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Jules Renard

Journal
de Jules Renard
1893-1898


1893



5 janvier.

Ses gestessurtout le distinguaient. Il prenait des mots à même sabouche etles enlevantles faisait miroiter un moment entre sesdoigtscomme des bagues.

7 janvier.

Docquoisme dit :

-- Ce quevous faitesce sont des feuilles qui tombent d'un arbre. Ceux qui necomprennent pas se demandent où est l'arbre.

Liretoujours plus haut que ce qu'on écrit.

Le sourireest le commencement de la grimace.

11janvier.

La voluptédu mensonge.

Quand ilfait l'éloge de quelqu'unil lui semble qu'il se dénigreun peu.

Ils'endettaitdans la mesure de ses ressources.

Dévisagerles gens pour se faire l'oeil.

16janvier.

Il nerecevait que des critiques et disait à chacun d'eux : «Vous seul me comprenez. »

-- Etcomment va madame ?

-- Mais jevous remercie : elle va très bien... Ah ! qu'est-ce que je dislà ! Elle est morte.

On pouvaitvoir à travers sa barbe combien il eût étélaid sans barbe.

22janvier.

Garde-toide sourire quand un marchand de papieravec lequel tu fais affairerisque un mot d'espritsur la poésie.

Ils'amusait pour se considérerà rechercher les taresles maladiesles soucis des gens riches.

Unécrivain très connu l'année dernière.

Quand il afait une belle phrasec'est un pêcheur qui vient de prendre unpoisson.

Le peintrequi s'apprête à peindre le soleil fait des théoriesetquand il veut commencerle soleil n'est plus là.

Coupleassorti : ils riment bientous les deux.

Maisaubouillon Duvalquelqu'un lui demandant carte « aprèslui »il saluasourit et dit :

-- Maiscomment doncmonsieur ! C'est un très grand honneur pour moi.

Lesjournalistesvous savezces messieurs qui écriventpouravoir des passes sur les chemins de fer.

-- Doublebonheur ! dit-ilj'ai reçu une bonne nouvelleet j'ai faitpleurer quelqu'un.

Pierre sebaignant :

-- Papaon dirait que c'est une robe qui est dans l'eau : ça empêchede marcher.

D'unmonsieur qui a chaudil dit qu'il a du beurre sur le front.

Sera-ce unroman ou une cuvette ? Je compte sur un gros succèssur unevente de plusieurs douzaines. Je tâcherai d'y mettre del'herbebeaucoup d'herbe. Assez mangé de psychologie ! Je nevous parle pas de théâtre. Il ne faut parler d'une piècede théâtre que lorsqu'elle a rapporté 100 000francs.

Lanostalgie des pays labourés.

Contes del'âne gris.

Fantecappelle l'aiguillon d'une guêpe sa petite épingle.

Tout letemps qu'il écrivit son livreil eut les yeux injectésde sang.

Dameoui! Avec des concessionsje fais tout ce que je veux de ma bourgeoise.

Dessouvenirs d'enfance dessinés comme avec une allumette.

Il étaitheureux etchaque fois qu'il respiraitle bord de la table et lebord de son ventre se touchaient.

Quedeviendra Poil de Carotte ? Un être bon jusqu'à paraîtrebête. Il sera bon papabon mari. Il n'aura pas la cruautéde pêcher ni de chasser. En mangeant bienil songera àceux qui ne mangent pas. Il donnera un sou aux pauvres. Je vous disqu'il sera bête. C'est si difficile de savoir ce qu'on aime !

Promets-moiune chose ! Promets-moi quesi plus tard tu te remariestu feraston mari cocu.

Un vieuxprofesseur maigre qui avait l'air d'un serpent à lunettes.

Douleurendormie qui ronfle.

Despommettes d'api.

Banvillese bouchant l'oeil chez Buloz pour tâcher de prendre l'espritde la maison.

Au momentoù nous les débinionsles B... arrivent avec unebourriche.

Ah ! lesbraves gens !

Vous vouspréoccupez d'être relus ? Tâchez doncd'abordd'être lus.

Ceportrait extraordinaire : on dirait qu'il ne va pas parler.

Par ordrede mérite alphabétique.

Verlaineattaqué par une bête dans la Forêt-Noire : il areconnu Rimbaud. Etsi ce n'était pas la Forêt-Noireelle était peut-être plus noire qu'elle.

L'hommedistrait. Il ne s'aperçut qu'il brûlait que lorsqu'ileut poussé un grand cri de douleur.

J'ai enviede casser la faïence de la tête de chien qu'il fait.

L'un :

-- Je mevendsdonc j'ai du talent.

L'autre :

-- Je neme vends pasdoncj'ai du talent.

Les deuxamoureux. Ils sont séparés par la routeet marchentchacun le long d'un fossé.

24janvier.

Écriresur un amic'est se fâcher avec lui.

ILs'apprêtait à dire : « Je viens de la part deMonsieur Un tel »mais il vit une mine si rébarbativequ'avant d'être assisil se relevase couvrit et dittournant le dos :

-- Je m'envais de la part de Monsieur Un tel.

L'assassinse lava les mains et fit des bulles de savon.

Le pays durêve où l'on plaindrait les gens heureux

Toute savie il fut assis sur un strapontin.

Le mondem'a blessé la vueet je vais devenir aveugle

Legrincheux :

-- Votrecouvert est toujours mis.

-- J'aimemieux que vous me fixiez un soirtenez ce soirsi vous voulez.

Les vraisamis. Ils se faisaient des confidencesles pieds geléssousun bec de gaz.

Comme desconfettiles étincelles jaillissaient du tuyau. Le premiermonsieur dit :

-- On a dûprévenir.

Le second:

-- Cemonsieur-là a dû prévenir.

Et ainside suitejusqu'à ce que la maison fût toute brûléeavec les pompiers qu'on croyait dedans.

Ets'étant coupéeet ayant sucé le sang de sablessure elle s'empoisonna.

-- Unebonne femmedit Léon parlant de sa femme. Elle ne bouge pas.Il n'y a qu'à la fin qu'elle remue.

Barrèsami des chiensennemi des lois et des usagesce qui est plus grave.

25janvier.

Ma plumefait un bruit comme une oie qui mange

Claudell'antifigariste génial.

Il avaitune soeur insupportablequi lui écrivait sans cesse :

-- Je suisfière de toi. On dit que je te ressemble.

Anatolevoit un objet et demande au marchand qu'il ne connaît pas :

-- Combien?

-- Pourvousmonsieurce sera quinze francs.

--Commentpour moi ? Qu'est-ce que c'est que ces familiarités-là? Voici vingt francs. Je ne vous donnerai pas un sou de moins.

PapaBulot.

Quand ellese présentala servante ne vit que son dos. Il étaitenfoui dans la cheminéeun foulard noué autour de latête.

-- Je vasarroser avec un peu d'eaudit-elle.

-- Del'eau ? Pour quoi faire ? On arrose avec ça !

Etsansse détourneril jeta en éventailderrière luisur le sol battuce qu'il avait pissé dans son pot dechambre.

-- Faut-ilpasd'abordque je balaie un peu ?

-- Pourquoi faire ? dit Bulot sans détourner la tête. Tu n'espas au châteauici.

-- Tout demêmeil y a de la poussièreet du fumier que vous avezapporté de la rue avec vos sabots.

-- Balayesi ça te plaîtdit-il. Moins on nettoie l'auge descochonsplus ils engraissent.

Il rentradans la nuit des suies.

Paralysédes cuissesil avait son pot de chambre près de lui. Sachaise levait les deux pieds de derrière.

Le premierjourelle demanda :

--Qu'est-ce que je vas donc vous faire cuire pour votre goûter ?

-- Unesoupe aux pommes de terre.

Lelendemainelle demanda :

--Qu'est-ce que je vas donc vous faire cuire ?

-- Unesoupe aux pommes de terreje te l'ai déjà dit.

Letroisième jourelle demanda et il répondit la mêmechose.

Alorselle compritet elle lui fit désormaischaque jourde sonpropre mouvementsa soupe aux pommes de terre.

27janvier.

Il n'estpas plus difficile à un gros homme d'avoir de penséesdélicates qu'à une grosse main d'avoir une fineécriture.

-- Vousêtes trop aimable.

-- Zut !Le suis-je encore trop ?

-- Ouidit-ellej'y songe souvent. J'ai toujours prié Dieumaisavec la même prière. Je lui demandais mon pain quotidien: il me le donnait. Mais je ne lui demandais pas de nous faire bienvendre notre vacheet je l'ai vendue pour rien. Ce doit être «de » notre faute.

Ellerépéta :

-- Oui !Ce doit être « de » notre faute. Je prie de toutmon coeurmais je m'explique malet il ne me comprend pas.

Tum'agaces comme si tu mangeais une pomme verte.

29janvier.

HierchezLéon Daudet. Barrès :

-- C'estce qui fait ma force. A vousSchwobje peux dire que ce derniermoisvous avez été préoccupé par Wyzewaet Mirbeau. Je peux dire que France vous a d'abord charméétonnéet que maintenant vous commencez d'en avoirassez. Je saisd'autre partque si France et Renard serencontraientils n'auraient rien à se dire. C'est ce quifait ma force.

-- EnFrancedit Léon Daudetdans ce pays de centralisationonpeut tout faire. Moije me charge de tout faire...Avec quatrehommesje m'empare du gouvernement. Les obstacleson les méprise.On casse des têtesmais les têtes sont les oeufs.

Barrès:

--J'évolue. Je suis fatigué d'idées généraleset je voudrais faire du théâtre sous une forme concrète

LéonDaudetune jolie intelligence qui se retient à chaqueinstantde sauter par la fenêtre :

-- Çaressemble au Boeuf à la mode.

Barrès:

--Qu'est-ce que vous avez contre le Boeuf à la mode? Vousm'inquiétez. J'y suis peut-être allé.

LéonDaudet :

-- Jedonnerais tout Flaubert pour deux sous.

-- Jetrouve Tribulat Bonhometet même tout Villiers stupidedit Schwob.

-- C'estextraordinaire. C'est le chef-d'oeuvre des chefs-d'oeuvre !

Aujourd'huion ne sait plus parlerparce qu'on ne sait plus écouter. Rienne sert de parler bien : il faut parler viteafin d'arriver avant laréponseon n'arrive jamais. On peut dire n'importe quoin'importe comment : c'est toujours coupé. La conversation estun jeu de sécateuroù chacun taille la voix du voisinaussitôt qu'elle pousse.

Ellerencontra dans l'escalier un chien qui avait l'air terrible Ellebaissa les yeux. Le chien baissa la gueule et passa.

Conseils àPierre. Quand tu auras dit superbement d'un monsieur que tu ne luiparles pasque tu ne lui tends pas la mainqu'il n'existe pas pourtoiajoute au moins que c'est réciproque.

Hieronparlait de singes si intelligents qu'ils peuvent servir àtable. Aussitôt les domestiques cravatés de blancdressèrent l'oreille et firent un nez entre leurs honorablescôtelettesflairant la concurrence.

1erfévrier.

Pierreet Paul.

Bien qu'ilait déjà des élèveson ne sauraitappeler Jules Renard « cher Maître ». Il est tropjeune. Né le 22 février 1864il a fait ses étudesdans plusieurs lycées dont il a oublié jusqu'aux noms.

Sesprojets ? Il n'en a pasopportuniste en littérature.

Sesprocédés de travail ? Chaque matin il se met àtable et attend que ça vienne. Il prétend que çavient toujours.

Les unsdisent : « C'est un coeur sec »d'autres : « C'estun sensible qui s'efforce de paraître cruel »d'autres :« Je le connaismoi : il est bon »d'autres : «Quel misérable ! Ah ! Je ne le croyais pas comme ça ! »

La viel'amuse le matinl'ennuie le soir.

Tout lemonde en ferait autant.
Il fut applaudi comme poëte parCharles Cros.

Unmonsieur« fervent admirateur »me demande si je nesuis pas l'auteur de l'Épouvantail. Mon étonnement.

-- Ouidit-il. C'est un pauvre qui vole les habits d'un épouvantailet soudainpris de scrupulelui met ses propres habits.

Allier laplus plate réalité à la plus folle fantaisie.

Il eut unduel avec Mendès pour entrer à L'Écho deParis.

3 février.

Il dittoujours oui et fait toujours non.

13février.

A Genève.Pissoires : défense de s'arrêter ici.

ErnestTissot a la voix double.

Unministre à Taine : « S'il fait froid icic'est àcause des ultramontains. »

Un autremonta sur une chaise et se mit à chanter une chanson badoise.

