur pièce en l'air. Ils font du dialoguen'importe oùentre n'importe qui. Celui de Capus n'est quedialogue du plus spirituel des journalistes.

Les bonnespièces en trois actes sont courtes. Hervieu a eu la probitéde faire court.

M. Vernetsouffre plus que les autres du départ d'Henrimais il ne peutpas le retenir.

-- Je sensbiendit-ilque si vous restiez ici quinze jours de plusje seraiscocu.

-- J'aieudit Tristanl'idée d'un homme qui serait à la foisaveugle et paralytiqueet quimalgré la fablene tireraitaucun avantage de cette double infirmité.

Nous avonsde l'amour pour une ou deux femmesde l'amitié pour deux outrois amisde la haine pour un seul ennemide la pitié pourquelques pauvres ; et le reste des hommes nous est indifférent.

10janvier.

Hierenterrement de la femme de d'Esparbès. Devant moiRoguenanttout blancLéon DaudetBarrès avec un pantalon àcarreaux verts et un pardessus à poils bizarres. Un hommeembrasse d'Esparbès et lui dit : « C'est un vrai malheur! » Une petite actrice suffoquel'aperçoit et seprécipiteles bras ouverts. Un vieillard lui tapote la joue.Des gens nous laissent passer. La mort a un coupe-file.

Lecercueil dans ce wagon. Oui ! C'est bien le voyagele grand départ.

12janvier.

Comédie-Française.Horace. L'unité de lieu plus commode que gênante: on n'était pasà chaque acteobligé derecréer une atmosphère nouvelle.

Horaceunrhétoricien qui tue sa soeur.

16janvier.

VictorHugo. Hier soirlu Dieu. C'est Dieu lui-même jetantducieldes avalanches de beaux vers.

Il vientdîner. Il a eu encore la diarrhée toute la nuit. Il negarde rien de ce qu'il avale. Il se lève trois ou quatre foisla nuit. Il connaît tous les chalets de nécessité.

Comme toutcela met en appétit !

VictorHugo était au centre de tout. Tâche d'être tontout. Tiens-toi au centre de toi-même. Sois le Victor Hugo deta vie intérieure et quotidienne.

Titre : LePère. Ce que j'en ai connupuis deviné. Et ce quej'invente.

Paul al'air d'un cyprèsAlfredl'air d'un linceul.

Et Julesquand Lucien n'est pas lad'être seul.

C'estcomiquede voir dans la rue deux jeunes filles en grand deuildeuxsoeursqui se mettent à rire comme des folles.

Sa fiancéelui a dit : « Je mourrais d'amour pour vous que -- voici lebudget que je viens d'établir -- je ne pourrais pas vivre àmoins de 18.500 francs par an. » Sa belle-mèrequi estcoquettejeune encoreet fanéeil l'appelle « lavieille bergère ».

Il a dûavoir avec sa fiancée des histoires délicieuses. Ilveut de moi comme témoin. Il a dû lui direàelle : « J'aurai un témoin rigolo. » Elle lui afait une scène parce qu'un joursous prétexte qu'ilavait la grippeil n'a pas profité de ce qu'ils étaientseuls dans une voiture pour l'embrasser. Il lui trouve mauvaiscaractèrealors qu'il devrait l'aimer davantage pour cettescène.

A proposde je ne sais quel mot sentimentalil me tend la main. Je ne luidonne pas la mienneparce que je suppose qu'il veut rire. Ilinsiste. Enfinje me décidemais il l'a retirée.Moins dur que moiil la rapporte : c'est heureux que j'aie attendu.

18janvier.

La viem'échappe : je ne la tenais que par ses petits bouts.

20janvier.

Théâtre-Antoine.La Petite Paroisse. Daudet et Hennique. Léon Daudet sepromène très à l'aise et dit que ça ne leregarde pasqu'il n'a pas assisté à une seulerépétitionqu'il se désintéresse. On nerelève pas le rideau au premier acte. Daudet est un charmantillustrateurmais ce qu'il illustre est commun.

On diraitde temps en tempsune fleur vraie attachée à une tigede laiton.

23janvier.

On offre àAntoine un bronze de Rodin : un homme et une femme couchés. Jen'ai aucune sympathie pour ces joujoux sans vie. Il me semble qu'avecun canif et une carotte... Pas de discours. Antoine dit quelquesmots. On boit le champagne ; seulCourtelinetoujours le mêmeboit de la bière.

Je suisseul à porter ma décoration sur mon pardessus. Lesautres ont plus de courage. Ils ouvrent franchement leur pardessuspour montrer la boutonnière de leur vestonau risqued'attraper une fluxion de poitrine.

Hier22anniversaire de la mort de Maurice. J'y ai à peine pensé.J'ai une mémoire ingrate. Je m'en excuse par un dédainde plus en plus sincère pour les choses sérieuses. Toutn'est que blague.

Dans unecauserie confuse où nous ne faisons parfois que balbutierTristan m'excite au travail.

-- Vouslisez tropme dit-il. Vous prenez trop de notes. Vous êtestrop raredans tous les sens. Vous écririez très bienun livre d'aventurescar je vous ai entendu faire de bonnescritiques sur les drames. Et puissi je n'espère pasmoi quivous connaisque vous arriverez à m'étonnerje suissûr que tout ce que vous ferez sera bien et élargira lecercle de vos lecteurs. Vous n'avez pas utilisé tout ce quidort en vousde souvenirs.

-- Ouidis-jemais aucun motifexcepté le désir -- et je nel'ai pas -- ou le besoin -- et je l'auraihélas ! d'ici peu-- n'est assez fort pour me pousser à produire. Je ne tienspas à exploiter ce que je trouve : la note me suffit. Et puisje n'ai pas d'inquiétude sur « la quantité »de mon oeuvre. Songez que j'ai encore une vingtaine d'annéesdevant moiet il faudra bienque je le veuille ou nonque meslivres s'ajoutent à mes livres. Et puisil faut lire. Etpuisil y a des tas de choses à comprendre.

24janvier.

Raynaud medemande quel est mon protecteurl'homme en vue (est-ce France ?Lemaitre ? Rostand ?)qui dit partout du bien de moiqui donnepartout le mot d'ordrel'homme grâce auquel on ne pouvait pasvoilà un anouvrir un journal sans lire : « Qu'est-cequ'on attend pour décorer Jules Renard ? » l'homme quiobligeait Le Petit Journalpar exemplesi peu au courant deschoses de la littératureà dire du bien de Poil deCarotte.

Un peuahurije réponds :

-- Tout cequi m'est arrivéce fut pour trois raisons : je le mériteje ne l'ai jamais demandéet il y a eu dans mon cascommedans tousun peu de snobisme et de chance.

Selon luitoute une organisation de succès existe. Cyrano n'estpas spontanéd'Esparbès s'est mis dans le sillage deHaraucourtetc. ! Il admire le génie de MoréasceLamartine pur. Il finit par avouer que ce n'est pas extraordinairepourvu que je lui accorde que chez lui l'expression simple esttoujours adéquate à la pensée simple.

27janvier.

Siparhasardau pauvre homme que je suishomme de ménage et decabinet de travailil arrivait d'être follement éprisd'une femmeje ne saurais comment le lui dire ni auquel de sessignes comprendre que je pourrais me déclarer.

-- Oui !va toujoursbeau masque ! Voulez-vous que je vous aide ?

-- Oh !comment ! Vous croyez ?... J'ai parlé en général.

-- Tantpisdit-elle.

28janvier.

Un faisanc'est un coq de châteaudit Baïe.

Un de ceshommes de goût pour qui le mot « bronze » signifieobjet d'art.

Elle etlui se tiennent embrassés comme les deux boules du fermoird'un porte-monnaie.

-- Je vousapporte mes voeux.

-- Merci.Je tâcherai d'en faire quelque chose.

Je diraile contraire de Balzac. Ecrireest-ce que j'ai le temps ! J'observe.

L'hostilitéde deux légionnaires qui se croisent : comment ! Lui aussiilest décoré ?

M. Vernet.Faire de lui un type très comiqueune espèce deSganarelle raisonnable et lâchehonnête et pas fortémouvant et ridicule.

Style tropserré. Le lecteur suffoque.

VictorHugo. Ses éboulements de vers.

Une petitefille en cage derrière une grande harpe onduléegrattant avec ses doigts les barreaux de sa cage.

Les poëmesde nos rêves dont la raison faitau réveilce que lesoleil fait de la rosée.

Brieuxtout seul à la terrasse de Julientête nue en pleinhiverson haut-de-forme loin de luilit un journal en buvant uneabsinthe. Voilà un homme de théâtre.

VictorHugo ne nous permet d'original qu'un peu de finesse.

Ce queDieuqui voit toutdoit s'amuser !

30janvier.

La rose ala couleur de la pudeur mais elle a aussi celle du mensonge.

-- Je vousai donné cette devisedit Mendès : chacun pour moi.

31janvier.

XVIesiècle : une langue qui pousse de tous côtes. Unprintemps de langue. C'est vertc'est mêléc'estdangereuxc'est bon.

-- LaChambre n'a comptéces derniers tempsdit Léon Blumque deux orateurs : Jaurès et Clemenceau. Jaurès est uncandide. En proseil égale Victor Hugo. Il a suppliéMillerand de n'être pas ministre ; maisMillerand une foisministreil l'a soutenu. Il est désintéressé.Il ne souffre que de l'inintelligence de certains socialistes. Commeon critique le détail d'un de ses discoursil répond :« Est-ce que je me rappelle ce que j'ai dit ! » L'hommelibre est celui qui ne craint pas d'aller jusqu'au bout de sa raison.Viviani est un homme de proie que je ne crois pas tout à faitdésintéressé. Barthou a osé prendre laresponsabilité de la chute du ministère Brisson.Brisson est un homme incorruptiblede cerveau limitémaisdont les quelques idées me sont agréablesce qui mesuffit. Waldeck-Rousseau est intelligentmais pas supérieur àun Freycinetpar exemple. Clemenceau est l'homme de la riposteincomparablependant vingt minutesà la tribune.

Je lisdans La Revue blanche le dernier chapitre des Mémoiresd'un fou. Flaubert a commencé par où Maupassant afinipar les grandes banalités. Ça rappelle Surl'eaumais c'est trop tôt. Il n'y a pascomme dans Surl'eaula vie d'un homme.

4 février.

Je dis àTristan que Victor Hugoà trente-quatre ansvoyageaitincognito et trouvait son nom sur des murs d'églises.

-- Ouiàsa seconde visitedit Tristan.

5 février.

Aprèssa scarlatinesa coquelucheson point de pleurésiequeva-t-elle avoir ? La figure d'un médecin qui ne comprend plus.Cette fièvre persistante... Il finit par dire :

-- Je nesuis pas inquietmais je voudrais voir Hutinel.

A ce nomj'ai à la gorge la petite boule que j'ai déjàeue quand le vieux docteur Bouchut nous a dit de Fantec : «C'est le croup. »

Ilausculte. Baïe n'en peut plus respirer. Il sent que le foie agrossi ; le point pleurétiquequi n'augmente pasn'a pasdiminué.

-- Je nesuis pas inquietdit-ilmais je ne trouve aucune explication àcet état général.

Marinetteet moinous n'osons plus parler ni nous regardercar les yeuxparlent trop. Comme on imagine facilement la mort de ce petit être! Ce souffle court et rapidec'est la vie. Pourquoi ne cesse-t-ilpas brusquement ?

Et monégoïsme infini me fait songer : « J'ai vu mon père.J'ai vu mon frère. Peut-être faut-il encore que je voieça. » On est égoïste. Tout de mêmej'accepterais bien l'échange : m'en aller pour qu'elle reste.Quand je suis très émunaturellement.

J'aurai euune vie d'égoïsmeet je pourrai direcependantqu'il ases limites : il y a des minutes où l'on y renonce.

Et cethomme qui va venir demainle dieuqui surprendra notre respirationet qui parlera peut-être au hasardcroyant d'ailleurs êtresûr de ce qu'il aura dit !

Onzeheures du soir. Toujours ces quarante de fièvrece petitcorps qui brûlece foyer intérieur qui dévoreune petite âme : un reflet de la flamme s'écarte sur unejoue. Sous ses paupières baisséesdort-elle ? Dors-tu? Les paupières se relèvent. Elles seules ont la forcede répondre.

Et lamaman qui est làelle donnerait sa vie goutte àgouttedût-elle perdre chaque goutte en souffrant toutentière. Qu'est-ce qu'un coeur d'homme de lettres prèsdu sien !

6 février.

La nuitpasséeje n'ai plus peur de ce que va dire un homme quipourparler de ce que j'ignoren'en est pas moins capable d'erreurs. Etd'abordHutinel me prend pour mon domestique et ne me salue pas.Premier conciliabule entre lui et Collache dans mon cabinet detravail. C'est long.

Il monte.Questionnaire sur l'état habituel de la petitesur sonenfance. Et les parents ? Je crois qu'il s'agit des miensmais c'estde nousde moi.

-- Pasnerveux ?

Oh ! si.La languel'intérieur de l'oeille ventre. Auscultation.

Un motinintelligible à Collache : c'est peut-être le seulvrai.

Il seredresserassure par quelques mots et redescend avec Collache dansmon cabinet de travail. C'est l'instant pénible. Ilsremontent.

-- Ehbienmadamevoici la vérité ! Nul danger pourmaintenant. La pleurésie n'augmente pas. La fièvretombera. Convalescence à surveiller de très près.Voici ce que nous vous conseillons.

Ordonnance.Alimentation au lieu de diète. Autres gouttes. Poitrine dansun corset d'ouate. Convalescence : la campagne d'abordpuisen étéun mois de Suisse. Repos completvie de petit animal.

-- Et lepays où est Rostand ?

-- Non.

Hostilitécontre Grancher.

-- C'estmoidit Hutinelqui ai trouvé la pneumonie de Rostand.

7 février.

Capus. Songenre d'esprit.

-- Je vaisentrer dans cette boutiquedit-ilpour me faire dresser le hair.(Hair dresser.)

Il ensortet pas contentdisant :

-- Je n'yremettrai plus jamais les cheveux.

XVIe.Orthographe. Ils cachaient leurs jolis mots sous des lettres comme unnid dans des broussailles.

La véritévaut bien qu'on passe quelques années sans la trouver.

AMontesquiou qui lui lit de ses vers :

-- Vousdevriezdit Bloyme donner votre argent.

Fantec.Qu'il lise ce Journal quand il en sera digne.

8 février.

Guitry estun destructeur ; mais il détruit ce qui encombre. Il a unmépris sans pitié pour ce qu'il appelle la boue.

Comme ildoit débuter dans Le Misanthropeje lui demande :

-- Etaprès ?

-- Aprèsje m'en irai. Sauf L'Ecole des femmesque je ne peux pasjoueraucune pièce ne me tente.

Il aterriblement raisonpour un acteur ! Que n'est-il grand seigneurtrès riche !

-- Sansdoutedit Brandèson vous discutera dans le rôle duMisanthrope.

-- Mediscuter ! s'écrie Guitry. Qu'est-ce que ca peut me fairequ'il y aitçà et làtrois imbécilesqui se réunissent pour me discuter ! Ça vous faitquelque choseà vousRenardl'idée qu'on va vousdiscuter ?

Disant cemotil a les lèvresle nezles yeuxcrépitants demépris. Il bouillonne de dédain.

Visited'un ancien camarade de Mauriceélève du pèreRigal. Oh ! l'homme sinistre ! A quoi sert-il ? Il est utile comme uncheval qui traîne des choses.

On secroit rienet tout à coup on voit un abîme entre cequ'est ce pauvre homme et le peu qu'on est. On pense qu'unWaldeck-Rousseau en reçoit comme ça des centaines.

Il dit : «Je me rappelle de... »

-- Vous neme reconnaissez pas ! Tout le monde me reconnaîtpourtant.

On leretientà cause des souvenirs.

Il estplein de mépris pour d'anciens camarades qui n'ont pas réussi.Il connaît « des chics types » qui se font de 20 à30.000 francs par ancarrément.

On faiteffort. On a peur de le froisser.

Tout demêmeil n'ose pas aller trop loinet il part en disant : «Au revoirmonsieur Renard. »

-- On ajoué une pièce de vousdit-il.

-- Il y atrois ou quatre ansoui.

-- Ah ?

-- Dans unpetit théâtrerue Saint-Lazare.

-- C'estbien possible. Je ne me souviens pas.

Il n'y aqu'avec ces hommes-là qu'on renonce à parler de soitant c'est inutile.

-- J'aivécudit-il. Je me suis bien amuséeten six ansj'ai tout de même mis dix mille francs de côté.

Ils n'ontde commun avec nous que la certitude qu'on n'arrive à riensans travaillermais de quel travail ? Ils méprisent lesfonctionnaireset on les entend dire : « J'ai conquis monindépendancemoimais au prix de sacrifices sérieux.»

-- Nondis-je. Je ne vous reconnais pas.

Il en estvisiblement froissécar il tientlui aussià êtrereconnuà avoir une personnalité. Je m'excuse :moustaches en pluscheveux en moins« et puisvous étiezplus grand que moi. J'avais pris l'habitude de vous regarder de basen haut ». Enfinje reconnais les plis du rire du jeune hommequ'il était.

-- Allezdonc voir Bouilletle pharmacienme dit-il. Il est trèsgentilet puisc'est un type. Il vous fera rire.

Au lieu derépondre que j'iraije dis que je ne sors pas.

-- Tiens ?Pourquoi ?

Et il mefaut expliquerbarboter.

Il meparle aussi d'un tel -- parce que je lui dis que ma petite fille estmalade -- qui est mort en douze jours d'une fièvre typhoïde« le 22 janvierouije dis bienle 22 »et quifaisait déjà dans son commerce 3 ou 400.000 francsd'affaires.

Il regardel'affiche de Poil de Carotte.

-- Ah !c'est de vous aussicette pièce ?

-- Ouic'est de moi.

-- On en adit aussi du bienje crois.

-- Ouioui. Et les Belleville ? Vous rappelez-vous les deux frèresBelleville ?

Il n'estmême pas surpris que je détourne la conversation.

9 février.

Guitrydîne chez Henryen face de Forain et de Paul Robert. Ilsdînent comme des chiens de faïence. Forain et Guitry ontété des camarades de dèche. Aujourd'huicesdeux hommes gagnent beaucoup d'argentdînent à 25francsse disent à peine bonjour et se méprisentheureux d'avoir eu l'Affaire comme prétexte. Moije ne saluepas. Il est vrai que j'ai baissé les yeux le premier.

11février.

Je vousremerciemadamede votre accueil indifférent.

12février.

Guitry meprésente à Pol Neveuxle chef de cabinet de Leygues.Neveux me dit trois ou quatre fois qu'il est enchanté. C'estun grand garçon qui ne cesse de se passerau sens exactlamain dans les cheveux. Il me racontelui aussison pèrequitrouvait trop compliqué de mourir à Paris quand àla campagne c'est si simple !

13février.

Baïe.Tout à coup la fièvre tombecomme un linge brûlé.

Dans ungraphique de fièvreles petits clochers de la fièvre.

Si celuiqui se noie joint les mains pour priern'est-il pas perdu ? Qu'ilnage donc toujours !

15février.

Baïe.Hutinel la trouve mieux. Il veut qu'on attende à mardi oumercredi pour la ponctions'il y a lieu. On lui dit qu'elle a assezdu lait. Aussitôt il cite Tartuffe :

Il estavec le ciel des accommodements. Donnez-lui toujours du laitmaisdéguisé. Moins de fadeurs. Du fromage même. J'aidonné à un petit enfantje me rappelletenez -- il medésigne comme si je la connaissais --la petite fille deJules Simon-- du gruyère. Elle doit être mariéemaintenant. Donnez du poulet haché menu dans le bouillondesfruits cuitsdes compotes de prunes et de cerises.

Regardantà chaque instant le Poil de Carotte au-dessus de Baïeil s'abandonnes'oublierêve presque.

Lamédecine n'a de certain que les espoirs trompeurs qu'elle nousdonne.

Hutinel.Leurs adverbes : bactériologiquement.

Quand iltapote sur ses doigtsà l'auscultationet qu'il découvreune belle différence de sonoritéil détachehaut le doigtcomme un pianiste. Il a le dos au feu. Ses doigts surson derrière frisent de la chaleur.

Gras dansune redingote dont l'ouverture fait un beau clocher sur ses fesses.

«Notre situation sanitaire »disent-ilscomme sià euxdeuxils soignaient tout Paris et la France.

18février.

Molière.Ce qu'il a de plus admirablec'est sa langue. Rien de plusdramatique que les scènes de L'Avare entre le pèreet le fils. Le monologue de l'avare semble un peu un monologue pouracteur. C'est le delirium tremens de Coupeau. Ça emballe lepublicmais ça sonne un peu faux.

Et lesjolies scènes d'amour ! Courteline dirait qu'elles encombrentle théâtre de Molière : elles sont d'exquisrepos.

Les motsrappellent comme des perdrix.

Baïeprévoitet le redoutequ'elle peut être tout le tempsmaladepasser toute sa vie dans un litmais elle ne prévoitpas encore qu'elle peut mourir. Elle est làtoute seule dansson lit de maladeà ne pas songer à la mort.

Lespetites baleines courtes de ses mains maigres.

Toujourscoiffé de travers comme un pot à colle.

L'espèced'angoisse qu'on a en disanten écrivant du mal de Dieu.

--L'esprit qu'on veut avoir gâte celui qu'on n'a pasdit Guitry.

On va voirun malade pour lui raconter toutes les maladies qu'on a eues ou qu'ona vues aux autres.

Je n'aimême jamais eu la chance de manquer un train auquel il soitarrivé un accident.

Jem'exerce à rirechaque matinune bonne heureafin demériter le beau nom d'auteur gai qu'on a bien voulu me donner.

-- Je tedonnerais bien mon joujoudit l'enfantmais je ne peux pas : il està moi.

Ah ! quen'ai-jemoi aussien naissantcoûtéla vie àma mère !

Ecriretoute la vie de Poil de Carottemais sans arrangement : la véritétoute nue. Ce serait plutôt le livre de M. Lepic. Mettre tout.Oh ! que j'étais embêté quand il me fit des aveuxà propos de cette petite fille jolie et sale !

Parfoisje voudrais apprendre que je ne suis pas son fils : çam'amuserait. Ne pas même dire que je suis son fils. Tout direavec un cynisme tout nu.

Finiraprès sa mortpar une sorte d'hymne à petits traitsen son honneur. Un livre qui fasse hurler et pleurer.

Je n'écrispas pour ma petite soeur.

Cechapitreje l'ai déjà faitmais mal. Je lerecommence.

Tantôtil me racontera sa vietantôt je la devinerai.

Il cite leChrist à tout propos. Vacances. Diligences. Il porte le sac.

Sesphotographies.

Je racontece livre comme un homme.

-- MadameLepicelle était fraîche. Je couchais avec elle sansl'aimermais avec plaisir.

Ettandisque j'écrisje sens mon coeur se fondre.

Il medonnait des conseils d'économie.

Mariel'aguichaitmais il n'a jamais rien pu faireparce que la vieilleà chaque instantrentrait par la porte du jardin.

Pourquoime gênerais-je d'écrire ce livre ? La moitié demes personnages sont déjà morts ; les autres mourrontdemain ou après-demainet pas à cause de mon livre.

Sapremière filleil lui disait : « Si tu cesses dem'aimertu ne me le diras pas. »

-- Jecouraisen montant l'escalierpour la revoir plus tôt.

-- Et moi?

-- Oh !toitu es venu sans que je le veuille.

-- Çane me froisse : pas.

Je ne l'aivu qu'une fois travailler.

-- Cesgars-làdisait-il des ministres.

Il meméprise parce que je n'ai pas l'air de me préoccuperdes femmes. Ses histoires scabreuses me gênent plus que lui. Jeme détournenon pour riremais pour rougir.

La chasse.Scène de jalousie entre luiMaurice et moi. Envie de seflanquer une tripotée à trois.

Baïevoudrait une baleine dans un bocal.

Donnez-moides poissons rouges dans un bocalet je rêverai votre Orient.

Il n'estpas bon qu'un chef-d'oeuvre soit connu pleinementdu premier coup.Il faut laisser aux générations à venir le tempsde le faire. Sinonelles révisent.

D'unenfant maladeles gens vous disent : « Ce n'est rien »ce qui veut dire : « Ne m'en parlez pas davantage. »

M. Lepic.Il insiste beaucoup sur l'affection qu'il a pour cette petite fille.Peut-être qu'il m'aime autantmais il insiste moins.

-- Depuisdit-iltout m'est égal.

L'obscurplaisir que j'ai à débiner mon frère quand nousparlons de lui.

Sesthéories sur les frères.

C'est cecochon de dame Nature.

Cetteespèce de bain brusqueémouvant et chaudqu'on prendà l'idée de la mort.

20février.

M. Lepic.Parfoisaussij'éprouve le besoin qu'il me donne samalédiction. Mais à propos de quoi ?

Hutinel.C'est un grand médecin pour qui les chères petitesmalades se font belles dans leur lit.

Çane coûte rien à ces jeunes poëtes de faire cinqactes en vers pour coucher avec une actrice.

Puissé-jeavoir le courage de raconter aux autres la vérité queje n'ai pas le courage de me dire à moi-même !

21février.

M. Lepic.Sur ceje résolus de me marier. Son attitude. Il se chauffe.Au morceau de musiqueil dit : « Oui ! » On n'entenditpas le mot « Assez ! » mais on entendit qu'il le pensait.

-- Puisquevous avez tout arrangé sans moi...

En 70onl'accusait d'avoir correspondu avec Bismarck.

Je le voisavec les yeux de l'enfantpuisdu jeune hommepuisde l'homme. Samort.

Çam'amuseraitd'apprendre qu'il est cocuque je ne suis pas son fils.

Çam'expliquerait bien des chosesmais il n'y a qu'à moi que ceschoses n'arrivent pas.

Pour faireprospérer ma famille je n'aurai qu'à faire le contrairede tout ce que je vois.

Sa hainepour les curés.

Je tâchede les faire divorcer. Dialogue entre lui et moi dans l'écuriemais Mme Lepic avait écouté à la porte.

Parfoisj'ai peur qu'il me donne une calotte ou me décharge son fusilen pleine figure.

Guitrydans une longue robe de chambre à fleursressemble auBourgeois gentilhomme. D'ailleursil nous en lit à merveille.

Au fondnous jouons un peu à la société des quatre amis: BoileauMolièreRacine et La Fontaine. Nous laissonsseulement dans le vague la question de savoir qui est MolièrequiLa Fontaine. Nous sommes tous délicieuxexquis.

Brandèstrès belle en garde-maladequi vient de perdre une tante dontelle porte le deuil.

Et voiciTristan qui doit être de plus en plus persuadé quepersonne n'est digne de lui dénouer les cordons de seschaussurescar ils ne sont jamais noués.

Ouilanature est belle. Ne t'attendris pas troptoutefoissur les vaches.Elles sont comme tout le monde.

25février.

Oh ! cetincorruptible thermomètre qui monte toujours à la mêmeheure ! On en a chaud.

Et direquesans luion ne s'apercevrait peut-être de rienet qu'àla campagne un enfant qui n'aurait que cette fièvre courraitdans les rues ! C'est rageant.

Jem'approche d'elleà la tête de son lit. Couchéederrière les barreauxelle dort déjà. Je luidis un petit bonsoir douxprolongéet j'attends. Mais ellegrogne dans sa cage : elle n'a pas faim.

Femme.Après un gros chagrinelle se poudrerait aux tempes pourfaire croire que ses cheveux ont blanchi.

Moi aussije mets de l'argent de côtémais pas du bon côté.

MussetunRostand avec plus de naturelmais il sera toujours nécessaireaux jeunes gens. A trente ans on le comprend moins. Ce n'est pasennuyeux : c'est plutôt inintelligible. Et puisdans LesNuitsavec la dernière grossièreté le poëterefuse de répondre à la Muse.

Et puistout çac'est de la poësie de bravoure.

N'importequel panache ! Ils n'ont même pas la peur -- pudique-- derester en panne.

Et cetteabondance mécanique de poëte ! Que de vers ! Que de verspour qu'on dise de temps à autre : « Çac'estbien ! »

27février.

HierGuitry m'a ditpresque avec pudeur :

-- Je vaistout de même vous lire la première scène de mapiècequelques répliquesjusqu'à ce que jem'écoeure moi-même.

Et ilapporte une chemise où je lis le mot Feuilles. Ellecontienten effetdes feuilles.

Il litetc'est très bien. C'est du Donnaypas du moins bonavec destrouvailles d'acteur.

Unehistoire d'adultère qui a l'originalité de n'êtrepas ignobled'un mari cocu qui ne sait que faireet d'un amant quia le dessus très sympathiquement. Il joue au billard pendantque le mariqui l'a surpris avec sa femmemurmuredans la salle àcôté : « Quoi faire ? »

28février.

Alcesten'est qu'un homme qui n'a pas réussi dans le monde.Indifférentil serait plus beaumais moins intéressantque misanthrope.

Si le roidisait : « Nous deux ! » si Célimènel'embrassait tout d'abordsi Oronte lui disait : « Je sais quevous faites des vers délicieux... »

Nosvertusnous les devons à l'impuissance où nous sommesd'avoir des vices.

--Donnez-nous La Veinedit Samuel à Capus.

-- Jedonnerai La Veine qui est au FrançaisrépondCapussi Guitry veut la jouer.

-- Je veuxbiendit Guitrysi Claretie veut.

-- Je veuxbien rendre la piècedit Claretie à Guitry. Je veuxbien vous donner un congémais pour jouer une autre pièce.

Granier vavoir le ministre Leygues pour le prier d'intervenir auprès deClaretie.

-- Je veuxbiendit le ministre.

MaisGuitry écrit à Claretie : « Je ne suis pour riendans cette démarcheet je m'en tiens à votre refus. »

Il s'estdéjà fait faire un costume et cherche une bague pourjouer Alceste.

Au fondça l'embêteet ça embête Capus de tanttenir à Guitryetquand Granier connaîtra la pièceça l'embêtera d'avoir vu le ministreet peut-êtreque ça embête Samuel de dire à Capus : «Vous m'avez donné votre parole d'honneur. »

Etpersonne ne tient à cette affaire quand tout le monde a l'airde marcher.

1er mars.

Je demandeà Guitry :

--Etes-vous fataliste ? Etes-vous superstitieux ? Pensez-vousquelquefois à Dieucomme La Bruyère ?

Il merépondavec un rire qui pourrait bien faire crouler la maisonsur nos têtes :

-- Ah !nonjamais !

A treizeans il savait tout. C'est l'acteur Monrose qui l'a fait entrer auConservatoire. Engagé à la Comédie-Française.Va au Gymnase et paie un dédit de 10.000 francs. Puisà Saint-Pétersbourg où il gagne 40.000 francs etest populaire comme Boulanger parce qu'il mène une vie folles'y mariedivorce. Il a déjà dépenséplus d'un million et ne tient pas à l'argent.

Samuel luiavait offert de 5 à 600 francs pour jouer La Veine. Aumoment de signer :

-- Si vousvous contentiez de 500 ? dit Samuel.

-- Oh !comme vous voudrez ! répond Guitry quipensant à moiavait envie de rougir.

Il affectede mépriser ce qu'il fait. Rien de plus facile que d'êtreun bon acteur.

-- Ce queje faisdit-ilne vaut pas 100 francs par jourmaiscomme lescirconstances ont fait de moi un homme rareon m'en donne 500.

Allais dit:

-- Je nesais plus comment je vis. Ma femme est maladeet il y a huit joursque je lui promets d'aller chercher le médecinet j'oublietous les jours.

Guitrytrès riche nature. Près de luion se sent un peu unpauvre bougre.

Il a letact de ne pas dire trop de bien d'un talent qu'il sait qu'onjalouse.

Il estgentil jusqu'à se dire très embêté s'ildevine qu'on l'est un peu.

Il parled'un comédien qui visite une églisese fait toutmontrer par le suisse et diten sortant : « C'est bienmaissi vous empêchez de fumer et que vous ne donniez pas de bonnebièrevous ne ferez pas le sou. »

Le goûtune espèce de qualité mortelle.

Nousrusons afin qu'on nous dise la véritémais non sansnous découvrir afin qu'on nous mente.

Baïeson visage repeint avec des couleurs fraîches.

Le bonheurne rend pas bon. C'est une remarque qu'on fait sur le bonheur desautres.

Rien deplus facile à affecter que le mépris.

4 mars.

LeGendre de M. Poirier. Un type de pièce bien faitetropmuflemais toujours intéressante.

Rien nedégoûte de la vie comme de feuilleter un dictionnaire demédecine.

5 mars.

Plaire aupublic par des qualités originalesvoilà tout leproblème. Rien de plus facile que d'être un audacieuxdésagréable.

7 mars.

Capusgrisé par La Veine.

-- CeGuitry est admirable ! dit-il.

-- Iltrouve ta pièce très bien.

-- Oui.Elle l'estpour deux raisons : d'abordpour ce que Guitry peut yvoiren acteuret puispour ce qu'il n'y voit paspour ce quirattache ma pièce aux moeurs d'aujourd'hui. Il ne s'agit plusque de savoir si toutes ces raisons passeront la rampemaisçac'est le mystère. Il faut avoir de l'audace : tout est là.J'ai relu ma pièce. Je n'avais pas osé poussercertaines scènes. Maintenantje les pousse et j'en suis aupoint où il faut peut-être s'arrêterde peur quel'audace ne devienne bêtise.

Puisunedéfinition du Juifd'une témérité !...

-- Le Juifne sait pas attendre. Il veut le gain immédiat. Il veut queson petit travail de rien du tout soit d'un rapport énorme.

Quelleestactuellementl'idée-levier de ce charmant esprit ? c'estde se faire installer une véranda à Vernon.

11 mars.

Il medonne le braset je m'arrange pour que les arbres du trottoir nousséparent à chaque instant.

Jerencontre Hervieu à la Société des Auteurs.

-- C'estla bonne sérielui dis-je.

-- Ouidit Hervieu. J'ai prononcé votre nom à l'Académieà propos des prix à distribuer à ceux qui ne lesdemandent pas.

-- Jecroyais qu'il fallait toujours demander ?

-- Non. Jedois dired'ailleursque votre nom n'a pas étéaccueilli d'une façon triomphale. CependantSorel...

Et il mecite un autre nom.

-- Certesdis-jeje n'aurais rien demandémais j'avoue que500francsc'est toujours agréable.

-- Oh ! ils'agit d'un prix plus important. L'Académie donne ses plusbeaux à ceux qui ne lui demandent rien ; maispuisque je n'aipas pu le décrocher...

-- Vous mecomblez. Je suis confus.

-- Oh ! cen'est pas un mérite. Il n'est pas désagréable deprononcerà propos de vousquelques parolesqui ne peuventêtre que distinguées et noblessur votre vievotretalentvotre indifférence à l'égard du publicet de demander quelque chose pour vous : un prixune croixneserait-ce qu'un fauteuil.

Je neréponds pas que je ne suis pas fatiguéque je n'ai pasenvie de m'asseoir.

Allons !Il ne faut pas que ta timidité soit prise pour del'indépendanceet il ne faut pas que ton indépendancedevienne de la roublardise. Sans le faire exprèstu es devenuun beau sujet à protectioncomme dit Hervieupour ceux quitrouvent leur compte à rendre service. Tâche un peu den'en pas profiter. Tu essans le vouloirun homme qui a de lachance : écarte-la poliment. Et puisessaie de ne rienaccepter des mains que tu n'aurais aucun plaisir à serrer sielles ne t'offraient rien.

14 mars.

Sespauvres yeux ont plu toute l'année sur son visage.

Faire deTartuffe un curé de village.

M. Lepic.C'était mon père. Nous avons eu une longue vie commune.Nous avons vécu côte à côte. Il est mortet je ne lui ai rien dit.

J'aihérité de lui le goût de la bonne soupe épaisseet chaude.

Je neproduirai rien cette année : j'ai gelécet hiver

Chez LéonBlum.

-- Dois-jesignerdit-illes Nouvelles Conversations de Goethe avecEckermannc'est-à-dire mettre mon nom sur une couvertureoù il y aura celui de Goethe ?

--Pourquoi pas ? dis-je. L'audace n'est pas de signer ce livre : c'estd'avoir eu l'idée de le faire.

-- Ouietce que vous me dites est plus troublant.

Dans lescarafesde l'eau bouillie qui achève de se refroidir.

--Aujourd'huidit Boulengerles écrivains n'écriventqu'avec des synonymes.

-- Il nepeut y avoir de critique sincèredit Blumque la critiqueanonyme. C'est tout le journalisme anglais.

15 mars.

Dieu.As-tu vu son front sous la calotte des cieux ?

-- Lesoirdit Capusje vais dîner dans la ville.

Rostandlorsque j'étais très lié avec luiavait troisans de moins que moi. Depuiscette différence a dûaugmenteret il doit avoir aujourd'hui cinq ou six ans de moins quemoi.

Oh ! etquand je serais un peu bête ?

16 mars.

Soyonsartistes ! ne nous occupons ni de gagner de l'argentni d'êtreconseillers municipauxni d'être membres du comitéd'une section de la Ligue des Droits de l'homme. Nos pèresn'avaient qu'à gagner de l'argent. S'ils en gagnèrentassezc'est bien : merci ! Dépensons-le. S'ils n'en ont pasassez gagnéils ont eu tort : ce sont les coupables.

A deshabiletés d'homme intelligentà des combinaisonsd'homme pratiquene perds pas l'occasion d'écrire un beauvers ou une belle phrase.

Pas debesognes ! Cette mauvaise pièce te rapportera 20.000 francsouimais tu as perdu une Histoire naturelle qui serait unchef-d'oeuvre.

Mais àce compte-là on meurt ? Nontout s'arrange. On hériteon gagne un lotun Anglais achète ton porte-plume.

Maissitout de mêmeil faut mourir ? Eh bienmeurs ! Ta mort feracomprendre au monde qu'il vaut mieux mourir que de cesser d'êtreartiste.

18 mars.

Capus netouche plus terre. Il marche à dix centimètresaumoinsdu sol. Il fait pour Micheau une pièce qui passera dixjours après La Veine. Il a des solutions pour toutesles circonstances de la vieetavec çaune humeurbatailleuseconquérante.

Il entre.

-- OuiMariedit-ilj'ai dîné. C'est égalsi vous medonniez un potageun plat de viandeun de légumeset dudessertje me mettrais volontiers à table.

D'aprèsles « on-dit »les travaux qu'il vient de faire àsa maison de campagne sont très bien.

Dans cinqou six ans il sera sénateur d'Indre-et-Loire.

Comme unpaysan lui demandait son chemin pour Toursil lui a dit : «Allezmon brave ! La deuxième ville à droite. »Ensuiteil lui a payé son voyage en troisième classe.

Puisnousallons voir le régisseur des Variétésfleurfruit monstrueux de ce petit endroit surchauffé qu'estun cabinet de régisseur. Il écrit chaque jour uneincroyable quantité de lettres. Il donne des ordres avec dustyle etau moyen de phrases littérairesrappelle lesfournisseurs à l'exactitude. C'est un vieil acteur qui apeut-être eu son heure de gloire.

ChezFranck au Gymnase.

-- Il fautque Le Pain de ménage t'y rapporte 5 ou 6.000 francsme dit Capus.

On lecroirait. Capus dicte une lettre par quoi Franck s'engage à mejouer cinquante fois d'ici le mois de juin. Je crois rêver.

-- Je necomprends pasdis-je à Mégard.

Capus metire par mon pardessus.

Franc-Nohainpâlecar il ne sait plus si l'on va jouer sa piècefait des efforts désespérés pour rester fin etprécis. Franck le congédie.

-- Tu n'yperds pasdis-je à Capus. Par une simple petite démarchequi t'a réussitu as gagné au moins une annéede gratitude pendant laquelle je dirai que tu es le premier auteurdramatique du tempset que chacune de tes pièces est unchef-d'oeuvre.

19 mars.

Poil deCarotte. Tournée Baret. Mme Grassotqui va jouer MmeLepic à Ganddit qu'elle est depuis vingt ans à Paris.

-- Caremonte loin !

-- Oh !moidit-ellemaintenant je remonte toujours.

On voitune belle jeune femmequi pourrait être une honnête gruebien richeheureuse d'allerpour dix francs ou cent sousjouer lerôle d'Annette en province.

On répètedans une espèce de maison garnie où il faut sonner àtoutes les portes avant d'arriver à la vraie. Un poêleavec une tasse d'eau dessus.

Fanteccroit que le mariage des curés est obligatoire. Il confondsans doute avec le service militaire.

Je neréponds pas d'avoir du goûtmais j'ai le dégoûttrès sûr.

21 mars.

Cettehonnête femmepresque une vieille fillede quarante-cinq ansne pense jamais à ce qu'elle fait. Devant son fourneauellepense que voilà son père et sa mère trèsvieuxet qu'ils vont bientôt mourirque son fils sera soldatl'année prochaineet elle se demande s'il ne sera pas tropmalheureux. Puiselle pense qu'il se marieraet elle se demande sielle pourra s'entendre avec sa bru.

Etcommeelle pense à tout celaelle allume le gaz et jette dans uncoin une allumette mal éteinte. Elle descend à la cave.Quand elle remontela cuisine est pleine de fumée. Un torchonbrûleet la flamme lèche déjà le boisblanc du buffet.

-- A quoipensez-vous ?

A quoielle pense ? Elle pense...

ChezGuitryMarie fait des plaisanteries. Elle nous traite finement commedes pique-assiette. Elle nous dit :

--Monsieur n'a donc pas reçu un télégramme ?Monsieur ne sait donc pas que monsieur dîne en ville.

C'est trèsdrôle.

-- Cepauvre Scholl n'est plus à prendre qu'avec un cercueilditCapus.

Avant quede confier à une actrice un rôle dans une piècequ'on espère jouer cent foiss'assurer d'abord qu'elle n'estpas enceinte.

Mon rêve: faire tenir une comédie dans un kiosque.

Connaîtreles femmes sans être amantc'est comme si un pêcheurayant promené sa ligne sur la rivières'imaginaitconnaître les poissons.

Elle passeses journées à attendre le coup de sonnette du bonheur.

Biencharger ma phrasebien viseret faire mouche.

--Regarde-le : c'est un mari fidèle.

-- Ouimais il n'y a pas d'homme plus triste sur la terre.

22 mars.

Je luidemande :

--Qu'est-ce que vous préférez de la vie ?

--L'amourrépond-elle.

Conversationde deux heures entre deux femmesquoique Marinette se taiseet deuxmaris.

L'amouron ne sait plus ce que c'est. La chose est perduenoyée dansun déluge verbal. Impossible de retrouver la réalitéqui doit être simple et claire.

Comme lapolitiquel'amitié aurait puelle aussiêtre unevictime des mots. Elle a eu la chance d'échapper àl'ensevelissement. C'est pourquoi un homme clairvoyant la préfèreà l'amour. Il sait ce que c'est. Si on lui dit : « Maisl'amourc'est bien mieux ! C'est quelque chose d'extraordinaire »il ne veut rien savoir : il se défie des motsdes gestesdesregards qu'il faut pour prononcer ce mot gonflé de tous lesvagues : c'est le ballon universel.

-- Lafemme que j'aimeraidis-jesans qu'elle m'aimequi me ferasouffrirqui me forcera à dire que je suis une victime del'amournoncette femme-là n'est pas encore fondue.

-- Moiaussidit-ellequand j'étais petitej'ai écrit monJournal.

Elle a unefacilité de paroleune légèreté d'organequi lui permettent d'avoir l'air précis quand elle ditvaguement des choses profondes.

Maconversation : obscure et chargéesombreavec des éclairs.

Elle ne sepréoccupe que de l'amour et de l'absolu.

Il fautdire aux femmes des compliments mêlés de choses dures :ça les amollitles pétritles prépare àl'empreinte.

J'admetstrès bien qu'on se batte en duel pour défendre sonhonneurà la condition d'en avoir.

Il assisteen habit à la répétition des couturiers.

-- Çafait plaisir aux artistesdit-il.

Une peausèche et douceune peau de bois blanc.

23 mars.

L'amourtue l'intelligence. Le cerveau fait sablier avec le coeur. L'un ne seremplit que pour vider l'autre.

30 mars.

Voyage detrois jours à Chaumot.

Lesbouillottes grillonnentrossignolent. Un homme monte à unestation. Il n'a pas de bagages. Il a un chapeau en cônetronquéun pardessus jauneun pantalon fripél'airpauvre. Il se jette dans un coin etles mains dans les poches de sonpardessus qui ferme mal il dort. Il a les lèvres épaissesla figure communele souffle malsain. De temps en temps il ouvre unpeu les yeux et me regarde. J'ouvre les miens tout grands. Est-cel'assassin ?

Pendantqu'il dortje m'assure que la sonnette d'alarme est au-dessus de matête et que mon bras n'a qu'à se détendre vitecomme un ressort. Les mains dans les poches de son pardessus lâchemoune me semblent pas serrer une arme. Quant aux bouillottesellessont toutes deux sous mes pieds et sous les sienspuisqu'il est enface de moi.

Tout àcoup -- et il n'y a aucun intervalle entre son sommeil et ce geste-- il tire de sa poche un papier plat. Est-ce un joueuret va-t-ilm'offrir une partie de cartes ? Il développe un premier papierjaunepuis un secondtire une paire de ciseaux et un couteaupresque un canif. Il s'assure que les ciseaux fonctionnent bien etdu bout du doigtque toutes les lames du couteau ont le fil trèsfin. Il enveloppe le tout dans un seul papier et remet le paquet danssa poche.

Le trains'arrête. Il est arrêté depuis quelques secondesque l'hommesans même prendre le temps de se réveillerdescend et ferme la portière.

Restéseulje me détendscomme si j'avais échappétout de même à quelque danger.

Meules depailleles unesentaméesles autres presque finies. On en amangé beaucoup cet hiver.

Vieillescherchant du pissenlit. Comme il fait soleilsur leur têteelles ont mis un journalcelui qu'elles avaient déjàl'année dernière.

Fin d'unemélancolie qui se passeune tristesse bleue. On ne laisse àParis que des fous. Un soleil vaporeux. Au loindes arbres finscomme des fumées. Des champs peints de couleurs fines. Lesemeur fait son geste et ne se doute pas qu'il est auguste. Il sèmecomme l'année dernièreparce que c'est le moment. Lesinstruments agricoles fraîchement peintsvert vif ou rougevif. Plus rienque la nature et moi.

Sur lanature fine un soleil tendre luit.

Le chevalse promèneet la charrue le suit.

L'attelageà la fin du sillonse repose.

Il n'y ade fleur que le muguet des poteaux télégraphiques.

Feuillesmortes pas enterrées

Un airlégerune crèmeune journéequi en rappelled'autres : on était prêtet on oubliait de jouer. Onrêvait déjàtant il faisait bon être ausoleilles mains dans les poches.

Lesvigneshachures claires. Déjàun homme accroupi penseà la vendange.

Lescicatrices fraîches de l'arbre émondé. L'osiersanguin.

Un sapintout l'hiver est resté vert.

Routeslisibles comme sur une carte.

Lespremières fleurs poussent sur les chapeaux.

Une mared'eau reflète comme un oeil grand ouvert.

Cet arbremonte le coteau d'un seul pied.

Les saulesdans l'eau jusqu'au cou.

31 mars.

LaVeinede Capus. Un chef-d'oeuvre de comédie légèreen quatre actesune féerie. Tout le monde y est sympathiquey a de la veine. GuitrymerveilleuxGraniertrès émueheureuse que nous la rassurions.

-- Vouscomprenez ? dit-elle. C'est comme un peintre devant sa toile : ilfinit par ne plus voir.

Banalitéssur les hommes politiques et les hommes d'affairesmais délicieuxoptimisme. Joli dialoguenon de sentimentmais de sensualité: du Donnay moins féminin.

Il y abeaucoup de gâchages dans l'oeuvre de Capus. Ce n'est pas unbon écrivainmais c'est l'homme d'un esprit unique.

Ce n'estpas puissantni même très fortmais c'est la plusjolie récréation qu'on puisse prendre aprèsdîner. Par le rebondissementl'espritle bonheurl'aisanceLa Veine estde loince que Capus a fait de mieux.

-- Jecroyaislui dis-jequ'on ne pouvait faire de chefs-d'oeuvre qu'enun actetu viens d'en faire un en quatre.

--N'est-ce pas ? dit-ilmodeste. C'est assez bien conduit.

Bernard etmoinous embrassons sa femme et lui dérangeons son chapeau.

Sociétédes gens de Lettres. Toute la tête du nationalisme est là.Coppée sacristainRochefort parcheminéLemaitrefouinardBarrès de proieet l'insignifiant oiseau Vandal.

Et il y al'ouvrier Boutiqueet le militaireet l'insupportable Vibert quiveut expliquer le retrait de sa candidature. On le consigne. Ilappelle un monsieur « mon petit ami »mais le monsieurlui réplique énergiquement : « Je ne suis pasvotre petit ami ! »

A laréunion préparatoire de vendrediDecourcelle a dit : «Que celui qui a écrit l'ordure nationaliste contre le Comitése nommeafin que je lui donne des calottes ! » Personne nerépond.

En veined'amabilitéje tends la main à Estauniéd'unemaigreur de prêtre. Il a beau faire : il a gardél'empreinte.

Que defemmes ! Dire qu'elles pensentque leur bonne répond : «Madame travaille » ! Elles sont presque toutes laideset nedoivent pas sentir bon !

1er avril.

D'un vieuxparapluienous disons que c'est un ami qui nous l'a prêté.

C'est chezle Juif que nos défauts nous apparaissent le mieux.

Rostandest admirable en ceciqu'il a un monde d'admirateurs et qu'il nevoit personne.

Stendhalnous donnait « coqueter » : on a pris « flirter ».

CousineNanette approchant sa chaise de la mienne :

-- Siquelqu'un t'avait dit : « Baptisez votre enfant et on vous leguérira »qu'est-ce que tu aurais fait ?

-- Jel'aurais pris par l'épaule et flanqué en bas desescaliers.

C'est ellequi commenceet elle vaelle va jusqu'à ce queprèsde pleurerelle dise : « Assez ! »

-- Vous nefaites pas votre devoirdis-je. Il faut tâcher de meconvertir.

Elle veutque j'aie la prétention de faire du bien.

-- Vousêtes une ignorante et une orgueilleuselui dis-je.

-- Mais tune crois donc pas en N.-S. Jésus-Christet ce n'est donc paslui qui a inventé le baptême ?

-- Non !C'est Jean. Ah ! ça vous embêtehein ? Vous n'êtespas de force.

-- Je n'aipas mes livres sous les yeuxdit-elle.

-- Moijeles ai làdis-je en me touchant le front. Allons ! Vous avezencore perdu la partie.

Barbotageénervant. Elle reste têtuemoije n'avance pas. Jedevrais repasser quelquefois mon irréligion.

2 avril.

LaVeine. Tout ce que disent Granier et Guitryje l'écriraispeut-être avec moins d'espritmais avec plus de véritéj'en suis sûr. Mais comment me déciderai-je àadopter des fantoches ? Et toutes ces combinaisons faciles comme desmensonges ! Voilà pourquoi je n'écrirai jamais unepièce en trois actes. Il y a un bon quart de la piècede Capus que je n'écrirais paset c'est ce quart qui lemènera à deux cents représentations.

HierMmeAllais m'arrête sur le trottoir pour me demander des nouvellesde Baïe. Comme il pleut à verseet qu'elle n'a pas deparapluieje lui offre de la reconduire chez elle : c'est àcent pas.

-- Mercidit-elle. Vous allez croire que c'est pour ça que je vous aiarrêté.

-- Maisnon ! mais non !

Et nousmarchons côte à côte. Des paquets de pluie. J'ailes souliers trempés. Elle doit être mouilléejusqu'aux genoux. Je la protège mal.

Des genssous les portes cochères. Peut-être que l'un d'euxquinous connaîtse dit : « Tiens ! Tiens ! »

Ettoujours cette rougeur qu'elle a. Elle est très jolie. Elleparle vitemoi ausside sorte que nous ne savons pas trop ce quenous disons.

-- Mais jene veux pas vous entraîner si loin !

Je suissûr que nous pensons au mari. Si tout à coupbien àl'abri dans un fiacreil nous croisait ? Ça lui feraitquelque chose.

-- Je veuxvous conduire jusqu'à votre porte. Je suis trop heureux devous rendre un service signalé.

D'ailleursc'est là tout près.

-- Aurevoiret bonjour chez vous ! dit-elle en me tendant sa petite maingantée.

-- Je suisbien heureux de vous avoir rencontrée.

Pourquoidis-je cette phrase banale d'une certaine façon ? Il s'agitbien de ça !

OEuf duroeuf molletRagotte ne fait pas attention au temps qu'elle le laissedans l'eau.

Le feuluit. Ils mangent des choux-raves que Philippe trouve trop sucrés.

-- Lasoupe est meilleure dans une soupière blanchedit-il.

Le sel quia passé l'hiver est « mou ».

Ragotteson bonnet sur le lit. Le pot de lait recouvert de sa tuile. Lespincettes coiffées comme une religieuse. L'horloge qui marcheau pas. Les souliersl'unicil'autrelàse promènentsous le lit.

-- Il y ade bons moments dans la vie ! dit M. Vernet accablé.

Le secretle doute. Le pauvre homme n'arrive pas à savoir s'il est cocu.Le départ même d'Henri est inutile.

Le bonheurn'est pas si bon marché que ça.

Philippe àl'hôtelà Corbigny. D'abordil s'assied à tableavec son chapeau sur la têtepuisil s'aperçoit queles autres sont nu-tête. Il se lève et va accrocher sonchapeau.

-- Il fautl'ôterdit-iltout comme dans une église.

Quelle quesoit la littératurec'est toujours plus beau que la vie.

-- Oùvas-tu dans Paris ?

--Chercher des nidsdit-il.

3 avril.

LaVeine. Première. Mon étonnement. Je ne retrouvepresque rien de mon impression de samedide la jolie répétitionpour vingt-cinq personnes. C'est que je ne suis jamais d'accord avecle public. Tout ce qui est de première qualitébienmousquetaireest noyé. Le médiocrele conventionnelles mots à deux senstout cela monte au premier rang. C'estle très joli succèsmais pour une autre pièce.

Ah ! Il ya quelqu'un qui n'est pas difficile en esprit : c'est monsieurTout-le-Monde. S'interdire n'importe quel mot d'espritc'est perdrede l'or. Oh ! ce public ! Faut-il qu'on le gâte pour queàcôté de ce qui est très bienil choisisse ce quiest médiocre !

Ainsinepouvant empêcher le succès d'un amije veux encorequ'il soit d'une qualité à mon goût.

On soupechez BrandèsCapus en vestoncomme un ouvrier de la dernièreheure. C'est l'année où on le pousse. L'annéeprochaineon le jugera ; dans deux anss'il tombeil ne setrouvera personne pour le ramasser.

-- Çan'a aucune importancedit-il.

-- C'estle résumé de la journéedis-je.

-- Tut'imagines l'avoir trouvé ? Porel disait : « Ouioui !Je connais la pièce. C'est fadefadefade. »

Ce sontdes gens de métier Ce n'est pas une table de travail qu'ilsontmais une table à ouvrage.

Si tu nepeux être un homme de géniesois un sage. Ce n'estd'ailleurs pas plus commode.

Je rentrede La Gloriette à cinq heures du matin. Il neige et pleut.Place du Théâtre-Françaisun homme hèlele coupé qui me ramène de la gare. Je distingue unemasse énormebottines verniespantalon retroussécoldu pardessus relevéhaut-de-formecheveux blancs.

C'estBauër. Ça me fait rirecomme s'il allait patauger làtoute l'éternitéhélant les voitures sourdes.

10 avril.

-- Çame fait une belle jambe !

-- Madamevous n'aviez pas besoin de ça.

14 avril.

De onzeheures à une heureelle bavarde avec une abondanceuneprécision etmême un talentqui méritent del'admiration.

Elle avingt-sept ans et peut encore avoir une jolie aventure. Elle me parlede luiqui l'a lâchée.

-- Cen'est qu'un cabotdit-elle. Ce n'est pas un monsieur. Non ! Il croitaux lettres anonymes. Un monsieur qui en reçoit une ne l'ouvreque du bout des doigtsen se pinçant le nezet la jette aufeu. Il ne sait pas mangerni se faire servir dans un restaurantchic ; il appelle le garçon « mon ami » ; iljetterait ses os par terre si je ne lui donnais des coups de piedsous la table. Il ne sait pas porter un chapeau haut de forme et unhabit.

« Ilne se fait pas les mains. Il a les ongles sales. Il a étéignoble pour sa femme et ses enfants... Enfintout s'est bien passéet mon amiqui est maladequi n'est plus mon amant depuis six ansqui me donne de 80 à 100.000 francs par ann'y a rien vu.

« Oh! je l'ai bien aimé. Sans çaje serais sans excuse. Ilme disait : "On dînece soir." Et il fallait yaller. Sans ça... Etle matinje quittais notre chambre àdeux ou trois heurestandis qu'il restait bien au chaudet jerentrais par de sales quartiersavec des assassins dans le dosetj'avais une peur !...

«Comme tout le mondej'ai dit des rosseries : je n'ai jamais fait desaletéet je marche dans la rue avec mon parapluiecontentede moi.

« Ilme fait suivre. Ça lui coûte dix francs par jour. Jesuis sûre qu'il y a un agent au bas de la rue du Rocher. (Elleregarde par la fenêtre.)

« Ilne sait rien. Il n'est pas capable d'écrire une lettre. J'aiquatre fois plus d'esprit que lui.

« Mafemme de chambrequi me sert d'habilleuse et qui est plutôt madame de compagnieavait bien tout prévu. Elle me disait :"Madame se repentira et souffrira beaucoup." Tant qu'il y aeu en moi un charme qui le retenaitquelque choseje ne sais pas...

« Oh! il était très généreux avec moi. Il nem'a jamais donné d'argentmais des bijouxdes bibelots. Jen'avais qu'à dire. »

J'ai beaului dire : « Asseyez-vous donc ! » Elle parle debout. Çal'excite.

15 avril.

Assisterau petit coucher du soleil.

La maisontombe en reliquesdit Baïe.

17 avril.

Le Painde ménage au Gymnase. Sinistre aventure. Adéjeunerchez Mégardça ne va pas mal. Lesoirau Gymnaseà cinq heuresc'est lugubre.

-- Allez !dis-je. Je ne vous interromprai pas. Je veux voir où vous enêtes.

Tout desuitec'est la côte. Salle vide. Marinette et moiun vaguemonsieur derrière. C'est l'effroyable silence. Mégardsouffle sous ce poids.

-- Çane va pasdit-elle. Vous entendez ? Je n'ai plus de voix.

-- Le faitestlui dis-jequesi vous jouez ainsi demainc'est lacatastrophe.

-- Je neveux pas jouer demaindit-elle. Avec cette voixc'est impossible.

-- Je suisde votre avis. Ne passons pas.

18 avril.

Comme jedis à Gémier qu'il affecte un peu trop de ne pas sesoucier de la presseil me répond :

-- On voitbien que vous vivez avec des acteurs ! Vous ne me connaissez pas.

Mégardboudepiquée parce que je lui ai dit que j'allais retirer mapièce. Je ne peux m'empêcher de lui dire :

-- C'estratéque voulez-vous !

D'ailleursdécidémentje ne peux pas m'empêcher de parlertâchant de dire à celui-cipuis à celui-làce qu'il leur est agréable d'entendreet tout se contredit.

A larépétition généralele rideau levésur Vingt mille âmesArquillière s'avance et dit: « Par suite de l'aphonie de Mlle Mégardla répétitiondu Pain de ménage est remise. » On a entendu «la folie ». Comme Mégard est dans une loge de facetoutle monde se retourne. On éclate de rireon bat des mains :c'est un succès. Elle ritd'abordpuis tourne le dos.

Décidémentles incidents se multiplient. S'ils ne s'arrêtent pasçava se gâter.

-- Ehbienlui dis-jec'est un succès !

-- Ouidit-elle. Je n'en aurais pas eu autant dans la pièce.

-- Vousêtes aimable.

-- Ce neserait pas le même genre.

Trop tard! Trop tard ! Ça se gâte.

VraimentGuitry se tient bien. Je n'ai jamais eu cette affection pourpersonne.

Il me litune lettre de Mirbeauoù l'on voit que tous deux luttentd'amitiéavec des formules.

Il meraconte son déjeuner d'hier chez un Rothschild. Il y avait unoeufune côtelette pour enfantjuste de quoi mangerassezmais pas tropet cela dans une opulence inouïe etinsignifianteune opulence de gens qui peuvent agrandir les quatremurs d'une chambre pour y mettre un jardin. Un ouvrierperchésur une poutreregardait l'homme richeet ne l'enviait pas.

La théièrefume sa cigarette.

C'est déjàbien jolide ne pas faire le mal. S'il fallait encore ne jamaispenser à mal !...

Je suisdans de beaux draps ! Mais je m'y trouve bien.

20 avril.

Dernièrerépétition. Mégard semble trèssouffrante. A soigner son aphonie elle a gagné un bon mald'estomac.

-- Bah !lui dis-jevous serez délicieuse.

Ils n'ontpas joué mal. Quand un acteur se trompele public soulignequelquefois gentimentcomme pour dire : « Nous sommes là.»

Oh ! Cetteimperceptible certitude que ça ne va plusque çamontequ'il y a une côte !

Et puismon vieuxmérites-tu un succès ? Il ne s'agit pas desavoir si c'est bienni si c'est bien joué ? Il s'agit desavoir si tu le mérites. Tout est là. Il n'y a pas deveine : il y a de la justiceet tu sais bienau fondque tu nemérites rien. A la grâce de Dieu ! Il reste la ressourced'être lâche : soyons-le !

Et Janvierde la Motte arrive avec son manuscrit à lireenveloppédans un journalattaché avec une ficelle qui n'est pasfraîchement peinte. Il le porte sur l'épaule. C'est leCalvaire.

-- Oh !vousdit-ilvous allez compter un succès de plus. C'est dela chanced'avoir une première sur le velours.

Ainsitout le monde s'envie comme s'il y avait de quoi.

--Franc-Nohain est charmantdit Capusmais on peut dire que son fourest mérité. Quoi ! Nous passons des jours et des nuitsà préparer une entréeet ces jeunes gens sedébarrassent de ce souci ! Ils évitent de faire cequ'il y a de plus difficile au théâtre : une piècebien construiteet ils s'étonnent qu'on leur dise : «Non ! Non ! Allez d'abord apprendre votre métier ! » Etpuison ne s'essaie pas sur un grand théâtre avec troisactes.

Capus vase liquéfier en tutoiements et en poignées de main.C'est la fusion SamuelCapusLavallièreetc. On s'appelle «mon vieux ». On est harassé de succès. On tientle boulevardParisle monde. On se coucherait làpar terreles femmes avec les hommes.

Seullerégisseur garde quelque dignité. Il se préoccuped'avoir toujours sous ses ordres des employés aux nomsretentissants.

Ilsaccueillent tout le monde avec une gracieuse pitié. Pauvresgens que sont les autres !

Capus.Nous avons bu chez Guitry de l'eau-de-vie mélancolique. Je leconduisbras-dessus bras-dessousau Gymnase. Il n'a de joiequ'à penser que sa femme a une assurance sur la vie. Nousparlons de moyennes de théâtre et de moyennes de la vie.

-- Jusqu'àcinquante ansdit-ilje pourrai avoir quelque désir. Pasplus tard. Toitu n'as pas encore quarante ans.

-- Ouimais je vis avec des hommes de cet âge.

-- C'estvraidit-ilflatté.

Il faitdes mots sur Hervieu qu'admire Haraucourtparce qu'Hervieux a citéun vers latin que Larroumet croyait être le seul àconnaître. Au fondle succès de haute estime de LaCourse du flambeau l'embête. Il ne se sent pas de poids.Samuel gémit. Ils ne vont peut-être pas faire 8.000 cesoir.

Le Painde ménage. Matinée. Salle vide. On fait 400. MaisMégard et Gémier sont contents. Ils sentent que çapénètreet aussi que ça les pénètre.

Lapremière n'avait pas été ça. De lacoulisseje n'entendais que des effets de rire ; lesapplaudissements habituels ne venaient pas. Figures attentives etsouriantes. Au milieu d'ellesun énorme bâillement defemme laide. Mégardmaladeavait la frousse. Ils ont deuxchauds rappels. Ils sortentsurpris de ce succès. Gémierne croyait pas que ça porterait.

Crépitementagaçant de la pile chargée du rayon de lune.

Acteurs etactrices de l'autre pièce se promènent et écoutentd'une oreille mauvaise : allons ! ça ne marche pas trop.

-- Votremari n'a rien. Il croit qu'il est maladedit le médecinanglais.

Quelquesjours aprèspleine de confiance en ce grand médecinelle vient lui dire :

-- Monmari croit qu'il est mort.

Ma maisonest de verre. J'ai mis seulement quelques tapis pour qu'on n'entendepas.

-- Je vaispeut-être vous paraître d'un orgueil énormeditGuitrymaisdans ce monde des théâtresje n'ai pas unseul camarade.

Huretavoue qu'il ne comprend rien à Rabelais. Pour se rattraperildit que Montaigne est le plus grand écrivain de tous lessiècles.

LéonBlum promène en Italie sa grand-mère aveugle.

-- Ceserait si faciledit Tristande la promener sur le chemin de fer deCeinture en ayant soin d'y faire crier les noms de FlorenceVeniseetc.

Boeufs.Leurs cornes leur sortent du front comme deux belles pensées.

Un boeufprès d'une haie. C'est d'ailleurs lui qui met la haie àl'ombre du soleil.

-- Aprèss'être débarrassé de BéréniceditTristanTitus a dû dire : « Allons ! Je n'ai pas perduma journée. »

Leschevaux courent dans le préhippocampes sur une mer verte.

1er mai.

LaGloriette. La vache. Le pis pleinelle attend à la barrière.Elle mangeles cornes pointues comme des fourchettes. Elle mangeavec ses joues.

La chèremère est morte au jour de l'An.

-- Pourses étrennesdit Baïe.

Un boeufs'arrêtelit : « Attention au train »ets'éloigne.

Pour unepaire de sabots de vingt-cinq sousPierre mène à lagare une feuillette de vin.

Sonchevalaveugleest tombé l'autre jour dans la rivière.Il se dressaitles deux pattes de devant au bordles deux dederrière au fond. Mais il ne s'en serait jamais sorti siPierre ne lui avait pas donné la main.

2 mai.

Les jolisyeux rouges du pêcher en fleurs.

Amis commeune paire d'ailes.

Lapeinture fine d'un petit pigeon neuf.

Le pispleinla vache appelle son veau : c'est la fermière quivient.

Boeuf sousle jougle front couronné de paille et de lanières.

La vacheet son petit veau en bois blanc.

Dialoguedes morts.

-- Tu dorstoujours ?

-- Oui. Ettoi ?

-- Moiaussi. Je ne sais pas ce que j'ai : je ne peux pas me réveillerle matin.

3 mai.

Voilàun bouillon qui n'a pas froid aux yeux.

MonsieurVernetc'est : plus de peur que de mal.

4 mai.

L'actionau théâtreils croient que c'est de faire entrer etsortir des gens.

Oh ! cettefumée ! Si je pouvais enlever le toit de cette maison comme lacroûte d'un pâtéje verrais une femme penchéesur une marmiteet l'hommedans un coin d'ombrepensifattend quela soupe soit prête.

5 mai.

Dix heuresdu soirhier. Paysage. La lune toute seule dans un ciel pur comme del'eau. Etoiles rares. Au fondle Morvan bleu clair à peineindiquécomme la ligne courbe de la mer à l'horizon.

Un largechemin de brumes blanches sur la rivièrede la lune jusqu'auchâteau dont la masse sombre dort. Chants de rainettesd'oiseauxqui se répondent. Et la goutte sonore du crapaud.

Despeupliers comme des ombresdes chevaux dans les prés commedes ombres aussi. Une longue raie noire : c'est un mur de pré.

Il semblequesur le tapis léger de brume blanchela lune va venir auchâteau.

Ce qu'il ya de mieuxc'est queces notesje les ai prises sur le mur de monjardinà la clarté de ma lanterne.

On nedemande conseil que pour raconter ses ennuis.

-- Ah !monsieurme dit-ellevous êtes en lecture.

Ilstravaillent comme le groin du cochon qui ne cesse de manger.

Pongepoëte de village. Il me rapporte un paquet de livres. Il sefaisaitde Balzacune idée fausse. Il faut avoir le couragede lire la moitié de ses romanset puisça va toutseul. C'est superbe.

Il vabiensauf des boutons à la figurecomme toujoursauprintemps.

Quand ilparle de son âneil dit : « Sauf votre respect. »Un âne n'est pourtant pas un cochon.

Il a huittêtes de bétail. A lui tout seul il cultive une douzained'hectares. Il voudrait un cheval et mettrait son âne devantpour labourer.

Ilvoudrait surtout lire des oeuvres qui « émanent »de moi. L'Echo de Paris et Le Journalc'est trop long: six pages ! Il lui faut un petit journal comme Le PetitParisiencommode à lired'abordensuite pour aller auxchamps.

Trèsvexé parce qu'on le traite de voyou. Il n'est que radical. Ilva encore demander la suppression des deux cents francs du curé.

-- Vousavez une belle vuedit-il. Bon pays pour la poësie : la Muserayonne loin.

Il veutque son ennemiCharles de Bhraybatte de l'aile. Parlant desarticles qu'il publie dans quelques feuilles locales :

-- Lesunsdit-ilm'en font complimentdu moins par-devant je ne sais pasce qu'ils disent par-derrière. Les autres : « Il feraitbien mieux de cultiver ses champsau lieu d'attaquer Jaluzot. »

Mais onpeut aller voir ses terres : il a la coquetterie qu'elles soientaussi bien tenues que celles des voisins et quetout de mêmeelles lui laissent le temps d'aimer la littérature.

Son frèreemployé des Postes dans l'Aisnea une situation de 5 à6.000 francssans compter la dot de sa femmeet ce frère leméprise un peu.

Il aimebien L'Aiglonpréfère Cyranomais çane vaut pas Struensée (il dit : Fruensée)de Paul Meuricequi n'est pas le premier venuaprès tout.

Il a lutoutes les chansons de Béranger. Patrioteil détesteles nationalistes.

--Quelquefoisdit-ilj'emploiesans le faire exprèsdes motsque j'ai lus dans les livres. Alorsils disent que je fais desembarras. Etpourtantces mots-là sont français. Ilfaut bien qu'on s'en serven'est-ce pas ? Je n'ai aucune ambitionet mes écrits ne me font récolter que des ennuis.

Ilfaudrait faire pour le coeur ce que Descartes a fait pour l'esprit :table rasepuisune construction originale.

Soir.J'écoute chanter les oiseauxdes rossignols selon Philippe.Il y en a pleinle long du canal et de la rivière.

J'écoutechanter les oiseaux ; je ne sais pas les distinguer par leur chant.Pour moic'est le même qui fait tout.

Le chantde ce rossignol est plutôt maigre. Ou c'est une autre espèceou le rossignol est bien surfait.

La bouchece joli nid de la voix.

-- Hé! làdit Ragotte. Il est dix heureset je ne rentrerai paschez nouspour goûteravant midi et demiune heure.

-- Prenezdonc un morceau de pain dans l'arche.

-- Ma foije veux bien. Quelquefoisvous me reprochez de ne pas en prendre.Aujourd'hui...

-- Et unpeu de viande.

-- Oh !nonmerci.

-- Tenez !Tenez !

--Allons...

La nuitPhilippe se lève parfois et se met à la fenêtremais ce n'est pas pour regarder les étoiles : c'est parcequ'il a mal aux dents.

Poulaind'un mois aux genoux trop gros (seulela tête est fine etjoliecomplète)au corps trop court. On dit qu'il n'est pasencore « habillé ».

8 mai.

Marinettedu mot « marin » : c'est l'ancien nom de la boussole.

Unecharrette lourde et lente comme un bouvier.

Chacune denos lectures laisse une graine qui germe.

Lesgiboulées de mars tombent en mai.

Un cielinachevé dont il semble qu'on ait voulu essuyer les nuagesavec la manche.

Un grandfrisson de vent passe sur la campagne.

Capus nerêve pas assez ce qu'il fait.

Je regarderemuer les feuilles du petit poirierqui ne remue pas.

Hirondelles.Sourcils épars dans l'air.

L'accentcirconflexe est l'hirondelle de l'écriture.

Au volelles se passentde bec à becleurs petits cris.

Le châteaugardé par ses noirs sapins.

Si j'étaisoiseauje ne coucherais que dans les nuages.

13 mai.

MonsieurVernet. Quand il a la certitudede ne pas « l'être»il devient duret Mme Vernet accuse Henri. Le poëte apasséles bourgeois sont revenus.

Ilfaudrait les montrer d'abord bourgeois. Les Cruz les trouventchangésne les reconnaissent pas.

MmeVernet à Henri : -- Il est si bonn'est-ce pas ?

Henri: -- Oh ! oui.

MmeVernet : -- Nous nous écrivons tous les jours. S'ilrestait un jour sans m'écrire...

Henri: -- Vous n'en mourriez pas !

MmeVernet : -- J'aurais un réel chagrin.

Henri: -- Qu'est-ce qu'il vous dit ?

MmeVernet : -- Rien. Il me donne des nouvelles de sa santéil m'en demande de la mienne.

Henri: -- C'est intéressant. Et il vous dit qu'il vous adore ?