ÉdouardRod est le grand homme. On le dit : il le joue. Après ledîneril nous demanda la permission de nous faire une lectureetavant sa lectureil nous dit quelques mots qui ressemblaientfort à un morceau de conférence. Il a le cou trèscourt et incline sa tête en arrière. Il a les cheveuxrejetéset il aime fort un portrait où il ressemble àZola. Il voudrait bien se vendre à cent mille.

-- Mettonsdix mille.

Duchosalune sorte de Scarron haineux qui fait des vers suaves.

J'aimeMaupassant parce qu'il me semble écrire pour moinon pourlui. Rarement il se confesse. Il ne dit point : « Voici moncoeur »ni : « La vérité sort de monpuits. » Ses livres amusent ou ennuient. On les ferme sans sedemander avec angoisse : « Est-ce du granddu moyendu petitart ? » Les esthètes orageuxprompts às'exciterdédaignent son nomqui ne « rend rien ».

Il se peutqueMaupassant une fois lu tout entieron ne le relise pas.

Mais ceuxqui veulent être relus ne seront pas lus.

18février.

Je netiens pas tant que ça au bonheur.

20février.

Il fautpour soutenir une conversation en sociétésavoir unefoule de choses inutiles. Il faut se tenir au courant. Je ne sais pascourir. Reste donc chez toi.

Refuser deprêter à quelqu'unet lui dire : « Je suisdésolémon cher ami. Ah ! vous me mettez dans un état!... J'ai passé une bien mauvaise nuit ! Je vous en veux debouleverser ainsi ma conscience. »

TristanBernard me dit que j'ai beaucoup de Dickens. Encore un qu'il vafalloir lire parce que je lui ressemble. S'il est aussi ennuyeux queles autres !

21février.

Ilcommençait par tutoyer les gensles jugeant tous de minceimportanceetquand il les connaissaitqu'il pouvait les estimersoudain graveil leur disait « vous ».

1er mars.

Il y a unemesure pour tout : dès qu'on en sorton la dépasse.

4 mars.

Ellefourbit ses enfants.

Jepromets rarementmais
Quand je promets je ne tiens jamais.

10 mars.

Les grosvers de Guy de Maupassant.

11 mars

Forainquête comme un chien dans la foule. Il regarde un hommeunefemmeet dit : « Oh ! la belle putain !... Tienscelui-làqui fume... » Il leur rit à la faceet il ne craint pasles aventures. D'ailleursil ne lui arrive jamais rien.

Il appellePoil de Carotte « Poil de Brique ».

13 mars.

VuMaeterlinck montré sur le boulevard par Camille Mauclair. Unouvrier belge qui s'est acheté un chapeau trop petit et desculottes trop larges. Le génial Claudel reste un momentdécouvert. Quand on lui présente quelqu'unMaeterlincka soudain un agrandissement d'yeux et un balancement du corps quisans doute signifient : « Ah ! chouette ! »

16 mars.

Nulladies sine linea. Et il écrivait une ligne par jourpasplus.

Maispourquoi Claudel écrit-il d'une façon Têted'OrLa Villeet d'une autre ses compositions pour obtenir leposte de vice-consul à New York ? L'artiste doit être lemême quand il prie et quand il mange.

17 mars.

Claudelparle comme la machine à parler de Schwob. Ses lèvresse soulèvent comme de lourdes tentures à de violentscourants d'air. Il parle avec un système de ; palettes.

La gloirec'est d'abord une belle plage. On se roule dans son sable finpuisbientôton sent une odeur mauvaisecelle des poissons que lesfemmes viennent vider sur le bord.

Surmenons-noussurmenons-nous pour vivre vite et mourir plus tôt.

21 mars.

Il netient pas à son argentil ne tient qu'à l'argent desautres.

24 mars.

Il portaitsa couronne de lauriers sur l'oreille.

27 mars.

Des yeuxbien fendus qu'on aurait plaisir à enlever avec un tournevis.

Ils ne melisaient pas tousmais tous étaient frappés.

La hainesoutenant mieux que l'amitiési l'on pouvait haïr sesamis on leur serait plus utile.

Vraimentje ne pourrais avaler votre livre que si toutes ses lettres étaienten pâtes d'Italie.

Il n'étaittantôt méchant et tantôt bon que pour le plaisirde l'être.

Ce matinje suis allé voir Papon qui fauchait sa luzerne. Jamais il nese dérange de travailler quand il me voit. Il a près desoixante-dix ans.

-- Allez !dit-il. Si j'étais tant seulement bien nourrij'irais encoreloin.

Ils'arrêta de faucherprit par terresous sa blouseunebouteille d'eaubut à mêmeet dit :

-- Avec unlitre de vin de temps en tempsje vous garantis que je ne crèveraispas facilement.

La belleaffairePapon !

Et moiparce que j'ai un peu d'argentque je lis beaucoup de livres et quemêmej'écrisparce que je me lave et quele soirjeregarde les étoiles du cielj'ai pitié de cet hommequi me croit supérieur. Ah ! je ne vaux ni mieux ni moins quelui.

C'estsurtout le dimanche que Léon et sa femme s'aiment. En semaineils n'ont guère le temps. Le dimancheaprès la messeils déjeunent vitese couchentne se relèvent quepour aller aux vêpres. Puis ils se couchent encore jusqu'aulendemain matin quatre heures. Ils se séparent alorsretournantlui à ses bêteselle à ses pots.

Il fautaimer la nature et les hommes malgré la boue.

28 mars.

Quand unami de collège vient taper sur le ventre de Barrès etlui dire : « Te rappelles-tu ? » Barrès répond:

-- Ouioui ! Nous nous sommes rencontrés sur le trottoir.

A proposde L'Ennemi des LoisValentin Simond ayant demandé àBarrès ce qu'il voulait :

-- Oh !dit-ilje n'entends rien aux questions d'argent. Vous me donnerez ceque vous donnez à Anatole France et nous n'en parlerons plus.

-- MaisMauricecette histoire que tu racontes n'est pas de toi !

-- Oh ! machèrerépond Barrès à sa femmequand jetrouve une histoire amusanteje serais bien sot de ne pas mel'approprier.

-- Vousêtesparmi les jeunesle plus fort analysteme dit LéonDaudet. Goncourt me disait : « On ne peut pas aller plus loin.» Vous prenez l'amouret vous dites :
« Tenez !Voilà comment ça se passe. Je vais vous montrer. »Vous devez aimer Taine.

-- Pas dutout ! dis-je. Il m'est aussi indifférent que Zola.

-- Enfinvous êtes très sûr de vous. Vous avez une méthodeinfaillibleet vous vous appliquerez constamment àdécortiquer l'univers.

-- Je suisun inquietdis-jeun troubléetsi je savais ce que jedois faire demainje chercherais tout de suite autre chose.

-- Le goûtest tout en artqui nous retient d'écrire une chosemoins bien que telle autre.

30 mars.

Ilfaudrait faire du théâtre satirique avec la nettetéd'un Beaumarchais et l'abondance d'un Rabelais.

Il y a desgens quitoute leur viese contentent de dire : « Évidemment! Parfaitement ! C'est horribleadmirableextravagantbiencurieux. » Par eux-mêmes ils n'ont aucune valeurmaisils sont d'un grand secours à autrui : ils lui servent deverbes auxiliaires.

-- Votresanté est bonne ?

-- Je nesais pas. Attendez ! J'ai mon thermomètre sous le bras : nousallons voir ça.

Mon ami neme sert qu'à embêter ceux de mes ennemis qui sont sesamis.

1er avril.

Lemonsieur qui cherche toujours son porte-monnaie trop tardet qui dit:

-- C'estvilainde me prendre ainsi en traître !

Comprendretoutc'est n'égaler rien.

Quandenfinau moyen d'une bonne lunetteon aura vu les habitants de laluneon cherchera à les entendre.

Il sepromène dans le monde avec son air de « mortellementfrappé ».

L'opérationdu décollage en amouroù les lèvres sesoulèvent de la peaudifficilementcomme les timbres-postedes vieilles enveloppes. Les baisers ont laissé une pâte.

Toute savie il eut l'esprit grosmais il n'en naquit jamais rien.

Éloidit au soleil ;

-- Va !Enflamme-toibrille toujours ! Tu n'as que l'air de monter : tu nebouges pasetde nous deuxc'est moi qui me lève.

5 avril.

C'est unauteurcelui-làn'est-ce pas ? J'ai vu ça à satête.

A Genève.Schwob et moinous avions l'air d'être venus passer notrebachot en province.

ListeCapus. Vingt livres à emporter dans une île déserte:

1.Candide. 2. Molière : Mariage forcé. 1/4grosses farces. 3. Le Barbier de Sévillele Mariage deFigaro. 4. Robinson Crusoé. 5. Gulliver . 6.Histoire universellede Bossuet 7. Les BrigandsdeSchiller. 8. Falstaff. 9. Madame Bovary. 10. EugénieGrandet. Un ménage de garçon. 11. Musset. 12.Légende des siècles. 13. Précisd'histoire contemporaine de Michelet. 14. Un volume de Dumas.15. Un volume de Labicheun d'Augier. 16. Traduction deL'Ecclésiastede Renan. 17. Un volume de Jules Verne.18. Origine des espèces. 19. (pas lupour lasurprise). 20. Les Fables de La Fontaine.

Dans sonenfant de quatre ans il sentait déjà un ennemi.

--Voulez-vous un cigare ? -- Non.

-- Vousn'avez pas de défauts.

-- Si.

Il raconteune histoire de lièvre

--Pourquoi faites-vous signe que non ?

--Pourquoi faites-vous signe que oui ?

--Pourquoi tournez-vous la tête ? Par sensibilité ?

-- Maislaissez donc votre tête tranquille !

-- Si vouscroyez que c'est agréable de recevoir dans le nez la fuméede votre cigare !... Je fais mon possible pour l'éviter.

Lapolitesse exige que deux personnes qui se croisent lèventensemble leurs parapluies et s'accrochent.

18 avril.

-- Commenttrouvez-vous Peints par eux-mêmes?

-- J'aimemieux Les Liaisons dangereusesdit Schwob.

-- Maisvous avez écrit une belle lettre à Paul Hervieu.

-- Oui.

-- Alorsdis-jece que vous avez écritet rien...

-- Çadépend.

-- Oui !On ne sait jamais.

Je saisbien que je ne suis qu'une bourgeoisemais les bourgeoises ont dubon.

20 avril.

L'humidefraîcheur qui se répand par nos membres a une violentesurprisecomme si tout notre sang prenait un bain froid.

Lacritique tombetout simplement parce qu'on ne veut plus parler desautres.

C'estaujourd'hui la modeen conversationde terminer tout portrait aucrayon noir par :

--D'ailleursil est bien gentil.

24 avril

Un frissonagite les petites feuilles de son âme.

Monter auciel par une corde de pendu.

Le hasardne veut pas jouer avec moi.

25 avril.

Titre delivre : Grandeur et décadence d'un ami.

-- Tu faisun roman. Quel est le sujet ?

Bosdeveix:

-- C'estun homme qui...

-- Ouijevois ça de loindit d'Esparbès.

Bosdeveix:

-- Çase passe à la frontière...

-- Chicalors ! Parce quetu saismoimon vieuxtout ce qui passe sur lafrontière... Maisce qui passe en Franceje m'en fous. Moije ne suis pas intelligent. J'aime mieux avouer à Barrèsque je n'ai pas lu ses livres que de lui dire des bêtises. Desfoisje dis à ma femme : « Hein ? Crois-tu que nousn'avons pas encore eu les Renard à déjeuner ! »

Bosdeveix:

-- A lafrontière du réel et de l'idéal.

J'ai perdudeux moisfévrier et mars. J'aurais peut-être fait unchef-d'oeuvrele chef-d'oeuvre que je ne ferai jamais.

Il voulaitfaire des articles de combataprès lesquels le monde toutentier ne serait plus que du verre pilé.

Etaussivous m'embêtez bien un peuavec votre inconscient qui prendconscience !

26 avril.

Les fauxnaïfs. Vieux jeuje le saismais beau jeu.

Capus nousraconte l'histoire d'un monsieur tellement saoul qu'il mettait sesbottines dans sa table de nuit et son pot de chambre à laporte de sa chambre d'hôtelpour le faire cirer.

Plus onlitet moins on imite.

27 avril.

Le pèrede d'Esparbèsqui avait été soldat sept ansqui avait remplacé son frèreen reçutquand ilrevintce remerciement :

-- As-tufaim ? Veux-tu déjeuner ?