MmeVernet : -- Oh ! qu'il m'aime. Il me dit : « Ma chèreamie. je t'embrasse bien fort. »

Henri: -- Allons ! Allons ! Il n'y a pas de mal.

MmeVernet : -- Qu'est-ce que vous dites ?

M. Vernetdébarque après euxet il est déjà trèsen train.

Mme Vernetse met tous les soirs à la fenêtre. Elle rêve. «Je pense »dit-elle. Elle dit aussi : « Oh ! cettepetitece n'est pas la femme qu'il vous faut ! »

Henri:-- Vous croyez ?

MmeVernet : -- Ça m'étonnerait.

Henri:-- N'en parlons plus.

Philippe.Je lui en veux de trop penser à mes intérêtsauxvoisins qui rejettent leurs « traces » chez moiauxbornes dépasséesetc.etc.

L'hommeivre rentre et regarde les objets de sa maison tourner autour de lui.Sa femme lui dit :

-- Ehbientu ne te mets pas au lit ?

--J'attends qu'il passerépond l'ivrogne.

Il y apeut-être des branches où ne s'est jamais posé unoiseau.

Les rayonsdu soleil traversent les nuages comme des aiguilles piquéesdans de la laine.

Honorineabrutie de misère. Quand Marinette lui donne quelques souselle ne remercie plus : elle lève les bras en l'air et leslaisse retomber sur son tablier.

Nul n'estcensé ignorer la Loi. Il y a plus de deux cent mille lois.

L'hirondelleet son air prêtre.

L'Histoiren'est qu'une histoire à dormir debout.

Lesmoutons accrochent leur laine aux buissons pour les nids des oiseaux.

Marivaux :Le Legs. La pièce repose sur un mot qu'on ne veut pasdire (le « moi aussije vous aime »)et qu'on dit àla finparce quecomme le dit la comtesse elle-même«nous ne finirions pas »

C'étaitégalement commode de prendrecomme personnagesun marquisun chevalierune comtesse. Au titre seulle public connaissait lesdifférences. Aujourd'huitous les hommes se ressemblent. Onse donne d'abord un mal de chien pour les distinguer ; c'est uneperte de temps et de travailet l'on n'y arrive pas.

Il n'y aguère qu'une cinquantaine de mots quià une comédiede Marivauxdonnent l'air de n'avoir pas été écriteà notre époque.

Deux piesjouent. Leur vol se noue et se dénoue comme un noeud decravate.

Tombéle hanneton ne replie pas avec soin ses ailes : toujours quelquechose dépasse.

Cornichonpetit cochon vert à qui suffitpour saloirun bocal.

Les arbresont si peu de feuilles qu'ils ne reflètentdans l'eauqueleur tronc : le reste est trop clair.

16 mai.

Oui ! Oui! Je suis tantôt cecitantôt cela : il faut faire desexpériences.

La gêneque j'éprouve quand j'ai écrasé ne fût-cequ'un insecte.

30 mai.

Il sait àpeine signer son nommais beau parleur et long. A donné sadémission de conseilleret n'a jamais pu entrer au conseil.Il n'est pas resté longtemps à l'écoleparcequ'il a dit à son père : « Ecoute ! Ne me laissepas retourner à l'école. J'apprendrais trop vite : matête va sauter. »

Héritage.La mort nous prend un parentmais elle le paieet il ne faut pasbeaucoup d'argent pour qu'elle se fasse pardonner.

Cheveuxgrispoussière du temps.

Il a unetête de serpent : il attire ce qu'il désire.

-- Je leurlaisserai ça tel queldit-elle.

Legouttier de son chêneau se dégorge sur l'escalier. Lesmarches sont disjointes. Elle n'a jamais voulu faire reculer lagouttière.

Leur vieclairsemée.

Ils fontdes murs énormes pour une petite cour grande comme unmouchoir.

--Pourquoi des murs si larges ?

-- Pourmettre des pots de fleurs.

Ils n'enmettent jamais.

Elle estbien fine. Elle n'en a pas moins vendu ses vignes juste la veille del'année où elles allaient rapporter le plus.

Elle a del'ordremais elle a une armoire pleine de vieux papiers auxquelselle ne veut pas qu'on touche.

L'épicièreà qui Fantec achète d'un coup vingt-quatre balles d'unsou est tellement stupéfaite qu'elle renouvelle son bail.

La vacheva vêleret le taureau n'en saura rien.

Je passece soir à regarder le linge fin des nuages passer sur leslèvres pâles de la lune.

«Qui n'entend qu'une cloche n'entend qu'un son » : c'est unepensée de melon.

La grêletombe. Quel malheur ! Maisla grêle fonduele paysan ne sefait même plus pitié à lui-même : il seremet au travail.

L'imaginationd'un observateur s'atrophie : c'est un organe inutile.

J'irai auciel en sabots.

Bois. Il ya là des oiseaux qui ne sont jamais venus au village.

Le bourdonen pourpoint de velours. Espagnol vain.

Aubépine.Ce matintoute la haie se marie.

Leursmoeurs. L'eau de leur puits sent le fumier.

-- Jemange mieux que vousc'est vraidis-jemais je ne me porte pasmieux. Je suis un peu plus gras ? Je vivrai peut-être moinslongtemps que vous.

-- Ouidisent-ilsmais nous n'avons pas le plaisir de manger.

Ce paysagene tombe pas dans l'oeil d'un aveugle.

Philippen'a pas à sa culotte deux boutons pareils.

Leschardonnerets habillés comme des jockeys.

Le coucouprononce le Q à l'allemande.

7 juin.

Legrouillement sentimental qu'il y a dans les moindres pièces deMarivaux.

Décoréje ne demande plus à être servi à partdans lesrestaurants : la table d'hôte me suffit.

8 juin.

Orage.Eclairs couchants. De longsespacésde vilains comme desaraignées de feu.

Deshirondelles tournent haut sous un nuage. Je regarde un peuplierimmobile et prêt à être foudroyé.

Quelquesgrosses gouttes marquent d'abord sur la terre brûlante oùl'orage va passer. Mais il se ravise : il n'éclate pas.

Ilslaissent leurs femmes aller à la messecomptant sur ellespour s'excuser quand le prêtre viendra à leur lit demort.

Ils leurlaissent la liberté de croired'être bigotes etd'abrutir les enfantsmais ils ne leur laissent pas la clef de lacaisse.

J'ai vouluvoir ce qu'avec la seule vérité on peut faire dans cepetit village : rien du tout.

L'instituteurmal instruitn'a d'autre but que de les laisser dans leur ignorance.Il fait sa petite affaire sans s'occuper de personne. ; Il est pourle peuple. Il n'aime pas qu'on exploite les petits. Il al'expérience. Les gens de Chaumot ne sont pas comme lesautres.

-- Si vousvoulez leur dire la véritési vous ne vous réservezpas le droit de leur cacher quelques petites dépensesimprévues (celles dont il a une parttelles que l'indemnitéde recensementde 60 francs : « Mais je ne le cache pas. Toutle monde le sait ! » dit-il)vous ne resterez pas maire huitjours de suitemonsieur Renard.

Il meglisse :

-- On vousdéteste... Vous êtes l'étranger... Ils ne voussuivraient pas.

Maismoiqui sais ce qu'on raconte sur lui et sur sa femme

-- Ouidis-je. Nous avons chacun notre petit paquet.

Philippene peut pas s'empêcher de rire quand il vient de faire ce queje lui ai commandéet que je lui dis : « Merci. »

Faire uneanthologie de la lune.

Le sureauet tous ses petits chapeaux de fleurs.

L'odeur demort des roses.

Décoréje suis le commandant aux tables d'hôteet le commissaire dansla rue.

Le poëtePonge vient déjeuner. De son petit panieril tire un litre.C'est un mélangeà sa façonde prune et demarcvieux de trois ans. Il en tire aussi un livre que je lui aiprêtéet un manuscrit de vers.

Comme ilest déboutonnéà la fin je le lui faisobserver. Il boutonne son paletot.

-- Non !dis-je. La culotte.

-- C'estvraidit-ilmais il n'y a pas de bouton.

Ils'efforce de choisir ses mots ; il dit quegrâce au mauvaisvouloir des petits propriétaires de son villageles haies deschemins sont « en anarchie ».

« Avotre santé ! » dit-il en buvantet Baïe ne ritpas. Quoiqu'il prenne de tout ce qu'on lui offre :

-- Je nesuis pas un gros mangeurdit-il.

Il adésiré les palmes académiques pour «l'émulation » de ses enfantsmais il affecte de ne plusles désirer depuis qu'il voit à qui on les donne.Anticlérical et républicain comme les 363 de Gambettail va quelquefois à la messe pour voir les amis.

D'unpauvre journaliste il dit : « Son talent s'est dévoilé» à telle date.

-- Noustuons un porcdit-il.

On a enviede lui crier : « Un cochon ! Un cochon ! »

-- Aprésentdit-ilon prétend que c'est vous qui faitesmes articles.

Unechemise sans boutonsun petit chapeau de paille d'enfantet uneodeur !... Il laisse toujours tomber la fourchette quand il se sertdemande pardonveut la ramasser. On se cogne. Ça n'en finitplus.

Sa têtede chat de village brûlé à tous les chenêts.

Dans LePetit Parisien il lit les feuilletons de Mérouvel«à mon aviscelui-là ferait bien de renoncer àécrire »Pierre SalesEmile Richebourg« c'estcelui qui me plaît le mieuxstyle coulant ». A Asnois ila un ami qui est bourrelier et qui se vante d'écrire dans LaRevue blanche.

Il ditqu'en été il travaille d'un soleil à l'autre.

Il appellel'évêque « monsieur l'évêque ».

Il écritde pauvres vers fauxsans ratureset recopiéssans airsurdeux colonnesdans un cahier recouvert d'un journal.

Ladévotion ressemble chez elle à une maladie nerveuse.

Elle courtsi vite à la messe qu'elle fait peur à toutes lespoules. Son jupon vole sur la route. Elle dépasse toutes lesfemmes. Quand elle se sent cachée par les arbreselle galopepresque.

Malgréçaelle n'arrive qu'à l'alléation.

Leguichard vient se poser sur mon verre. Philippe tire son couteau etle coupe en deuxmais les deux moitiés ne cessent pas devivre. Plus d'un quart d'heure aprèsquand je pressel'abdomenl'aiguillon sort avec une petite goutte claire.

Jen'oserais pas encore y toucher.

Je plantedes souvenirs.

Il y a desPoil de Carotte parmi les petits poulets. J'en vois un que sa mèrechasse de dessous ses ailesqu'elle crible de coups de becsimplement peut-être parce qu'il a une tache noire mal placéeau goût de sa maman.

Villagesdont même les journaux du département ne parlent jamais.Jamais rien ne s'y passe. Jamais un crime.

Jeretourne à la campagne me refaire une timidité.

11 juin.

La vache.On lui a enlevé son veauce soirpour le donner àRaymondqui l'élèvera. Que va faire cette bonne mèrequi ne se lassait pas de lécher son petit tout gluantplutôtpar gourmandisesans douteque par maternité ?

Quand ellerentre à l'écuriej'attends presque une crise. Elleflaire la paille où le veau était couché etmeugle doucement. Elle mange un peu de paillequi a l'odeur du veau.

Mais laporte du râtelier s'ouvre. Bien qu'elle sorte du préelle mange avec avidité le foin que lui donne Philippe. Elleappelle encore le veaumais elle se laisse traire par Ragotte. Onlui donne du pain qu'elle avale.

Dans deuxjourselle ne se rappellera rien. Ses sentiments de mèresiprofonds en apparenceauront disparu.

Onn'entend déjà plus rien.

Marinette.Au cimetièreelle s'assiedetau-dessous des noms gravésd'un doigt qui ne marque pas elle inscrit tous nos noms sur la tombe.

Ils ytiennent tous très bien.

Chariot defoinénorme bête qui se traîne àl'horizon.

19 juin.

Avec samaison qu'elle loue aux Soeursle pré qu'elle loue àRateau et ses économieselle a déjà trente sousà manger par jour. Elle est toute joyeuse.

-- Maisdit-ellej'aurais trente sous à manger par jour à lacondition d'habiter dans la rue.

Toujoursprodigieusement rasé. Il préférait le grand curéGouréau petit curé Beauchef. Il disait des calemboursà Gouréqui ne s'en fâchait pas.

Il a unpuitsun puits de crapaudcomme on ditqui déborde aumoindre orage et est tout de suite tari.

Il dit detemps en temps : « C'est la véritéça ! »indiquant qu'il ne répond pas du reste et qu'on ne le croitque si on veut.

Ses mainsdes mottes de terre qui produisent des poils.

Il ne fautpas mettre trop tôt les boeufs au pré. Ils s'ynourrissentmaisquand vient le momentqu'ils s'engraissentiln'y a plus d'herbe. Pas beaucoup de foincette année. Il n'yaura pas de paillet et il faudra faire trop tôt manger le foinaux bêtes.

Les genssont aussi malheureux que les bêtes à cornes.

Les petitspois se couchent de soif au pied des rames.

27 juin.

Les mursde sa petite cour le séparent du reste du village.L'importantce n'est pas de voir loinc'est de ne pas voir levoisin.

Il a peurde ses enfants. A leur majoritéils l'obligeront àvendre la maison pour avoir la part de leur mère.

-- Lamaison m'a coûté 2 000 francsdit-il. S'il faut leur endonner 1 000où donc que je les prendrai ? Ils me flanquerontà la porte.

Il croitmême que ses enfants pourront hériter de lui avant samort et lui réclamer la moitié d'une vigne qu'il a euepar succession. Je lui dis que cette vigne n'entre pas dans lacommunauté et que ses enfants n'ont aucun droit sur elle. Çale console.

Prèsde luisa fille ricaneun doigt dans le nez. C'est elle qui tientla caisseune corne de mouchoir où elle met les piècesde vingt francs. Elle n'est bonne à riencoquettesaleetprétentieuseparce qu'elle a été reçuela première au « certificat ».

Certainesprostrations donnent une agréable idée de la douceur dela mort.

Leur dire: « Oh ! je suis trop monsieur pour entrer chez des paysanscomme vous ! »

12juillet.

Mme Lepic! Ce que j'ai fait de plus vraiet peut-être de plus théâtrec'est le mur plein de ses yeux et de ses oreilles.

Ellemourra la même.

Dèsque j'arrive au jardinelle le sent et envoie Marguerite voir.

Si jem'approche de la maisonj'entends craquer la fenêtre quis'entrouvreet l'oeil et l'oreille se collent à la fente.

Elles'ingénie à trouver quelque chose à me dire. Desa voix dureéclatante et sèche comme un éclatde poudreelle crieafin que tout le village sache qu'elle m'a ditquelque chose :

-- JulesMarinette sort d'ici. L'as-tu rencontrée ?

-- Non !

Ah ! ce «non ! » qui m'échappe comme une syllabe de plombc'esttout ce que je peux dire à ma mère qui va bientôtmourir. Je passe. Ellela figure aux barreauxblesséeimpuissantene se retire pas tout de suite. Elle ne ferme pas encorela fenêtrepour que les voisins croient que notre conversationa duré.

Combien defois mon père a-t-il eu envie de l'étrangler quand elleentrait dans sa chambre pour prendre un torchon dans le placard !Puis elle sortaitet rentrait pour remettre le torchon. Il avaitfait sceller le placard.

Il fait sapetite tournée. En même tempsil dresse un cheval. Ilvient faire sa petite visite de candidatdemande s'il peut voirPhilippea bien connu mon pèrelu mes articles dans L'Echode Paris. Est conseiller d'arrondissement depuis vingt-quatreansavoue que c'est un rouage inutile Ne voulait pas se présentermaispar dévouementpoussé par Corbigny...

Est rondcourtgâtéun peu galeuxavec des plaques d'identitésur les joueset d'une calvitie de derrière

-- Ehbiennous verrons ça le 21 ! dit Philippe

Et lecandidat s'en va sans savoir à quoi s'en tenirIl attendaitun mot qui n'est pas venu. Comme il a fort louché du côtéde ma boutonnièreje lui ai tendu le premier la main.

LaGloriette. Ce que je vois de mon banc :

une route; le canalle bassin et son petit portboistuilescharbonsable;

une routequi coupe celle qui passe devant ma porte ;

l'Yonnele moulinle château dans ses pins et ses peupliersle petitchemin de ferle clocher et quelques maisons de Chitry ;

les pâtisdes arbresdes champseten descendant l'Yonneun coin oùje pêche ;

Marigny etson clocherSauvigny et sa ferme tout près du ciel ;

un arbretout seul dans un champun bois à gaucheun bois àdroiteun fond boisé où coule l'Yonneencore unvillageassez loin pour qu'à chaque instant j'oublie son nom;

àl'horizondes collines où se dressefendue en deux comme unepincela butte de Chitry Mont-Sabotle ciel et toutes sesfantaisies de nuages.

A gauchel'école de Chaumotune fermeles piles de bois du canallescroisettesles champs Bargeot où je chassedes préspeuplés de boeufs ;

un groupede petites maisons qui n'ont pas peur de s'appeler Beauregarddeschampsdes blésles bois de Souleaux où je devineGermenayla butte d'Asnanencore le ciel.

Je n'aijamais vendu que des peaux d'ours.

La dindeau col sanglant.

Lesfeuilles mêmes du tremble ne remuent pas. La nature va éclater.La terre va sauter en l'air.

Philippeécrit sur les murs ; il y marque les timbres et les allumettesqu'il use. Quand c'est fraîchement peintça marquebien.

Quiconquevoyage beaucoup ne retient pas.

-- Quisait si nous ne sommes pas des morts ?

-- Hein ?

-- Ouides morts dans une espèce de Purgatoirequi ne se rappellentmême pas leur vie.

Vieilleries.L'horloge. Les aiguilles d'où se détachede temps entempsun regard de ma grand-mère.

Culs-de-plombau goût de Philippe nous ne savons pas rester en place.

De monvillage je peux regarder l'âme humaine et la fourmi.

Lespapillonspetits châles pour les fleurs.

Philippe.Sa brouette qui crie lui est une compagne.

Comme unchien qui s'interrompt d'aboyer pour se chercher une puce.

Vénusse couche dans le soleil couchant.

Ouimafigure change avec l'idée que je me faisais des gens.

Philippemourra en odeur de travail.

1er août.

Rentréà Chaumot.

3 août.

Antoinecet inventeur du Théâtre-Librea un respect religieuxpour le symbole. Il me raconte la future pièce de Curelunebelle choseun peu banale.

-- Hein ?dit-ilému par son propre récit. Quel symbole ! Aprèsla scène de Bayreuthje n'ai pas pu me retenir : je l'aiembrassé.

5 août.

Le maîtred'école de Corbignysecnoirautoritaireacharné.

Si on lelaisse fairebeaucoup plus vite que les conseillers il transformerale canton. J'avais demandé qu'on ne dise pas mon nom.J'entends :

-- Nousavons reçu un magnifique volume offert par un généreuxamateur qui désire ne pas être nommé.

Et il setourne vers moi et me fait un grand salut. Il ajoute :

-- Unlivre dont le choix indique un homme versé dans les Lettres etles Arts.

8 août.

Philippe.Aucune chaleur ne peut l'arrêter.

-- Tantmieuxdit-ilsi le travail se trouve à l'ombre ; maissi letravail est au soleilil faut bien y aller.

L'Arc deTriomphe du paysanc'est l'arc-en-ciel.

Ils sontintéressants comme des abeilles dégénérées.

A unefemme qui vient de jouer du piano pendant une heure :

--Aimez-vous la musiquemadame ?

Donnez desailes aux pièces de cent sous : les hommes apprendront àvoler pour les suivre.

A la mer.Pas de baigneurspar ce temps froid.

-- Maisces gens qui sortent de l'eau ?

-- Desnaufragéspeut-être.

20 août.

Rentréà Chaumot après voyages au Breuil et à Bussang.

L'énormenourrice qui sentait Château-Chinon à plein nez. Je meratatinais dans mon coinmais la chair croulaitet je sentais àla cuisse une chaleur grasse et écoeurante. Elle étaitassisegenoux écartésles mains aux ongles noirs surles genoux. Elle dormait bouche ouverte. Je remuais brusquement. Elles'éveillait et tâchait de relever ses graissesmaistout retombait.

Entre sacuisse et la mienne je glissais des journaux. Ça me tenaitencore plus chaudmais j'étais moins écoeuré

La «meneuse » avec ses trois femmes. Air rusépresquedistinguéde femme maigre qui ne craint pas les voyagesunedame qui se sait supérieure aux trois pauvres vaches àlait qu'elle emmène à Paris. A côtéd'ellessa boîte carrée en bois verni avec la plaque decuivre : « Service de l'Assistance publique ». Elle medemande pardon et se met à la portière pour agiter sonmouchoir quand elle passera « en vue » de son filsquihabite aux environs de Fontainebleau.

Un vieuxmonsieurquelque nobled'esprit curieuxqui tient à toutsavoir et pose des questions insupportables.

--Monsieur est du pays ?

-- Oui.

-- Quelest donc ce château ?

-- Ah ! Jen'en sais rien.

Le Breuil.Vallotton angoissé parce que nous l'obligeons à monteren première.

-- Allaismontre-moi le café où tu écris tes articles.

-- C'estcelui-là. Celui-là aussipuis celui-cicelui-làencorequelquefoisenfin celui-ci.

Bernard aun paletot en toile d'emballage. Guitrymorne dans des guêtrestrès épaisses comme des armures contre les vipèresune blouseun chapeau avec un ruban de tulle. Vingt-deux chiensaboient à notre arrivée. On les lâche dans lebois. Les vaches ont le licol qui leur tient la tête basse pourles empêcher de manger les pommes des pommiers normands courtset trapus.

Nousallons à Villerville. Je tombe sur Porto-Richequi en est legrand homme : c'est lui qui l'a créé. Très vexéparce quedans une dédicace du Mari pacifiqueBernardl'a appelé « professeur d'énergie »luiqui a la prétention d'être un passionné. Il medit beaucoup de bien du Vigneronqu'il vient d'acheter. Lamaison qu'il occupeil l'a eue pour un morceau de pain : 800 francs.

Par laportière du chemin de fer je vois un boeuf grimper sur unautre. Brandès regarde du même côté. Gênéje fais semblant de n'avoir rien vu ; mais Brandès :

-- Ouimon vieuxva toujours ! Tu perds ta peine.

Guitrydort jusqu'à dix heures. Il laisse pendre ses brasde peur deles fatiguer par un geste.

Une bellechiennetrois bonds onduleuxet un poulet crieles reins cassés.

Brandèsélégante me conduit à Trouville. Elle m'a prouvéqu'elle est une maîtresse femme de ménage.

-- Vousvoyeztablierclefs dans ma poche.

Une femmede tête et d'ordre.

Ellem'éblouit par sa façon de conduire.

-- N'ayezpas peur ! Il paraît que j'ai une main solide.

Je suistout petit à côté d'ellequi conduit pour lesautomobiles qui passentpour tout Trouvillepour la merpourétonner la nature. Je suis à la fois gênéet fier d'être à côté d'elle. '

Bussang.Dans le train avec Antoine. Chez luiune grande admiration pour leshommes fortsfussent-ils des banditsqui ont de l'estomac. Il aaussi la certitude qu'il faut toujours recommencerqu'il ne suffitpas d'avoir du génie une foisqu'il faut en avoir tous lesjourset plus d'une fois par jour.

Lui quicouche tout nu dans son litil vient à Bussang avec un seulpantalon blancdéjà noir ; il a des chaussettestombantes. En homme de Balzac il engueule tous les chefs de gare ; ildemande partout le registre des réclamationsoù ilécrit des douzaines de pages.

Invasionde la maison Pottecheroù les lits sont encore de plumeparcette bande de comédiens.

-- C'estde la folie ! me dit Mme Pottecherdésolée.

Lelendemainil pleut. Eclaircie pour l'Héritage maisdeux averses assourdissantes sur Poil de Carotte. Le ciel estartiste : il pleut sur la partie la plus dure à avaler.Descavesgelétape du pied pendant L'Héritage.Après Poil de Carotte il me dit :

-- C'estclassique. Ça ira au Français.

On lit : «Les personnes dans les bancs sont priées de se tenir assises.» C'est le style de l'architecte du théâtre.

Les placesà cinq francsles plus chèressont en plein airetelles reçoivent toute la pluie.

-- Allons! dit M. Pottecher père. Je me reposerai plus tard.

Etdéjàen dehors de son usineil vient d'acheter une ferme qu'il agrandit.Il est admirable. Il a fondé un hospice oùsur 18 000francssa famille en a mis 15 000. Il est maire depuis prèsde vingt-cinq ans. Il peut dire :

-- Il n'ya pas de pauvres dans ma commune. Je fais faire par mes conseillersles propositions qu'ils ne voteraient pas si elles venaient de moi.

Une partiede l'hospice est pour les malades ; l'autre est louéepascheraux étrangers.

Ilconstatecomme moil'inaptitude des instituteurs et institutrices àse dévouer. Dreyfusardradicalil soutient les Soeurs.Méline vient de lui signifier la rupture de leurs relations.Il ade Jules Ferrydes lettres qu'il garde pour ses enfants. Jesuis plein d'affectueux respect pour lui. Comme on changeraitfacilement de père !

Bussang.Fermes en deux couleurs séparées par un trait : lerouge du toitla chaux blanche des murs.

Nouspassons sous le tunnel et nous sommes en Alsace. J'ai le coeur un peuserrénon que l'Alsace me manquemais de m'imaginer qu'àchaque endroit que je regarde il y a eu un homme tué.

Un coinqu'on appelle « le Paradis des fleurs ». Des sapins quigrimpent comme une armée.

A la gareune espèce de géant à la Bismarcken uniformesurveille les trains. Un Allemand en casquette rougeveste bleuegrand chapeau d'opéra-comique et plume : c'est un gardeforestier.

Et rienque des riches dans ce pays abrité par les Vosges. On diraitdes gens qui se sont fait place jusqu'au meilleur coin de notremaison. Comme je n'y ai jamais penséil me semble que c'estarrivé hier.

A Dijonde vieilles sculptures ignobles.

26 août.

Quelquesmots de Pongepoëte de village.

-- Moijesuis primesautierde ma nature.

-- DeCalife en Sylla.

-- L'épide Damoclès.

-- Ouilalune tendre a de l'influence sur la coupe du peuplier et du chêne.Il ne faut pas les couper en lune tendre.

-- Unedame qui connaît BourgetTheuriet et Stiéglermais quine vous connaît pasm'a dit quesi j'avais besoin de sesservices à Paris...

Le chevalaveuglemarche de traversmais il ne quitte pas le dur de laroute. Il ne s'étonne que de la sonorité des ponts : ils'arrêtepris de peur.

Une belleveuve avec un liséré blanc qui fait bien entre sonchapeau noir et ses noirs cheveux.

Perdrix.Si du moins je pouvais les haïravant de les tuer !

Hélas! Ponge est encore plus vaniteux que moi.

Nuages.J'en vis un qui essayait de passer derrière la lune.

La lunes'est prise dans des feuilles qui remuent d'aise.

L'ombre del'arbre est à ses pieds comme une chemise légère.

Il tire del'arène sur la chaume pour réparer un peu sa maison.C'est de bonne arènedure à tirermais qui vaut de lachaux. Mais il ne peut plus ! Des douleurs partoutplus de sommeilla nuit. Il a attrapé ça en travaillant tout un moisdans l'eau. Il gagnait 3 francs 10 sous par jourmais il l'a troppayé.

Je regardeenfin les bêtes pour contrôler mes Histoiresnaturelles.

Guitryunchâtelain dont on se contenterait d'être le pauvre.

-- Vousêtes trop bon !

-- Etvouspas assez.

Devenantpauvreon devient bon.

L'eau rêveun peuplier.

Promenade.A chacun de mes pas se lève un fantôme ami quim'accompagne. Le souvenir de mon pèrela blouse gonfléede vent.

Marinetteparaîtet la terre est plus douce aux pieds. Elle me dit queson père a failli l'appeler Solangeà cause de lafille de George Sand.

--Aimerais-tu ce nom ?

-- Il neme gênerait pasmais je préfère Marie.

Unealouette s'envole de mes piedsde ma pochede mon casqueôGaulois !

Dans cettebelle nature je voudrais être amoureuxellemère.

Impressionset souvenirs de George Sandp. 1.

A CharlesEdmond. 1871. « Je ne le nie pas. J'ai la naïvetéd'écrire chaque soirpresque toujours en quelques lignesquelquefois plus au longle récit de ma journéeetceladepuis vingt ans. Il n'en résulte pas que ce Journalmérite d'être publiéet j'ignore encore siquelques pages en valent la peine. Je le feuillètte. Je letrouve insipide pour tout autre que pour moi. »

29 août.

Le fermiervient prendreau prédes nouvelles de ses boeufs. Il lesregarde longuement pour quemoi qui passe sur la routeje me dise :« En voilà un qui s'y connaît ! »

Les nuagess'arrangent en tableau. Le spectacle du soleil couchant va commencer.

En voyagemon plaisir est de regarder et de ne rien voir.

Un beautaureau qui roulait sa force sur son cou.

-- C'estde la cochonnerie froidedit Heredia de Pierre Louys.

Titre :L'Histoire de France racontée par mes petits enfants.

Pleinelune. Tout à coup on la voit. Loin de l'horizonelle semblenée en plein ciel. Elle a un nuage de couleur grisedouxcomme un cache-nez autour du cou.

Elle estprête à donner mal au coeur. Le nuage reste immobile.Elle monte. Elle le laisse comme un lange inutile.

Unemédaille avec deux silhouettes de grands seigneurs.

Sonascension étonne la nature. Pas un être ne bouge. Unevache s'arrête de meugler.

L'horizonau-dessous d'elle est rose. Comme elle est belle ! Ce devait êtrecaVénus sur la mer. Sa beauté riante entre toute parma fenêtre.

On diraitaussi l'ouverture d'un tunnel lumineux dans la nuit.

Troisteintes du ciel : grisrosebleu. Elle est dans le rose.

Femmeneme parle pas ! Je regarde la lune.

Dieutantde mystèrec'est cruelc'est indigne de toi.

Dieutaciturnedis-nous des choses !

Peut-êtrea-t-il inscrit des mots sur un côté de la lunemaismoqueuseelle ne nous le montre jamais.

Le roses'éteintse confond avec le gris. Le bleu étend sonempire.

Elle estd'une rondeur parfaited'une nettetéd'une puretécoupantes.

Le pieddes arbres s'amincit jusqu'à disparaître.

Toutl'argent de la lune entre par ma fenêtre.

Tum'empêcherais de dormirmais tu n'empêches pas lesboeufs de manger l'herbe du pré. Ça doit t'humilier unpeu.

Tu montestrop. Tu vas devenir moins belle. Déjàune voiturepasse sur la route et n'a pas peur de t'offenser du bruit de sesgrelots. Un premier chien aboie après toi.

La nuit megagne. Tu n'éclaires pas assez pour que j'écriveàta lumièreun beau poëme en ton honneur. La ménagèrequi ne veut pas que je m'abîme les yeux à écriredans « du tout noir » apporte la lampeferme les volets.

Lunec'est fini ! Tu peux aller rejoindre les vieilles lunes.

Promenademeurtrière. Philippe regarde toutes les musses des lièvres.Ils passerait dedans pour voir. Il ramasse des plumes où lesperdrix se sont roulées.

Une femmetricoteassiseen gardant ses deux vaches. Elle est assez loin pourque ce soit une femme et quetout de suitej'imagine des chosestendres.

Un préverthumidegrasprofondsemble un paradis d'herbe.

Lesperdrix ne savent pas encore se sauver avec ensemble.

Les roncesont de petits toupets comme Rochefort : c'est leur maladie.

31 août.

Il y a lepeureux qui regarde sous son litet le peureux qui n'ose mêmepas regarder sous son lit.

Les gerbesfaites de blé dispersé s'enlacentréuniesdebouts'embrassent de tous leurs épis.

Théâtre.Situation bien Dumaficelée.

Des jouesenfléescomme piquées au milieu par une mouche. Uneblouse sur sa veste de garde forestier. Un cor de chasse sur le képi.Il rêve toujours d'être garde à Chitry et dem'avoir pour mairec'est-à-dire pour patron.

Il tue uncochon par anachète une livre de boeuf quand il va àCorbignyle jour de paiene boit de vin qu'en hiveret vit surtoutde soupe et de légumes. Use deux paires de souliers par an.Dans ses tournéesboit un verre de vin blanc chez lesparticuliersmange du pain et des noix. Aime surtout les bellespommes de terre rouges quibien cuites« se plument »toutes seules.

Il a 300francs pour garder les bois du château de Lantillylui vendses coupesses fagotstouche le sou du franc.

Il trouveque le gouvernement est trop bon pour les curésadmireWaldeck-Rousseauet termine par cette phrase :

-- Hé! si vous saviez quel tracas on a quand on est ministre !

Le matinil fait une première tournée de quatre heures àneufunele soirà quatre heures. Veille en hiver jusqu'àdix heures et demie. En étéc'est le jour qui leguide.

Pour luifinir un livrec'est coudre les feuilles et leur mettre unecouverture.

-- Poilde Carottedit-ilc'est votre jeunesse. Je dois êtrelà-dedans. Je reconnaîtrais bien tout çamoi !

Dindesoutres noires cachetées de rouge.

1erseptembre.

Uneperdrix blessée tombe dans les pommes de terre et nous faitbattre le coeurcomme un lièvre.

Une mare :des petites carpes longues d'un doigt sautent en l'air comme deschiquenaudes. Deux grenouillesl'unevertel'autrepresque bleuesur un morceau de boisimmobilescomme fascinées par unserpent invisibleou attendant qu'un gamin exerce son adresse.

L'haleinede foin de la grange ouverte.

Un beauserpentvertjaune et blancfile entre les joncs sur l'eau. C'estune fine caresse sur le ruisseau. Je lui coupe la tête.Pourquoi ? Pourquoi ? C'était une parure du présonamusementson orgueil peut-être.

4septembre.

Le pèreJosephpêcheur. Il a près de soixante ans. Il est de laHaute-Saône. Il y en a plus de trente-cinq qu'il n'a pas revuson paysmais il n'y tient pas. Il est habitué aux gensd'ici. Il a deux fils jumeaux âges de plus de vingt ans. On neles voit jamais. Ils sont quelque partpeut-être en prison.Ils font leur vie. Sa fille a « dans les quinze ans »ilne sait pas au juste.

Il a deuxroulottesl'une qui est de la largeur d'un lit : celui de sa femmequi est aussi le sienest au fondcelui de leur filleàl'entrée ; l'autre contient un poêle. Il ne pourrait pass'en passerpour faire sa cuisined'abordensuitepour sechaufferquand deux vents qui soufflent se rencontrent entre lesdeux roulottes sous la bâche qui sert de toiture.

Autrefoisil prenaitpar jourdouze livres de poisson qu'il vendait àCorbigny. Il n'y en a plus. Coureurssaltimbanquesont tout détruitavec des lignes de fond. On ne devrait pas pécher ainsi. C'estdéfendu.

Il préfèreses roulottes à une petite maison qui lui coûteraitpeut-être 60 francs de loyer par an.

Il y a desmoments où je senschez Philippeun ennemi qui s'éveilled'un profond sommeil.

Honorineest dans sa quatre-vingt-septième annéemais elle nepeut pas dire l'âge de son frèrequi vient de mourir.

-- Toutesles orages qui viennent de là sont méchantesditl'institutrice.

7septembre.

Toute lacampagne est mûre. L'air a un petit goût sucré.L'herbe des prés est un peu cuite. Les fleurs s'effeuillent enpapillons.

Leshirondelles s'enivrent de leur vol. Moije suis sûr d'êtreheureuxet ce nuage quià l'horizonprend ce teint detuilene m'effraie pas.

L'hirondellequi tourne autour d'une cheminéemais si rapide que toujourselle semble venir de loin

Il y aplus d'OEuvres pour l'enfance que d'enfants.

9septembre.

Journéechaudeoù il semble qu'on va retirer la nature du four.

Décidémentmon poëte-laboureur n'est qu'un pauvre homme.

C'est lanature qui me fait encore une farce.

Ce paysancroit que le rale est le mâle de la cailleet il ignore que lacaille est un oiseau migrateur. Il croit que la perdrix part avantses petits pour dérouter le chasseur. Il croit que son pèreétait « charmeur » et pouvaiten prononçantdes paroles magiquescalmer une brûlureguérir unepersonne malade.

-- Je necrois pas beaucoup à tout çadit-il.

Il sembleindiquer qu'il n'a un reste de superstition que par respect pour sonpère.

Quand onentre chez luiça sent le lit défaitla plumevivantela sueurle mitonné. L'air est si lourd qu'onl'avale plutôt qu'on ne le respire.

12septembre.

Dans matassele café ne reflète que mes idées noires.

Sainfoin.Philippe écrit respectueusement « Saint Foin ».

Le poëtelaboureur. Intérieur. Une seule chambre ; à côtéune petite pièce qui sert de cave. Une seule porte ; il n'y apas à se tromper pour entrer et sortir. A la poutre du milieuest accroché un fusil rouillé où je distingue labroche d'une seule cartouche. Une boule argentée suspendue auplafond.

Il sert levin blanc sur une nappe. Il a lui-même essuyé le verreavec un torchon propre. Du vin vert comme la feuille de vigne.

Le châteausombreavec une toute petite lumière qui attire mes rêvescomme des papillons.

«Ciel » dit plus que « ciel bleu ». L'épithètetombe d'elle-mêmecomme une feuille morte.

La languea ses floraisons et ses hivers. Il y a des styles nus comme dessquelettes d'arbrespuis arrive le style fleuri de l'école dufeuillagedu touffudu broussailleux. Puisil faut les émonder.

Neréveillez pas le chagrin qui dort.

Je n'avaisd'autre dessein que de vous donnerétant conseillerquelquesconseilsà vous qui êtes conseillerset de boire avecvous un verre de vin blanc sur la terrasse de mon jardin.

Je n'aimême pas pu réaliser ce rêvecet humble projet.

16septembre.

Paresse ?Oui. Mais c'est un plaisir si fin que de vivre jalousement avec sesrêveriessans les prêter à personne !

Quand nousavons fait notre première communionil avait déjàun petit goût de ferme. Au lavabochaque matinil se lavaitles cheveux à grande eau. Il s'aperçut qu'il lesfaisait jaunir.

Revoir unhomme qu'on a connu intimement voilà vingt et un ans !

Il étaitaffectueuxappliqué et gentil. Quand on lui disait : «Je parie que je t'embrasse ! » il répondait : « Jeveux bien. » Ça n'avait plus de goût : on nel'embrassait pas.

Il n'avaitpersonne à sa première communion. Je l'ai fait «sortir » avec moi.

Il a dînéchez les dames Milletet jamais elles n'avaient vu tant manger.

On sefaisait passer des billetsun bout de papier plié en deuxavec l'adresse.

Cessouvenirs délicats et puérils gênent un peu quandon n'est pas poëte. Le poëte seul ne rougit point d'avoireu un âge où il disait et faisait des gamineries. Maisil faut risquer ces entrevues-là : c'est âcreet celafixe des limites. On ne peut revivre le passé que tout seul. Adeuxl'accord manque.

Comme il achangé ! Mais non ! C'est moi. Luis'est arrêtéet n'a plus bougé. Il s'agit bienpour euxde se souvenir !Ils ont leurs bêtes à soigner.

Horloge.Le pas lourd du balancierce pas de vieux paysan qui peine toujours.

-- Ouitout petitau collègedans tes narrationstu faisais déjàdes phrases.

-- Je n'enfais plusdis-je.

Le poissontire le bouchon au fond de ses ténèbres

Lapremière fois qu'il sort de l'eauil meurt.

La familleest assise et bavarde. Le soleil couchant se traînetout rosesur le village. Le ciel se mire dans le canal. Quel besoin avez-vousde tuer de petits poissons que vous ne mangerez même pas ?

17septembre.

J'entendsbâiller les huîtres.

Et lepiétinement des mouches sur les vitres.

Tonnerre.On entend des pas. Quelqu'un marchelà-haut !

Philippeallait à pied à Avallon. Il partait le matinau petitjouret arrivait le soirà six heurestout « plat »de n'avoir pas mangé de la journée.

A tablePhilippe s'essuie la moustache avec sa croûte de pain.

Leshirondelles en smoking.

De Jaluzotqui salue beaucoupils disent que sa tête ne moisit pas sousson chapeau.

Avec lacannette de soie noire sur la têteles vieilles ont unruban de velours autour du cou.

26septembre.

Lachâtaignece hérisson des fruits.

Je neconnais rien aux hommesmais les hommes ne me connaissent pas.

Ecrire despages et ne pas les passer au virage-fixage. Les montrerdansl'ombreà quelques amis. Puisqu'elles s'évanouissent!

Femme engrande toilettec'est-à-dire toute nue.

Ils seproposent de vivre à partir de soixante ans.

Elle doitavoir un bas de laine tout pleinraide comme une jambe de bois.

-- On nes'ennuie pas dans votre sociétédit Ragotte enbâillant tout grand.

Lecamarade de première communion.

Il y aplus de vingt ans que je ne l'ai vu. Gare d'Urzypersonne. Je sors.Voilà un tilburyun cheval de belle allureun jeune homme etsa fillette. C'est lui. Dans sa voitureje le regarde à ladérobée : complet de coutillourds souliers jaunes. Duchic à conduire. Je retrouve le sourire et j'entends la voixd'il y a vingt anselle est restée faiblevoiléerapide. Il y a des mots que je ne saisis pas.

Entréedans une cour de ferme soignée. Personne sur le perron. Nousentrons dans la cuisine. Est-ce la bonne ? C'est sa femme. Oùdiable vont-ils chercher ces femmes-là. Laideplategauchepas aimableune touffe de poils sur la joue. Comme il ditles unsveulent la richesseles autresla beauté. Il n'a pas voulude la beauté. Gêne deboutchapeau à la main.Allons voir la ferme ! Je lui demande des explications que jen'écoute paset que je redemande. Je ne suis pas aussiintelligent qu'il croyait.

A table !On a enlevé la natte de paille par politesse ou par économieet j'ai les pieds sur les carreaux froids. Une jolie petite bonne. Onne se met pas où l'on veut. Ma place est làmais ilfaut que j'aille chercher ma chaise. Du vin blanc ou du rougepouletaux champignonsradis blanc et beurrepuis des pigeons dans un jussi clair qu'ils ressemblent à des poules d'eau. La filletteétant pâlottej'ordonne du quinquina et de l'huile defoie de morue.

Je lefélicite de ses succès de fermier.

-- Tuaimes ton métier ?

-- Je nele changerais pas pour une de mes oreilles. Maisje voisàta boutonnièrequetoi aussitu marches bien.

Il croiraque je n'ai désiré le voir que pour lui montrer madécoration.

Il crachedans son mouchoirce qui est mieux que de cracher par terre.

Comme jetâche d'être en train :

-- Je tecroyais plus sévèredit-il. Je me disais : « Unécrivainc'est penseur. Ça pense toujours àquelque chose. »

Je nepourrais pasl'ayant fait exprèsêtre plus inconnu delui. Mon obscurité à ses yeux est si complètequ'elle ne me fait pas de peine. Ne pouvant l'intéresser àmes travauxde toutes mes forces je m'intéresse aux siens.

-- Allons! Tu es un homme heureux.

-- Ouidit-ilen travaillant.

Il a vécuquatre ans seuldans cette fermeavec une femme de basse-cour etune petite bonne. Il ne se reposera jamais : il mourrait d'ennui. Ilaura une ferme moins importantevoilà tout.

-- C'estcomme toidit-il. Maintenanttu écris des gros livres. Quandtu seras vieuxtu en écriras des petits.

Un objetd'art sur la table de la salle à manger. Je le pèse enconnaisseur. Qu'est-ce que je risque ?

Ses bêtesont la cocotte. Il les fait lever d'un coup de pied entre les fessesouavec la pointe de son couteauil les pique sur le dos.

Pas unlivre. S'il en ail les cache bien ; mais il a été lepremier du département à acheter unemoissonneuse-lieusequi vient d'Amérique.

A tablesa petite fille ne dit pas un mot.

-- Ellen'est jamais comme çadit-il. Ah ! si tu l'entendaisd'habitude !...

Lapolitiqueil n'y comprend rien.

-- Nousautresdit-ilnous ne pensons jamais qu'à la pièce decent sous.

Pas decomptabilité. Tout est dans sa tête.

Et jamaisquestion de l'amour.

Des mainset des ongles entretenus propres par le travail. Fume malsansintimitédes cigarettes toutes faites.

Noussommes bien différentsmais nos chiens se ressemblent àmiracle.

Le ventqui sait tourner les pages et ne sait pas lire.

A la garel'employé :

-- Montezmonsieur.

-- Aprèsvousje vous prie.

La noixces deux oreilles collées l'une contre l'autre.

28septembre.

Rêverc'est penser au clair de luned'une lune intérieure.

Titre d'unvolume de mes Notes : Tout nu. Nu.

29septembre.

Pongevient ce matinà l'heure du déjeuneret m'apporte unparapluie de paysanne quesans y penserje lui avais demandéde me trouver.

Je tuepeut-être un poëte. Je lui dis :

-- Vousaimez la poësie. Vous avez beaucoup lu LamartineMusset...

-- SurtoutAlfred de Mussetdit-il

-- Maisvos vers sont imparfaits. Vous êtes poëte par goûtpar naturelpar instinctmais vous faites des vers faux. Il fautles revoirdu point de vue prosodique. N'avez-vous pas un traitéde versification ?

-- Jecrois que sidit-il. Dans un placard j'ai quelque chose comme ça.

--Servez-vous en sans honte. Et puisvos vers ne sont pas à lamode.

-- C'estques'il faut tout vous direje n'aime pas les vers d'aujourd'hui.

-- Ouimais...

Je luirends les siens en lui disant :

--D'ailleurson fait des vers surtout pour soi.

-- Ouidit-il. Je ne suis pas obligé de les publier. Je suisagriculteuretc.

Il me faitde la peinemais je suis dans un de mes jours de cruauté. Jene le retiens même pas à déjeuner. Il m'ennuie.Ce serait une soirée de rêverie de perdue. J'hésite.Un détail me décide : je remarque dans son oreilleaufond de l'ourletde la terre qu'il n'y est pas allé chercher.

Etplusje suis cruelet plus il s'efforce d'être aimable avec ladameles enfants.

A uneheure moins le quart le pauvre poëte brisé va rentrer àla maison où sa femme ne l'attend plusfaire unedemi-douzaine de kilomètres pour manger une croûte.

Aussi bienest-ilau fondtrop prétentieux. Il se vante presque den'avoir pas fait sa rhétorique. On veut être gentil avecles gens : ils en prennent trop. On veut bien avoir de la pitiémais qu'ils le sentent !

Et ils'est levé de bonne heure pour mener ses vaches au champ afinde venir me voir. Je ne pouvais pourtant pas lui dire qu'il a dutalent ! Non ! Mais je pouvais bien le garder à déjeuner.

Donner àtoutes ces notes la forme du dialogue.

Fils de laVierge : téléphones.

Elle mepaie son pré : douze francs. Elle apporte son timbre. Commeelle est en retard :

-- Lapièce de dix francsdit-elleje l'avais depuis longtemps.C'est la pièce de quarante sous que j'ai eu le plus de mal àavoir.

Elle asoixante et onze ans. Toujours dans l'herbe au derrière de sesvachesmouillée jusqu'aux genouxelle n'a jamais le temps dese faire de la soupe. Elle mange un morceau de pain et une pomme.Elle est lasse. Cependantles quelques cheveux qui lui restent nesont pas blancs.

1eroctobre.

Etmaintenantsûr de ma proseje voudrais faire des vers.

Simatinaux qu'ils semblent préparer leur travail durant toute lanuit. Le soleil trouve dans les champs la charruele paysan quiarrache des pommes de terrecelui qui garde des vaches ou desmoutons.

Pommes deterre qui sèchent toutes nues sur la terre.

-- Quidira les complicationsla poësie enchevêtrée d'unehaie !

-- Moi.

Rostand.Son Ode à l'impératrice. Je ne comprends pas.Ses vers sont délicieuxmais d'une pâte si tendre qu'àdes mains lourdes il n'est pas difficile de les casser. C'est cequ'elles ont tâché de faire. Pourvu que Rostand resteRostandet ne soit qu'aimable !

Ce n'estqu'une mutinerie contre l'empereur qu'il est.

C'est laminute où l'on déteste ce qu'on aime le plus

Vous payezun peupas trop cher. Donnez-nous demain un nouvel Aiglonetles épaules qui essayèrent de se lever se voûterontd'accablement et de résignation respectueuse.

Il échappeà la tyrannie de la perfection. C'est le poëte qui monteou grimpeet ne regarde jamais derrière lui.

C'estcomme si l'on reprochait à une reine élégante den'avoir pas la taille d'une forte nourrice.

Vous lesgavez de jolies choses. Laissez-les une fois s'en aller avec la faim: ils reviendront. On acontre vousun peu de la malveillance qu'ona contre ceux qui nous traitent trop bien.

Poësierapide etcomme on disait« fugitive »ce qui ne veutpas dire : passagère. C'est du Voltairerevu par un poëte.

4 octobre.

Capusméprise ceux qui font une affaire d'un adjectif mal placé.Maisselon qu'il est ici ou làun adjectif supprime undéfaut ou une qualité. L'adjectif est l'homme même!.

C'estl'automne. Dans un ciel immobile passent deux hirondelles en retard.

8 octobre.

Lesvieilles n'ont rienellesque leurs causeries plaintives sur leursmorts. Les vieux ont leur tabacla goutte. S'ils causent entre euxce n'est pas forcément de choses tristes.

14octobre.

Rentréeà Paris. Ce ratésa femme croit qu'il devient fou. Ilva à la messefait maigre le vendredipasse une moitiéde sa vie avec le curél'autre à lire les livres ducuré et à travaillertout seulenfermé. Elle aeu la curiosité de voir ce qu'il faisait : elle a trouvédes carrés de papier où il écrit des motsillisibles.

Elle leprend en haine. Elle se sauverait si elle n'était mariéeet elle dit qu'il est si lâche qu'il la suivrait. Elle legrifferaitle battraitsi elle était sûre d'êtrela plus forte. Elle le nourrit.

Aprèsavoir tout vendu pour vivreelle s'est décidée àfonder une maison de couture. Quand elle lui a fait part de sonprojetil a dit : « Il y a longtemps que tu aurais dû lefaire. » Il lui dit : « Tu ne peux pas savoir ce qu'estle travail d'un homme comme moi. »

Elle nedit pas : « mon mari ». Elle dit : « lui ! »avec dédain et rage.

Maintenantil trouve qu'avec la machine à coudre et ses ouvrièreselle fait trop de bruit. Elle l'empêche de travailler.

15octobre.

Entêtéà ma table de travailje ne travaille pas : je fais acte deprésence de nègre.

Honorine.Des foisla nuiten attendant le jour qui n'en finit pas de venirelle se dresses'assied sur son litet se met à chanter.

Un faucons'abat sur une perdrix rouge. Elle crie. Il remonte à cause duchasseur qui a entendumais il lui enseigne la perdrix.

Il y a descoins de paysages tristes où le chasseursoudaina peur deson fusil.

En quoi ladouleur du bois qui brûle est-elle inférieure àcelle du poisson hors de l'eau ?

Un chiensi las qu'il ne sait quelle patte poser la première.

Ce Russequi s'appelait Popoff pour commencer.

Toulouse-Lautrecétait sur son litmourantquand son pèreun vieiloriginalvient le voir et se met à attraper des mouchesLautrec dit : « Vieux con ! » et meurt.

Fantec. Jelui ai donné jusqu'ici des conseils si personnels quedu jouroù il entre à Condorcetje lui conseille de ne pas lessuivre. Oui ! Le premier conseil que je lui ai donnéc'estd'être banal.

C'est sapremière émotion forte. Il ne mange qu'à moitiédort malse mord les lèvres au sang.

Nonmerci. Je passe la soirée avec moi.

AlexandreHepp. Un de ces hommes qui se croient philosophesattiquesparcequ'ils ont une belle barbe. Le sage est un homme qui a une bellebarbe et qui la soigne.

Capus.Comme il va se faire écraser par un fiacreje le retiens parl'épaule et lui dis :

-- Cen'est pas la peine.

Guitry luimontre un tableau qu'il a payé deux ou trois cents francs.Capus veut faire le connaisseur :

-- Ouilesourire de cette lèvre mal raséeet puislefroncement de ces sourcils qui ne se froncent pas encorequi sepréparent à se froncer...

Au fondil n'est pas tranquille. Trois pièces en même temps surtrois théâtres ! Je le rassurecar c'est la fonctiondes amis qui n'ont pas eu le grand succès : il faut qu'ilssoient très gentils pour ces pauvres malheureux accablésde gloire et d'argentet qu'ils le soient avec tact.

Il nesigne pas la protestation pour Tailhade condamné à unan de prison pour avoir exprimé une pensée que nousavons tous.

-- Moiles protestations...dit-il.

--Evidemment ! dis-je.

--D'ailleursla forme de cet article n'était pas...

-- Maisnon ! Mais non !

Je luidemande s'il a fini ses deux prochaines pièces.

-- Ouidit-il. Ce n'est plus qu'un travail de recopie. Il ne me reste qu'àécrire les scènes qui ne sont pas la scèneindispensable.

Iltravaille bien à Paris. Il sait ce qu'il y fait. Il a lecontrôle ambiant : sa pièce passe sous ses fenêtres.

Guitry aun nouveau domestique qui dit au téléphone : « Jesuis le maître d'hôtel de Monsieur. » Il ne dit pas« Bonjourmonsieur »mais « Bonjour àMonsieur ». C'est encore parler à la troisièmepersonne.

Guitrytoujours grand seigneur. Il semble dire : « Ouije gagne unargent fou. Ouij'ai une vie bourrée de roses. C'est idiotet c'est injustemaisma foi ! j'en profiteet tout continuera àaller très bien. »

Raconter àl'amie idéalepar lettrestoute une viey compris la vieavec la vraie femme.

Pas dedéfautsmais toutes les qualités me font défaut.

21octobre.

Ce n'estplus la femme jolie par elle-même ; c'est une beauté àlaquelle prennent part de nombreux ouvriers.

Le théâtreest le lieu de l'inconscience. Un auteur qui a le moindre scrupuleest perdu. Il y a quelqu'un qui n'aura jamais de billet de faveur :c'est la vérité. Une ouvreuse sourde et aveugle lareconnaîtrait et la flanquerait à la porte.

23octobre.

C'est laplus fidèle de toutes les femmes : elle n'a trompéaucun de ses amants.

Il vientme demander si je ne pourrais pas lui trouver des leçons degrec ou de latin. Le dreyfusisme l'a perdu. Dans les journauxon sedéfie de lui comme d'un anarchiste. Il voudrait demander àson ancien métier de professeur le pain que ne peuvent luidonner articlesconférencesni livres de sociologie. Il dit:

-- Jeparlej'écrisje fais tout ce qu'on veutet je n'arrive pasà vivre.

Il faisaitchez Bodinier des conférences qui lui rapportaient quinzefrancsmais il en fallait dépenser dix pour l'envoi de cartesd'invitation.

Il afailli être mon professeur de rhétorique au lycéede Nevers. Je me souviens d'une lettre où je lui rappelais cessouvenirs. Il a dû en rire avec dédain. Aujourd'huiilvient me revoir. Alorsil éblouissait les élèves.C'était le jeunele brillant normalien.

Il a enlui l'ambitionla volontéle courage ; il y ajoute larésignationet ça ne le mènera à rien.

-- Jevoudraisdit-ilécrire la vie d'un homme jusqu'àtrente ans.

Le faitest que la vie a beau les malmener : ces idéologues ne saventrien faire de leur vie. Ils ont des aventures de mousquetairesetils écrivent sur la littérature des autres.

27octobre.

Marched'allégresse. Dans un rayon de soleil j'imagine une pièce.Un acte tout fait ; mais le soleil passeet la pièce aussi.

-- Vousn'utilisez pas toutes vos ressourcesme dit Bernard. Il faudra quenous collaborions. Je suis persuadé quesi on vous offrait laforte sommevous écririez un très bon vaudeville. Vousvous êtes trop limité. Vous avez mis autour de vous desbarrières que vous vous entêtez à ne pasfranchir.

Il nevoudrait collaborer qu'avec Allais ou moi.

28octobre.

Peut-êtredira-t-on de moi : « C'était un simple homme de lettresqui n'avait chez lui ni l'électriciténi le téléphone.»

-- Il y asi peu d'hommes de talent ! dit Bernard.

-- Deux outroisà peine.

-- Je veuxdire : d'hommes qui aient de l'invention. Ce mot vient de inveniretrouver. Vous trouvez le vrai là où votre voisin ne levoit pas.

- Ouijecrée de la vérité nouvelle Sans ma facultéde la voirelle restait chose morte. Carl'observationc'est del'invention.

-- Vousvous limitez tropcependantdit-il.

C'estvraiet quelquefois je m'enferme dans un cercle si étroit queje travaille sur quelques mots. Mais cela donne quelque choseetcequelque choseje ne le trouve pas dans le plus amusant desvaudevilles.

Lettres àl'amie. Ce que je voudrais vous direc'est la légèretéde ces doigts invisibles qui me jouent de la harpe sur le coeur.

-- C'est àse casser la tête...

-- Contreun édredon.

Janvier dela Motte chasse en habitpour user les vieux habits qu'il ne peutplus mettre dans le monde.

Ce qu'onappelait « un français de vache espagnole »c'estce qu'on appelle aujourd'hui une bonne langue dramatique.

Que jefasse autre chose ! Pour que vous me disiez que ça ne vaut pasce que j'ai fait ?

SachaGuitry me dit qu'il a fait recevoir une pièce aux Mathurins.

-- A seizeans et demic'est gentildit-il. Surtoutn'en parlez pas ! Çapourrait m'attirer...

-- Nonnon ! Comment signerez-vous ?

-- Mais demon nompuisque j'ai un nom si connu !

Il n'y aque la vérité qui varieNotre imagination se répètetoujours. Rien ne ressemble plus à une pièce bien faitequ'une autre pièce bien faite.

1ernovembre.

L'homme dela Tissier vient de mourirétouffé par un éboulementde terre au petit chemin de fer où il travaillait. La nouvelleest un soulagement pour le pays.

Trèstroublée aujourd'hui parce que la Toussaint tombe un vendrediet qu'elle ne sait pas si elle doit faire maigre ou grasle curéde Saint-Augustin lui-même n'ayant pu la renseignernotrebonne dit :

-- Cen'est pas un malheur !

Elledirait presque : « Ce n'est pas trop tôt ! » Etpour se rattraper :

-- Ilbuvait tout ce qu'il gagnait. Il ne lui servait à rien. Lacommune l'aidera.

-- Nonparce que la Tissier et sa fille aînée peuventtravailler.

-- Etdit-ellecette Tissier est une mauvaise femme. Ainsivousmadamequi lui avez donné du laitvous ne savez pas ce qu'elle a ditde vous. C'est étonnant !

-- Vousl'avez entendue ? dit Marinette.

-- Nondit-elledémontée parce que Marinette n'a pas l'aircurieuse de savoir.

-- Prenezgarde ! dis-je. Il ne faut jamais répéter ce qu'on n'apas entendu soi-même.

Evidemmentnous les embêtons.

Stupideentêtée et pas bonne. Ce qui la gêne le plusàParisc'est qu'elle n'entend pas « sonner la messe ni lesvêpres ». Ce qui ne l'empêche pas de dire que lesplaces de domestiques chez les Juifs sont bonnesces gens-làétant très larges.

Fantec.Quand il y a « bâtard » dans Regnardil met «parent ».

Regnardparmi les classiquesTheuriet parmi les modernes.

Ilm'apporte un témoignage de satisfaction.

-- Je nesais pas pourquoi on m'a donné çadit-il.

Il traduitJupiter regens par « le commandant Jupiter ».C'est son élégance à lui.

Il ne saitpas encore se servir du mot « camarade ». Il dit :

-- J'aidemandé à un petit garçon.

Que defoispris d'une tristesse immensej'ai dit à l'orgue deBarbarie qui jouait dans ma cour : « Encore ! Encore... »

Allaiss'assied à une terrasse de café par une journéede tempêteet dit :

-- Garçonun quinquina et moins de vent !

Ma maniede poser près des femmes au non-aventurier.

2novembre.

Sada Yaccodans La Dame aux camélias du Japon.

Duréalisme qui ne passerait pas à Paris. Les derniershoquets d'une poitrinaire. Elle « dégobille »presque. Elle crache du sangsous la neige qui tombeparfois encaillots. Elle fait semblant de cracher dans une espèce delivre japonais. Elle l'ouvremaisle sang étant un peu plusloinil faut qu'elle tourne la page. A sa mortdeboutelle bave dusang. Elle donne l'impression qu'elle a de toute part ses affaires.

Ilss'ouvrent très bien la gorge. Le sang vient même un peuvite.

Beaucoupde mimique. On sent qu'ils soignent ainsi les jeux de physionomieparce que les paroles doivent être insignifiantes.

Décorsenfantins. Une salle de restaurant qui ne ferait pas l'affaire d'uncantonnier.

Et puistousmême le riche amantils ont l'air pauvreet il semblequ'ils ne s'habillent de soie que parce qu'ils manquent de drap.

C'estpuérilet à peine joli.

Sada Yaccopleure bienmais avec trop de reniflements.

Un jolidétail : pendant que la mère toussele petit enfantlui caresse légèrement le dos.

Rient-ilsou ricanent-ils ?

Le Guitryde la bande a l'air d'un domestique.

Et elleécritelle écrit« presque aussi vite que vous»dis-je à Bernard.

La richedemeure se reconnaît à ce queavant d'entrerilsposent leurs chaussures à la porte.

Leurmusique : un accompagnement pour oiseaux.

JulienLeclercq. Trente-six ans. Son enterrement. Un ciel presque invisibletant il fait beau. Les fossoyeurs s'y étaient mal pris. Nepouvant retirer leurs cordesils ont dû ramener le cercueil aubordle sortir de la fosse. Cette éphémèrerésurrectionce bref retour en ce monde.

C'est unenterrement civil. Avec une petite pellechacun jette dans la fosseun peu de terred'une terre qu'un employé des Pompes funèbrestient sur un plateau.

Unfossoyeur pioche à côté. On dirait qu'il vaplanter des morts pour qu'il pousse des vivants.

Le long dumur se dressent de vieilles pierres que les morts ont usées etqui ne servent plus.

Valletteme dit qu'on a envoyé Schwob respirer en Australie Comme ilfaut être armé là-bas-- il n'y a aucun dangermais il faut qu'on vous sache armé-- Schwob a achetéun fusilet il est parti avec son petit domestique chinois. Çadoit lui allercet attirail. Avant de mouriril vit ses contes.

Barrèsun génie charmantdans trop de papier de soie.

La LoïeFuller en face de moi dans l'omnibus. Une figure commune de grossefille qui aurait la manie de se peindre comme une actrice.

De grosdoigts sans phalanges où les bagues seules marquent unedivision. Sourire intermittentcomme sitous ces gens de l'omnibusc'était encore du public. Des yeux vagues. Myope. De hautstalons comme à la scène. Il faut se hausser dans la vieaussi.

Elle n'apas de monnaie pour payer sa place. Elle est obligée dedescendre pour en faire chez un marchand de vins.

Envie delui dire : « Mademoiselleje vous connais et vous admire :voilà six sous » A quoi bon !

Hervieu.L'Enigme. Le gros succès. « C'est la plusadmirable tragédie de ce temps »dit Mendès quia les yeux pleins d'eau. De sa poignée de main molle onemporte un peu de ses mains.

C'est trèsfortmais ce n'est pas très beau. Deux chasseursun amantun vieux grand seigneurdeux jeunes femmes dont l'une trompe sonmari : est-ce celle-ciou celle-là ? Et cette langue courteet tendue ! Ils raisonnent à propos de sentiments. Ils n'ontpas de sentiments.

Il y a làtout de même trop de mépris pour l'ironie.

-- Mesmoyens ne me permettent pas de sortirdit Roinard non sans aigreur.

-- Il fautavoir beaucoup de moyens pour rester chez soidit Rachilde.

Bonnesrecettes aux pièces faites selon la bonne recette.

6novembre.

Fantec.Hieren lui expliquant de l'Ovideje me suis emporté jusqu'àle traiter de petit imbécile et à me donner mal àla tête et à la gorge. J'ai passé une nuitabsurde. Fantec a eu la colique et s'est levé plusieurs fois.Déjà j'ai des remords.

-- Il nefallait pas l'envoyer au lycée ce matindis-je àMarinette.

Je sensqu'elle a quelque chose à me dire. Elle le dit enfinleslarmes aux yeux.

-- Ecouteje trouve que tu cries trop. A sa placeje serais abrutieetsansdouteil perd la tête.

Quand ilrentreje lui dis :

-- Ta mèretrouve que je crie trop. Si cela te paralysedis-le-moi franchement.Je te parle en ami. Je veux faire de toi un hommeet je suis décidéà être toujours loyaljusteet non à usercontre toi d'une autorité que je ne me reconnais pas.Trouves-tu que je crie trop ?

-- Oh !nonrépond-il.

--Quelquefoisemporté par le désir que tu comprennesjete dis : « Tu as l'air d'un petit serind'un idiot ! »Est-ce que je te froisse ?

-- Oh !non.

-- Tu aseu une phraseun « Est-ce que je saismoi ! » qui m'aparu presque de la révolte. Est-ce de la révolte ?

-- Oh !non.

-- Quandje te dis : « Tu m'embêtes ! j'ai envie de jeter làtes livres et de ne plus m'occuper de toi. » Est-ce que tu aspeur ?

-- Oh !non.

-- Tu saisbien quesi je me mets dans cet étatc'est dans ton intérêt?

-- Oh !oui.

-- Si jecriec'est parce que j'ai la voix forteque j'ai du sanget que jevoudrais te communiquer mon ardeur à l'étude. Et tu estranquille ? Tu n'as pas peur que je m'oublie jusqu'à tebattre ?

-- Oh !non.

-- Tu vois! dis-je à Marinette qui nous écouteétonnéeet attendrie.

-- Alorsje ne comprends plusdit-elle à Fantec. Pourquoi neréponds-tu pas à des questions auxquelles je pourraisrépondremoi qui ne sais pas le latin ni le grec ?

-- Je «chais » pasdit Fantec.

EtMarinetteémue par ce que je viens de faire-- j'ai parléà mon fils comme un homme qui ne demande qu'às'accuser-- a un peu de dépit contre lui. Vraimentlacommunication est difficile entre un père et un fils quand lepère ne veut pas être le maître jusqu'àl'injustice. Il ne paraît même pas touché parcette scène.

-- Alorsles coliquesdis-jece n'est pas moi qui te les ai données ?

-- Oh !nonpapa.

-- Etquand tu te mords les lèvresce n'est pas que tu as envie depleureret que tu te retiens ?

-- Oh !non.

-- C'estune maniesimplement ?

-- Oui.

-- Allons! Va travailler. Tu vois ? dis-je à Marinette.

-- Je necomprends pasdit-elledésolée. Mais toije tecomprendsva !

J'enprofite pour lui dire que je la trouve quelquefois un peu dure avecBaïeet quemoile seul souvenir de l'hiver dernierm'empêcherait de lui faire un reproche.

-- Oh !moidure ! dit Marinette. Alorsje n'oserai plus rien lui dire.

C'estpeut-être la leçon suprême de Poil de Carottesadernière épreuve. Il essaierapour élever sesenfantsde faire le contraire des Lepicet ça ne lui servirade rien : ses enfants seront aussi malheureux qu'il l'a été.

Le fond dece petitc'est une honnête indifférenceou peut-êtrecroit-il qu'il est bien de tout prendre de moi en bonne partmêmemes colères.

Est-ce quela famille que j'ai créée va me donnerenlittératureautant que celle qui m'a créé ?

Ah ! qu'ilest difficile d'être un homme !

Bernarddit de L'Enigme :

-- Et cen'est pas du blanc de poulet ! Çà donne l'impression dela maîtrise d'un homme qui en fera d'autres.

--Seulementvoilà ! dis-je. C'est une oeuvre en dehors del'auteur. On n'a pas besoin de casserà chaque instantdesracines en soi-même. C'est une oeuvre qu'on est sûr deréussir quand on a beaucoup de talent et qu'on veut la faire.On n'y risque rien de sa personne. Il s'agit de donner la vie àdes étrangers qui ne réclameront paset non sa vie àsoiqu'on juge. Un homme intelligent arrive toujours àrésoudre un théorèmepas toujours àréussir un poëme.

7novembre.

La bontéa encore quelque chose d'inassimilable. Le fruit a du goûtmais le noyau en est amer.

Je jureque je n'ai admiré et n'admire sans faiblesse qu'un homme :Victor Hugo. Sa Dernière Gerbe paraîtra enfévrier 1902 : je ne demande que de vivre jusque-là.

10novembre.

LePlaisir de rompre. Je crois que Le Bargy a un peu de méprispour une aussi petite chose : qu'il en joue donc autant !

Lettres àl'amie. Sorel. Inutile de vous dire que je suis encore amoureux decette femme-là. Quelle viemon Dieu ! Quelle vie ! Ah ! sij'étais obligé de posséder toutes les femmesdont je suis amoureux !...

Encore unequi n'a jamais lu une ligne de moi.

Joliedans cet éclairage douxchez elle. Pas de lustre au milieumais des bougies comme des vers luisants cachés dans lescoins. Elle me dit qu'elle a lu l'article de Lemaitre sur LePlaisir de romprequ'elle trouve délicieuxmais je sensqu'à elle aussi il faudrait la grande scène.

-- Làdit-elleje pourrai me donner un peun'est-ce pas ?

Elle a unjoli sourire. Toujours ses doigts fins chiffonnent l'airfont desboulettes avec de l'air.

Sa langueparaît souvent sur les lèvres. Elle estau bord de labouchecomme une petite dame qui fait la fenêtre.

J'aimej'aimecertainement j'aimeet je crois aimer ma femme d'amourmaisde tout ce que disent les grands amoureux : Don JuanRodrigueRuy Blasil n'y a pas un mot que je pourrais dire à ma femmesans rire.

12novembre.

Sur letrottoirà deux heures du matin.

-- EtalorsMonsieur Vernet? me dit Guitry.

-- Çane va plus. Nonça n'y est pas.

Je luiraconte en barbotant.

--Ecoutezme dit-il. La confiance doit venir de vous. Je ne veux pasvous donner une confiance artificiellemais ça ne me paraîtpas si mal.

Jerecommenceetpeu à peutout en lui cochonnant la pièceque je ne me rappelle même pasje la lui fais sentir.

-- Maisc'est délicieux !

Il la jouedéjà. Je reprends des détails.

-- Maisc'est supérieur à Poil de Carotte! Etpourtantvous savez si...

Il a l'airsincère. L'émotion qui m'est venue a passé enlui. Il a le petit scintillement de l'oeil.

-- C'estbonlui dis-je. Je vais revoiretdans deux ou trois joursjevous dirai.

J'ai eu unbon moment. Je raconte à Marinette qui se dresse sur son litet dit :

-- J'enétais sûre. Que je suis contente !

Et letravail continue en rêve.

Le matintout cela est déjà fané.

-- Tuaffectionnes les initiales P de CP de RP de Mme dit Capus. LeLarousse dira plus tard : « Il aimait que le titre de sespièces commençât par P et finît tantôtpar Ménagetantôt par Romprequelquefoispar Carotte. »

14novembre.

Hervieupasse devant le Théâtre-Français.

-- Voussentez l'odeur du triomphedis-je.

-- Çane s'évapore pasme répond Hervieu.

Unmonsieur vient le complimenter et lui dit : « D'ailleursje nepuis rien vous dire. »

-- Voilàun homme aimabledis-je.

-- C'estun em...bêteurdit Hervieu.

Il seplaint comme si ça n'avait pas marché. C'est admirable!

-- On metrouvait secdit-il. On me trouve singulier. Et puison parle déjàde monter la pièce de Lavedan. J'ai attendu deux ans. J'aifait entrer le succès dans la maisonet on ne songe qu'àse débarrasser de moi. Et puisFrançois le Champitouche 9 %etmoiqui attire le mondeje n'ai que 5.

-- Eneffetdis-jec'est honteuxmais vous réformerez cela.Personne plus que vous n'a de titres à dire : « Il fautque ça change ! »

Je luiparle de la décoration de Bernardmais Hervieu a la promessede Leygues d'une croix pour Lecomte. Il ne voudrait pas compromettrecette croix. D'ailleursBernard n'est pas de la Sociétédes Gens de Lettres. Plus tard...

-- Carvous savezdit-ilque je n'attends pas qu'on me prie quand ils'agit d'être agréable à ceux que j'estime.

17novembre.

Bubu deMontparnasseun beau livre de misèresmais lesmisérables y raisonnent un peu trop. Ils se vantent. Telmarlou théorise. Une fille qui fait le trottoir est une pauvrefemmemais n'oublions pas que c'est aussi une grue.

Automobilesdes voitures qui semblent si emballées qu'elles ont perduleurs chevaux.

A me fairecinq dossiers... jusqu'à ma mort : 1religion ; 2politiquec'est-à-dire questions sociales ; 3moralec'est-à-direvie intérieurebonheur ; 4artsc'est-à-direlittérature ; 5ce que je peux m'assimiler de la science.

J'aitoujours vu les gens heureuxmais qui le sont à trop grandsfraisenvier le petit bonheur limitédans un coin.