Barrèsou le plus obsédant sujet de conversation qui soit. On sedemande s'il a du talent ou s'il n'en a pass'il est sincèreou s'il ne l'est pass'il aura de l'autorité ou s'il nejouera aucun rôleetc. C'est à inventer un systèmed'amendes.

28 avril.

Quand jeveux être homme d'actionje lis la vie de BalzacparThéophile Gautier. Ça me suffit. Pendant une heurej'ai la fièvrele désir des grandeurs. Je suis chevalrougeet rien ne résistera à l'impétuositéde mon élan. Puis je me calmeje n'y pense pluset j'ai étéhomme d'action autant qu'un autre.

Ouijesais. Tous les grands hommes furent d'abord méconnus ; mais jene suis pas un grand hommeet j'aimerais autant être connutout de suite.

29 avril.

On nedevrait travailler que le soir quand on a pour soi l'excitation detoute la journée.

1er mai

Il se faitvieuxil a déjà la préoccupation de ressemblerà Voltaire.

Raconterla première communionle genou sur le bancl'autre parterrel'oubli des titres d'actesla pensée toute au déjeuneret à la sortie du soiret montrer que le mystèrene m'a rien fait. Seull'échange d'image a laissé unsouvenir doux.

3 mai.

Toutglorieux de s'être mis le monde à dosPoil de Carottese sauve. Il quitte sa famille. Il arrive au boishésiteunpeu effrayé devant cette masse ténébreuse quilui cache le ciell'avenir.

-- Aumoinssi je suis malheureuxdit-ilj'aurai fait mon malheurmoi-même.

-- J'aimebien à vous voirdis-je. Avec vous je sens qu'on n'a pasbesoin de faire le fort.

Pottecher:

-- Ce quevous me dites est peut-être une grave injuremais cela me faitplaisir.

L'oeildouxla voix doucela peau doucese grattant les doigtsfrottantsa bagueVeberun jeune homme de dix-sept ansnous comparait avectranquillité le monde réel à l'irréeletil nous semblait qu'il venait de quitter Platon qu'il eûtrencontré aux arcades de l'Odéon en feuilletant deslivreset que le maître lui avait ensuite exposésousles marronniers du Luxembourgses dernières théories.

4 mai.

La naturem'émeutparce que je n'ai pas peur d'avoir l'air bêtequand je la regarde.

Et lesheures oùse sentant un peu serinon aime les oiseaux.

--Monsieurdit-ilsi mon admiration vous paraît exubérantec'est que je vous suppose déjà mortet qu'ainsivainquant ma timiditéje vous parle à mon aise. Jeregretterais plus tard de ne pas l'avoir fait.

Et laplume vite prise pour écrire à l'auteur d'un livre quim'enthousiasmeet la plume vite tombée à la premièrelettre de « mon cher maître »parce qu'on n'osepasparce qu'on dédaigneou parce qu'on se dit : « Aquoi bon ? »

5 mai.

Déjàil se préoccupait de devenir un symbole.

9 mai.

Si l'on nem'avait pas fait croire que j'étais un grand artistej'eussefait de belles choses.

11 mai.

D'Esparbèsnous disait l'autre jour :

-- J'aifait deux lâchetés dans ma vie : j'ai dédiédeux contesl'un à Coppéel'autre à Theuriet.

OrcematinCoppée vient de payer royalement la première parun article de tête du Journal. Theuriet ne se fera pasattendre.

12 mai.

Bosdeveixnous invite à aller dans une campagne ou il y a tout ce qu'ilfaut pour jouer au bouchon.

Il prendrama valise à la gareet il connaît une vieille grangebrûlée où il nous introduira. Entrez d'abord. Ons'arrangera toujours.

Disquelquefois la véritéafin qu'on te croie quand tumentiras.

Le monden'a peut-être été créé que pourréaliser le mal. Siau lieu de contrarier le mouvementnousle suivionson obtiendrait un bon résultat.

Pourquoiferait-il le connaisseur ? Les tableaux n'ont jamais étépour lui que des images.

13 mai.

Je luitrouve une mine d'animal intelligent : il n'a en trop que la parole.

Parfoisdéjàil écoutaitsous sa tombeles discoursdes « délégués » littéraires.

Mendèsme raconte que Sarcey avoue avoir ditdans une conférence enBelgiqueà un public de jeunes filles et de leurs mères:

-- Lejeune homme la baisa...

Puissereprenant :

-- Je doisvous diremesdamesque le mot n'avait pas encore le sens qu'on luiprête aujourd'hui.

16 mai.

L'amusantau théâtrec'est de sortir aux entractesde saluerdeserrer des mainsd'entendre des opinions et de s'en faire unemoyenneavec toutes les extrêmessans effortsur la pièce.

Le genreest de s'aborder dans les couloirs en disant : « Etes-vouscontent ? Làbien vrai ? » La réussite d'unepièce est comme celle d'une affaire de coeur.

-- Oh !comme vous êtes belle !

-- Maisma chèrec'est ma vieille robe que j'ai traînétout l'hiver !

19 mai.

Comme jevenais de plaisanter un peu D'Esparbèsil me dit :

-- Pourmoitu es le premier écrivain de l'époque

Tout desuite je le cruset regrettai mes plaisanteries.

Des jeunesgens de vingt ans m'ont dit :

-- Vousêtes plus fort que La Fontaine.

Quand jerépète celaje dis :

-- Ilssont jeunes et candidesmais extraordinairement intelligents pourleur âge.

CommeJules Huret faisait signe à Maeterlinck de venir s'asseoir àla terrasse de TortoniScholl se leva et dit :

-- Je nepourrais pas lui faire de compliments.

Il rentradans l'intérieur du café.

L'espritfrançais reculait devant l'esprit belge.

Passer savie à se juger soi-mêmec'est très amusant etau fondce n'est pas bien malin.

20 mai.

Tous lespartis qu'on rate sont « magnifiques ».

La plusextraordinaire femme qu'on ait jamais rencontrée est cellequ'on vient de quitter.

Il fautvoyager pour agrandir la vie. Les plus hauts artistesn'est-ce pas ?se trouvent dans le monde des commis-voyageurs.

24 mai.

Gandillotun grossiffle en parlantdessineet dit :

-- C'estétonnantcomme c'est difficile de dessiner quand on ne saitpas !

Il faitmême un peu de peinture.

-- C'estrigolodit-il.

-- Que mabonne aille où elle voudradit-ilencorepourvu qu'elle nem'emmène pas !

Il joue aujacquet et compte les points avec ses doigtscomme s'il trottait surle tapiscomme s'il passait un ruisseau sur des pierres.

Vivre sapauvre petite vie d'animal un peu privilégié.

25 mai.

Daudet medit :

-- Vousavez fait d'étonnants progrès en langue française.Maintenantchaque mot de vous est poinçonné.

Lefatigant supplice de dire non pendant une heure à un monsieurqui voudrait vous faire dire oui.

27 mai.

La gloirelui valut d'être quelquefois invité à dînerpar des vieilles femmesincapables même de devenir enceintes.

La têtede Bernard Lazare qui remue sans cesse comme un dos d'animal frileux.

-- Cequ'on appelle le génie de Claudeldit-iln'est que del'aphasie. Il profère avec force des sons dont quelques-unssont justeset les autres inintelligibles. Il emplit nos oreilles devacarme quiçà et làa un sens. Un homme degénie doit savoir composer. Sinonmieux vaut un homme detalent.

Commeexagérationça n'est pas exagéré.

Ilfaudrait renaître une vie pour la peintureune autre pour lamusiqueetc. En trois ou quatre cents anson pourrait peut-êtrese compléter.

31 mai.

Lesocialisme au théâtrec'est comme si l'on priaitl'empereur d'Allemagneafin qu'il nous rende l'Alsacede vouloirbien assister à nos expériences de tir sur le champ deVincennes.

Si le motcul est dans une phrasele publicfût-elle sublimen'entendra que ce mot.

Que degensau sortir des Tisserandsont dit : « Etmaintenantallons souper ! » Nous voulons que la misèredes autres nous émeuve. C'est bonça fait du bien. Onse sent meilleurgranditout chose ; maisde là àdonner deux sous...

-- J'aifaimdis-tu.

Moijen'ai pas faimet ma vie ne vaut pas mieux que la tienne. Parce quetu as faimtu te crois plus intéressant que moitu tevantes.

C'est parhumilité que tu n'aimes pas les misérables. Tu net'abaisses pas jusqu'à euxmais tu les grandis jusqu'àtoi. Ensuite tu dis : « Nous sommes frères. » Maisle misérable pourrait te répondre :

-- Qu'ya-t-il de commun entre ma misère à moi et les quelquespetites difficultés que tu rencontres dans la vie ? Tut'ennuies un peu. Ta femme t'agace aujourd'hui. Le directeur de tonjournal t'a croisé sans te sourire. Tu crois que tu souffres.Mais en véritéqu'y a-t-il de commun entre toi et moi?

9 juin.

C'estgentilcette nuque découverte des femmes. Quelques-unes ontmême de petits poils dessus.

10 juin.

C'étaitun peintre original quimalgré ses succèsn'avaitjamais voulu se faire payer sa peinture plus de 0 fr. 75 l'heureprix que demande un bon ouvrier.

11 juin.

Celui-cichauveparlait de se semer du blé sur la tête.

14 juin.

Il luiinterdisait de mettre des rideaux aux fenêtresafin qu'il pûtvoir sans cesse le beau rideau de son jardin.

L'inerteégoïsme qu'on appelle campagne.

Elle mefit expliquer ce que c'est qu'une étoile filante et comprit sibien quele soirvenue la nuitelle prit son panier et s'en allapar la campagne chercher des étoiles tombées.

En arriverà causer avec les gens et à prendre des notes pendantqu'ils parlent.

15 juin.

Il ne futvraiment payé qu'à « l'article » de lamort.

Elledisait : « Je respecte les idées des autres. »Cependantsans relâcheelle poussait ses idéesdevantellechez les autrescomme les pions d'un jeu de dames.

Elle dit :

-- Chaquefois que j'éprouve une émotionça me gonfleçame gonfle ! Je crois que je vais m'envoler.

Elle dit :

-- Jeregrette de ne pas savoir faire la poésie. Je sens bienmaisje ne peux pas rendre ce que je sens. Je trouve que la campagnec'est plein de charme ; maissi on regardait toujours les étoilesle dîner ne serait jamais cuit. C'est jolides plates-bandesde fleursmais un plant de salade qui vient bienc'est utileetl'utilevoyez-vouson ne peut pas s'en dispenser.

Il étaitsi sale quequand un chien le léchaiton pouvait penser quec'était pour le nettoyer.

Ellelaisserait échapper un secret qu'elle n'a pas.

20 juin.

Heureuxdans un coin pas plus grand qu'une étoile.

Et leruisseau murmure sans cesse contre les cailloux qui voudraientl'empêcher de courir.

23 juin.

Ilsprennent ma Lanterne sourde pour un travail de serrurerie.

Et lanoire fille me dit :

-- J'aimele taureau qui frappe du pied la terre grillée.

29 juin.

Le vieuxqui retrouve dans une armoire les jouets riches avec lesquels on n'apas voulu qu'il s'amuse autrefois. Yeux tendressourire tristeilles regardeet on les lui a tant défendus quemême àson âgeil n'ose encore pas y toucher.

1erjuillet.

Bouderie :une grève de gamins.

2 juillet.

Un jeunehomme que je ne nommerai pasparce qu'il s'appelle Roguenantmedisait hier :

-- Je neconnais Virgile que par la traductionmaisj'en suis sûrvous lui ressemblezet vous avez en vous quelque chose de grec.

Et ilinsistait de façon à me prouver qu'il ne se trompaitpas.

3 juillet.

Contre ladouceurpas de résistance.

4 juillet.

FrançoisCoppée m'appelle son « cher enfant ». C'est trèsgentil de sa partmais on a l'air de deux hommes saouls.

8 juillet.

Del'utilité des marées. La mer va d'un rivage àl'autre pour boucher les trous de sable que font les enfants sur laplage.

Elle jetason bonnet par-dessus les vagues.

Sur unemer de cambouisun ciel charbonneuxsaleindigne de la Providence.

13juillet.

VictorHugo seul a parlé : le reste des hommes balbutie. Quelques-unspeuvent lui ressembler par la barbela largeur du frontles cheveuxindéracinables et casseurs de ciseauxeffroi des barbiersetla préoccupation de jouer un rôle comme grand-pèreou comme homme politique. Maissi j'ouvre un livre de Victor Hugoau hasardcar on ne saurait choisirje ne sais plus. Il est alorsune montagneune merce qu'on voudraexcepté quelque choseà quoi puissent se comparer les autres hommes.

Les petitsjeux de la plage.

La merétant hautes'avancer sur le bord de la diguebraver lavague qui s'écrase contre les pierres et rejaillit enéclaboussuresse sauver en poussant de petits cris. Si l'ons'est fait un peu mouillerC'est la gloire. Suivre de l'oeilsansen avoir l'airle manège d'un crabe qui s'enfouit dans lesable comme un enfant frileux se cache sous ses drapspuis dire d'unair dégagé :

-- Jeparie qu'il y a un crabe là.

Étonnementsympathique des baigneurs qui accourent et font cercle.

Du bout devotre cannevivementvous déterrez le crabe et le faitessauter en l'air.

--Vraimentvous avez l'air d'un observateurdit quelqu'un.

Nerépondez pas. Restez modeste.

Et si vousdonnez deux sous à un pauvre pour son tabac (vieux loup demer96 ansDieu sait ce qu'il fait)cachez-vous adroitementafinqu'on vous voie bien.

14juillet.

Location.

-- Maisvotre maison n'est pas au bord de la mer !

-- Pas aubord de la mer ! Mais on la boirait d'ici !

-- Votredernier prixma brave femme ?

-- Tenezmonsieurregardez donc ces plats au bord de l'armoire.

15juillet.

Fierd'avoir remarqué quequand une femme pètetout desuite après elle tousse.

17juillet.

Et M.Vernet expliquait la mer :

-- Nonmes enfants. Quand cette plage-ci se découvrel'autre ne secouvre pas ainsi que vous pourriez le croire. La mer se gonfle commevotre petit ventre si vous respirez fortcomme vos deux joues sivous imitez le phoque. Elle se soulève comme une soupe aulait. Elle monte vers la lune qui est au cielet vous avez la merhaute. Puis elle s'affaisses'accroupitfait le chien couchantsemet en carboulot comme vousdans vos drapsles nuits d'hiver. Etvous avez la mer basse.

Pourquoicet air d'étrangère qui vous revient à chaqueinstantfemme que j'aime le plus ? J'ai envie de vous faire un grandsalut et de vous demander : « Qui êtes-vous ? »

Comme deuxbouillottes quicontraintes de passer la journée côte àcôtese fâchent et se calment aux mêmes heures.

Le petitbonhomme auquel vous demandez : « Combien ce bouquet ? »et qui vous répond : « Cinq centimes » au lieu de« Un sou »est déjà pris de vanitélittéraire.

Tourmenterune femme et lui dire :

-- J'avaisça sur le coeur. Ne valait-il pas mieux partager ma peine avectoi ?

-- Tu n'aspas besoin de pleurer.

-- Sisi! J'en ai besoin.

-- Leslarmes ne prouvent rien.

-- J'aimemieux que tu raisonnes tout seulpendant que je pleurerai.

-- Tu esfemmedonc tu ruses.

-- Nonjet'assure !

-- Alorstu n'es pas femmeet c'est froissant pour moi.

Elles ontl'airles baigneusesde poserà petits coupsculotte dansla vague.

Sa bouchen'était plus qu'une caverne où puaient des os rangés.

Va ! Videun bon coup ton coeur où l'amour a déposé.

Imitezimitez le plus servilement que vous pourrez : je relirai bien encoreune fois Le Neveu de Rameau.

19juillet.

Elledisait : « Il ne faut pas être grand clerc de notairepour comprendre. »

20juillet.

Quand lamer monte et couvre la plagePierre dit :

-- La merm'a chipé ma place.

Incapabled'aller chez le dentisteil serait monté sur la voiture d'uncharlatanetentre la musique et la foule simiesquebravementilaurait ouvert la bouche.

22juillet.

Une bellefille avec des membres considérables.

26juillet.

Avecl'oeil désintéressé du lynx.

Son âme: une bulle d'air dans une boule de chair.

2 août.

Il me dit:

-- Ah !monsieurj'ai connu un homme rougerougepresque aussi rouge quevous !

5 août.

TristanBernard suait en souriant. Des gouttes perlaient à ses beauxpoils noirs de barbe. Heureusementnous étions arrivés.Il n'avait plus qu'à monter un petit perron de quelquesmarches. Discrètementcomme si tout à coupje m'étaissenti pris d'une vive sympathieje lui offris mon braspour l'aiderà monter. Demander à Tristan Bernard ce qu'il juge leplus extraordinaire en vélocipédieen course hippiqueen lawn-tennisetc.

-- Je nedis pas que Chevillard soit imbattable au coup de boutonmais il meséduit. Il a des retraits de corps d'une grâce imprévue.Tout son jeu est une composition de haut style. Sa phrase d'armes estpresque littéraire.

-- Vousavez souvent tiré avec lui ?

-- De mavie je n'ai touché un fleuret. Je ne me sers de l'épéeque pour tenir ma cravate. J'attends un costume rare que j'empliraicomme l'eau une éprouvette. C'est dangereuxde jouer auxcourses : on peut y perdre son argent... Pour qui me prenez-vous ? Jene joue jamais.

--Cependantvous ne courez pas ?

-- Je n'aijamais approché un cheval à plus de cent mètres.Entre eux et moiil y a toujours une palissade.

9 août.

Le beaurôle que pourrait jouer Malherbe en ce moment ! « D'unmot mis en sa place enseigna le pouvoir » Et jeter dans laboîte aux rebuts tous les autres motsqui sont flasques commedes méduses mortes.

Étudierle rôle de Malherbe et Régnier.

Uneamusante chosette à écrire.

Un toutjeune homme se sent troublé par une jeune femme etmaladroitementle montre. Le mari s'en aperçoitet prend lachose au tragi-comique. Il crible l'enfant de traits dans ce goût-ci.

Comme unétranger vient de faire à la jeune femme un complimentexcessifle mari dit à l'enfant :

-- Comment! Tu étais làet tu n'as pas défendu notrehonneur ?

Lacomplicité du mari et de la femme contre l'enfant.

Du plusloin qu'il nous voyaitil se mettait à couriret passaitcomme une ballesans s'arrêter. Ainsiil voyait madame dansun éclair et il n'était pas indiscret.

Ils'acheta une canne et se fit faire des cartes de visiteet il dit àsa mère qu'il ne voulait plus être habillé commeun collégien pauvre.

12 août.

--Monsieurvoulez-vous me permettre une légèreindiscrétion ?

-- Nonmonsieur.

Ilconnaissait la jouissance de faire la bête avec un imbécile.

18 août.

Pourquoinous lirions-nous entre jeunes.

Nousn'avons rien à apprendre les uns des autres.

Nousn'avons qu'à nous admirer de confianceet sans réserve.

Jerépétais :

--Combienvotre maison ?

Mais ellerépétait :

--Monsieur sait-il combien je l'ai louée l'année dernière?

Le rôlede quelques pères est de se vengersur leurs enfantsde cequ'ils sont embêtés à cause d'eux.

Ildésirait l'orageettout tremblant encore de la peur qu'ilavait eueil disaitle regardant s'éloigner :

-- Hein ?Est-ce embêtant. Le manquer de si peu ! Je suis sûr qu'iln'a pas passé à cent mètres.

25 août.

Il seprécipita dans l'abîmelaissantpour s'immortalisersa pantoufle sur le bord.

Maispersonne jamais ne retrouva la pantoufle.

Je fussauvécomme si une guêpe avait piqué le doigt duDestin.

Etvivementle doigt du Destin s'était retiré.

5septembre.

Tout demêmeun jourje l'ai vu passerle bonheurpasser devantmoià l'horizonen express.

Commentdire ce qu'il arrive de délicat quand une mouche éclatantese pose sur une fleur ? Les mots sont lourds et s'abattent surl'image comme des oiseaux de proie.

Je nem'embête nulle partcar je trouve quede s'embêterc'est s'insulter soi-même.

Je dis àÉloi :

--Pourquoi avez-vous écrit cela de Martel ? Je ne vous parleraiplusni ne vous saluerai.

Aussitôtvint Martelqui lui baisa la main.

Son renomn'est plus à faire : aussiil ne fait plus rien.

--Monsieurme dit le chef de bureauje vais vous envoyer mon garçon.

-- Oh ! jene voudrais pas déranger votre fils.

Démontrerqu'au fond il faut autant d'intelligence pour réussir enépicerie qu'en littérature.

Prendre unair modeste et dire : « Parbleuc'est évident ! »

Si l'onestimait sa famille on voudrait lui plaireetsi l'on voulait luiplaireon serait fichu.

Il met depetits monocles à ses oeils-de-perdrix.

Iltravaille de la tête à la manière d'un boeuf.

Un hameauoù les arbres seuls sont capables d'émotion.

Et lesnuagesle ventre gonflé de pluierampent comme de noiresaraignées sur le bois.

Rire àchaudes larmespleurer à se tordre.

Lesfeuilletons doivent être lus par petits boutsaux cabinets.

Fréquemmentil portait la main à son chapeau comme pour salueret pour mefaire croire qu'il connaissait des tas de gens.

Il eûtaimé marchercourir debout sur la merdevant quelques marinseffarés.

Il y a làdix mètres d'eauet vous pourriez perdre pied.

Du soleilcoupé par la mer il ne reste qu'une calotte de cardinalpuisqu'une rognure d'ongle rose.

Unmonsieur rouge avec une barbe de crevette.

Sa tête! On dirait qu'il la couche sur un oreiller rembourré avec dela plume d'oies du Capitole.

Il me ditquelui aussiil aime beaucoup les livreset qu'il vient mêmed'acheter un atlas de géographie.

Je jugepeu courtois ce procédé du bernard-l'ermite.

Le stylec'est le mot qu'il faut. Le reste importe peu.

Faitesbien attention de ne pas faire attention à lui.

Éloiemporta une boîte au laitpleine de lait parisienet tenta dele faire boire à un veauun vrai veaupour voir si le laitétait falsifié.

-- Nousverrons bien ! disait-il.

Enfinunpetit soleil blanc se montra. Il s'élargit comme un derrièrequi s'ouvreettoute la brume enlevée comme une chemiselevillage apparut.

Couchersde soleil ! Mais vous n'avez donc jamais vu un feu de Bengale !

M. lecomte du château. Autrefoisil y allait seul. Maintenant qu'ilest vieuxun domestique l'accompagne.

Ils'arrête au pied d'une haiedans les fleurs.

En hiveron le voit de loinà travers les ronces dégarnies.

Quand ilpleutle domestique tient sur M. le comte un parapluie ouvert. Ilreste droit près de luile nez hautles narines immobiles.

Quand M.le comte a finiil l'aide à se relever.

Iltrouvait si embêtant d'embêter les gens qu'il n'arrivaità rien.

6septembre.

-- Sij'épousais un chauvedit la jeune filleje l'embrasseraispartoutexcepté sur le crâne.

Quand onannonça à cet homme de gouvernement : « Votrefemme est morte »il demanda :

-- Est-ceofficiel ?

Il semblequ'il y ait entre nous un tas d'aiguilles. On se pique àchaque instant. Ce n'est pas douloureuxmais le sang vient tout demême.

Heureuxquand nous connaissons une famille où nous pouvons nousplaindre de notre famille.

Ayantquelques sousje me suis dit : « Si je cherche à engagner d'autresles gens me blâmerontpuisque j'en ai déjà.Etsi je me contente de ce que j'ailes gens ne me trouveront aucunmérite à faire de l'art pour l'artpuisque je n'ai pasbesoin de gagner ma vie. » Etaprès ce raisonnement unpeu durj'ai fait ce que j'ai voulu.

Il fautavoir de grosses illusions bien grasses : on a moins de peine àles nourrir.

Lasauterelle de bronze. Je la mettais sur la feuille blanche oùj'allais écrire. J'en arrivai à ne plus pouvoirtravailler sans elle. Je la voyais vivante.

Un jourelle me gêna. Elle était sous mon nez. Elle couvrait uneligne commencée. Je la piquai un peu fort avec ma plume.

Si je vousdisais qu'elle s'envolame croiriez-vous ?

11septembre.

Lasolitude où l'on peut enfin soigner son nez avec amour.

Vraimentamis BarrèsPaul AdamBernard Lazareetc.pourquoiacceptez-vous le jugement de la foule en politique quand vous nel'admettez pas en art ?

La règlepour faire les liaisonsc'est de ne pas avoir l'air d'un serin.

Pour êtreun journaliste remarquableil ne manque à Henri Fouquier quede l'esprit. Lemaitre en a toujoursBergeratquelquefoisSarceysouvent. Fouquier n'en a jamais.

Voici quependant un moisen Franceça va sentir le « russi ».