Lesdiscussions les plus passionnéesil faudrait toujours lesterminer par ces mots : « Et puisnous allons bientôtmourir. »

Travaillerà n'importe quoipourvu que je travaille. Ecrire un groslivre de 600 pages que j'appellerais Les Etrusques.

C'estenrageantde n'être pas Victor Hugo !

-- Il m'adit qu'il aimait les dessousdit-elle. J'en ai acheté. Tenez! six pantalons à vingt-cinq francs pièce. Voyez cettedentellece ruban ! Eh bience sale mufle-là ne les a mêmepas regardés !

Anceyunpeu trop le martyr du Théâtre-Libre Un peu tropdédaigneux de l'esprit.

AlexandreNatanson me dit :

-- Nousvoulons vous avoir. Nous avons déjà CapusBernardDonnay. Nous ne voulons que des hommes comme vous. Ouic'est notreenvienotre faiblessenotre coquetterie. A l'idée que nousvous auronsnous ressentons quelque chose qui nous grouillelàau coeur.

-- Biendis-je. Alorsvoici ce que je vous propose.

-- Ah !dit-ildéjà sur ses gardes. Nous avons des limites.Est-ce dans nos limites ?

-- Je vousapporterai un livre et vous le tirerez à 5 000.

-- Çadépend.

Tout desuite il s'imagine qu'il a affaire à un Mendès ou àun Maizeroy. Il ne comprend pas que je lui vendrais plutôt mapeau -- qu'est-ce qu'il en ferait ?-- que de le laisser faire avecmoi une mauvaise affaire.

J'expliqueà Athis ce que je veux : emprunter de l'argent à unéditeur plutôt qu'à un homme d'affaireset lerembourser avec mes livresetsi mes livres ne suffisent pasavecma maison quand je la vendraiavec mon héritage quandj'hériterai.

-- Rienn'est plus simpleme dit-ilet il n'y a qu'à s'étonnerque vous ne soyez pas plus exigeant.

Etl'avenir me paraît tout rose.

Avec tousles bons actes des mauvaises pièces en trois ou cinq actes quise jouent en ce momenton ferait un chef-d'oeuvre

Il a eurécemment une pièce interdite par le public.

-- Je nesuis pas venu vous voir l'autre jourme dit Bernardparce qu'il yavait du brouillard et que j'avais peur. La veilledans ma ruej'entends crier : « A l'assassin ! » Je me lève.J'ouvre -- prudemmentdois-je vous le dire -- ma fenêtreetje vois une femme tenuecouchéesur le trottoirpar deuxhommes. A une autre fenêtreun monsieur criait : « Sivous ne lâchez pas cette femmeje tire ! » Orcettefemme était ma bonne qui rentrait du théâtre àminuitet ils l'ont lâchée après lui avoirarraché le programme de l'Athénée.

Justementce matinj'ai envoyé vos livres à la reliure.

Une seulefoisVictor Hugo ne m'a fait aucun effet : c'est quand je l'ai vu.C'était à la reprise du Roi s'amuse. Il me parutvieux et assez petitun peu comme nous nous représentions lesplus vieux membres de l'Institutqui doit être plein de cespetits vieux-là. Plus tardj'ai connu Georges et Jeanne Hugo.Je ne comprenais pas qu'ils pussent adorer un autre dieu que lui.

Je luisacrifierais La Fontainemes passions.

Tout unsoirRostand et moinous avons répété ce versqui est une peinture extraordinaire :

Ilavait les cheveux partagés sur le front.

Je netrouverais pas quatre phrases à lui dire sur lui.

Et il y ades livres de lui que je n'ai pas lus.

Je peuxfaire des plaisanteries sur Dieusur la mort : je ne pourrais pas enfaire une à son propos. Pas un mot de lui ne me paraîtridicule.

J'ai ludes penseurs : ils me font rire. Ils tournent autour du pot. Je nesais pas si Victor Hugo est un penseurmais il me laisse une telleimpression queaprès avoir lu une page de luije penseéperdumentle cerveau grand ouvert.

Je croisque je n'aurais jamais osé lui avouer que j'écris.

Si l'onm'affirmaitpreuve en mainque Dieu n'existe pasj'en prendraismon parti. Si Victor Hugo n'existait plusle monde où se meutla beauté qui m'enivre deviendrait tout noir.

De voirVictor Hugo ne m'a point gâté Victor Hugomais je m'ensuis voulu de n'avoir pas eu assez d'enthousiasme pour le voir sigrandune minutemalgré sa petite forme humaine. Il sortaitau bras de son petit-fils.

Je nedonne pas moins de sens à son nom qu'au mot « Dieu ».Il utilise toute la force que j'ai d'adorer.

CritiquerHugo ! Quand je regarde un coucher de soleilqu'est-ce que cela mefait de savoir qu'il ne se couche pasque la terre tourne autour delui ? Quand je lis Hugoqu'est-ce que ça me fait de savoirqu'il écrit comme ceci ou comme cela ?

Toutpetitj'ai dit à mon grand-père : « Sont-ilsheureuxd'avoir un tel grand-père ! » Et mongrand-pèreque je n'avais pas blesséa dit ouicommemoi.

22novembre.

Pour uneartistequelle singulière envie d'être une honnêtefemme ! Maismadamel'honnêteté ne gagnerait rien àêtre générale. C'est un talentun artcommel'art dramatique. Marinette est une honnête femmeet c'esttrès bien ; mais je ne vous sais aucun gré de vouloirl'être comme ellepas plus que je ne lui permettrais devouloir m'étonner par des qualités de théâtre.

Honnêtefemmevous ! Quelle drôle d'idée ! Et quand votrecamarade vous tient dans ses brasvous baise sur l'épaulesur la bouchepensez-vous qu'à ce moment-là je mesoucie de votre honnêteté et que je me dise : «Elle a beaucoup de talentcette actriceet puisc'est une honnêtefemme » ? Il n'y a pas de vertus nécessaires àtout le monde : il y a des parures qui vont ou ne vont pas àla personne. J'aime l'honnêteté chez ma femme parce queça lui va bien. Si je ne pouvais me passer d'honnêtetéje n'irais pas épouser une actriceparce que je sais bienquedans cet art d'être honnêtefût-elle blindéede l'orteil aux cheveuxelle ne pourrait jamais être quemédiocre.

25novembre.

AnatoleFrance faisait des compliments au général Andréqui lui dit :

-- Cen'est rien. Je tâche d'être un homme.

Et legénéral se mit à pleurer.

-- Lesgénérauxdit le ministrene demandent qu'àobéir. Mais leurs femmes !...

Fallièresprésident du Sénatdit :

-- Ouioui ! Maislà-basdans mon paysj'ai un cabinet d'affaireset il périclite.

Au milieude sa tempêteClaretie découpe des petits articles etpasse son temps à les coller sur un petit agenda.

Monvillage est ma mine d'or.

Une moucheest plus sale en hiver qu'en été. Il semble qu'ellesoit restée lànon à cause de la chaleurmaisà cause de notre odeur de pourriture.

-- Maiscomment a-t-il pu vous violer ? dit le juge.

-- Je mesuis baissée.

Bernardraconte. Un Juif veut vendre sa pelisse.

-- Maiselle sent mauvais ! dit l'acheteur.

-- Cen'est pas ellerépond le Juif. C'est moi.

29novembre.

Bergeratdont les fours succèdent aux foursdit :

-- Oh !dameje n'ai pascomme Rostandtrente mille francs à donnerpour qu'on reprenne Les Romanesques à laComédie-Française.

Le pauvrehomme en est encore là !

OuiTristan ! Vousavec Un Mari pacifiquemoiavecL'Ecornifleurnous travaillons en pleine humanitémais nous ne cherchons pas à en tirer de gros effets. Aucontraire ! Avec de la vienous faisons un travail fin.

A Sachaqui admire TailhadeGuitry répond :

-- Tu leprends trop au sérieux. Ces hommes-làil faut s'enamuseril ne faut pas y croire. Et puisils sont dangereux. Quandon se donne beaucoup de mal pour obtenir une légèreconcessionils gâtent tout par leur fracas.

Autravaille difficilec'est d'allumer la petite lampe du cerveau.Aprèsça brûle tout seul.

Vatoujours ! Le talent est comme la terre. La vie que tu observes ne sefatiguera point de rendre. Laboure ton champ chaque année : ilfructifiera tous les ans.

30novembre.

Quand jene suis pas très originalje suis un peu bête.

Et zutaussi pour le « charme un peu triste des choses fanées !»

2décembre.

-- Voussavezme dit Léon Blumle mot de Guinon sur Brieux : «Son évidence grise. » Je n'aime que la beautépoétique. Le vers ne lui nuit pasmais c'est tout de mêmeun peu puéril. Aimez-vous Saint-Simon ?

-- Ouidis-je. C'est un écrivain qui « se reprend ». Iltravaille sous nos yeux. Il nous montre ce qu'il faut faire.

-- J'aimeles images de Shakespearedit-il.

-- Moielles ne m'amusent pas. D'ailleursj'aime moins l'image que par lepassé. Elle ajoute ou retranche à la véritéque je préfère toute nue : le sujetle verbeetl'attribut.

-- Il nemanque à Victor Hugo que d'être maniableportatifentrois ou quatre volumes.

-- Nousferons ce travail.

-- DansCapusil y a un peu de beauté poëtique.

-- Ouidis-jeun peumais c'est de la beauté d'optimiste. Il n'aurajamais le courage d'une beauté contre le succès. »

ChezBarnum. Une fatigue à vouloir suivre ces trois pistes.

L'artc'est le rare. Orsià côté d'un éléphantmagnifiqueon m'en montre une douzaine presque aussi beauxlepremier ne m'étonne plus.

Pas unvéritable artiste ne consentirait à rester dans cettefoule.

Desmonstres. Le plus impressionnant : ces deux enfants soudés parun lien de muscles. Cela rend indéfiniment rêveur.

Capus amal au bras parce qu'il n'a pas pris ce matin sa leçond'escrime. Il n'avoue pas qu'il soit complètement chauvemaisil reconnaît qu'il a les tempes toutes blanches.

Son succèslui permet de direavec autoritéd'un air profonddeschoses absolument insignifiantes. Il prédit à Guitryqu'il débutera par trois fours à la Comédie-Françaiseexcepté avec Donnay.

9décembre.

Horaceau Théâtre-Français. Deux colonnesdeuxfauteuils. Aux colonnes sont pendues bêtement je ne saisquelles bottes de carottes vertes qui sont des armes.

Lambertfils met un millier d'r devant « raison »«roi »devant tous les mots qui commencent par r.

Si le versse termine par « mort »« sort »«vie »Paul Mounet dit : môsôvietsaute sur le vers suivant comme s'il avait peur qu'on le lui vole.

Silvainessouffléd'un essoufflement sans ordre.

Delvaircommune.

Duminiltout en derrière.

Lespauvres figurants. Et le roi ! Quel est le gamin qui lui a mispardérisioncette couronne d'or sur la tête ?

C'estbeauHorace. Quatre ou cinq points culminantsmais c'esttrop longtrop raisonneur. Et du mauvais goût.

Le vieilHorace est une figure de granit tendre.

Qui denous n'a euun quart d'heure dans sa viele désir passionnéd'être un grand cabot ?

Henri deRégniergrisonnant comme nous touscomme Quillard qui a unebelle barbe pleine de neige.

Franceunhomme qui écrit trop en grecen prévuveux-je dire.On est trop tranquilleavec lui : on n'espère pas qu'ilmanquera l'oeuf.

Ouijeporte ma décoration. Il faut avoir le courage de sesfaiblesses.

Me priverle plus possibleêtre un égoïste maigre. Que monégoïsme n'ait plus que les os et la peau !

Lavieillesse arrive brusquementcomme la neige. Un matinau réveilon s'aperçoit que tout est blanc.

A Chaumotles 5 et 6 décembre.

Toujoursattiré vers ce puits où il n'y a rien.

La pouled'eau plonge. On la voit la tête hors de l'eaule cou commepris dans un anneau glacé.

Ragottequi me sert à tableme demande :

--Allez-vous manger votre fromage au derrière de votre viande ?

Le pèreJoseph n'est pas marié avec sa vieille : ils ne sont qu'«encabanés ». Elle lui est bien utile. Elle faut ses 40kilomètres dans sa journée. Elle vajusqu'àSaizychercher des besaces de pain. Il sait par quel chemin elledoit revenir et va au-devant d'elle.

Uneroulotte n'est tout de même pas une maison. L'hiverpourprendre l'airil se promène souventles mains dans lespochesautour de sa voiture.

Branchessi fines que les feuilles qui restent semblent suspendues autour del'arbre.

On diraitque les fermes sortent des bois éclatéscomme certainsfruits de leur coque.

Mamandans son fauteuilprés du poêle. Dès qu'elle mevoitelle fait : « Oh ! Oh ! Oh ! » Elle m'embrasse eninsistant. Oh ! cette joue molle qui ne me semble pas celle d'unemère ! Ettout de suiteelle parle avec volubilité.Quand je parselle m'accompagne jusqu'à la porte du jardinpour que les voisins voient bien que je suis entré chez elle.Elle me dit au revoir quantité de fois. Je suis déjàvers la croix qu'elle parle encore. Je n'ose pas la regarder. J'aitoujours peur de ses yeux froidsbrillants et vagues.

11décembre.

Déjeunerchez Blum. Jaurès a l'aspect d'un professeur de quatrièmequi ne serait pas agrégé et ne prendrait pas assezd'exerciceou du gros commerçant qui mange bien.

De taillemoyennecarré. Une tête assez régulièreni laideni belleni rareni commune. Beaucoup de poilmais cen'est que de la barbe et des cheveux. Un nerveux clignement depaupière à l'oeil droit. Col droitet cravate quiremonte.

Uneintelligence très cultivée. Les quelques citations queje faisauxquelles je ne tiens pas beaucoupil ne me laisse mêmepas les achever. A chaque instantil fait intervenir l'histoire oula cosmogonie. Une mémoire d'orateur toute pleineétonnante.

Crachevolontiers dans son mouchoir.

Je ne senspas une forte personnalité. Il me fait plutôtl'impression d'un homme dont le bulletin pourrait être ainsirédigé : « Bonne santé sous tous lesrapports. »

A une deses plaisanteriesil rit tropd'un rire qui descend des marches etne s'arrête qu'à terre.

L'accent :un bizarre dédain pour le c d' « avec » Laparole lentegrosseun peu hésitantesans nuances.

Evidemmentil faudrait voir l'acteur qui est dans cet orateur. Et puisje vispar la penséeavec des hommes trop grands pour que celui-làm'étonne.

-- Faireun discours ou écrire un articlepour moic'est à peuprès la même chosedit-il.

Je luidemande ce qu'il préfère de l'exactitude d'une phraseoù de la beauté poëtique d'une image.

--L'exactituderépond-il.

L'hommequi l'a le plus frappé comme orateurc'est Freycinet.

Il lui estplus facile de parler dans une réunion publique qu'à laChambreque de faire une conférence. Où il a étéle plus mal à l'aisec'est à la cour d'assises oùil défendait Gérault-Richard.

Enreligion il paraît assez timide. Il est gêné quandon aborde cette question. Il s'en tire par des : « Je vousassure que c'est plus compliqué que vous ne croyez. » Ila l'air de penser que c'est un mal nécessaireet qu'il fauten laisser un peu. Il croit que le dogme est mortet que le signela formela cérémoniesont sans danger.

D'aprèsLéon Blumil se sépare de Guesde comme tacticien.Socialiste de gouvernementil croit aux réformes partielles.Guesde n'admet que la révolution complète.

Il n'estplus capable que d'apprendre le catéchisme à sa petitefille. Sa femme boit de l'eause tue de travail dans son atelier decouturière et porte des jupons faits de morceauxmais il dit:

-- Elleest bien heureuseellede faire un travail qui se voit. Moijetravaille plus qu'elleet ça ne se voit pas.

Et le faitest qu'on ne voit jamais rien. Il passe des journées entièresdans sa chambre ou chez le curé qui lui prête seslivres. Sa femme couche avec ses filles dans l'atelieret son frèredont elle parle comme d'un dieudans une petite chambre qui sert depetit salon « à faire attendre le monde ».

Il y a desgens qui retirent volontiers ce qu'ils ont ditcomme on retire uneépée du ventre de son adversaire.

Migraine.Parfoisil me semble que ma têtepetite et lourdeest toutlà-hautloin de moiperchée au bout de mon corpscomme un gratte-cul au bout de sa ronce.

Il necouche plus avec sa femmeou bience ne serait que pour lui faireun enfant. Son curé lui a défendu le simple jeu duplaisir.

-- J'ai unbutdit-il. J'ai un chemin à suivre : je le suis. Tu asraison de t'occuper de tes chiffonsparce qu'il faut manger ; maisqu'est-ce que tes chiffons à côté de mon travail?

-- Oùest-ilton travail ? lui dit-elle. Montre-lene serait-ce que pourta pauvre petite fille qui est infirme.

-- Plustardgrâce à moielle aura de la fortune.

-- Ah !çàlui dit-elleest-ce que par hasard tu te croiraisJésus-Christ ?

Quand ellele presse un peuil ne répond plus et s'enferme. Alorssonbeau-frère sortde peur d'être obligé de luidonner des calottes.

Avec lesouvrières de sa femme il est d'une politesse obséquieuse.Cet hommequi ne veut plus coucher avec elle « que pour luifaire un enfant »couvre hypocritement son ignominie en étantbien avec le curéet c'est à la femme que le paysdonne tort. Quand elle lui fait des reprochesl'injurie et lui dit :« Tu n'as pas honte de te faire nourrir par une femme ? »il lui réplique :

-- Tu asraison de travaillermais tort de t'emporter. Regarde-moisi jem'emporte.

LeDimancheil passe son temps à se bichonner pour aller àla messe et aux vêpres.

Pendantsix anselle a fait croire à tout le pays que son maritravaillait à quelque chose de mystérieux et degrandiose : aujourd'huiil en profite.

Tout unhiverils ont vécu de pommes de terre et d'eau. Il seplaignaitmais ne travaillait pas.

14décembre.

Théâtre.Une de ces vagues pièces dont la réussite dépendd'une chaise plus ou moins bien placéeet de la couleur duchapeau du monsieur.

Elle al'air d'une jeune fille bonne à marier. Elle se faitaccompagner de sa bonne. Elle fait un journal socialiste pour lesenfants.

-- Cejournal dont vous êtes directrice ?

-- Il n'ya pas de directrice chez nousdit-elle.

-- N'ayezpas peur des motsmademoiselle. Ce n'est pas eux qui font du malmais les choses.

Elle veutêtre athéemais avoir le droit d'entrer dans leséglises

Elle mepréfère à Rollinat. Armand Dayot lui a conseillédé venir me voir.

Tout demêmecette jeune fille apôtresi elle n'étaitpas joliese présenterait-elle chez les gens avec cetteaisance ?

16décembre.

Fantecdevient délicieux. Parfois je l'aime comme s'il étaitmon père.

17décembre.

A chaquelettre de deuil que je reçoisje m'amuse à remplacerle nom par le mien.

Il y a desmoments où j'ai envie de mourir. Alorsla mortçam'est égal.

Les poëtessont assis sur l'Olympe ; mais ils sont trop petitset leurs piedsne touchent pas la terre.

Un Chinoissans son abat-jour.

Vous voustaisezmadame ? On sait ce que ne pas parler veut dire.

L'hommece condamné à mort.

Le pèreet la mère ont tout un escalier d'enfants.

Il mefaudrait une toute petite table portative pour aller travaillercomme un peintreen pleine nature.

Il ne fautpas détruiremais il faut attaquer souventpour que les gensse tiennent bien.

-- Voilàmon homedit le poëte Ponge en me faisant entrer dans sacabane.

Homèrevivait dans le tragique : c'était le naturel pour lui. Notretragiqueà nousne peut être que du chiqué.

On est siheureux de donner un conseil à quelqu'un qu'il peut arriveraprès toutqu'on le lui donne dans son intérêt.

22décembre.

Dans undînerCapus a toujours cinq minutes supérieuresunesérie de paradoxes mous qu'il débite d'un petit toncomique et falot. C'est indescriptible. Avec tant d'espritil estimmoral et sans tact. Quelques-uns disent de lui : « C'est unsauvage. » Sipar modestiepar pudeuron lui dit : «Je ne suis pas très content de ma dernière pièce»il abonde dans ce sens et vous marche sur le piedjusqu'àce qu'on se révolte.

C'est unjoli talentet une nature assez médiocre. Il y a du gazetieren luiet du théâtreux.

Il avouequ'il ne comprend rien à Marivaux. Devant notre stupéfactionil cherche à se rattraper.

Il écouteAndromaqueet je sens que toutes ces beautés glissentsur son petit crâne nu. Ça n'entre pas. Au besoinilaffectera de dormir. Echoué làun peu court et assezpuissantpetit roi de théâtrehomme à succèsqu'a-t-il besoin de se forcer à aimer Racine !

C'est unhomme qui passe sa vie à flanc de coteau et qu'on ne trouverajamais sur la hauteur.

Andromaque.Andromaque dédaigne Pyrrhusqui dédaigne Hermionequidédaigne Oreste. Quelle humanité toute faite ! Quelleriche matière sentimentale ! Le poëte n'a qu'àtravailler avec génie.

LesPlaideursce n'est pas gai. De la gaieté de collégienet les pauvres comiques de la Comédie-Française jouentça comme des potaches.

Bataille.Il y a un peu de bluff dans l'attitudeles lèvres minceslamaigreurla pâleurle maladifle sourire de ce jeune hommedans la façon pédante dont il essaie de parler desmoindres choses. On se dit d'abord : « Attention ! Il ne fautpas dire de bêtises devant cet homme-là ! » Etbientôtc'est lui qui les dit.

A monpantalon marqué au genou on voit quechaque soirje regardesous mon lit.

La vraiegloire ne pourrait nous venir que des amis d'enfance : elle ne vientjamais.

Fumées: les fins toupets des cheminées.



1902

3 janvier.

Conférencepopulaire à Corbignysur Molièrele 29 décembre1901. Toute la journéeénervement. On me dit queparce temps de pluiedes gens de Chaumot viendront. Prisd'attendrissementje prépare une phrase de gratitudemaispar la faute de Philippej'arrive trois quarts d'heure trop tôt.Personne. Ça m'amuseet l'incident comique me donne del'aplomb. C'est toujours le même truc : il faut tâcher depenser à autre chose.

Je parleune heure un quart sans fatigueet je ne touche pas au verre d'eau.C'est çaqui doit me poser ! Les gens écoutent deboutsans changer de jambe. Je ne distingue que deux ou trois figures. Unmomentje vois quelqu'un qui bâillederrière sa main.Devant moiune petite fille qui est la niaiserie mêmed'uneniaiserie effrayante.

Pauvresgens ! Ils me donnent l'impression que j'en ai trop faitet qu'ilest temps d'être un saint.

Un sourdm'écoute de profilla main en pavillon à l'oreilleetfait une horrible grimace d'attention.

Ils n'ontguère de respect que pour la personne « qui n'est pasbête ». D'une vieille femme terriblement avareilsdisent : « On pourra raconter d'elle ce qu'on voudra ! Elle estce qu'elle estmais elle n'est pas bête. »

L'ouvrieret le paysan viennent à une conférence avec le désirde s'amuser ou de s'instruire : ils jugeront après. Lebourgeois n'y vient qu'avec le désir de juger. Il se refuse ouse retient.

Applaudissementsviolents et courts. Les dames croient que leur présence lestient quittes du reste.

LouisPaillard a réveillonné dans un petit café. On achanté. Ceux qui n'ont pas chanté ont payé unebouteille de champagne. Luiil a récité une poësiede Jehan RictusLa Misèreet on l'a tellementturlupiné qu'il a dit des vers de Victor Hugo.

Le petitgalop serré d'un poêle tout neuf qui ronfle.

Que cettevie me paraîtrait belle siau lieu de la vivreje laregardais vivre !

4 janvier.

ChezGuitry. Capusc'est la veulerie du parvenuéchouédans un fauteuilles pieds sur une chaisese plaignant derhumatismes dans le dos et se fourrant éperdument les doigtsdans le nez quand il voit qu'on est de profiltandis que sa petitetête montre son petit derrière luisant.

-- Je faisfaire un halldit-il.

-- Un quoi?

-- UnhollÇa t'embête ?

-- Je m'enfous.

-- Il aurasept mètres et demi de long sur cinq de large. Je ne peux plusvivre dans des petites pièces. Il m'en faut de grandesdespièces en cinq actes.

-- Vava! lui dis-je. Tu peux faire ce que tu voudras à ta maison decampagne : elle aura toujours l'air idiot.

-- Voilàle ton ! dit-il. On se fout des autreson se fout de soiet çam'embête de dîner en ville. (Il y dîne tous lessoirsen gilet de veloursavec un petit habit ridicule et sansqueue.)

Il n'y apour lui que le Théâtre des Variétés.Samuel est d'un gâtisme charmant. Jeanne Granier est délicieusecomme artiste. Lavallière est un animal exquis.

-- Ellem'appelle son tuteurdit-il. C'est très comique.

Puis :

-- Et tuseras de l'AcadémieRenard.

-- Toiaussi.

-- Tu enseraset tu nous foutras la paix.

-- J'enserai si tu me donnes ta voix.

-- Ouisitu me donnes la tienneet tu feras toutes les bassesses pour monterau sommet de la hiérarchie.

-- Toutescelles que tu auras faites. Ah ! mon pauvre amitu es en bonne voiepour arriver le plus vite possible à la liquéfaction.

Et ainside suite.

-- Ah !dit-ilnous sommes tristes. Pourquoi sommes-nous si mélancoliques?

-- C'estl'âge.

Il avoueplus de cinq ans de plus que moi. Nous cherchons les âges detout le monde.

-- J'aifait une démarche pour faire décorer Allaisdit-il.J'ai été mal reçu par Mme Waldeck qui m'a ditqu'elle le trouve stupide. J'en ai fait une seconde cette année; maisquand on a été si mal accueilli à lapremièreon n'a aucun goût pour une secondequed'ailleurs je n'ai pas faite. J'ai rendez-vous avec Leygues pour luiparler de Samuel.

--Parle-lui plutôt de Bernard.

-- Tiens ?Ouiau fait. Je ne lui parlerai pas de Samuelet je lui parlerai deBernard.

Du PrixMartinde LabicheGuitry et Capus disent en même tempsl'un : « C'est un chef-d'oeuvre »l'autre : «C'est idiot. »

-- Mais tudépenses tout ton argent !

-- Je nesais plus où j'en suisdit Capuset je ne veux pas lesavoir.

-- Prendsgarde ! Je ne te tirerai pas de là encore une fois.

Bernardest en Hollandeà l'hôteloù il travaille àune pièce dont il a dit à Micheau qu'elle seraitcomique et juteuse.

MmeRostand. La joie de vivred'être riche et glorieuse. Etpourtantelle aussi se plaint que la vie est chèreque...Mais elle s'arrête et sourit. Elle se plainten pleinefortuneavec bonne humeur.

-- Vousavez maigri.

-- Un peudit-elle. Voyez comme je suis mince ! Edmond ne voit plus que moi. Jene le quitte pas un quart d'heure. Il est seulement énervéde ne plus travailleret il rêve des sujets de pièces.Il a une imaginationc'est effrayant ! Ah ! s'il avait votre santé!

Peuimporte qu'on soit atteint de ce mal ou de cet autre : l'importantc'est qu'on soit mortel.

Auxchamps. D'un rouge sombrepleins de jus piquantles gratte-culattendris par l'automne.

La terrelabourée est molle comme une terre mouvante.

Le nid quiaveugle : c'est étonnant qu'on ne l'ait pas vu même autemps des feuilles.

Les préspleins d'eaucomme si toutes les veines de la terre s'étaientrompues.

Lepeuplier qui n'a plus que son toupet à la Rochefort.

6 janvier.

Demolderun peu pot à tabac. Un Léandre bouffimais un sourirecharmantet ce délicieux parler belge qui est une grâcede plus chez les hommes de talent.

Il aluiaussila prétention d'être plus timide que personne aumonde. !

Un grosventreune grosse facedeux petits yeuxéclatants et horsde têtele cheveu rareune petite moustache finement boucléepas de blancun foulard de soie noire au cou.

Il ritd'un rire courtune flamme vive qui s'éteint tout de suite.Quelquefoisdes gestes imprévus d'acteurde cabot.

Il voyagebeaucoup. Il me parle ItalieNaples. Les Napolitains sontmerveilleux (iciun geste fulgurant)mais sales ! Il a vu une bonnequitrop paresseuse pour aller chercher de l'eaupissait sur leplancher et balayait ensuite.

Guitry merécite du Tartuffe. Quelle admirable scène quecelle où Orgon supplie Tartuffe de restermalgréDamiset où Tartuffe joue hypocritement sa dernièrecarte ! Voilà de la lutte pour la vie. Guitry avait les yeuxrougeset j'étais pris d'une émotion... décourageante.

Il a jouéTartuffe à Saint-Pétersbourg et avoue qu'il yétait mauvais.

-- Vous yseriez admirable aujourd'hui. Vous avez changédepuis troisou quatre ans.

Jen'ajoute pas : « Grâce à moi ! » Cet hommequi a mangé tous les argents (il doit en être àson deuxième million)est l'homme qui admire le plus vraimentles vraies belles choses.

Théâtre-Français.Gringoirede Banville. Trop longet les acteurs dépensenttoutau débuten prodigues qui laissent leur argent àla première boutique où ils entrent. Et puisquelledrôle d'histoire ! Il y avaitchez Banvilleun fleuristemarchand de fleurs bleuesmais du bleu le plus fade.

8 janvier.

Nos lèvresse sont détachées comme deux moitiés d'un fruitmûr.

LaJeunesseun pauvre diable de talent qui ignore que l'admiration pourles Gringoireles bohèmesles originaux en costume et enmoralene peut être que rétrospective.

Lemendiant. C'est encore lui le plus habile à faire baisser lesyeux.

13janvier.

LouisPaillard arrive tout chaud de Corbigny et me donne des nouvelles.Philippe lui a dit :

-- Ilsdiront ce qu'ils voudront ! N'empêche que pas un d'eux nepourrait parler une heure un quart comme lui sans boire un coupd'eau-de-vie.

L'aumônierde Corbignyun jeune hommevoyant Poil de Carotte sur unetablea dit aux personnes présentes :

-- Ecoutez! Je puis vous affirmer qu'au point de vue littéraire c'estabsolument nul.

Le curéqui est un brave hommea dit à Paillard :

-- Vousavez écrit sur monsieur Renard une notice dithyrambique.

-- Je n'aipas écrit tout ce que je pensais.

-- Vousm'étonnez Maisenfinprenez garde. C'est un homme dangereux: il a de telles idées religieuses !

-- Il estsincère.

-- Est-cepossible !

Sa vieilletante lui a dit :

-- Tusaiston Jules Renard ? Il n'est pas si connu que ça !

On meprête des ambitions politiques. On n'ose pas m'approcher detrop prèsde peur d'être « crayonné ».Mais on reconnaît que je suis un honnête homme.

14 janvier

Jamais jene demande des nouvelles des absents : je les suppose morts.

Femmeplatemais avec des hanches : une taille de violon.

16janvier.

Tartuffe.Brandès s'y montre comédienne de haut style. Elle dittoutes les syllabes du vers d'une voix d'airain légerd'unevoix à nous dire tous les vers classiques sans en oublier unseul.

-- Lescontemporains de Molièredit Capusavaient quelquefoisraison de dire que c'était du galimatias.

-- MaisMolière n'a jamais publié une de ses pièces ! Ilse serait corrigéet puisécoute ce vers :

De vousdépend ma peine ou ma béatitude.

-- Ah !dit Capusc'est une langue merveilleuse.

-- EtpuisdiseMolière ne s'en tire pas avec des images.

18janvier.

AuxChamps-Elysées. Des vieilles femmes dans des voituresprofondes comme des tombeaux.

Une femmeavec un peu de painfait faire l'exercice à des moineaux :elle est fière comme un capitaine.

Lesmoineaux les plus fiers restent sur les branches de l'arbre voisin.On dirait de gros bourgeons sur des branches dénudées.

Un vieuxpetit chiendans un paletot de grosse laineessaie de faire unecrotte. Le domestique a un sourire de mépris qui empêcheles passants de se moquer de lui.

AuxTuileriespour la première fois peut-êtreje regardela beauté de formes des statues. Est-ce que je deviendraisgâteux ?

Cet or desgrilles fait bien dans l'air brumeux. C'est moins criard qu'ausoleil. La lune déjà levée : comme le sein d'unenourrice qui sort à peine du corsageà cause du froid.

Autour dujet d'eau des bandes de rougets se serrent. On dirait un refletsanglant oublié là par le soleil. L'un d'eux se détacheet tombe au bord comme une larme rouge.
20 janvier.

Je nedemande qu'une chose : gagner assez de pain pour en donner auxoiseaux.

Quand unhomme dit : « Je suis heureux »il veut dire bonnement :« J'ai des ennuis qui ne m'atteignent pas. »

On débutepar le journalisme : il faudrait finir par là et n'offrir auxlecteurs que les beaux fruits d'une expérience qui n'a paspoussé trop vite.

Maladies :les essayages de la mort.

Noncontente de se peindrepar ses attitudes elle se sculpte.

Capus etson pardessus de 2 000 francs dont chaque poil fut planté àla main.

24 janvier

La raison: l'ordre dans les pensées choisies.

Mon Dieune me faites pas mourir trop vite ! Je ne serais pas fâchéde voir comment je meurs.

Je me metsen quatre pour éviter de rendre service.

-- Vousn'admirez pas ce petit nain ?

-- Maisj'ai été plus petit que lui !

Mendèspromène avec fierté Léon Dierxcette bonne têtede Turc des Parnassiens.

27janvier.

Le rêvede Philippec'était d'avoir un grand tablier bleu dejardinier avec une poche pour le sécateur. De cette manièreil ne briserait plus ses culottes en s'agenouillant. Qui pouvait ledeviner ?

29janvier.

Un jeunehomme qui va se marier demande le Code du mariagepuisfeuilletantle livre :

-- Il y abien le divorcelà-dedansn'est-ce pas ?

Capusarrive à la vérité par le paradoxe.

1erfévrier.

LaPasserelleLarroumet se tord et fait le galant avec les damestandis que Paul Adamce petit dieu jouffluleur offre des bonbons.On entendà l'autre bout du théâtrele rirequi finit en remontantde Granier.

Au fondd'une baignoirej'ai quelquefois des nausées d'effroyableennui. C'est la submersion dans le noir.

Capusdepuis qu'il gagne beaucoup d'argentest connaisseur en peinture. Ilparle des Hollandais comme de lui-même. Il a un mot sévèrepour Rubens et des faveurs pour deux ou trois autres noms dontl'orthographe m'échappe. Je n'écoute jamais lesconversations de ce genre : on n'y dit que des bêtises. Depuisson succèsil a du goût en toutse connaît enameublementen cuisine.

Le théâtreest l'endroit où je m'ennuie le plusmais où j'aime leplus à m'ennuyer. Guitry ne peut jamais m'arracher de la loge.

2 février.

Tâchonsd'être pleins d'indulgence pour l'habileté des autreset n'ayons pas l'air de nous vanter de notre maladresse.

L'amertumec'est très littérairemais ce n'est que la bile del'homme de talent.

Je suis unpeu ivre : j'ai une tête d'arbre qui se balance au vent.

-- La lyred'Apollon...

-- Qui çaApollon ? Quelle lyre ?

Lamodestie peut être une espèce d'orgueil qui arrive parl'escalier dérobé.

Dans notreassociation de mousquetairescomme c'est moi le plus pauvrec'estmoi qui paie les vestiaires.

Il fautbien pardonner leurs caprices aux actrices de talentcar les pauvresfemmes sans talent ont les mêmes.

Je ne vaispas dans le monde parce que j'ai peur de n'y pas recevoir assez decompliments.

Etreindépendant comme un anarchiste et bon comme un saint.

Le projetest le brouillon de l'avenir. Parfoisil faut à l'avenir descentaines de brouillons.

De toutela vie de Napoléon je ne tirerais pas un drame de cinqminutes.

3 février.

Roméoet Baucis.

Neige.Toute la France est morte.

4 février.

Je ne vousai pas fait voir ma pièce : La Bande à Léonme dit Tristanparce qu'un véritable amiaux répétitionsprivéesest un mauvais juge. Il ne nous juge pas du point devue littéraire ni dramatique : il nous juge du point de vue dusuccès. Il nous regarde sur la cordeet il a peur. Il luifaut le public pour le rassurer: pour qu'il marche sans crainte. Ilsuit le public et le mène en même temps.

5 février.

J'ai enhorreur le critique esclave de son esprit indépendant quiaprès avoir fait l'éloge d'un premier livrese croitobligé d'éreinter le second et réserve àses amis ses meilleures rosseries.

Je serainon pas méchantmais partial. Je dirai mon goût àmoiqui est bien le plus faillible que je connaisse. Aucune théoriepas de système. Le bon livre est celui qui me plaît.Arrangez-vous !

Cependantje déclare que j'ai un point de vue moral : la propretéd'âmeet un point de vue littéraire : la propretédu style.

J'aiencoremais j'y tiens moinsun point de vue social. Je parleraiavec plaisir des livres à la portée du peuple. Il aimela lecture beaucoup plus qu'on ne croit. Je consulterai souventPhilippe.

Lasympathie a ses droits. Il est certain qu'un livre de Capus ou deBernard me déplairait difficilement.

Je lirainon pour faire de la critiquemais pour ma joie. Si j'arrive àm'imaginer que quatre lignes de moi puissent faire vendre centexemplaires d'un livrej'écrirai vingt lignes sans paresse.

Je citeraisouvent. Je dirai : c'est bienou : c'est malsans soucid'expliquer pourquoid'abordparce que ça allongeinutilementet puisparce queplus d'une foisje ne le sauraipas.

Il faudraavoir confiance : c'est obligatoire.

Arène.Je posedans sa main froidema candidature à la critiquelittéraire du Figaro.

6 février.

Mendèsa peur des ironistes. « Depuis leurs promesses ils n'ont rienfait qui vaille »dit-il. Mais pourquoi s'occupe-t-il de cesinexistants ? Il en profite pour faire l'éloge de Courtelinequ'il n'arrive pas à faire détester par les ironistes.

Sa devise: « Aux cinq cent mille vers. »

Pain deménage est copié tout entier dans Amoureusedit Porto-Riche.

8 février.

Le gesteque Guitry a hérité de son père : la main enl'airprotestation de la plus absolue indifférence

10février.

Tristandit :

-- Levaudevillecomme le resteest une chose intéressante. Lapreuvec'est qu'il n'y a pas beaucoup de vaudevillistes. Feydeau estle maître. Quand on a cité BissonMarsHennequinn'enreste pas qui vaillent. Ce sont des hommes qui connaissent leurpublicqui ont la science des effets. Sortis de leur domaineilssont exécrables. S'il y restentils restent supérieursd'une supériorité qu'il n'y a aucune raison demépriser. Ils ont de l'estime pour moi. Je les étonneun peu. Ils me serreraient la main.

Franc-Nohainné à Corbigny. Interne au lycée de Nevers.D'abord malheureux parce qu'il faisait des vers. Encouragé parun professeur qui l'a révélé à lui-même.Bon élèveil en est fier. Vient àJanson-de-Sailly pour préparer Normale. Prix de discoursfrançais au Concours général. Mis à laporterefusé à Normalefait son droit et entre dansl'administration.

Je luitrouve une ambition de vieillard. Tout cela manque de jeunesse et depoësie. Préfère les choses curieuses aux belleschosesveut être connugagner de l'argentdîner envilleetc.

11février.

La sourceinconsolable.

Je saisque la littérature ne nourrit pas son homme. Par bonheurjen'ai pas très faim.

A chaqueinstant il faut que je serreà l'étranglerle cou durenard envieux qui me ronge le ventre.

J'aihorreur de la rimesurtout en prose.

La justiceest gratuite. Heureusementelle n'est pas obligatoire.

Je me sens« Jumeaux ».

Un beauvers a douze piedset deux ailes.

Cela faitplaisir à mes amisque tout le monde ne m'aime pas.

J'envie lagloire de n'être pas connu.

12février.

Cercueil :baignoire mortelle d'où l'on ne sort plus.

J'écrisau Figaro ; maisces petits poëmes en prosec'est commedes sources : pour les chercher et les trouver dans les broussaillesdu Journalil faut avoir bien soif !

Rostandd'Esparbèsetc.que deviendront ces auteurs quand Napoléonsera mort ?

Une de cesfemmes qui veulent briller au premier rangavoir des auteurs. Ellesinvitent à dîner. On n'accepte pas ? Elles se consolentvite : un refus est toujours un autographe.

Guitryàqui je demande ce qu'il faut lire de Victor Hugo aux gens de Chaumotm'indiquenon Les Pauvres gensmais le premier acte de RuyBlasparce que les paysans s'intéressent plus àdes « duchesses » qu'à eux-mêmes.

15février.

Rêve.Dans un dortoir. Moidans un litelledans le lit voisin. Je luidis : « Venez donc ! » Elle vient. Je la serre d'abordcontre moi et je la sens sous sa chemise. Puisj'ose descendre lamainla remonter partoutsur la peau doucesur les seins dursetje couvre de baisers son visage. Commeun instantje détachema boucheje voisau pied du litun pion qui nous regardesévèredésolé. Elle se sauve dans son lit. Je me cache sousmes draps. C'est fini.

Ce matinje me réveille dans une gratitude légèrefrissonnant comme un arbre qui a passé la nuit tout inondéde lune.

Fantecfait son Journalun Journal sérieux qu'il nefera jamais voir à personneet qu'il brûlera de sespropres mains lorsqu'il s'apercevra qu'il entre en agonie.

16février.

Baïe.Je viens de lui lire La Conscience. Elle n'a pas trèsbien compris. Moi partiMarinette lui explique :

-- Jecomprends un petit peudit-elle ; avantje croyais quel'oeilc'était la lune.

-- Maiscomment veux-tu que la luneen plein jourdans une tombe... ?

-- Par lesfentesdit Baïe.

-- Enplein jour ?

-- Ouidit-elle. Ce n'était pas pratique.

--Commentme dit Marinettepourrais-tu aller à Nevers par cefroidcoucher dans une chambre d'hôtel glaciale sans ta petitefemme pour te réchauffer ?

-- Oh !dit Baïeon se marie pour un quart d'heure avec la directricede l'hôtel.

Il n'estpas possible de dire la véritémais on peut faire desmensonges transparents : c'est à vous de voir au travers.

17février.

Discrétion.

-- Ouijel'ai répété. Mais pourquoi me l'as-tu dit ?

-- Parceque j'avais confiance en toi.

-- Non !

-- Je n'aipas confiance en toi ?

-- Simais c'est par-dessus le marché. Tu me l'as dit d'abord pourte faire plaisir. Etais-tu assez content ! Tu avais à meraconter quelque chose qui te tenait à coeurqui te semblaitextraordinaireune de ces choses dont on ditles yeux mi-clos : «Ça n'arrive qu'à moi ! » Et tu me sentais toutoreilles. Tu avais le plaisir de parler de toi et de me faire plaisir: quart d'heure délicieux pour toi ! Il s'agissait bienpourtoide savoir ce que je ferais de ta confidence ! Eh ! ouiqueveux-tu que j'en fasse ? Pourquoi t'imagines-tu que je dois garder ceque tu n'as pas pu garder ? Laisse-moi ma petite part de plaisir. Tum'as raconté ton histoire : c'était une joie. Je laraconte. C'est celle d'un autrec'est moins agréablecel'est encore un peu. Et tu ne voudrais pas me laisser ce petit restede plaisir ? Tu n'es ni généreuxni juste.

VictorHugola maîtrise dans le hagard.

18février.

Je jardinedans mon âme.

La fleurdes champs a un coeur d'or.

Unehorloge droite et plate comme une vieille Anglaise.

19février.

Personnel! Personnel ! Et après ? C'est contre ce « moi »que vous devez crierpas contre la franchise que j'ai d'en parlercarsi j'avais le « moi » de Césarvous seriezémerveillé.

L'homme seplaindrait de n'avoir pas à se plaindre.

20février.

ChezGuitry. Capusplein de confiance pour sa prochaine pièceLesDeux Ecoles :

-- Si tuespères t'y embêterme dit-iltu te trompes.

Il vas'échouer dans un fauteuilfermé les yeux etun doigtdans le nezs'endort.

Il s'estfait traîner sur les scènes d'Allemagne où onjoue La Veinemais il n'a rien vu parce qu'il est myope.

-- J'aidînéme dit-ilavec un châtelainvoisin decampagnequi ne connaît ni le P. de R.ni P. deC. mais pour qui le V. dans saV. est un livre de cheV.

--Imbécile aussi ! lui dis-je.

On racontedes histoires.

Un petitSavoyard entre chez un charcutier avec un petit violon de dix sousachète un peu de charcuterieetau moment de payerditqu'il n'a pas d'argentqu'il va aller en cherchersi l'on veutgarder son violon en gage : un violonquel qu'il soitvaut toujoursbien deux sous de charcuterie. Accepté. Quelques instantsaprèsarrive un monsieur chicqui achète aussietaperçoit le violonqu'il examine. « Mais c'est unstradivarius ! dit-il. J'en donne 5 000 francs. » Etonnement ducharcutierqui dit la provenance du violon. « Biendit lemonsieur. Le petit va revenir. Achetez-lui son violon. Je reviendraile prendre pour le prix convenu. » Le petit revient. Lecharcutier lui donne 500 francs dont il tirera 5 000 ; mais lemonsieur chic ne revient pas.

Donnay ditde Siegfried :

-- Ce sontdes choses qu'on voit dans la vie tous les jours. A quoi bon aller authéâtre !

23février.

J'annonceà Guitry quedans quinze joursje lirai Monsieur Vernetà Antoine. Sa belle indifférence. Il se fatigue. Ilvieillit. Ses derniers cheveux blanchissent. Il s'amuse avec «ses enfants »Les Burgraves. Il amuse Claretie en luidisant que Meurice n'a qu'un rêve : faire sombrer ce drame. Ille dit aussi à Mounet-Sully qui répondd'abord étonné: « C'est à le croire ! »

Et PaulMounet :

-- Guitryil me vient une idée. Je dis toutmoinom de Dieu ! Quellebelle maison ! On devrait tous s'y tenir comme dans le creux de lamain ! Il faut que je foute le camp : j'ai un huissier qui m'attend.

EtClaretieplein d'anecdotes -- à qui Mendès écrit: « Si on ne m'envoie pas un service de premièreje neparlerai pas des Burgraves » --raconte à Guitryqueen 70un journalisteque des avant-postes on ne voulait paslaisser passers'écria : « C'est bien ! On ne parlerapas de la guerre. »

Sur leconseil de son frèreil se décide à passer leconcours d'auditeur au Conseil d'Etat.

Il feratout de même de la littératuremaissur le conseil deson frèreil prendra un pseudonyme : Jean Sirviend'unenouvelle d'Anatole France.

--Qu'est-ce que vous en pensez ? dit-il.

-- Moi ?Rien.

Il estdécidé à refuser la décoration etl'Académie plus tard.

--Baudelaire a dit : « Ce n'est que par la vertu qu'on arrive àla fortune »dis-je à Capus.

-- Tuseras toujours pauvreme répond-il.

-- Etpourtanttoitu es riche.

Au ParcMonceaules pigeons auxquels on jette du pain. Lourdsils arriventà piedet le moineaud'un coup d'aile et d'un coup de becemporte la miette.

Authéâtre. Fauteuils vides : toutes ces dents arrachées.

Tant queles penseurs ne m'auront pas appris ce que c'est que la vie et lamortje me fous de leurs pensées.

-- Femmequ'est-ce qui vous attache à lui ?

-- Lebesoin qu'il a de moi.

Elle nepeut se faire à cette idée que son pèrequi aquatre-vingt-deux anssouffre déjà des dents. Elletrouve ça drôle.

24février.

LesBurgraves. Répétition privée. C'est moinsennuyeux qu'on n'espéraitet ce n'est pas assez ridicule pourtroubler un admirateur de Victor Hugo. Mais quelle singulièreidée il se faisait des vieillards ! Ils ont tous l'air dejouer la comédie. C'est à celui qui fera le plus vieux.Mounet-Sullyavec son gâteau de Saint-Honoré sur latêtesemble ne faire que des imitations de lui-même.

Quelétalage de barbes ! Mounet-Sully a l'air d'avoir une servietteautour du cou. Guitry lui disant qu'il devrait en couper quelquescentimètresil s'offense comme si on parlait de lui couperautre chose.

PaulMeurice serre la main d'un vieil homme qui fait la critique depuissoixante ans peut-être. On me dit son nom : je ne l'ai jamaisentendu.

Segond-Weber.Ce serait peut-être bienmais comment avoir peur d'une femmequi crie : Vingince!

PaulMounet passe dans son armure et sans sa tête de loup.

-- Quelmétier ! dit-il à Brandès. Allez ! Mieux vautjouer la comédie

25février.

J'aihabité toutes les planètes : dans aucune la vie n'estdrôle.

Avaremais très poli. Quand un mendiant ôte sa casquette pourla lui tendreil le salue profondément.

Aprèsla répétition « triomphale » des BurgravesTristan passe devant le buste de Corneille et lui dit :

-- Ne tefrappe pas !

Eteneffetpas un de ces vieux n'est comparable au vieil Horacequi nedit que ce qu'il doit dire.

27février.

Burgraves.Soirée du Centenaire Plutôt terne. On n'aime pas VictorHugo comme il faudraitd'un amour filial. Au débutdans mabaignoirej'ai envie de pleurermais ce public me glace.

Il y a làdes gens qui feignent d'écouterqui font chut ! quand ilsentendent un bruit de vestiaireet qui n'ont pas applaudi une seulefois.

Il y a lebilieux Coppée -- celui-là n'aura pas son centenaire--et qui se défile avant la fin des actes.

Bernardplaisante et pose sa grosse bouche sur mon oreilleen signed'émotion : puisil fait un bruit de boeuf en mangeant desbonbons.

GeorgesHugo vient me serrer la mainl'air d'un cercleux fatiguévidé : ça passe pour de l'émotion. Je lui faiscompliment de son article à L'Illustration. Il estflatté. Comme j'ai déjà passé àVictor Hugoil me remercie encore pour son article deL'Illustration.

Segond-Weberest si belle quand elle dit : Ce siècle avait deux ans...que mon coeur se rompt.

Mirbeaublague. Je sais bien qu'il y a de quoimon Dieu ! Ce bustecespalmesce tambourcette cuirassece plumet rouge...

-- Maislui dis-jeil ne s'agit pas de ça : Victor Hugo est le plusgrand lyrique du monde.

-- Ils onteu ça en Allemagnedit-il : Goethe et tous les poëtesqui ont précédé Goethe.

Quelspoëtes ?

Guitry. Jesens que lui non plus n'aime pas tout ça. C'est un éteignoird'enthousiasmes sots. Je veux bienmais gardons Victor Hugo. Dans sabaignoire il fait jouer sa petite lampe de poche.

Mendès.Oh ! celui-là croit l'admirer mieux que les autresmais monadmiration vaut la sienne. En tout casc'est à Victor Hugoimmortelet qui lit dans les coeursde choisir.

EtcematinLa Vie parisienne se moque de moi parce que j'ai ditqu'à Victor Hugo je ne pourrais adresser qu'une prière.Ça me fait plaisir.

28février.

LesDeux Ecolesde Capus. Répétition générale.C'est le chef-d'oeuvre de la veulerie. Quatre actes d'espritdésarmant pour un public qui se croit autant d'esprit quel'auteur. La phrase même de Capus devient un article de Paris.A une façon qu'elle a de se déclencherle public dit :« Ça va sonner ! » Et ça sonne toujours.

Sespersonnages vont au-devant de toute réclamation. Ils disent :« Je suis prêt à toutes les aventures. Ne vousétonnez pas de ce qui va m'arriver. » Comments'étonnerait-on ? Ils disent : « Suis-je moral ouimmoral ? Je ne sais plus ! » Et le publicque touche cetteconsultationdit : « Va donc ! Pas d'inquiétude ! Tu esmoral comme moi. »

Ettoujours le mot d'esprit qui sonne à temps.

Granieradmirableet qui met du sentimentçà et làdans un motquand il n'y en a pas dans le rôle.

Capus nes'attaque pas aux sujets difficilesmais le voilà maîtrede toutes les difficultés spéciales au sujet qu'ilchoisit. Et ça n'est pas dépourvu de sens social. Uncercleux peut dire queLa Petite Fonctionnairec'est tout leféminismeLes Deux Ecolestout l'adultère ettout le divorce.

Pleure !Mais il ne faut pas qu'une seule de tes larmes coule jusqu'au bout deta plume et se mêle à ton encre.

Al'enterrement. Est-ce que je fais bien peine à voir ?

-- Oh !vous ne me ferez pas croire que vous n'avez jamais trompévotre femme ! dit-elle.

-- Est-ceque j'ai essayé de coucher avec vous ? Non. Alorscommentvous étonnez-vous que je ne l'aie tenté avec personne ?

La nuittombe. C'est à qui de nous deux ne réclamera pas delumière. Elle ne veut pas avoir l'air d'avoir peurmoije neveux pas être grossier.

-- On estbiendans cette pénombredit-elle d'abord. Enfin ! Il fauttout de même faire apporter de la lumière. Si ! Si !

-- Hein !Quel drame ça feraitdis-jesi Marinette entrait ! On nevoit plus rien. Pourquoi restez-vous là ?

-- Cen'est pas à cause d'ellemais des domestiquesdit-elle.

En effetje sonne. François entre tout de suite. Il attendait àla porteavec la lampe allumée.

Souvenirsde famille. Ma grand-mèreMarie Iaudiappelait ma mère: l'avocate. Elle disait : « Elle avocate bien. »Très susceptiblequand elle croyait quedans uneconversationil y avait un mot pour elleelle s'en allait etboudait jusqu'à ce que tout le monde revînt la chercher.

MonparrainPierre Renardavait le même âge que ma tante.Ils avaient vécu ensemble avant de se marieret le pays lesavait. Il détestait sa femme et les enfants de sa femmeentre autres une dame Desavennesqui avait deux enfants : Urbainet... ? Veuve à Chitryelle habitait une chambre louéeet mon parrain refusait de la voirmême quand elle voulait luisouhaiter sa fête.

L'autrefrère de mon pèreAntoineressemblait àl'acteur Baron.

Ma tanteHonorine a laissé le souvenir d'une femme très propre ;cependantelle prisait dans une tabatière d'argent. Elleavait la manie des lessives.

Plusdistinguéema mère laissera le souvenir d'une damedeLa dame.

Vieillesfigures de quartier. On veillait chez Marie Pierry. Tout àcoupMarie Iaudi se mettait à rire silencieusementpourelleet longtemps.

--Qu'est-ce que vous avez doncmaman Iaudi ?

Elle nerépondait pasne se calmait pas. Bientôtc'étaitune infection. On se bouchait le nez. Alors elle s'arrêtait derire et se remettait à teiller.

Les deuxménagesPierre et Françoishabitaient la maisonpaternelle. Ma tante et ma mère se disputaient quand la bourseétait platemais ma mère avocatait mieux. Monparrain avait fait des bêtises : il avait acheté 4 000-francs un pré qu'à sa mort on a vendu 1 200.

Le rideaudu souvenir ne se tire que quand il veut.

Le pèreFré. Le père Cornu. La mère ColadePaponlepère Castelle père Perreautout le quartier.Difficulté de placer nos souvenirs en ordre. Tel mot de monpère me paraît tout prèstelde mon frèretrès loin.

1 er mars.

LePlaisir de rompre. Répétition au Françaissur la scène. Guitry n'est pas là. M. Prudhonsolennelmême quand il souritest d'une politesse qui gêne bienmon chapeau que je suis obligé de garder longtemps àcôté de ma tête. Mlle Sorel sait déjàet m'annonce qu'ils joueront ma pièce lundi soirchez desBelges.

-- Celanous rapporte à chacun vingt-cinq louisdit-elle.

3 mars.

Guitrytrouve mauvaise la mise en scène et donne quelquesindications. Tout de suite c'est étonnant. Sans dire lesphrasessans gestessimplement parce qu'il y pensede cette petitepièce il fait une pièce.

-- Nousjouerons tous deux Le Plaisir de rompredit-ilet vous ferezla femme.

Brieuxsur la scènefait répéter vingt fois de suitela même phrase à de petites actrices terrorisées.

Guitrylaisse à Claretie ce mot qui doit l'affoler : « Brieuxn'a pas besoin de moi avant vendredi. Je vais voir comment on seporte au Jardin des Plantes. » Et nous y allons.

Etcesoirje dirais presque que les hommes ont moins de vie que lesbêtesetles bêtesmoins de vie que les pierres deNotre-Dame. A trente-huit ans -- j'ai attendu jusque-là ! --je regarde Notre-Dameet mon coeur se rompt.

Des painsénormes que les bêtes me font l'injure de ne pas mangeren entier.
J'en jette un morceau sur le dos de l'oursqui leporte sans le savoir. Succès. A terred'énormesplaques vertes ou jaunes.

Uneeffraie tombetâtonne de l'aile comme un aveugle de son bâton.

Des oiesle bec dans un bec de cuir.

Desperroquets à tête rouge grincent comme des chaînesrouillées.

Notre-Dame.Pour la première fois de ma vie je regarde cet amas depierres. Une émotion nous étreint. Là-bascetoiseau vivait : c'était étrange. Cette pierre vitetc'est confondant. Oh ! la gravitéla sérénitéde ce saint qui lève deux doigts en l'air ! Et cette joliesainte ! Et comme saint Denis tient sa têteet non celle d'unautre !

Si nousentretenions le petit train-train de notre sensibilitéla vien'aurait pas de trous.

Dans lefiacre qui nous ramènenous ne disons rien. Ah ! Capusqu'est-ce que le joli près de la beauté !

Et je nesavais même pas où fut la Conciergerie ! Je n'ai vécuqu'avec les livres.

Lebourgeon va bientôt ouvrir ses ailes.

5 mars.

Franc-Nohainun peu travaillé d'ambitions politiquesvoudrait àNevers une situation telle qu'on lui demandât d'êtredéputé et de jeter Massé par terre.

Veut uneplaque -- seulement -- sur la maison où il est né àCorbigny.

Au Figaro.A la caisseje tends ma carte.

-- Vousdevez avoir une petite somme à me remettredis-je.

Lecaissier ouvre un immense livre. Je vois mon nom écrit enbelles lettres.

-- Ouimonsieur. Vous êtes porté à 050 F la ligne. Çavous fait 3650 F.

J'écrisà Calmette qu'à ce prix je mourrais de faimet ques'il faut mourir de faimj'aime mieux ne pas travailler.

9 mars.

Décorde meubles bordés d'or. Guitry met en scène. Voilàdonc un acteur qui ajoute_ au textequi n'est pas absolument inutile! Où je ne le suis pasc'est dans la scène de «Je veux te reprendre ». A quoi bon toutes ces histoires ?

Il salueles acteurs avant de faire une observation.

Quand onle voit monter sur la scène par l'escalier de boisavec songros ventresa tête dénudéeon a un peu peur decette personne lourde. Puisau premier mottout s'allègetout s'illumine.

-- C'estun homme merveilleuxdis-je à Claretie.

-- Ouidit-il. C'est un homme de lettres.

-- Ilécrirait des pièces s'il savait et voulait se servir del'outil qu'est une plume.

-- Il aeudit Claretieune grosse influence sur votre génération.

-- Enorme!

Je bâtismes pièces en drameset je les écris en comédiesdit Capus.

L'arbreest un animal paralysé.

Si LaFontaine est « le fablier »Victor Hugo est toute laforêt.

12 mars.

Jardind'acclimatation. L'ennui de toutes ces bêtes. Le plaisirqu'éprouvent certaines d'entre ellesles sangliers surtoutàse faire gratter le dos par les cannes des visiteurs.

Lemarabout-adjudant : un Anatole France en jaquette.

La girafequide sa langue noirelèche le mur ou se l'enfonce jusqu'aufond du nez.

Legazouillement d'une bande de cochons d'Inde.

Lesphoquesbeaux nageurs qui se baignent avec des grâcesd'hommes.

Lafantaisie du Créateur qui donne au flamant un cou si longqu'il a dû le percher très haut sur pattes.

L'aigledont le bec est un chef-d'oeuvre de coutellerie.

LePlaisir de rompre au Français. Première à cethéâtre. Médiocre soiréesauf l'argent.J'ai l'impression du fouret me voilà « noir »pour une bonne demi-heureMais que d'argent ! 36147 F : c'est commeun remboursement.

Dans lariche loge de Sorel. Elle ne dit pas : « Oh ! j'ai unemigrainece soir ! » C'est de premier ordre. Elle n'est pascapricieuse. Ne se croirait-elle pas encore une grande artiste ?

Bernard medit ce mot drôle :

-- Allonsmon vieux Jules ! Vous aurez quelque jour un buste icisi vous vousmettez à la sculpture.

18 mars.

Un marinqui a fait le tour du monde :

-- Un pasde plusdit-ilet on mettait le pied sur rien.

Lesterrains inexploréstoujours en frichedes meilleuresamitiés.

En amitiéj'adore ouvrir des noix nouvelles.

Capus medit :

-- Ce quej'appelleraisnon ta paressemais ta rétention.

19 mars.

LePlaisir de rompre. Première représentation devantles abonnés. J'en vois untypique. Il a le cou maigre etflasque et le col trop grandce qui lui donne l'air «outrageusement décolleté ». Il cause avec Sorelet Mayer et leur dit qu'il est heureux d'entendre cette petitepiécettequ'il espère que ce sera moins dur que LesBurgraves. Oh ! Les Burgraves!

A côtéd'elle Marinette à un vieux monsieur et une jeune femme quiécoute bouche bée : elle recevra peut-être desclaques du vieux monsieurqui est horripilé. Des mots lesuffoquent. Il déchire le programmele jettele ramasse pourvoir le titre de la pièce. Le nom de Jules Renard l'achève: qu'est-ce que c'est que tout ça ?

Uneréflexion : « Tiens ? Elle va ouvrir sa porte elle-même! »

Une autrequand Mayer dit : « Je m'emplis les yeux... »: « Iln'est pas difficile ! » A son âgeon n'a plus depetit nom. Tous les abonnés font : « Oh ! Oh ! Avecça !... »

Certesily a tiragemais la pièce intéresse même ceuxqu'elle révolte. On ne se moucheon ne tousse pas tropetles belles dames ne songent pas trop vite à leurs cochers.

MaisMarinette ne croit plus à la Comédie-Française.

Unevieille petite bonne femme de pomme.

20 mars.

-- Je mesuis trompé de bonne foi.

-- Cen'est pas une raison ! Je ne préfère pas un imbécileà un menteur. »

21 mars.

LeQuatorze Juilletde Romain Rollandchez Gémier. Le 14Juillet est aussi triste en Mars qu'en Juillet. La foule ne peut pasêtre une cohue pendant trois actes. Il faut qu'elle aussi seplie aux conventions du théâtre. Mégardm'explique quela petite fillec'est un symbole.

Preuved'amourpièce en un acte de MM. Ferdinand Bloch et LouisSchneider. Deux mainspas une de plusont applaudi une foispasune de plus.

Le rideaudescendu n'est jamais remonté.

Chaqueréplique passe sur les rangs de têtes comme un soufflesur les flammes d'un réchaud.

22 mars.

Sociétédes gens de lettres. Réunion préparatoire. Capus monteà la barre etbalbutiantsollicite les suffrages de seschers confrères et les assure de son dévouement.

M.Lucien-Victor Meunier affecte de mépriser sa littératureet de ne tenir qu'à ses qualités administratives.

PaulHervieudécidémentne veut plus même sourire.C'est bien l'homme qui se fait photographier en académiciencomme s'il faisait sa première communion.

Muhlfeldn'est pas là pour énumérer ses titres. Il arriveen retardavecdans sa pocheun petit discours écrit qu'ilest obligé de garder. Et il reçoit une petite tape : iln'arrive même pas dans les onze premiers.

M. deSaint-Arromanqui présideayant dit que M. Alfred Capusn'est peut-être pas le premier que par ordre alphabétiquepersonne ne protestemais personne n'approuve. Il ne faut pas fairede ces plaisanteries à des gens de lettres.

GeorgesRenardun Zola maigre et blancun exiléme dit :

-- On medemande souventmonsieursi je suis parent de monsieur JulesRenard.

Le voteune arme sournoise et dégradante.

Femmes delettresleur laideurleurs ridicules petits chapeaux verts. Lesplus jeunes ont des allures masculines : on dirait qu'elles font dela littérature pour faire les hommes.

28 mars.

A Chaumot.Le paysan a deux armes : son voteet son salut.

Quand ils'aperçoit qu'on a la faiblesse de tenir à sesbonjoursil vous rend très malheureux. On l'attend. Ilarrive. Il n'a pas l'air de vous voir. Quand il n'est plus qu'àquelques pasil vous jette un regard rapide et sournoiset passe.

Qu'est-cequ'il a ? Je le saurai peut-être dans cinq ou six ansettrèsprobablementil n'a rien.

Laviolettemodeste ? Pas tant que ça ! Elle fleurit la premièrecomme si elle craignait la comparaison

Le maîtred'école de Chitry. Il y est depuis quinze ans. Il aura saretraite dans six ans. Le plus bavard des pécheursil a unehistoire pour chaque poisson : il y en a qu'il traite d'imbéciles.

Il ne ditjamais : « L'inspecteur primaire. » Il dit : «Monsieur l'inspecteur. » Dans un désertil n'oublieraitpas « monsieur ».

Une boîteà vers pendue au cou par une corde.

31 mars.

Le poëtePonge. Pauvre homme déjà ravagé par le chancrelittéraireil a l'air d'une expérience d'inoculation.

Il vaporter ses petits volumes à toutes les foires : il en a deuxmille à placer. Il est sûr de rentrer dans ses fraismais il voudrait faire une bonne affaire pour pouvoir lanceraprèsun petit recueil de poësies.

Il ne segênera pas pour mettre les fautes du livre sur le dos del'imprimeur.

Ils'adresse surtoutlui aussiaux jeunes gens du pays.

Un ancieninstituteur lui a dit qu'à le lire il avait pleurécomme un veauet que son petit volume était plein de coeur.

Del'instituteur de sa commune il dit :

-- Il nepense pas beaucoupen dehors de sa chasse et de sa classemais safemme est romantique ouplutôt« romanique » (iln'a pas pu trouver « romanesque »)et elle lit beaucoupde romans.

Soncerveau semble brûlé par un petit feu de pauvre.

-- Notrecuré ne vous connaît pasme dit-ilmais il a dit : «Puisque nous avons un littérateurje vais me procurer seslivres. »

Unpardessus épaissans formeun noeud de cravate bleu quidépasse le col. Une tête de chat mal nourri.

-- Un telme fera une petite notedit-ilun tel aussiun tel encore...

Je ne luioffre rien. Je le regarde : il est aussi vaniteuxaussi faussementmodeste que moi.

-- Je nevois pas bien les palmes d'officier d'académie sur ma blousede paysandit-il.

Mais sesyeux s'allument : il ôterait sa blouse.

Il avril.

Rentréà Paris. Coquelin dans Le Bourgeois gentilhomme.

-- Votreami Guitry ! me dit-il en me donnant sur l'épaule une tape àme faire tombercar je ne l'attendais que sur une jambe. C'estignoblece qu'on a fait à la Comédie-Françaisedans Tartuffepar exemple ! On ne joue pas ça comme dumoderne !

Il aempêché Ruy Blas de tomber. C'est lui qui atrouvé la façon de jouer le IVe acte en comiquemaisVictor Hugo (il dit « Monsieur Victor Hugo » avec unrespect un peu dédaigneux)n'était pas content et luia retiré le rôle de Triboulet.

D'ailleurssauf les trois premiers actesLe Bourgeois gentilhomme al'air d'une farce grossière dont Molière devait penser: « C'est toujours bien assez bon pour cet imbécile deLouis XIV ! » Une pièce pour une Cour fatiguéequi ne tient plus beaucoup à s'amuser.

Desprèstout émue de quitter le Théâtre-Antoineles yeuxvite mouillés.

--Pourquoi n'êtes-vous pas venu ? dit-elle. Hier soirle publica été si gentil ! D'aborddès mon entréeun murmurepuisdes applaudissementspuisde gros rappels. EtAntoine a été gentil !... Je ne l'avais jamais vu commeça... Il me frôlaitde l'épaule. Il avait enviede pleurer. Moije pleuraismaismoi n'est-ce pas ? Une femme...Il me disait : « Ca me fait quelque chose. Je suis triste. »Il m'a emmenée souper avec deux ou trois amismais il auraitvoulu être seul avec moiet il me disait des choses gentillesdes vraies choses gentilles comme il faut qu'elles soient. Oh ! Oh !Je suis rentrée à trois heures et ne me suis endormiequ'à sixpour garder le souvenir de cette dernièresoirée. Demainje n'y penserai plus. Quand nous nous sommesquittés il m'a dit : « Je ne jouerai plus jamais cerôle-là sans vous. Signoret et Becker le joueront plustard. Il faut laisser la pièce se reposermais plus jamaismoi sans vous ! »

13 avril.

AuConcours agricole. Une chaleur monte de tous ces taureaux. Un bélierextraordinaire qu'on ne serait pas fier de rencontrer dans un bois :de la laine partoutla tête dans un bonnet de laine ; on nevoit que le bout du nez et le derrièrerose comme un sourirevertical. Il a l'air d'étouffer là-dedans et respiretrès vite.

D'invraisemblablespetits coqs de combat. Ils n'ont que les os et la peau sur leur âmeguerrière.

Le bonheurserait de regarder tout çade se contenter de voirsans lapréoccupation de rapporter « quelque chose ».

15 avril.

Moninstinct d'écrire.

Lamodestie est toujours de la fausse modestie.

Rêvesrapides comme un pigeon qui passe devant une fenêtre.

Capus faitfaire tant de travaux à sa maison de campagne qu'il ne peutjamais l'habiter.

-- Papadit Baïepourquoi les grands médecins ne sont-ils jamaisjeunes ?

-- Vousn'êtes pas malheureux !

-- Si jevoulaisje me plaindrais autant que vous.

ChezPrunierdans la salle voisine :

-- C'estinsensé !

--Voulez-vous me permettre...

--L'humanité...

-- Comment?

--L'humanité...

-- Quoi ?

Jourtacheté de lumière et d'ombrele soleil ne faisant querouvrir et refermer la paupière.

Une imaged'Epinal ne doit pas durer plus d'une image.

Un comiquequi arrache le rire comme une dent.

Mendèstrès triste de son histoire avec Sarahva laisser çareposer un anpuis il sera joué à la Comédie-Française

-- Il yavait mille vers de tropdit-ilmaispuisque je les supprimais!... SeulementSarah s'est aperçue queson rôlen'était pas seul à faire de l'effet ; et puisj'avaiseu le malheur de dire que Segond-Weber était une superbe DoñaSol. Et voilà ! Oh ! ces acteurs !... Imaginez que ce pauvreBornierqui voulait faire reprendre je ne sais quel Agamemnons'abaissaun jourdans la loge de Coquelin qui se déshabillaitdevant luijusqu'à dire : « Oh ! les belles cuisses ! »Ce Coquelinavec impudeurfaisait le beau devant ce bossu.

L'oiseauen cage ne sait pas qu'il ne sait pas voler.

Style.Quand « améthyste » arrive« topaze »n'est pas loin derrière.

Musique.Je dois au chantonnement d'une bouillotte mes plus douces rêveries.

Amour etamitiéc'est la nuit et le jour.

A laGloriette. La rivière qui va contre tous les vents.

Lesacacias à l'orée d'un bois qu'ils défendent deleurs piquants.

Lehérisson. Les bohémiens en mangent beaucoup. Ils lepassent sur le feules « piquots » tombent et on lehache menu pour faire de la soupe.

Cettesemainele poëte Ponge va lancer un article sur la questionagricole.

Il dit : «Monsieur Balzac ».

Ragottemange toujours avec un air sacré.

Hélas! j'ai peut-être laissé passer toutes les heures oùj'avais du génie.

Tirer surun sanglier et ne lui tuer que les poux.

Au boistout finit par des chansons.

Lebouleauavec sa blouse de plâtrier.

Le soleilqui descend éclairer les morts.

Les arbresse tordent les branches.

En marsla couleuvre sort de son trouetépuisée parl'efforts'endort au soleilluisantetoute neuve.

C'est lebracelet d'une morte.

La petitebonneà la fenêtre d'en facecoudentre ses repasetregarde à chaque instant dans la rue. Je coudscomme elledes lettres sur du papier blanc avec du fil noirmaiscomme elleencorej'aime surtout à regarder ce qui se passe dans la rueet je perds plus de temps qu'elle.

Le dindemâlelongtemps deboutles deux pattes sur le dos de la dindequi attend et ne bouge pas.Quelquefoisça glisse. Il perdun peu l'équilibremais il se rattrapeEnfinil se décideet rabat sa queue comme un éventail. C'est court. Il saute àterre et marché fièrementson éventail rouvert.La dindequi s'éloignesecoue ses plumes avec l'air de dire: « Qu'il est ennuyeux ! II est bien avancémaintenant! Ne vaut-il pas mieux picorer ? Quel plaisir trouve-t-il à ça? »

Odeur degrande maison : odeur âcre de domestiques qui ne se laventjamais.

L'arbustevoudrait être déjà assez grand pour avoir un nid.

Honorine.Après sa mortcomme la terre entrera bien dans ses rides !

Desvignesphotographe et libraire. Après une demi-heure passée àtable chez Langloisà Lormesaprès avoir écoutéses histoires de cartes postalesde livres sur le Morvanj'ai finipar lui dire :

-- Carmoi aussien sommeje m'occupe un peu de tout ça.

Presquetoutes les nuitsmaintenant elle compte ses morts. Elle se trompetoujours. Elle en oublie : il y en a qui sont plus morts que lesautres.

La dindevraiment éclate de rire comme les Indiens de Cooper.

17 avril.

Au Jardind'acclimatation. Des jeunes filles font effort pour ne regarderdessingesque leurs grimacesmais il faut bien voir le derrièrerouge et la petite carotte flétrieIl y en a un qui soupèsedélicatement celle de son frère. On ne dit rienon serattrape en disant : « Oh ! le sale ! » quand il chercheles poux de l'autre et les lui mange avec une touffe de poil. Cetoeil profond et brusquement trouble. Ils ont des éclairsd'humanitéinsignifiants. Leur oeil épluche : leurpensée « épluche » à peine.

Letamanoiravec une langue comme une aiguilletraîne une queuecomme une palme.

Lekangourou saute par bonds précis et élastiques tout lelong de son allée et semble direses deux pattes de devantsur la poitrine : « Je vous demande bien pardonmaisquand çame prendc'est plus fort que moi : je ne peux pas m'en empêcher.»

Le tatoudans son gantelet de fer.

Lapanthère qui se frotte le ventreétendue comme untapis au soleil.

Leporc-épic qui veut mettre son nez au derrière de safemmemais elle se rebiffe et il se pique le nez aux dards. On rit.Il s'arrêtenez à terreoeil en dessousfâchéprêt à nous dire : « Tas de gourdesje voudraisbien vous y voir ! ». Il a déjà un oeil crevé.Mais que de porte-plume ! Un autreexcité par le printempsne fait qu'entrer dans sa cage et en sortiragitant avec bruit sesdardscomme un guerrier indien ses flèches.

Leperroquet au bec noir comme un vieux fond de porte-monnaieavec salangue de cuir.

18 avril.

Ce nom-làme déplaît.

--Qu'est-ce que ça peut vous fairepuisque c'est moi qui leporte ?

Les âmesbasses ne comptent que sur la noblesse des autres.

Lekangouroudit-onse sert de sa queue comme d'un puissant ressort etpeut sauter 7 à 10 mètres. Qu'est-ce qu'il attend poursauter par-dessus sa barrièrequi a 150 m ?

Au Jardind'acclimatation. Le bélierla corne rabattue sur l'oreille.Le flamant qui essaie sa trompette.

Le gardiendes oiseaux. Le mieux apprivoiséc'est encore lui. Il me suitde cage en cage. Je crois lui échappermais le voilàsortitout prés de moisouriantpas fatiguéet ilfinit par me prendre dans la main une pièce de dix sous.

Jedéteste -- et d'un goût délicat c'est le signe --
Toute la plomberie orgueilleuse du cygne.

« Lecormoran crieur »dit Victor Hugo dans Les Pauvres gens.Je l'ai entendu rirericaner plutôt. Le paon mue. Il a le coupelé comme si quelqu'un s'était frotté àsa peinture mal séchée.

Comme onserait fier d'être quelque chose dans la vie de ce lions'ilnous faisait la grâce de son intimité ; de sa sympathie!

L'hyène: Ernest La Jeunesse. Plus turbulente que cruelle.

Lacritique d'un sot te fait mal. Tu t'attristes
Et tu confonds lagloire avec les journalistes.

21 avril.

Nosjardins à Paris : un sapin dans une cage.

Veuveinconsolablepour témoigner que son deuil persiste elle neveut se remarier qu'avec quelqu'un qui n'ait pas l'air trop vivant.

Je me sensvidede m'être rongé intérieurement jusqu'àl'écorce.

Liquéfiéà cinquante-trois ansil écrit à Guitry deslettres de petit enfantoù il dit que son oeuvre et luipeuvent attendreque la calomnie a tué Becquemais queluiil résistera. C'est larmoyantvaniteux et serin.

EndéménageantCapus a dit à sa concierge :

--Portez-vous bien ! Et puisnous reviendrons peut-être.

Sonsuccèsil le doit à ce que le dialogue de sesprédécesseurs était plat.

Je neprends bien que mes plaisanteries.

Au théâtrela tradition est si tyrannique que tous les acteurs ont l'aird'imiter d'anciens acteurs.

25 avril.

Femme. Etune délicatesse ! Sur la routeelle buterait dans l'ombred'un arbre.

L'hommed'une des minutes du siècle.

Printemps.Il semble qu'à déjeuner on va manger d'abord quelquesbrins de lilaset qu'on finira par une coupe de fleurs de pommiers.

Unemémoire prodigieusequi ne peut oublier que les servicesrendus ou reçus.

Toute malittératurec'estpour plus tarddes repentirs.

Homèrec'est le premier poëte qui ait eu de la chance.

Claretieun excellent homme de lettres à feuilleter.

26 avril.

Je passema vie à me poser de vagues points d'interrogationet je netiens pas aux réponses.

Fantec estd'une génération qui n'aime plus Jules Vernequi nes'étonne pas du Nautilussans doute parce qu'elleconnaît le bateau sous-marin. Fantec fait plus fort que JulesVerneettous les huit joursil invente une nouvelle bicyclette ouun nouveau Santos-Dumont.

27 avril.

-- Moiaussimonsieurla politique me dégoûtemais je n'enfais pas.

Francescada Rimini à la Renaissance. C'est presque duShakespeareet c'est encore plus embêtant.

Asoixante-dix ansSarah ne peut plus faire que la petite fille.

Et Magnierhabillé en traversin !

C'est dela littérature de ce pion savant qu'est Schwobfaussementlyriquefaussement simplevieux Primitif.

Lesattitudes de Sarah : elle a l'air intelligent quand elle écoutedes choses qu'elle ne comprend pas.

30 avril.

Dieudonnéson cinquantenaire à la Renaissance. Oh ! ce menuetdansé par SarahRéjaneCoquelin de plus en pluspareil à l'Homme qui rit ! Ces grâces degrand-mères ! Ces sourires de vieux créneaux ! Et onles rappelle ! Et le public-roi s'écrie : « Icimesbouffons ! » Et les pauvres femmes semblent dire : « Nouste montrons notre derrièremaissi tu veux taper dessusnete gêne pas ! »

SeuleBartet reste dans un coin et comprend quela modestiec'est encorede l'art.

On lesrappelle. Sarahessouffléefait signe qu'elle a mal au coeurmais Réjane en veut encore eten signe qu'elle est prêteà recommencerpique un pas d'allégresse. « Ilssont si gentilset ça les amuse tant. » doit-elle sedire. Quant à Coquelinc'est Louis XIV. Celui-là neveut pas uniquement notre joie : il exige notre respect. Sa danseavait quelque chose de sacré. Pour ma partje l'ai sentietje n'osais pas applaudirde peur de commettre un sacrilège.

Il nousavait ditd'abordLe Sous-Préfet aux champs. C'estdélicieuxce poëme en prosemais vous n'imaginez pas cequ'en peut faire Coquelin : une épopée ! C'étaitJupiter professeur de diction.

C'estétonnant commedans ce milieuGalipaux parait naturel

Marniécrit aussi son Journal. Elle en a lu à Guinonet à quelques amisqui lui ont dit que c'était centfois mieux que du Goncourt.

Lekangouroupuce géante.

Un pèrea deux viesla sienneet celle de son fils.

Hypocritesils comptent sur la gentillesse de leurs amis et ne ménagentque la méchanceté de leurs ennemis.

1er mai.

LéonBlumtrès attiré par la politiquedocumenté etprécis. Connaît les députés par leursvotes.

Danscertaines rues désertesà minuit et demien omnibusil semble qu'on traverse en diligence une ville de province. Uneactrice monte avec des choses dans un journal.

Je souffreà entendre une belle voix chanter des mots bêtes.

Gloire. Unnomc'est fait avec du cimentdu mortieret beaucoup degoujateries.

Vaniteuxau point que je supporte mal qu'une femmeen me parlantgarde sonchapeau sur sa tête.

Les larmesdégradent la beauté de la douleur.

-- J'aitrente-quatre ansme dit Coolus.

-- Et moitrente-huit. Ça fait une belle différence.

--Qu'est-ce que quatre ans ! dit-il.

-- Quandon a fait quelque chosece n'est rienmaisquand on n'a rien faitc'est énorme.

On réussittoujours.

2 mai.

La misère-- et c'est ce qui nous trompe -- donne au misérable un aird'ivrogne.

La misèrequelle modiste ! Elle fait des cols de chemisedes cravatesquisont des chefs-d'oeuvre.

--N'est-ce pas ? me dit Bady. Vous trouvez Le Masque moins bienque L'Enchantement.

--J'avoue...

-- Je suisde votre avis.

-- MaisBataille est un homme de grand talent. Je veux seulement dire que LeMasque ne m'a pas paru assez fort pour lui.

Tarridequi m'a entendu et me rejoint :

-- Jesouffredit ilde vous entendre parler ainsi de Bataillequand jel'ai entendu parler de vous comme il fait.

-- Mais jedis du bien de lui !

--Précisément.

-- Mais ilm'a toujours dit les choses les plus flatteuses !

--Précisémentdit Tarrideetquand vous avez le dostournéil dit de vous des choses immondes. Je n'aime pas ceshommes-làet c'est parce que Bataille est un homme faux qu'ilfait du mauvais théâtretarabiscotédu théâtre.

Jem'éloignele coeur un peu troublesans oser demander àTarride quelles choses immondes Bataille peut dire de moi.

5 mai.

Au Louvreoù Alfred Natanson m'emmène voir des DaviddesVelasquezet des petites natures mortes de Chardin : je prends desoeufs pour des oignons. Rien de cela ne me passionne.

Ensortantje vois un merle noir à bec jaunetout seulaumilieu d'une tache d'ombre écartée sur une herbe verte.Voilà de la peinture.

Tous lesmarronniers ont ouvert leurs feuilles comme des petites ombrellesd'un soir.

Elle aperdu son beau-père. Elle est admirable de viecomme pour unenoce.

Elle estallée chercher un prêtre.

-- Pour unmourant ? lui dit la bonne du curé.

-- Oui.

-- Vousavez eu tort d'attendre si longtempsmadame.

-- Est-ceque ça vous regardevous ? dit-elle.

Comme lecuré déjeune et ne veut pas venir tout de suiteellel'engueule.

-- C'esthonteux ! s'écrie-t-elle.

-- Vousêtes franc-maçonne ! lui dit-il.

-- Non !Je suis catholiqueet j'en rougis.

Commed'un ton mielleuxil lui dit : « Une messe à septheures du matinà huità neuf heuresc'est tant »elle le traite de commerçant et de voleur.

Mais onn'enterrera pas le beau-père à Saint-Ouenparce quec'est un cimetière de pauvres. On l'enterrera au cimetièredes Batignollesoù il n'y a que des concessions àperpétuité.

Lesbêtises qu'entend dire un tableau de muséemais leshorreurs qu'entend peut-être un cadavre.

Le poëte.Ah ! être admiré par une belle grue qui m'offre àcoucher !

6 mai.

Tristan àBoule-de-suif :

-- Je nesais pas ce que j'ai. Je ne suis pourtant pas cocardiermais çame fait plaisir de voir un officier prussien.

C'estplaisir de constater que Méténier n'ait aucun talentmême avec le talent d'un autre. Boule-de-suif deMaupassant a vieillimais il y a de la racede la distinctiondanssa rosserie. Méténier n'est qu'un homme vulgaire. Etpuistout cela n'est pas de la comédie. Les gens de métiermanquent de métier. Il faut à notre goût -- cen'est peut-être qu'une mode -- un peu de lyrisme dans labanalitéet un peu de rosserie dans la rouerie. On ne peutplus s'étaler comme ça : nous demandons des plis et desreplis. L'avare cache non seulement son argentmais son avarice. Ilfaut être impudique en y mettant les formes ; nous redevenonsbégueulesc'est évidentet les auteurs doivent entenir compte. Il n'en faut pas trop demander au publiccecis'entendant dans tous les sens.

Aux deuxSalons. Des portraits de femmes qui dégoûteraient de lafemme si ce n'était déjà faitdes paysagesinhabitablesdes murs entiers où Detaille et Gervex àgrands coups de pinceauxne mettent rienet des tableaux de familleoù le peintre a soin de se mettre bien en vuetout au bord.

7 mai.

Premièrecommunion : les petits sont tous blessés au bras gauche.

Je vauxpeu par les pièces que j'écrisbeaucoup par celles queje n'écris pas.

Il fautlire Chateaubriand comme on prend un bain d'azury entrer la têtehaute.

Fantecveut être le premier vacciné. Il tend son bras nujusqu'à l'épauleditaprès la piqûre : «Tu ne m'as pas fait mal »et s'évanouit.

Femme avecun double menton de lapin russe.

Réunirtoutes ces notes sous les rubriques « le Bien » et «le Mal ».

Avec deshommes comme Chateaubriand et Lamartineon voyage dans l'airmaissans direction.

Il y a unétat de paresse où l'espritlui aussisemble vivre deses rentes.

-- Vous meremerciez ?

-- Nondit la patronne : je vous flanque à la porte.

--J'avaisdit Guitryun adjudant quiun journous a donnécomme point de direction« le milieu du brouillard ».

La véritén'est pas toujours l'art. L'art n'est pas toujours la véritémais la vérité et l'art ont des points de contact : jeles cherche.

8 mai.

Pèreje t'oublie. Mon pauvre vieux papatu es fini !

Commentregarder la vie avec les méthodes de Claretie qui cataloguetout mais ne regarde rien ?

9 mai.

Chez JeanCharcot. Ressemble à un Claretie qui serait jeune et brun.Croit à l'influence de la lunemais seulement comme marin.

Jecraignais de faire des gaffes avec le nom de Léon Daudetmaisje m'aperçois que deux sujets de conversation seulementpassionnent Jean Charcot : les voyages et Léon Daudet.

Ayantépousé la petite-fille de Victor Hugoil s'appellelui-même « le prince consort ».

HugoDaudetCharcotces trois grands hommesn'ont pas pu créerle bonheurun couple heureux.

Il voyagebeaucoup sur un bateau qu'il commande. Il a une quinzaine de marins.Il va passer trois mois aux îles Féroë où ilfera des études sur le cancer. « Ah ! que c'est beau ! »dit-il comme quelqu'un qui n'est pas heureux à Paris.

Il necomprend pas qu'on tue pour le plaisirni un scorpion ni unmoustique. Il ne cueillerait pas une fleur ; mais il tue dansl'intérêt de la sciencele plus vite possibleparcequ'il croit l'homme supérieur à la bête.

Son pèreétant mort aux Settonsil a demandé à la mèreSeguin la patronne de l'hôtelde lui vendre le fauteuil oùle grand homme est mort. Elle lui a fait un tel prix qu'il a dûy renoncer. Vallery-Radot lui a d'ailleurs dit qu'il ne croyait pasque ce fût le vrai et qu'elle avait dû déjàle vendre à quelque Anglais. De sorte que Jean ne désireplus aller voir l'hôtel où son père est mort.

Sur unetableune photographie de Victor Hugo vieux que Jeanne trouve laplus ressemblante.

AGuerneseyà midic'était un coup de canon qui mettaitfin au travail de Victor Hugo Le soirà neuf heures et demieun autre coup de canon l'envoyait se coucher. Sa bibliothèqueà Guerneseyne se compose que de volumes dépareillés.Il lisait par exemplela première partie d'une étudesur la navigation et devinait le reste.

11 mai.

-- Tu asparlédis-je à Capusde la tristesse de l'hommefidèle.

-- Ah ?

-- Ouidans La Petite Fonctionnaireet cette remarque est de moi.

-- Ah ! Jesavais biendit-ilqu'elle n'était pas de moi maisj'ignorais qu'elle fût de toi.

Il dit : «Allons ! à mardouille ! » (pour : à mardi).

-- Tu nem'avais pas trompédit-il. La Bruyèrec'est bienmais Marivaux m'embête.

Il achètetrès cherdes petits complets à carreaux qui luidonnent l'air d'un ouvrier. Il dit : « Je suis malade. Je mesuis découvert un commencement de tuberculose. »

Rien n'estplus drôle que ce petit homme chauve qui a le nez toujourssaledes yeux « tâtonnants » de myopepoint defrontet plus d'esprità lui seulque Voltaire et noustous.

Pelléaset Mélisandemusique de Claude Debussy. Un sombre ennuiet comment ne pas rire de cette puérilité : le maridésignant sa femme : « Je n'attache aucune importance àcela » ! C'est de la conversation chantée. J'attends unerime qui ne vient jamais. Et cette succession de notes ! C'est lebruit du vent. J'aime mieux le vent. D'ailleursc'est aussi bien uneporte de grange qui tourne et grince. Des femmes disent : « Jesuis émue : ça suffit. » Non ! Il y a la qualitéde l'émotionetsi je ne sens rienje crois volontiers quevous sentez de travers.

Ah ! Unbeau couplet de café-concert ! On siffle. Quelques-uns disent: « Le littérateur ! Le littérateur ! »Est-ce à lui qu'ils en veulent ?

Tant pis !En musique je ne goûte que l'air qui me rappelle un air.

C'est unpublic spécial de dames riches qui ne vont que là ou àl'Opéra.

De beauxdécors.

-- Maisc'est de la mauvaise administrationdit Guitryque de faire debeaux décors pour une pièce qui ne peut pas avoir desuccès.

Et ilpousse d'énormes soupirs d'ennui qui viennent crever àla surface.

Maeterlincka raison de rire un peu de tout cet art de marionnettes.

Je suis unarbre qui ne produit pas tous les ans En maij'avais quelques fleurs: elles ont gelé à la lune rousse.

Aprèsavoir écritdans Le Figarodeux ou trois articlesviolents contre l'ExpositionBarrès se présentait dansun quartier où il fallait vanter les bienfaits del'Exposition. Comme Tristansurprislui rappelait ses articles :

-- Je suisparti de ce principe que rien ne se saitlui répondit Barrès.

LeCoeur a des raisons...de de Flers et Caillavet. Le meilleuracte que j'aie vu depuis longtemps. Il n'est que spirituelmais ill'est extrêmement. Avec un peu d'échenillagece seraitun chef-d'oeuvre.

La Penséede Pascal commence par « Le coeur a ses raisons »et non « des ».

J'en distant de bien à Mégard qu'elle est étonnée.

-- Çame rappelait Le Pain de ménagedit-elle.

-- C'estcent fois plus amusant !

-- LePain de ménage est plus intérieurmais je l'inondede lait.

Car c'estvraiment délicieuxet d'une abondance ! La qualité dusentiment n'est que médiocremais la qualité del'esprit est de premier ordre.

Comme onsait gré à l'auteur de ne pas nous obliger àmentir ! Car le moins flatteur d'entre nous ment septante fois parrépétition générale.

L'oie quifait sa proueson devant de carène.

-- Commevous avez la peau blanche !

-- Ouimais c'est bien salissant.

Daisy.Le Coeur a des raisons.... Comme c'est humiliantle théâtre! Au fondpersonne n'y connaît rienque le publicqui a sesraisons que les gens de goût ne connaissent pas.

Ce soiràla répétition généraleil y arenversement : ce n'est plus la répétition privéed'hier. Fort déchetà mon goûtsur l'acte de deFlers et Caillavet. Au contrairel'acte de Bernard marche bienmeparaît meilleur et d'une autre qualité que LeCoeur.... Et Legendre dit : « Ça m'a donné uncoupça sent le chef-d'oeuvre ! »

Polaire sefait présenter par Willy.

-- Tout lemondedit-ellem'a dit : « Poil de Carottevoilàun rôle pour vous. »

Un petitanimal curieuxpas joliet qui vous donne la main gauchementcommesi c'était une pattelevée à la hauteur del'oeil. L'air d'un guichard un peu écrasé.

-- J'ailuce matinune ou deux pages de Flaubertdit Capus. Il n'écrivaitpas si bien que ça.

-- Je lesaisdis-je. Flaubert n'est pas naturel. Il ne sait pasécrire de naissance comme VoltaireRenanMme de Sévigné.Son stylec'est toujours un peu un style de thème. Il lefabrique sur l'heure ; quelquefoisc'est manqué. Son styleest de la peinture : quelquefoisil barbouille.

A Chaumot.Cousine Nanette fait cuire dans un pot ses pruneaux pour ses galettesde demain. Ça sent bonquand elle soulève le couvercledu pot.

On estbiensous la cheminée. En penchant la tête on voit leciel comme si on était dehors. On se grille les pieds et onreçoit des gouttes de pluie.

Elle ditd'un petit air vaniteux :

-- Je neconnais pas les lois là-dessusmoi !

23 mai.

Lune. Onla voit en plein jour comme une marque de doigt sur du papier-bullesur l'azur.

Cerveau.L'homme porte ses racines dans sa tête.

L'homme sejeta dans le canalderrière le sanglier blesséettout en nageantil lui donnait des coups de serpe. Sur l'autre bordle sanglier arriva mort.

Ragotte al'air d'un petit monstre taillé dans du bois.

24 mai.

La mortce serait le rêve side temps en tempson pouvait ouvrir unoeil.

L'éperviercherche des oeufs de perdrix. De ma fenêtrej'en vois uns'arrêter au-dessus d'un champ et palpiter en l'air comme unepaupière qui a pris un moucheron. Malgré le ventil necède pas d'un coup d'aile.

Quand onparleon ne voit pas ceux qui écoutent : les mots font commeun rideau de feuillage ; le discours finiécarté lefeuillagej'ai vu que les visages étaient frappés destupeur.

Claudineen ménage. C'est pour distraire le ventre. L'honnêtehomme se sent un peu niais. A la fintoutes les fripouilles vontpasser quelques mois à la campagne. O naturebeaux arbres !Etsi ça se vendl'auteur les rejoint.

Parfois jefrissonneparce que j'entends la voix de Maurice dans ma voix.

Ilsn'invitent jamais à dîner : quand il y en a pour uniln'y en a que pour un.

La vie estcourtemais on s'ennuie quand même.

Sécuritéd'un lacet neuf.

26 mai.

Lemeilleur atout de la bêtise méchante des unsc'estencore l'intelligence généreuse des autres.

Les bêtesme font rougir de mes plaisanteries sur elles.

28 mai.

Une petitefemme raconte qu'elle a visité le Vésuve avec son ami.Arrivés en hautun coup de vent a flanqué le chapeaude son ami dans le fourneau. Donnay met le mot dans une de sespièceset la petite femmetoute fièrelui ditd'unpetit air modeste :

-- Voustrouvez ça spirituelvous ?

30 mai.

Oh !dis-je à Capusdes hommes veules comme toi me démontrentla nécessité de l'existence d'un Dieu qui ne serait làque pour te direquand tu arriveras devant lui : « Ça atrès bien marchélà-bas ! » et qui tefera dégringoler les escaliers du ciel.

Saveulerie béate donne envie de rester pauvrede n'avoir pas desuccèset d'avoir du caractère.

S'iln'avait pas de talentil serait le plus méprisable de noustous.

Il enarrive à dire :

-- Je n'aiété contre les répétitions généralesqu'un jourmais c'était justement celui où laCommission des auteurs a décidé leur suppression.

«Est-ce qu'on a besoin d'être aidé ! Que me parles-tu desjeunes ! Il ne s'agit pas de défendre des intérêtspersonnels. A quoi ça sert-il d'être recommandé ?» dit cet homme du Figaro et de tous les Journaux.

-- Ouimon vieuxlui dis-je.

-- Je suismembre du comité de lecture de l'Odéon. Nous sommestrois : Bernard-Derosne et je ne sais plus qui. C'est Ginisty qui mel'a demandé après la mort de Fouquier.

-- Et quoiça consiste-t-il ?

-- A nerien faireà refuser toutes les pièceset àcouvrir Ginisty qui ne joue que celles qu'il veut.

-- Et tuas accepté ?

Et sesjugements vagues sur les classiques dont il a vaguement entenduparler ! Il a l'air d'un homme qui s'instruit après son succèspour ne pas être collé par des gens du monde.

Tailhadesa figuresa pommette écrabouillée par la bouche. Desyeux qui s'occupent chacun de leur affaire dans une figure tropviandée. De la politessedes manièresun peu ahuripar Capus et se croyant obligé de lui dire des banalités.Pauvre costume qu'il semble avoir fait dans sa prison.

Admirebeaucoup Micheletsurtout le Michelet de La Réforme. Aécrit lui-même que Jeanne d'Arc n'a fait que diviser laFrance qui sans elleeût été la France etl'Angleterre.

Je luidemande quel est le classique qu'il admire le plus.

-- Oh !dit-ilje n'aime pas les distributions de prix.

-- C'estun examen de consciencedis-je.

Ons'arrête à Pascalbien que « ses idées...»dit Capus.

Tailhadeva traduire Suétone.

-- Je letraduirai tel queldit-il. Je ne me charge pas de refaire sonéducation.

Il vientde passer six mois en prison.

-- On nem'a pas trop accablédit-il. On n'a pas ajouté dehors-d'oeuvre à ma peine.

Paul Adamécrit tous les joursde sept heures du matin à uneheureses deux ou trois cents lignes « pour payer son train demaison ». Supériorité de l'homme quis'astreindrait à un pareil labeur pour rester pauvre.

-- Quandon ne sait pas le grecdit Tailhadeil faut lire les Grecs dans lestraductions latines.

-- Ouidit Capusmais on se heurte à un second obstacle : il fautsavoir le latin.

Il a malau pied.

-- Dame !A force d'écrire...

A Donnayqui voulait Mlle Muller pour jouer Le Torrent :

-- Maisquel est le rôle ? dit Claretie. Un rôle d'ingénueou de jeune première ?

-- Je nesais pasmoirépond Donnay.

-- C'estimportant ! Ingénue ou jeune premièrevoilà laquestion.

-- Je nesais pasje ne sais pas. C'est une femme.

-- Bienbien. Vous m'autorisez à le lui dire ? demande Claretie.

D'êtremalade habitue à mourir. Donnez-moi une bonne migraineet jeme tue.

Une femmeayant un domestique nègre accouche d'un petit vraiment tropnoir.

-- S'il nechange pas de couleur celui-làdit le monsieurj'en connaisun que je flanque à la porte !

Baïedit de la corne : la pelle à souliers.

1er juin.

Motocyclettede course : une bête de noire ferrailleavec deux longuescornes.

Le goûtest une maladie mortelle. C'est le « A quoi bon ! »littéraire.

Un jeunehomme et une jeune femme si beaux qu'on se demande : « Pourquoine sont-ils pas couchés ? »

Mon pèrene s'est-il pas tué par peur de la mort ?

Des gensvivent plus tranquilles parce qu'il viennent d'acheter leur place aucimetière. Il semble qu'ils sachent désormais àquoi s'en tenir sur le lendemain de la mort.

La volontén'est pas loin : nous la sentons derrière la porte. Impossiblede la faire entrer.

Ma paresseest presque aussi curieuse à regarder que le travail.

3 juin.

Hiermatinje n'aimais pas Shakespeare. Hier soirle dernier acte deShylock me remuait une livre de coeur. Du bout du doigt je mefrottais le coin des yeux. Est-ce qu'il va me falloir aimerShakespeare ?

Guitryn'ose plus entrerle soirdans un caféde peur de gênerses fils.

Sachaavec un jeune hommeau Café de la Paix. Chapeau hautde forme sur l'oreillehabit à revers rayés comme pardes allumettes. Il se lève à notre passage. Echange depolitesses.

-- Allonsau revoir ! dit Guitry. Tu es excédé.

-- Oh !papa !

De JeanGuitry dit qu'il est fort en toutexcepté en français.

-- Ah !c'est une pointe ! dit Jean. Sachaqui a déjà faitjouer un acte aux Mathurinsa gagné deux cents francsce mois-ci.

-- C'estjoli.

-- Nousétions deux pour faire la pièce.

Ils sontcharmants et pas bêtes.

Le pèreet les fils ne peuvent se regarder sans sourire. Le sourire les sauvede la gêne.

4 Juin

--Qu'est-ce que ça peut donc bien être qu'un substantif ?dit Baïe.

-- Leproferoque de math ne donne pas d'exempettes pour racheter sescollesdit Fantec.

-- Je veuxêtre l'homme de France le plus fort en grecdit-il aussi.

Qu'importeque je ne demande passi je désire qu'on m'offre sans que jedemande ! N'est-ce pas aussi misérable ?

Son pèreet sa mère sont conciergesde l'autre côté de laplace de la Républiquechez un fabricant de boutons. Leurlogec'est un trou noir. Pour se coucherils montentavec uneéchelle qu'ils ôtent ensuitenon par prudencemaisparce qu'elle les gênedans une soupente divisée endeux parties : dans l'une couchent le père et la mèredans l'autre- les quatre enfants. Tout ça respire par unelucarne qui donne dans la loge.

Ilsespèrent se retirer à Chitry avec des rentesmais ilsseront morts à cinquante ans.

7 juin.

Tristanadmire l'intelligence de Schwob. Luiintelligentest-ce-bien sûr?

Le talentde Schwobc'est une mixture de vinsce n'est pas un vin. Je memoque de cette intelligence. Tous ses contesil les a empruntés.

Il atraduit Hamlet et Francesca da Rimini. Il a un style detraducteur exact.

Pasd'esprit. La préoccupation de savoir des choses que personnene sait. La mauvaise humeur d'un artiste qui n'a jamais rien trouvétout seul. Une affectation à ne lire que le livre qui est saleet vieux.

Une âmeet un esprit de vieille femme.

Un homme àvous dire : « Etes-vous content d'avoir sur moi la supérioritéde m'avoir prêté cent sous ? »

Il meferait regretter de n'avoir pas été antisémite.

Rodogune.Anniversaire de Corneille. Dans la baignoireGuiches me parle deRollinatde Villiersqu'il a connus.

Il a faitdu Rollinat jusqu'à ce qu'un de ses amisqu'il assommait enlui lisant ses verslui ait dit : « Ce n'est pas ta voie. »

Villiers.Son petit garçon rentre en larmes : il a reçu des coupsdu fils du marchand de vins d'en face. « Tu les lui as rendus ?-- Non. -- Pourquoi ? -- Par peur. » Villiersqui avaitcommetous les hommes petitsle goût de la foroeet qui boxaitmène son fils chez 1e marchand de vins qu'il trouve àtableen famille. « Monsieurdit Villiersmon fils a eu peurdu vôtre. C'est à recommencer. Nous allons les fairebattre. » Tandis qu'il écrivait Le Tueur de cygnesla bonne de son fils avait toutes les peines du monde àl'empêcher d'en tuer un.

En cetemps-làGuiches faisait du Rollinat. Il avait écritune longue pièce intitulée Les Ratsqu'ilrécitait tout entière dans un salon. A la finune deces dames lui dit :

-- Ehbienmonsieurquoique nous habitions une maison neuvec'est pleinde ratschez nouset nous ne pouvons pas nous en débarrasser.

-- J'eusla lâcheté de répondredit Guiches : «C'est très curieux »et de continuer en indiquant lesmeilleurs poisons pour exterminer les rats.

Rodogune.Le 5e acte est une belle chosesauf le truc de la coupequi manquede noblesse.

-- Et cen'est pas encore avec çadit Tristanqu'il va s'acheter unepaire de souliers.

9 juin.

Je n'aimelire que les livres qui m'appartiennent : le livre de la vieparexemple.

10 juin.

Une bellefemme timide. Elle s'en tire en se tenant comme une tour sans porteni fenêtres apparentes.

On a beaufaire peu de livres : les gens persistent à ne pas lesconnaître tous.

11 juin.

Rachildelit ses quarante volumes par moisà la queue leu leusansprendre une note. Elle fait seulement une corne quand elle veut citerun passageet le jour venud'un trait elle écrit son articlesur tous les livres qu'elle a lus dans le mois. Maisbientôtelle ne pourra plus. Bien qu'elle soit mordantetous les auteurseneffetlui envoient leurs livres. Ils savent qu'au moins elle lesliraen dira un motet que ça ne leur coûtera rien.

Les librespenseurs qui se convertissent me font l'effet de ces hommes chastesqui méprisent la femme jusqu'à ce qu'ils se fassentengluer par la première vieille peau venue.

12 juin.

Un livrequisoudainse trouve mal dans son rayonet tombe.

13 juin.

Nuit.Mille réveilsdontunbrutal à me faire sauter dulit à terrele front en sueuret les pieds là-bassous une montagne de neigeet des cauchemars où il semblequ'on repassesans ordretous les rêves de sa vie.

De Heredia: ce n'est pas de l'ormais du fer doré. D'ailleursc'estdéjà ça.

14 juin.

Le chatconfiantcroit que mes pieds ont un oeil.

Opéra.La Walkyrie. C'est l'ennuile carton et la niaiserie du feude Bengale : un 14 Juillet à Chaumot. Pas une minuted'émotionde vraie beauté. Seulela chevauchée-- les montagnes russes -- dans l'oragem'amuse. Et ils en sontavares.

Quepuis-je penser d'une oeuvre qui ne touche pas un homme sensible detrente-huit ans ? C'est bien la peine de passer sa vie àchercher des impressions vraiesà exprimer des sentiments quiaient le goût de la véritéavec des mots exactssi le bric-à-brac poëtique est de la beauté ! Cequi est beauridiculement beauc'est l'Opéra. C'estofficielministériel. C'est une espèce de grand caféoù se donnent rendez-vous les décolletages et lesdiamantset des sourds qui veulent faire croire qu'ils entendent.

Un vieuxmonsieur se plaint qu'on fasse trop de bruit dans les coulisses -- onarrête l'orage -- etdeux minutes aprèsil s'endort.C'était donc pour ça ! Je ne connais rien de pluslâchede plus dégradantque ce snobisme.

Ah ! vouspouvezDelmas -- oh ! cette petite boucheet cette mèche decheveux dans l'oeil gauche ! -- Brévalbelle dans votrearmure de poisson comme un beau poisson d'argentvous pouvez chanter: les lorgnettes ne vous regardent pas.

D'ailleurson triche. On ne vient qu'au 2e acteet même qu'au dernier.Pourquoisi c'est beau ? Et puisça fait mal aux oreilles.L'un d'euxqui doit relever d'une otitea une bande de taffetas surl'oreille.

-- Il apris ses précautionsdit Guitrymais il a tort : ce qui luientrera par une oreille ne peut sortir par l'autre.

Et que demollets dès l'entrée ! Tous ces larbins qui nousferaient croire que c'est le palais des dieux ! Et jamais uncontribuable ne se lève pour dire : « Rendez-moi monargent ! »

Puisque jen'ai pas tout : beautéforcegénierichessej'aimeautant rien.

Paris.Tous ces yeux que nos yeux croisentqui cherchent le bonheur !

L'échancrurede corsage d'une jeune femme pâleet qui ouvre un peu labouche à l'airnous trouble plus que tant d'obscénités.

16 juin.

Laïcc'est l'homme qui cherche Dieu sans cesse et ne le trouve jamais.

Je finiraipar ne plus pouvoir me passer de Paris. J'aurai l'angoisse de lasolitude. Après une journéenon de travailmaisstudieuseil me semble qu'une sortiele soirsur les boulevardsces lumièresces femmesce mondec'est une récompense.

Lafidélité pendant la viece n'est rien ; mais mourirparaître devant Dieu sans avoir trompé sa femmequellehumiliation !

Il fait silourd que pas une de mes feuilles de papier blanc ne remue.

Indiscret? Non : pas discret.

Nous nedisons plus « ma lyre ». Nous disons : « Je. »

Je n'aijamais pu aimer qu'une seule personne à la fois.

Ungouverneur d'une île comme la Martinique voit la terretremblerse frotte les yeuxpris d'angoisse. On accourt lui direque c'est un tremblement de terre et que tout un quartier de la villeest enseveli.

-- Ah !dit-ilvous me rassurez. Je croyais que j'avais un étourdissement.

Guitry dità Vandérem :

--Laissezlaissez ! Je suis plein de monnaie.

Etcommeil ne la trouve pas :

-- Maispas de vif argentdit Vandérem.

Silencesindiscrets.

18 juin.

On a descouragesnon pas du courage.

20 juin.

Le rêvene produit pas ni ne chauffe. C'est quelque chose de mort qui vasans libertédans l'espacecomme la lune.

Dèsqu'on s'aperçoit que la vie est limitéeon ne perdplus de temps à chercher une morale : il faut vivre...moralement.

Fantecsourit à sa mère quand il voit une femme grosse ouqu'il vient de lire Madame Bovary. Ça ne le troublepas. Ça lui paraît comique. Il est heureux de pouvoirs'en amuser sous l'oeil de sa mère.

23 juin.

Blumnerveuxvibrant comme une tige d'acierencore ébranlépar les images qui lui reviennent de l'accouchement de sa femme.

Trèsadmirateur de l'intelligence de Retzil le trouve moins grandécrivain que Saint-Simon ; me dit que Jaurès passeracette législature à poser nettement la questiond'Alsace-Lorraine. Habituer la Chambre et le pays à entendredes paroles qui ne sonnent pas fauxvoilà le programme.

Blum faittrois actes sur La Colère. Coolus m'a dit que son hérosne parle pas comme un homme en colèrequ'il ne jure pasassez. Maisle meilleur moyen de faire du théâtreoriginalc'est d'en faire qui ne soit pas trop « théâtre».

L'importancedu petit médecinson aplomb à pronostiquer quand ilest sûr qu'il soigne une maladie insignifiante.

Une rosequi a trop chaudse dévêt de ses feuillesune àune.

La mortnous « essaie » souvent.

Celtejen'ai jamais su ce que ça pouvait bien être.

J'ai unetête pareille à la grenouille qui veut se faire aussigrosse que le boeuf.

Capuscontinue de s'instruire et lit Bajazet.

Théâtre.J'appelle « plan » le développement naturel descaractères.

Vagabondvieux comme les rues.

Pour voiril faut d'abord ôter tout le rococo qu'on a dans les yeux.

Quand onpense au chagrin de ceux qu'on laisseraiton se trouve tout de mêmeun peu moins inutile sur la terre.

C'est dela banalité qui ne plaît pas : c'est presque del'originalité.

Je gardepour mon petit village tout ce que je n'ai pas donné au grandParis.

Avec malanternej'ai trouvé un homme : moi. Je le regarde.

24 juin.

Il fautqu'il soit bien habillémais il ne peut s'acheter que dessouliers à 4 fr. 50des chapeaux de paille effroyablementblancs

Il neserre pas trop sa cravateparce que ça l'userait.

Fantec neveut pas se marierde peur d'avoir une femme comme Mme Bovary.

Quand jepense à tous les livres qu'il me reste à lirej'ai lacertitude d'être encore heureux.

25 juin.

Allaisconstate avec sévérité les imperfections del'hommepuisphilosophe :

-- Bah !dit-il. Quand on remonte à l'époque où il a étéfait !...

La filledu principal du collège d'Honfleur dit :

-- La luneest pleine.

-- Ouirépond Allaiset j'ignore qui l'a mise en cet état.

Quoiqu'ilgagne de 15 à 20 000 francs par anil est dans une situationdésespérée.

Il écrità Guitry qu'il va se suicider. Guitry lui répondd'attendre tout de même un peu et lui envoie 500 francs.

Il y aquelque chose qui effraiedans la veine de Guitry : c'estl'inconsistance de ses projets. Il n'a peut-être que le don desavoir profiter de sa veinemais il est incapable de la fairenaître.

Il a mêmeeu une veine en amis. Il a dû avoir des amitiésstupidesmais il se les est tous assimilésetsi demain ilétait l'ami d'un homme de génieil en bénéficieraitpleinement.

L'écrivaindoit créer sa langue et ne pas se servir de celle du voisin.Il faut qu'on la voie pousser à vue d'oeil

26 juin.

L'instituteurd'Avril-sur-Loire me demande une préface pour un recueil dechansons. Comme j'avoue mon incompétenceil m'envoie un plan: 1° la chanson en général ; 2° félicitationsà l'auteur.

Quand ellea voulu se remariercomme elle avait un fils de dix-huit anselle acru devoir lui demander conseil. Il lui a répondu :

-- Non !non ! Je ne t'approuve pas. Pourquoi un mariage ? Si tu l'aimescegarçonoffre-le-toi.

Elle a vuson caveau. Elle est bouleversée de tristesse et de peur. Ellea regardé au fond.

-- Oh ! machèrece qui nous attend ! Ce trou ! Ce trou !

Rue duRocherla seule où se promène encore une poule.

28 juin.

Capustout noirci par le soleil. Une santé boulotte et ferme. La viene peut plus rien contre lui.

-- Tuverras ! J'ai mon hall. C'est très beau.

-- Cher ?

-- Le prixd'une maison : quinze mille. Je ne les regrette pas ; et puisc'estfini. D'ailleursce qui coûte cherc'est le courant. J'aifait couper tous mes foins sous prétexte qu'ils étaientmûrs. Ils m'embêtaient. Un pré rasc'est bienplus beau que cette herbe monotoneet puisje ne voyais pas mesvaches. Et mes cochons sont très bien.

«Ouioui ! Je connais ce petit hôtel d'Honfleur. Je l'ai habitéd'une façon rapide et convulsive. C'est un hôtel infectavec des couettes dans le lit. Quand on est deux ou troislà-dedans... Tu rissalaud !

« Ilne faut plusau théâtred'emmerdement volontairecelui d'Hervieupar exemple. Autrefoisc'était une desbranches de l'art dramatique. Aujourd'huiça n'est plussupportable.

«Pour éviter l'appendiciteil ne faut pas se servir decasseroles émailléeset il faut se purgermais pascomme on fait aujourd'hui avec de petites drogues : à grandeeaucomme se purgeaient nos pèresdu temps de Molière.

« Ily a des gens odieux qu'on ne peut pas voir et des gens odieux qu'onne peut pas se passer de voiret qui sont de vieilles habitudes dehaine.

« Lacoupe de trois actesqui semble idéalene me suffit pas. J'ysuis gêné. Une histoire d'amour ne peut avoir son pleindéveloppement qu'en quatre actes. Pour ma saison prochaineilme faut une pièce en quatre actes pour Guitryet une pièceen cinq actes et huit tableaux pour les Variétés.

«Dans un spectacle bien composéil faut que le lever de rideausoit nul et anonyme et puisse être joué par des acteursqu'on ne retrouvera même pas comme domestiques dans la piècesuivante.

« Ily a des ennemis qui donneraient de la volonté au plus mou.D'ailleursau moindre geste ils s'effondrent. Il n'y a aucun plaisirà faire quelque chose contre eux.

-- Tu asdes cèdreschez toi ?

--Naturellementdit-ilsachant bien qu'il n'en a pas. J'ai aussi desplatanes. »

On achètedes tableaux pour les revendre plus cherou pour avoir au moins ledroit de dire : « Aujourd'huije les revendrais ça. »

30 juin.

Rêves.Et je rêve encore que je vais en classeque je ne sais pas mesleçonsque je m'éclipse au moment de réciteret que le professeur -- un mélange de tous les professeurs quej'ai euset même que je n'ai pas eus -- écritsur moncahier de correspondanceque je me relâche. Etdans ce rêvepuérilje sais que j'ai trente-huit anset cela redouble maconfusion.

La mortcette marchande de sable pour tous les yeux. Elle a plus de sable àvendre que la mer.

Willy :son verre n'est pas grandmais il boit dans celui des autres.

Dusacrifice intéresséc'est déjà bienjoli.

Philippe.Je ne l'ai jamais entendu prononcer le mot « délicieux».

2 juillet.

LePassé. Répétition généralePorto-Riche à Brandès :

-- Vousm'avez fait pleurer. Vous en ferez pleurer bien d'autres !

Ah ! ceshommes qui passent leur viecomme des cerfsà pleurerd'amour !

C'est legros succès. Des hommes ventrus et vulgairesqui se croientdes hommes à femmessemblent dire : « Comme c'est beau! Comme c'est bien nous ! »

Une bellejournée pour Brandès. Mirbeau dit :

-- Brandèsest admirable. Maisl'amourqui ça peut-il intéresser? Est-ce qu'on parle tout le temps des cabinets ?

Et Lacourqui est un peu professeur de féminismeproteste : l'auteur ale droit de parler d'amour

-- Maisenfinest-ce que ça existeles hommes à femmes ?

-- Ilparaît.

Tristanqui vient de se faire tailler la barbea les oreilles pleines depoils coupés qu'il tâche de retirer et qu'il écartesur sa figure. Il trouve qu'il y a des choses « trèsbien ».

Silvaindit :

-- Hein !Ça doit vous plaireça ? C'est écritliméfouillé !

-- Ouioui ! Maisce que j'admire surtoutc'est Brandès.

-- C'estla première comédienne du tempsdit Silvain

-- Je nel'avais jamais vue comme ça ; dit quelqu'un à Le Bargy.

-- Sidans Les Tenailles.

-- C'estcent milliards de fois plus beau qu'Amoureusedit Bady àPorto-Riche.

- Il aimele théâtre comme accessoiriste ou comme habilleur. ChezDevalen plusil jouait de la grosse caisse etdans la coulissechantait deux couplets d'un laboureur.

-- De lagrosse caisse ! Vous êtes donc musicien ?

-- Nonmais j'ai tout de suite attrapé le coup.

-- Voussavez donc chanter ?

-- Jechante assez bien.

-- Est-cequ'on vous applaudit ?

-- Oh ! çane s'applaudit jamais.

Il vaentrer à la Chorale de Paris. C'est très bienet on y a de jolis prix. Il voudrait être accessoiriste àl'Opéramais il est malade. Il a une partie du dos commemorte. On a beau le frictionner : il ne sent rien.

-- Voilàdit Valdagne. On veut me décorer. Je veux bien me laisserfaireetà cause de ma librairieje m'occupe de çamoi-mêmema femme étant malade. Vous m'avez dit un jourque vous connaissiez Bourgeois.

- -- Non :Leygues. C'est égal.

Comment sefait-il que tout le monde ne soit pas décoré ? Oùest l'homme qui oserait dire. « Je ne connais aucun ministre »?

10juillet.

Ne pasprendre de la mauvaise humeur pour du bon goût.

Aurestauranttimide toute la soiréeje me rattrape en disantau garçon d'un air sombre : « Donnez-moi du pain rond. »

Chaquefois qu'on se fait photographieron croit qu'il va naître undieu.

Arbres sibas que les feuilles peuvent caresser leur ombrepar terre.

Honfleur.C'est adorableces petites villes. Il y a des fenêtres dequatre sous qui ouvrent sur la merl'embouchure de la SeineLeHavreun des plus beaux panoramas du monde.

11juillet.

Il y abeau jour que j'ai renoncé à rougir de ma vanitéet même à m'en corriger. De tous mes défautsc'est celui qui m'amuse le plus.

12juillet.

Une femmeallait mentircomme d'habitude ; elle s'est retenueparce qu'elleest en deuil.

15juillet.

Le coeur.Que d'histoires ! Que d'histoires ! Ils ont tout embrouillé.Tout est à recommencer. A force d'exagérationc'estdevenu insignifiant.

18juillet.

Lacréation du monde continue.

21juillet.

Je connaisbien ma paresse. Je pourrais écrire un traité sur ellesi ce n'était un si long travail.

Ledétestable émotion dont il faut surveiller lessurprises. Elle profite des sommeils de notre ironie.

La rêverien'est qu'une pensée qui ne pense à rien.

22juillet.

-- Lavanitédit Tristann'est qu'une maladie de peau : ce n'estpas une maladie organique ; on se gratte avec plaisiret çapasse.

-- Ouidis-je. La vanité d'un artiste est quelque chose de charmantsi elle reste sincèreet l'on devrait aimer sa vanitéqui le livre à chaque instant. Fantec n'est pas vaniteuxdis-je à Guitryetcelaà un point étonnant.Je le provoquemais rien ne perce. Rien qui me fasse crier : «Ah ! voilà mon fils ! »

-- Il vousressemble en cecime répond Guitryqu'il ignore comme vousce que c'est que la modestie.

23juillet.

Non ! Non! Je ne suis pas de ceux qui feraient « bonne figure sous unegrêle de balles ».

Combien defois me serai-je cru mort avant de mourir !

Il y a unacteur anglais qui joue La Case de l'oncle Tom tous les soirsdepuis quinze ans.

L'oie. Achaque pas qu'elle faitsur la terre humide elle laisse une image defeuille.

L'éléphantavec ses grands sabres d'ivoire aux dentsdont le nez traîneet qui se mouche sur son ventredans ses jambes.

Mêmeà terrela cigogne semble perchée.

Le pélicanqui porte son bec dans son tablier.

L'autrucheà égale distance de son bec et de ses pieds.

Guitry. Levoilà directeur de la Renaissance. Et Roujon accepte sadémission. Mais il n'est pas décoré : il s'enmoqueet c'est peut-être le seul homme capable de dire çasincèrement. Ça ne l'a touché que comme unemuflerie. On lui avait délégué BaudinArèneCapuspour lui dire que c'était signé ; un ministre nevoulait pas s'en aller sans voir Guitry décoréetc. !Et ils lui font cette muflerie.

-- Çales regardedit-ilmoipas.

-- Je vouscrois sincèredis-je. Tant pis si je me trompe !

Jeremarque bien un petit énervement : ce n'est peut-êtreque la joie d'être directeur de la Renaissance.

Capus luia expliqué le coup avec sa tranquillité habituelle :

-- Vousles embêtez. Vous aviez tout remis en ordre. Ils ont tous vouluse réconcilier sur votre doset ils décoreront LeBargy : voilà.

Vais-jedevenir un vieux bonhomme qui écrit des épîtresen vers à son chatà son chienses seuls amis ?

Si j'avaisdu succèssi je gagnais de l'argentsi les femmes couraientaprès moiest-ce que je ferais le dégoûté? Je manque d'élégance. Il faut aimer la vie malgrétout. Il faut être un peu plus chic que ça. Allons donc! La vie est belle.

Lesanimaux. Au sortir de l'arche de Noéils se débinent.

24juillet.

Théâtre.Mais le pompon est à qui fait engueuler un roi par un de sessujets.

-- Dumaspèredit Capusavait le genre de facilité quiplaisait au goût du jour. Il y en a une qui doit plaire auxgens d'aujourd'hui. Il ne s'agit que de la trouver.

Le Boisle soir. Des fiacres de gens qui ne pensent qu'à ça.

La luneest une délicieuse poëtesseet notre sensibilitéserait en deuilmortellement blesséesi la lune venait às'éteindre. Le niveau de la poësie baisserait.

L'automobilechoque dans un paysage lunaire.

On rêveen regardant le dos du cocher. Quel drôle de métier faitcet homme !

Le clairde lune est si beausi douxqu'on est plein d'indulgence pour lesodeurs qui viennent du cheval. Personne n'a l'air de s'en apercevoir.Question de tact.

2 août.

«Cocu ». Chose étrange que ce petit mot n'ait pas deféminin.

L'escargotpromène son petit chignon.

L'éruditionde ceux qui méprisent le Larousse et qui s'imaginent qu'ilsn'y apprendraient rien.

-- Capusdit Tristana d'abord dit qu'il était pour la libertéde l'enseignement. Puiscomme je disais le contraireil s'estinstallé dans mon opinion et m'en a chassé.

Dans mabibliothèque tournanteles livres ont le mal de mer.

Quand unhomme illettré cite du latinvous pouvez être sûrque c'est un gentilhomme.

Chitry.C'est la première foismais je préféraisl'incognito. Tout à l'heureen passant devant l'aubergej'aientendu des gens parler fortet l'un d'eux a presque criéense retenant tout de même : « Poil de Carotte ! »Est-ce que je serai obligéun jourde me retourner et derépondre : « Et vouscomment vous appelle-t-on ? Poilde voyouou crapule ? » Est-ce que Poil de Carotte varecommencer et me rendre ce pays inhabitable ?

Dire quesi jamais j'ai quatre-vingts ans et que je sois obligé d'êtreun maire « à poigne »les gamins me courrontaprès en m'appelant Poil de Carotte !

Sur unegrosse jument suivie de son poulainqui est déjà ungrand garçonil va voir ses propriétés quitouchent aux miennes. Les jambes écartées et raidesilsaute sur son derrièreà me faire mal.

On coupeles blés. Un fermier attrape un petit gars qui s'y prend malpour lier une gerbe. « A ton âge !... » dit-il.

La cruchecomme une petite bossueà l'ombre d'une gerbe.

Unmoissonneur aiguise sa faux. Il a mis ses lunettes ; c'est leprogrès.

Chaquetige s'est fait enlacer par une herbe.

Les poulesse font des nids dans la haie.

Les gerbessont liéesles unesavec une cordeles autresavec un liende paille.

Lesperdrix doivent se dire : « Ils nous ravagent notre patrie ! »

3 août.

Son hommeest revenu. Les uns lui conseillaient de le recevoirles autres l'endétournaient. Elle l'a laissé entrer. Il a passéprès d'elle la mauvaise saison. Les beaux jours revenusil atravaillé un peuil a bu l'argent qu'il gagnaitet il estreparti. Il y avait trente francs à la maison : il ne les apas laissés.

Elle restetoute seule avec ses quatre enfantsplus un cinquièmequi sevoit bien à son ventre pointu. Elle raconte ça sur lepas de sa porteetcomme elle parle hautles voisins écoutentet « rigolent ».

La perdrixfait le bruit d'un dard qu'on aiguise.

4 août.

Prix àCorbigny. Le comte d'Aunaytype du diplomate faisandé. Trèsfort au jeu du lorgnonqu'il pose et reprend à chaquetransition. Un peu démonté parce que personne nel'attendait à la porte de la salle des fêtes.

Iln'embrasse pas les petites filles : ce doit être de mauvaisgoût. Il lit leur nom sur la fiche du prix et demande leur âge.Il croise les jambes pour montrer ses souliers vernis et seschaussettes de couleur à raies.

Mon père.J'ai des remords de ne l'avoir pas aimé comme je devaisparceque je souffre des mêmes choses dont il a dû souffrir.

9 août.

CousineNanettetoujours en ébullition. Nous affectons de ne pas noussalueret de nous parler sèchement.

Ellem'appelle « monsieur ».

-- Faut-ilqu'il vous dise « madame » ? demande Marinette.

-- Mais jesuis une dame ! dit-elle.

-- Elle araisondis-jede m'appeler « monsieur ». Elle devraitmême m'appeler « monsieur le Président »comme elle a fait l'autre jourà cause de ma décorationdisait-ellequ'elle trouve jolie. Et il faut qu'elle en prennel'habitude et qu'elle la garde.

Mon ton devoix l'inquiète.

-- Commeon se parle ! dit-elle à une femme qui est là. Oncroirait que nous sommes fâchés.

-- Nousn'en sommes pas si loindis-je en m'éloignant.

Mais ellebout : c'est peut-être moi qui ai dit à monsieur Combesde chasser les deux Soeurs de Chitry.

Il va bientravailler chez les autresmais il ne veut pas y manger. Il nedemande pas à être payé plus chermais il veutrentrer chez luiet il ne mange que de la cuisine de sa femme.

C'est lafin. Depuis qu'il ne peut plus faire sa partie de cartes àl'aubergele vieux s'ennuie à mourir. Il devient sourdet ilpleure tout le temps.

La vieillene trouve plus ses mots. Elle cherche le mot « grippe »et gémit jusqu'à ce qu'elle l'ait trouvé. Ellen'avait déjà pas la tête solide : en remontantune horlogeelle est tombée sur la têteet c'est lereste.

Maman estcontente de n'être pas à ce point décrépite.

Seuleleur fille se tientet leur dit : « Vous avez assez travaillé! Restez donc tranquilles »comme elle leur dirait : «Allez vous asseoir ! »

Dèsqu'ils n'ont plus le goût de gagner de l'argentautant vautdire qu'ils sont morts. Leur cerveaumal soignémeurtd'abord et les entraîne.

Personnen'est pour la liberté de consciencesauf les indifférents.

Le chiendu Bouquin aboie tous les soirsnon à la lune -- il n'y en apas -- mais au mystère. Il rend son hommage à Dieu.

11 août.

Paresse.Quelquefois elle me semble un signe de mort. Il n'est pas possibleque cet état persisteet je vais bientôt mourir.

Il fautqu'une page soit faite comme un filetet que chaque motcomme unemailleretienne un peu.

-- Ouijel'avouelui dis-jeet je suis sûr que cet aveu n'est pas d'unégoïste. Egoïste en toutje suis sûr de nepas l'être en cela : il vaudra mieux que tu meures avant moicar je m'en tirerai encore : j'ai mes livres. Maistoipauvrepetitecomment ferais-tu ?

-- Commetu as raison ! Je suis heureuse que tu penses comme moi. Ouic'estconvenu : je partirai avant toi. Tu sais : je rentre toujours àParis la premièrepour préparer. Là-basdansnotre petit coinau cimetièreje préparerai ta place.

Huysmansun Léo Taxil plus lettré.

Certainsvents d'orage me soufflent sur la chair du coeur.

A l'affûtle loir paraît au grillage du colombiercomme une petitereligieuse.

On peutchangeret rester absurde.

12 août.

Je dis àPhilippe :

-Qu'est-ce qu'il y a donc sous cette cloche ?

-- Rien.

--Qu'est-ce qu'elle fait donc dans le jardin ?

-- Ma foidit Philippeelle voudrait bien être montée au grenier.

-- Ellen'y montera pas toute seule.

-- Je lesais biendit Philippe.

La clochereste où elle est.

Je suis sibon que je ne dérange jamais le chat qui dort à laplace où j'écris : je vais faire un petit tour depromenade.

Ecrirec'est presque toujours mentir.

16 août.

Il leurparaît si naturel que la vieillesse soit misérable quele mendiantils l'appellent « un vieux ».

L'hommed'affaires. Il a peur de perdre sa fortune. Il ne sait quelle limitelui fixer. Il craint de n'être pas assez riche aux yeux de sonprochain de droitetropaux yeux de son prochain de gauche.

Ilvoudraitlui aussimettre un idéal dans les affaireset ilsoutient que cet idéal n'est pas de rouler un autre hommed'affaires.

Il a peurde perdre son cheval et sa voitureet ça le gêne detraverser avec eux un quartier d'ouvriers.

Il dit : «Je voudrais être meilleur. Je ne peux pas. Ça n'est pasdans ma nature. »

19 août.

Il estpour la libertémais il est de ces hommes dont la nullitédonnerait envie de vivre avec des esclaves plutôt qu'avec lui.

20 août.

Un jeunehomme très bienqui prépare son doctorat en droit. Etsi vous voyiez comme il parle à sa mère !

A la foimais veut tout lire. Il puise dans la bibliothèque que j'aifaite à ma soeur. Il y a lu Madame Bovary.

A trèspeur du tonnerre. Ferme tout : voletsportesyeux.

-- Mamèredit-ilressemble à votre soeur qui a tant de bonsensest si pratique et me dit toujours : « Monsieur Charleson complique trop la vie ! »

Je medemande pourquoi il désirait tant m'être présenté.Il admire ma soeurmais n'a pas l'air de savoir que je suis homme delettres.

D'ailleursil parlerait volontiers tout le tempscomme tout le mondesi jen'étais pas là.

-- Je n'aipas encore d'expériencedit-il de l'air de quelqu'un qui estsûr d'en avoir un jour. Maisécoutez !

Comparaisonsentre la ville et la campagneentre Paris et la province. Conclusion: il y a que Paris. Rectification dernière : la province a dubon.

S'efforcede bien parlermais son effort lui fait venir un peu d'écumeau coin des lèvres.

Enlittératurecroit que Jean Lorrain écritau Journaldes choses « décadentes » et « symboliques».

Baïea dix ansmais son imagination reste jeune Elle a un coq et joueavec lui. Elle lui parle et l'aime. Ce coqc'est une plume de poule.

Philippe.Le soupirail de sa culotte reste toujours ouvert.

Ma soeuraussi est orgueilleuse d'avoir la foi quand son frère ne l'apas.

Quelqu'una dû dire : « Un arbre c'est un homme qui lève lesbras au ciel. »

La fuméec'est l'haleine bleue de la maison.

22 août.

AChastellux. Oh ! être dans les bonnes grâces d'un de cespauvres sourds-muets ! Passer là quinze jours à lire del'histoire !

Le châteaune se montre pas de loin. Il faut arriver dessus pour le voiretencoreau moment où un peu émuje vais le voirMarinette ouvre son ombrelle pour me préserver du soleil.

Ils sontlà-dedansune douzaine en train de s'éteindreet unedouzaine de domestiques.

Oh ! lesnuits sous la lune qui a vu toute cette histoiretoutes ceshistoires !

Un regardà peineet nous revenonsles yeux pleins d'une belle visionquandsur la routele conducteur nous dit :

-- Moijevous quitte.

En effetil faut qu'il conduise la diligence de Lormes à Avallon qu'unpitoyable infirme amène à notre rencontre. L'infirmeprend place sur le siège de notre voiture pour nous conduire àLormes. C'est notre promenade gâtée.

Il tientles guides sous son bras droit qui n'est qu'un moignonetdu brasgauchetourne la mécaniqueadroit d'ailleurs comme unmanchotet il est bossu. Nous faisons notre rentrée àLormesgênés par des souriresrouges de nous croireridicules. Ça nous apprendradirait le pharmacien Focardàvouloir briller dans le monde et à faire des promenades dansune voiture à deux chevaux !

--Personne à voirdit-il. Les trois médecins d'iciendehors de leur médecine.....

Sa femmedoit faire son ménage avec ses dentset il ne lui dit jamais: « Râcle donc ça ! »

Acheter uncachet d'antipyrine pour refaire connaissance avec cet anciencamarade de régiment vieilliépaiscomme accablépar Lormeset qui croit que j'aime le cognac. Effarement du couple :« Qu'est-ce que vous allez prendre ? Avez-vous déjeuné? » Oh ! si on leur disait : « Non ! »...

On sedécide : cognac pour les hommeschartreuse pour les dames.

23 août.

Demi-sommeil: on dort éveillé.

La lunepoignante. Oh ! si un peu de musique nous venait de la lune !

-- Vousavez donc pris votre bâtonHonorine ?

-- Ouidit-elle. Il fait tellement chaud !

25 août.

Rienn'apprend mieux à généraliser que d'avoirquelques vices.

Lesétoiles filantes du cerveau.

Je sais lepoint exact où la littérature perd pied et ne toucheplus à la vie.

27 août.

Son maritué au petit chemin de fer sous un éboulement.

Elle n'apas perdu en le perdant.

A Clamecyelle a parlé toute seule : pas besoin d'un avocat. Elle a dit: « Je ne demande rien pour moi. Je ne demande quelque choseque pour mes enfants. » Après avoir obtenu pour eux cequ'elle voulaitelle a demandé pour ellesûre qu'elleétait qu'ils l'abandonneraient. La Compagnie lui donne 600francs.

Elle va levoir de temps en temps au cimetière et dit : « Je vasdésherber mon chéri. Il n'aimait pas l'herbe. Je luiporte aussi un pot de fleurs. Il n'aimait pas les fleursmais çane fait rien. »

Il estvenu « toquer » à sa porte la nuit dernière.Ce matin elle rencontre le fossoyeur.

-- Vousn'avez rien vu de neuf au cimetière ?

-- Nondit-il.

-- Il y alongtemps que vous n'y êtes allé ?

-- J'ensors.

-- Et vousn'avez rien remarqué sur la tombe de mon pauvre chéri ?

-- Non.

-- C'estdrôle ! dit-elle. Je vais voir moi-même.

Elleregarde la tombe.

-- Pardié! La terre a bien été un peu remuéemais pasassez pour qu'il soit sorti. J'ai dû me tromper.

Bornédites-vous ? Maissi je regarde en moic'est moiau bord de moic'est la familleetquelle stupeur ! un peu plus loinc'est levoisinla sociétéles hommes. Un peu plus loinc'estl'horizonc'est Dieuet je n'ai pas bougé.

28 août.

Mon pèrefaisant ma demande en mariage.

Il a bienmis des gants noirs. Il parle de toutécoute Marinette jouerdu pianojusqu'à ce qu'il dise : « Ouiassez. »Puisil se lève.

-- Et lademandepapa ? dis-je inquiet.

Il souritsans rien dire. On devine qu'il pense : « Est-ce que ce neserait pas un peu ridicule de chercher une phrase pour la faire ? Lefait que je suis làdepuis un quart d'heuredans votresalonà causer avec vousn'est-il pas la preuvemadamequeje vous demande pour mon fils la main de votre fille ? Est-ce que çane suffit pas ? »

Et MmeMorneauqui s'apprêtait à faire une réponsedigneattend.

-- On peutconsidérerdis-jela demande comme faite. N'est-ce pasmadame ?

-- Maisoui ! Mais oui ! dit-elletroubléeet riant aussi.

Alorstout le monde ritet on s'embrasse.

Le regardrecourbé pour que le détail s'y accroche.

La proseest le langage du bonheur. Depuis que nous sommes mariéschérieje n'ai pas écrit un seul vershélas !

29 août.

A FantecSi tu te maries à l'églisene dis pascomme lesautresqu'il ne t'en coûte qu'un effort de galanterie et quetu ne sacrifies rientandis que ta femme ferait le sacrifice de sonsalut éternel. N'oublie pas qu'à l'église tupromettrassans avoir l'intention de tenir ta promessed'élevertes enfants dans la religion catholiqueapostolique et romaine.Fût-ce à un prêtreil ne faut pas promettre cequ'on est décidé à ne pas tenir.

Ne méprisepas ta fiancée au point de respecter une croyance qui n'estpas en toi. Ce qui est erreur pour toi ne peut être qu'erreurpour elle. Elle est faite aussi bien que toi pour la vérité.

Net'imagine pas que tout puisse vous être commun : fortunejoiespeineshors l'essentielqui est la pensée commune. Tusouffriras de la foi de ta femme qui lui permettra de te resterpresque tout entièreimpénétrable.

Prends unefemme dont l'esprit religieux -- ce n'est plus la religion -- soitl'égal du tien. Convertis d'abord ta fiancéeàmoins qu'elle ne te convertisse. Ayez la même façon decomprendre Dieuc'est-à-dire l'univers et votre destinée.Sinonn'épouse pas.

Ou bientu seras malheureuxet ne sauras même pas pourquoi.

Maman.C'est une dame. Elle reçoit. Mme Moreauune anciennecuisinièrequi est venue avec son maître d'hôtels'installer à la campagnelui fait une visite : chapeau àgrande plume mauvegants blancs. Elle dit :

-- J'aiécrit à mes enfantsà celui qui gagne septfrancs par jour chez Dufayel : « Je suis maintenant tout àfait campagnarde : vous ne me reconnaîtriez pas ! »

A Pariselle avait un fourneau très commode : c'est « le gazportative ouimadame ».

Elle selève.

-- Cen'est pas une visite que je vous faismadame. Elle est trop longue.On ne doit pas faire des visites si longues que ça. Avec monpetit jardin de rien du toutj'envoie pour 51 francs de légumespar an à mes enfants. Les médecins sont tous desimbéciles. Ne portez donc pas de bas de caoutchouc. Moijevous ferai des bandes. J'ai eu une pleurésie. Mon médecinm'a dit : « Il faut que je vous sauve de la mort »et ilm'en a bien sauvée. On abîme plus le linge à lacampagne qu'à Paris. Aussimoije ne me gêne pas. Jelave le mien.

Ce n'estpas le moindre charme de la véritéqu'elle scandalise.

Titres :L'Annuaire du villageLe Tout-VillageLe Bottin du village.

Je n'écrispasparce que je n'ai rien à écrire.

Je croyaisque c'était une qualitémaisà entendre vosreprochesje pense que c'est peut-être une vertu.

1erseptembre.

Ouinousirons sur le pré. Je me battrai : il broutera.

Baïea un grillon au fond d'une terrine émaillée. Il ne peutpas se sauver. Où l'a-t-elle pris ?

-- Je nele cherchais pasdit-elle. C'est lui que j'ai rencontréquivenait au-devant de moi.

Littératurequi ne tient pas au ventre.

-- Jedemande un bon tyran.

-- Pour debons esclaves.

Et un vent! Une pluie presque horizontale.

Honorineles mâchoires déformées par le pain dur.

Ilsparlent tous. Moij'ai vraiment l'air d'un propriétaired'image d'Epinal. Je regarde ce beau paysle clocher dont la pierreneuve ne se salit pasMontenoison où jamais Philippe n'estallé -- il est allé tout près --et les nuagesque le paysan ne regarde pas. Un nuagepour luic'est une menace depluie. Il ne sait pas que certains nuages n'ont d'autre fonction qued'être beaux.

A quatreheures ils mangent le pain et le fromage durs. Ils boivent le vinblancet Ragotte ne boit que de l'eauparce que tout de suite levin lui tombe sur les jambes et lui coupe les bras. Quel ravage !

Philippedit à Alexandre :

-- Maismadame Renard ne fait pas le principal : elle ne fait pas la poêlée.

-- Maiselle vous nourrit le jour de sa fêtedis-jeun peu agacé.

EtPhilippe comprend. Caraprès avoir parlé de la poêlée-- on se mettait à table à midi pour jusqu'au lendemainmatinetà partir de minuitle fermier du Bouquin nevoulait plus voir le vin rouge : il fallait qu'on boive du vin blanc--il dit :

--D'ailleursça se perd.

Il atravaillé vingt ans chez M. Perrinattrapé par lemaîtreattrapant les autres. Perrin a fait fortune. Philippequi gagnait juste de quoi élever ses quatre enfantsseraitdans la misère si je ne l'avais pas pris avec moi.

-- La vieest mal emmanchéedit Marinette.

Le bonnetde Ragotte pend à une branche. Elle a mis son chapeau depaille noir. Le gilet de Philippe tient au frais la cruche d'eau.

-- Hé! làque tu en asdes terres ! dit Marinette. Si tu étaisà mariertoutes les filles de Chitry courraient aprèstoi. Maiscomme la terre rapporte peu !

-- Ellerapporte de quoi les nourrireux qui travaillentdis-je. Elle neveut pas me nourriret elle a bien raisonmoi qui les regardetravailler.

2septembre.

Philipperevient des champset le Paulson filsdu chemin de ferlajournée finie. Ils rentrent par la vieille routemais ils nes'attendent pas. Le premier ne ralentit pas ; l'autre le rattrapes'il veut.

Je regardeles étoiles. Pour savoir leurs nomsje fais flamber uneallumette-bougieet je regarde mon atlas astronomique. Maisl'allumette éteinteles yeux éblouisje ne reconnaisplusau ciell'étoile dont j'ai trouvé le nom.

Lemensongec'est leur règle héréditaire. Ils nes'appliquent qu'à bien mentir : c'est leur supériorité.

3septembre.

Ils ontquelques idéesraresisolées comme des haricots semésdans la terre. On les aurait avec une pioche.

La véritéest insignifiante et de petites dimensions. Elle a une odeur que nepeuvent sentir que les bons nez.

Avec ellel'art fait quelque chose d'admirablemais de déjàfaux. On la renifle : ce n'est plus ça.

Dèsqu'une vérité dépasse cinq lignesc'est duroman.

C'estbeauun beau roman. Ce n'est pas méprisablemais la véritéseule donne le ravissement parfait.

Dans cepréun chênesi vieux que son tronc semble tout faitde terreet que ses dernières branches y poussent comme desplantes étrangères.

4septembre.

Il n'ajamais réussi en rien. Ça ne l'empêche pasd'avoir un petit air conquérantqui intimide.

Philippen'aime pas rêver : ça le fatigue autant que demoissonner.

Il arracheles pommes de terre. C'est façon de parlercar un légercoup de pioche les déterre. Il les rejette entre ses jambes.Il y en a une traînée derrière lui : on diraitqu'il les a faites lui-même.

Aprèsle meurtre d'une bête ou d'un hommele plaisir le plus crueldu paysanc'est sans doute de couper des arbres.

Promenades.Le canal jusqu'à Marignyde Marigny à la route deGermenay. Retour à Chaumot par cette route. Avec Marinette etun chien et une chienne qui ne se contrarient pas.

Unfaucheur coupe l'herbe du bord. Il nous dit bonjour. Malgré sapolitesseon le dépasse avec une petite inquiétude auxjambescomme si la faux glissait derrière nous pour nous ymordre.

Quand nouspassons tous deux du même côté d'un tombereaud'un chariotles hommes regardent ma décoration et Marinette.Quand elle passe d'un côté et moi de l'autreils mesacrifient pour ne regarder qu'ellequi est un peu décolletée.

Une femmerentre chez elle pour mieux nous voir derrière son rideaurelevé. Quelqu'un habite dans cette pauvre vieille maison ! Etelle est habitée depuis des siècles. A quoi ont-ilsservi ?

Je passe.Je prends une note. Quelque Renan la liraet il la fera participer àla vie du monde. Il l'insérera dans l'univers. Ils ont vécupour cela seulement. Dans L'Avenir de la scienceRenan écrit(Pages choisiesp. 336) :

«Songez aux innombrables générations qui se sontentassées dans les cimetières de campagne. Mortesmortesà jamais ? Non ! Elles vivent dans l'humanité.Ces morts... ont contribué à faire la Bretagne.[Marignyle Nivernais.] Etquand la Bretagne ne sera pluslaFrance seraetquand la France ne sera plusl'humanité seraencore... Ce jour-làle plus humble paysan qui n'a eu quedeux pas à faire de sa cabane au tombeau vivra comme nous dansce grand nom immortel »

Ouimaiscomment faire comprendre cela à Honorine dont la misèreet le travail ont durci les bras comme de vieilles branches ? AinsiDieu a créé tous ces misérables pour la joieintelligente de Renan ? C'est un peu cher. N'est-ce pas une bienpetite cause finale ?