14septembre.

Hierdansla forêt de Fontainebleauj'ai croisé M. et Mme Carnot.Ils étaient en voiture. M. Carnot porta la main à sonchapeauet Mme Carnot commença de sourire. « Tiens ! »me dis-je. « Voilà des gens qui me connaissent. »Maiscomme je ne les connaissais pastrès réservéje n'ai pas répondu.

S'enfuirdans un village pour en faire le centre du monde.

Il arrivaà construire l'édifice social avec des pierres quin'étaient pas angulaires.

15septembre.

Ilsemblait dormir en écoutant les femmesmais parfois remuaitses longues oreilles de chasseur de bêtises.

Son esprittrop tendu éclata comme une peau qui pèteet l'onaurait pu voirau-dessus de sa têteun léger nuage quise dissipa dans l'air.

Serrezserrez votre porte-plume ! Le style se lâche. La phrase s'en vacomme une folle. Vous allez verser.

La seuleodeur de l'encre fait mourir mes rêves.

Il fautfeuilleter les mauvais livreséplucher les bons.

18septembre.

Pour moije pense quetravailler quand on n'a pas de géniec'estcomme si on chantait.

Petitesposes.

-- Je netravailledis-jeque tous les deux ans. Tous les deux ansc'estassez.

-- Oh !moadit Moréasje ne travaille jamais. Alors ?

Il ditencore :

--Huysmans est un philistin.

Pauvregrive nuancéeélégante et fine qu'on compare àun homme saoul !

19septembre.

Tiretraîne ton filet : tu ramèneras peut-être dedansquelques menus bonheurs.

Lescritiques ont droit à de l'indulgencequi parlent tout letemps des autres et dont on ne parle jamais.

Les dînersde La Plume sont des casse-croûte où unecinquantaine de jeunes gens réunis se paientpour cent sousla tête d'un président chaque fois renouvelé.

Ellesouffre. Elle a un petit épanchement au coeur.

Ilsécrivent pour ceux qui n'ont pas de Larousse.

Il aimaitmieux une mauvaise théorie qu'une bonne action.

20septembre.

-- Je n'aijamais d'entraindit-elle. Je symbolise l'amour qui bâille.

21septembre.

Le stylec'est ce qui fait dire au directeurd'un auteur : « Oh ! c'estbien de luiça ! »

22septembre.

Entombantelle montra son derrièreet un chien qui passait semit à hurler.

25septembre.

Commehommeaccepter tous les devoirscomme écrivains'accordertous les droitset même celui de se moquer de ses devoirs.

26septembre.

Fantecqui apprend à liredit à sa maman :

--Souffle-moitout basrien qu'un petit peu.

27septembre.

Sonambition était d'écrire dans les almanachs.

29septembre.

Oh ! onpeut lui dire que c'est un garçon ! elle est si bonne mèrequ'elle ne vérifiera pas !

Un motentenduc'est-à-dire pas naturel.

Elle n'ad'original que son odeur.

30septembre.

Un coin dumonde.

Je vis uneécurie ouverte. Il y faisait noir. Elle semblait abandonnée.La litière n'était plus en paillemais en fumier. Lavache était sortie et paissait toute seule dans les champs.

Je vis unepauvre vieille femme. Elle était assise devant sa porte.Aveugleelle ne roulait pas ses yeux blancs. On ne l'entendait pointse plaindrepas même respirer. Elle ne remuait pasetpourtant elle avait un bras qui semblait encore plus immobile que lereste de son corps.

Je vis unchat quid'un bondtraversa la rue. Je dis que c'était unchatmais je n'en suis pas bien sûrtant la chose me parutsale et chiffonnée.

Pas defumée sortant des toitspas de claquement de portes.

Je vis unlarge noyer. Le vent le faisait bouger. Parfois deux ou troisfeuillesles autres restant muetteschuchotaient entre ellesetun momentelles s'agitèrent toutes. Peut-être que cenoyer concentrait en lui seul la vie du hameauqueseulilsentaitqueseulil était capable d'un sentiment de sourdeterreur ou d'ennui.

S'il nepense guèreil pense plus que les hommes.

Dur pourluidur pour les autresparfois il s'échappait. Il suivaitl'enterrement d'un inconnu pour avoir le droit de pleurer.

Il avaitfait peindreau fond de son tubdes herbesdes feuilles mortesdes branches casséespour se donner l'illusion de se baigner« dans l'onde pure d'un ruisseau. »

--J'éprouve cette impression sans pouvoir l'analyser.

-- Alorsne m'en parlez plus. Ce serait du remplissage. Traiter le mêmesujet jusqu'à ce qu'il donne une fortune.

Tu asl'air d'une poule qui dirait : « Tiens ! Je crois tout de mêmeque j'ai pondu ! »

4 octobre.

Vous nevous préoccupez que d'être sincère. Mais netrouvez-vous pas un peu fausse et mensongère cette constanterecherche de la sincérité ?

Siàvotre gréje n'ai pas encore assez de talentsupposez que jesois mortet tout à coup votre estime et mon talent seront aupair.

Il fautfaire d'abord volontairementavec plaisirce qu'on fait. Lerésultat importe peu. On ne le prévoit paset onl'apprécie mal. Mais l'auteur s'est satisfait lui-même :c'est toujours ça.

5 octobre.

Il s'esttoujours encombré d'inutiles amitiés.

7 octobre.

Dans lesvélodromes de provinceils chronométraient les recordsavec leur pouls. On vendait un cheval : il monta jusqu'à 200000 francs. Quand on prononça ce chiffre fantastiquelechevalcomme pris de fiertéleva la tête.

9 octobre.

Schwobdepassage à Épinalet en officierfait appeler Descavesà la caserne. Et il le voit boutonnant sa vesteet inquietcarà cause de son livre et de sa dégradationlessous-offs ne font que lui marcher sur les pieds. Et il gémitet s'écrie :

-- Je medemande toujours en vertu de quel règlement on m'a dégradé.Etaujourd'huije suis de piquet d'incendieet on m'a nomméinstructeurde sorte que j'ai les inconvénients du grade sansen avoir les bénéfices.

-- Etc'était bien amusantme dit Schwob.

Dèsson entréeil donnait un coup de canne sec sur la tapisseried'un fauteuil pour voir si les gens étaient propres et si lapoussière n'allait pas s'envoler.

Verlaineappelle « corriger des épreuves »barrer desvirguleschercher les puces de sa copie.

10octobre.

Hier soirSchwob et moinous étions désespérésetj'ai cruun momentque nous allions nous envoler par la fenêtrecomme deux chauves-souris.

Nous nepouvons faire ni du romanni du journalisme. Le succès quenous méritonsnous l'avons eu. Est-ce que nous allonsrecommencer éternellement de l'avoir ? Les éloges quinous faisaient plaisir maintenant nous laissent froids. On nousdirait « Voici de l'argent : retirez-vous trois ans quelquepart pour écrire un chef-d'oeuvreet vous êtes sûrsde l'écriresi vous voulez » : nous ne le voudrionspas. Alors quoi ? Est-ce que nous piétinerons jusqu'àquatre-vingts ans ?

Nosparoles nous donnaient une sorte de fièvre noire.

Schwob seleva et dit qu'il voulait s'en aller.

Il ditaussi quece qu'il y a de plus rare au mondec'est la bonté.

-- Cherdirecteurdit-ilsi vous hésitez encore à prendre macopiesupposez un instant que je sois mort.

Schwobraconte :

-- UnjourHenri Monnierinvité à un enterrementarrive enretardentre dans la chambre du mort déserteetmettant sesgantsdemande à un domestique : « Alorsil n'y a plusd'espoir ? »

Et cetautre mot :

Un hommequi suit un enterrement demande à un autre monsieur :

-- «Savez-vous qui est mort ? »

-- «Je ne sais pas. Je crois que c'est celui qui est dans la premièrevoiture. »

Fairequelque chose avec le mot de Demerson me frappant sur l'épauleà minuitaprès cinq jours d'absence illégaleau moment ou il allait être déclaré déserteur.

-- Est-cequ'on s'est aperçu de mon absence ?

D'Esparbès:

-- Je suisfort moi ! J'ai des bicepsmoi ! Je suis une brutemoi ! Je ne suispas intelligentmoi ! Mais j'ai de l'instinctmoietmoisans lesavoirje fais tout de même de belles choses.

-- Quefait Louis de Robert ?

Docquois :

-- Depuisqu'il cherche à ne plus vous imiteril ne fait rien de bon.En attendantil met du persil autour d'une douzaine de nouvellespour faire un livre : Un tendre.

Les seinsque je vous vois n'empliront point ma bouche.

12octobre.

Ilss'embrassaient comme deux coqs.

Ilsavaient vu leurs deux papas faire de grands gestesparler avec deséclats de voixdevenir rougesen un mot : discuter.

Quand lespapas furent partisles deux enfants se battirent jusqu'au sang«pour imiter papa ».

Pourtantje rencontrai un monsieuraussi triste que moisi triste quedanscette rue où il y avait foulecomme deux égarésen pleine campagnenous nous saluâmes.

Un fagotde devant les bouteilles.

14octobre.

Oh !critiqueje comprends très bien votre critique. Vous savezentre nousmoije ne me plais pas toujoursnon plus.

Un jolimot tombé de la bouche de Courteline :

-- Ne vousamertumez pasRenard.

A quoi bondire : « Il a » ou « Il n'a pas de talent ? »Quoi qu'on diseil n'y a pas de preuves.

Maiscomme tout de suite on s'entendet comme la conversation devientintéressanteet comme bientôt on s'animedèsqueau lieu de traiter seulement de l'arton traite de l'argentqu'il rapporte !

L'unraconte que Zola gagne 400 000 francs par anet qu'un journal lui aoffert 10 000 francs par article hebdomadaireet que Daudet doitenrageret que Vandéremdressé par Capusest entrain de gagner ce qu'il veut.

Comme toutcela est clair et captivant !

15octobre.

Aujourd'huiquand on a une situation régulièreon gêne toutle monde. Et les gens qui ont des maîtresses ne nous saluentpas.

Poil decarottelibre drame.

Premieracte : il s'en va.

Eugénie:

-- Maisje suis heureuse. Poil de carottefais-tu ta prière ?

Poil decarotte :

-- Non.

Eugénie:

-- Moijela fais. Je fais la dînetteetc.etc. Et je suis heureuse.

Poil decarotte :

-- Quelest le plus important pour toide la dînette ou de la prière?

Le premieracte se passe dans la cour. Mme Lepic paraît sur l'escalier :

--Qu'est-ce que j'entends ?

-- Mamanc'est Poil de carotte qui veut s'en aller.

-- Qu'ils'en aille !

Sesparents s'éloignent. Il dit : « Zut pour eux ! Me voilàlibre. Je m'en vais ! Je m'en vais ! »

Deuxièmeacte.

Poil decarottegrisérencontre des gamins.

-- Je suislibre ! Je suis libre !

On veut lesuivre.

-- Non !Ne venez pas avec moi. Vous n'êtes pas libresvous !

Ilrencontre un paysan qui veut le remmener chez sa mèreunmendiant qui lui refuse la moitié de son painun chien quiveut le mordre. Il rencontre son père.

-- J'aimemieux le chien.

M. Lepic :

-- Bravehommeavez-vous vu mon enfant ?

Le paysan:

-- VotreenfantMonsieur Lepic ? Vous l'avez donc perdu ? Nonil doit sepromener par là...

17octobre.

-- Jecrois quevoulant faire un chapeautu n'as réussi qu'unabat-jour. A présentmets-le sur la lampesur le verre de lalampe. Il me semble que je jugerai mieux de l'effet.

Unevieille bonne femme disait dans la rue :
« Oh ! maisl'Espagne ne vaut pas la Russie ! »

19octobre.

L'hommedisait : « Ton mari est un maquereau ettoiune sale vache. »Et il poussait la porte qui cédait un peu. Et l'on voyait lafemme qui se cramponnait etderrière elleune têtepâle et un marteau qui se levaitprêt à s'abattresi la porte cédait.

26octobre.

Goncourtet Pottecher passent ensemble une saison à Vichy. Quand ils sequittentGoncourtpar peur de l'ennuieffroi de la solitudeembrasse son jeune ami et pleure.

Dèsque Pottecher suppose que Goncourt est revenu à Parisil vale voir. Il trouve un homme de marbreveiné de rougequi metlongtemps à fondrequi ne redevient qu'au dessert l'homme deVichy.

Fantec :

--Maintenant que je suis grandon va me prendre pour un journaliste.

Faire unvolume avec des contes de plus en plus courtset intituler çaLe Laminoir.