Un hommepousse ses vaches devant lui et leur parlepar ce besoin instinctifqu'on a de montrer à des étrangers qu'on est douéde la paroleet d'attirer l'attention de l'étrangère.Des enfants crient et jouent dans un pré. Des petites fillescollent leur visage à la barrière.

Du côtéde Germenayil semble que ce soit la fin du monde. Des présd'un vert noirdes boispas un clocherrien de l'hommepas unboeuf. Et c'est là que le soleil se couche.

Un seulmotif de vivre à Paris reste compréhensible : l'argent.Mais la gloire ? Mais le besoin d'activité ? Est-il possiblede vivre avec une plus grande plénitude que sur cette route deGermenay ? En cette minute élargieon ne dépenseraitpas cent sous pour un plaisir. Cent sousc'est du painc'est dequoi vêtir un de ces misérables quisans le savoircontribuent à créer Dieu.

6septembre.

Aprèsl'orageune nuit noirefaite de tous les éclairs éteints.

Un grandpoëte n'a qu'à se servir des formes consacrées. Ilfaut laisser aux petits poëtes le souci des imprudencesgénéreuses.

Rencontrede chasseurspresque d'ennemis : les fusils vont partir tout seuls.

9septembre.

Marinette.Les Philippe l'appellent « notre dame ».

10septembre.

Chasse. Lachienneonduleusele nez bassuit quelque chose dans une luzerne.Elle arrive au boutau grand jour : rien ! Son étonnement.Elle nous regarde ou recommence.

On meurtde soif. On connaît une source entre quatre pierressous unchapeau d'herbe. L'eau nous en vient à la bouche et descend aufond de notre poitrine. On arrive. On trouve la chiennequi a prispar le plus courtventre à terre dans la sourcedans l'eauboueuse.

-- Petiteoù donc mènes-tu tes moutons ?

-- Dansnotre champdit-elle.

Commentpourrais-je ne pas savoir où est ce champ ?

Myrrhaquand on l'emmèneest si heureuse quetout de suiteelleramasse et apporte ce qu'elle trouve : feuillemorceau de bois.Malgré les os de perdrix que je lui donne à tableellepréfère Philippe. Il a plus de goût pour elleetelle n'est pas sensible à ma distinction. Elle ne veut pas medonner la perdrix tuée. Si je tente de la lui prendreelleserre plus fortet les tripes sortent.

Philippesourd par accumulationn'entend plus le chant des perdrixmaisquelquefoisil s'arrête et écoutepour me faire croirequ'une d'elles a chanté.

11septembre.

Vieuxpaysan. Toutes ses dents sont usées : le pain étaittrop dur. Sa vache a reçuun jourd'un chasseur inconnuuncoup de fusil dans la tête. Elle en est restée longtempstoute bête.

12septembre.

La naturese réveille toute fraîchemais l'hommed'avoir dormigarde une bouche amère.

Elledevient enragée. Elle a de mauvais éclairs dans lesyeux. Elle ne demande plus qu'à crever. Les petits ne serontpas plus mal avec d'autres qu'avec elle. Ce qui l'exaspère leplusc'est le ricanement des laveuses à la rivière : àcoups de son battoirelle leur écrabouillerait la figure.

-- On ditque je suis méchantedit-elle. Bien sûr ! Qu'on semette donc à ma place ! Et je ne le suis pas encore assez.

Elle ademandé la séparation. Le Parquet de Clamecy a écritau mairequi a répondu qu'elle n'est pas commodeque sonmari est partimais qu'il reviendra. Le maire n'a pas ajoutéque cette femme « pas commode » nourrit toute seule sescinq enfantset le Parquetmal renseigné par des gendarmesqui s'adressent au mairea fait entendre à la malheureuse queson affaire est classée.

Ellerentre de laver. Elle trouve ses petits dehorstrempés. Ellene peut que les déshabiller et les coucher. La comtesse luidonne quinze livres de pain. Marinette va lui donner des langes etcent sous par mois.

Elle paieaussi son loyerquatre francs par mois. La propriétaireunevieille qui n'est pas riche non plusvit dans les transes etdetemps en tempslui fait dire qu'elle trouve à louer pluscher. C'est fauxmais ça la tient en haleine. Le mari ne veutpas de la séparation. Quand elle aura élevé sesenfantset qu'ils pourront se placerde douze à vingt ansil aura droit à la moitié de leurs gages.

16septembre.

Lecouvreur. Son plaisirc'est de s'arrêter sur l'échelleet de surprendre par la fenêtre une fille qui s'habille.

Unecouverture piquée de tuiles neuves. Le soleil y joue auxdames.

17septembre.

Chasse.J'ai beau tenir ma droite : Philippe s'obstine à marcherderrière moi.

Jeralentis le pas. Il s'arrête presque. A la fin je lui dis :

-- Est-ceque vous faites exprèsPhilippede marcher ainsi derrièremoi ?

-- Çadépenddit-il. Des foisouiquand nous sommes sur la route.

-- Maispourquoi ? On dirait que je vous en ai donné l'ordre. Je n'aipas ce travers. C'est bon pour les grands seigneurs ou les maniaquescomme ce maître parisien de Borneau qui l'obligeait à setenir toujours à cent mètres en arrière.

-- Oh !monsieurdit Philippece n'est pas pour ces raisons-là queje marche derrière vous. C'est parce que vous tenez toujoursvotre droiteet quemarchant à votre gauchej'ai remarquéque les canons de mon fusil étaient dans votre direction. Çame gêne. Alorspar prudenceje marche derrière vous.

Philippen'a jamais de peine à se lever matin. Il a bien le temps dedormirquand il sera mort !

21septembre.

Volsilencieux des mouches au plafond. Elles se décollent de leurpoutreentrent dans le quadrillefont quelques tourset serecollent à la poutre.

L'arbre meditles bras croisés...

Coucher desoleillinge léger des nuages.

Un facteurqui offrirait les lettres au choix.

Mêmenu-têteil ôte sa casquette pour dire bonjour.

La lunediamant sur un lit d'ouate.

Anemonfrère ânene vois-tu rien venir ?

Lesperdrix tombent comme à Gravelotte.

Elle a euson dernier en plein hiver. Huit jours aprèselle cherchaitdu bois sous la neigeavec un cotillon d'été.

22septembre.

Leguichardsonore chevalier du raisin mûr.

24septembre.

Chasse.Dans la luzerne humidela caille fuit devant le chien qui «ondule »relève de temps en temps le nezqu'il acouvert de feuilles jauneset souffle comme un phoque. La caillefile. On voit les brins de luzerne remuerléger sillage. Lesplumes trempéeselle ne peut pas partir. Parfoisle chiens'arrêtetient tropet la caille en profite pour gagner duterrain. On traverse ainsi un petit océan de luzerne. EnfinPhilippe tire et l'abat. Trois domestiques du Bouquin se mettent àcrier : un peu plus... Les plombs ont « viouné » àleurs oreilles.

--Pourquoi doncdit Philippeque vous restez làdans lecheminderrière la « trace » ?

Paroleimprudente ! Est-ce que le chemin n'est pas à tout le monde ?Il faut rattraper. Je retrouve les trois gars plus loinet ilsfinissent par dire que c'était pour blaguer.

Onentendait la pluie venir sur le bois. Elle faisait du bruit comme unerivière.

Il pleutil pleut ! Des chiens boivent debout.

Despaysans arrachent leurs pommes de terrecourbés comme s'ilsles mangeaient.

26septembre.

Elargirses yeux. Je vois Chaumot et Chitry. Cette annéeje voispresque Marigny. Il faut quel'année prochaineje voieGermenay. Si je comprenais tout entier -- comme une photographiecomprend les détails de la vue prise -- ce coin dumondeje n'aurais pas perdu ma vie.

Le soleilse couchemais les arbres aussiet le village. La route s'éteintet les champs meurent dans une teinte grise. Quand le soleil ne secouche pasla nature qui s'endort est plus émouvante.

Si jedeviens vieuxma tristesse de chaque jour sera peut-être de medire : « Peut-être que demain je ne verrai plus rien detout cela ? »

C'estl'eau quila dernièreferme ses yeux pâles.

Le châteauramène ses sapins autour de lui.

Le clocherse couche dans les vibrations de ses cloches.

L'arbres'encapuchonne.

Des boeufsblancs se promènent comme s'ils cherchaient une place oùdormir bien enveloppés de leurs chemises blanches.

La rivièreva se coucher plus loin.

Dans dixansChitry auralui aussison aristocratie : celle des valets dechambre en retraite.

27septembre.

Les motsne doivent être que le vêtementsur mesure rigoureusede la pensée.

Baïedébarbouille ses limaces. De l'une d'elles qui semble toujoursdormirelle dit :

-- Elle nes'occupe de guère grand-chosecelle-là !

29septembre.

Ragotte nefait jamais rien le dimanche. Elle croise et décroise sesmains sur son ventreet elle rêvasse lourdement.

7 octobre.

Rentréeà Paris. Je dis à Capus :

-- Ah !damemes phrases sont plus difficiles que les tiennes.

-- Ouirépond-il Quand on supprime un mot dans ta phraseellecroule. On peut tout supprimer de la mienne : elle reste.

9 octobre.

Semquoique épicier à Bordeauxfaisait des albums àMarseille et y était populaire. Il vient à Parisfaitun album sur les coursesle porte lui-même chez les librairesdans une voiture à bras. Succès foudroyant.

Elevépar des Jésuitesdit qu'il connaît des âmesreligieuses célestes.

-- Moiaucunelui dis-je.

De monportrait par Léandreil dit :

-- Il n'ya rien. On dirait qu'il a voulu faire une pomme de terre en robe dechambre.

Il ne litque pour s'endormir. Sur mon conseilil va lire du Saint-Simon.

17octobre.

Forainapporte au Figaro un dessin plus que simple.

-- Tout demêmedit Rodayspour trois cents francsvous pourriez bienajouter quelque chose !

-- Maisquoi ?

-- Je nesais pasmoi. Des hachures...

C'est unequestion de propreté : il faut changer d'avis comme dechemise.

Chasse.Tout à coup je m'arrête au milieu d'un champet cettequestion se pose sur moi comme un grand oiseau noir : « Parquipourquoi sommes-nous créés ? »

Unearaignée qui a tendu sa toile entre deux fils télégraphiquespour écouter ce qu'on dit.

Auxinnocents les mains pleines de sang.

Guitry etson cou en poterie de cheminée sur les toits.

Heureuxcelui dont le talent ne peut être payé plus de deuxcents francs par moiset qui se trouve bien payé !

Il faudrapourtant qu'un jour je lise un conte de Jean Lorrain !

Dans lachambreune grosse mouche cause toute seule.

A LaGlorietteFantec va aux cabinetsle soiravec sa canne ferrée.

Je passel'année à dire qu'il ne faut pas perdre une minute.

20octobre.

Treizejours. Pauvres capitaines dont la seule joie intellectuelle estd'accorder des sursis à des gens de théâtre et delettres !

-- Quelmotif invoquez-vous pour demander un sursis ? dit le gendarme.

-- Je faisjouer une pièce de théâtre dont il faut que jesurveille les répétitions.

-- Bien.Quel est votre métier ?

21octobre.

LaChâtelaine. Une mauvaise pièce inintéressantequi me fait douter du goût de Guitry.

Çaune pièce étourdissante ? Une ou deux scènes paractemerveilleusement jouées par Guitry et par Tarride. Maisun acteur peut être admirable en s'asseyant. Et tout cela n'estni très beauni très fort.

Etpourquoi une châtelaine ?

Il y a letraîtrele bon Dieule mari mené par sa femmelatraîtresse qui a oublié son ombrellele traîtrequi a oublié ses gants.

Et il y ade l'espritmais il n'y en a pas assez.

Capus estun esprit vulgaire pour qui la poësie n'existe paset pour quile mot « châtelaine » ne représente rien.

EtEmmanuel Arène lui dit : « Tu n'as jamais fait aussifort ! »

Et Wolff :« Il y a un abîme entre Les Deux Ecoles et ça! »

24octobre.

Capus toutde même inquiété par les objections de Tristanqui les a tenus hierlui et Guitrypendant trois heurescherche àse tranquilliseret il tire de sa poche un tas de petites théoriescomme un gosse des toupiesdes billes.

-- Authéâtredit-ilon ne pourrait rien faire si l'on neconsentait pas aux invraisemblances dont le public a besoin.

Et encore:

-- Il fautune femme pour attirer le public.

28octobre.

Capus etsa femme ont trouvé ma lettre délicieuse.

--D'autant plusdit-ilqu'il n'y a riendans ta lettre. Tu me disque tu n'aimes pas çamais tu ne me dis pas pourquoi.

Etcommej'essaie de le direil me répond :

-- Mais jel'ai voulu ! Mais il m'était facile de trouver autre chose !

Il ajoute:

-- Baïerecevra quelque chose.

C'esttoujours ainsi que ces aventures se terminent quand elles ne seterminent pas très mal.

1ernovembre.

Son curélui a dit : « Croissez et multipliez »de sorte qu'il neprend plus de précautions. « Heureusementdit sa femmej'ai fait une fausse coucheet j'ai tout arrêté. Maissi je l'avais laissé faireil aurait rempli d'enfants lamaison »

5novembre.

Onprésente Coulangheon à Blumqui est tout étonnéd'entendre ces mots :

-- C'estvraimonsieur : j'aime votre livremais je ne désirais pasdu tout vous être présenté. C'est une erreur dela maîtresse de maison. Votre personne n'ajoute rien àvotre livre. Etc.

Cemonsieur se croit très fort.

Blum sepassionne pour les sucres et les alcools.

Quoi deplus délicieux que l'ironie d'un honnête homme ?

En voyage.Une dame se décide à ouvrir un sac de brioches. Elle yprend d'abord des miettes -- on ne voit rien --et les met dans unepetite bouche serréediscrètedistinguée. Peuà peul'audace lui vient. Le sac s'ouvre tout grandet lesmorceaux de brioche entrent dans la bouche comme dans un four.

Une autrevieille dame lit un livre et sourit. Elle n'a plus que les petitesémotions que lui accorde le roman de M. Halévy.

6novembre.

L'arbredroit dans un bouclier d'écorce qui en fait tout le tour.

7novembre.

Femmes.Celle-ci compte un par un les cheveux qu'elle perd chaque jour.Celle-là soigne les siens comme une plante dans un pot. Elles'en coupe une mèche pour que la mèche voisine mieuxplacéeprenne plus de force.

JacquesBoulenger parle avec feu du rôle de l'historienrésignéà ne jamais écrire le livre définitif ; il saitquedans deux ansou l'année prochaineun livre nouveautuera le sien.

Ilscherchent l'introuvable vérité. Le meilleur est celuiqui s'en rapproche le plusc'est-à-dire qui interprètele moins.

Quelques-unsont la volupté malsaine d'aimer le document pour lui-mêmeet de n'y rien ajouter.

Celui-làvit dix ans avec Philippe le Bel pour nous le « donner »en dix pages.

9novembre.

Le Jeude l'amour et du hasard. C'est un chef-d'oeuvre de goût. Ilne doit pas rien à la traditionmais la pièce semblefinie à « J'avais grand besoin que ce fût làDorante ».

L'histoirede la jalousie de Mario fait longueur.

Commed'un motla pièce est posée : « Ni l'un nil'autre de ces deux hommes n'est à sa place. » C'est lesujet type du vaudevilledu quiproquo. Là-dessuson peut --Mendès ne le pourrait pas --quand on est Marivauxbroder dela beauté. A peine un ou deux mots qui ne sont pas forts.

Le stylede Marivauxc'est de la soie.

10novembre.

Ces deuxvieilles gens ont l'habitude de se réveiller au milieu de lanuit. Ils se demandent de leurs nouvelles et causent de leurs petitesaffaires.

14novembre.

Guitry àPain de ménage. J'ai envie de lui dire : «Pourquoi souriez-vous ? Parce que je ne suis pas très bienhein ? Mais peut-être que vous en demandez trop. »

Il y a desmoments où la plus forte amitié ne tient pas àun cheveu. On se dit : « Si je m'en allais ? Allons-nous nousembrasserou nous mordre ? » Tout dépend d'un souriredu son qu'aura la première phrase prononcéed'ungeste.

18novembre.

ChezSévin. Henry Bérenger me présente Charbonnel quime dit :

-- Poilde Carotte est un chef-d'oeuvre.

-- Ouidit Bérenger qui ajoute -- pourquoi ? -- que Jossot a unimmense talent.

-- Vousêtes comme nousme disent-ils. Vous combattez le bon combat.

Charbonnelm'impressionne comme un curé.

A quaranteanson peut se mettre à travailler. On n'est plus embêtépar des histoires de femmes.

25novembre.

Guitry.C'est un plaisir pour luichez Paillardpar exemplede me demanderce que je préfèreChablis ou Graveset d'assister àmes angoisses devant les garçons qui m'observentle crayonlevéet sourient.

27novembre.

L'artdramatiquequelques-uns oublient trop que c'est quand même unmétier d'homme de lettres.

28novembre.

Lacoquetterie de Capusc'est de dire que le théâtre n'estqu'une affaire.

Le lapinoeil rondoreille rabattuequi fait peur au boaet qui perd touteretenuetombe dans la gueule du boaqui est bien obligé del'avaler.

-- Ellelui prouvait son amourdit Capusen couchant avec tout le mondeexcepté avec lui. Les directeurs de théâtres luiprouveront qu'il a du talent en jouant toutes les piècesexcepté les siennes.

Vallottontrès épris de marinecomme un amiral suisse.

1erdécembre.

Ils'ennuyait tellement à la campagne qu'il a fini par faire lacour à sa bonne. Elle poussait de gros soupirs en lui passantles plats. Rentré à Parisil n'y pense plus. Mais elle:

--Monsieur a changé. Monsieur aurait tort de se gêners'il me veut du bien. Il n'y a pas beaucoup de personnes aussicapables que moi de dissimuler leurs sentiments.

Treizejours. Etonnement de se trouver dans les ruesà sept heureset demie du matinà la recherche d'une caserne.

Magasind'habillement. D'abordle ruban ne se voit paspuis il se voitetle sergent me soigne et me cherche une capote propre.

--D'autant plusdis-jequ'il faut -- c'est embêtant --maisqu'il faut que je mette ma croix.

-- Etpourquoi donc pas ? dit-il.

Il me faitastiquer les boutons.

-- Cessouliers-là ne me vont pas.

-- Oh !pour cinq minutes ! Pour que le capitaine vous les voie.

-- Ouimais ils me font mal.

-- Vousvous y habituerez

-- En cinqminutes ?

Je disencorem'exprimant mal :

-- Est-ceque le capitaine ne passe pas la visite ?

Je devraisdire : « l'inspection ». Ce qui fait sourire le soldatqui astique mes boutons.

Et puisc'est le succès toute la journée Je me crois Coquelincadet.

Unsous-officier réservistequi a les palmes et en jouit depuistrois semainesest détrôné et me dit :

-- Tout demêmeça se voit mieux

Dans larueun vieil hommequi a un petit ruban vert ou violetme tire ungrand coup de chapeau. C'est émouvant.

Quelqu'undit :

-- Çac'est quelque chose.

Je devraisboîter ou porter un bras en écharpe. Ça devientgênant. Ils croient que j'ai sauvé la France ; il mesemble que j'ai volé ma croix. Et tous ces regards ! Lescochers de fiacre s'arrêtent sur mon sillage. On se retourne.Guitryqui fait un bout de chemin avec moin'a plus rien. J'ai eul'honneur de voir un petit pâtissier s'arrêter devantmoi.

Je marchedans un rêve étoilé. Sans hésiterlasentinelle du ministère de la Guerre me porte les armes. Maisun gendarme ne me salue pas. Pourquoi ? C'est son devoir.

Unterritorial me dit :

-- Sij'avais sumoi aussi j'aurais mis mes palmes.

-- Vousêtes beaume dit le capitaine Targeofficier d'ordonnance.

-- Pasautant que vousdis-je.

Et celasuffit pour rétablir la hiérarchie.

Au fondtous ces gens-là s'ennuientet ça les distrait. Queldommage que je ne sois pas Allais !

3décembre.

Muhlfeld.C'est la vie d'une fusée qui s'éteindrait... d'unefièvre typhoïde.

Impossiblede regretter ce qu'il aurait fait.

Bernards'attendritet Blumet Cooluset ses anciens amismais aucun deces regrets-là ne toucherait Muhlfeld.

-- Commec'est triste ! me dit Alexandre Natanson.

Silence.

-- Jetrouve ça très triste ! dit-il.

Silence.

-- Vous netrouvez pas que c'est triste ?

Il ne saitplus.

Nouslevons notre chapeau. Sans doute le met-on sur le corbillard.Quelques instants aprèsnous saluons encore. Quoi ! Est-cequ'il rentre ?

Le mort ala délicatesse de me reconduire rue du Rocher.

Treizejours. On se vante. On dirait presque : « C'est le ministre dela Guerre qui m'allume mon feu. »

Il merecherche et me flatte. Il voudrait m'emprunter un peu de réputationet de caractère.

Pardonmadamede vous avoir fait attendre. J'étais aux cabinetsC'est la seule raison qui puisse m'obliger à faire poser lesgens.

Lepatriotisme est un sentiment qui coûte chermais j'aime bienun brave soldat qui déteste la guerre.

17décembre.

Maeterlinck.Un grand artiste à qui c'est égal d'ennuyer sonlecteuret qui ne s'arrête pas pour si peu.

Baïemet une violette dans un verre d'eau pour que la violette fasse lepoisson.

-- Nem'appelez pas « mon lieutenant »me dit l'adjudant. Çane me gonfle pas.

Ils'imagine que j'ai des tas de lettres à écrire.

-- Bienmon braveme dit le garçon de bureau.

PaulLeclercqmon élève qui n'avoue pasentre chez Flouryqui lui a prêté son nom d'éditeur pour son Albumde Paris.

-- Pas delettres ?

-- Nondit Floury.

-- Ilsn'ont pas encore eu le temps de répondredit Leclercq.

-- A cetteépoque du jour de l'Andis-jeon n'écrit pas auxécrivains.

Leclercqsurprisne peut que rougir.

-- PaulLeclercq ne m'envoie pas ses livres.

-- Il saitque vous les avez déjàrépond Tristan.

22décembre.

Jaurès.L'airun peud'un ours aimable. Le cou courtjuste de quoi mettreune petite cravate de collégien de province. Des yeux mobiles.Beaucoup de pères de famille de quarante-cinq ans luiressemblentvous savezces papas auxquels leur grande fille ditfamilièrement : « Boutonne ta redingotepapa. Papatudevrais remonter un peu tes bretellesje t'assure. »

Arriveenpetit chapeau melonle col du pardessus relevé.

Uneaffectation de simplicitéune simplicité de citoyenqui commence bien son discours par « Citoyens et citoyennes »mais qui s'oublie quelquefoisdans le feu de la parolejusqu'àdire : « Messieurs ».

Des gestescourts -- Jaurès n'a pas les bras longs --mais trèsutiles. Le doigt souvent en l'air montre l'idéal. Les poingspleins d'idées vont se choquer quelquefoisle bras toutentier écarte des chosesou décrit la parabole dubalai. Jaurès marche parfois une main dans la pochetire unmouchoir et s'en essuie les lèvres.

(Je nel'ai entendu qu'une fois. Ceci n'est donc qu'une note.)

Le débutlentdes mots séparés par de grands vides. On a peur :n'est-ce que cela ? Tout à coupune grande vague sonore etgonfléequi menace avant de retomber doucement. Il a unedizaine de vagues de cette ampleur. C'est le plus beau. C'est trèsbeau.

Ce n'estpas la tirade comme l'est une strophe de cinq ou six beaux vers ditspar un grand acteur. Il y a cette différence qu'on n'est passûr que Jaurès les sacheet qu'on a peur que le derniern'arrive pas. Le mot « suspendu » a toute sa force àson propos. On l'est vraimentavec la crainte de la chute oùJaurès... nous ferait mal.

Entre cesgrandes vaguesdes préparationsdes zones où lepublic se reposeoù le voisin peut regarder le voisindontun monsieur peut profiter pour se rappeler un rendez-vous et poursortir.

Il parledeux heureset boit une goutte d'eau.

Quelquefois-- rarement -- la période est manquées'arrêtecourtet les applaudissements s'éteignent tout de suitecomme ceux d'une claque.

Il cite legrand nom de Bossuet. Je le soupçonnequel que soit sonsujetde toujours trouver le moyen de citer ce grand nom.

Ce qu'ildit ne m'intéresse pas toujours. Il dit de belles chosesetil a raison de les diremais peut-être que je les connaisouque je ne suis plus assez peuplemaissoudainune belle formulecomme celle-ci :

-- Quandnous exposons notre doctrineon objecte qu'elle n'est pas pratique :on ne dit plus qu'elle n'est pas juste.

Ouencore:

-- Leprolétarien n'oubliera pas l'humanitécar leprolétarien la porte en lui-même. Il ne possèderienque son titre d'homme. Avec lui et en luic'est le titred'homme qui triomphera.

Une voixqui va jusqu'aux dernières oreillesmais qui reste agréableune voix clairetrès étendueun peu aiguëunevoixnon de tonnerremais de feux de salve.

Unegueulemais le coup de gueule reste distingué.

Le seuldon qui soit enviable. Sans fatigueil se sert de tous les motslourds qui sont comme les moellons de sa phraseet quiécorcheraienttombant d'une plumeles doigts et le papier del'écrivain.

Quelquefoisun mot mal employé dit le contraire de ce qu'il veut diremais le mouvement -- le fameux mouvement cher aux hommes de théâtre-- laisse le mot impropre et emporte le sens avec lui.

Trèspeu de ses phrases pourraient être écrites tellesquelles ; maissi l'oeil est un tainl'oreille est un entonnoir.

Une idéelargeet indiscutablele soutient : c'est comme l'épinedorsale de son discours. Exemple : le progrès de la justicedans l'humanité n'est pas le résultat de forcesaveuglesmais d'un effort conscientd'une idée toujours plushautevers un idéal toujours plus élevé.

On lit unelettre du président Magnaud. Aucun succès. MaisGérault-Richard le montre dans une loge : ovation énorme.Il salue comme un empereurl'empereur de la Justicece qui neserait déjà pas si malcomme titre.

On ditd'elle : « C'est une bonne ménagère » MaisHarpagon aussi l'étaitbonne ménagèrece quine l'empêchait pas d'être un bien vilain monsieur.

Soleild'hiver clair et légerun peu acide.

Caressantson chatBaïe lui dit :

-- Je saisque Noël n'existe pasmais ça me chagrine. Par habitudeje mettrai tout de même mon soulier dans la cheminée.

Mais lechat ne répondit pas. Par la fenêtre entrouverte ilregardait un moineauquis'envolantlaissa une plume à lagriffe du chat et alla se poser sur le tuyau de la cheminée oùil se chauffe tout l'hiver.

-- Il a pus'envoler ! dit Baïe.

De tempsen tempsdu becil piquait la goutte de sang de la plume.

Lelendemainelle trouva un moineau. Il vivait encore. De l'aileilavait pu se retenir aux parois de la cheminée. Il n'étaitpas tombémais descendu un peu vite.

Elle eutd'abord envie de le donner à son chatmaiscomme sa mèreavait été à La Châtelainece contene pouvait mal finir.

Elleranima le moineaului donna à manger et à boireluipansa sa blessure etdès qu'il put volerlui ouvrit lafenêtre.

Bienheureuxencorequ'elle ne lui ait pas donné une petite pièced'argent pour s'acheter des chosesen route !

Avant defaire quelque chose de bienil faut tout haïrou admirer tout.

Hervieuun homme de beaucoup de talent qui s'imagine quelquefois quede malécrirec'est très fort.

26décembre.

Un granddiable de pigeon fendait l'air.

Ce qu'ilsaitil le sait bienmais il ne sait rien.

Il faut àmon cerveau deux heures de rêverie pour que j'obtienne de luiun quart d'heure de travail.

On regardela fumée avec attendrissement comme siau bas de la cheminéeune femmejeune encore mais délaisséebrûlaitaprès les avoir reluesses lettres d'amour.

28décembre.

--Qu'est-ce qu'il est devenu ?

-- Il estdevenu un brave homme

-- Unepiècedit Capusne finit pas plus que ne finit la viesaufpar la mort.

Mais non !Une pièce est finie quand la suite ne nous intéresseraitplus. Sans Tartuffeque nous importe la vie de cette famille d'oùon le chasse ? Et que deviendra-t-il lui-même ? On s'en moque.

Une pièceest finie quand elle ne nous intéresse plus. C'est pour cetteraison qu'une pièce finit souvent avant d'avoir commencé.

Paul-LouisCourier. Qu'un maire est grand dans son village !

31décembre.

Annéeune tranche coupée au tempset le temps reste entier.



1903

2 janvier.

Capus ditqu'il aura la rosette au mois de juilletautomatiquement. Il n'a pasle courage de payer 5 000 francs de déditqui ledispenseraient de donner une pièce promise à Samuel etlui permettraient de jouir du succès de La Châtelaine.

-- Et LesDeux Ecoles à Berlin ?

-- Trèsbien ! dit-il. A l'étrangerça se passe toujours trèsbien.

Comme dansun four.

Brasserie.Des couteaux qui salissent même le fromageune eau agitéede choseset une caissière -- il est vrai qu'il va êtredeux heures du matin -- qui diten entendant Guitry demanderl'addition : « Enfin ! »

Bernsteinà Guitry :

-- Jevoudrais vous parler d'une pièce.

-- Oh !mon amij'ai des pièces pour trois ans.

--Ecoutez-moi cinq minutes ! La mienne est bien.

-- Je vouscroisdit Guitrymais je ne pourrai être de votre avis quedans trois ans.

-- Vous medémontez ! dit Bernsteinqui s'en va avec son air de moutonbattu.

3 janvier.

Guitry medit :

-- Vousdevriez avoir le courage de faire une pièce intitulée :Le Roman d'un jeune homme pauvred'après Octave Feuilletpar Jules Renard.

Et il mejoue le premier acteet cela vous étreint le coeur.

Tristanqui se sait décoréveut faire sa biographie pour unprogramme où il mettra : « Né en 1866 àBesançon. Sa maison natale porte une plaque... de la Compagnied'assurances Le Soleil. »

-- Est-ceque vous croyez à DieuvousTristan ?

-- Ouidit-il. Ces jours-ci.

Un hommequi compte beaucoup sur le talent des autresafin de pouvoir dire :« J'ai été déçu. »

6 janvier.

Unevieilletoute chiffonnée par le temps.

10janvier.

Tes larmesbrillent sur ta joue comme la pluie sur l'oiseau.

11janvier.

Jedonnerais 10 000 francsdit Capuset c'est quelque chosepour nepas être obligé de faire la pièce que j'aipromise à Samuel. Je me proposais de rester tranquille aprèsLa Châtelaine et d'arriver en octobre avec une pièceà la Comédie-Française. C'était mon plan.J'avais arrangé ma vie comme çaet ça m'ennuiede faire cette pièce pour les Variétés. Ellesera d'ailleurs très bien. C'est un de mes meilleurs sujetscopieux et gai. Ça va tout seul. D'un succès sûrouplutôtd'une valeur certainecar le succès nedépend plus de moi comme autrefoiset je n'oublie pas quej'aurai désormais de pleines salles d'ennemis.

-- MaisSamuel ne te fera pas de procès ?

-- Siaunom de ses actionnaires. Lui et moinous resterons bons amis. Maissi je ne m'exécute pasil me fera un procès que jeperdraicar j'ai signé des engagements.

Quellesmoeurs !

13janvier.

NouveauCirque. Odeur chaude d'écurie. Une ou deux mouchesm'effleurent le visage.

Un clownqui reçoit des coups de poing a une nouvelle façon detomberen essayant de se retenir comme nous. Ses bras battent l'airet ne trouvent rien. C'est un clown de talent. Il est original.

Pour jouerses scènesil apporte une petite barrière de boisgrossieret il fait ses entrées par cette petite barrièrequ'il a posée au milieu de la piste. Il entre en soulevant leloquet ; il essuie même ses pieds à la porte. Quand il ajoué sa scèneil sort par cette petite barrièrequ'il referme avec précautionet qu'il emporte.

Celui quime fera retenir des noms anglais n'est pas encore naturalisé.

A mespages courtes il faudrait les caractères de l'Imprimerienationale.

Vous ditesde moi : « C'est un ours ! » Mais non : c'est un hommequi vous méprise.

Critiquelittéraire : ne parler que des rééditions.

15janvier.

Je ne peuxpas voir une jolie femme sans en être éperdumentamoureux. C'est le coup de foudreet ça dure le temps d'uncoup de foudre : un éclair.

-- Guitrym'a parlé cinquante fois de Monsieur Vernetdit Capus.Il trouve ça très bienet tu as tort de ne pas luidonner tes deux actes. Ce serait très bienà cethéâtreetdeux actesc'est quelque chose. Ce seraitexcellent pour toien attendant le gros effortles trois actes quetu écriras un jour.

Un jeunehomme très bienqui connaît un cheval au NouveauCirque.

Deuil. Lemanque de douleur m'égare.

--N'oublie pas que tu lui as dit...

-- Si tucrois que j'écoute ce que je lui dis !

La crampedes écrivains paresseux.

17janvier.

Levaudevilleil faut maintenant y mettre une idée. Ce qui afait la fortune de La Dame de chez Maximdit Capusc'est queles femmes de province imitent celles de Paris.

Ce n'estpas une grande véritémais ça suffit.

Réalismeidéalismeautant de brumes à travers lesquellesl'homme aveugle cherche la vérité.

19janvier.

Il neparle pasmais on sait qu'il pense des bêtises.

A cettejeune filleje fais un petit discours sur l'innocuité deslivres quand on est intelligent.

-- C'estle mauvais entourage qui peut gâter ? lui dis-jenon lesmauvais livres.

Ellem'écouteémueetde temps en tempsrapproche sachaise ; moi-mêmemon improvisation m'émeut. Troubléeelle va tout de suite trop vite. Elle lâche sa famille.

-- J'aimebien papa et mamandit-ellemais je m'aperçois qu'ilspensent mal.

Ladistinction consiste encorepour elleà ne pas vouloirporter de gants de laine par le froid le plus vif et à avoirdes bottines vernies si fines qu'on ne puisse pas marcher quand onles a aux pieds.

Dans monégliseil n'y a pas de voûte entre moi et le ciel.

20janvier.

LaChâtelaine. Souper de centième chez Ritz.

--Rappelez-vousdis-je à Robert de Flers ; mon admiration pourCapusvoilà cinq ansvous étonnait. C'est vous quil'admirezmaintenant.

Granierles seins gonflés de talent.

JaneHellertoujours joliemaisce soirelle scintilleparticulièrement.

Granierciteavec trop de rireun de mes mots d'enfants à SarahBernhardtqui feint de n'avoir pas entendu.

Je dis àLavallièreun peu au hasard :

-- Vousavez un visage qui me plaît pour sa franchise. Vous devez avoirdes qualités moralesvous.

Et voilàune pauvre petite femme très émuequi me prend la mainà plusieurs reprises :

-- Oh !que je suis contente ! De tous les amis de Guitryje me disais quevous étiez le seul à me mépriseret j'ensouffrais. Je pensais que vous n'auriez jamais de sympathie pour moiet voilà ce que vous me dites. Oh ! que je suis contente !

-- Ce quej'aurais voulu jouerdit Granierc'est Poil de Carotte.

Cettecentièmel'aboutissement de toutes ces folies !

Si l'ondit à l'une d'elles : « Vous êtes jolie »ça lui est égal.

Si on luidit : « Vous avez du talent »elle est déjàplus touchée.

Si on luidit : « Vous avez des qualités morales »ons'aperçoit qu'elles ont toutes un coeur de petite fille.

Lamartineest un grand poëte qui n'a peut-être pas écritvingt vers parfaits.

25janvier.

Une femmerit tellement que sa poudre tombe. Son teint naturel reparaîtet la voilà jolie.

Ses succèsfont dire qu'il a du talentses foursqu'il est délicieux.

26janvier.

Capusbarbote un peu avec sa future pièce pour les Variétés.Il a dit à Samuelqui le prie de recommencer des actes :

--Maintenantmon amije te donnerai ma pièce quand je latrouverai prêteetsi je ne la trouve jamais prêtejene te la donnerai jamais.

-- Maisc'est la faillite ! dit Samuel.

-- J'aimemieux que tu fasses faillite qu'un four.

Nousparlons guerre. Il me raconte des histoires russes.

Rochefortdonne à Guitry une pièce en lui disant :

« Jela connais dans les coinsmoi ! C'est une affaire superbe. »Il a fait ça avec Maurice Faure. Sa pièce est nulle.Cet homme est un vieux jocrisse à qui Nouméa n'a rienappris.

-- Maisqu'est-ce que vous lui direz de sa pièce ?

-- Quec'est très beau et injouabledit Guitry

-- Je mefie à vous. Vous aurez des silencesdes bouts de phrases.Vous lui direz toutet rien. Il ne comprendra paset il dira : «Ouiouije comprends ! »

Dansl'omnibusune grosse femmegrasse et fraîchemais bêtecomme ses diamants. Elle cause avec un monsieur qui est en faced'elleet le quart du trajet leur suffit pour nous renseigner surleur vie stupide.

-- C'esttrop cherle théâtredit-ellequand il faut toujourspayer ses places.

-- Moidit le monsieurj'ai des billets tant que j'en veux. Il m'arrivesouvent de retourner à l'Opéra des loges qu'on m'envoietrop tard pour que je les utilise.

-- Nousdit la damenous payons toujours.

Elle parled'une pièce très bien où son mari a pleurécomme un enfant.

Elle ditde La Carotte :

-- C'estbête. Si j'avais su !... Et si ce n'était pas jouépar ces artistes-là...

DeRésurrection;

-- Lesdemoiselles ne doivent pas voir çamaissauf la partiesocialisteça me plaît.

Prairieplainepréquels beaux mots !

Guitryraconte bien. Il n'a pas peur. Chaque fois qu'il mentce n'est passon nez qui remue : c'est le mien.

Capusmanque surtout de cette distinction de l'espritqui est le charme deMarivaux.

Les jeunesfilles n'ont pas le droit de tout liremais elles peuvent passerleur après-midiau Jardin d'acclimatationà regarderles singes.

31janvier.

Que depièces ratéesque de bêtises on lit àGuitry ! Ah ! ce n'est pas si facilele théâtre ! Jedevrais écrire à Capus une lettre d'excuses.

D'unvoleur :

-- Nousétions amis. Il me connaissait comme ma poche.

1erfévrier.

Il n'y amalheureusement pas de remède de bonne femme contre lesmauvaises.

Il y a desgens si ennuyeux qu'ils vous font perdre une journée en cinqminutes.

La bonténe mène jamais à la bêtise.

4 février.

Paul Adamlaisse pousser sa barbe parce qu'il s'empâte.

Estmécontent de la vie et content de n'en avoir pas fait cadeau àun enfant. S'est arrangé pour pouvoir vivre avec 30 000 francsseulementet en cherche toujours 5 000.

-- Toutcela finira très bienpar la mortlui dis-je.

Travailletoujoursmais voudrait bien connaître la paressel'éloignement de ce qu'il fait. Sent l'inutilité de sontravail.

N'a quedes plaisirs esthétiques : voir Parispar exemplequand lesbecs de gaz s'allument ; ne comprend rien à la vie.

-- Maisdis-jec'est amusantde n'y rien comprendrequand on le sait.

Le talentc'est comme la richesse : je suis aussi riche que voussi je dépensemoins.

LéonDaudet a la nervosité de l'homme qu'on assomme toujours avecson père.

6 février.

Il vientde se marier avec sa petite maîtresse. II y a douze ans que çadurait. Il est en jeune mariésouliers vernis. Il a unefigure ravagéeun bouquet à la boutonnièreunbouquet fanéun bouquet de douze ans. Ils ont bien déjeunéses témoins et lui. Sa femme est heureuse comme une petitevierge. Il parle d'une petite maison qu'il vient de se faireconstruiremais il ne parle pas de mes billets de cent francs.

Bernsteinfait l'éloge de Racinepas de l'homme de théâtreni du poëte : alorsde quoi ?

Capus. Untramway écrasesous ses yeuxune petite fille.

-- Quellesmoeurs ! dit-il à Guitry.

Raynaudtoujours inquiet parce que tous les jeunes chefs de toutes les jeunesécoles poétiques doivent le détesterluileChef de l'Ecole Romane.

A laChambre des députésavec Léon Blum.

D'abordimpression confuse. On ne comprend rien. Puisl'ordre s'y met.Parfoisau pied de la tribune présidentielledes députésdes ministressemblent tenir familièrement un conseil privé.

Le mot deJaurès est exact : personnepas même Deschanelnes'occupe du public des galeries.

Jaluzotpromène son énormité et sa barbe de banc enbanc. Ah ! cette raie dans les cheveux rares ! Je me défied'un homme qui attache tant d'importance à ses poils.

L'extrêmegauche grogne souvent : « Qu'en pense votre Jules Lemaître? »

Lespetites boîtes où l'ami prend de quoi voter pourvingt-cinq amis. Petites boîtes de dominos : blancc'est ouibleuc'est non.

On nousenlève cannes et chapeauxpar peur de la tentation que nouspourrions avoir de les jeter à la tête du Gouvernement.

Les damesau premier rang.

Impressionqu'un tiers au moins travaillent beaucoup.

Autorité.Quand Ribot parle de sa placetout le monde se tait.

-- Vousêtes très inquiet de savoir s'il est difficile de fairece qu'ils fontme dit Léon Blum.

-- Oui.J'ai peur d'avoir raté ma vie.

-- Necraignez pas cela.

-- Maisenfinces hommes-làsont-ils supérieurs à desartistes ?

-- C'estsi différent ! L'artiste et l'homme intelligent ne peuvent serejoindre que sur les hauteursmais je crois qu'il est faciled'équivaloir à la plupart de ces hommes-làcommeen artil n'est point rare d'avoir plus de talent que de Nionou que Maizeroy.

Le coupletsur « les petits » réussit souventexceptési l'orateur est membre d'une minorité par trop faible.

Le verrel'huissier le change à chaque orateur. Très peuboivent.

C'est unebelle salle de théâtre. C'est du théâtre.

1er mars.

Tempstristeventeuxpluvieux. On imagine un château isoléoù toute une famille bâille et dit : « Siencorec'était la saison des grandes manoeuvres ! Il nous viendraitpeut-être des officiers. »

2 mars.

Le paysanavec lequel on est allé à l'écoleet pour quion est « ce vieux Jules ».

Un nez àperte de vue.

--Profitez donc d'être dame ! dit Ragotte à Marinette. Sije ne « bouille » pas la « buie » là-hautdans le paradisil y aura du bon.

-- Moidis-jej'y ferai le contraire de ce que je fais ici-bas. Je melèverai de bon matinet j'irai panser toutes les vaches duparadis.

-- Ceuxqui rendent service comme vous n'iront pas en enferme répondRagotte.

Figurenoire comme une gare.

AuxCapucines. Derrière moiune petite femme dit à son ami:

-- Regardedonc ces vieilles biques dans les logesavec leurs tas de trucs surle corps ! Est-ce que ça ne nous irait pas mieuxànous autresjeunesses ?

Cettefemme montre ses seins et croit qu'elle offre son coeur.

Deuxventsl'unpar la cheminéel'autrepar la fenêtrecourent l'un contre l'autre et sifflent de rage dans ma chambre.

Le marila femmele curéc'est le vrai ménage à trois.

Théâtre.

-- Çaa bien marché ?

-- Oui. Çaa bien marché sur de la glace.

Quinet ettant d'autres : libres penseurs religieux.

Quand onse réjouit d'être jeuneet qu'on remarque qu'on seporte bienc'est la vieillesse.

3 mars.

Bernsteinnous a réunis au Café AnglaisBlum et sa femmeBernard et sa femmeCapusHermantSem.

Pourquoi ?Ouiil faudra que je lui écrive pour le lui demander.

Un garçonm'apporte un rince-bouche vide. Je ne réclame pas ; quand ille reprendsa stupeur ! Il avait bien entendu dire que desprovinciaux le boiventmais il ne le croyait pas. Je suis lepremier.

C'est toutce que j'ai retenu de ce dîner.

Vent. Lafumée relève sa jupe pour s'envoler au ciel.

LéonBlumtrès intelligentet pas un grain d'esprit. C'estagréable pour ceux quicomme moise croient de l'esprit etne sont pas très sûrs de leur intelligence.

Seml'effroi des femmes qui ne sont pas jolies et peuvent mêmeavec l'exagération d'un détaildevenir laides.

4 mars.

Stylesillonné d'éclairs.

ChezBrandès. Hébrardle directeur du Temps. Unevraie surprise. J'ai rarement entendu un aussi bon causeur. Il al'air d'un petit Auvergnat sournoismais au bout de dix minutesonest conquis : c'est très brillant. C'est l'homme qui abeaucoup vubeaucoup entenduet qui a de grandes qualitésnaturelles.

Il dit uncouplet éblouissant sur Mendèsqui aiguise son couteausur Courteline pour mieux étriper les autres. C'est netsolide et dur. C'est un Capus qui dédaigne l'humour.

Il raconteMme Humbertqu'il connaissait depuis vingt ans et qu'il a prise pourun escroc jusqu'aux quinze derniers joursoù il a cru enelle.

-- Ce quitrompait surtout en elledit-ilc'est sa niaiserie. On ne pouvaitpas croire à la fourberie d'une femme qui avait l'air aussiniais.

«Elle a mangé cinq à six millions. On ne s'explique pasce qui la poussait. Point d'amantsmise comme une pauvresse. Ellepayait 30 000 francs une loge à l'Opéraoù elleallait six fois l'an. »

Bien dînerune ou deux fois par an chez un ami richefaire une ou deuxpromenades dans sa voiture profonderegarder ses tableauxson luxeil n'en faut pas plus à l'honnête homme pour se croireriche.

6 mars.

Théâtre.La petite vieille assise sur un strapontin et qui m'intéressaitparce que je lui avais marché sur le pied. Au dernier acte deL'Indiscret elle s'est approchée de la rampeetpourdonner encore un rappel à l'auteurou à l'actrice dontelle est la mèreelle s'est mise à frapper dans sesvieilles petites mainscoudes serréstête penchéepour écouter si on la suivait. C'était touchant.

Elle a euson rappel.

L'ironieest un élément du bonheur.

16 mars.

Aurestaurantune grueentre deux hommesfait des minauderies et depetites scènes. Elle dit tout à coup à l'und'eux :

--Tais-toiou je me lève ! Tais-toiou je fous la table enl'air et je me sauve.

D'unefemme elle dit :

-- C'estune femme d'affaires. Pour toucher 20 ou 30 000 francselle a faitdécorer deux de ses amants par le troisième.

Elle dit :

-- J'ai vula pièce des Variétés. Je trouve çaidiot.

-- Quedirait Capus s'il était icià ma place ! dis-je.

-- Ildiraitrépond Guitry : « Ce pauvre Samuel ! »

En face denousun petit vieux qui a des lunettes d'oret qui mâchequimâche ! Il s'en acquitte encore fort bien.

C'est lemangeur solitaire. Il a remplacé la femme par la cuisine.

MonsieurVernet. Lu hierchez Maireà AntoineCheirelSignoret.Je lis avant le déjeuner. Après le premier actejesens que ça a si bien porté que je veux lire le secondsûr de moi. D'ailleurscette lecture ne m'avait pas ému.

Le secondacte luet mal luà mon sensje regarde Antoine. Il meregarde un long momentpuis :

-- Vousêtes content de votre second acte ?

-- Oui.

-- Trèscontent ?

-- Trèscontent. Vouspas ?

-- Il y aquelque chose... dit Antoine.

C'estcomme s'il fichait toute ma pièce par terre.

-- Maisquoi ?

- Aprèsla scène de M. Vernetvous m'avez lâché. Il y aun trou.

-- Mais jene vous ai pas repris ?

-- Non. Jen'y étais plus.

-- Alorsque faut-il faire ?

-- Cen'est pas mon métiermais le vôtre. Pendant un acte etdemi vous me tenez ; puis vous ne me tenez plus : voilà ce queje constate.

Signoretet Cheirel ont tiqué aussi. Je les interroge. Signoret avouequ'en effet il y a eu fléchissement après la scènede déclarationet Cheirel dit que la lanterne n'est paséclairée. Ils ajoutent que ce n'est rienmais je senschez Antoine quelque chose de plus alarmantcomme s'il n'avait pascompris.

21 mars.

Crainquebille.Répétition privée.

Tous sontdans l'enthousiasmemais ils ont besoin qu'on les y maintienne.France les hypnotise. Je ne suis pas emballé. Tout çaest un peu élémentaireun peu appliqué. Francen'a pas l'inquiétude de l'homme de théâtre. Iltrouve tout bien et il les aime tousde Guitry à Frédal.

Guitrys'est fait une têtequ'on dit d'abord « épatante»puis on s'aperçoit que ça fait une têtede cartonde mi-carême. Il a un faux nezet ce n'est pasCrainquebille : c'est Guitry avec un faux nez.

Le théâtreest vide. Tous les acteurs sont partis.

Noussommes aux fauteuils d'orchestre. FranceMme de Caillavetqui a vudeux ou trois fois Poil de Carotte. Nous sommes dans l'ombre.Il ne reste sur la scène qu'un long bâton noirdeboutet enflamméqui s'appelle « le diable »et quinous éclaire.

A Franceje parle de son dénouement que je trouvequoique nécessairemoins vrai que celui de la nouvelle.

-- C'estMme de Caillavet qui me l'a suggérédit-il.

-- Enfindis-jela Sourisc'est le sauveur.

-- Pasprécisémentrépond France. Ce n'est pas lesauveur ordinairede conventionle monsieur richepar exemplequis'offre égoïstement le luxe d'adopter un pauvre : c'estun enfantet qui n'est pas de la société.Crainquebille lui dit : « Tu n'es pas du monde. » C'estun petit être faible dont la bonne action ne doit mêmepas s'interpréter au profit des hommes. Remarquez que laSouris loge en haut d'une vieille maison qu'on réparepresqueau ciel. Ouiil est du cielet de la terre. D'ailleursil ne sauvepas Crainquebille : un soiril partage avec lui pain et saucisson.Il ne lui donne asile que pour une nuitet Crainquebilledemainnemanquera point d'aller se jeter à la Seine. Mais le public nel'aura pas vu : il faut bien faire quelque chose pour le public !

Quelcauseurque France ! Il sait et dit tout.

Promenadeau Jardin avec Alfred Natanson.

Desarbresdans leur trouavec des claires-voies autour. Ils doivents'essuyer le pied avant de rentrer.

Letamanoir avec ses manches à gigot et sa grande queue. Il sefait un cortègeà lui tout seul. Il suffit de leregarder pour comprendre ce mot : la fonction crée l'organe.

Le condoren prière.

Des singesse poussent du coude quand nos laideurs passent.

Trèsjalouxil n'invite pas chez lui de célibataires. Siparmalheuril en arrive unil déplace les couverts pour resterà côté de sa femme.

24 mars.

MonsieurVernet. Lecture du second acte par les acteurs. D'aborddel'hésitationpuisà la scène entre M. Vernetet Henrimalgré les ânonnementsje sens que çay est.

Antoinequi est à côté de moise retourneet j'ai lacoquetterie de ne pas m'en apercevoir. J'entends : « Çay est ! »

--N'est-ce pas ?

-- Il n'yavait que ça à faire. C'est cent représentationsavec la pièce de de Lorde. Rappelez-vous ce que je dis là.

-- Je vaisle noter.

Signoretme dit :

-- A lapremière lectureje n'avais pas vu votre grande scèneà cette hauteur. Maintenantje vois que c'est de beaucoup laplus belle.

Je rentreavec du succès plein le coeur.

C'estamusantces lectures par les artistes. Il faudrait donner çaau public. Oublis du copistecorrections. De temps en tempsunacteur qui n'a plus rien à dire s'échappe derrièreson manuscrit ; l'auteur craint le bâillement.

25 mars.

Illaissera un prénom dans l'histoire du coeur.

27 mars.

Le mondeest mal faitdit Capusparce que Dieu l'a créé toutseul. Il aurait consulté deux ou trois amisunle deuxièmejourun autrele cinquièmeun autrele septièmelemonde serait parfait.

«Dès qu'on travaille à la scèneon n'y voit plusrien.

«Les trente pièces que j'ai écrites m'ont formépour les quarante que j'écrirai.

« Cequi manque à Schwobc'est l'éducation classique.

«Racine n'a jamais travaillé une fin de vers.

«Pour les Trente ans de théâtreje veux faire uneconférence sur Molièremais pas du point de vue duXVIIe siècle. Je parlerai de lui comme s'il vivait de nosjourscomme si c'était Guitry : en camarade. »

-- Tu neviens pas manger quelques-uns de ces gâteaux qui ne sont bonsqu'à regarder ? me dit-il.

Quand nousavons fini :

-- Commentpouvez-vous croiremademoisellequ'à mon âge j'aimangé trois tartes aux fraises !

Sociétédes Gens de Lettres. On vote le rapport : il est adopté àtoutes les mains levéesmoins unecelle d'une femme laideet qui a sur son chapeau des fleurs rouges dont le soleilqui enfait pousser de bien étrangesn'a pas idée.

Tous ceshommes qui sont hommes de lettres et pas connusça donneenvie d'être modeste.

DePeyrebrune me dit :

-- Chaquefois que je viens à la Sociétéje vous cherche.Votre attitude m'a fait beaucoup de peine. Je suis trèssensible. Ce que vous faites est si rare !

30 mars.

Gâteauxfades qui font apprécier le pain.

Le succèsdes autres me gênemais beaucoup moins que s'il étaitmérité.

Il n'y aque les erreurs qui donnent du prix à la vérité.

Chaqueauteur pense : « Il n'y a qu'un acteur qui pourrait jouer mespièces : c'est moi. Je jouerais ça comme un cochonmais c'est égal... »

Philippen'a jamais froid : il dit qu'il a les pieds en peau de « bigue».

Napoléonaurait dû se brûler la cervelle sur un de ses champs debataille.

Ne mesoutenez pas -- ce serait un blasphème
Que le regard duchien semble toujours le même.

Le naturelsubit d'un acteur qui s'interromptà une répétitionpour parler au souffleur.

Printemps: les nuques des femmes écloses déjà.

Lesgrandes amitiés commencent par le froid.

Chinoishabillés de soie comme des pruneaux.

Mareligion m'est tombée comme une peau.

L'historien: pas de métaphores ! Des fiches.

1er avril.

On parlebeaucoup des pièces de théâtre : on n'y pense paslongtemps.

MonsieurVernet. Répétition. Antoine donne au premier acteun mouvement vertigineux où les mots ne sont plus que grainsde poussière. Bientôtj'entends :

--Signorettrop d'emphase. Vous jouez ça comme à laComédie-Française. Vous avez peur de Renard. Jouez doncça comme du Grenet-Dancourt.

Quand jelui fais observer que ce n'est pas là le sens d'une phrasesabouche se contracte d'une façon qui serait inquiétantepour moi siau fondil n'avait peur.

-- Jouezgai ! dit-il à Signoret.

-- Çam'est bien plus facilerépond Signoret.

Cheirel adeux sourires bien différents : celui de l'honnêtefemmeet celui de l'allumeuse.

-- Je vousdonnerai celui que vous voudrezdit-elle. Vous n'avez qu'àdemander.

On apportela maquette du second acte. Phrase inévitable.

-- C'estlà-dedans qu'il faudrait jouer les pièces.

Antoinefait tout démolir. Une pointe saute : ça y est.

-- Qu'onest malheureux quand on ne sait pas dessiner ! dit-il.

Avec desdominos il essaie de montrer ce qu'il faudrait que soit la maison :tout dégringole.

-- Çane sera jamais trop rustique ! dit-il.

-- Bonbon ! dit le peintreRustiqueça me connaît.

Voyageur.Bah ! ceux qui ont fait le tour du monde peuvent faire durer leurconversation un quart d'heure de plus.

-- Tout demêmedit Anceyce doit être agréable de gagnerune fois dans sa vie150 000 francs avec une pièce !

-- Je nesais pasdis-je

Un hommequi veutpar ses silencesqu'on en pense long pour lui.

Authéâtreles gouttes de pluiec'est des grains de plombsur une toile.

C'est sifacile à faireun dialogue !

MADAME.

-- Non !

MONSIEUR.

-- Si !

Et voilàquatre lignes.

Il fautavoir une belle conscience d'artiste pour se dire : « Pourquoiai-je mis ça plutôt qu'autre chose ? » Alors letrouble commence : « Si ce n'était pas çaceserait peut-être biensi peu différent que ce fûtde ce que j'ai mis. »

Du petitthéâtre. Les acteurs semblent jouer dans la maquette dudécorle publicêtre assis dans la petite salle enréduction où il a choisi ses places.

Une piècen'est jamais faiteetquand elle ne se défait pas toute lesoir de la premièrec'est déjà bien gentil desa part.

-- Lepublic ne m'a pas comprisdit Antoine. Je lui demande cent sous : illes donnemais avec autant de regret que s'il me donnait le double.Il me lâche après quarante représentations. Dansun autre théâtreavec le même travailj'auraisgagné 500 000 francs de plus.

Authéâtrepersonne n'obtient rien de ce qu'il veutnides acteursni du décorateurni du publicni de soi-même.

Et çapeut finir par de l'enthousiasme.

Oies.Grosses cuisinières qui arrivent avec leurs petits cabas sousle ventre.

Cheminéesde Paris et leurs tétines.

5 avril.

Notrebonne. C'est surtout par la bêtise qu'elle l'emporte. Elle meprouve une fois de plus que la bonté naturelle est rareetqueseulel'intelligence peut donner la bonté.

14 avril.

Oiseautout fier : il a l'air d'avoir volé sur Paris.

Le natureld'Antoine quandau milieu d'une répétitionlaconcierge lui apporte à signer un reçu de lettrechargée.

-- Quandon répète votre pièce après avoir jouéles autresme dit Cheirelça fait du bien. La nuitje penseaux répétitions. Je vous dis çaà vousl'auteur. Plus ça vaet plus je l'aimevotre pièce.Si je ne la jouais pasj'aurais un grand chagrin.

Antoinequi lit son rôledit :

-- Ne nousinquiétez pas ! Je fais un travail de mémoire.

Il dit deSainte-Hélène :

-- C'étaitprévu ! Ça n'a marché ni bienni mal.

--Qu'est-ce que dit le public ?

-- Iltrouve ça emmerdantet ça l'est. C'était prévu!

Il demandeau machiniste qui place les chaises pour figurer le décor s'ilse fout de luiet il appelle le souffleur « monsieur ».

Signoret ajustement remarqué que Capus termine ses tirades par le mot «Voilà ! »d'un air de dire au public : «Arrange-toi avec ça ! »

15 avril.

Dumas filsavait beaucoup de talent pour son époque. Depuison a apprisune autre langue. Il n'y aurait peut-être qu'à récriretout çaje ne dis pas : avec plus de talentmais avecd'autres mots. Dans vingt ansil faudra peut-être faire lemême travail pour les pièces de Capus et d'Hervieu.

On a ditque le Théâtre-Libre est rosse. Mais combien Dumas estmufle ! Il a pour la femme un mépris d'esclave affranchi.

Nousfaisons nos pièces avec nous-mêmes : où est-ildans les siennes ? C'est plus généralmais çamanque de vieet ce n'en est pas plus de tous les tempspuisquedéjà on en est las.

Théâtrede dompteur.

Le valetde chambre lui-même a du styleet tous en ont un peu comme desvalets de chambre. On annonce : « Monsieur le comte. »Nous voilà fixés : c'est monsieur le comte. Tout lemonde saitpar conventionce que c'estmaisquel hommeçane nous regarde pas.

C'est dusportet ça reste humain parce qu'après toutpartravail et entraînementil y a de l'humanité dans tousles sports.

On ditquelquefois : « C'est émouvant »et presquetoujours : « C'est curieux. » Ouic'est bien curieux !Quelles drôles de gens ! Allons souper.

16 avril.

Antoineveut dire son rôle avec le souffleur. C'est terrible !

On répètedans de la toile d'emballage du décor.

Ce que ditAntoine à un souffleur :

-- Je vousattendsmonsieur... Pas si vitemonsieur !... Le textemonsieur. Ya-t-il « pourtant » ou « cependant » ?...Rien à faire avec un souffleur pareil !... Laissez-moimonsieur !... Soutenez-moimonsieur !... Heu ! Heu ! Suivez doncmonsieur !... Pas si haut ! Je ne m'entends plus !

Il dit :

-- Je veuxsavoir mon texte aujourd'hui.

-- Bon !Mais vous me permettrez tout de mêmeAntoined'y fairequelques petits changements ?

-- Vousaussià moi ? dit-il.

-- C'estdrôle !

Ibels medemande si ça ne me gêne pas qu'il reste. Nous en sommesà la scène du peintre. Il doit trouver ça demauvais goûtCheirel trop « Palais-Royal »Signoretpas poëte.

Onrecommence. C'est aussi mauvaiset je n'y vois plus que du terne.

Desprèsà qui Beaubourg vient de lire une pièce en quatreactesdont le premier est formidablement beauetles troisautresde plus en plus mauvaisme parle de Poil de Carottequ'elle a joué dans un salonde Lugnéqui est unadmirable Lepicun peu trop grand seigneurpuis elle me dit :

-- C'estdélicieux.

-- De quiparlez-vous ?

-- DeMonsieur Vernet. J'ai entendu les deux actes. Oh ! la fin dudeux ! C'est du même tonneau que Plaisir de romprequoique supérieur. J'aime moins le Pain de ménagevrai et simple. Je ne dis pas que ça aura la destinéede Poil de Carotteque je vous jouerai éternellementmais vous pouvez compter sur soixante à quatre-vingtsreprésentations.

-- Vousêtes sincère ?

-- Oh !vous pouvez être tranquille

Et je lesuis un peu moins.

Tout demêmeil faut bien laisser à Desprès une petitepréférence pour Poil de Carotte !

18 avril.

« Jevous remercie de votre mot gentil dans votre article sur Steinlein »dis-je à Vauxcelles.

LUI.--J'ai écrit ?...

MOI.--Vous ne l'avez pas fait exprès.

LUI. --SiSi ! j'ai voulu monter dans votre voiture. Très bienvotre article sur Leloir !

MOI.--Merci.

LUI.--D'autant plus que je n'aimais pas le précédent.

MOI.-- Ah! vous gâtez votre compliment. Mettez au moins un jour entreles deux.

LUI.--C'est que je suis sévère pour vous.

MOI.--Soyez-le un peu pour vous.

LUI.--J'ai de la franchise.

MOI.-- Çane suffit pas pour avoir du goût.

LUI.--Vous préférez l'autre article ?

MOI. --Ouiet je suis sûr qu'il vaut mieux.

LUI.--Vous devez avoir raison.

MOI.--N'en doutez pas.

L'Aiglon.Ouic'est un autre mondemais cela m'émeut à chaqueinstant. Rostand ne s'interdit rienmais il en profite. Toutes lesficellesouimais pour attacher tous les oiseauxdes aigles et deschardonnerets.

On a beauavoir horreur de la guerre : Victor Hugo et Rostand finissent presquepar faire accepter les tueries de Napoléon.

Çam'écrase. Et tout ce mouvement me donne envie de faire duthéâtre assis.

MonsieurVernet. Antoine n'est pas là. On répète dansl'ennui et l'envie de s'en aller.

Ilm'arrive de rester tout seul dans mon petit coin.

Subitementet d'une façon frappanteCheirel me rappelle la Blanche duPlaisir de rompre.

Signorettrès inquiet pour les comparaisons qu'on peut faire entre lapièce et le livresouhaite que je change les noms. Je luiréponds que ce serait une petite lâcheté inutile.

22 avril.

Antoineessaie de dire son rôle. Comme je lui fais une observation :

--Laissez-moi ! dit-il. Je cherche ma mémoire. Donnez-moivingt-quatre heures.

Ausouffleur :

-- Lisezmonsieur ! Lisez donc !... Taisez-vous doncmonsieur ! Regardez-nous: nous jouons la comédie.

-- Voustravaillez dans l'honnêteme dit Cheirel.

Le soirAntoine me dit qu'il sait son rôleque ça sortet quec'est une jolie chose.

Poil deCarotte. Desprès pleuretoute seule dans sa loge.

-- Ouimedit-elle. Je chiale parce qu'Antoine m'a dit que j'ai moins bien joué!

-- Voussavez bien qu'il dit ça pour dire quelque chose !

- Cerôle-là me tue. Je ne le joue qu'en tremblant. J'y metstout ce que je peux.

Antoine medit :

-- Unepetite femme a passé une audition dans Poil de Carotte: elle m'a épaté. Il faudra que je vous fasse entendreça.

D'ailleursla fin de Poil de Carotteque je viens d'écoutern'est pas bonne. Sans les mots qui partentje serais « baîllé». Je suis plus malin dans Monsieur Vernetquiàcause de cette adresseest peut-être d'une qualitéinférieure.

24 avril.

Cheirel nesait plus où elle en est. C'était établi hier :ça ne l'est donc plus aujourd'hui ? Antoine lui coupe sesphrases en deux. Je lui ai dit d'être un peu mélancoliquemais Antoinequi trouve que la mélancolie n'est pas «théâtre »lui dit d'être « bon enfant».

Ilvoudrait dire encore quelque rosserie à Ellen Andrée.

Sa pudeurqui l'empêche d'être affectueux avec Cheirel.

-- Il nefaut pas songer qu'au succès de la piècedis-je àCheirel : il faut penser au vôtre. Si telle interprétationvous va mieuxprenez-la.

Antoine mefait entendre un Poil de Carotte qui dit la première partiecomme jamais elle n'a été dite. Elle dit çacomme ferait Réjaneavec ses qualités et ses défauts.

-- Ce quec'est ! dit-elle. Si j'avais créé Poil de Carottele lendemain j'étais célèbre.

26 avril.

Antoinedit :

-- Je n'ysuis plus. C'est le décor qui me préoccupe.

Comme jedis à Signoret et à Cheirel que c'est bienil affectede tourner le dos.

--Etes-vous contentAntoine ?

-- Non.

--Qu'est-ce que vous voulez ?

-- Cen'est pas ça du toutdu tout ! Oh ! ce n'est pas vousmaisnous nous énervons sur cette scène. Passonspassons !

Ils'obstine à ne voir en moi qu'un ironisteet en Signoretqu'un écornifleur.

--Qu'est-ce que c'est que cette boîte à mouches ? dit-ildu décor

Ilengueule le décorateur.

Peu degens se connaissent moins que moi en décoret il faut quej'aie l'air de m'y intéresseret que je dise si j'aime ça.

28 avril.

Décordu deux. Wolff écoute la piècemarche d'abordpuisdisparaît sans rien dire. Je ne sais plus. Il me dit plus tardqu'il a trouvé la scène longuetant Antoine la savaitpeu.

EllenAndrée pleure tout à coup et finit de jouer sa scèneen pleurant.

Quelledétresse ! Voilà que je mendie presque des compliments.

--Est-elle clairela pièce ? demandé-je à Wolff.

-- Clairecomme de l'eau de roche. Antoine aura un gros succès. Cheirelsera délicieuse.

J'insistepour qu'il ne paie pas la moitié de sa voitureet je rentrechez moi avec la peur du désastre.

Le soirj'emporte mes deux actes chez Antoineettandis qu'il sedénapoléoniseje lui dis la scène comme je l'ailue à Guitryà Brandèset c'est le mêmeeffet. Il dit :

-- Ouic'est ça ! Ça y est ! Il faudrait jouer comme vouslisezet ce serait sûr.

ChezGuitryNoblet me dit :

-- Depuisque je fais du théâtrec'est la première foisqu'un auteur a cette idée si simple et si bonne de relire sapièce à ses acteursaprès un certain nombre derépétitions.

Nohain mereproche l'article de Paul Acker et dit :

-- Vousêtes plus connu dans la Nièvre que vous ne croyez.Comment pouvez-vous envier à des hommes comme Millien leurpetite gloire locale ? Il est moins connu que vous : c'est vous quicroyez qu'il l'est. Les compatriotes pèchent plutôt parignorance et timidité que par hostilité.

A quoi jeréponds :

-- Ditescela à Paul Acker.

1er mai.

A cinqheuresAntoine vient me dire que la répétitionquej'attends depuis deux heures et demien'aura pas lieu.

Ces damesparlent de leurs cors aux pieds.

-- Moidit Desprèsj'en ai deux grosénormes !

Làencore elle veut être la première.

Répétitiondu deux en costumes.

Tous ontmal jouépréoccupés de leurs toilettes et desderniers béquetsvoulant jouer comme je veux et contreAntoinefurieuxqui ne sait plus un mot de son rôle.

-- C'estune merveille ! lui dit Wolff.

-- C'estun clourépond Antoineet Renard nous flanquera par terre ennous faisant jouer comme ça.

Il dit àAlfred Natanson :

-- Cen'est pas possible de lui donner ce qu'il veut.

A moi :

-- C'estune ordure. En la prenant comme çala pièce fout lecamp.

-- Çam'est égal ! dis-je. J'aime mieux un four avec ma piècejouée dans le sens qu'elle aqu'un succès sans moi.

-- Bienbien ! Je vous la jouerai comme ça. Oh ! soyez tranquille ! Jene vous trahirai pasmaisun soirje la jouerai comme je veuxdevant le publicet vous verrez !

2 mai.

Antoineest charmant.

-- Çava mieux qu'hierdit-il.

-- Le faitest qu'hier vous n'étiez pas gentil avec moi.

-- Oh ! cen'était pas contre vousmais ça n'allait pas.Voyez-vousje suis ennuyé. Je sens que mon théâtrem'échappequ'il fout le camp. Je ne tiens pas mon personnel.

-- A labonne heure ! dis-je. Je croyais que vous me prêtiez je ne saisquelle hostilité contre vous. Je vous lis ma pièced'une façon qui vous plaît ; maissiau théâtreil est impossible de me donner çajouez-la autrement. Jem'inclinerai toujoursdu point de vue théâtredevantun artiste comme vous.

-- Je vaisvous donner ce que vous voulezdit Antoine.

Il jouetrès bien le premier acte. Il l'emplit de jolies choses. Et ilest si content qu'il ôte son vestondéboutonne songilet et se met à clouer du lierre au décor du deux.

Làil joue la scène comme j'ai vouluet je sens que l'émotionest intense autour de moi. Il recommence C'est moins bienmais j'aieu ce que je voulaiset je le lui dis.

-- Ouidit-il. Je ne comprenais pas le rôle. Je le jouais tropthéâtre. Je le jouais en cabotcomme un cabot que jesuis.

Je lui dis:

-- Vousm'avez euhiermais vous ne m'aurez plus. Que ma pièceréussisse ou pasvous venez de la jouer : je suis content.

Wolffquivoit le second acte pour la troisième foispersiste àtrouver que la scène entre les deux hommes est trop longue.Rosa Bruckqui ne trouvait pasest maintenant de son avis. Athysdit qu'il y a un peu loin du départ décidé audépart. Je me décide à enlever une trentaine derépliquesc'est-à-dire tout ce quidans la scèneentre les deux hommesdevenaitle départ une fois décidéune causerie amicale entre Guitry et un autre Guitry.

Le petithomme qui a fait le vilain décor du unet qui semble s'êtrefait couper les jambes par un de ses décorsme dit :

-- Hierj'ai écouté votre deuxième acte : c'est fin.

Il dit çad'un air morne.

Wolff quisoutient que cet acte est un bijoume dit :

-- Oh !vousRenardvous ferezun jourune pièce qui vousrapportera beaucoup d'argentparce que vous êtes bon.

Grumbachet Berr de Turrique me disentl'un : « C'est charmant ! »l'autre « Ça me paraît délicieux. »

Le soirdans sa logeAntoine coupe des répliques.

Nousparlons jalousie de confrères. Le plus terribleparaît-ilest Fabre. Courteline devient mauvais : il va trop chez Jullien.Curel ne pense qu'à sa pièce : un théâtreoù on ne le joue pas est comme un théâtre fermé.

Antoineaffecte de n'être jaloux que des metteurs en scène.

Moijedis quele premier tortillement passétout marche bien ;mais je me vante.

Antoinejoue le premier acte en vingt-neuf minutes.

Signoret al'impression qu'il est reçu par des fous. Moij'ail'impression que c'est un four. Pas un effet : où seplacerait-il ? Personne n'y a rien compris.

Antoine medemande :

-- Est-cequ'ils ont rigolé ?

--L'impression générale est que vous avez joué dixfois trop vite.

-- Je mefous de ces gens-là !

-- Ouimais vous ne vous foutez pas de moi ? Il ne faut pas me parler sur ceton-làAntoine.

Il me voitcontractéme serre le bras et me dit :

-- Ne vousfrappez pas ! Je vous donnerai ce que vous voudrez.

Je sensque le second acte porte à fondet Cheirel a un succèsdélicieux.

-- C'estadmirabledit Picard. Il n'y a pas un mot de trop.

Tristan aeu la même impression qu'à la lecture.

Je voisaux visagesque cet acte ne peut pas porter.

Feydeau avoulu venir. Il a l'air content de cette pièce dont tous lespersonnages sont des héros.

Antoineest furieuxsans doute du succès de Cheirelpuisde ce quele deux prend dans la pièce l'importance que j'avais toujoursprévue.

-- C'estmal jouédit Antoine. Le mouvement...

Ilrecommence.

--Antoinelui dis-je en pleine salleen voilà assez ! Je necomprends rien à ce que vous diteset je ne vous répondraipas.

Pas dormicette nuit. Des frissonsdes brûluresde la fièvre.

Aucunetranquillité : pour le premier acteet il faut que je merappelle que le second a plu à Feydeau.

Je restecouché presque toute la journéeénervéet geignant.

Marinetteadmirable de couragem'enverra Fantec pour me dire comment a marchéle premier acte : « Très bien. Bien. Marché. Pasmarché. »

-- Soistranquille ! me dit-elle. Je te jure de te dire la vérité.Je serai même plutôt en dessous qu'en dessus.

Peu àpeu je me calme. Et puissans la question d'argentqu'est-ce quetoute cette folie de théâtre ?

Dixheures. De plus en plus calmecomme si on ne me jouait pas ce soiret ce calme ne me présage rien de bon. L'insuccès esttout de même plus vivant que le succès.

Fantecvient me chercher. Tout le premier acte a bien réussi.

8 mai.

Répétition.Première. J'arrive pour entendre applaudir Antoine dans lascène du deux.

Il sort etme dit :

-- Unelongueur dans ma scènemais effet énorme. Gros succès.BlumTristandes amisviennent : ça ressemble beaucoup àla répétition de Poil de Carotte. Cheirelenchantéem'embrasse. Nous nous embrassons tous.

-- Sansrancuneme dit Antoine.

Courtelineaffecte de ne parler que de L'Attaque nocturne et me dit :

--Charmantvotre affaireRenard.

Lelendemainà deux heuresraccord pour chercher la longueur.Après une discussion où Antoine recommence àparler pour ne rien direje supprime la scène de Pauline.Plus à l'aiseAntoine me dit :

-- Vousverrez !

Tout lemonde autour de moi approuve la suppression.

-- Que nele disiez-vous !

-- Nousn'osions pasavec un écrivain comme vous.

Lapremière. Je me promène. Au premier acteLuce Colas medit :

-- On n'apas le temps de placer un mot !

C'estmieux qu'hier.

Je vaisfaire un tour pendant le second acte. Je reviens.

-- C'estun triomphe ! me dit-elle encore.

En effetje reconnais les bonnes figures de Poil de Carotte. Séverineelle-même me dit :

-- C'esttrès bien.

Et Antoine:

-- Il y aencore quelque chose qui ne va pas.

-- Ou ça?

-- Dans mascène.

-- A quelendroit ?

-- Je nesais pas. C'est moins marqué qu'hiermais ça existetout de même.

Je vaissouper avec Guitry et Brandès.

Je mecouche joyeuxindifférent.

Lelendemain j'ouvre mes journaux. Un Mendès glacialun Echode Paris muetun Paul Arène grossier pour Cheirelet unepresse sauf la petite -- sans aucun rapport avec le succès dela première. Stupeur. Dépression. Alors quoi ?

Antoinele soirm'accueille avec un : « La presse est froide. »

J'écoutela seconde. Le premier acte porte -- trop-- à cause surtoutde Pauline. Au secondla partie comique me semble porter moins. Lascène d'Henri et de Cheirel s'écoute sans qu'unepaupière bouge.

La pressea arrêté le mouvement de location.

-- Ah !les salauds ! dit Antoine.

Cheirel apleuré de la grossièreté d'Arène.

Pas unedemande de publierde traduire. Rien ! C'est le désastred'argent. Mais je me roidis. Si j'avais un sujet pour trois actesjem'y mettrais tout de suite.

Une piècequi se passerait dans un jardinet dont les personnages seraientobligés de marcher dans une allée.

10 mai.

A lapremièreun monsieur :

-- C'estla première fois qu'au théâtre une déclarationd'amour ne m'ennuie pas.

Une femmeà la scène entre les deux hommes :

-- Oh !que c'est joli !

Et lesdiscussions avec Antoine recommencent.

-- J'ai unremordsdit-il : celui de ne m'être pas enfermé toutseul avec mes acteurs et de ne pas vous avoir mis à la porte.

-- Non !dis-je. Je vous jure que vous ne m'auriez pas mis à la portede ma pièce !

-- Neprenez pas votre air méchant. Le malheur de cette pièceajoute-t-ilc'est d'avoir été répétéedans deux théâtres à la fois.

-- Vousvoulez dire que j'ai demandé des conseils à Guitry ?Pour qui me prenez-vous ?

A chaqueinstantil semble que nous allons nous dévorer.

Je lui dis:

-- Cettescène doit être jouée sur un banccomme celle dePoil de Carotteet vous la jouez trop durement.

-- Ce quevous voulez là n'est pas théâtre.

-- Je lesais bien : c'est humain. Essayez tout de même.

Et çafinit par des « Elle est exquisevotre pièce »et par une recette de 3 500 francsun des quatre meilleurs samedisde l'année. Et tout finit par de l'argent. Et Antoinereconnaît que c'est Monsieur Vernet qui fait del'argent.

Théâtre.Se défier des amis et de la presse qui trouvent des longueurs.Ils ont tant vu de pièces qu'ils ont tendance à dire :« Allez ! mais allez donc ! » Le public dirait plutôt: « Arrêtez ! Pas si vite ! J'ai payé pour toutela soiréeet vous avez l'air de vouloir me mettre à laporte. »

Métier.Quel métier ? Chacun doit apprendre le sien. Il me faut unmétier spécialcelui qui peut le mieux servir mesqualités naturellesqui ne sont pas celles de mon voisin.

Dans undes plateaux de votre balancevous me faites monter aux nues.Qu'importesi votre balance est fausse ?

Commentles critiques peuvent-ils se regarder sans rire ? Mais ils sont sivaniteux qu'ils ne se regardent pas.

Vous medites que je suis naïf : je voudrais bien l'être.

Franc-Nohain:

-- Vous negagnerez jamais beaucoup d'argent au théâtre. Je lecroyaisaprès Poil de Carottemais...

Tristan :

-- Vousgagnerez de l'argent au théâtre. Après Poil deCarotteje ne le croyais pasmais...

16 mai.

Veuve d'unhomme de lettres mort au moment où il croyait tenir toutàquarante-huit ansparce que Porel lui avait donné l'espoirqu'il jouerait une de ses pièces.

-- Vousconnaissez Amoureuse? dit-elle. Eh ! bienc'est encore plusbeau.

Elle ditencore :

-- J'étaisla servante de Molière. J'ai un remords : j'aurais dû lemarier. Il avait trouvé une personne très riche.

Elle veutle sortir de l'ombre et le vengeron ne sait de quoi au juste.

Ellemontre sa photographie :

--N'est-ce pasqu'il est beau ?

Il a euune pièce jouée au Grand-Guignol : de làsesambitions de théâtre.

-- A samortdit-ellela Société des Gens de Lettres lui aconsacré un bel article. Il me lisait tout ce qu'il écrivait.Je lui disais : « Efface ça ! » et il effaçait.Il est mort d'une méningite parce que Porelau milieu dupremier acte de sa pièce qu'il lui lisaitlui a ditenrecevant monsieur Guinon : « Monsieurje vous salue. »

Ils onttout de même trouvé le moyen de faire 15 000 francs dedettes.

-- Il y adans sa pièce un paysanet un vrai ! C'est moi qui le lui aifourni. Je ne suis qu'une paysanne de Moulins-Engilbertmaisluic'était un homme si distingué !

Elle luiest dévouéedévouée comme à Dieu.

Le légerlabourage des canards sur l'eau.

A unanonyme :

-- Je vousserre la main à tâtons.

La branchequi met sa feuille à la fenêtre.

Théâtre.Si tu veux que je pleurene chiale pas !

Ellevieillit à vue d'oeil : on voit la neige tomber sur sescheveux.

De ladiscussion rien ne sort : c'est de la bonne entente que jaillit lalumière. Elle donne de l'éclat aux avis qui seressemblent.

Peuhabitué à recevoiril voulait payer ce qu'on luioffrait.

Le ventqui à la cheminée donne l'air de fumer en courant.

Ce n'estpas moi qui ai du goût : c'est la vérité.

Il fautqu'une phrase soit si clairequ'elle fasse plaisir au premier coupetpourtantqu'on la relise à cause du plaisir qu'elle afait.

L'infinien nombre rond.

Mains depaysannes comme des fourches.

Oreilles :cavernes de gruyère.

Il boit dulait falsifié.

-- Un peuamer.

-- Croyezbien que je goûte l'amertume comme le reste.

Crânedont la cervelle est un haricot.

Tirer dupuits des pleins seaux de vérités.

Discoursd'un député : « Je renonce à la parole ! »

Lekangourou a le cabriolet aux mains.

Oiseaubien à l'abribien enveloppé dans le petit manteau deses ailes.

Sur satêteune raie au beurre.

Deux yeuxqui ne peuvent pas se voir.

Au milieudu silence qu'on fait en soiune cloche.

La luttedu pot de terre contre le pot plein d'argent.

Cicérondisait ce matin à mon fils...

La maingauche doit ignorer les bagues qu'on donne à la main droite.

Chute defemme. Rien de cassé : à peine une déchirure.

27 mai.

Théâtre.Comédiens toujours dans l'eau comme des canards. Donnent despoignées de coudes.

Les femmeschangent de bas et de chemise.

-- Mais jevois !

-- Bon !Mes nénés ?

Tout çaprès du seau de toilette.

MonsieurVernet. Cheirel pleure tous les soirsce qui fait dire àAntoine :

-- Çavous émeut tant que çavouscette fin ?

Il me dit:

-- Cettechaleur nous a tuésmais nous aurons quarante bellesreprésentations à la rentrée. Oh ! je vous ledis.

Il ne fautpas qu'un auteur écoute trop sa pièce au théâtre: il verrait quece qui en porte surtoutc'est la partie médiocreet s'encouragerait au médiocre pour sa pièce prochaine.

Cheirel medit :

-- Ah !vous en êtesun auteurvous ! La plus sale des gruesvouslui faites dire : « Avec un peu de chancej'aurais voulumoiaussivivre comme Mme Vernet. »

Puis :

-- Voussavez ? Je crois bien que Rivoire est amoureux de moi.

-- Ne lefaites pas souffrir. Cédez-lui

-- Oh !non. Je ne suis pas de ces femmes-là. Et puisil estpeut-être poëte dans ses livresmaiscomme hommecen'est pas ça. Je ne suis pas intelligentemais j'ai del'instinct. Comme femmeje ne me trompe pas. On voit bien que je nemets jamais de faux cheveux : je ne sais pas les faire tenir.

29 mai.

Au Bois.Il fait nuit. Notre ombre qui s'appuie contre un arbre nous faitpeur.

On entend: « Je suis bien content d'avoir apporté mon revolver. »

-- «Je te confie tout mon argent. »

On agitesa canne. Voix et rire nerveux.

Caféaux lumières multicolores. Sur le lacdes bateaux avec deuxlampionsun à chaque bout. C'est ça qui excite Barrès; seulementil transporte le tout à Venise.

Le soleilquand nous nous réveillonschasse les pâles pensées

Théâtre.Mettre un titre à chaque scène.

Expositioncanine. Tous ces gentilshommes redescendent au chien.

Quellesfemmes dans la ruepar ces premiers jours de chaleur ! Elles sontpresque toutes nues. Ah ! si les hommes étaient un peuintelligents...

Trésorsd'amour perdus. Je la pressais sans me presser.

Chaquefois que le mot « Jules » n'est pas suivi du mot «Renard »j'ai du chagrin.

BientôtGuitry me dira : « Vous allez être content ! Je vais vousjouer une pièce de votre Rostand. »

-- Guitrya majoré ses recettes toute l'annéedit Antoined'abord celles de La Châtelainepour lancer sonthéâtrepuis celles de La Princesse Georgespour faire plaisir à Brandès.

«Vous savez que Monsieur Vernet redevient un chef-d'oeuvre ?Ouioui ! Les gens trouvent ça délicieux. Moije nesoupçonnais pas la qualité d'émotion de la fin.

-- C'estdis-je lâchementque les femmes sont touchées par lerespect qu'il y a pour elles dans cette pièce.

-- Ouidit Antoine. C'est gentil. Oh ! j'ai joué le second actehiersoircomme jamais je ne l'avais joué. Signoret me l'a dit. Ah! je suis bien tranquillemaintenantsur Monsieur Vernet!

Toutefière d'être la maîtresse de quelqu'unelle seplaint de ses maux de coeur et finit par dire :

-- Jecrois que je suis enceinte.

4 juin.

Réceptionde Rostand à l'Académie française.

Mon cocherne se presse pas.

-- Çane vous excite pasvousl'Académie française ?

Il ne merépond même pas.

Dessoldats. Des pauvres diables qui ont retenu des places.

Un petitfantassin m'indique mon escalier : un noir intestin de ver. C'estjecroisla tribune des musiciens. On ne voit que du premier rang.

On secroirait à une lucarne de moulin regardant au fond d'un fouroù des tas de gens vont cuire d'enthousiasme.

Enthousiasmejaune de Coppée.

Prèsde moiLe Bargy réclame vingt francs. Il finit par fairedéloger je ne sais quelle dame qui a pris sa place.

Le Bargyles mains dans sa chaîne de montre. En faceMme Rostandl'aird'une jeune fille anglaise. Des lèvreselle suivra avecferveur tout le discoursqu'elle sait par coeur.

L'enthousiasmesoufflé et blanc de Mendès.

Rostandapparaît derrière l'exsangue Claretie. Bravos.

La paroleest à M. Edmond Rostand.

Ilcommenceles dents serrées. Dès les premiers mots il ason public. Ce sera Cyrano. Il lit comme Le BargycommeSarahavec quelque chose de luiun accent du Midi que je ne luiconnaissais pas : abus des dentales. Tous les couplets portentet iln'y a que des couplets.

Je voisson crâne chauvesa moustache qu'il tortille quand onl'applauditpas son monocle. Serré dans son habit vert.Claretiedébraillé.

Je lescroyais tous en habit.

Les mainsfinesblanches. La droite s'appuie au pupitre.

Il rate unou deux motsle mot « coquetterie »je crois.

Sarahpleureson fils aussi.

Pourparler de son pèresa voix descend à une profondeur decave : c'est là qu'il trouve le timbre de famille.

-- C'esthabiledit près de moi un vieux monsieur décoréqui finit par m'apprendre que M. de Vogüé est son cousin.

Tous leseffets font de l'effet. J'en suis fatiguéet ma canne nefrappe plus le parquet que par entraînement.

5 juillet.

Chaumot.

La tortuene voyage qu'en petite vitesse.

Soiréede juillet. L'éclat de Vénus qui se couche aprèsle soleil attire les chauves-souris. Elles sont ivres etàchaque instanttombent dans l'air comme dans un troumais ellesn'en touchent pas le fond.

La butted'Asnan au couchant rose.

Sur lecanalun marinierdont le bateau est immobilisé par lechômagejoue de l'accordéon. La tête àfleur d'eaules grenouilles l'accompagnent comme elles peuvent ; safemme a beau dire au chien : « Veux-tu te taire ! » lechien continue d'aboyer de son mieux. Une vache meugle aussimais unseul coup. Les rats s'en mêlent et sifflent du coin de labouche. Mais toute cette musique ne trouble pas le calme du soir. Unsouffle d'air léger n'incline que les plus hautes herbes.

Le mur dumoulin s'éclaire du reflet de la pleine lune.

Le coeurest infiniment doux.

CousineNanette. Chez ellesur un petit fourneaubout toujours unecasserole de pruneaux et de haricots.

L'homme delettres se dit quelquefoiscomme s'il sortait d'un rêve : «Ah ! çamais je n'ai pas de métier ! Il faut pourtantque je me décide à en prendre un. »

12juillet.

Ilfaudrait se mettre à plusieurs pour être un sage.

Rostandle poëte des foules qui se croient d'élite.

Maladie.Le visage se décompose : toute la terre réapparaît.

Coccinelle: une petite tortue qui tout à coup s'envole.

Paysan. Sadéfiance instinctive d'ignorant qui ne sait pas la valeur desmots.

Fantectermine son devoir de morale par : « L'amour du clocher estsupérieur à l'amour de la patrie ».

Lescrupuleune maladie comme la paresse.

La nuitles arbres se promènent entre les boeufs.

14juillet.

L'ignorancedu paysan se compose de ce qu'il ne sait pas et de ce qu'il croitsavoir.

Philippese met à table à midiet il ne parle qu'àquatre heures sonnant pour dire :

-- Si onfaisait le goûter de quatre heures ?

La petiteMarianne chanted'une voix aiguë :

Palermeperle de la Sicile !

Ons'accorde à dire qu'il n'y en a pas dix sur cent quipourraient monter aussi haut qu'elle.

Ilschantent et prennent toujours trop haut ou trop bas.

Ilsgoûtent la grosse poësiecomme le vin rouge qui estpresque noir.

Ils nesavent plus où ils en sont. Ils ont bien perdu leur curémais ils n'ont pas encore trouvé leur sage.

Plutôtque de l'orgueilils ont la peur d'être modestesparce que lamodestie leur paraît être de la bêtiseet ils neveulent point passer pour bêtes.

Ilscroient en Dieu. Ils sentent que le prêtre n'est pas bonmaisque Dieu l'est infiniment. Ils se réjouissent parce que lecuré demande à Dieu de les foudroyeret que Dieu neveut pas.

Ilsattendent que quelqu'un les relève à leurs propres yeuxet leur dise : « Vous n'êtes pas des brutes comme leprétend monsieur le curé. »

Ilsavaient un bouquet pour moi : ils ont oublié de me l'offrir.Pour se rattraperils veulent le porter sur la tombe de mon père.Je dis d'abord ouipuis j'ai un peu honteet je les en dissuadesous le prétexte que mon père était hostile àtoute manifestation de ce genreen réalité parce queça m'ennuie de traverser le villagesous l'oeil du curéavec un bouquet et quinze paysans derrière moipour aller aucimetière.

Ils saventdes choses que je ne sais pasle nom de je ne sais quel ministrequi... Je dis : « Oui ! Oui ! »

Tous ontenvie de chanter. Chacun dit :

-- Oh ! sije savaisje ne me ferais pas prier. Je sais des couplets d'un tasde chansonsmais rien en entier.

Brusquementils partent. On ne peut plus les arrêter.

Il ne fautpas être trop simple avec eux. On veut être dans la vie :ils sont au théâtre.

La lectureleur semble aussi vaine que l'hygiène : ils ne sont jamaismalades.

Le besoinde se confesser. Je me surprends à causertout seulavecPhilippe comme je ferais avec Guitry.

C'est lapremière fois que je parle sans liremais ce n'est pas encoreune improvisation. Je leur dis :

-- Je neveux pas faire un discours.

J'ai eutort. Ils ne savent comment appeler ce que je leur ai dit.

Ilscroient un peu au Purgatoirecomme à une espèce desalle d'attente où ils resteront jusqu'à ce que passele train du Paradis.

Les femmesont un peu honte de leur curéqui les met en colèreavec ses grossièretésmais il leur fait peur. Ce curéc'est peut-être le diable. Elles ne savent plus etpauvresâmes affoléesretournent à lui.

Etparfoisils sont d'une gravité impressionnante : ilsmériteraient qu'on leur lût de l'Homère. Ilsaiment qu'on leur parle politiquereligion aussi. Ils sont prêtspour l'étude d'un catéchisme laïc. Ils croient enDieucomme Victor Hugo.

Ils nesont pas deuxun garçon et une fillecomme dans Théocritepour garder les troupeaux confondus.

16juillet.

Vexéparce que je lui ai dit qu'il sent l'ailPhilippe a acheté ungros cigare pour s'ôter l'odeur.

Lapoussièrece vent visible.

Levéritable amource doit être celui d'une honnêteet bonne ouvrière.

Les gensde Germenay se marient entre eux. Tous richesils n'ont pas besoinde voir les autres. Ils sont hospitaliers. Ils s'entr'aident. Quandl'un d'eux est obligé d'abattre une bête mangeabletouslui en achètentquitte à jeter le morceau. C'est de lamutualité.

-- Je visisolédit le poëte Ponge.

L'éclairfauche la nue.

Lesblancheurspresque l'écume des vagues de blé.

Dieuimmense est au-dessus de nous. Ni le papeni ses prêtres n'enpeuvent donner une idée.

CousineNanette à sa fille :

-- T'aspas hontede porter des toilettes comme ça ? Tu ne pensesdonc plus que t'es une paysanne ? Tiens ! ne m'appelle plus ta mère!

Et ellel'embrasse avec orgueil.

Parce quej'ai des lys dans jardinils disent que je suis royaliste.

Leprofesseur à l'école d'agriculture de Corbigny dit :

-- Il y aune faute de français dans la préface du livre dePonge.

-- Je neme rappelle pas.

-- Maismoidit-ilje m'en rappelle.

Un beauparcqui excite à aller se promener sur la route.

Conseilmunicipal. Séance. Comme un pauvre chien qui a peur d'êtrebattule maire sait déjà dire : « Eh benmessieursla séance est ouverte. » Il fait semblant deregarder le compte révisé du receveuret il dit un peulâchement :

-- Commedit monsieur Renard...

Voyant quej'ôte mon chapeauil ôte le sien.

Ilsreviennent des champset ils ont des sabots qui sortent de l'écurie.

Ilscroient que Philippe me dit toutet je passe mon temps à luifaire des reproches parce qu'il ne me dit rien.

Philippeet Ragotte vivent comme au temps de l'Evangile.

Unesoupière sur une petite tablepas une goutte de bouillon dansla soupe ; aprèsune tête d'ailet de l'eau àboire : le vin tombe dans les jambes à Ragotte.

On chercheleur tente. Les chameaux ne doivent pas être loin.

L'ail leurdonne appétit pour manger beaucoup de pain.

Robert serappelle toujours sa dent. Les premiers tempssa langue se fourraittoujours dans le trou ; maintenant -- il a trente-cinq ans -- elle yest habituée. Maispar exemplepar ce trou-làilpouvait « gicler »cracher loin ! Et puisc'étaitune dent de devant. Ça ne le gêne pas : il ne mange pasdessus.

Il dit :

-- Je suisfils de magistratd'un homme qui a dépensé de l'argentpour la commune. Il était obligé d'acheter plus decinquante francs d'eau-de-vie par an pour les gendarmes.

Il dit dePonge :

-- Je luiai acheté son livre un jour de foire. C'est bien tourné.Qui aurait dit ça de ce vieux gars-là ! On n'endonnerait pas quatre sous quand on le voit par les chemins.

Commegarde-forestieril n'a jamais fait de procès àpersonneet il n'a jamais eu l'occasion d'en faireparce quetoujoursquand on veut voler un morceau de boison le lui demande.Il dit : « Ouimais coupez-le bien proprementpour que çane se voie pas. »

D'unepersonne en dessousil dit : « Encore une qui rit court. »

Il prisepour deux sous de tabac par semaine. Il a droit à des bons detabacmais il revend ses paquets huit sous.

Il acomme moil'amour de son coin de villageet il n'aime pas lesautres coins. Il pense à ceux de sa classetous partis.

Il s'estcoupé la main avec un de ces croissants dont on se sert pourabattre les petites branches. En se lavant à la fontaineilvoyait l'osles nerfs : c'était tout blancmais ças'est vite refermé. Des foispourtantça lui «frémille » encore dans les doigts.

Le matinil fait sa tournée sans rien dans le corpset il revient àhuit heures manger la soupe.

Il passe «domanial » près de Chantilly.

Il aime àlireles soirs d'hiver. Pendant qu'il litsa femme et lui ne sedisent pas une parole.

Maupassantn'observe pas : il imagine de la réalité. Ce n'estencore que de l'à-peu-près.

La naturen'est jamais laide. Comme les arbres respirent bien !

Le vertsombre d'un bois quand un nuage passe sur lui.

Présfauchésencore vertsprés mangésdéjàjaunes.

18juillet.

Ecrivainsde talentpeut-êtremaisà mes yeuxils écrivent« brouillé ». Je me lasse tout de suite de leslire.

Nous nousconnaissons mieux qu'il n'y paraîtet nous nous gardons dereprocher à autrui les défauts que nous sommes sûrsd'avoir.

22juillet.

Tenez-vousloin de moipour que je puisse vous respecter.

Comme jelisais des versune caille a chanté. Ah ! pauvres paysans quine connaissez pas ces émotionsvous méritez toute lapitié humaine !

Quand onregarde trop les étoileselles finissent par êtreinsignifiantes.

Le mystèrelui-même a quelque chose de fade.

Robert.S'il boit sans mangerça lui donne des aigreurs et des «brûlations ».

Avec sesgardes particulièresil a 800 francssur lesquels on luiretient sa retraite et 25 francs pour ses habits. Il n'a pas un soude dettesmais il n'a pas un sou d'économies. Il aura 1 200francs dans sa nouvelle place. Quelquefoisles chasseurs luidonneront la pièceparce qu'ils sont plus généreuxque les faucheurs.

Ce qu'iladmiredans un champc'est un beau chou-rave qu'on peut manger avecde l'oie ou du cochon.

Un paysandécolleté au soleil.

-- Mescheveux tombentdit Robert. Mes poux n'ont plus rien pour seretenir.

S'iltrouve des cornes de cerfsil me les enverra pour que j'en fasse desmanches de couteaux.

Quand lavipère se fâchesa peau devient toute rouge.

Quand unhomme ne parle que de ce qu'il saitil a toujours l'air plus savantque nous.

Robert --toujours la dent que je lui ai cassée avec mon arbalète-- dit qu'un de ses onclesqui est âgé dequatre-vingt-trois ansa toutes ses dentset dans la boucheencore!

Sesoreilles sont toutes petitescomme si elles n'avaient pas poussé.

La couleurde son col de chemise se confond avec celle de sa peau. Il aime bienla blouseparce qu'elle préserve le linge.

Il adepuis longtempsun mauvais petit bouton noir à la lèvre.Il ne sait ni comment c'est venuni ce que c'est ; c'est peut-êtredu sang « battu ».

L'étudede ces hommes-làc'est de l'histoire naturelle.

L'eautremble : on dirait un lac de feuilles d'argent.

Patine dutemps sur les toits. On ne voit plus les tuilesmais une tenture demousse blanche et jaunedouce à l'oeil.

L'ingratitudede nos enfants à l'égard de nos anciens amis nousréjouit.

LaGloriette. Au sud-est. La rivière disparaît tout desuite sous les peupliersetle canalderrière l'écluse.

Valléede l'Yonne : près du moulinles fermes de Marcy.

Les boisdes Granges. On ne voit pas le château de Marcilly.

La Tour deVauban. Bussy-Rabutin.

Forêtde Montreuillon que coupecomme un filla rigole.

La lignebleu tendre du Morvan.

Lesmoutons immobiles etpar leur nezcomme prisonniers de la terre.

Les boeufsblancs immobiles comme du linge étendu tout le long de lahaie.

Le tas denuages à l'horizonoù le soleil couchant met le feu.

C'est àse prendre la tête dans les mainset à la lui jeter àla figure.

23juillet.

Mme Lepic.La comédienne qui en fait tropqui ne sait plus ce qu'ellefaitni ce qu'elle ditet qui n'a plus qu'une idéequ'uneraison de vivre : être toujours en scène.

Elle valouer une chambre quelque partpersuadée quesi sa maisonétait libreses enfants se réconcilieraient tout desuite.

Elle ditqu'elle donne cinquante francs de gratification à Philippe etqu'il faut qu'elle ait toujours une bouteille d'eau-de-vie àla maisonpas pour ellebien sûr ! Si bien que Philippe neveut plus accepter d'elle un verre de vin et qu'il boit de l'eauquand il travaille au jardin. Vexée par ces refuselleprétend qu'il n'y a rien de rien dans ce jardinqui lui coûteles yeux de la tête.

Philippequi la croyait bonnecomprend aujourd'hui la vie de mon père.Il ajouteparlant à Marinette :

-- Jerefuse son verre de vin ou son petit verre d'eau-de-viemais vouspensez bienmadameque je ne refuserai jamais les vôtres.

Elle joueà la femme d'ordre.

Il luifaut un peu de bois. Elle a de quoi en acheter.

Qu'est-cequ'on dirait donc d'elle si elle ne laissait pasdans un coindequoi se faire enterrer ?

Elle restetrès donneuse. Autrefoisc'était par charitépuisce fut par orgueil. Maintenantc'est par humilitépourqu'on la supportecar elle a peur de la solitude.

Quand jepasse devant sa portej'entends sa voix aiguë et métalliquesans nuances. Elle cause toute seulepour me faire croire -- carelle m'a aperçuelle m'« épitait » --qu'elle reçoit des visitesqu'on ne la délaisse pas.

Et ellefait la dame : elle porte des volants à ses manchesce quifait enrager cousine Nanette.

Tousvoudraient quitter le pays. Ces videurs de pots leur tournent latête. Dans dix ansil sera aux mains sales des valets dechambre.

A quaranteansil faut ouvrir ses fenêtres de l'autre côté :on est même un peu en retard.

C'est unelégendeque les noces où ils mangent toute la journée.A vrai direils mangent peumais lentement. Pour beaucoup mangeril faut avoir l'estomac entraîné des riches.

Leur «goûter »cet ailcette pomme de terrece pain quijamais ne fut blancce litre d'eau qui chauffe à l'ombred'une haietout cela nous fait mal à la conscience et nousfait du bien à l'appétit.

Bonnepromenade ; mais ce ne sont pas des promenades comme celle-làqui peuvent me conduire à l'Académie.

Loge dumouleur de bois. La hutte d'Esquimau. Des rames en faisceaurecouvertes de mottesl'herbe en dessous pour que la terre nes'effrite pas et ne tombe pas dans les yeux. Il fait bon et chaudlà-dessous.

Dans un deces moments de désespoir où j'écrirais : «Je n'aime personne ! Je me moque de ma femmede mes enfants. »

Çafait un peu malde l'écrire. Tant pisje l'écris !Est-ce moi qui me suis enfanté ?

Ce seraitbeauun livre tout nu ! Titre : Tout nu.

Quellehorreur !

24juillet.

Lablancheur d'un saule retroussé par le vent.

Ilsparlent encore de la lune. Ils disent :

-- Il y aun mouvement de lune demain. Le temps changera.

Si on lespousse un peuils feignent de n'y pas croire personnellementmaisleur pèredisent-ilsou tel vieux du villagey croit bien.

Lune durelune tendrelune rousse.

D'un prébien enclos ils disent : « C'est beauça ! »

Leurssouvenirs d'enfance : ils se rappellent qu'ils ont jeté biendes pierres sur ce poirier sauvage.

Un bateaus'abîme quand il reste trop longtemps déchargé :le soleil lui ouvre les jointures des planches hors de l'eau.

Philippe.L'air et l'ailvoilà ce qui le fera vivre cent ans.

Pas unsouffle d'airet les feuilles et les branches remuent comme sil'arbre les agitait lui-même.

Il y aplus d'intelligence chez telle fourmi que d'instinct chez tel pauvrehomme.

La raisondu plus raisonnable est toujours la meilleure.

25juillet.

Jem'imagine que je suis très vieux et que je ne dois plus avoirque des pensées de sage vieillard.

Les gensheureux n'ont pas le droit d'être optimistes : c'est uneinsulte au malheur.

Le maladequi retourne à Saint-Honoré a la vanité d'êtrereconnu par le personnel de l'établissement de bains.

Le soleilétale le reste de son or sur un champ de blé.

Un nuageavec une petite étoile au derrièrecomme un verluisant.

Mendèsce Déroulède de la littérature.

Le taureaumugit derrière la haie Les vaches viennent sous le chêne.L'une d'elles saute comme une folle.

Un taureaupeut faire la monte à partir d'un an ; à cinq ou sixansil est déjà ou trop lourd ou trop méchant.Sa carrière est finie.

27juillet.

Le poëtePonge dit : « des zharnais » ; mais il n'est pastranquilleet il se reprend : c'est sa supériorité surles autres paysans.

Mme Lepic.Sa vertu d'honnête femme est une vertu piquéeâcre.Elle garderait un sérail. Elle gardait la petite bonne et luidécachetait ses lettres. Elle en conserve une qu'elle lui aarrachéeet dont elle met les trois morceaux dans une boîte:

-- Monbien-aimé disait la petiteje vous attends ce soir.Je serai seule. Nous pourrons causser. Celle qui vous aime.Votre petite amie.

Mme Lepicdit :

-- Ellefait de ma maison une maison publique. D'ailleursle maire me l'abien dit : « Ce n'est pas une petite fille : c'est une chienne.» Comme je le lui disais à elle : « Moima fillej'ai eu mes tortsje le reconnais. Ouij'ai des défautsmaissous ce rapport-làon n'a rien à me reprocherrienrienpas ça ! »

Etlamain écartée sur sa poitrineelle pleure... de regret.

Sa femmese soûle et lui donne des coups de poing.

-- Je nel'ai pas reçudit-il. Je faisais mon pétrin etjustementje me baissais.

Elle luienvoie -- il n'a pas l'air de le remarquer -- des poids d'une livre àla tête.

-- Eh benmon vieuxlui dit son filssi maman t'avait attrapé !.

Elle luidit :

-- Tu aseudans ta famillequelqu'un en prison.

-- Ouirépond-il : c'est l'honneur. Mon grand-père a faillialler à Nouméamais c'est l'honneur.

-- Ils'agit de je ne sais quelle histoire politique.

-- Tandisquetoi ? tu as eu quelqu'un dans ta famille... Tu sais pourquoi.

Elleempoigne un couteau sur la tablemais elle le reposecar çapourrait gâter son affaireet elle ne veut pas divorcer.

Avec leurtoit de pailleles maisons ont encore un petit air gallo-romain.

QuandPhilippe peut attraper une taupeil se venge. Il retourne uneclochela pique en terrey met de l'eau et y jette la taupe. Maisil n'y a pas assez d'eau pour qu'elle se noie ; elle s'efforce degrimper au verre de la cloche et ne fait que retomber.

30juillet.

L'hommeheureux et optimiste est un imbécile.

Limacerougeen beau cuir de Russieavec de profondes rainures.

Quand onvoit Ragotteavec ses seins énormesprès de songarçon grandgros et grason lui dirait avec tendresse : «Vous êtes une bonne vache et vous avez fait un bon veau. »Elle a donné à ses enfants toute la vie épaissequ'elle avait dans les seins.

Sansbonnetelle a cent ans de plus.

Qui n'apas vu Dieu n'a rien vu.

Je suis enpleine maturitéet je ne bouge plusde peur que la peur neme gagne.

Sommeil duJuste ! Le Juste ne devrait pas pouvoir dormir.

Idéeslarges dans un esprit étroit.

31juillet.

Philippemieux que le parentc'est le compagnon.

Ils viventdans la buanderie et s'y trouvent bien. La porte n'est ferméequ'avec une corde. Quand il fait de l'oragePointu n'a qu'à yappuyer ses deux pattes de devant pour l'ouvrir et entrer.

N'importequelle loge de concierge à Paris leur semblerait trop belle.

1er août.

Ecouteécoute les gens ! Ils nous apprennent toujours quelque chosesi peu que ce soitet on ne leur apprend jamais rien.

En sortantleur vérité du puitsles indiscrets répandentl'eau partout.

Ilsregardent trop le cimetièrepas assez la mort.

La lunefait haleter la mer comme un sein.

Le plaisird'être agréable aux gens que ça embête.

CousineNanette. La peur de la mort lui fait une vieillesse douloureuse. Ellegeintelle traîne la jambeelle a l'orgueil d'être laplus malheureuse des femmes. Je lui crie :

-- C'estla jeunesse !

Çala fait rire et pleurer.

SonLexandre a eu mal au coeur cette nuit.

-- Mal aucoeurà son âgecroyez-vous ça ! Ouic'estbien étonnant. A cet âge-là -- quatre-vingt-deuxans -- il devrait être mort.

C'estsurtout à cause des quelques lignes qu'ils lui ont fait écrireque La Bruyère est immortel.

Parcequ'on ne nous salue pasnous disons : « On n'est pas polidans ce pays-ci. »

Ils necombattent la saleté que par la sueur.

A l'écolede MarignyMarinette distribue à goûter. Les petitsn'osent pas toucher à leurs brioches. L'un deux est tellementécrasé qu'il s'endort.

On couchema visite sur le registre. Le maire dit aux petits qu'ils sauront unjour que j'écris des livres comme ceux qui sont làdans la bibliothèque scolaire. Je n'y vois que du Jules Verne.

Il a étévingt-cinq ans maître d'école ici. Il me dit :

-- Ah !monsieurce que j'ai eu de mal à leur faire porter des basl'hiver ! Ils venaient à l'école pieds nus.

3 août.

Lamalheureuse me remercie du « beau discours que j'ai prononcépour elle dans le journal ». Il s'agit de mon petit article deL'Echo de Clamecy.

Elle ditque le monde de Corbigny ne vaut tout de même pas celui deChitryet quesauf Mme Cahouet et Mme Bernassepersonne ne l'aide.

4 août.

Tempsbilieux. Des nuages noirs à bordure verte.

Boussole.Cette petite aiguille bleue qui cherche le nordc'est une leçonà notre incrédulité.

Le délicattreillage de la pluie.

Quand elleloue sa maisonelle dit : « Et remarquez qu'il y a unebuanderie. C'est raredans nos pays ! » Quandplus tardonlui demande de réparer cette buanderie dont le mur s'écrouleelle répond :

« Ah! tant pis ! il y a bien des maisons qui n'en ont pas ! »

8 août.

Au mairede Marigny je parle des difficultés du théâtre.

--Quelquefoismêmeles acteurs nous trahissentlui dis-je.

-- Desvendus ! dit-il avec indignation.

Honorinetoujours avec sa hotte au dosmais elle n'y met plus que de l'écorcesèche : c'est moins lourd.

Sévèrepour Dieuqui n'est pas juste et qui prend les vieux avant lesjeunes.

-- J'aides rhumatismes.

-- Moiaussij'en auraissi je voulais.

17 août.

Notresensibilité nous met à leur merci.

A notrebonneje viens d'offrir 200 francs qu'elle a pris d'un doigt que nil'orgueilni la ragene peut empêcher d'être crochu.

Un quartd'heure aprèselle dit à Marinette :

-- Simadame veut visiter ma malle...

-- Oh !vous n'avez pas honte ?

-- Dame !quand on en veut tant aux gens !...

Et ellepleure de rage.

-- On nemet pas du linge de couleur à sécher au soleil. Voussavez bienMarieque ça le fait passer.

-- Oh ! lesoleil n'est pas bien fort.

-- Comment! Vous balayez ma chambre avant d'avoir serré ma robe et lelinge ?

-- Jebalayemais je ne fais pas de poussière.

-- Tu necomprends pas ce que je te disdis-je à Marie.

-- Oh ! jesais bien que je suis une bêtemaismarchez ! je vois tout demême clair.

-- Si tune le sais pasapprends-le.

-- Je suistrop vieille pour aller à l'école.

--Pourquoi as-tu mis les portes de ta grange dans la mienne sans medemander la permission ? lui dis-je. Je ne te dis pas de les enlever.

Mais elleles enlève.

-- Je nete l'ai pas dit.

-- Vousm'avez fait une observation.

-- Laméritais-tu ?

-- Je laméritais sans la mériter.

Baïeespère qu'elle auraun jourtrois cents francs de dot.

Ilstravaillent en bras de chemisemaisde loinon peut croire qu'ilsse promènent en gilet blanc.

Lesmuguets télégraphiques.

Si lerepos n'est pas encoreun peudu travailc'est tout de suite del'ennui.

Un boeufsemé de mouches.

18 août.

Ce matinen menant sa vache au préRagotte entend des crisdes cris!... Elle court et trouvedans un champun petit gars qui garde lesmoutons du Bouquin. Il criait d'ennuiparce qu'il est louécomme petit berger depuis la Saint-Jean. Il a douze ans. Il s'ennuiede ses parents qui habitent Mouronet il se remet à crieretde grosses larmes lui coulent jusqu'au menton.

La chèvreporte sa besace entre ses jambes.

Comme ilest douloureux de voir un paysan qui en méprise un autre !

19 août.

Sigracieuse que les chats mêmes la détestaient.

Elle avaitune façon d'en débarrasser une chaise et de leur donnerdu lait !... Ils le trouvaient aigre.

Ils serapprochent d'épouvante quand l'un d'eux meurt.

Ils sontorgueilleux sans dignitémais pas fiers.

Maman a euun tas de qualités naissantesqui n'ont pas grandi.

Ellepleure parce que cousine Nanette lui a dit : « Il ne vous aimepas ! Il ne vous aime pas ! »

-- Oh !dit-elle à Marinettevous ne savez pas ce que peut souffrirune mère !

Çaennuie l'épicière d'acquitter une note.

-- Tenezdit-elleje vas la déchirer. Ça fera la mêmechose.

La petitetable a les quatre pieds coupéset tout est si petit queRagotte a l'air de jouer au ménage.

Ils fontde Dieu un agent électoral.

Les heuresoù l'on a le cerveau bas de plafond.

Fantecl'avait photographié avec son chien. Sa femme a trouvéqu'on voit trop le maripas assez le chien.

C'estignoblecette épaisseur ! Des jouesdu ventreet del'importance comme un tonneau. Ettout de suiteon sent le monsieurqui ne trouve jamais son maître.

Oncauserait avec Voltaire : on se sent un peu timide avec ces gars-là.

Il leurarrive de dire : « Moien dehors de mon métier (il louedes voitures)je ne suis pas connaisseur. » Mais mettez-le surla vigne : il ne se tait plus. Et sur l'hygiène !

-- Pourmaigrirun verre d'eau après chaque repas.

-- Jecrois que...

-- Unverre d'eau.

-- On m'adit...

-- Unseul.

Vous dites:

-- Cetemps humide et froid va chasser les cailles.

-- Erreur!

-- Jecroyais...

-- Non !Elles restent.

-- Commentexpliques-tu ça ?

--L'humidité et le froid les retiennent.

-- D'aprèstes observationsmais...

-- C'estprouvé.

Zut ! onle quittemais il vous suit etpendant un kilomètreavec unarrêt tous les dix pasil raconte une histoire de chasse qu'ilmimesurtout devant les fenêtres où il y a quelqu'un.

Onl'écoute poliment. On se retient de l'interrompre et de fileret c'est encore lui qui vous ditun doigt tendu :

-- Monvieuxje ne te chasse pasmais profite de cette éclaircie.

Soulagéon se dit : « Allons ! Je ne suis tout de même pas unebrute ! »

Encore unqui ne pense jamais à Dieuet qui mourra comme un autre avectous les sacrements !

Il sevante d'avoir roulé des gens. Devant mon air froidil a toutde même un peu honte : « C'est permisdit-ilc'est lesaffaires. »

Commentune femme peut-elle vivre avec cet homme-là si elle n'est pasencore plus grossière que lui ? Que reste-t-il de la femmechez une femme qui couche avec cet homme ?

Lagrand-mère de Robert me dit qu'il n'a pas pu emporter sonarcheparce qu'il avait déjà trop de bagages ; maissides foisson beau-pèrequi est bien maladen'allait pasmieuxRobert serait obligé de veniret il emporteraitl'arche.

-- Voussavez que la terre tourne.

-- On ditça.

Philippeapporte le pain sous son bras : à la sueur du front il ajoutela sueur de l'aisselle.

Elledépense dix sous par jouret elle dit qu'il faut toujoursavoir l'argent à la main.

Elle frisedu pain dans du lait.

Elle faitbêcher son jardinmais elle plante elle-même seslégumes.

Tolérezmon intolérance.

Rêve.On me coupe la têteetmalgré mes supplications -- «mes artères vont se boucher »dis-je --on tarde àme la remettre sur les épaules.

Saint-Honoré.Table d'hôte. Un monsieuravec une distinction de brosseurditen s'asseyant :

-- Toutela matinéej'ai eu le corps dérangé.

Un autreécarte les bras et dit à Marinette qu'il voit pour lapremière fois :

-- Je n'aipas pu venir plus tôt.

Pas trop àleur aiseassezcependantpour être jaloux de ce qu'ilsvoient qu'on donne à de plus pauvres qu'eux.

Rails biennettoyés.

Quelquefoisje me dis : « Est-ce que je ne suis pas un mauvais homme ? »Il me suffit de penser au Misanthropequi n'est pas méchant.

C'estdifficile d'être bon quand on est clairvoyant.

Unpapillon a pris le train à Clamecy et est venu avec moi.

Lesbigotes craignent la puissance de Dieu comme les influences de lalune. Pouah ! les vilaines gens !

Elleshaïssent celui qui ne va pas à la messemais pas jusqu'àrefuser son argent.

Les autresont des bouchesau pisdes gueules : elles ont sous le nez des potsde chambre.

Elles fontde Dieu un être grotesque à leur image. S'il ne détournepas sa facec'est quevraimentsa pitié est infinie.

De ladévotion fermentée. Leur âme pue le cierge quicoulel'encensune odeur de derrière jamais lavé.

2septembre.

Unevieille qui raconted'une voix menueavec un tas de détailsinutilesde petites histoires fades.

ASaint-Honoré.

-- Il y aun peu de gibierme dit le cocher. Il y en aurait un peu plussansces saletés de renards.

Voyages àblanc des voitures qui vont à la gare.

A toutesles barrières : « Entrée du parc interdite aupublic. »

Ils ont unruisseau et n'en font rien.

Unebossue. Quand il pleutelle arrive très bien à cachersa bosse sous un bon parapluie.

Horizon.Quel horizon ? Un peu plusun peu moinsvous ne l'emportereztoujours pas.

L'idiot detable d'hôte. Il m'invite à faire une partie de billardpuisles queues à peine prises : « Vous permettez ? »Et il va jouer ailleurs.

Elle mecite du Boileauparce qu'elle sait que j'« écris dansles journaux ».

L'arbrefinit par donner des planches.

Unepâtisserie. Au-dessus des gâteauxcette pancarte : «PEDICURE ET MANUCURE SPECIALISTE. S'ADRESSER ICI. »

Un tel malde tête que je n'ai rien compris au feu d'artifice.

Le salutde l'homme auquel on ne répond paset qui en profite pour segratter le crâne.

Baïea plusieurs petites bêtes en broche. Elle les porte chacune àleur tour : elle a peur de les fatiguer.

-- C'estmoi qu'en es l'auteurdit l'instituteur de son article.

Le curétraite les gens de bestiauxd'ânesd'alcooliques dégénérés.En pleine messeil pose à une petite fille une question decatéchisme. Troubléeelle ne répond pas.. Ellene fera pas sa première communion cette année.

5septembre.

Philippe afait bâtir une grange de 1 700 francs. Il les a trouvésmais il les doit.

La grangeest bâtiemais il n'a rien à mettre dedans.

Le plushonnête homme fait un peu de bienet beaucoup de mal.

Je m'envoudrais de dire que je crois ou que je ne crois pas àl'immortalité de l'âmemais il m'arrivele soirsurle bancde penser à mes morts comme s'ils étaient là.

Une jeuneAnglaise des environs de Londres laisse cette lettre. « Je vaisme suicider. Le dîner de papa est sur le fourneau. »

A genouxsur son giletCalot casse sa pierre.

--Avez-vous soif ? lui dis-je.

-- Ah !j'ai eu soif toute la journée !

9septembre.

Undomestique tient à son titre et ne nous sait aucun gréde ne pas le traiter comme tel.

Montagnesfinescomme à peine ondulées par le vent.

Lacomtesse morteun évêque est venu la bénir. Lescloches ont sonné l'arrivée de l'évêque.

Ragottedemande la permission d'aller à l'enterrement parcequ'autrefois la comtesse a donné du pain à un de sesoncles qui n'était même pas de la commune.

10septembre.

A Chitryla comtesse laissera le souvenir d'une grosse dame qui donnait biendu lingepas assez à cause de son entourageet quiàla messetoute seule dans sa chapelle privéeavalait sonénorme morceau de pain bénit comme si elle n'avaitmangé que tous les huit jours.

-- C'étaitcurieux de la voir ! dit Ragotte avec moquerieavec admirationaussi.

Elleessaie de mettre des bottines de Baïe : elle y arrivesauf pourla jambe. Elle a le pied bien complaisantmais c'est le bas dumollet qu'elle ne peut pas boutonner.

A lamesseelle dit sa prièremais c'est bien vite fait. Tout desuite le temps lui dureparce que le curé cause trop contreles gens. Il y a trop de froissements dans ce qu'il dit.

On adistribué du pain à l'enterrementplus de cent painsde cinq livres ! Ragotte n'en a pas eu. Si on lui en avait offertelle n'aurait pas fait l'affront de refusermais on sait bienqu'elle est d'une bonne maison.

Philippeun peu inquietréussit à être toujours de monavis en répétant exactement mes phrases.

Il y a desenterrements de première classe comme si on allait au Paradispar le chemin de fer.

Mme Lepicpleure sur la mort de la comtesse.

-- Elleétait malade depuis longtempsmais elle s'est éteintesans souffranceset elle est morte (redoublement de sanglots) dansles bras de son fils.

Ouioui !Je te vois venirmamanavec ton petit tableau de famille.

14septembre.

Brunetièreun renfroqué.

On peutfaire toutes les boutiques de Corbigny sans trouver une lime àonglesune brosse à dentset il n'y a d'éponges quepour les voitures.

La raisonqui permet à l'hommené méchantde faire desactes de bonté.

Bigotes.Elles couchent avec Dieu le dimancheet le trompent toute lasemaine.

Lesperdrix des champs Bargeots. Leur instinct n'est plus celui de toutesles perdrix : c'est celui d'une compagnie. Dès le deuxièmejour de la chasseelles savent qu'elles seront en sûretédans le bois de la comtesse.

Lareligion est l'excuse de leur pensée paresseuse. Vous leurdonnezde l'universune explication toute faitebien médiocre.Ils se gardent d'en chercher une autred'abord parce qu'ils sontincapables de chercherensuite parce que ça leur est bienégal.

Il n'y arien de plus bassement pratique que la religion.

Vous ditesque je suis athéeparce que nous ne cherchons pas Dieu de lamême façon ; ouplutôtvous croyez l'avoirtrouvé. Je vous félicite. Je le cherche encore. Je lechercherai dix ansvingt anss'il me prête vie. Je crains dene pouvoir le trouver : je le chercherai quand mêmes'ilexiste. Il me saura peut-être gré de mon effort. Etpeut-être qu'il aura pitié de votre confiance béatede votre foi paresseuse et un peu niaise.

22septembre.

Dieuons'en tire avec des métaphores plus ou moins divines.

Il sait ceque c'est que la mort ! C'est lui qui peint les croix noireset quiy dessine des petites larmes blanches.

Il en agardé deux devant sa porteune éternité. Il nesavait plus pour qui elles étaient. Comme le petit Bernard enétait offusquéil a fini par lui dire :

-- Neréclame donc pas ! Il y en a une pour toi.

Quand elleaccoucheelle ne veut pas que son mari soit là. Elle se sentdéjà assez humiliée !

Encore unequi voudrait faire ses enfants par la bouche !

Dans leparc de Neversla vieille s'approche avec son panier de gâteauxsecs.

-- Mercimadamedis-je.

-- Oh ! jene vous en offre pas. Ce n'est pas assez bon pour vous. Je viensseulement m'asseoir sur ce banc : je suis bien fatiguée.Aujourd'huij'ai fait quatre sous. (Un petit bonhomme vient acheterun gâteau d'un sou.) Ça m'en fait cinq. Il a eu tort deprendre celui-là : l'autre est meilleurmais ça nesait pas. J'ai été bien : j'avais 5 000 francs chez unnotaire. Il a tout emporté.

-- Il nefaut pas confier son argent aux notaires qu'on ne connaît pas.

- Vousavez raisonmonsieur. Aprèsje me suis cassé la jambe

-- Enmontant à une échelle ?

-- Non :j'ai glissé par terre. Toutes les écoles vont êtrefermées ça me fera bien du tort. Enfinles maîtressont les maîtresn'est-ce pasmonsieur ? Vous venez de loin ?Moije suis d'Avallon. Et vousmonsieur ? Je suis indiscrète.

Je montredeux doigts à Marinette. Nous nous levons. Marinette donne.

-- Oh !que vous êtes bonnemadame !

-- Tu asdonné dix sous ?

-- Ouicomme toujours.

-- Jet'avais dit quarante.

-- Oh !j'avais compris deuxet je trouvais que c'était peu.

Pauvrevieille femme !

Le chardonperd ses cheveux blancs.

Sesmoustachesdeux écureuils pendus à son nez.

Il passepour avoir la manie des livres : il fait relier des feuilletons.

24septembre.

Hierenrevenant de la chassePhilippe me dit :

-- L'autrejourJoseph (c'est un de ses fils) a fait une drôle de tête.

-- Ouiquand il a vu que Mme Renarden le payantne l'augmentait pas.C'est vrai que ses cousinspar exemplegagnent plus que lui.

-- SiJoseph trouve qu'il ne gagne pas assezil n'a qu'une chose àfaire : s'en aller.

-- Oh ! jene dis pas ça pour...

- Vousavez tort de le direPhilippesurtout en ce moment où j'aitoute une famille de domestiques sur le dos. Voilà des parolesqui n'arrangeront pas nos affaires. Mme Renard va être contente! C'est une belle récompense que je lui apporte là !

Elle medit :

-- Tuavais une figure ! J'ai craint un accident de chasse.

Je faisvenir Philippe et Joseph. Réussissant à ne pas memettre en colèreje dis à Philippe qu'il m'a fait dela peineque je n'ai plus confiance en luiqu'il a mis un mur entrelui et moietà Josephqu'il peut se chercher une place.

Ils sontatterrésne mangent qu'une cuillerée de soupele soirne dorment pasetle lendemain matinRagotte pleure.

-- Oh !dit-elleje leur avais bien dit : « Ne parlez pas de ça! » Et le Paul disait comme moiet Philippe aussiet il a eutort de parler. Vous allez passer là-dessusmadamevous quiêtes si bonne !

J'avaisenvie de flanquer La Gloriette par-dessus bordmais les larmes decette pauvre femme... Par pitiépar égoïsme aussi(toujourstoujours !)me voilà déjà attendri :c'est la seconde fois seulement qu'on voit pleurer Ragotte.

-- Nousn'avons jamais été si mortifiésdit-elle.

Philippe aécossé des pois toute la journéepenaud etmorne.

Un vieuxserviteur à cheveux blancstout piteux d'avoir dit une bêtiseet qui ne sait comment s'y prendre pour réparerquoi de plusdoux à notre misérable orgueil de maître ?

25septembre.

Nous luidonnons huit livres de pain par semaine. Timidehonteusecomme tousles ans elle apporte ses deux poulets à Marinette et lui dit :

-- J'aiessayé de me contenter de six livresmais je n'ai pas pu.

26septembre.

Chasse.Sortie d'une heure. Un coup de fusil machinal à des perdrix.Pourquoi cette manie de faire peur ?

Les champssont aux travailleurs. Un oisif comme moi aurait un peu honte s'iln'avait un fusil. Ça lui donne presque un air utile.

J'entendsle croulement des pommes de terre dans les tombereaux.

Je rentre.Tout le long du canalPointu renifle et fait sauter des grenouillesdans l'eau.

Y a-t-ildes sages qui aiment autant que moi la naturequi trouvent que çasuffit et que c'est inutile d'en faire de la littérature ?

Un petitâne très digne et qui avait l'airsur la routedemarcher avec deux pattes seulement.

-- Moidit Borneauje n'ai pas de religionmais je respecte celle desautres. La religionc'est sacré.

Pourquoice privilègecette immunité ? Un croyantc'est unhomme ou une femme qui croit à ce que dit un prêtre etne veut pas croire à ce que dit Renan ou Victor Hugo. Qu'ya-t-il là de sacré ? Quelle différence entre cecroyant et tel imbécile qui préférerait lalittérature du feuilleton à celle de nos grands poëtes?

Un croyantcrée Dieu à son image ; s'il est laidson Dieu estlaidmoralement. Pourquoi la laideur morale serait-elle respectable? La religion d'un sot ne le met pas à l'abri de notre dédainou de notre raillerie.

Soyonsintolérants pour nous-mêmes !

Que letroupeau de nos idées file droit devant cette grave bergèrela Raison ! Effaçons les mauvais vers de l'humanité.

Par lacheminée de l'école s'échappent des poignéesd'hirondelles.

Beautéde la littérature. Je perds une vache. J'écris sa mortet ça me rapporte de quoi acheter une autre vache.

Le coq duclocher fait trois petits tourset reste.

Soupe.C'est l'heure oùsur leurs trois piedstoutes les marmitesse rapprochent de la cheminée pour se pendre à lacrémaillère.

Style.Plume d'aigle mouillée.

Onremporte sur soi de toutes petites victoires qui reculent àpeine les grandes défaites.

28septembre.

Il rentrepoussant une brouette pleine de pommes de terre. Comme il fait déjànuit et qu'il ne m'aperçoit pasil veutparce que c'est pluscourtmonter le raidillon qui passe devant ma porte et le banc d'oùje regarde la nature se coucher.

Il faitquelques pasmais c'est trop raide : la roue ne tourne plus. Le solest mouillé ; et puisil est vieux et un peu estropié.Il parle à sa brouette :

-- Eh !bienquoi ? Tu ne veux donc pas monter ?

Il ladécharge d'un sac qu'il laisse dans l'herbe et qu'il reviendrachercher. Mais la brouette refuse d'aller plus haut. Il varedescendre.

-- C'estdonc trop lourd ? lui dis-je.

Ma voix lesurprend.

-- Cen'est pas que ça soit trop lourddit-ilmais çaglisse.

--Attendezque je vous aide.

J'ai prisla brouetteles bras roidisettandis qu'il me suivait et disait :« Mercimercimonsieur Renard »d'un seul effort jel'ai roulée jusqu'à mon bancm'agrippantde messabotsaux pierres du sentier humide.

-- Làmaintenantdis-jeelle roulera toute seule.

-- Mercidit-il encore.

Je n'aipas été souvent plus utile que ce soir-là.Aurais-je osé faire ça en plein jour ?

Je voisChitry. Je ne vois pas Chaumotdont je fais partie. Est-ce sur cettechaume que sera mon buste ? Il me semble que je verraisde mes yeuxde pierrece paysage si bien composé.

C'est toutde même plus difficile d'extraire un livre de Ragotte que deNapoléon 1er ou de Cyrano.

A sonpremier enfant on lui offrit une belle place de nourrice àParis. Elle avait du lait comme une Jaunette. Elle n'a pas vouluquitter son homme et son petit.

-- Je nele regrette pasdit-elle. Je ne suis pas partie parce que je n'aipas « peuvu ».

Philippevoulait d'abord épouser la Bongardequi s'en flattait auprèsde Ragottemais elle a préféré le Bongard.AlorsPhilippeune année qu'ils faisaient moisson ensemblea mieux regardé Ragotteet ils se sont mariés.

Hier soirlongue causerie avec Philippe sur le banc. Il n'en mangeait plustant il me croyait fâché.

Il me ditqu'après mes reproches Joseph s'est mis à pleurer surl'escalier et lui a sauté au cou en criant : « Je neveux pas les quitter ! Je ne veux pas quitter cette place-làmoi ! »

Je parleje parleetà tout ce que je disPhilippe répond :

-- Oh ! jesais bien ! Oh ! je sais bien ! Jamais je n'ai tant regrettéd'avoir parlé.

Il dit deMarinette :

-- Jamaisje ne l'ai vue de mauvaise humeuret il y a bien des fois que jefais mal et qu'elle ne le dit pas.

Dansl'ombrenos voix s'amollissent. Un momentje crois que Philippes'essuie les yeux. Si je ne l'embrasse pasje voudrais bien serrerla main de cet homme qui a des cheveux blancs comme en avait monpapa.

Quand nousnous levonsil dit :

-- Il y alongtemps que je n'avais eu le coeur aussi léger.

-- Pourmoilui dis-jeil n'y a pas de domestiques. Nous sommes tousfrères.

Mais cesmots-làje le sensl'étonnent et ne le pénètrentpas.

Ilcomprend mieux quand je lui dis :

-- Si vousvous cassiez la jambe à mon servicecroyez-vousPhilippeque je vous mettrais dehors ?

-- Oh ! Jen'ai pas peur de ça ! dit-il.

Quellescènecette causerie entre un jeune homme et ce vieillardoupresqueà cheveux blancs !

Voilàdu théâtre.

Ragotte aété très maladecet hiverpour la premièrefois de sa vie. Elle ne sait pas ce qu'elle a eu. Pour se soignerelle a bu deux litres d'eau chaude. Elle ne pouvait pas se lever.Elle avait chaud partoutexcepté dans le dos qu'elle n'auraitpas réchauffé en mettant une maison dessus. Elletoussaittoussait ! Enfinelle a vomi du sang : elle n'a pas eupeur. Il n'y a même que ça qui lui ait fait du bien.

Philippemalade aussine pouvait rien. Maisun soirPaulqui la regardaitlui a dit :

-- Je vaiste faire du bouillon.

Il estallé acheterau Bouquinune vieille poule. Il a eu vite faitde la plumer et de la videret il a fait une marmite de bouillon. Iln'était pas buvable. Il était infectdit Ragotteelle-mêmemais elle l'a tout bu pour ne pas faire de peine auPaul.

Comments'expliquer qu'ils ne soient pas plus sales ? Ils ne mettent que dugros linge rude. Ça les gratte comme du papier de verreet lasaleté ne peut pas rester noire.

Ilscouchent quarante ans sur la même « couette » sansen changersans même en aérer la plume.

Ragotte ade gros sentiments délicats.

Son idéal: payer ce qu'on doit et ne plus rien devoir.

Ragottec'est bien la dernière paysanne.

Affûtaux lapins. Il pleut. Un nuage. Le bois sous un double arc detriomphe.

Il sembleque le soleil s'attarde à certains arbres dont les feuillessont dorées.

Descorbeaux crient comme des enfants.

Unécureuil saute de branche en brancheavec une légèretéqui ferait criercomme au cirque : « Assez ! Assez ! »Il s'arrête etde ses dentsscie quelque chose.

Un arbrequi se hausse au milieu des autres pour voir par-dessus le bois.

Lesfeuilles s'offrent à la pluie comme des langues.

1eroctobre.

Avecl'orage qui s'éloigneDieu s'en va.

Lespaysans sont contents : ils vont pouvoir emblaver « mou ».Le temps a mal au coeur.

Lesarbresd'abord immobilesanxieuxs'agitent bientôt de joiesous la bonne pluie désaltérante.

Sur le murd'en face je vois une clarté : c'est la petite aube du soleilqui va reparaître.

7 octobre.

Onl'entend crier derrière sa charrue : « Robinet ! Robinet! »et se lamenter qu'avec un boeuf pareil il faut avoir unepatience d'ange.

Unevieille bigote qui a l'air d'avoir quatre rangées de longuesdents.

Bucoliques.La grande journée de leur vie : ils ont joué àla manille depuis une heure de l'après-midi jusqu'à sixheures du matinetpour se reposerils pétaient comme desdieux.

Un chatnoir au bout d'une brancheau clair de lune.

Oiesdansles champsinquièteségarées : il va falloirvoler pour rentrer à la maison.

C'estbeautout de mêmeun beau refletet la pleine lunequi nescintille paséteint plus d'une étoile.

Soleilcouché : tout l'horizon est rouge. Les gens sont en pleinefête la-bas.

Soirée.Le son des cloches se faisait attendre : le voilà.

Chitry :son clocher le dépare. Lui aussiau milieu de ces maisonsbasses couvertes de vieilles tuilesil a l'air d'un étranger.

Jupiterdiamant piqué au front épars du ciel morne.

Le curéBongardlisant son bréviaire sur la routeavait entendu : «Coâ ! Coâ ! » Il a accusé les enfants dujardinier du château. Mais c'étaient bel et bien descorbeaux : ils ont tout avoué !

J'aimel'automne comme si j'allais mourircondamné par les médecins.Que de feuilles ! Ce que Millevoye en ramasserait !

Les oiesau cou de serpent.

On n'estpas bonmais on s'efforce de le paraître : le résultatest le même.

Lesperdrix filent droit comme le long d'un fil.

Ils sesentent bassement supérieurs quand leur chien bat le chien desautres.

Ragottec'est un typemais petit et modestequi se cache dans l'herbe desautres types.

Lessoucissans compter ce bougre d'idéal qui ne nous lâchepas facilement.

-- Siseulementon n'avait plus de dettes ! dit Ragotte.

CommeMarinette lui donne dix sous de plus qu'elle ne lui doitRagottes'écrie :

-- Oh ! jene disais pas ça pour ça !

-- Maisma pauvre Ragottecomment pouvez-vous croire que je vous donne dixsous pour payer vos dettes ?

Elle aimeles sucreriesles gâteaux les plus fadescomme une petitefille. Elle ne connaît ça que depuis qu'elle estvieille.

Marinettelui a promis de lui rapporterde Corbignyun sucre d'orge. EtRagottequi ne voulait pas y croirele suce en rougissantcomme sielle sortait de l'école.

Le vent sefâche avec les feuilles.

QuandRagotte s'est mariéeson beau-père voulait lui offrirquelque chose : une chaîneune croix ou un saint-espritespèce d'hostie en argent avec des rayons à l'entour.Elle n'a rien voulu.

Elle avaittrois robes : elle n'en a jamais achetédepuis. Elle s'estacheté des caracosbien sûr ! mais pas de robes.

Mariéeen sabotselle n'a connu les souliers que plus tardpour aller aumariage des autres.

Lesrigolesles crevasses creusées par la sueur sur son cou.

Lehérisson tourneur. On croyait que c'était une espècecomme ça. Il nous amusait beaucoup. Il n'avait presque paspeur. Comme on l'avait trouvé avec un noeud de jonc àl'une de ses patteson croyait qu'un gamin avait pu le dresser àtourner. Et puison a fini par s'apercevoir qu'il avait une oreillepleine de vers. Il tournait nuit et jour pour attraper son oreille.

Qu'est-cequ'on dit donc toujours ? Un lièvre ne me fait pas peur.

Lesperdrix s'ouvrent comme des ombrelles.

Les petitscarreaux verdâtres des vieilles fenêtres de campagne.

Et lanature qui faitpar ces journées d'octobredeschefs-d'oeuvre d'automnequi donc la regarderait ?

Lesgrosses dragées fondantes de la grêle.

La laitue(Batavia) monte comme une pagode chinoise.

Aprèsune scène que je lui faisPhilippe s'en va tout piteuxtraînant son derrière dans sa culotte.

Cimetièrede brumes. Tous les arbres y sont des cyprès.

Vous êtesici comme chez vousmais n'oubliez pas que j'y suis chez moi.

9 octobre.

Le mystèredu monde nous effare. Mais quel effarement pour la grive quisur sabranchereçoit tout à coup du plomb dans la poitrine !

10octobre.

Il estmalade. Il s'est levé. On peut le voir assis sur une chaisedevant un feu qui lui rôtit le ventremais il a froid dans ledos. Il a une pauvre jaquette noire et un pantalon rapiécé.

Il est làau milieu de ses haricotsde ses oignons et de ses pommes de terrequi sèchent. S'il pouvait manger -- en pleine fièvre !-- il guérirait.

-Crachez-vous le sang ?

-- Pasencore. Ah ! ça irait bien mieux ! Ça me dégagerait.

Il vaboire du bouillon. Si ça ne va pasil boira de l'eau.

Unehulotte a loué le moulin vide.

Le peupleva devenir populaire.

Ah !nature ! Comme c'est beauun chou !

Le matinle réveil des couleurs.

Une simplehistoire du christianisme étonnerait bien des croyants.Jésus-Christ n'a pas créé l'Eglise d'un bloc.Elle s'est bâtie après lui et peu à peu.

Je teregarde la lune assise sur sa fesse.

Un hommetout en gilet.

Lesfeuilles tombent et roulent à terre leur reste de vie. L'uned'elles a l'honneur d'être poursuivie par mon petit chat.

Lalittérature n'a pas le pouvoir de faire de l'émotionavec ce qui n'en est pas.

Je me suisarrangé avec le facteur : il me garantit une lettre par jour.

Chaqueannéeun défaut de plus : voilà notre progrès.

Lui :

-- Il mefaudraitpour faire un chef-d'oeuvreune belle aventure intime.

Elle :

-- Ehbienmon vieuxfais ton chef-d'oeuvre : tu es cocu !

La mortest mal faite. Il faudrait que nos mortsà notre appelreviennentde temps en tempscauser un quart d'heure avec nous. Ily a tant de choses que nous ne leur avons pas dites quand ils étaientlà !

Journéespleines d'aigreur : le soleil ne fait que se cacher. Tout àcouplà-basun village éclate en pleine lumière.

Ouijedonne toujours aux mendiants. Ils font plus d'un kilomètrepour venir me dire bonjour : ça vaut bien deux sous.

Oh ! lespieds du pauvre sous la portequand les chiens aboient !

Entravaillantje tâche de siffler un air de labourcomme si jepeinais autant qu'un boeuf.

Au conseilmunicipalils s'entendentparce qu'ils sont si ignorants qu'ilsn'osent rien dire.

Philippeemporterait son fusil à la messe.

Çacoule de source empoisonnée.

13octobre.

Lesfeuilles frissonnent déjà de froidElles voudraiententrer par la fenêtreet s'agitent comme de petites mainsglacées.

Il allaità la messe pour la Toussaint parce quece jour-làlacomtesse donnait des petits gâteaux au lieu de pain bénit: il espérait en attraper un.

Ragottes'est mariée en octobre. Elle venait de faire trois mois demoisson à vingt francs par mois. Elle les avait économiséspour entrer en ménage.

-- Vouspensezdit-ellesi j'aurais eu barre avec une somme pareille !Maisajouta-t-elle avec résignationmon père me les apris.

-- Commenta-t-il fait ?

-- Oh ! ilest simplement allé trouver le fermieret il lui a dit :

« Jeviens chercher les soixante francs de moisson que vous devez àma fille. »

-- Et ilne vous en a pas donné un sou ?

-- Je mesuis mariée avec mes deux bras.

15octobre.

Rentréeà Paris. Philippe reste « grigne » quinze joursaprès notre départ.

ChezGuitry. Et revoilà les histoires !

La viel'amuse infiniment.

Il nousjoue la grosse femme acrobate qui reçoit avec une grimace unhomme sur les épaules et sourit dès qu'il est d'aplomble regard méprisant lorsqu'on lui lance mal son homme et qu'ilcoule le long d'elle.

Capustravaillait au Breuil. Il appelle Guitry pour lui lire une scène.

-- Oùest Arène ? dit Guitry.

-- Je l'aiinstallé dans le kiosque : il dort. Ce qu'il aura dormidanscette pièce !

Allaisdemandeau café :

-- EtCapus ?

-- Iltravailledit Arène.

-- Il faitbiendit Allaiscardans quelques annéesil ne sera plusbon qu'à ça.

Paponquin'a pas le souloge dans une écurie. Il y invite des gens àdéjeuner. Il y a une table et deux bancs. Il a laisséles araignées : ça orne. Il plaisante le sucre : «Mettez-en un morceau dans l'eauet tout fiche le camp ! »

-- Biendes choses à votre femme.

-- Aucune! Elle choisirait les plus indécentes.

Je connaisun homme qui ne se préoccupe que de ramasser les plus beaux detous les épiset il en trouve tant qu'il se dit : « Jeferai ma gerbe plus tard. »

Mais ilsera trop tard : les épis auront jauni.

-- Maman.Quand elle me produit l'impression la moins désagréableelle me fait l'effet d'une gamine.

Marinettelui dit :

-- Venezdonc jusqu'à la Gloriette. Vous direz au revoir àJules.

D'abordelle ne comprend pas.

-- Ouiàla Gloriette ! Chez-moi ! répète Marinette.

Mamansuffoquée de joieretrouve ses jambes de vingt ans.

Ellevients'assiedregardeadmire tout.

-- Çane vous a coûté que ça ? Ah ! ce n'est pas vraipar exemple !

A la finde sa visiteMarinette m'appelle. J'embrasse et donne la main. Çase passe vite et bien. Il n'y a personne.

Elle s'envaheureuse et volubile. Maisdans la courelle entend MmeThibaudat qui entre par le jardin. Aussitôtelle remonte etdit :

--Bonjourmadame Thibaudat !

Mais elleajoute :

-- AurevoirJulot !

Julotc'est moi.

Elle avoulu montrer qu'elle est au mieux avec moiavec son fils avecJulotet qu'elle me donne des petits noms.

Pauvremère !

Antoineraconte son voyage du ton d'un explorateur drôle.

Il parled'un fleuve qui a 200 lieueset d'un curé qui est critiquedramatique. J'écoute comme un mouton brésilien résigné.

Il paraîtque l'opéra-comique nous a trompés : le véritableBrésilienc'est l'Argentin.

Antoinen'a gagné que 40 000 francs net. Il en aurait 50 000 de pluss'il n'avait pas été si gentil avec sa troupe.

Ses deuxpetits yeux serréscomme deux prunesau pied de son nez.

Il parled'une ville bâtie en cinq ansqui n'a pas priset qui estmaintenant vide et grandiose comme Versailles. L'herbe y pousse.

Idéed'un peuple assez riche pour se donner un Versaillespour se faireen cinq ansune ruine de ville.

Il y atout de même des actrices modestes. Si ! Si ! On en trouve quidisent : « Je sais que je n'ai aucun talent ! » Puiselles vous regardent. Elles attendent. Puiselles vous fontl'énumération de tout ce qu'elles peuvent faire.