27octobre.

-- Unacteureau me dit qu'il devait jouer un rôle dans une piècede...mais qu'il aurait fallu coucher avec luiet qu'au premierattouchement de ce monsieur il lui aurait montré qu'il n'étaitpas de ces gens-làlui !

Queltalent il faut pour écrire dans un journal !

1°Prendre garde de glisser sur les épluchures et graillons del'escalier qui monte au bureau de rédaction.

2°Plaire au garçon.

1ernovembre.

Comme untaureau qui s'en irait frapperde ses cornesle soleil rouge.

S'il yavait une Parque qui coupait le fil des joursil y en avait une quifaisait les reprises.

3novembre.

Cesmorceaux de glace que nos pères appelaient des «peintures voluptueuses ».

-- Enfintout de mêmen'est-ce pas ? Tout de même.

-- Ouioui ! Tout de même.

4novembre.

Engénéralrien de plus insipide que les conversationsdes voyageurs. Ils ont changé de placenon d'idées.

De tempsen tempsil glissait adroitement dans la conversation une idéeque les autres développaient.

Goncourtse plaint des temps.

--Maintenantil faudrait faire un chef-d'oeuvre par an pour qu'on nevous oublie pas. Aussije vais me décider à republierencore de mon Journalmais pas ce qui me concernece quiserait si intéressant. Venez donc me voir le dimanche. Çame fera grand plaisir.

Nous nousquittons etcomme nous allons du même côténouspassons chacun sur notre trottoiretpour ne pas nous rencontrerj'attends que le maîtrequi ne va pas viteprenne lesdevants. Il y a du marbreaujourd'huientre les vieux et lesjeunes.

Vu Schollentouré de petits chiens gros comme des souris. Cordelièrerouge. I| passe son temps à se lever et s'asseoir pour leurouvrir et fermer la porte. Parle d'escrime et démontreprendune colichemarde et enseigne le coup infaillibleun roulement decontre de quartele bras étendu en marchantest trèsfier d'un livre que lui envoie je ne sais quel comte de Dinodescendant de Talleyrand Périgord.

6novembre.

Ellepleurait tellement qu'on l'eût pu croire affligée.

Commentpouvez-vousvous qui êtes si distinguéêtre sicommun ?

-- Je suisfichudit le mécanicien.

Et ils'assit.

Il savaitsa généalogieconnaissait ses aïeux sur le boutdu doigtmais il n'était pas sûr de son père.Arrivé là :

-- Ah !disait-ilje ne réponds plus de rien.

7novembre.

Ollendorffme dit :

-- Nousreprendrons L'Écornifleur. Quand il a parul'éducationdu public n'était pas encore faite.

ÉdouardCadoldécoréun peu sinistrese plaint que Daudettrès gentil avant la guerre de 70ne le salue plus quedistraitement. Alorssi ça l'ennuiecet homme n'est-ce pas ?Comment ! Son fils écrit aussi ? Maisalorsla femme de sonfils écrira bientôt !

-- Vous nevous en doutez peut-être pasdit-ilmais j'ai étéun momenttrèstrès intelligent ; etsi la vie nem'avait pas prisj'aurais pu faire quelque chose.

Sa douleurme faisait pitiéquand tout à coup elle leva les brasen l'air et s'écria :

-- Je suismaudite !

Jeredevins froid.

Dans unnuage qui avait la forme d'un coeurun peu d'azur parutquisemblait une petite fleur bleue.

Poilpotou le Panorama fait homme.

Ilfaudrait avoir toujours le cerveau pur comme l'air par un tempsfroid.

Le soleilroi des chrysanthèmes.

8novembre.

Si vieuxqu'il ne sort de sa bouche que des mots qui ont l'air historique.

Fortune neme brusque pas trop. Prends-moi par la douceur. De toutes petitesleçons me corrigent. Je comprends les demi-reproches àdemi-mot. Ne t'acharne jamaisva. Garde tes meilleurs coups pour lesasséner sur des têtes plus dures que la mienne.

11novembre.

Ettandisque Tailhade lançait ses plaisanteries desséchéessur la famille Daudetsur Sarceysur les Russeset donnaitsansrisquedes preuves de bravourele chevelu Roinard criait : «Sales bourgeois ! »le pâle Carrèrenotre jeuneet intéressant tribuncriait : « Peuple ivre ! »etmanoeuvrant sa main comme une nageoireinvitait l'univers aucalme. Et l'on disait : « Voilà de l'artau moins !...»

Le mot de« liberté » enthousiasmait tous ces esclaves quicriaient : « Vive l'anarchie ! Vive le socialisme ! Vivel'élite !... » (quelle élite ? Sans doute lanôtrecelle des spectateurs)et dont pas un n'eût étécapableen sortantde passer sans un frisson poli devant un sergentde ville.

M.Tailhade ne saura jamais la vérité sur la valeur de sesconférences ; car les élogieux ne le loueront sansdoute que par peuret les critiques ne le blâmeront que paresprit de vengeance. Et puisce contempteur des médiocritésprésentes qui trouve qu'Armand Silvestre est un grandécrivainqui lui dédie ses livreset qui se met soussa protection ! Il n'est vraiment pas assez seul pour jouer cerôle.

Bernardtient cette anecdote de Heredia.

Au momentde se marierBergerat dit à Gautier :

-- Voussavez que je suis un enfant naturel.

-- Noussommes tous plus ou moins des enfants naturels.

-- Je doisvous avouer aussi que ma mère vit maritalement avec un prêtre.

-- Avecqui de plus honorable voudriez-vous qu'elle vécût ?

-- Je nesauverais jamais quelqu'undis-je. J'aurais trop peur qu'on me donneune médaille de sauvetage.

-- Moidit Tristan Bernardj'ai vuune foisune femme dans les pattesd'un cheval. Je n'ai pu que crier et me sauver dans une pissotière.

12novembre.

Bernard àun corbillard :

-- Cocherêtes-vous libre ?

13novembre.

Le langagedes fleurs qui parlent patois.

L'écriturede Courtelinede ses manuscrits : il semble écrire avec despâtes d'Italie.

Enfins'il parvenait à travaillerla montagne de sa paresseaccouchait d'une souris.

14novembre.

-- Je saisbien que j'ai l'air ridicule en disant celamais...

-- Ne ledites pas

-- Je necomprends pas qu'on collabore.

-- Avecd'autres que vous.

L'emprunt.

-- Combienvoulez-vous ?

-- Centfrancs me suffiraient.

-- Jepeuxsans vous gênervous prêter davantage.

-- Jen'osais pasmaispuisque vous m'y encouragezje vous demanderaideux cents francs. Ouideux cents francs me suffiront.

-- Vousêtes extraordinaire.

-- Moidit Courtelinej'ai encore la veine d'avoir toute ma famille ; maismes parents sont comme des bustes sur une planche. Un jourils vonttous me tomber sur la tête : ça sera effroyable.

17novembre.

Il y avaitlà quatre hommes sinistres qui parlaient de ThéophileGautier comme s'ils l'avaient tout à l'heure assassiné.

M. ÉdouardMontagneun homme saur en bois gelé. En le voyantj'ai eufroid dans le dos. J'ai pensé tout de suite à maretraite.

Lemonsieur qui veut raconter une histoire. On ne l'écoute pas.On parle. Quand on se taitil dit : « Et alorsn'est-ce pas ?» Déjàl'on ne l'écoute pluset celadure jusqu'à ce qu'il renonce à raconter son histoirese taise pour de bon et se prenne la tête dans les mains. Onécoute les histoires des autres.

21novembre.

Ilarrêtait une femme dans la rue et lui demandait :

-- Et toicombien de fois as-tu trompé ton mari ?

Ilrecevait beaucoup de visites d'amis parce qu'il aurait pu mettre àsa fenêtre un écriteau portant ces mots : « Ici onlit le Larousse. »

Malnourristous mes projets sont morts de faim.

22novembre.

Le dueldes deux distraits.

Comme ilsne s'étaient pas vus depuis longtemps et qu'ils avaient déjàoublié pourquoi ils allaient se battredès qu'ilss'aperçurent ils coururent l'un à l'autresedemandèrent de leurs nouvellesse serrèrent la mainetplantant là les témoinsils s'éloignèrentà pas lentsen causantet disparurent dans le bois.

L'estomacdélabréelle « goûte » seulementetne prend jamais rien qu'entre ses repas.

Un jouril épousa une idéepauvremais bonnequi le renditheureux toute sa vie. Et ils n'eurent pas plus le sou à leursnoces d'or qu'à leurs noces d'argent.

-- Nepensez-vous pascomme moique la politique est une chose admirable?

-- Ouimonsieur. Je partage votre avis : c'est une chose écoeurante.

Le visagede l'ivrogne comme gravé à l'eau-de-vie.

Je neréfléchis pas : je regarde et laisse les choses metoucher les yeux.

23novembre.

Coolus meraconte cette artiste idée de Mallarmé. Une petitefilletoute petitea un parapluietout petit. Arrive un omnibus àquatre chevauxgros comme un monstre. La petite fille lèveson petit parapluieet le monstre s'arrête.

Un mot devieille femme sur le pas de sa porteau crépuscule.

-- Maisvous n'y voyez plusma vieille !

-- Jetricote au son de mes doigts.

Il y acertains services qu'on a l'air de vous demander et qu'il faut biense garder de rendre.

Barrèsce soirétait très en forme... de canne à becde corbeau.

C'est bienassez d'avoir du talentsans s'occuper de le faire valoir.

--Etes-vous musicien ?

-- Je nesuis pas musicienmais j'aime beaucoup la musique.

-- Pardon! Permettez : si vous aimez la musique vous êtes musicien.

-- Ah ! Çadépend de ce que vous voulez dire.

-- Oh !C'est tout dépendu.

26novembre.

Il avaitdes manchettes en forme de faux-cols. Il ne lui restait qu'àleur mettre une cravate.

27novembre.

Les faitssont là.

-- Non !Ils sont iciprès de moipour moi.

Barrèsce jonc coupant.

28novembre.

-- Lemonsieur qui vous demande la permission de vous faire une critique dedétailparce qu'il est de la partie.

Si je luiconfie un secrettout de suite elle a dans la langue un poissonfrétillant.

Je faismon possible pour avoir l'air de l'écouteret je crois yréussir.

-- Ah !dit-il soudainje vois bien que je vous embêteavec meshistoires.

L'orage dela femme que j'aimeun orage le visage empourpré. Je courbaisle dos. Le vent soufflait des fines coquilles de son nez. Des narineselle pleura. Ses bras gesticulaient comme les branches d'un arbresecoué par la tempête. Sa voix grondait comme untonnerre de Guignol. Puisun à uns'éteignirentjusqu'au dernierles regards de ses yeux comme de silencieux éclairsde chaleur.

Petitesinterviews littéraires :

-- Oui.Pour me résumerc'est en talent le dernier des dernierscequi ne m'empêche pas d'avoir pour lui beaucoup d'estime etd'affection

1erdécembre.

Lanouvelle génération est venuecomme une seicheécarter son encre noire sur le bleu de la mer.

ChezDaudet. Bon sourirepresque expansion Je note des visages. Rosnyn'est déjà plus le puissant cerveau de naguère.Les hommes du jour sont BarrèsSchwobLéon Daudet etmoi. Hier encoreLéon Daudet disait : « Renard est leplus parfait artiste que je connaisse. » Daudet ajoute :

-- Lescomparaisons ne disent rien. Il faut pourtant que je vous compare àLa Bruyère. Ouivous êtes La Bruyère moderne. Ah! le jour où vous recevrez le coup de couteau dans le coeurvous ferez un beau livre. Barrès est séduisantmaisquel dommage qu'il meure à chaque instantcomme ces poissonsqui ouvrent la bouche sur l'eau et suffoquent tandis que leur ventres'illumine de reflets changeants ! Moije n'ai jamais eu le souci defaire de l'art.

ChezMendès. Le maître en chasuble a tout à fait grandair. Meilleur causeur que Daudet. Pas d'espritmais de l'éloquence.Il doit toujours échapper. Parfoisd'un mot brefpoint secil remet en place les gens et les choses. Frousse aux hommesfascination sur les femmes. Quelque chose du Juif qui aime sesenfants plus que sa femme ; continuation de l'espèce. Parle deGautier avec admiration : écrit mal et voit justedonne leverbe et l'épithète exacts dans une syntaxe souventmaladroite. Il dit de Maupassant qu'il avait un peu la force deGautierde Banville : un homme d'esprit qui faisait assez mal unvers facilede Coppée : un poëte médiocreensommemais de plus de métierpeut-êtreque Hugolui-même. Baudelairedébarquant de voyageun jourcouchait chez Mendès et faisait le compte de ce qu'il avaitgagné dans sa viequelque quinze mille francs.

A ceproposMendès dit que l'oeuvre de Gautier rapporte de cinq àsix mille francs de rentes à sa veuve ; et il s'extasieet iladmire un tel pays où un hommemis à l'écarttous ces derniers tempspeut se vendre à ce point et êtregoûté d'inconnus dans la foule.

Il trouvequemalgré les apparencesil y a plus de cohésionaujourd'hui qu'autrefois : ce n'était alors que mirage ; onétait plus paresseux ; on se faisait connaître plusdifficilement et l'on gagnait moins d'argent.

-- Pourmoidit-ilje ne me pardonnerais pas d'empêcher un jeuned'arriverAh ! les jeunes ! Des symbolistes qui font du reportage.Moréasun du Bartas sans talentHenri de Régnierunhomme de valeuret c'est tout. Saint-Pol-RouxrienPierreQuillardun gentil garçonpas plus...


Il selève et va travaillerc'est-à-dire récrire lesépreuves que L'Écho de Paris lui envoie. Ilquitte sa belle chasuble et écrit en chemisetout déculottéavec une lampe et deux bougies...

Fantaisie: un homme mourant qui ne s'occupe que de... la fin du monde.

2décembre.

-- Hier àl'Odéon. Marivaux et ses phrases pures comme du cristaletses jolis drames d'amour qui sont comme des torrents emprisonnés.Coppée reniflant çà et là sa gloire endisant : « Croyez-moi qu'ils m'ont mis au foyer un Passanttout nu ! »

3décembre.

-- PourForain. La femme dans son lit tourne la tête. L'hommes'habille.

-- Maisces bretelles-là ne sont pas à moi !

4décembre.

Des motsqui sont comme les boutons de chaleur de l'esprit.

Qu'onlui dise ce qui manque à
Son déjeunerquand Poilde ca-
-rotteaprès l'oeuf à la coquea
Unverre de vin de Coca !

Si jequitte Tristan Bernardje me dis :

« Ilfaut faire des ballades pour Le Figarode l'espritgagner del'argentetc. » Si je vous quitteSchwobj'ai envie derentrer en moi comme dans un trou. Mon esprit malléable sefaçonne à tous les pouces.

-- Necraignez rien. A peine avons-nous le dos tourné que vous vousdélivrez de Bernard et de moiet quemêmevous nousdonnez à chacun un coup de pied.

-- SelonGourmontme dit Schwobvous devriez intituler ce que vous donnez àLa Revue blanche : Scalps de puces.

Comment !Je donnerais ma place à une vieille femme quinon contente demonter sur la plate-forme d'un omnibusdevrait être morte !

6décembre.

L'arbrequisa branche tenduesemble me dire : « Je t'ordonne. »

7décembre.

L'hommedur qui fait une action héroïque. Il achète duraisin et des mandarines pour les porter à une malade. Cheminfaisantil se dit : « Quelle joie elle aura ! Venant de moices fruits seront des fruits d'or. » Il monte les escalierssonneet c'est l'amant qui vient lui ouvrir. L'amant pleurepleureruisselle de larmes. Il ne dit rien. L'homme dur devine. Sans dire unmotil s'en varemportant sa boîte de fruits. (Pressentiment.L'amie de Schwob mourait dans la nuit du 7et la dépêchede Schwob se croisait avec ma botte.)

Chaquefois que je viens de parler un peu trop longtemps à quelqu'unje suis comme un homme qui s'est grisé et quitout honteuxne sait où se fourrer.

Il causecomme un cheval piaffeavec beaucoup de fringancesansavancer.

Vous avezbeaucoup plus de talent que moimais j'ai plus que vous le sens dece qu'il faut et de ce qu'il ne faut pas faire.

Chacunsait que celui qui dit : « Moije ne suis qu'un hommed'affaires » se fait rouler par celui qui dit : « Oh !moije n'entends rien aux affaires. »

Raidecomme un I enceint.

Lerégiment parlementaire.

Romantaillé en pleine chair vive.

C'estencore devant la mort que nous nous sentons le plus livresques.

D'ici làil aura coulé bien des larmes sous tes arcades.

9décembre.

-- LeSuisse avec sa chaîne de sûreté.

11décembre.

Etlebout de son ongle piquant la table comme un bec d'oison :

-- Et çam'est arrivéà moi ! dit-il.

-- Ah !tant pis ! Vous gâtez tout.

14décembre

Saint-Pol-Rouxme dit :

-- SiRenard ! Vous êtes magnifique. Nous sommes tous magnifiques.Jules Renard et Saint Pol-Rouxau fond c'est la même chose. ;Vous faites en comique ce que je fais en tragique. Il y a dix ansj'ai écrit Les Pompiers de villageque vous pourriezsigner aujourd'huiles mêmes curiosités de phraseslalutte du concret et de l'abstrait. Nous partons d'un point communpour nous diriger dans deux sens absolument opposés. N'est-cepas votre avis ? N'avez-vous pas vous-même remarqué ça?

Il arriveà Fantecqui se gantede mettre deux doigts dans la mêmecabine.

Lareprésentation nationale est interdite.

-- Quandtu me déshabillesmamandit Fantectu retournes mes habitsen les tirant. On dirait que tu dépouilles un petit lièvre.

15décembre.

Sur lesobjets gris mon âme triste porte son ombre.

Papa neregarde pas la personne à laquelle il parle : il en regardeune autreet le sang monte et descend dans les veines de son frontcomme le mercure d'une colonne.

16décembre.

Laisserchaque chose inachevée afin de pouvoir la recopierplus tardavec intérêt et goût.

Des rosescomme des noeuds de foulard blanc.

Il sedestine à la domesticité.

17décembre.

Sous unchêneje me sens druide.

18décembre.

-- Quandje ne suis pas contentje me dis : « Ça va bien. J'aide l'énergie à déployerde l'action sur laplanche. »

Pour êtreheureux comme un roiil suffit de mener une vie simple commebonjour.

L'oiseauentra dans le buisson comme un bonbon peint dans une bouche barbue.

Le voyagedu regard de mon pèrequi se pose d'abord sur le sol etparpetits déplacementsmonte sur mes genouxgrimpe à mapoitrine-- celui de l'oeil droittandis que le gauche est enretard-- et se confond enfin avec le mien dans une union gênantepour nous deux. Son regard n'est fixe que quand il est en colèreet ses prunelles remuent alors comme deux prunelles au fond d'un nid.

19décembre.

Lemalheureux que l'on console de la perte d'un être cher. Il vade maison à maisondînecouche. Il pleure partoutetdès qu'il craint qu'on ne le laisse seulc'est comme si lamorte mourait encore.

--Qu'est-ce que vous faites ?

-- Je faisle titre d'un roman.

Un poëteinspiréc'est un poëte qui fait des vers faux.

Pièceen un acte. Sur la fin de sa vieil lui fait un aveu. Un jourunejeune femmequi voulait des enfantss'est jetée à soncou. Il l'a prise « sur ton litbonne mère ». Ilne l'a jamais dit. Depuisil a donné à sa femmegloirefortunebonheurmais toujours ce petit nuage qui venait onne sait d'où et ne voulait pas s'en aller. Enfin il avoue.

-- Tu nem'en veux pas

-- Nondit-elle ; carmoi aussi...

Et elleinvente un adultère. Sa douleur à lui.

-- J'aimentidit-elle. Ce n'est pas vrai. Mais j'ai voulu te montrer commetu m'as fait mal sur le moment. Je me suis vengée un peuetvite. C'est fini. Rions.

Mais ilsétaient si vieux qu'ils ne pouvaient plus que sourire.

Couchéssur le dosnous choisissions deux nuages et nous jouions àcelui des deux nuages qui dépasserait l'autre.

21décembre.

Son nez al'air plus vieux que le reste de sa figure.

22décembre.

-- Ah ! jecrains de devenir fou quelque jour.

-- Veux-tute taire ! Tu es fou ?

-- Tu vois: déjà !

Quatre-vingtsans ! Eh ! bienvrailes dieux ne t'aiment pas beaucoup.

Quand jene suis pas content de mon styleje lis une page de celui de JulesSimon.

La loupecette faiseuse de croquemitaines.

Larécompense des grands hommesc'est quelongtemps aprèsleur morton n'est pas bien sûr qu'ils soient morts.

Seulesonavarice lui restait. Elle parcourut le village etde porte en portetâcha de vendre la corde avec laquelle elle devait se pendre.

La mertoute ridée a pris son air de vieille.

Je memoque de savoir beaucoup de choses : je veux savoir des choses quej'aime.

Le nuaged'où tombent des fils d'eau comme du mufle d'un boeuf quiboit.

Ce livrenon mis dans le commerceparce qu'il ne se vendrait pas.

Ces volsd'oies qui s'abattenten criantperdant leurs plumesbattant desailes et les pattes allongéessur Poil de Carottetout oie.

Ilsavaientl'un et l'autretellement l'habitude de perdre queun jouroù ils jouèrent ensembleils perdirent tous les deux.

Tellementinsensible qu'elle cousait son doigt à l'étoffe.

-- Et cespetites lignes-làest-ce qu'elles comptent ? - Lesquelles ?

--Celle-cipar exemple. vraiment ?

-- Ouielle compte.

Le paysanalla chercher une plumeun encrier qui ressemblait à un petitpot de cigareet il écrivit péniblementdans un coindu journalen lettres enfantinesle mot vraiment.

-- Alorsdit-ilse redressantcomme çamoirien qu'à écrireçaj'aurais déjà gagné cinq sous ?

-- Ouirépondis-je.

Il ne ditrienet me regarda dans le blanc des yeux. Dans son attitude il yavait de l'étonnementde l'envieet de la colère.

26décembre.

A la find'une longue discussionnous arrivâmes à conclure qu'aufond il n'y a rien de plus particulier qu'une idée générale.

Le Christn'est plus qu'un sujet littéraire à la mode.



1894

1erjanvier.

L'ironieest surtout un jeu d'esprit. L'humour serait plutôt un jeu ducoeurun jeu de sensibilité.

Il achassé le naturel : le naturel n'est pas revenu.

3 janvier.

Il disaitaux guêpes qui l'agaçaient :

--Allez-vous en butiner.

Faire ledoux anarchiste du détail. Il refuserait d'aller dînerdans le monde en cravate blanchede complimenter une jeune fille quichante au pianoetc. Avant de s'affranchir de toute loiilcommencerait par s'affranchir des usages.

Mettrepar l'absurdel'anarchiste au pied du mur.

Faireenquelques pagespour l'amitiéce que j'ai fait pour l'amouren un volumeL'Écornifleur. Mettre les choses aupoint.

HenryCéard. Quarante-deux ans avoués. Attardé àla psychologie. Très ferré sur L'Écornifleurdont il se rappelle surtout les lampions et la partie de promenade enmer.

-- VousRenardme dit-ilvous êtes un monsieur constamment préoccupéde ne pas accepter pour douze sous des pièces de dix sous.

Les doigtsqui ont des fourmis plein la tête.

A chaqueinstant la vie passe à côté de son sujet. Il fautrefaire tout ce qu'elle faitrécrire tout ce qu'elle crée.

-- Quefaites-vous en ce moment ?

-- Montestamentdit Goncourt.

La couleurglacée du froid.

Triste àvoir comme un être cher qui s'enfonce dans le brouillard.

Respirerune bonne bouffée de servitude et de respect.

Lesfeuilles bruissent comme un jupon empesé.

Soyeztranquilles ! Nous qui avons peur de la mortnous mettrons toutenotre coquetterie à bien mourir. Auprès de ces dames ila remplacé un Russe qui n'en pouvait plus.

Est-ilveinardle soleilde se coucher déjà !

Fantecvoudrait avoircomme un cocher de fiacreune voiture oùmettre des personnes « dedans ».

Sesouvenant que les clous doivent crever pour qu'on soit guériet sa maman ayant mal à un oeilil lui dit :

-- Nepleure pasvamaman ! Ton oeil crèvera demain.

Un coup desifflet avait raison contre mille mains battantes.

La têteglacée. Ses pensées s'arrêtent dans son foulard.

Vivre etjuger sa vie : quel est l'homme capable des deux ?

Des pattesde mouche estropiée.

Ilembrassait la jeune institutrice sur les yeux frais de son lorgnon.

4 janvier.