17octobre.

Et quelsseins ! Je veillerais des nuits entières à la lumièrede ces globes-là.

Un fiacrepasse. Quelqu'un crie : « Votre parapluie ! » Le fiacres'arrête. Un hommequi a ramassé le parapluiele rend.Remerciementssaluts. L'homme s'éloignerougissant commes'il avait volé.

Et c'estpeut-être un voleur.

18octobre.

A quaranteansje n'ose pas aller tout seul au Moulin-Rouge.

Jevoudrais redevenir sage et appliqué comme un petit garçon.

Peut-êtreai-je encore le temps de faire de bonnes études et d'avoir unebelle fin.

Ilfaudrait tout refaireet recommencer par le commencement.

20octobre.

Unvaudeville qui n'est pas spirituel à chaque mot n'est pointpardonnable.

21octobre.

Mendèsun homme incapable de reconnaître un poëtequand ce poëteécrit en prose.

Théâtre.Coulisses. Tous ces gens qui ne sentent pas la vieet qui nes'émeuvent qu'aux répétitions générales.Et l'homme d'affaires très fort ! Et l'unique affaire dont ilnous entretienne rate.

Et puisle mari furieux qui se calme tout à coup et propose àsa femmeencore toute chaude de l'amantde partir avec lui !.. Ilsvoudraient faire de l'amour quelque chose d'impénétrableà un homme de bon sens.

Toutes lespièces de théâtre ont fini par créer unmonde à côté de la viequi se fait illusion àlui-même et finit par se croire vivant.

2novembre.

Voyage àNevers. Amicale des instituteurs de la Nièvre.

Présidence: M. Périès (?) en l'absence du préfetun petitjeune homme qui prononce son premier discours. M Dessezl'orateur dela bande. Quand il est bien disposéme dit Gaujouril enlèveson monde.

Bon publicd'instituteurs. Ça vaut mieux que le parterre de rois deTalma. Ni trop blaséni trop primaire. On peut lui dire leschoses les plus fines ou les plus hardiesmais il aime surtout qu'onl'amuse.

Bouchor.Mise en scène. Il lui faut des pianosdes petites filles enrondquelques-unes en blond. Il bat la mesure avec énergie.Quand il se retourne vers le publicil s'éponge le front. Oncrie « Bis ! » à une petite fillemais Bouchordit :

-- Je vaisvous chanter.

Il tire samontres'excuse. C'est comme un accordéon : ça peuts'allonger ou se rétrécir. Glacial avec moi. J'aipeut-être eu l'air d'oublier que tout cela ne doit pas fairerire. Barbe d'apôtreavec du vrai argent dedansredingotecol rabattuet cravate noire d'apôtre ; mais quelquesinstituteurs disent déjà qu'il fait ça pourvendre ses livres.

A tablesalle Vaubanc'est tellement ciré qu'il m'est impossible deremuer ma chaise avec mes pieds pour point d'appui. Je tombe mêmedans l'escalier.

Leproviseur fait le bon enfant et m'en raconte « une bien bonne »qui est stupide.

Je demandeau libraire Ropiteau :

--Vendez-vous des livres ?

-- Nondit-il. Ah ! nous avons reçu L'Ecornifleur. Nous n'envendons pas beaucoup.

Hôtel.Table de nuit ronde comme une chairele bout de savon qui restelefroid du carreau.

-- Quandje reviendraimademoiselleje vous en priedonnez-moi une chambreparquetée.

-- Maismoimonsieurje couche làtenez !

La rue duCommercela seule qui soit illuminéele soirquand l'avenuede la Gare reste dans les ténèbres.

Des curésdes soldats. Les civils ont l'air d'otages.

Panier dubuffet. On y a mis une petite bouteille à liqueur. Le monsieurpeut la montrer et rire : ça rompt la glace. Ensuitelemonsieur mange sous les « C'est bien comprisça ! Onn'aurait pas ça au buffet pour le même prix. » Eton n'est pas obligé de rendre le couteau.

Le canards'en va comme une théière.

Duel.Echange de cartes.

-- Je vousdemande pardonmonsieur : je n'en ai plus une seulemais je vaisde ce pasm'en commander un cent.

Ils mefélicitent de ne pas trop écrire. Bientôtils meféliciteront de ne pas écrire du tout.

Capusdemande à Edwards une passe de chemin de fer.

Il refuses'éloigne en voiture et s'arrête un peu plus loinetc'est Capusqui a suivi en courantqui ouvre la portière etdemande encore sa passe.

-- Ah ! lebougre ! dit Edwards plein d'admiration.

EnéchangeCapus admire Edwards qui salue une femme comme ilsuit :

--Bonjourvieille putain !

Etsetournant vers Capus :

-- Mamère.

A peineest-il entré :

-- Masoeur est constipéedit-il. Elle a un rein déplacé.Moisa noce m'a tellement fatigué que ma diarrhée estrevenue. Le lendemain de mon retour à Parisje suis alléquatorze fois aux cabinets ; mais je fais de grands lavagesintestinauxcomme à Plombièreset ça va mieux.

Tout lelong du repas il roule entre ses doigts une boulette de painbientôtnoire comme une vieille dent.

Et ils'étonne que je sois froid avec lui !

10novembre.

Tristan meparle du singe Consul.

-- Est-cequ'il mange bien ?

-- Commemoirépond Tristan.

Il ditencore :

-- Il fautavoir beaucoup de talentmais un peu de génie suffit.

« Le« je m'en fous » de Capus a été trèsbien tant qu'il ne s'est pas aperçu que c'était trèsbien.

« Jene travaille pasmais je suis sollicité par le travailc estdéjà très agréable. »

--Pouvez-vous me prêter cent francs ?

--Pourquoi ne les demandez-vous pas à votre meilleur ami ?

-- C'estun mufle.

-- Maismoi aussidit le prêteurje suis un mufle !

Capustrès tapéachète aussi tout à coup unmeuble de 4 ou 5 000 francs qui fait sourire les connaisseurs. Ils'excuse sur sa myopie. Il dit d'un tableau :

-- Je l'aiacheté parce qu'il fait une tache adéquate au mur.

L'autrucheses ailes de petit poussin.

21novembre.

J'aidéjeuné ce matin avec des femmesdit Capus. A proposj'ai lu Monsieur Vernet : c'est épatant ! Mais comme jesuis content de ne pas l'avoir vu jouer ! A chaque répliqueje me rendais compte que ça ne peut pas être bien joué.Tu t'achemines vers la pièce qu'aucun acteur ne pourra jouer.

C'estdélicieux d'hypocrisie. Cela veut dire : « Je suis toutde même un peu mufle de n'être pas allé entendreMonsieur Vernet. Et je dis que ça n'est pas jouableparce que je sens que ça n'est tout de même pas mal. »

Guitry medit :

-- Venezque je vous montre quelque chose de bien.

Il ouvrela porte. Je vois le petit Little-Tich.

Il a septdoigtsdont deux collésà la main droite.

Il tâchede garder ses mains dans ses pochesmais il reste toujours desdoigts dehors.

Il a unefigure jeune et vieilleavec des rideset des fossettes d'enfant.On ne sait si on doit lui dire « papa » ou « bébé»

Un toutpetit trou de bouche qu'on lui a fait au dernier momentparce qu'ons'est aperçu quesans çail ne pourrait pas manger.

L'airgrave d'un diplomate de Lilliput.

Mariéà une jolie brune espagnole. A un filscomme tout le monde.

D'ailleursil n'aime pas le comiquedéteste le music-hall et ne lit quedes livres sérieux.

On a peurde lui tendre la main et qu'il nous laisse de ses doigts mais sapoignée de main est francheet son « Enchanté »très net.

23novembre.

Il m'estplus facile de ne rien dépenser que de dépenser peu.

Théâtre.Certains auteurs « font de l'émotion » comme onfait du vaudeville.

J'entendsMaizeroy qui commence une histoire par ces mots :

-- Jechassais la palombe...

La palombe! C'est tout de même plus « Maizeroy » que :pigeon-ramier.

Conférences.Clamecy. Un vieux franc-maçonqui me parle nu-tête etne veut absolument pas remettre son chapeauet qui a étéun des premiers de je ne sais quelle Logeme fait un signe defranc-maçonje ne sais quelle croix hardie et imprécisesur son front.

Comme jene peux pas répondre par un signeje dis : « Ouioui !»

Province.Ils aiment à dîner en gants noirs.

Ils disent: « Maismonsieurle capitaliste aussi court des risques ! »

Ilss'excusent d'aller à la messe : ils y vont à cause dela musique.

Conférencescérémonieusesdames froidesqui baissent les yeuxquand le conférencier a le malheur de les regarder.

Clamecy etCosne.

-- Moinsd'effet que la première foisn'est-ce pas ?

-- Un peumoinsfranchementpuisque vous me le demandezme répondAndré Renard.

A Clamecyle sous-préfet m'offre un grog. A Cosnele sous-préfetm'offrira le champagne.

A Cosnedes gens se lèvent et sortent ; mais ce sont des instituteursqui craignent de manquer le train.

Lesous-préfet de Cosne connaît intimement la femme deWilly. On ne peut jamais rien leur apprendre.

Chambred'hôtel. On souffle dans les mêmes rideaux que tantd'autres. Draps rouillés.

Lapolitique et l'armée s'abstiennent. La bourgeoisie cosnoiseboude.

Les boeufspoilus et bourrus avec leurs culottes de boue.

Automne.Les perdrix volent comme des hirondelles.

Un bergercouché à l'abri du ventprès d'un feu qui nefait que de la fumée.

Tout lelong des routes est visible.

Les haiesn'ont plus que leurs pointes et leurs épines.

Dans lapatouille on a du mal à se ravoir.

L'eau afroid dans les joncs.

Chaumot.Comme on parle de L'Encyclopédieje dis :

-- On m'ya mis.

Aucund'eux ne demande à voir.

Un peuplus tardsans en avoir l'airj'ouvre le volume à ma lettreet je le montre à Firmin. Il lit l'article tout haut. Ilsécoutent. Personne ne dit rien.

-- Etmaintenantdis-jecherchez voir le nom du curé de Chitry ?

Ils rientet disent :

-- Jecrois qu'on ne le trouverait pas.

-- Voilàdis-je. Tant que ce dictionnaire existeraj'existerai.

On parled'autre chose.

Gloire deme voir dans de petits livres de lecture pour l'écoleprimaire. D'ailleursmes Bucoliques y ont un air deberquinades.

Instituteurs.Leur bassesse pour la fillette de l'Inspecteur.

Unesauterelle jouait du violonune rainettede la cornemuse.

Un cocherles mains dans son fiacre.

Passerviable pour un souj'ai toujours cru que les autres l'étaientavec la plus grande facilité.

Une âmenickelée.

Des heuresoù l'on pense à blanc.

5décembre.

On a vitefait de savoir si un poëte a du talent. Pour les prosateursc'est un peu plus long.

Ohnet medit :

-- Il y aen moi un homme féroce.

Il aime lachasse au renard. Il en a entendu un quipour attirer les poulesimitait la voix du coq.

Je détestele travailmais j'adore mon cabinet de travail.

Il fautlire Bourget pour tuer le Bourget que chacun porte en soi.

Mêmepas assez de défauts pour être intéressant.

Tous lesmatinsen se levanton devrait dire : « Chic ! je ne suis pasencore mort ! »

Neigeclairseméecomme tombée des arbres.

Cheveuxblancs.

-- Oh ! dela neige.

-- Ouimais celle-là ne fond pas ! Elle tient.

Je m'amuseencore trop avec mes mots d'esprit.

Médecins.On a quelquefois envie de leur donner une consultation.

Quand ellese peigneelle lève ses cheveux haut en l'aircomme si ellevoulait s'accrocher à une branche à l'instar d'Absalon.

Christianisme: hérésie de la religion juive.

C'estbeaumais laid.

Tempscouleur gris moineau.

20décembre.

Un de plus! Un instantil a eu peur d'en avoir deux : ça ne sedégonflait pas. Il a l'air triomphant. Il dit :

-- Le laitne monte pas trop viteet la petite a l'air de vouloir s'y mettrede sorte que je ne serai pas obligé de téter ma femmepour la soulager.

Il chantela tapoteveut lui faire son lit. On a beau lui dire que çava faire de la poussière : il est heureux. S'il pouvaitcoucher ce soir avec elleil lui en ferait un autre.

Elledéjàvieillieridéen'a même plus la force de le traiter decochon.

Elle parlede son coeurde son âmede la beauté de l'amouret onla voit toute nuegrassefondanteet refermée tout entièresur son petit amant. Et comme elle souffre !

-- Oh !dit-ellevotre bonheur à vous deux ! Etre un jour tranquillemanger sans se disputerrentrer avec de la joie et sortir sanschagrin !

Il est sijeune ! Elle a six ans de plus que lui. Ce n'est pas un homme : c'estun gamin.

-- Etencoresi vous l'aviez vu quand je l'ai pris ! J'en ai fait quelquechoseun petit hommemais ce n'est rien. C'est un petit garçonquoiquepour certaines chosesil vaille trois hommes.

Elle nousraconte des scènes.

-- Si tume laisses ouvrir cette portedit-ilsi tu me laisses franchircette portesi tu me laisses refermer cette porteouije te lejureet je ne te le jure pas sur la tête de ma mère :je te le jure sur les cendres de mon oncle...

-- De sononcle ?

-- Oui !Il a eu un oncle qu'il adorait comme un frère. Il ne peut pasen parler sans avoir de grosses larmes. Je l'ai connumoicet oncle: il est mort fou. Doncil me disait : « sur les cendres demon oncle... »

-- Quelledrôle de phrase ! Enfin...

-- Je tejure -- et il avait son chapeausa canne -- que je ne remettrai pasles pieds chez toi. Moije ne disais rien. Il reprenait : « Tusais que je ne saurai pas où coucheret que j'irai coucherchez une femme ! » Je lui disais : « Tu sais qu'il neigedehors ? » Il me répondait : « Il neige plus dansmon coeur que dehors ! » Il partait. J'avais le coeur tordu.Dans la journéeil me téléphone de chez samère. J'étais tranquille : si séduisant qu'ilsoitune femme ne l'aurait pas pris comme çaen cinqminutes. Il me dit : « J'ai besoin d'une chemise. Je dîneen villece soir.

-- Envoiequelqu'un la chercher.

-- Avecqui es-tu ?

-- Je suistoute seuleavec ma lampe.

-- J'aibesoin de causer sérieusement avec toi. » Et ilrevenait.

-- Malgréles cendres de l'oncle ?

-- Ouietc'était vraiment une preuve d'amourcar c'était toutpour luicet oncle !

-- Etunefois près de vousde retour ?...

Ellesourit. Son petit nez renifle des choses. Elle aussi est une grandepassionnée. Elle connaît des minutes suprêmesqu'ignorent les autres. Marinette et moinous l'envions.

--Qu'est-ce que notre bonheur pot-au-feu près du vôtre !

-- Ah !dame ! dit-elle. Oh ! Et puisvous avez aussi vos bons moments. Etpuisc'est éreintantcette vie troublée. Je suislasse.

Elle nedit pas : « Je vieillis ! »

-- Il y acinq ans que ça durepour mon malheur. Et il est orgueilleux! Et il ment ! Et il me dit des chosesnous nous disons des chosesque nous n'oublions plus. Quand il ne travaille pasje suis là.Quand je ne travaille pasil est là. Nous ne faisons pasattention à çamais je gagne plus que luin'est-cepas ? Alorscomme il est fier il ment. Et il me fera longtempssouffrirparce qu'il est plus malin que moi. Moije montejemonte. Et il me dit : « Je savais bien que je t'aurais encore !» Et d'une coquetterie de gravure de modes ! Hieril rentreavec deux mèches sur le front. Je lui dis : « Qu'est-ceque c'est que ça ? -- Je me suis fait électriser lescheveux. -- Tu as l'air de revenir des prix ! »

Comme nousrionselle ajoute :

-- Oùest ta couronne ? Enlève ces mèches-là ! Je neveux pas sortir avec un caniche.

Elle croitque toutes les femmes voudraient le lui prendre.

-- Çavous ennuieque je vous raconte tout celamais je vous considèrecomme de vieux amis. Je ne parle ainsi à personne. Je gardetout pour moilà !

Et elle seserrese serre d'un cranà mesure qu'elle digèredans une large ceinture qui ne fait que déplacer l'embonpoint.Ettandis qu'elle parleelle décoche de petits coups delangue sensuels à des images d'amour qui lui reviennent.

Elle aimel'amourle fromage un peu fort et un demi-verre de vin pur.

-- Il memarche sur le coeurdit-elle

Silence.Quelques instants après :

--Pourquoidis-jele laissez-vous traîner ?

--Qu'est-ce que je laisse traîner ? dit-elleregardant àses pieds.

-- Votrecoeur.

Talbotlevieil acteurdemande à Sarah une place pour La Sorcière.

-- Maismon chéritout le théâtre ! Vous êtes chezvous. Entrez et venez me voir plus souvent. Et votre fille non plusne vient pas me voir. Pourquoi ? Ce n'est pas gentil.

-- Elleest mortedit Talbot.

-- Monpauvre ami ! Qu'est-ce que vous me dites là ! Oh ! quelmalheur ! Quand est-elle morte ?

-- Pendantle Siège.

-- Oh !...C'est égal : c'est tout de même abominable.

Petitescrises. Je ne travaille pas ! Je le voudraiset je suis malheureuxde ne pas travailler.

Et je melève maletd'écoeurementje me couche tout de suiteaprès le dîner.

Et je suisécoeuré aussi parce que cette impossibilité detravailler ne m'empêche ni de mangerni de dormir.

Comme jeme levais malhierMarinette m'a dit :

-- Aufondil est « feignant »mon petit garçon.

J'ai ététrès vexé. Je me suis levécomme un petitgarçonet j'ai été chercher moi-même meshaltères.

Ce matincomme je me levais encore malelle m'a dit :

-- Si tune te lèves pastu sais comment je vais t'appeler ?

-- Appelle!

-- Petit «feignant » !

Mais «petit » corrige « feignant »et c'est elle quicematina dû m'apporter mes haltères.

Commej'avais passéhierune journée pire que les autresjusqu'à dire -- non sans hypocrisie et parce que je me portebien -- que je vais bientôt mourirelle m'a ditce matincomme je trempais ma main dans la cuvette :

-- Je suissi navrée de te voir dans cet état que je voudrais quetu fasses tout seul un grand voyage. Ça te changerait. Çate guérirait.

-- J'aiterminé ma comédie pour le Théâtre-Françaisdit Capus. Il ne me reste qu'à y ajouter quelques-unes de ceslongues belles phrases qui font qu'une pièce ne peut plusquitter le répertoire.

23décembre.

Je viensde lire La Souriset je ne me crois pas digne de dénouerles cordons de souliers de Pailleron. Et je ne t'en crois pas dignenon plusCapusni vousHervieu.

Cornugaffeur etdonneur de conseils.

Il aéprouvé une « douleur effroyable » àla nouvelle qu'il y aurait une exécution à Nevers.

Comme jedis qu'on écrit beaucoup sur moi dans les journaux de laNièvreil répond trop :

-- Oh !moije ne ferais pas deux fois la même conférence.

28décembre.

On parlecroix.

-- EtGuitry ? dis-je à Capus.

-- Cen'est pas le moment. Au ministèreils ne veulent pas ledécorer avant Féraudyet puis à cause dequelque chose pour moi.

-- Tu vasavoir la rosette ?

-- Ouic'est promis. Ils m'ont dit : « Vous nous avez rendu un fierservice ! »

-- Ah ?

-- Oui. «Quand on vient nous solliciter pour une rosettenous répondonsque nous vous l'avons promise. » Oh ! à Capustrèsbien ! Tout le monde est content.

Théâtredu peuplequelle bêtise ! Appelez-le donc théâtred'aristocrateset le peuple ira.

29décembre.

Maman afait le voyage avec un soldat qui venait de Nice et qu'elle aprésenté à Marinetteà la gare.

J'avaispréparé : « Bonjourmaman. Ça va bien ?Bon voyage ? Installe-toi. » Je n'ai pu lui dire que bonjour etlui donner deux baisers avec des lèvres jointesdesséchées.

Dans son «Oh ! ce Paris ! » il y a quelque chose de familier et dattendri que Poil de Carotte n'a jamais eu.

Hervieuavoue qu'il est plus ému que jamais par une première.

-- Maispourquoi rechercher ces émotions ?

-- Pouravoir des souvenirsplus tard.

-- Maiselles sont toutes les mêmes ! Les dernières ne sedistinguent pas des premières.

-- Ellessont plus fortes. De l'ensemble se dégagera quelque chose deprécieux. Ah ! c'est un métier où l'on attrapedes maladies de coeur et ou l'on perd des amitiés

-- Vousfaites allusion à une aventure qui me chagrine. (Sa ruptureavec Bernard.)

-- Je nefais allusion à rien. Je parle en général.

Vraimentces hommes de si grande valeur me font pitié. Alorstouteleur viec'est des pièceset encore des pièces ?C'est triompher plus que le voisinencaisser plus que le voisinetrecommencer toujourstoujours ? Quand trouvent-ils le temps deregarder à l'horizon ?

Maman adit au soldat : « Quand vous verrez à la gare une femmejeune et joliece sera ma belle-fille... »

-- Il aété charmant pour moice jeune hommedit-elle en leprésentantVoici ma chérie et mon petit-filsqui aquinze ans.

Et lesoldat saluaitsouriaitun peu tropparce qu'il lui manque unedent.

Maman nedescendait pas : on ne criait pas « Paris ! »

-- Unetasse de thé ?

-- Merci.

-- Detilleul ?

-- Rien !Une tasse de litoui !

C'est unegamine. Elle n'a jamais dû souffrir beaucoup.

-- Moidit-ellej'avais une dindemais elle était mortetandis quecette dame avait deux oies vivantesqui criaient.

Elleajoute :

-- Il y ena une qui s'est sauvée.

-- Je suisbien heureuse en voyage : je ne vais jamais aux cabinets.

Sur lajoueun bouton de vieillessequ'elle écorche.

30décembre.

Elletousse tout le tempsnon par besoinmais pour faire savoir qu'elleest là.

Elle aimebien Marinettemaisau fondelle est un peu piquée parceque Marinette ne la craint pas.

Jem'étonne de ne l'avoir pasà douze ansmenéepar le bout du nez.

Elle n'apas vu Paris depuis 70. Le temps de le revoir aux becs de gazde lagare de Lyon à la rue du Rocheret elle dit :

-- MonParis n'a pas changé.

Elle nousrenverse toute sa tendresse sur la manche.

Elle signeune lettre à sa petite bonne : « Votre vieille maîtressequi vous aime bien. »

Elle a soncharmeune espèce de charme que je ne peux pas subir.

C'est lamême. On sonne. Elle disparaîtmais elle veut voir. Onla croit loinet tout à coup la porte s'ouvre.

-- Ah !vous êtes donc là ?

Elle avoue:

-- Je n'aipas su prendre ni tenir ma place avec ton père.

On leprésente à un monsieurqui lui dit :

-- Ah !parfaitement ! J'ai entendu parler de vous.

Et lui :

-- Oh !dit-ilça ne fait rien.

C'est bienle fils de cette femme à qui sa fille ditdans une logeauthéâtre :

-- Mamanne mets donc pas comme ça tes doigts dans ton nez !

-- Oh !dit-elleje n'ai pas de prétentions.

Hervieuenvoyant toute l'Académie à Duquesnel pour avoir un boncompte rendu au Gaulois.

Maman apeur de mourir subitement. Elle ne voudrait pas être troplongtemps maladeni mourir trop vite.

Elle veutavoir le temps de dire ce qu'elle a à dire.

Elle vaencore parler !



1904

2 janvier.

Mamanbavarderait des heures avec une petite filleavec un chat : qu'ilronronne lui suffit comme réponse.

Ce qui luiconviendraitc'est une cuisine donnant sur l'escalier pour qu'elleen puisse ouvrir la porte et voir qui monte.

Elle estde ces vieilles femmes qui se croient propres parce que tous lesjours elles se lavent le bout du nez.

La fumées'élève comme un sapin légerun sapin decendres.

Elle nement pas : elle invente. Elle invente tout avec une facilitéinsignifiantejusqu'à ses rêves.

On ne peutpas dire qu'elle soit voleuse : elle est déplaceuse. Elleprend un dé qu'elle sait qu'on cherche. Elle ne le rend pastout de suite : elle laisse chercher.

Ce ne sontpas vols de grande personne : ce sont des petits vols de pie.

Les lèvressèches du marron grillé.

Hommeépais et fort comme une armoire... pleine de linge sale.

Maman ditque c'est elle qui a introduit le cirage à Chitry. Jusque-làles gens ciraient leurs souliers avec la suie du derrière dela marmite.

Enfantjoyeux comme une petite cage d'oiseau.

-- Voilàvotre portrait au murdit-on à maman.

-- Unejolie affaire que vous avez pendue là ! dit-elle.

Elle dit :

-- Je suiscomme les vieux : je n'ai plus d'appétit.

Et elleavale un plein bol de café au laitetde nous touselle estla seule qui mange tout son petit pain. Elle s'en aperçoit etdit :

-- Cen'est pas de l'appétit : c'est de la gourmandise.

Elle ditqu'elle ne dort plus. Ce matinelle se lève à neufheures.

-- Je n'aipas dormi de la nuitdit-elle. Je me suis assoupie ce matin. Je n'aipas entendu de bruit -- elle couche près de l'escalierintérieur --ettenezregardez : ma montre étaitarrêtée.

Elle dit «Ma fille »mais de Maurice et de moielle dit : « Cesmessieurs ».

Du passéelle se rappelle des détails insignifiantsmais elle a oubliéqu'elle a perdu sa première petite fille. Mon pèrevoulait se tuer.

Si le mot« cimetière » ne lui vient pas à l'espritelle ne se rappelle pas que ses « chers morts » ydorment.

4 janvier.

Jalouse dubonheur de Marinettecolère contre cette femme qui trouvemoyen d'être heureuse avec un homme dont le caractèreest insupportable à tout le monde.

A des septet huit heures du matinGuitry rejette ses couvertures étonnéess'enveloppe d'un châled'un plaidet se met à MonsieurBergeret. Il collabore avec Anatole France.

Racontedes histoires.

On avaitfait une collecte pour le peintre Degroux qui n'avait plus un liard.Il prend l'argent et dit :

-- Je vousétonnerai par mon ingratitude.

Unpharmacien le force à accepter son hospitalité et luidonne une chambre au troisième. La nuitpris de coliquesDegroux enjambe l'appui de la fenêtre et se soulage. Lelendemainle pharmacienqui pilonnevoit les passants s'arrêteret regarder sa maison avec des gueules !

A uncommissaire de police qui lui décline ses qualitésilrépond :

-- Commentpouvez-vous faire un métier pareil !

Maman vapartir furieuse du bonheur de Marinette. Elle lui dit :

-- Cen'est pas étonnant que vous soyez heureuse avec un caractèrecomme ça !

Elle semet à pleurer.

Elle écritaux gens de Chitry qu'elle a été très bienreçuemais qu'elle est souffrante et qu'elle va rentrer.

Elles'apprête à dire qu'on ne voulait plus la laisserpartir.

6 janvier.

Elle nousentend causer dans la chambre de Baïe. Elle ouvre la porteapparaît comme lady Macbethdit : « Pauvre petite Baïe! Chère poulette ; ! »et referme la porte.

Siquelqu'un entre avec moi dans mon cabinet de travailelle s'assieddans l'escalier du phare pour écouter.

--Qu'est-ce que vous faites donc làmaman ?

-- Je mechauffe.

-- Vousêtes dans un courant d'air. Venez là : vous serez mieux.

Elle causeavec les chatsqu'elle appelle « gros gâtés ».

Onl'entend qui pleure dans son lit.

-- J'aipassé une bonne semainemais c'est fini !

On vas'attendrirmais on s'aperçoit qu'elle ne pleure qu'avec labouche.

-- Je vaismonter dire au revoir à Jules.

-- Cen'est pas la peinedit Marinette. Il descend.

Au bas del'escalier :

-- Aurevoirmon Juleset merci. Adieu !

Elle meserre la mainm'embrassesous sa voilettesur la tempe gauche.Elle a bien le tremblement des larmes. Je n'ai pas dit un mot. C'estpeut-être la dernière fois qu'elle m'embrasse... et queje ne l'embrasse pas.

Ma mère!

Dans lefiacre qui la remmène elle dit amèrement :

-- Cesvoyages-là ne laissent que du chagrin.

-- Oh !maman !

-- Je veuxdirema chériequ'ils laissent un grand vide.

9 janvier.

Philippe.Sa toilette : un de mes paletotsun vieux chapeau de Mauricedessouliers de Fantec.

Sonobstination à marcher derrière Marinette.

-- Vousêtes fatigué ?

-- Non.

-- Vossouliers vous font mal ?

-- Oh !non.

Vauvenargues.Un style d'homme qui a perdu trop de sang à la guerre et quidevait mourir à trente-deux ans.

11janvier.

Philippeest venu comme ça. Il n'a apporté qu'une chemiseet ilditde Pierre négligent :

-- Il estencore moins gêné que moi !

Il n'estjamais allé au théâtreet il débute parL'Adversaire dans une loge de face.

Il étaitbien à l'abribien à l'ombredans sa cabane pas tropéclairée. Il voyait tout le mondeet on ne le voyaitpas. Mais il faisait bien chaud ! Il suait. Ça coulait departout.

--J'aurais bien voulu prendre l'airdit-ildu temps que c'étaitarrêté.

Il emportele programme pour le montrer à Ragottemais il ne lui paraîtpas que toutes ces petites dames en photographie soient les mêmesque celles qu'il a vues.

-- Vousêtes-vous amusé ?

-- Moioui. Mais il y en qui s'ennuyaientqui sont partis avant quemonsieur Guitry ait fini.

-- Comment!

-- Oui !J'ai vu des gens qui mettaient leur paletot quand monsieur Guitryrevenait avec tout son monde. On ne lui a pas laissé dire cequ'il avait encore à dire.

-- Maisc'est luiça !

-- Quoiça ?

-- Ouilapiècec'est lui.

--Commentc'est lui ?

-- Ouison divorceenfin.

-- Ah !vous croyez que monsieur Guitry nous a raconté ses histoiresavec sa femme ?

-- Dame !j'ai cru.

-- En toutcasmonsieur Guitry ne s'embrouille pas dans ce qu'il dit ! Maisladame qui pleuraitelle parle bien aussiet puiselle n'est pasembarrassée de ses jambes. J'avais toujours peur qu'elles'empige dans sa robemaisquand elle se retourneelle a vitefaitd'un coup de piedde faire tourner sa queue avec elle.

Aprèsavoir avalé une pleine écuellée de soupeilfaisait un tourmais seulement le tour de notre pâté demaisonsde peur de s'égarer.

Ce quil'étonne le plusc'est le gazl'eau qui monte dans lescuisineset les légumes de chez Potinles pommes de terrenouvelles en janvier.

De mamèrej'ai tous les défautsneutralisés.

On a beaufaire ! Les gens vous demandent toujours :

--Qu'est-ce que vous faites ?

Philippeappelle une queue de billard : le manche de l'outil.

Ecrireavec la pointe de son coeur.

Fantômede vieille femme apparu brusquement :

--Dites-moi... Ah ! je ne sais plus ce que je voulais vous dire !

Pail.Petit poêle qui entête. Toute une vie de fabrication debruyères. Dans un fauteuilla compagnela femme du peintregaie et bavardequi croit quede n'avoir pas d'ordrec'est êtreartiste.

Sestableaux n'ont jamais entendu de bêtises : on ne leur dit rien.

13janvier.

Maisonde poupée. Que de choses insignifiantes dites avecprofondeur ! L'accès de liberté de Nora ne méritepeut-être qu'une bonne fessée. Dans cette piècetout se dérange aussi facilement que tout s'arrange ailleurs.Une histoire de faux qui se termine par une discussion. Le seulhommec'est cet employé qui veut garder son petit emploi.Mais tout celaquoique longmal fait et arbitrairen'est pasennuyeux. Ça manque de l'éternel adultère.

MmeBremontieragréable jeune femmenous a très bienrécité sa petite conférenceavec deshésitationsdes fauteset un air de ne jamais penser àce qu'elle disait qui mérite toute notre affectueuseindulgence

Le rôlede Nora éclaire le talent de Desprès. Il en montre lesqualités et les limites. Géniale et entêtéecette jeune artiste préfère ce rôle à tousles autres parce que jamais elle ne pourra bien le jouer.

Capus.L'Adversaire.Lu quelques scènes. C'est la perfection dans le feuilletéla futilitémais c'est la perfection.

Dans lesremplissages surtout il est délicieux.

Celui quidénonce dit si bien : « J'ai une telle affection pourvous !... » qu'il n'est pas un goujat.

Et commeon se rend bien compte que Capus peut en faire comme ça parmillierset quetout de mêmeil est seul à pouvoir enécrire une ! C'est d'une aisance continue que rien n'inquiète.Le mot n'est pas toujours du meilleur espritmais il vient toujours.

14janvier.

Au Bois.Le pauvre peut dire : « J'ai un bois de 500 hectaresle Boisde Boulogne. »

Lesfeuilles tombées s'accrochent au treillage comme des oiseauxen cage : elles voudraient sortir. Quelques-unes roulent sur lachaussée : elles viennent à Paris.

A Capusil manque de faire difficilement des pièces difficiles.

-- Si vouscontinuez de gagner tant d'argentdis-je à Guitryvousfinirez par être millionnaire.

-- Vous nesavez pas ce qu'il faut de millions pour l'êtredit-il.

Latraduction de « C'est un homme que j'aime beaucoup »c'est : « Je m'en fiche ! »

15janvier.

SoeurErnestine. Je crois avoir trouvé une finet je vais laporter à Marinette comme un bol de lait chaudet je vois àses yeux que je ne me suis pas trompé. Je cours chez Guitry.Je n'ai qu'à lui dire : « J'ai trouvé ! »pour que sa joie éclate. Il ne sait pas ce que c'estet ilveut jouer ça cette saison avec Monsieur Alphonse.

Il raconteà Guitry une histoire de vieille femme qui gardait lescochons. Elle avait un franc par cochon vendu. Ça lui faisaitpeut-être dix francs par mois. Elle les perd. Pour touteplainteelle dit :

-- Oui !Je sais que j'ai mangé mon pain blanc le premier.

C'est unhomme terrible. Pour s'excuser de donner dix francs par mois àun vieux bergeril dit :

-- Je luidois bien ça ! Cet homme avait fait quelques économiesoh ! en tuant mon gibierje le saiset il avait construit dans lebois une cabaneoù il habitait. Un jour que je passais et quela cabane était videj'ai mis une allumette dedans. Tout aflambé !

Il y atoujours un peu de vide dans les amitiés les plus pleinescomme dans les oeufs.

La joiece n'est jamais bien agréable. On ne sent plus. C'est comme sitout le coeur n'était qu'une crème fouettée.

18janvier.

Les toitsachèvent de pleurer leur pluie.

Fade commeun visage sans sourcils.

19janvier.

Je ne mefais pas de bile ! disent-ils.

Ceségoïstes gras vous donnent envie d'être le plusmalheureux des hommes.

Capus. Salégèreté à se lancer dans unchef-d'oeuvre me fait frémir.

-- Quandje voudrai faire une pièce pour Guitrydit Nohainla piècequ'il faut à son théâtre et à son publicje la ferai.

Trèsimpressionné par un monsieur qui lui a lu dans la mainhieret qui lui a dit des choses queluice monsieurne pouvait passavoiret qu'il mourrait à cinquante-cinq ans.

21janvier.

Cetéditeur a pour maîtresse Mlle Xde l'Odéon.

Un auteurse présente et lui demande :

--Voulez-vous publier ma pièce ?

-- Quellepièce ?

-- Ellesera jouée à l'Odéon.

-- Ah ? Etavec quelle distribution ?

-- Lambertfilsetc.etcomme femmeMlle X.

-- Ah ?

-- Oui ;elle n'a aucun talentmais elle couche avec... (Icile nom d'unministre.)

Femme. Unejolie nuquefinequoique un peu grasseélégantecomme une poule d'eau sous ses racines.

Formule :l'enseignement de la liberté est libre.

Lemille-pattes n'en a -- j'ai compté -- qu'une vingtaine.

Fonctionnaireassis sur son guano.

26janvier.

Mon verreest petitmais je ne veux pas que vous buviez dedans.

--Qu'est-ce qu'on pourrait bien faire pour tes quarante ans ?

-- Merajeunir.

Ouiçane va pas malmon petit actepar-cipar-là. Je nage trèsbien dans cette rivière : je ne traverse pas.

28janvier.

Hervieufait chasser Léon Blum de La Renaissance Latine parceque Blum n'y voulait point parler du Dédale avec leplus grand respect.

-- Ce quimanque à tout le théâtredit Guitryc'est unefemme franchement gaiedans le rire ou dans les larmespeu importe.Le public veut rireau théâtre.

Il dit àSacha et à Jean :

-- Ah !comme vous avez mal arrangé ma vie !

-- Quelâge aura monsieur Lepic dans votre pièce ? me demandeGuitry. Soixante ans ?

Il y a unepetite inquiétude dans ses yeux.

-- Nondis-je. Guère plus de cinquante.

Grand-Guignol.Répétition privée.

Interviewune pièce de ce grand gosse de Mirbeauqui en dit lui-même:

-- C'estgrossier d'un bout à l'autre.

Et après:

-- Vous neme méprisez pas trophein ?

Féraudyest venu donner le conseil de jouer ça en brûlant lesplanches. LundiClaretie viendra à la première.

Mirbeaus'amuseet ses artistes -- il y en a deux dans sa pièce --ont pour lui de la vénération.

Scène.Un maripar excessif amour de la véritéenragéque sa femme ne se doute de rienfinit par lui apprendre qu'il l'atrompée.

30janvier.

Si nouspensions à toutes les veines que nous avons eues sans lesmériternous n'oserions pas nous plaindre.

L'enterrementmême a du bon ; il réconcilie les familles.

1erfévrier.

Le cielest tout fleuri d'étoiles neuves.

Elle ditqu'elle est Russe parce qu'elle parle mal le français.

Une femmequicomme le laurierpréserve des coups de foudre.

Une petitefille dit que la pendule a deux yeuxsans cils.

Il reçoitdes tuilescomme tout le mondemais il les commande lui-même.

Un vaguehobereau montre un vieux portrait d'ancêtre qui fut auxCroisades.

--Laquelle ?

-- Toutesje pense.

3 février.

«Bravo ! » Nous ne savons même pas le dire en français.

-- Je vousfais peur ?

-- Non !Et je voudrais bien vous rencontrertoute seuleau coin d'un bois.

-- J'envievotre vieme dit Coolus. Vous n'avez qu'une passion : lalittératureet qu'une femme à aimer : la vôtre.

Un derniervent s'attarde. Il habite dans la cheminée.

10février.

Des idéeslarges que je tiens étroitement.

12février.

Fantaisie! Fantaisie ! Tu es délicieusemais tu n'es pas le purtalent.

15février.

Capuss'est commandé une voiture automobileet il ne sait déjàplus qu'en faire.

Il faut levoir se promenant avec Arthur Meyer ! Il fait tous les frais. Il nepeut pas résister à ce chic. Il parle. Meyer dodeline.

Un toitfume pour se désennuyer. L'image estje croisde Bachelin.

Le vent àla voix humaine.

Elle s'estdécolletéemaiscomme elle n'a pas pleine confianceen la beauté de ses épauleselle a mis un chapeauénormede sorte que le monsieur qui est derrière ellene pouvant voir ce qui se passe sur la scèneest bien obligéde regarder les épauleset de s'en contenter.

Trèssentimentauxluicomme un pot à tabacellecomme uneancienne grue. Au théâtreelle aime les scènesd'amour. Elle frétille et regarde langoureusement son homme.

Il estantisémite.

--Imaginez-vous qu'un Juif est venu nous acheter des tableaux. Le prixest arrêté. On les lui porte. En les recevantil nousdit : « Vous allez me faire un escompte de trois pour cent. »C'est horrible !

--Imaginezmadamequ'un autre Juif me doit 2 000 francs et ne veutabsolument pas me les rendre.

-- Lemisérable ! dit-elle.

-- Oui !dis-je. Maismon Juif à moic'est un catholique.

Et je luirappelle le mot de Sarah : « J'attends que les chrétienssoient meilleurs que nous. »

-- Vousaimez les Juifs ? dit-elle.

-- Jetâche d'aimer tous les hommes quand ils sont bons etintelligents.

Premiersbeaux jours. Ça sent l'omelette aux fines herbes.

Ellem'aime biensouvent pendue à mon cou ; maisque leblanchisseur arrive ! Elle me lâche.

Vertige auSacré-Coeur. Une femme à sa fenêtre me donne malau coeur.

Ces gensne viennent jamais à Paris.

Un orage.Alfred a peur.

Nousentrons dans le petit café du Théâtre Montmartre.Tout Paris travaille : iciquatre ouvriers jouent au billard.

Un telcoup de tonnerre que la foudre a dû tomber sur la banquetteentre Alfred et moi.

Types dejoueurs « Vous savezmoiça ne m'amuse pas. Je jouepour lui faire plaisir. » Celui qui va perdre.

Notre airnaturel pour que le patron ne croie pas que nous méprisons soncafé.

La fortunefait le bonheur des autres. C'est une belle chose que de savoir lesen faire profiter !

Bavarde.Elle a la langue dans une automobile.

Promenadeà Versailles dans l'automobile de Guitry.

A chaqueinstant je me sens le coeur d'un richard. Je regarde les passantsavec des yeux pleins de vanité ; ou bien je ne les regardemême pas : je suis un homme absorbé par de grossesaffaires ; ou bien je prends l'air habituédégoûté.

Maispauvre imbécilecette voiture à pétrole n'estpas à toi !

Ledimanche ? Mais nonce n'est pas ridicule.

Ils sepromènent. Ils ont peut-être travaillé toute lasemaineeux. Ils sont heureux. Ce soirils dîneront les unschez les autresceux-cifiers de recevoirceux-làcontentsd'être bien reçus.

17février.

Mon pèreprétendait s'être brouillé avec les Corneillesous un prétexte futile afin d'échapper aux tentationsde Rose. Il a fini par le croire.

Il y a làmatière à un petit acte.

Levieillard et la jeune fille devenue femme se rencontrent.

-- Hein !C'est jolidit-ilce que j'ai fait là !

-- C'étaitbien inutile : je n'ai pas été heureuse.

-- Vous nel'auriez pas été avec moi.

-- Maisvousdit-ellevous l'auriez étédu moins un instantavec moi.

Etatd'esprit. M. Lepicqui a mauvais caractèrese brouille avecles Corneille pour un motif futile. De toute la famille il neregrette que Rose. Il oublie le prétexte. Il finit par croirequ'il s'est brouillé avec le père pour n'être pastenté de déshonorer la fillemais elle lui dira :

-- C'étaitbien inutile !

Et le père:

--L'honneur de ma fille m'a coûté ton amitié. Ilvaut çamais c'est cher tout de même.

Fairecauserc'est le talent le plus rare ; c'est bien plus difficile quede parler soi-même.

19février.

Il netrouve pas le moyen de dire un mot sur cent qui ne soit imbécile.Il fait des affaires.

-- Ah !mon cheron y voit des types bien plus vivants qu'au théâtre.Il faut sortirvoir le monde ! C'est malsainde rester chez soi !

Il medemande :

--Avez-vous vu Cyrano ?

-- Plus devingt foisdis-je.

-- Maisl'avez-vous vu dans les nouveaux décors ?

-- Non.

-- Ah !mon cherc'est tout autre chose ! A la bonne heure ! Ça sort.Je trouve ça épatant.

-- Dansles nouveaux décors ?

-- Oui.

Pauvreimbécile !

Il ditencore :

-- Je n'aipas la prétention d'être un homme de lettres.

Il ne l'aplus.

-- Lebillard est un jeu intelligentdit-il. Je n'aime que les jeuxintelligents.

Nohainqui va faire une conférencerue Saint-Antoinedevant desouvriersme dit :

-- C'estla première fois que je ne suis pas sûr d'avoir un grandsuccès.

21février.

Capus. Çadevient l'ennuil'affaissementle dégoûtdéjàde l'automobile qu'il va acheter.

Pourquoin'a-t-il pas toujours une première triomphaleet qu'est-cemaintenantpour luiqu'une pièce qu'on ne joue pas dix moisde suite ?

Il va dansle Midimais avec une passe du Figaro : même pas leplaisir de payer !

Lui. Unmélange de cendre et de poix. Quand je veux le laisser seulavec GuitryGuitry m'appelle tout bas Ravaillac.

22février.

Quaranteans ! La mort n'est peut-êtrepour le sageque le passaged'une date à une autre. Il meurtcomme d'autres ont quaranteans.

2 mars.

D'un beaugâteau de feu la croûte se fendille.

Il paraîtque la Terre ne tourne plus.

Queladmirable animal que le cochon ! Il ne lui manque que de savoir fairelui-même son boudin.

Léda? Ce n'est pas plus invraisemblable que la Vierge.

Au bord desa cheminéele moineau rêve comme un petit Savoyard quin'a plus rien à faire.

-- J'aimedit Antoineà faire jouer de temps en temps un grand rôlepar une petite bonne femme inconnue. Ça fait pisser les autres!

5 mars.

Le beauDimanche. Lu le premier acte à Guitry qui pressés'habille. Je liscomme un fouau bruit de la chemisedesbottinesde la brosse à habits. Après la scèned'Honorinej'entends un froid « C'est très-bien ! »

-- Vrai ?Alorsje suis tranquille pour le reste.

Jecontinue à la vapeur. Au « Des romans pour te purifier»il rit. A la finil répète plusieurs fois :

-- C'esttrès bien.

Je suis unpeu inquietcomme un homme dont la lettre est entrée si vitedans la boîte qu'il regarde s'il l'y a bien mise. Je demande :

-- Vous nevoyez rien à dire ?

-- Non !Rienrien.

C'esttrop. Je me méfie. Dans l'automobilej'entends :

-- J'aimemieux cet acte-là que le second.

-- Lesecond deviendra meilleur.

-- Oh ! jesais. J'aime mieux cet acte-là que le premier de MonsieurVernet.

--Vraiment ?

-- Oui.C'est la même choseet il y aen plusla scène entremonsieur Chêne et la petite.

Nous nousquittons.

-- Je suisbien contentdit Guitry. Vous voyez que j'ai eu raison d'en demanderdavantage.

Etmoije ne suis qu'à demi tranquille.

11 mars.

Lesmoralistes qui vantent le travail me font penser à ces badaudsqui ont été attrapés dans une baraque de foireet qui tâchent tout de même d'y faire entrer les autres.

Paul Adamse réveille à six heureslit jusqu'à huitheures et demiese lèvetravaille jusqu'à une heurese repose jusqu'à cinqse remet au travail jusqu'àneuf et se couche à minuit.

N'a degoûts de luxe que chez lui. Ne travaille guère que pourle tapissier. Au dehorsne dépense que pour ses omnibus. Nevoyage jamais et ne regarde jamais rien. Prétend qu'il a vuses personnages extraordinairesparce qu'il n'observe quel'exceptionnelet que ses personnages ordinaires sont de soninvention

Il ne litses journaux que le soir.

Il n'aqu'une mémoire visuelle. Pour apprendre l'anglaisil écritde grands tableaux de mots qu'il suspend dans son cabinet de travail.

21 mars.

LeMannequin d'osier.-- Deux répétitions privées.

Premièreimpressionmédiocre ; deuxièmeexcellente. Presquetoute la pièceentre autres l'originale scène dutroisla meilleureest de Guitryce qui permet à France dedire tout haut :

-- Jetrouve cette pièce très bien

ettoutbasà Guitry :

-- C'estvotre pièce. Comme on va m'en faire beaucoup de complimentsj'oublierai qu'elle est de vous. C'est pourquoi je vous le dis pourla dernière fois.

Il dit :

-- Renardet moinous faisons la même chose : nous mêlons le rireet l'émotion. Il faut faire des pièces sanscomplications : ce n'est pas l'auteur de Poil de Carotte quidira le contraire.

Capustrouve la pièce d'une grande originalité et est pleinde respect pour elle. Il doit bien s'ennuyer. Il n'est pas homme delettres. Sa réputation n'est qu'une réputation desuccèset son argent n'en fait même pas un homme richeau milieu des gens riches qu'il fréquente.

Lesmoineaux qui viennent picorer le millet tombé de ma cage àserinssait-on s'ils ne se disent pas : « Sont-ils veinardsces serins ! »

La liberténe vaut peut-être paspour euxun échaudé parjour.

Un toitque : la fumée quitte à regret.

26 mars.

A laSociété des Gens de Lettres. Jho Paleun pauvre bougrede lettresme dit :

-- Vousavez là-bas un homme politique qui vous admire beaucoup :c'est de Bhray. Il est aussi anticlérical que vousmais il aune situation de 12 000 francs.

Voilàleur excuse.

29 mars.

LaGloriette. Premières fleurs. La primevère des jardinsqui s'ouvre en jaune et s'achève en rose.

Boutons.Des fleurs aux ailes collées. Toute la nature a la rougeole.

Il y a desarbres qui se dandinent.

Philippetoujours un peu lourd de secrets : il porte la lune dans son tablier.

Labrancheun doigt qui se tend aux oiseaux.

LaBruyèrefils de « noble homme »s'appelait de LaBruyère. Le de est tombé : la noblesse estrestée.

Ils nesavent pas empêcher une cheminée de fumer : ils aimentmieux s'endormir la fenêtre ouverteen plein mois de décembre.

31 mars.

La vieillea voyagécet hiver. Elle est allée chez sa fille chezune soeuret même chez son filsqui est riche.

Elle n'apas le sou. Elle loge dans une ancienne buanderie qui n'a pas defenêtre et qui n'a qu'une porte. Elle ditun peu humiliée:

-- Nevenez pas me voir maintenant ! Je suis trop mal logée. Oh ! jen'y resterai pas longtemps : ils vont venir me chercher.

«Ils »c'est sa filleou son filsle richard.

Comme elleest sourdemamanqui a de l'espritdit tout haut :

-- Etsiceux-là ne viennent pasla mort viendra bien vous prendre.

Honorinese laisse manger par la vermine. L'autre jourmaman lui a lavéles mains et l'a débarbouillée.

Le lardqu'on donne à sa bru pour lui faire sa soupeelle voudraitl'avoir elle-même. Quand sa bru -- sa petite-bruplutôt-- lui dit : « Grand-mèrevotre soupe est trempée»elle répond : « Je n'en veux pointde ta soupe»etdu pied elle fait le geste de la renverser. Et puiselle finit par la manger.

Comme elleest salesa petite-bru lui a fait quitter son juponpour le laver.La vieillefurieusea jeté le jupon dans le feu et l'a faitbrûler.

Commetoutes les vieilles femmesmaman a peur de la mort. Elles ne saventpas que la mort est belle : elles croient réellement que lediable approche.

Ils sontplus bêtes que méchantsmais si bêtes que la partde méchanceté reste belle.

1er avril.

C'est laseconde fois que Ragotte ne fait pas ses pâques Les curéssont trop « malins ». D'ailleurselle n'y pense plus. Onva croire que nous la tyrannisons. Marinette lui conseille de lesfairemais Ragottesans doutene la croit pas sincèreoupeut-être devient-elle tout à fait indifférente.

Vendredisaint. Elle dit :

-- Lesoeufs d'aujourd'hui sont des oeufs bénits. Quand on en mangeun à jeun le jour de Pâqueson est bon toute l'année.

Ayant faitdeux jours de prison pour je ne sais quelle histoireil ne peut pasvoter : il en est joyeux comme un homme qui s'est mis au-dessus detous les droits civils.

Lescloches étant à Romedes petits courent par leschemins etavec de petites sonnettessonnent la prière.

L'un d'euxpasse près de moietle temps qu'il dise bonjour aulibre-penseursa sonnette se tait.

Si lesvégétaux savaient lireils auraient plus de vie quetous ces gens-là.

Un villagecomme Chaumot ou Chitryc'est la meilleure preuve que l'univers n'apas de sens.

Comment neseraient-ils pas envieuxvaniteux et mauvais ? Avec tous mes livreset mes efforts quotidiensle suis-je beaucoup moins qu'eux ?

2 avril.

Les bléssont plus verts que les prés.

Corbeauxet piesen tablier de misèresont maîtres des champs.

Il y aaussi les feuilles indétachables du chêne qui remuentcomme des oiseaux.

La branchenue est une fronde qui lance un oiseau.

Se couchersur l'herbe sècheet s'endormir pour toujours.

La pienotre perroquet des champs.

Devieilles cartouches. Elles n'ont pas germé. Il n'en peutsortir que la mort.

Honorinen'est presque plus que terre.

Elle meurtà chaque instant.

Elle serreses quarante sous dans son mouchoir. Elle les oubliera : elle ne lesperdra pas. Il y a beau temps qu'elle ne se mouche jamais !

Elections.C'est un vilain moment. On n'ose plus faire un pasdire bonjourserrer une main. On a l'air d'implorer un bulletin de vote. Chaquesourire semble une prière.

L'électeurse croit le maître ; il y a confusion. Mais nonbrave homme !Il faut voter pour vous rendre service à vous-mêmeetnon à moi. C'est vous qui êtes mon obligé.

Cela peutoccuper les hommes politiquesmais répugne un peu aux hommesqui ont quelque idéal.

Ils ontencore plus d'orgueil que les hommes de génie.

Le poëtePonge. Les efforts qu'il fait pour sortir des ténèbresoù si longtemps ont dormi ses ancêtres.

Le curéleur raconte des histoires à dormir debout et leur promet lalune au Paradis.

Le mairene tient qu'à son écharpe.

L'instituteurpourraitmais...

Qui doncregarde de près le paysan et lui dira : « Tu dors encoredepuis des siècles. Réveille-toi ! »

MmeCahouetancienne institutriceparle avec l'application murmuranted'un curé.

-- Oh !vos articlesne sont pas mes idéesmais j'en admire la formeet la finesse.

Enfinvoilà donc une femme qui m'en parle !

J'ai l'airde chercher mes « roulées » de compliments.

Un pauvremendianttype de l'ancien grognarda écrit à lacraiesur son chapeaule mot « Ane »

Il croitqu'il va faire fortune avec cette trouvaille.

Le vendeurme dit que Le Journal de Xau ne prend pas à Corbignyparce que les dames le trouvent un peu « cochon ».

Odysséedes bûches flottantes.

-- Oùvont-elles ? dit un arbre.

-- Je nesais pasdit l'autre. Elles vont à la guerre.

8 avril.

Maman.C'est tout de même une femme qui a été jeune etque les dames du pays ont appelée Rosa.

Unemartyrepeut-être. Tout l'hiverils ont vécu de quinzelapinssans autre viande. Au quinzièmeil prétendaitqu'il n'en était pas encore dégoûté.

Luiquil'a fait souffrir comme une esclaveil l'appelle pourtant avecquelque respectla bourgeoise.

Depuisseize ans elle n'a pas changé de corset.

Ils n'ontfait que trente francs de dettespour le lard.

Elle nesort pas. Toute la journéeelle travaille près de safenêtre d'où elle a la plus charmante vue qui soit.

Philippedit d'un de mes gros dictionnaires :

-- Sij'étais forcé de lire tout ce livre là avant deme coucherje serais bien chagrin !

C'estl'électeur qui devrait solliciter le candidat. Mais cetteperversion du suffrage universel ne date pas d'hieret elle dureratant que les candidatsqui devraient moraliser l'électeurnes'aviseront pas de se moraliser eux-mêmes.

Grivèlerie: ce n'est pas la chasse aux grives.

Brancheséplorées.

Du painavec un peu de soleil dessus.

LeVendredi-Saintelle se privait de soupemais pas de médisance.

Il y a unmoment où une pêche est mûre. Un peu avantun peuaprèselle est moins bonne.

Celui quia le goût parfait n'aime que la pêche mûre et lebon style.

Ils neconnaissent pas le sel fin.

LegramophonePhilippe l'appelle la trompette.

-- Mafemme a mal au coeurdit ce paysan

-- Elleest enceinte ? dit le médecin

-- Non !Elle a mal au coeur.

-- Ellevomit ?

-- Oui.

-- Alorselle est enceinte.

-- Non !Non ! Elle ne refuse pas.

Ilsmangent la soupe de bonne heurepour s'en débarrasser.

14 avril.

Rentréeà Paris. Si un esprit volaitil volerait comme le pigeon.

16 avril.

Egoïsme.Ramener tout à soimême Dieu.

Polairepasse dans une calèche à deux chevaux. Tout de mêmeça impressionne.

Et Willyva avoir son portrait par Bonnat.

La raisonest en marche.

Je nedésire plus le succèset je sens déjàqu'il m'arriverait trop tard.

La vien'est peut-être qu'une maladiele phylloxera de notre planète.

18 avril.

Coolus seprésente au Gil Blas.

-- J'ai àdire des choses que je ne peux pas dire dans un autre journal.

-- Bienbien ! Apportez-nous ça.

Et ilapporte un article sur le printemps.

L'artistec'est un homme de talent qui croit toujours qu'il débute.

Pluie.Petites pièces de dix sous d'eau pure que le nuage jette dansle canal.

Femmeperverse : c'est simplement une femme stupide.

Rienn'attendrit le coeur d'un papa comme la grâce de sa fillette unpeu malade.

Patriotenonmais compatriote.

Poulemorte. Seulesses plumes restent vivantesà cause du vent.

«Mon homme »« mon mari »devient « monépoux » sur les tombes.

L'Académiele commun des immortels.

Selon euxune commune où tout va bienc'est une commune inerte.

Pour qu'ilsoit parfaitil ne suffit pas à un maire d'être déléguésénatorial. Un bon mairece n'est pas un maire qui ne faitrien. Sur les instances de M. de Talonj'ai voulu voir la cuisined'une mairie : ce n'est pas toujours propre.

Je nem'occuperai plus de Chaumot que comme électeur. Au conseililne se passe rien. C'est en dehors que le maire peut quelque chose.

Je ne veuxpas être malin : je veux être juste. C'est trèsdifférent.

Tout lemonde se croit capable de faire un maire.

Les gensde Clamecy ont une assez bonne santéavec un peu de moisidessus.

Plus ilsvoient de monde à l'enterrementet plus ils pleurent le mort.

-- Voussavez nager ?

-- Non.

-- Alorsqu'est-ce que vous attendez pour vous jeter à l'eau ?

Claretiece La Bruyère en mille volumes.

Un beau etlong travail sur la paresse.

Lambeauxd'azur que des nuages dévorants se disputent.

L'homme detalent retombe toujours sur ses pattes.

Jarry etsa carabine. Les balles tombent de l'autre côté du mur.

-- Vousallez tuer mes enfants !

-- Nousvous en ferons d'autresmadame.

Guirlanded'orties.

Oiseau quise jette par la fenêtre.

Paris estgrand comme une salle de théâtre !

19 avril.

L'Humanité.Le premier numéro s'est vendudit-onà 138 000exemplaires.

Centtrente-huit mille lecteurs ont pu lire La Vieille. Et Athis medit qu'une femmed'une intelligence comme il y en a cent trente-huitmillelui a dit :

-- Je n'aipas compris ce que Jules Renard veut dire avec sa Vieille. Dequi veut-il parler ?

Elle a dûcroire qu'il s'agissait de Louise Michel.

J'en suislàà quarante ans !

Letailleur qui m'essayait ma jaquette avait sur le ventre une pelotegarnie de belles épingleset il m'en piquait partout. Je nesentais rien.

Il fautcroire que j'y suis habitué.

Çam'est égalde manquer ma vie. Je ne vise pas. Je tire enl'airdu côté des nuages.

Jamais jene me suis senti à ce point incapable de quoi que ce soit.

Je croisque je finirai par le suicide. Cardéjàdèsque je me sens un peu fatigué de vivreça m'amusel'idée noire et l'image du geste.

Guitry. Çasonne le fêlé. Décidémentje ne tiens àpersonne. Antoine m'avait lassé du théâtremaisc'est Guitry qui m'en aura dégoûté.

Je ne suispas fait pour la lutte. Je suis fait pour tuer les gens àcoups de fusil dans le cul.

L'Humanité.JaurèsBriandHerrm'accablent de compliments. Jamais jen'ai été reçu ainsi dans un bureau de rédaction.Les socialistes veulent être aimables. Je n'ose pas dire àHerr : « Vous aussivous avez écrit une bonne page. »Je m'imagine mal que les complimentsqui me font tant plaisirsoient agréables aux autres ; sans quoij'en feraisvolontiers.

Franceparle. Mirbeau rit. Jaurès écoutela tête mobile; il regarde l'unpuis l'autre. Briand est jovial. Je n'ose riendire devant ces hommes qui mènent la France. Tant decélébrités dans ce coin ! Etpourtantje lesimpressionne peut-êtreet peut-être que la moindreplaisanterie les ferait rire.

-- Leshommes du métierdit Jaurèsont bon espoir pour notrejournal. Nous tirons à 140 000. Il y aura un décheténormemais nous avons de la marge : avec 70 000le journalfera ses frais.

LéonBlumactiffiévreuxsemble la nymphe Egérie. Ilregarde Jaurès écrire un mot et dit : « Parfait !»

Jaurèsvenu au-devant de moime remercieme prie de ne pas resterlongtemps sans donner une page. Je crois rêver. Et toujourscette peur ridicule de rendre compliments pour compliments.

Un arbreavec de la mousse sous les branches comme un vieux soldat.

22 avril.

Cornu apeur qu'on ne croie qu'il me fait sa cour. Il ajoute :

-- Je veuxfaire la même chose que vous.

Del'intelligence moyennesans un pli d'ironie.

Pelletansa photographie. On n'aimerait pas à le rencontrer au coin del'Europe.

28 avril.

A Chaumot.D'abordpourquoi je quitte Chaumot. Trois espèces dequestions : administrativesreligieusesmorales.

Communicationplus étroite entre le maireses conseillers et les électeurs.Ceux-ciau lendemain des électionsne doivent sedésintéresser de rien de ce qui se passe à lamairie. L'école doit être le centre. De bons cheminsdel'hygiènele tout avec économiemais sans avarice. Ilne s'agit pas de dire : « Notre caisse est pleine ! » Ils'agit de dire : « Nous avons dépensé del'argentmais c'était utile. »

Libertépour tous. M. Loubet va à Rome. Il ne va pas voir le pape : iln'en empêche pas les autres. Chacun croit ce qu'il veut. Quechacun croie des choses pas trop déraisonnables : voilàmon voeu.

LaRépublique. On lui doit d'abord le suffrage universel. Jadison accusait les républicains d'avoir les mains sales ; on lesaccuse aujourd'hui de vouloir mettre tout à feu et àsang. Comme ils crient : « Vive la paix universelle ! »on les accuse d'être des vendus : il faudrait s'entendre. Lerépublicain se fait une haute idée de la morale. Ilveut l'homme libre. Mettre un frein à la richesse des unsetremédier à la pauvreté des autres.

4 mai.

Honorinen'a plus qu'une oreille pour entendre un peula droite. Elles'approche le plus possiblejusqu'à nos piedsde façonque les paroles tombent dans son oreille comme dans une vieillesoucoupe. Ainsi caléeelle a l'air d'être bossue dedoset bossue de côté.

Elle abeau faire : elle est sourdeet il faut lui parler double.

Il leurpasse dans la tête deux idées en trois jours.

Petitesfeuillesle duvet de la nature.

8 mai.

L'instituteurd'Héry attrape les gens de Chaumot dans le bois et leur ditqu'ils n'en retrouveront pas un pareil à moi. Il leur expliquece que je suis. Il a acheté un de mes livres.

Ilsapprouveraient et aimeraient ce que je dissi c'était enchansons.

10 mai.

Marinettene comprend plus. Elle dit que j'ai l'air illuminé. Ellepleure.

-- Il mesembledit-elleque tu n'es plus littérateur.

-- Je suisle mêmedéveloppéélargi.

La petiteflamme que je voudrais voir dans ses yeux ne s'allume toujours pas.

-- Tantd'efforts pour un si petit résultat ! poursuit-elle. Ces gensqui ne te comprennent pasqui se croient supérieurs àtoic'est d'un grotesque !

-- Rien nese perd. Si j'ébranle un seul cerveauça me suffit.

Et puisil ne faut jamais se préoccuper du résultat.

-- Tout ceque tu risques !

-- Quoi ?Des insultesun coup d'épée. Maissi je ne faisaispas ce qu'il faut que je fasseje mourrais d'ennuid'écoeurement.

-- Ouiouitu parles comme un apôtre. Tu finiras par être unsaint.

--Pourquoi pas ?

-- Unsaint laïc.

-- Sic'est ma destinée... Mon intelligence coule claire comme unruisseau qui ne s'arrêtera plus.

Cerisiers.Brassards de fleurs à toutes les branches.

Chapelet.Tirer des petits seaux d'indulgences du puits entre ses jambes.

Le jardin.On entend presque bourdonner les germes.

Unearaignée s'est pendue pour avoir défloré unefleur.

12 mai.

DevantMarinette le curé passehautainénormelongs cheveuxgrischeveux de chevalsous sa barrette. Soutane relevée àcause du ventre. Le pauvre Paulqui est avec luiveut la saluer. Ilreste un peu en arrièremais le curé aussi. Il lèvela main jusqu'à son estomac. D'un regard terriblele curéarrête la main.

13 mai.

Le poëtePonge diten regardant la nature :

-- C'estbeaucomme dit Lamartine.

14 mai.

Elections.Le pays s'amuse. A l'égliseles femmes ont le frisson : c'estdélicieux.

L'églisec'est un peu leur Guignol.

En tablierblancles hirondelles font leurs nids.

Le poëtePonge. Une vieille maison ; les poutres étaient soutenues parles armoires.

Pluspaysanplus mal habillé que les autres quandavec sa femmeil va planter ses pois. A la fois content et piqué d'êtretraité d'intellectuel par L'Indépendance.

Une nappesur sa table.

Leur ragede faire relever leur maison. Maintenantils veulent être bienlogés. D'être mal habillésmal nourrisne lesgêne pas. Chaque paysan veut être mieux « bâti» que son voisin.

Boutonsd'or : du soleil semémonnaie de soleil

17 mai.

Un brin demuguetc'est délicieux ; une brouettée de muguetrépugne.

Si plaied'argent n'est pas mortelleelle ne se ferme jamais.

Je lis unarrêté préfectoral ordonnant de faire détruireles chardons et l'épine-vinette. Je le signe. On val'afficher.

Quant àl'exécutercomme dit mon secrétairesi M. le Préfetcroit que nous avons du temps à perdre !...

18 mai.

Hirondelles.Il y a bien un peu de bavardage dans leur chant du matin.

Lesmendiants me connaissent. Ils me disent bonjour et me demandent desnouvelles de ma famille.

Il fautavoir l'oeil sur le paysan. Il renifle encore avec plaisir l'odeur dunobledu puissant et du riche.

Maman dit:

-- Le plusbeau jour de ma vie : le 15 mai 1904où mon fils a étéélu maire de Chitry.

Mairie.Que de paperasses à propos des nourrices ! Personne nepourrait se passer de secrétaire. Aucun maire n'aurait mêmele temps de lire toutes les pièces.

Elections.Il n'y a peut-être que moi qui aie pris ça au sérieux.

19 mai.

Une montrequi « fait la vie » comme une horloge.

Un vieuxtronc d'arbre d'où s'élève une branchettecommeun vieillard quiau printempsmettrait sa béquille sur sonépaule.

Louis XIVsa dignité d'horloge.

23 mai.

Pourl'oeil clairvoyantla modestie n'est guère qu'une formeplusvisiblede la vanité.

24 mai.

Ilsvoudraient un corbillard à Chitry

-- Pourquoi faire ?

-- Pourpromener les morts.

Lespaysannes sont comme les fleurs des champs : sous le nezçane sent rienou ça sent mauvais.

Le regardoblique d'une oie sur les sept oisons qui la suivent.

Philippehérite de sa belle-mère qui vient de mourir : dans unanil va toucher 200 francs.

26 mai.

Honorine aun doigt privé d'une phalange. Elle ne sait plus si elle l'aperdue à la moissond'un coup de faucilleou par un panaris.Elle sait seulement qu'elle a tant souffert qu'elle voulait se jeterà l'eau.

28 mai.

Commemaireje dois veiller au bon état des chemins ruraux ; commepoëteje préfère les voir mal entretenus.

Les crisde rats dans les chenetsà la lune borgne.

Sur lesfeuillesle soirle vernis de la lune.

30 mai.

Quand oncause avec un paysanon s'aperçoit qu'on ne sait rienou quec'est comme si on ne savait rien car on ne peut rien lui apprendre.

Le légerclapotement d'un coeur qui se fatigue.

8 juin.

Style purcomme l'eau est claireà force de travailà force des'userpour ainsi diresur les cailloux.

Mamanredevient petite fille. Elle aime qu'on la grondeet elle gémitd'une voix d'enfant qui parle à peine.

A Parisje leur raconte mes histoires d'élections et de mairie :

-- Oh ! àce point-là ? Et moi qui croyais que tu allais nous faire rire!

Omnibus.Un homme bâille de toutes ses profondeurs. Il a une énormechaîne de montreà la mesure de son ventre.

Une autrese cogne le genou au strapontin du fondse frotte et regarde lestrapontin avec des yeux terribles.

Une femmerépèteparce que la pluie tombe :

-- Moij'ai mon parapluiemais il y aura des surprises.

Un gamincache une cage à poulets. Tout le monde regarde sous sesjambes.

-- Despoulets ! Des poulets !

On éclatede rire.

Une femmericheavec sa bonne qui porte l'enfantmontre comme elle saitsourire au bébé :

-- Oùil estle papa ? Où il estle papa ?

Puisàla bonne :

--Monsieur doit nous attendre.

Unevieille sourit à tout le monde : c'est son droit.

Des femmespauvres qui n'ont plus qu'une goutte de sang au coeur.

Buttes-Chaumont.Ouile peuple ! Mais il ne faudrait jamais voir sa gueule.

Un canardla tête penchéedortle coude sur l'eau.

Guitry. Levoilà en pleine solitudeentre le repos qui ne le tente paset les itinéraires aussi vite abandonnés que tracés.Fraisparfoisd'une fraîcheur d'acteurmais déjàvieux d'une vieillesse d'homme.

Télégraphiesans filoui. Mais je me demande où vont percher nosgracieuses hirondelles ?

11 juin.

Je nereçois à la mairie que des prospectus de feuxd'artifice. Ils croient donc que nous sommes toujours en fête ?

Dentsdignes d'habiter le palais de sa bouche.

Vanité.Il a été concierge et marchand d'huîtres ; surles rôles des contributions il s'est fait porter maîtred'armesparce qu'il a vaguement été prévôtau régiment.

Je ramènetout à moimais il y a des choses dont je ne veux rien faire.

Branche decerisier voluptueuse comme un bras de femme.

Desbouffées de roses me venaient d'Ispahan parce quedans lajournéej'avais lu le livre de Loti.

Le haricotavec sa guêtre blanche et son petit parapluie.

13 juin.

Lacommune. Hiertournée. Mme Paul. Certains muscles paralysésceux qui retiennentde sorte qu'elle s'en va de tous côtésla pauvre femme. La fille aime bien les articles du poëte Pongeceux de « monsieur Jules » aussi. Elle me dit que sonpère s'est dévouéqu'il a tout faitet elleajoute : « D'ailleursmonsieur Jules est bien assezintelligent pour le comprendre. »

Nous lerencontrons sur la route. Un rien du tout terrible. Un carréde chair humainele visage criblé de petits coups de marteaules trous de nez pleins d'insectes noirs ou de tabac à priser.On lui dit :

-- Nousallions vous faire une visite.

Il nereculeni n'avance : il ne sait pas ce que c'est.

Il tientpar la main une petite fille que la pauvre Marinette embrasse. Nouscausons un peu. Il nous quitte. Il était sur la route : il yreste. Il ne nous invite pas à entrer chez lui.

ChezGâteau. Il n'y est pas. Sa femme nous reçoitsi j'osedire. Trente-deux ans de ménage et de sacristie ! Du bois ! Dubois desséchébrûlérongéd'avarice et d'envie. Oh ! le pauvre homme qui est en proie à...cet homme ! Une servante qui croit que Dieu ne s'est occupéque de lui faire gagner des sous. Elle nous dit tout de même denous asseoirmais elle reste debout. Elle a une fille mariée.Elle finit par nous offriren le retenant au plus profond de sacaveun verre de vin.

-- Oh ! jevous connais bienet depuis longtemps ! dit-ellecomme si elleavait honte de son accueilcomme si tout son bois voulait craquer.

C'est unehorreurun produit de curé et de servante dans une églisehumidefait avec du cierge délayé dans de l'eaufroide.

Patriotesparce qu'ils font partie d'une société de tir.

Chaumièresqui n'ont pour fenêtre qu'un oeil-de-boeufet qui serviraienttout aussi bien d'habitation à un boeuf.

15 juin.

Cinqpetits gars de l'école. Ils jouent dans la poussière.

Dans leursmusettesle premier a pour lui et pour son frère du pain etdu fromage durun autredu pain et de l'oeuf dans un petit pot defer-blanc pour lui et pour son frèrele cinquièmeleplus grandun morceau de briochesouvenir d'une premièrecommunion de petit camaradeet des cerises. Tous boivent de l'eau dupuits.

La libertédu père de famillec'est de laisser l'enfant crever de faim.Presque tous les paysans boivent du vinpresque tous ont un «goûter » de fricot : l'enfant a du fromage dur.

Et finedistinguée de manières !... Toujours un oiseau au boutdu doigt.

Lesgrenouilles rientles deux pattes jointes sur la gorge.

2 juillet.

Meules defoinles innombrables chignons de Cérès.

Bretagnedu jeudi 23 juin au lundi 27 juin.

Demolderdemande à une jeune fille de libraire en Hollande.

--Avez-vous Poil de Carotte?

Ellerépondindignée :

-- Si mamère était làvous ne me diriez pas ça !

Il estvrai que la jeune fille avait les cheveux rouges.

Guitrym'absorbe. Près de luije ne me sens plus rien. C'est àpeine si je me redresseparfoispour demanderavec niaiserie : «C'est vrai ? »

-- Vousvous défiez tropme dit Guitry

Route deBrest. Un petit bonhomme avec une canneet pieds nus.

Le solbreton tout nu. Rien entre lui et l'homme. De làlanostalgiele plus bel éloge de la nature et la plus bellecritique du patriotisme.

Nulle partje n'ai vu plus de mendiants que chez ce peuple fier.

Un pleinbateau de pupillesbérets bleus avec pompons rouges. Unemoisson de bleuets et de coquelicots.

Brest. Lesvieux bateaux de bois qui trempent à peine dans l'eau.

A chaquesoule mendiant remercie Dieu par un signe de croixmais il sedétournepar ce temps de libres penseurs qui courent les rueset qui se mêlent d'être charitables.

La merthéâtrale de Saint-Malo.

Chevalbreton. A notre passageil s'apprête pour un quadrille.

Le genêtla fleur lumineuse de cette nature sombre. De l'or dans du charbon.Contraste facileeffet sûr. C'est bien malin !

-- Ilfallait y penserdirait Dieu.

Automobile.Les champsles villagesles villesviennentcomme hâléspar des cordes invisibles que nous tirons.

Lescommerçants travaillentpensent même à deschosesmais c'est leur pipe qui rêve pour eux.

LaBretagnetout de mêmeme paraissait bien sombre : j'avais deslunettes fumées.

LesBretons abusent du Christmais ils n'oublient pas les femmesMarieet Madeleine.

Rien quinous requinque plus que le salut de l'inconnu sur la route.

Brest. Jesonne pour avoir à souper : on m'apporte trois boules debillard.

Le Faoule marché aux porcs : du pur breton.

Pointe duRaz. La corde de Sarah qui s'est fait descendre dans le précipicede 80 mètreshistoire d'en faire plus que les autres.

Les femmesont moins que les hommes le vertige.

-- A causede la forcedit Guitry.

Les gaminssuivaient. Je voulais montrer que j'ai le piednon seulement marinmais de chèvreet je refusais de m'appuyer sur l'épaulede l'homme. Pudeur aussi : donner ma main comme celle d'une dame !

Les gaminsjettent des pierres pour faire envoler les mouettes. Les guidesparlent breton. Que disent-ils ?

-- On voitl'île de Seinaujourd'hui... On ne la voit pas souvent commeça.

Ils ontl'air de parler pour eux et nous suivent obstinément. C'estl'amorçage.

Jerapporte des vues brouillées et des mots estropiés.

Voici lefauteuil de Sarah Bernhardt : elle s'est assise là. Avantçan'avait pas de nom. Aujourd'huitous les Anglais en détachentun morceau.

J'allaisle faire : je ne suis pas Anglais.

Prèsdu fauteuilun vrai petit strapontin. Vous l'appellerez désormaisle strapontin Durand. Vous direz que Durand s'y est assis. Nousverrons bien !

Cochonsplus propres que leurs maîtres dans des maisons de terrebattue.

Pointe duRaz. J'ai d'abord voulu faire l'Anglaisne pas répondre.Puisamorcéamadouéprisj'aurais bien vouluaccabler de questions le guide.

Lesdétonationsles coups de canon de la mer dans le rocher.

Un ventnous écrase nos lunettes sur les yeux comme des crabes. Pasune feuille ne bouge.

Nossilences. Nous nous taisions comme des Druides.

Il sepropose de direprenant le compliment pour sa femme et non pour samaison : « Plût au ciel qu'elle fût pleine de vraisamis ! »

Commentvoulez-vous que le garde-champêtre me prenne au sérieux? Je lui dis :

-- Vousseriez bien aimable de...

6 août.

Le nid del'oiseauce gracieux témoignage de confiance en nous.

Il fautentendre maman parler du « vice » !

-- J'ai eumes défautsj'en ai encoremais j'ai toujours eu le droit demarcher la tête haute.

Ouimaispapa cocu aurait peut-être été plus heureux.

Le moutontrop tondu est devenu enragé.

-- Onvient voir monsieur le maire de Chitrydit mon cousin Eusèbe.On vient causer avec lui. Un jource qu'on lui a diton l'entendraau Théâtre-Antoinedans une pantomime.

Pain decollège : trop de croûtemie pas cuite.

-- On n'enveut plusde vos marquisme dit-il. Un roi viendrait àChaumotqu'il n'aurait pas quatre voixmais on est encore pour lachose du curérapport à la messe et aux baptêmesmariagesenterrements.

--MolièreLa Fontaineles types à papadit Fantec.

Scrupule.Poids léger qui suffit à faire pencher une balance.

Le cordierde Corbignyquand il est occupé à boirene se dérangepas pour vendre 650 m de corde !

Philippeenrhumé dit :

-- C'estembêtantd'avoir un nez où il y a toujours àprendre.

J'offremon livre à un instituteur.

--Qu'est-ce que je vous dois ? dit-il.

Pas plusde force qu'un pèse-lettres.

Toute labraise du soleil est répandue à l'horizon.

10 août.

Leurs âmesnoires comme des puits. Quand c'est bien calmeon voit une étoileau fond : c'est rare.

Quand onne dort pas le matinon a du génie. On voit des choseslumineuses sur cette toile noire. On écrit à tâtonssur une feuille de papier.

Lelendemainon y trouve des bâtons informes.

Etoilesfilantes. Tir lumineuxsans fumée et sans bruit. C'estl'ouverture de la chasse dans les champs étoilés.

La bontén'est pas naturelle : c'est le fruit pierreux de la raison. Il fautse prendre par la peau des fesses pour se mener de force à lamoindre bonne action.

Le chameaus'agenouille sur son cou.

Vieillesfemmes avec leurs jambes de petits ânes.

Ah ! notredégoût de la vie ! Ça va déjà mieuxquandà nous voir dans cet étatla femme que nousaimons se met à pleurer.

Jusqu'àtrente ansartistejusqu'à cinquantehomme d'actionjusqu'à la mortle sage.

13 août.

Maman. Unegrande comédienne à qui la vie n'a donné àjouer que des pannes. Baissée dans le jardinelle nousaperçoitet reste baisséeet prépare endessous ses lamentations.

Rivière.L'eau qui n'est jamais la même et qui a toujours la mêmeapparence.

-- Je nedis pas ce que je donnemoidit-il.

Mais il nedonne rien.

Le poëtePonge me lit un article. Il écorche toutes les phrases. Cepaysan qui parle pauvrement veut être magnifique quand ilécrit.

-- Chacuna son styledit-il J'ai ma manière.

Il faitdes efforts désespéréscomme une plante quivoudrait se mouvoirlibresur la terre.

Il dit aumarquis de Certaines : « Vous voudriez vous asseoir sur lesruines de Corbigny comme Marius sur les ruines de Carthage. Corbignyest loin du Capitole ! »

Oh ! saredingoteet sa chemise dont les boutonnièressans boutonsont été faites par les rats ! Ses souliers mal lacéssur des chaussettes rouges !

Je pense àsa mort et je me dis : « Que je ne me mette pas dans le cass'il mouraitde me reprocher de n'avoir pas été bonpour lui ! »

Il lit lejournal en marchant.

-- Il y adix ansdit-ilon se serait moqué de moi. C'est le progrès.

Ilreconnaît que la religion n'est plus qu'une habitude. Lui-mêmen'allait-il pas encore à la messel'année dernièreles jours de Pâquesde l'Assomption ? Je crois bien qu'iln'ira plus.

Il feraitbien une conférence avec des notes sous les yeuxmais il nepourrait pas lireparce quedit-ilil prononce mal.

14 août.

Le marquistape sur le ventre d'une femme enceinte et dit :

-- C'estdu bon travailça ! Moi aussije suis un bon taureau : j'aisept enfants.

Il écritdans ses remerciements : « La main dans la mainnoustravaillerons dans ce but. C'est le rêve de ma vie au milieu devousparce que c'est la seule raison d'être du riche dans lasociété moderne. »

Voilàun mot qui a l'air beau. Allons ! Tant mieuxsi le riche se met àrestituer ! :

Maisàpeine élule marquis montre le bout de l'oreille.

Il veutbien donner 300 francs pour le concours de musique de Corbignymaisà la condition que son nom figure à côtédes prix offerts avec son argent. Il donnemais il ne veut rienperdre.

La libertéde consciencec'est de ne pas payer un curé quand on ne vapas à la messe.

16 août.

Paysans.Toujours faire appel à leurs parties bassesà leurbêtise et à leur ignorance.

-- Jamaisun reproche ! C'est assommantà la fin ! dit le domestique.

Pleuronssur la pauvretémais que l'avaricemême du pauvrenenous attendrisse pas !

17 août.

Lesdévots. Le petit air qu'ils prennent pour dire : « Vousn'êtes pas initié. »

AAlligny-en-Morvan. L'homme et la femme aux trois chiens. Le train estparti. On l'arrête pour faire monter une espèce deDéroulèdesa femmeet trois chiensdont un petit âgéde moins de trois mois. Comment se peut-il que des êtresinsupportables aient d'aussi beaux chiens ?

LeDéroulède proteste. Il a les palmes.

-- Lediable vous emporte de partir trop tôt !

Il tire samontre.

-- C'estla gare qui nous règledit l'employéet pas votremontre.

-- Unaller et retour.

-- Non. Ilfallait prendre votre billet à la gare. Je ne peux vousdélivrer qu'un aller.

Il ne veutpas payer pour le petit chienqui n'a rien payé depuis Paris.

La femmedit :

-- Çane se fait pas. On n'a pas le droit !

Et elleserre le pauvre petit chien sur son coeur.

A MouxleDéroulède dit :

-- Je veuxparler au chef de gare.

-- Levoilà

-- Jedemande le chef de gare.

-- C'estmadame.

-- Vous nevoulez pas me répondre ? Vous nous prenez pour des paysans ?

Il ne veutpas donner son nomet il demande celui du conducteur. Enfinildonne 20 francsexige sa monnaie et un reçule reçud'abord. Le conducteur dit :

-- Moij'ai confiance en vous.

EnfinleDéroulède dit :

--D'abordmoije n'aime pas les gens qui ne sont pas polis.

-- Çavous apprendradis-je au conducteurà arrêter le train!

Et quelignoble pantalon !

D'unelettre de Capus : « Au fondje crois que c'est toi quitravailleset quemoije ne fais que produire »

Union !Mais quel besoin de s'unir avec des imbéciles ?

Etantmaireil chasse toute une année avec un vieux permis. Ils'est contenté de changer le 2 de 1902 en 3. Ça ne luiparaît qu'une bonne farce.

20 août.

Avec safourchela vieille veut mettre sur son dos une botte de luzerne.Elle ne peut pas. Elle appelle Philippe.

-- Vousallez vous tuer ! dit-il.

Ellerépond :

-- Tantmieux !

Philippene proteste pas ; d'ailleurselle n'insiste pas. Il place lafourche.

-- Attendsque je me reprenne ! dit-ellefaiblissant.

Elle metson mouchoir entre son épaule et le manche de la fourche. Onne la voit plus. La botte de luzerne a pris la place de la vieille ets'éloigne.

Leslapinsdans leur tonneauvont voir arriverô Shakespeare !cette luzerne qui marche.

Marchandd'huîtresil était venu à Chitry pour se faireélire conseillercroyant que les conseillers étaientpayés 5 000 francs comme à Paris. N'étant paséluil retourne à Paris pour quatre ansvendre deshuîtres.

Ilreviendra aux prochaines élections.

Il n'y aque les riches qui héritent d'un million.

27 août.

Je n'aijamais vu un homme plus laidme dit Marinette

Il medemande pardon de se présenter dans cet état

-- Je suiscouvert de mouchesdit-il.

Comme deuxou trois volent autour de luije crois qu'il a une maladie qui lesattire ; à la finj'ai compris qu'il s'agit de vésicatoires.Il m'expose son caset tout à coupbaisse la tête avecune affreuse grimace. Va-t-il se trouver mal ?

Mais il ades douleursla moitié du visage paralyséeet il fautque ça passe. Quand c'est passéil reprend la parole.Il parle correctement. On voit qu'il n'a pas toujours étécomme il est.

Il meraconte une histoire de bureau de tabac.

Blesséen 70 à la jambe gauche. Dans une petite boîte en cartonil a l'éclat d'obus et les drains de caoutchouc qu'on lui amis à sa blessure. Demeure à Saint-Martin. Vientquelquefois à Chitrychez sa soeur Marie-Louiseancienneservante de curénaturellementqui lui fait bien sentir saférule.

Il avaitune recette buraliste. Il a dû donner sa démissionvictime d'un banquier qui s'amusait avec une directrice des Postesjolie fille. Les yeux du bonhomme clignent de gloutonnerie.

Il y aàBouhyun marchand qui a vendu 21 000 cochons l'annéedernièreet il n'y a plus un seul cochon à Bouhy.

30 août.

Je n'aimême plus l'envie de tuer.

Unecailleles ailes étendues sur sa demi-douzaine de petites.

Le «rollet » chante d'abord comme une perdrix rougemais iln'achève pas.

Un vieuxchasseur d'Héry nous enseigne une caille pour nous détournerd'un lièvre.

L'étourneauperché sur le nez d'un boeuf s'y régale de pucerons.

Philippetremble quand il me montre un lièvre au gîte. Je suistrop près. Plus loinlà.

L'ouverturele matin. La lune était à notre gauche. C'est àsa clarté que j'ai armé mon fusil. Le soleil s'est levé; en s'y reprenantil a bu le bain de vapeurs de la lune.

L'aiguilletravailleuse comme un bec de poule.

Dans maviej'ai perdu plus de mille ans.

Femme.C'était voluptueuxsa façon de fermer un tiroir avecson derrière.

Qu'importeque le paysan ne paie plus d'impôtss'il reste imbécile!

Si timidequequand elle fait une visiteelle n'ose pas s'asseoir et dit :

-- Je vousdérange. Vous alliez à la promenade.

Et il estimpossible de la retenir.

Papaoccupait le meilleur de sa vieillesse à couper des guêpes.

Cettetoile d'araignée m'empêche de passer.

Tous ceuxqui se disent propriétaires et ne sont que concierges !

Déjeuneren musique de guêpes.

1erseptembre.

Pourquoiai-je pris cette note ? Pourquoi l'ai-je gardée ? Elle estbanaleelle ne dit rien.

Ah ! je merappelle. Je l'ai prise dans une luzerneet je l'ai gardéeparce qu'elle a sauvé la vie à une caille.

Cochon :une pomme de terre avec des oreilles !

L'alouettes'élève. Plus loinelle va se poser sur une motte.

C'estdangereuxd'avoir un fusil. On croit que ça ne tue pas. Jetirenon pour la tuermais pour voir ce que ça fera. Jem'approche. Elle est sur le ventreses pattes s'agitentson bec seferme et s'ouvrebâille : la petite paire de ciseaux coupe dusang.

Alouettepuisses-tu devenir la plus fine de mes penséesle plus cherde mes remords !

Elle estmorte pour les autres.

J'aidéchiré mon permis et pendu mon fusil au clou.

Idylle.Philippe. Son pantalon déchiréon voit sa cuisse.Comme la peau de ce vieux paysan aux pieds sales paraît blanche!

Une femmedans l'herbe.

-- Vousn'auriez pas une épingle ? dit-il.

-- Uneépingle. Pour quoi faire ?

--Regardez donc !

Elle rit.Elle met deux épingles anglaisesune en hautl'autre en basde la déchirure.

-- Voilà; dit-elleun peu rouge.

Philippele jarret tendua l'air d'un grand chasseur.

Vanité.Ah ! quand un ancien chasseur d'Afrique commence : « Lecapitaine me fait appeler et me dit... » !

6septembre.

Le poëtePonge. Je ne suis pas très sûrau fondque mon articlelui ait plu.

Les unslui ont dit :

--Monsieur Renard dit que tu accroches ta charrue à une étoile.Il se fiche donc de toi ?

D'autres :

-- Tu asde la terre aux doigts quand tu écris. Il te reproche donc dene pas te laver les mains ?

D'autres :

Tu disaisque tu étais bien avec monsieur Renard. Il t'arrangeoui !

Il veut merépondreparce qu'on diraits'il ne me répondait pasqu'il n'est pas poli. Et il me lit une réponse où ildit m'admirer plus que HugoLamartineMusset. Avec toutes lesprécautionsje le prie de ne pas envoyer ça àL'Echo de Clamecy et de me le laisser : ça me fera plusplaisir.

Il selève. Je sens bien qu'il partvexé comme un homme quirenonce à la littérature.

J'écouteaux porteset même à la serrurele bruit que fait lavie.

Lebraconnier de Chaumot. C'est un des rares qui ne me saluent pas. Ilest très fier parce qu'il n'a pas de permis de chasse et quesa femme se saoule. Elle crève souvent de misère. Ildevrait être socialiste. Il saitpar expériencequ'onest nourri en prison.

Qu'est-ceque c'estle socialisme ? Un genre de société oùtout le monde pourrait braconner comme luimais sans aucun mérite: il n'en veut pas.

On sentqu'il vous assassinerait à la perfection. Si l'on en revenaitquel beau drame à écrire !

Chez luides bancs pas commodes pour s'asseoirmais bien commodes pour sejeter à la tête.

Ils disent:

-- On abeau faireallez ! madame. Il y a des têtes à poux.J'ai beau la nettoyer avec du tabac à priser : rien n'y fait.Elle a toujours des poux et des boutons.

--Coupez-lui les cheveux.

-- Oh ! desi beaux cheveux !

Et ma mèredit :

-- Ah !ouiil y a des têtes à poux ! Tenezil n'y en a pas unpour en avoir eu comme Jules.

Honorineà qui Marinette vient de payer des sabotsdemande qu'il n'yait pas de jour entre les bricoles de cuir et le bois.

--Autrefoisvous aimiez qu'il y ait du jour. Vous étiezcoquette.

-- Je mefous de la coquetterierépond Honorine.

Au crid'une chouette qui passe sur la maisonMarinette se réveilleet demandecroyant que Baïe l'appelle :

--Qu'est-ce qu'il y a ?

Mais lachouette ne répond que par un battement d'ailes plusprécipité. C'est déjà quelque chose : lebon Dieu n'en a jamais dit autant.

Lesmâchoires lentes du paysan. Quand il mangeon croit qu'ilpense.

A Pariselle allait régulièrement à la messemais elles'arrangeait pour arriver en retard et rester debout : ce n'étaitplus la peine de payer deux sous de chaise.

Paysan.Voilà un homme simple. Regardez-leprenez votre tempsetaubout de quinze jourstrois semainesdix ansécrivez unepage sur cet homme : dans tout ce que vous direz de luiil n'y aurapeut-être pas un mot de vrai.

11septembre.

Conseilmunicipal. Séance orageuse.

A proposdu paiement des gardes forestiersque je comprends d'ailleurs aussimal que les autresje dis :

-- C'estla loic'est la loi.

AlorsGautiergarde-rivière-- nous n'avons pas gardé larivière ensemble --d'une voix caverneuse :

-- Vous nela comprenez pas.

--L'avez-vous lue ?

-- Ah ! mafoinon.

-- Ehbienmoije l'ai lueet je vous dis : « C'est la loi ! »

Je memonteet ça se gâte.

A proposde l'écoleGâteau dit -- et ça tombe de sabouche comme une bouse de vachecomme si c'était son âme:

-- Moijen'ai pas besoin d'école : je n'ai pas d'enfants.

C'est siénorme qu'on proteste.

--Monsieur Gâteaudis-jevous venez de prononcer une paroleimprudente. Laissons là cette question.

Gênéil cherche à faire l'aimablemais en voilà un qui neme ratera pasdans quatre ans.

Rousseauet le catéchisme.

-- C'estl'affaire des parentsdit-il.

-- Tout lemonde n'a pas vos idées.

On parlehygiène. Pagequi a une tête comme une motte de petitsvers rougesdit :` -

-- Jamaisle fumier n'a fait de mal à personne. Les fosses d'aisancejene dis pas. Et puisil n'y a pas de maladies. Il n'y a pas de fièvretyphoïde. Les bêtes boivent dans des mares noires comme lepurin : ça ne leur fait pas de mal. Pourquoi donc que çanous en ferait ? Ce n'est pas le fumierc'est les engraisquiempoisonnent le monde.

Ils necroient au médecin qu'en cas de maladie.

12septembre.

Chaquenote doit avoir la saveur d'une fraise.

Il a perduun fils de dix-sept ansun fils qui lui coûtaitdit-on -- ilvenait d'être reçu bachelier --plus de trois francspar jour !

Un vieuxfoudroyé appelle Marinette Madame la Magistrate.

Matin degai soleil où les draps de lit et l'édredon sèchentsur les fagots.

Alorsonse prend la tête dans les mainsetsi elle n'était pasaussi solideon la jetterait dans ce jeu de quilles humain etcocasse qui s'appelle conseil municipal.

16septembre.

Honorine afailli mourir. Elle a mangé un champignon et -- sauf notrerespect -- elle a vomi.

-- N'enmangez plus ! dit-elle.

Cettevieille qui répète à chaque pas : « Sij'étais donc morte ! » elle a eu bien peur de mourir.

Quoiquecantonnieril ne sait pas lire : il se sauvait au lieu d'aller àl'école. Sa femme non plus ne sait pas lire : elle a eu tropde petits frères et de petites soeurs à élever.

19septembre.

Promenadeà pied à Asnan. Une brèche dans une haie nouslaisse voir un horizon imprévu.

Des présau milieu des bois : les chevaux y sont peut-être sauvages.

Le premierqui bâtit dans ce trou la première maison devait êtrefatigué d'une longue route. Il s'est assis et il a dit : «Je n'irai pas plus loin. » A la place où il s'étaitassis il a posé sous son derrière la premièrepierre de sa maison.

Les gensde Germenay naissent et meurent dans leur trou. Ils se fichent del'horizon comme de leur première chemise.

Imaginerl'âme d'un village.

Asnan. Ilsont une butte merveilleuserose de bruyère. Leur Notre-Dameaccrochée par des crampons de fer à son piédestalles bénit et tourne le dos aux gens de Grenois.

Oh ! vivrehuit jours dans ce petit village de Grenois qui est làtoutentiercomme une coquilleet monter chaque soir sur la montagne !Dieu aime les hauteurs.

Un paysand'Asnan :

--Monsieurje vas vous dire le pourquoi. Je ne connais pas lepourquoimais je vas vous dire : la vigne ne donne plus. Chacun faitdu vin pour sa soifmais on n'en vend pluset on pourrait le vendrequ'on ne le vendrait pas. Autrefoisles marchands venaient. Ils neviennent plus : les communications sont trop faciles. Ils vontacheter leur vin très loinoù c'est moins cher.

Si Dieu mepardonneje lui demanderai de me laisser revivre une vie àGrenois.

Villagesplus inconnus que les étoiles.

Honorinene se sert même plus de draps : elle se couche tout habilléesur son lit.

Elleessaie de grimper sur une chaise pour remonter sa vieille horloge. Çane lui sert à riencar elle est sourde et ne peut plus leverla tête pour regarder l'heuremais elle aime à voir lebalancier qui « derlingue ». C'est une compagnie.Marinette la lui remonte et dit :

-- Quelleheure ?

-- Mettezsix heures.

-- Mais iln'en est guère que quatre.

-- Marchez! Mettez tout de même six heures. Ça ne fait rien : elle« dessonne ».

Avoir tanttravaillétant dépensé pour élever monElieet qu'une fièvre l'emporte en huit jours !

La dépensefaiteils la regrettent autant que le mort.

L'homme sedétourne pour pleurercomme si c'était uneinconvenance.

Moncerveau manque de fiches.

Ce que lesrayons du soleil ont fait dans la journée.

L'un d'eux:

-- J'aigratté le bout du nez d'un petit lapin blanc.

Quand onleur demande de prendre des précautions pour la salubritépubliqueils disent qu'on leur cherche chicane.

Philippecouche avec le bonnet de sa femme.

Une amendeà qui trouvera une pensée sur la vie. Laissez donc lavie tranquille !

A unefemme :

-- Vousm'appellerez.

-- Quandça ?

-- Quandvous changerez de chemise.

Noussommes peut-être déjà morts trois ou quatre fois.

Cloche :jupe sonore.

La patriec'est toutes les promenades qu'on peut faire à pied autour deson village

Rêve.Une femme me gratte dans la tête. Je lui dis :

-- Ecris àton mari : « Monsieuril fait grand vent. J'ai tuéquatre poux. »

Des êtresinvisibles éclatent de rire.

Etoiles :tout ce feu d'artifice qui reste en l'air !

Guerre. Iln'y aurait qu'à dire à l'ennemi : « Ne venez pas! nous avons la fièvre typhoïde. »

Toutecette bonté me tue. Si je m'interdis d'être un peuméchantà quoi suis-je bon ?

Vérité.Quelques romanciers la font bien sortir du puitsmais tout de suiteils l'enveloppent dans un tas de couvertures.

Le vieuxgardeur de moutons se râpe ses pieds nus avec un couteau.

LesJaponais coiffés d'écuelles.

« Ona toujours fait comme ça ! » disent-ils. Ilsdécouragentils vident.

Du jour oùj'ai connu le paysantoute bucolique m'a paru un mensongemêmeles miennes.

Le soleildéformé par les nuagesest tombé dans les boiscomme une masse en fusion. Elle n'en finissait plus de s'éteindre.Elle mettait le feu à tout le boiset les nuages brûlaientimmobiles. C'est peu après que la lune apparut de l'autrecôtéun morceau rouge de la pleine lune.

Surl'éteule sèche des pies jouaient au volant. Des chiensen chasse aboyaient au soleil : un coup de feuet le soleil tomba.

De loinle bois n'est plus que de l'ombrede prèsque de la nuit.

24septembre.

Crépuscule.Quand je rentreles arbres ont l'air de me dire : « Tu nousquittes ! »

-- Et jepense aussi au socialismedis-je à Marinette. C'est attirant.Je peux me dire : « Il faut vivreécrire des piècesgagner de l'argent pour toipour Fantec et pour Baïe »mais je ne peux pas m'empêcher de penser au socialisme. Il y alà tout un monde neuf où ce n'est pas de se faire uneposition qu'il s'agitmais de se dévouer.

-- C'estceladit-elleque je ne comprends pas.

-- Celaquoi ?

-- Qu'onvoie nettement ce qu'on devrait faireet qu'on ne le fasse pas.

-- Desortedis-jequetoisi tu t'enthousiasmais pour une Soeur deCharitétu te ferais Soeur de Charité ?

-- Oui.

-- Et tonmari ? Et tes enfants ?

Elle nerépond pasparce que le four est chaud et qu'il faut y mettreles perdrix.

Je dis àBaïe assise sur le buffetet que j'embrasse :

-- Elle nesait pas ce qu'elle ditta mère.

-- Oh !sirépond Baïecomme si je traitais sa maman de folle.

Si je nesuis pas socialiste pratiquantje suis persuadé que làserait ma vraie vie. Ce n'est pas par ignorance : c'est parfaiblesse. Tu es làvous êtes làtoi et mesenfantset notre hérédité bourgeoiseet meshabitudes d'homme pour qui l'art est tout de même un métier.Je n'ai pas le courage de rompre ces chaînes. Si je ne tienspas aux 300 000 francs de droits d'auteur de Capusje tiens à10à 15 000. Si je me fiche de l'Académieje tiens àquelque succès. Si je me moque de la vie mondainej'ai encoredeux ou trois amisqui sont des Parisienset avec qui j'aime encoreà passer deux ou trois soirées par semaine. Je suisincapable de faire ce qu'il faut pour briller dans ce monde-làet je ne suis pas capable de me jetertout nudans l'autre. Voilà!

L'envien'est pas un noble sentimentmais l'hypocrisie non pluset jecherche ce qu'on gagne à remplacer l'une par l'autre.

L'envieavouéec'est du couragepresque une excuse

Conseilaux chasseursde sortir une fois sans leur fusil et de parcourir leschamps où ils ont tué. La pie devient familière.Les perdrix attendent qu'on soit tout près d'elles. Lesprunelles sollicitentet la juteuse petite poire sauvage.

Les préss'endorment sous une légère brume.

Le boeufs'arrête et regardeet le boeuf qui le suit lui lèchele derrière d'une langue paresseuse.

Ce préqui tire à lui toute la couverture verte.

Et l'onn'a pas assassiné : c'est quelque chose.

Lesaraignées ont fait leurs Sciences : fortes études engéométrie.

J'ai l'âmeâcre comme un bouton fiévreux.

Depuisonze ans elle fait des démarches -- inspecteur primaire --pour se rapprocher de son fiancé qui est à Préporché.Mais elle n'est plus jeuneelle a un oeil en retardet son fiancéfait peut-être des démarches -- hommes politiques --pour qu'elle reste où elle est.

27septembre.

Médecins.Tous autoritairesmême quand ils disent : « Ah ! c'estce qu'on ne peut pas savoir ! »

1eroctobre.

On ne peutrien cacher. La forcec'est de n'avoir rien à cacher.

Promenade.Les perdrix n'ont plus peur. Oh ! je voudrais être une perdrix.Elles étaient si bien làdans ce champderrièrela haie !

Attelage :deux boeufsquatre roues réunies par une poutre et deuxtraverses. Assis derrière ses boeufsl'homme chante. C'estprimitif. Un roi de la terre rentre au village.

Deuxchouettes qui se croient déjà seules se jettent descris d'un chêne à l'autre.

Deuxvieilles femmes assises au bord d'un champ gardent leurs oiesouleurs oies les gardent.

Le boisest variécomme endimanché.

Les préssont admirablesverts et doux à l'oeilbien couchésen long et en large.

4 octobre.

Elle avaitun nourrisson à trente francs par mois. La voilàmalade. Le médecin craint une mauvaise fièvre etordonne de sevrer immédiatement le nourrisson. Elle va lenourrir au biberon. Voilà ses trente francs peut-êtreperdus : elle comptait les avoir pendant dix mois. Maigreelle donnedes coups de poing à son édredonet pleure.

Honorinela grand-mère du mariassise devant la porte sur un fagotcrie :

-- Le bonDieu ne ferait-il pas mieux de me prendre ?

Qu'est-cequ'il en ferait ?

Ouioui !Ils sont ignorantshypocritesméchantsmais il y a lamisère et la maladie. Vide tes pochesau lieu de donner desconseils !

Promenade.Dans la brumeune pauvre maison prend des aspects de château-fort.

Lesboeufsimmobiles dans le prétête basseont l'aird'avoir le nez pris dans l'herbe.

Dansl'arbrela rosée pleut de feuille en feuille.

Lecantonnier me dit : « Bonjourmonsieur Renard. »

Feuillesrougies. Il doit y avoir des yeux de femme de cette couleurpleinsd'automne.

Al'horizondu soleil rose renversé.

Tout hommevaut mieux que ses façons de s'exprimer.

Elle a eula voix prise dans une porte.

L'arbre mejette une feuille sur l'épaule et se remet à rêver.

Cet ancienlarbin dit d'un noble :

-- Oh ! jele connais très bien ! Il m'a même donné unepoignée de main.

5 octobre.

Luther.Lire les Propos de table de cet homme admirable.

Promenadede long en large sur la terrasse du jardin. Le chat noir et le blancassis sur le murregardent tomber la nuit et écoutents'éveiller le monde des ténèbres.

Ilsveulent vivre tranquillesetmoije veux les moraliser. «Qu'est-ce qu'il a à nous embêtercelui-là ? »

J'écrispeumais je vivrai si longtemps !

Larentrée. Oh ! c'est lâche d'aller aux lumièresde quitter ce pauvre petit village quand il va y faire si froid et sitriste.

Ils aimentl'hiver. Ils disent :

-- On n'arien à faire. On se repose. On reste longtemps au lit. On nedort pas tout le tempsmais on est bien.

L'eauglacée où les laveuses onttoute la nuitl'impressiond'avoir laissé leurs doigts.

Premièregelée. Un peu de glace dans une feuille de chou.

En hiverc'est avec leur lanterne qu'ils vont « donner un morceau »à la vache.

Ils viventsurtout par la racine.

Poësie.Un moulin à café à vent.

Un jourje crois au progrès humainje l'appelle de toutes mes forces; les six autres joursje me repose.

11octobre.

Maladeavec moins de fièvremais la gorge priseelle continue detaper sur son édredon en disant de son homme :

-- Il esttrop bête !

Elle estinscrite à l'assistance médicalemais il n'a pasl'idée d'aller chercher le médecin.

Quand ellelui demande à boireil lui dit de se déranger. Il aimemieux se disputer avec sa belle-mère et lui jeter le souffletdans les jambes.

Celle-cid'ailleursn'est pas mal. Elle habite Mhère. Quand elle areçu la dépêcheelle a dit :

-- Si on abesoin de moic'est qu'elle est morte.

Elle estvenue. Elle s'étonne un peu qu'on l'ait dérangéepour rien. Marinette lui fait observer que c'est surtout vivante quesa fille a besoin d'elle.

A lamaladeMarinette fait apporter un peu de limonadequ'elle boitlasse du laitavec délices.

-- Oh !que c'est bon ! dit-elle. Et puismadameça me fait fairedes vents.

Quand ellesera guérieelle n'aura plus de laitdoncplus denourrisson. Elle aura la santé avec la misère.

Et ellepleureen criant :

-- Il estbêtemadame ! Vous ne savez pas comme il est bête !

Lespaysans et la nature. Toutes ces misères physiques et moralessous ce ciel ! Et la terre est couverte de villages.

Tout àl'heure des cigognes passaient en criant. Ces cigognes sont desgrues. On les entendait de loin. Un long ruban envolé trèshautflottantonduléen demi-cercleirréguliercomme agité par une main. Çà et làunebrisure vite bouchéeou des points noirs de cigognes troppressées. Oh ! s'il en tombait une !

Une petitefille passe un murs'arrêteécoutene voit personnesaute dans le pré et tire de sa poche une lettre de sonamoureux qu'elle lit au milieu des boeufs énormes qu'elle vaemmener à la ferme.

Un boeufme regarde. Il a l'air bonet douxet patientcomme Fantec.Marinette l'aurait embrassé.

Je marchebien en sabots sur l'éteule. Fortune faite à Parisj'apprendsà la campagneà marcher avec des sabots.

Sacs depommes de terre debout : petits vieux tassésen bonnet decoton.

Lesfeuilles jacassent comme des petites filles la veille des vacances :l'arbre va leur donner congé.

Dans leschamps de pommes de terreles paysans ont tous l'air de creuser leurfosse.

Le ventcourt sur le gazon comme un fer à repasser.

Lalanterne : une bougie en prison.

Vache simaigre qu'elle a étenducomme un drap à séchersa peau sur ses os.

La piecet oiseau qu'il faut toujours remonter.

-- Nous nepouvons pas nous entendresocialosvous et moi. Vous voulez vousenrichirje cherche à m'appauvrir. Vous réussirez plusvite que moi.

Ma mémoireest comme une boîte où il y aurait un peu de tout. Çame dégoûte de chercher dedans.

Je n'osemême plus dire : « Je travaillerai demain. »

Soirée.La luneJupiter. Brumes mobiles. Troupe d'arbres passant un gué.Un chien chasse. Boeufs invisibles.

Châteausombremais la lumière de la salle à manger indiqueque des gens y dînent conformément à l'étiquette.

Lespeupliers mincesles ormes lourds. Comme les brumes bougent les unsse noientd'autres redressent le front.

On entendcouler la rivière au plus profond de la terre.

Parinstant tout se noie. C'est le déluge.

La bouchedéjà pleine d'humiditéon rentre. On a un peupeur.

C'estencore dans ses ennemis qu'on trouve le plus de bassesse.

15octobre.

Rentréeà Paris.

L'airpensif comme les gens quià tableretiennent leur servietteavec le menton.

Unpelissepour quoi faire ? J'ai connu un ours qui mourait d'envied'avoir une jaquette d'alpaga.

La guerreau couteau dans la voix : Mme Lepic a un sabre.

Labetterave coiffée comme un chef Peau-Rouge.

16octobre.

Etudiersans livres.

Chacuntrouve extraordinaires ses petites aventures domestiques. Est-cebizarre !

Authéâtreil s'agit de donner à tous cette petiteillusion.

18octobre.

HierParis m'a paru une ville saletristeignoblequi ne méritepas que ça coûte si cher d'y vivre. Jamais vu tant demonde dans les rues : on les refuse donc au métro ?

Une femmeme demande :

-- La rueTronchets'il vous plaîtmonsieur ?

-- La rueTronchet ? Attendez doncce doit être à droite.

Etlevantles yeuxje vois que nous sommes dans cette rue.

Flammariontire le pied sur le trottoir boueux.

-- Nonçane va pasdit-il

-- A lacampagne ?

-- Je suisresté à Paris.

-- Pourtravailler ?

--Toujourset puisje suis fâché avec mon gendre. Oh !j'ai bien vieilli. La vie me dégoûte.

-- Voyons! dis-je.

-- Si ! Si! Et vousqu'est-ce que vous faites ?

-- Maisfoirien.

-- J'ai luvotre interview. Vous n'avez rien dit. Au revoir.

-- Aurevoir. Mais il ne faut pas vous désolerlui dis-je.

Pourquoine se désolerait-il pas ? Il est bien libre !

Etsur leboulevardle même Montégutcelui qui est en train defaire un roman « immense ».

19octobre.

Premièrerépétition générale. Au Palais-RoyalLeMarquis de Berr de Turrique. Les mêmes figures et les mêmespièces.

J'ai de lapeine à m'habituer à ne voir dans l'art dramatiquequ'un métier comme un autre. Ce n'est pourtant qu'un métier.Il ne s'agit pas de savoir si M. Berr est un homme de talentmais sisa pièce est bien fabriquée. Elle ne l'est pas tropmal. Il y a de l'adressedes mots d'espritdes scènes quin'ennuient pas.

Le publicest toujours aussi sévère et indulgentavec la mêmeincohérence.

Mme deNoailles n'a pas trouvé à son goût l'article duMatinma réponse à l'enquête deVauxcelles sur la littérature. C'est la déesse. J'aimanqué de respect. J'ai blessé la déesse autalent.

Elle atrop de génieet pas assez de talent : le talentc'est legénie rectifié. Elle a cette espèce de géniepropre aux personnes de talent qui manquent de goût.

Ah ! lesbelles choses qu'on écrirait si on n'avait pas de goût !Maisvoilàle goûtc'est toute la littératurefrançaise.

Jaurèsa le goût des images. Les siennes ne sont pas neuvesmaiselles sont rafraîchieset c'est avec un grand art qu'il lesétale.

20octobre.

Chacun asa tare cachée et qui le ronge. Moic'est la paressemaiselle m'est agréable à gratter.

21octobre.

Au Salond'automne. Des Carrièredes Renoirdes CézannedesLautrec.

Carrièrebienmais un peu trop malin.

La majestédans le vicede Lautrec.

Cézannebarbare. Il faudrait avoir aimé pas mal de croûtescélèbres avant d'aimer ce charpentier de la couleur.

Renoirleplus fort peut-êtreetà la bonne heure ! celui-làn'a pas peur de la peinture : il met tout un jardin sur un chapeau depailleon est d'abord ébloui. On regardeet les bouches deses petites filles se mettent à sourire avec une finesse !...Et ces yeux qui s'ouvrent en fleurs ! Les miens s'ouvrent aussi.

Vallottond'une insignifiante tristesse de tapissier.

La bellevie de Cézannetoute dans un village du Midi. II n'est mêmepas venu à son exposition d'automne. Il voudrait bien êtredécoré.

C'est çaqu'ils veulentles pauvres vieux peintres dont la vie fut admirableet qui voient enfinprès de mourirles marchands de tableauxs'enrichir avec leurs oeuvres.

Renoirvieux et décorédisait :

-- Hé! Hé ! ouion baisse le nezon voit ce rougeetma foi !on redresse la tête.

Vollardle marchand de tableauxdit :

-- J'enveux à mon père de ne m'avoir rien appris d'artiste. Jene peux pas causer avec une jolie femme dans la rue sans me fairel'effet d'un goujat.

22octobre.

Je me faisl'effet d'un naufragé qui ne peut aborder ni sur la rivedroitecôté romanni sur la rive gauchecôtéthéâtreet qui finirait par se dire : « Mais jesuis bienlàau milieu ! Je n'ai qu'à m'y tenir parmes propres forces et qu'à regarder les rivages. »

Guitrymentmais qu'est-ce que ça me fait ? Je n'attends pas de luila vérité : je l'ai chez moi.

Son voyageen Italie : des villes incroyablesun Vésuve crachant desjets de feu qui lui retombent sur la gueule. Venise : toutes cesmaisons poussées dans l'eauc'est insensé !

-- Maiscomment peut-on aller là et n'y pas rester ?

-- Il fautbien faire comme moidit-ilet revenir à Paris chercher sonblé !

-- Nousremettre de la boue sur la face...

-- Je n'ymanquerai pas.

Il a vuLemaître et est allé déjeuner chez Mme de Loyneschez les honnêtes gens. Il faut bienà cause du blé.Lemaître lui dit :

-- Jecroyais votre théâtre en proie aux Juifs.

-- Dutoutrépond Guitry. Je ne peux pas les voirnon parce qu'ilssont Juifsmais parce qu'ils sont ennuyeux. S'il faut absolument envoir unne voyons que le seul qui soit innocentle capitaineDreyfus.

-- Hi ! Hi! dit Lemaître.

Lemaîtres'amuse à faire la vacheMme de Loynesle chienqu'elleconfond d'ailleurs avec le chat.

Forain àl'Olympia. Nos regards se croisentles mains vont peut-être serapprocher. Heureusementune grue passe entre nous.

Voilàcomment on passe pour des hommes de caractère.

Coeurvaseux facilement troublé.

24octobre.

C'estsurtout de souvenir que je prends des notes. Quand je regardequandj'écouteje ne pense jamais qu'il me faudra tout àl'heure écrire.

Lesaveugles nous apprennent à voir.

Leféminismec'est de ne pas compter sur le Prince Charmant.

Musset :quand il chantaitil avait du géniedu bon sens lorsqu'il nechantait pas.

Automobiles.Jamais le luxe n'a été aussi insolent. C'est le capitalqui écrasehors de portée : que de vols meurtriers illui faudra pour de pareilles débauches !

Il y en acomme des voitures de guerre. On va revenir aux chariots armésde faux.

26octobre.

C'est unegrande joie pour Tristan que de lire le Bottin de province et deconstater que neuf ou dix arrondissements n'ont pas de tribunalouqu'une ville a beaucoup plus d'habitants qu'on ne croirait.

28octobre.

Un platdoréchaudun magnifique champ de purée de pommes deterre.

Peuplieret sa taille toujours au-dessus de la moyenne.

31octobre.

Nevers.Conférence à l'Amicale des Institutrices etInstituteurs nivernaissur le théâtre.

Trèsbien. Première partie : applaudi à chaque instant. Lemilieu les intéresse. La fin les frappe.

Aprèsla conférencetête endolorie par le bruit de ma voixcomme par un grelot.

Un seulhomme politique au banquet : Laurentconseiller généralquidans un discours de ferblantier -- c'est son étatjecrois -- assimile les instituteurs aux prolétaires (!) et faitvoeu de les arracher aux griffes des politiciens.

Proviseurjoyeux dansant jusqu'au six heures du matinavec une gravitéd'enfant.

Femmes.Aucune n'est joliemais il y en a de distinguéesdetouchantes par la pâleur et par les ravages d'une penséequi fait effort.

La belleligne des paysages de la Loire. Peupliers. Grandes surfaces pour unecourse de chevreuils. Sancerre semblable au Mont-Saint-Michel.

Une dametrès biensauf un chignon qui n'en finit plusme demande :

-- On m'aditmonsieurque vous faites une Histoire naturelle ?

A certainsmotsils ne rient pas : ils pouffent. C'est désagréable.

Automne.Paysage au caramel.

2novembre.

Unebouche. Ses lèvres épaisses faisaient rouge dans sabarbe inculte comme un oiseau tout nu dans un nid mal fait.

Promenade.Feuilles : papillons grillés.

Willy dansune voiture de maîtreavec son chapeau à bords plats.S'il le changeaiton ne distinguerait plus Willy de sescollaborateurs.

Une jeunefille passenoirepoiluestupide.

Tout àcoupon reconnaît une femme qu'on n'a pas vue depuis vingtansavec laquelle on a danséparlé d'amour.Impossible de se rappeler son nom. Il y a dans son regard de lasurprise. Elle ne sait plus jusqu'où il faut qu'elle retourneen arrière.

Actrice.Elle se pâmel'oeil dans la sallel'oreille chez lesouffleur.

LaDéserteusede Brieux et Sigaux. C'est sans artmais ilfaut parfois se tenirà quatre pour ne pas pleurer.

Le coup depoing de Gémier. Je défie le public de ne pas applaudirquand un acteur donne un coup de poing sur une table. C'est del'applaudissement par imitation.

Pleurs quimontent d'une âme trempée jusqu'à la corde

7novembre.

Baïene peut pas réfléchir sans regarder au plafond. Quandon l'ennuieelle ferme la tête.

Femme. Unepeau de raisin qui a eu froid.

Bonnes oumauvaiseson voit mal les pièces trop bien jouées.

Paresseuxcomme tous les hommes d'intérieur qui ont trop le temps detravailler.

Le moineauné de la tuile.

Trèspeu d'hommes gagnent à être connus. Ce que l'étrangervoit d'abordc'est le meilleurles bons sentiments pour la galerie; et c'est pourquoi nul n'est prophète en son pays. L'effortdu juste ne résiste pas à la pousséequotidienneà la bêtiseà la méchancetéd'autrui. Le prophète s'éloigne parce qu'il voit clairlui aussi. Rien à faire.

8novembre.

Donnayingénu et charmant. Il a toujours l'air de débuter. Iln'a pas l'arrogance du succèsni même de l'insuccès.

Dans laloge de Brandès il attend les tasses de lait. Comme c'estpénibleces confrontations avec l'auteur ! Il aime qu'on luidise : « J'adore votre pièce. »

Une foisde plusnous faisons de l'intimité.

-- Parmiles hommes de talentdis-jeil y a les poëteset les autres.Vous êtes un poëte

-- Çame fait plaisirce que vous me dites là.

Nouscausons. Puis :

-- Il fautnous voir plus souventdit-il.

-- Cen'est pas la peine. C'est plus charmant de ne se retrouver ainsi quecinq minutes tous les ans.

9novembre.

Lescheveux de la femmeces serpents.

Le panached'une maisonc'est de la fumée.

Théâtre.On leur offre une perle : ils lui reprochent de ne pas être unebanquise.

La vie aun tel goût que je m'interdirais d'imaginer mieux que la vie.

12novembre.

Vexépar l'accueil des Nivernais hier soirconsolé par l'articlede La Tribune de ce matin. Je dis à Marinette :

-- Je suisvaniteuxhein ?

-- Nondit-elle en riant.

-- Nonmais j'aime les éloges.

--C'est-à-direrépond-ellequequand ils viennentilsne te troublent pas ; maiss'ils ne viennent pastu...

-- Ouioui.

-- Maisils viennent toujours.

-- Etpuisdis-jeje serais peut-être un vaniteuxet je ne seraisque celasi je n'étais poëte. Poëteje vois lavanité de la vanité même. Je sais voir la beautéet il y a tant de belles choses !

LesNivernais. Dîner. Soirée douloureuse. Quelles gens !

Uncommandantoriginaire de Grenois -- il me dégoûte deGrenois --qui revient du Tchad ; le vieux sculpteur Boisseau quidoit être un brave homme ; un pharmacien enrichi par unelotionun avocat qui me crie : « Hé ! Jules ! »

Un fondréactionnaire. Tous satisfaits.

-- Honneurau nouveau venu ! dit Boisseau.

L'honneurc'est d'être assis à sa droite. Il raconte des histoiresennuyeusesavec des dates d'une précision !...

SeulsDallignydevenu brunRenaultmédecinet Mignotchirurgiendécoré -- quijadisau lycée de Neversgagnait sa place sur le banc le plus élevé en longeantles murs --me sont sympathiques.

Le sourireet la voixvingt-trois ans aprèssont les mêmes.

Je suismal à l'aise.

Et ledîner ! Du gibierdes sauces effroyables. Heureusementonpeut boire de l'eau et ne pas fumer. On en est quitte pour admirer laforte génération qui nous précède.

On a parléde Poil de Carotteréclamé mon concours pourorganiser une soirée. Maisà la finRenault meprésente encore un monsieurqui me dit :

-- Renardde Nevers ?

-- Nonmonsieur

--Etes-vous parent avec... ?

-- Tousles renards sont plus ou moins parents.

Zut ! Jeveux bien me moquer de la célébritémais pasavec ces gens-là. Je reviens énervé au point queMarinette me dit :

-- Pauvregros !

LeNivernais est un être platsans esprit pratiqueet le moinslittéraire qui soit. Des peintres au mètreouidessculpteurs pour bustes sur bornes ? mais pas un artiste !

Presquetous décorésd'ailleurs.

On entend:

-- Je suisde l'Université. Je peux en causerdes nouveaux programmes !

--Evidemment.

Et pas unmot d'esprit ! On n'y parle ni politiqueni religion. Ouimais ons'y embêtecar ne vous flattez pas d'y parler en artistes.

Des gensqui viennent là parce qu'ils ne vont jamais nulle part.

Lepharmacien me dit :

-- Monvieuxj'ai reçud'une femmeune lettre de quatre pagespour ma lotion. J'en ai plus de quatre cents comme ça. Tudevrais venir les lire : tu en ferais des livres. C'est autre choseque du Poil de Carotteça !

Ah ! quandun homme a réussiet qu'il est bêtec'est une insulteaux étoiles.

13novembre.

Quand j'aiconnu la critiquej'ai cru que c'était la justice. De làle dégoût que j'en ai.

La vitre ades défauts qui doublent les étoiles.

Hiver. Lemoineau voudrait déjà entrer dans la cage des serins.

La misèrea une bonne petite soeur invisiblequi est toujours auprèsd'elle et qui la console en secret : l'insouciance.

-- Vousêtes modeste !

-- Ouimais qu'il m'en coûte !

15novembre.

NotreJeunesse à la Comédie-Française.

Du pasmauvais Capus appliqué à la Comédie-Française.Des concessions perpétuellesmême d'originales ; jeveux dire qu'il y a parfois de l'audace comme en peut supporter cethéâtre dans ses soirées de bravoure. C'est unsuccèsun joli succès.

Capusquia été inquiet pendant les deux premiers actesditaprès le quatrième :

--Maintenantje m'en fous. C'est fini : ils ne m'auront plus. Ils nem'auront ni demainà la premièreni ensuite. Mendèspeut dire qu'il trouve ça mou ; d'ailleursil trouvepeut-être que c'est très bien. Je m'en fous : j'airéussi. Il me fallait réussir dans une maison oùtant d'auteurs ont eu du succèset j'ai réussi avecune pièce où il n'y a pas d'amour. Dans ma pièceil y a tout pour qu'elle soit un gros succès de public. Il y ale poids. Je suis bien content de certaines choses que j'y ai mises.Je suis bien content de l'ensemble. C'est une pièce bienconduite. Etc. etc.

Il va enfaire une autre qui ne sera pas mal non plus.

Authéâtreon ne doit rien à l'auteur : ni respectni pitiéni tendresse. On ne lui doit que de l'hostilitéet de l'attention. On vient le dévorermais le premiermorceau de sucre vous calme : c'est de la justice rapidementaccordée.

-- On nedoit que l'écouterdit Capus.

16novembre.

Claretieet Guitry.

-- Aprèsvousdit Claretie.

-- Nonnon !

-- Sisi! Vous êtes chez moi.

-- Ah !c'est vrai ! dit Guitry. J'oublie toujours.

Jaurèsest abonné à L'Humanité.

J'avais degrandes qualités de théâtremais les piècesdes autres m'en ont dégoûté.

Tout demêmel'homme qui en rencontre un autre sortant des cabinets nelui tend pas franchement la main.

Labassesse du théâtreouimais celle de la critique !Pourquoi et pour qui l'auteur se gênerait-il ?

Laneurasthéniec'est la misanthropie. Nous n'osons mêmeplus nous servir de mots qui nous fassent honneur.

17novembre.

Nous nesommes pas si méchants que çaet certains auteursdoivent plus d'un faux succès à la crainte que nousavons eue de paraître envieux.

On finitpar être plein d'admiration pour ces gens qui ne méprisentrien du théâtre.

Lesrevirements brusques de ses bonshommesCapus les souligne d'un «C'est bizarre ! on dirait que j'avais le pressentiment... » Ilva au-devant des objections. C'est adroitet ça manque defranchise : deux qualités.

Et c'estécrit avec une allumettemais comment dire ? avec uneallumette enflamméeune allumette quià chaqueinstantprend feu et illumine tout ce gribouillage.

A Chitry20 novembre : mariage ; 21 : démission de Huotsecrétairede la mairie ; 22 : inspecteur d'Académie et sous-préfet.

23novembre.

Guitry medit :

-- Voilàle spectacle qui me plairait maintenant : Monsieur Alphonseavec Soeur Ernestine; mais il ne faut pas de franc-maçon.

Naïfje le détourne de jouer ma pièce. Ce n'est pas ce qu'illui faut. Je ne suis pas sûretc.etc. Et il faut le voirreculer à la moindre poussée.

Il s'envadisant :

-- Enfinrevoyez çaet nous en reparlerons.

Mairieles 19 et 20 novembre. Le mariage. Le drapeau sans flèche. Lamariéeje l'appelle presque « madame » pour laprier de s'asseoir. Mauvaise grâce de Huotson étonnementaux premiers mots de mon discours. Ces dames pleurent. On signe. Nile pèreni la mère ne savent signer. La mariéerelève son voile. Je l'embrasseetgrâce àPhilippe qui m'a prévenuje lui donne vingt francs pour sonpremier petit poupon. Invitation à déjeuner : «On viendra vous chercher en voiture. » Maisdepuis cinq heuresdu matinà cause du froid et d'un bouillon trop vite avaléje ne pense qu'à vomir.

A monarrivéemolle poignéequi se retirede Huot ; lesoirla même. Le lendemainje n'offre pas la main. Je neremarque pas qu'il s'éclipse et qu'il va demander à safemme si le moment est venumais je remarque qu'il n'y a pas uneligne d'écrite sur le registre.

Aprèsl'adjudication des bois de Combresvillage de la communeHuot «donne sa démission à cause de l'hostilité demonsieur le maire ». Tous rangés autour du feu. Je mechauffais les pieds.

-- Avantde donner votre démissiondis-jevous auriez dû medonner une explication.

-- C'estvousdit-il.

-- Nonc'est vous.

Discussionviolente et vague.

-- Voicice que j'enseigne à l'écoledit-il.

Et il litje ne sais quelle page sur les lettres anonymes.

-- Assez !dis-je. J'accepte votre démission.

Embarras.Je tâche d'expliquer. J'aurais voulu le garder comme secrétaireet avoir une institutrice.

Mais jepréfère avoir une explication avec Huot. Il est parti.J'envoie le garde le chercher : il refuse de venir. Je vais letrouver. Une demi-heure d'explications où sa femmequi n'apas voulu nous laisser seulsbaveragesiffle. Je ne perds paspatience. J'explique à Huot ma combinaison de retraiteproportionnelle avec secrétariat assuré. Il fléchit.Derrière mon doselle lui fait des yeux furibonds.

-- Il abesoin de reposdit-elle. Avec votre instructionvous pouvez vouspasser de lui.

-- Ouiilvous est facile de me mettre dans l'embarras. Je fais appel àvos sentiments de devoir.

Se sentantbattueelle s'en va en criant. Ce que ses visites ont dû luicoûterl'été dernierassise sur une moitiéde fesse !

Huot seuls'adoucit.

-- Undomestique donne ses huit jourslui dis-je.

-- Je nesuis pas un domestique.

--Précisément ! Vous êtes un maître d'écoleet vous devez avoir au moins l'honnêteté d'undomestique.

Aprèsdéjeuner je 1e retrouve au travail. L'inspecteur ne lui avaitpas tout dit. Nouvelle explication presque cordiale. Je ne me faispas malin : un maire ne peut se passer de secrétaire.

-- Oui ounonreprenez-vous votre place ?

-- Ouimonsieur le maire.

-- Vous medonnez votre parole d'honneur ?

-- Je vousla donne.

Çafinit par une poignée de mainune étreinte.

Ah ! c'estdurde les ôter d'un pays où ils sont depuis plus dequinze ans !

LesPhilippe. On ne peut pas leur dire qu'on est malade sans qu'ilsrépondent qu'eux aussi le sont.

-- Je n'aipas dormi de la nuit. Ça m'a pris dans une dent. Ça m'aremonté vers l'oreilleet ça m'a « taboulé» dans l'oeil.

-- Je nevous demande pas ça.

Le Pauls'est flanqué un coup de cognée sur les doigts de piedjusqu'aux os.

Nouscausons dans la cuisinesous la présidence du bonnet de nuitde Ragotte.

Honorinesur la routehotte et bâton.

-- Je n'aiplus de boisaussi ! dit-elle.

-- Je vaisvous en faire donner.

Alorselle lève la tête. Quelle tête ! Comme si ellemarchait dessus : saleterreuseeffroyable.

Leschoses. Un objet a disparu. On le cherche en vain. Tout à coupon le trouve.

-- Ilétait là !

-- Hum !

-- Puisquetu l'as trouvéil y était.

-- Je n'ensuis pas sûr.

28novembre.

Guitryvient me voir. Je lui dis :

--Pourquoi ne jouez-vous pas la pièce de Lemaître ?

--Impossible ! Un homme qui félicite Syveton ! Non ! Non ! Voilà: Je voudrais jouer Monsieur Alphonse et Soeur Ernestine; seulementpas de franc-maçon.

-- Cen'est qu'un motdis-je La pièce resterait anticléricale.

-- Çane me gêne pasdit-il

Je faisquelques objections. Il me répond :

-- Revoyezça.

Lelendemainje lui dis :

-- Lepremier acte est bien. Le secondil faudrait en parler.

-- Jeviendrai vous voir samedidit-il.

Je relisma pièce. Je me remets en goût. Le samedipas deGuitrypas un motet tous les journaux m'apprennentce matinqu'il va jouer la pièce de LemaîtreLa Massière.

Le soleilest vilain. Il a l'air d'avoir des pattes d'araignée.

Allaisparle d'un monsieur quise trouvant indigne d'appartenir pluslongtemps au civilvoulait entrer dans l'armée.

Hiver. Unefumée pâle dans la pâleur diffuse d'un air froid.

29novembre.

Guitry nerépond pas. C'est une amitié finie. Je ne sensma foiplus léger. Peut-être que cet hommeà qui jedois des moments si délicieuxa fait beaucoup de mal aubarbareau travailleur que j'étais.

Lesouvenir de cette amitié n'est pas peu de choseet il meserait plus pénible d'y renoncer qu'à l'amitiémême.

Il m'aplus donné que je ne lui ai rendu.

C'étaitl'ami riche. Repasautomobilevoyagethéâtreargentespritque d'histoires ! Je lui dois des tas de chosesmaisluique me doit-il ? Presque rien.

Je ne suisni richeni éblouissant. Il me doit peut-être ceci :qu'on s'étonnait de mon amitié pour lui. Je lui servaisd'honnête support. Moi n'étant plus làil vapeut-être fléchir dans l'estime de gens qui se croientplus de moralité que les autres.

Mêmesupérieur comme Guitryon finit toujours par se fatiguer d'unhomme « scrupuleux » et par mépriser celui quiaccepte tout.

Shakespeare.Le roi Learun fou qui commence la folie par la niaiserie. C'est del'imagerie d'Epinal trop rouge. Enthousiasme à froid. Onapplaudit Jusseaume et l'effort d'Antoine.

Parbonheurl'émotion s'est formé le goût. On nenous a plusavec ces palais de carton.

1erdécembre

Jaurèsdit de Notre Jeunesse :

-- Celam'a paru filandreuxet puisc'est trop facile.

DeShakespeare :

-- Il estplus latinplus clairqu'on ne croit. Hamlet n'est pas un hommeprofondmais un pauvre jeune homme accablé par le poids de cequ'il ne peut pas faire.

Salle derédaction. Une dizaine de jeunes gens travaillent et causentsous des becs électriques. Accents du Midi. Je suis trèsgêné. Heureusement il y a une cheminée oùs'accouder.

On attendJaurès. Il a prononcé à la Chambre un admirablediscours à la gloire de Jeanne d'Arcet il a sauvéChaumié. Mais sa lettre à Déroulède estvraie. Stupeur. Le secrétaire nous montre le manuscrit : il legarde. J'en aurais payé cher une des trois feuilles : grosseécriture sans ratures. On critique la décision deJaurès. L'un affirme que Déroulède tirera enl'air ? qu'il l'a déjà fait pour Clemenceau.

Jaurèsvient à moime serre la mainet je lui dis :

-- Oh !tous vos amis cesseront de vous aimer et de vous admirer tant quedurera cette ridicule histoire.

-- Cela mefera de la peinedit-ilmais j'ai raison. J'ai pris le temps de laréflexion. Je ne pouvais plus. Depuisquelque tempsje lessens touslàprêts à m'insulter dans ma femmeou dans ma fille. Je reçois des lettres d'ordures. Je sensgrimper les limaces. Je me sens couvrir de crachats. Je veux arrêtercela par un geste ridiculemais nécessaire. Je ne veux pasqu'on se croie tout permisqu'on me mette dans la rue le bonnetd'âne.

-- Socrateaurait gardé le bonnet et dit de fort belles choses. Si vousaviez lu dix vers de Déroulèdevous ne lui auriez pasécrit.

Jaurèsrit et dit :

-- Vousdevriez nous faire quelque chose là-dessus pour L'Humanité.

-- Vous nesongez qu'à vos ennemispas à vos amisà cettefoule du Trocadéro qui vous acclamait l'autre soir et dontpersonne ne vous approuvera.

-- J'aipensé à tousdit-il.

Ilfaudrait lui dire : « Au fondvous n'êtes pas un vraisocialiste ; vous êtes l'homme de génie du socialisme. »

-- Vousêtes-vous déjà battu ?

-- Si peu! dit-il.

-- Vousferiez un bon confesseurme dit son secrétaire.

-- Il meconfesse de péchés que je n'ai pas commisdit Jaurès.

-- Oh ! Sije suis indiscret...

-- Dutoutdu tout ! me répond-il.

Il nousquittenous serrant la main. Dans la ruecomme il nous dépasseAthis et moinous l'arrêtons.

-- Ah !encore ? dit-il.

-- Non !J'espère au moins que je n'ai pas dit un mot qui vous ait faitde la peine ?

Il dit quenon et marche à côté de nous. On ne reparle pasdu duel. Il demande comment a marché Le Roi Lear. Puis:

-- Nousavons tout de même sauvé Chaumié. Nous l'avonssauvémais blâmé. Il a presque avouéqu'il avait eu tort.

-- Est-ceun orateur ?

-- C'estun bon diseur.

-- EtThalamasvous le connaissez ?

-- C'estun très brave homme.

-- Je suiscurieux de lire demaindans L'Officielce que vous avez ditde Jeanne d'Arc.

-- Oh !vous savezdans cette batailleje n'ai pas pu dire quelque chose debien intéressant.

-- J'aibesoin de prendre quelque chose de chaud. Vous plaît-il de metenir compagnie ?

Ils'arrête devant un caféetavec son accent :

-- Est-ceun café con-ve-nable au moins ?

Je regardeet je lis : Café Napolitain.

-- Oh !très convenable !

Nousentrons.

-- Vousprenez de la bière ? demande Jaurès.

Il estminuit passé.

-- Non. Jeprendrai un grog américain.

-Qu'est-ce que cela ?

-- Del'eau chaude avec du rhum.

-- Est-cebon ?

-- Çavous désaltérera mieux que quelque chose de froid.

Il versede l'eau dans le sien et demande une paille.

Il a unepetite cravate que pourrait mettre le poëte Pongeet un petitcolmou comme s'il avait dansé jusqu'à six heures dumatin : c'est un col trempé de sueur parlementaire. Sa figureest un peu une tomate parlementaire.

C'est lasortie des théâtres. Entrent Lambert filspuisBernstein et Sacha qui me serrent la main. Jaurès doit croireque je connais tout le monde et que je passe mes nuits au café.

Il meconfirme quequand il parleil dévisageil tâche des'adresser à quelqu'un.

-- C'estintéressantdit-ilcette action sur la foule.

Je luidétaille le portrait que j'ai fait de lui.

-- Ouidit-il. Je n'avais pas remarquéc'est bien ça.

Ilreconnaît qu'il laisse tomber ses phrases parce qu'il craintque le public n'applaudisse trop tôt.

Des gensnous regardent. Connaît-on Jaurès ? S'en défie-t-on?

Il règleet tire de sa poche des jetons de diverses grandeurs mêlésà des pièces d'argent ; il laisse dix sous depourboirecomme un généreux provincial.

Athis luidit :

-- Vousavez chaud. Prenez garde en sortant ! Couvrez-vous.

-- Nondit-il. C'est superficiel.

C'est dansces mots naïfs que son accent a le plus de comique.

Dehorsildit :

-- C'estadmirableParis.

Mais il ale souci de ne pas manquer son tramway.

-- Je nevous détourne pas ?

-- Nondis-je.

Impossiblede l'appeler « Maître ». Je ne peux pourtant paslui dire : « Citoyen ».

-- Vousavez été professeurlui dis-je. Vous avez dûmarquer quelques-uns de vos élèves.

-- Nondit-il. J'étais trop jeune. En tout caspersonne ne s'estrévélé.

Mais sontramway de la Madeleine le préoccupe. Il en reste unprêtà partir. Jaurès va courirpuis :

-- Nondit-il. Il manoeuvre.

Il ajoutequed'ailleursles élèves ne prennent jamais que cequ'il y a de mauvais chez leur maître.

-- Aurevoircher ami. Bonne santédit-il.

-- C'estlui qui va se battredit Athiset c'est lui qui nous souhaite bonnesanté.

-- Voustravaillez énormémentJaurès ?

-- Ouimais en politique. On a du reposon changeon écrit et onparle. La Chambrela tribune amusent. Je suis persuadé qu'unartiste uniquement préoccupé de son art ne résisteraitpas à une telle somme de travail.

-- Maisvoyez Victor Hugo.

-- C'estvraidit-il.

Rentréchez moi plein d'admiration étonnée et tendre pour cethomme extraordinaireje ne dors pasun peu vain de lui avoir tenutête : qu'est-ce que je risquais ? Maisle lendemainje melève à dix heuressachant bien qu'il travaille déjàluiqu'il ne s'occupe pas de son duel. Hier : sa lettre àDéroulèdeune improvisation admirable sur Jeanned'Arcl'article de tête de L'Humanité.

Envie deme dévouerde faire des besognes pour lui. Comme un rat quisort de son trouje suis ébloui par ce bel animal qui renifletoute la nature. C'est autre chose qu'un idéal de futuracadémicien !

Est-ce quecet homme voudrait être riche ? Voudrait-il être ministre? Je ne peux pas le croire. Il est vrai qu'il veut se battre avecDéroulèdeet c'est peut-être du mêmeordre.

Je meréveille avec l'idée de lui dédier la nouvelleédition des Bucoliques. Ah ! le bel exploit !

3décembre.

Les «Samedis populaires »chez Bour.

Damesénormesjeunes filles décolletées.

-- Ah !C'est du Mendès ! Je n'aime pas cet homme-làmoi ! ditune grosse femme qui pue.

Le publicamoureux d'art !

Unflûtiste. C'est bienmais qu'est-ce qu'il ferait avec sa flûtes'il ne faisait pas au moins ça ?

Une damechante je ne sais quoi. Elle a l'air d'un brave homme.

Un jeunehommequi a moins de barbe que Sachadit qu'il a malse frappe lapoitrine et prétend que son coeur ne peut plus aimer. Onsourit. On ne le croit pas.

Un autrerécite Les Trophées. C'est un Anglais qui neparle français que lorsqu'il débite des vers de nospoëtes.

Le jeunehomme brun qui lit les notices applaudit dans le tiroir de la table.

Le publics'ennuiemais ça ne coûte que vingt souset il a vudes acteurs. Il peut dire qu'il est allé au théâtrecette semaine.

4décembre.

Cettefemme avait tant aimé quelorsqu'on s'approchait trop d'elleon écoutaitau fond de son oreillece délicatcoquillagebruire une rumeur d'amour.

-- Il fautêtre indulgent pour ses amis et garder sa sévéritépour les autres.

-- Maisc'est de l'injustice !

--Pourquoi ? C'est peut-être déjà une justice quevous ne soyez pas mon ami.

5décembre.

Sûrde vivre quatre-vingts ansje me ménage.

On peutmettre son égoïsme à la chaîne : on nepourrait pas le tuer sans se condamner à mort.

Une figurevéroléeoù il y a quelque chose d'écriten Braille.

12décembre.

La réalitéa tué en moi l'imaginationqui était une belle dameriche. L'autre est si pauvre que je vais être obligé dechercher mon pain.

15décembre.

Vieheureuse. Un cul-de-jatte monte la rue du Rocher dans sa petitevoiture à trois roues ; etse poussant et se calant avec sesdeux fers à repasseril chante à tue-tête.

Ah ! ouiêtre socialiste et gagner beaucoup d'argent.

Il y adans la vie certaines brumes d'où l'on ne tient pas àsortir ; c'est presque l'état de mort. Si la brume persistaiton passerait vite pour mort : comme ce serait simple ! Est-ce qu'ilserait beaucoup plus difficile de se tuer ?

16décembre.

Je saisenfin ce qui distingue l'homme de la bête : ce sont les ennuisd'argent.

Comme onperd vite la tête ! A chaque instantil n'y a entre nous et lamort que le cerveau de papier du clown. Vraimentce ne doit pas êtrebien difficilede sauter ! On ne reparaîtrait plusvoilàtout.

Vallottonne se régale que d'amertume. Sait-il qu'une femme doitdivorceril l'attire dans un coin et se délecte de sonhistoirecomme un gourmand qui ferait suisse.

Il estdifficile d'imaginer à quel point cet hommequi se promènel'air absorbépeut ne penser à rien.

L'artistea beau faire : son plus cuisant remords est de ne pas gagnerd'argent.

Je me metsà ma table. Je me contracte et j'attends. Je suis comme unruisseau qui s'arrêterait pour refléter. Qu'importes'il n'y a rien sur ses bords !

La femmeest un roseau dépensant.

Quand jene pense pas à moic'est que je ne pense à personne.

Orateur.De sa boucheil sortait de la fumée sonore.

Je nesuisje n'ai jamais été et je ne peux être qu'unpauvre artiste à 200 francs par mois.

19décembre.

Fêtefamiliale des Nivernais socialistes.

SalleJules. La dame du comptoir me dit : « C'est au premier. »Il y a un socialiste et sa petite fille. Pauvre salleoùpassent tous les gens du bas pour aller aux cabinets. Je m'assiedsdans un coin à une table de marbretrès gêné.Roblin arrive après d'autres. On lui dit :

-- Il y alà un citoyen qui te demande.

Tout desuite je vois que nous resterons étrangers.

Commentles appeler ? Citoyens ? Compatriotes ? Camarades ? Messieurs ?

--Qu'est-ce que vous buvez ? du vin blanc ?

-- Oui.

Des hommesavec leurs femmes et les mioches. Très peud'ailleurssontde vrais Nivernais.

Leconseiller municipal Parisde la Villetteje croisa le premier laparole. L'air d'un Jules Lemaître gros et gras. La nature serépète. Il parle grossans intérêt.

Le citoyenFribourgautre conseiller de Parisrefuse d'abordfait desmanièrespuis devient intarissable. Il parle biennon sansesprit et nettetémais il a une si petite tailleune figurede petit Juif tellement inexpressive !...

Je n'osepas tirer mon bout de papier. Je débite ma petite affaire. Çan'est pas fortmais c'est mieuxparce que c'est tout de mêmepersonnel.

Une femmeme vend un journal féministeun programme de revendications.

Unrédacteur de L'Aurore est venu pour m'entendre. Trèsétonné que je ne lise pas mon discoursqu'il voulaitme demanderil me dit :

-- Ilparaît que vous avez été dur pour Jaurèsla veille de son duel ?

On chante.Des enfants crient. Le garçon passerécolte des piècesde dix sous. On ne veut pas que je paie : je suis invité. J'ail'air d'un étrangeravec ma décorationavec mon airmodeste d'homme qui se croit connu.

22décembre.

Rien n'estéternelpas même la reconnaissance.

Secretprofessionnelet ils n'ont même pas de profession !

Travaillerdans une lanterne.

A uncritique :

-- Ouiouivous avez raisonmais vous êtes bien plus difficile pourmoi que pour vous.

26décembre.

Voyage detristesse à Chitry. Le coeur baigne dans de la brume.

Je neméprise pas encore assez le théâtre pour yréussir.