InstitutionRigal. -- Le portier et ses gâteauxses choux à lacrème ; mais le plus beau chou était sa têtefrisée qu'il secouait avec fureur quand on voulait se servirsoi-même. Poil de Carotte et ses trois brioches : il étouffait.Il prenait le portier en horreur. Un jouril apprit que celui-civenait de mourir d'un abcès dans la gorge : chacun son tour.Il s'imagina que le destin le vengeait. -- Madame Alexandre.L'infirmerie. Les orages : M. Rigalen robe de chambretraverse lesdortoirs. A chaque éclair on distinguait ses brandebourgs. Unenfant poussa un criles autres disparaissaient sous leurs draps. Letonnerre était tombé sur l'hospice ; et cette croixétait-ce un paratonnerre ?

Ma têteest comme une basse-cour. Quand j'appelle les idées poulespour leur donner du graince sont les idées canesoies oudindesqui accourent.

Il n'y apas d'amis : il y a des moments d'amitié.

5 janvier.

La belledamequi traînait avec peine sa robe de veloursdemandait untyrand'une voix de nez mourante.

8 janvier.

-- Carenfinvous êtes aussi un peu artistedans votre genrepuisque vous êtes journalisteme dit M. D...ingénieur-constructeur de maisons démontables etportatives.

9 janvier.

Dèsque je commence un rêveje le vois déjàirréalisableet tout de même ça m'amusetristement de l'achever.

Je croisen vousje vous croisj'te crois.

Il mefaudrait une maison de campagne avec une salle des dépêches.

Commequelqu'un qui ayant une mouche dans l'oreille ou elle ferait un bruitépouvantabledemanderait aux autres : « Entendez-vous ?» et serait tout étonné s'ils lui disaient qu'ilsn'entendent rien.

10janvier.

Ilrenvoyait les cartes de visite en mettant : « Vu et approuvé.»

11janvier.

La pluiefaisait dans les gouttières le bruit de quelqu'un qui mâchedu caoutchouc.

Desregards comme des éclairs de chaleur.

Une languecomme cette huître qu'on appelle pied-de-cheval.

C'étaitun homme méthodique : il déjeunait en mâchant ducôté droitet dînait en mâchant du côtégauche.

Elledemanda si à Chitry-les-Mines il n'y avait pas une succursalede La Société Générale.

Mon cherMoréascelui qui brise les vers les paie.

Le chevals'emportant et caracolantla locomotive eut peur et dérailla.

Il ouvraitl'oeil à se déchirer les paupières.

A sapièceon lui serra la main comme pour l'enterrement d'un êtrecher.

-- Papadit Fanteccomment elles fontles montrespour marcher la nuitquand elles ne voient pas clair ?

Pourquoivous obstinez-vous à vouloir vivre à Parischèredemoiselle ? Vous feriez si bien dans un bordel de province !

Il se faitun sang d'encre.

12janvier.

Les genssont étonnants : ils veulent qu'on s'intéresse àeux !

Ilconsentait à manger très mal au restaurant parce que lepatron le connaissait très bientout en l'appelant toujoursd'un faux nomautre que le sien.

Notesjetées à la hâte sur le papier : dégraissagedu cerveau.

-- Fantectu es trop grandmaintenantpour coucher avec ta mère.

-- Mais jesuis moins grand que toipapa !

Oh ! faireson voyage de noces tout seul !

Baïe.Elle n'a jamais voulu tirer son cheval que par la queue. Quand iltombeelle ne le ramasse paset trépigne de colère.Sans doutepour elleun cheval doit savoir se relever tout seul.

Il y atrop de petits os dans ce lièvre : on a l'air de manger sesdents.

-- Il afait un article sur vous.

-- Y ena-t-il long ?

La bonnedans sa cuisinefait beaucoup de tapage en remuant ses casserolespour couvrir le bruit du monsieur dérangéàcôtédans les cabinets.

13janvier.

B...pourvoir s'il est bon à marieressayant quinze jours de collageavec une pauvre petite femme qui voudrait le retenir ; maisplein descrupulesil s'éloigne... ou reste.

15janvier.

Que nefait-ellede temps en tempsbrûler dans son coeur du papierd'Arménie !

Comme cesgrands châteaux dont on ne voit qu'un peu de fumée.

Se pousserdans le monde avec une charrue devant soi.

-- Ilrecherche trop la simplicité.

--Qu'est-ce que ça faits'il la trouve ?

D'Esparbèsofficier d'Académiese demandait l'autre jouravec une sorted'épouvante d'illuminéce que Goethe et Napoléonse sont dit dans leur entrevue de Weimar.

D'abordils se sont dit bonjourpuis :

-- Je suisbien heureux de vous connaître.

-- Leplaisir est partagé.

-- Vousfaites un beau bruit dans le monde.

-- Il y acomme partoutdes braves gens dans l'armée. Et vous nouspréparez quelque chose ?

-- Oui...une machine... en vers ou en prose.

Puisil ya gros à parier qu'ils se sont dit :

-- Auplaisir de vous revoir.

Le copainqui vous fait une visite parce qu'il a lu votre nom dans lesjournaux.

On lereçoit froidementmais il est exubérantet il dit :

-- Terappelles-tu la pile que je t'ai flanquée un jour ?

A Madame :

-- Si vousaviez vu !... Il me mordaitrageait et hurlait !

A moi :

-- Tiensvoilà comment je t'ai pris.

Et il faitvoir sur l'enfant. Il simule la lutte.

--Absolument comme ça ! Tu ne m'en veux pas ? Ah ! pour la têtetu es un malinmaispar exemplepour le corpstu n'as jamais étéqu'un freluquet. Tout le monde te tombait dessus. Ah ! t'en as reçumon vieuxdes tripotées !

L'imbécile! Il va rester à déjeuner. Et je l'invite àdéjeuner ! Et il passera la journée !

17janvier.

On selèvefrileuxavec un sourire énigmatique etpersistant. Nous n'aimons de façon sentimentale que les femmesde nos rêvesde nos sommeilscelles qui déposent dansnotre coeur une petite fleur bleue qui vit encore une heureunematinée après notre réveil.

18janvier.

Poète? Non. Je n'ai de ma vie touché une lyre.

Poèteil lui eut fallu une tour Eiffel en ivoire.

19janvier.

Espritfaciledescendez en nous !

Il n'écritpas : il grossoie.

En cetinstantsi je frappais sur mon coeuril rendrait un son argentin.

20janvier.

Elle nelisait que les livres qu'elle prenait au cabinet de lectureensuivant le catalogue par lettre alphabétiqueet elle n'avaitpas encore pu sortir d'Amédée Achard.

La plusfranche cordialité cessa de régner.

Fanteccherchant la clef qui fait marcher les vrais chemins de fer.

22janvier.

Comme unmonsieur faisait la cour à deux dames qui avaient des dentsfausses :

-- Ouidit Veber : il voudrait manger à deux râteliers.

-- Je necomprends le vers que sans lyrismedit Docquois.

23janvier.

Ma placeau soleil : ce rayon est à moi.

24janvier.

Lesecrétaire de Daudet a vuun jourune boule rouge qui «marchait » sur la routequi a passé devant luil'arenversé sans le toucheret est allé tuer un peuplierqu'elle a cassé comme une allumette. Il n'a pu ensuite que semettre au litaprès avoir télégraphié àDaudet : « Impossible venir dîner vu boule rouge mecouche. »

Ilmontrait le bout de son oreille à son oeil de derrièrela tête.

25Janvier.

Et puisil y a la mort. Vous ne songez donc jamais à la mortet quenous allons tous pourrir ?

Il paraîtque Barrès n'aime pas du tout la littérature de Schwob.

-- C'estla haine des gens maigres contre les gens grasdit Lorrain.

Ilfaudraiten effetdistinguer le fantastique précisanalytiquegéométriquejustifiéde Poedufantastique de ceux qui imitent ce qu'il y a en lui de moins bondecette terreur qui consiste (Lorrain) à voir des pieds nus sousles portesdes rideaux écartés par une mainet desmains de femme franchement coupées sur le marchepied d'unwagonet à voir (Schwob) des gens dans un brouillard deLondresqui collent aux visages des passants un masque de poixetles étouffent presqueet les traînentce qui fait direaux autres passants : « Voilà encore un homme saoul ! »Le fantastique qui n'est que le rêve d'une imaginationdérégléepas dégraisséen'a riende commun avec le fantastique de Poe. La vie peut se passer delogiquela littératurepas.

--Monsieur n'est pas là.

--Dites-moi qu'il n'est pas làmais dites-lui tout de mêmeque je suis iciet que je veux lui parler.

26janvier.

Si tupouvais voir sur ce jardin la couleur dont le teint mon esprit !

D'Esparbèsest un garçon qu'on embête avec Renan.

Les hommessentent leurs vices Marzac pue l'envie. Le fiel lui brûle lapeauet sa poignée de main suinte.

On m'avaitdit qu'il y adans les journauxdes littérateurs devaissellesorte de cuisiniers spécialement chargés defaire des saletés aux hommes de talentde rayer un mot deleur manuscrit ou d'en ajouter unde supprimerde recoudre. On mel'avait ditmais je ne voulais pas le croire.

27janvier.

Je ne vaisdans le monde que quand j'ai envie de ne pas m'amuser.

Prononcervingt-cinq aphorismes par jour et ajouter à chacun d'eux : «Tout est là. »

Il passeson temps à chercher des gens du même avis que lui.

Caresse :une calotte de velours.

Ses piedslaissaient des empreintes de petits violons.

En dormantsur son bras elle s'est mis des écrouelles à la joue.

TristanBernard : une petite tête d'enfant chaude comme une pomme deterre en robe de chambre.

Ce ne sontpas les rentes qui nous manquent : c'est l'argent de poche.

Noussommes amis comme çamais commencez le premier ! Dites-moiécrivez sur moi quelque chose de désagréableetvous verrez comme je vous répondraiet quelle bonne haineréciproque couvait chacun de nous deux.

30janvier.

Ce qui medonne le plus de fièvrec'est encore de feuilleter unindicateur de chemins de fer.

1erfévrier.

Elle sefaisait quotidiennement servir le thé dans un cercle defigures de cire.

Mommsen adit : « Les Français sont très honnêtes »rapporte Schwob. « Quand je donnais un sou de pourboire auxcochersils me rendaient mon sou avec toute sorte d'injures. »

Il nediscutait pas. Il disait seulement d'un petit ton sec : «J'aime ça... Je n'aime pas ça. »

2 février.

Lamélancolie soudaine de celui à qui l'on dit : «Vous savez que je pars en voyage ? »

Aujourd'huiles hommes de lettres prennent copie de leurs lettres afin que lapostérité puisse sans trop de mal réunir leurcorrespondance.

Le cielest plein d'yeux sanglants. Le ciella plus belle queue de paon dumonde.

3 février.

Vraicette pièce d'Hauptmann m'a ému. Je sens quelque choselàdans le gros intestin.

Un ami deSchwob vient lui emprunter La Seconde Vie de Michel Tessier.

-- Prenezdit Schwobmais à la condition que vous ne le rapporterezjamais.

4 février.

Lesenfants devraient être des apparitions facultatives.

Ilmarchait sans bruitcomme un poisson.

Il n'avaitbesoin que de deux amis et d'un ennemijuste ce qu'il faut pour sebattre en duel.

QuandFantec me revit au bout de quinze joursil me dit que j'avaisgrandi.

Le filtélégraphique de son lorgnon sur la porcelaine de sonoreille.

Lesarticles qu'on faità la sortie des théâtressur le pavé gras et qu'on ne publie jamais.

Les centfrancs que je lui ai prêtésil les avait déjàdépensés en démarches pour me les emprunter.

VoyageNice du 4 au 19.

Seul lemarchand de programmes avait un petit banc qu'il portait sous sonbras en toute propriété ; et il l'offrait à unedamele plaçait sous ses piedsattendait un peuet lereprenait si on ne lui donnait pas tout de suite un pourboire.

Il avaitun rôle où il devait roter pendant cinq actes.

Affiches :dents à créditpayables 5 francs par mois. Dents poursoiréespayables d'avance et garanties saines.

Le boutonde culotte du chanteur. Il brillait comme une épingle decravate mal placée. Un musicien lui fit signe. Il fit un grandsalutaperçut son boutonrougithurla. La salle riait. Ondut baisser le rideau.

La diseuseimpeccable aux bras de charbonnière.

Goûtéune banane pour la première fois de ma vie. Je nerecommencerai pasjusqu'au purgatoire.

Bienmangerbien dormiraller où l'on veutrester ou l'on seplaîtne jamais se plaindreetsurtoutéviter commela peste « les principaux monuments de la ville ».

Pour deuxsousil voyait encore d'autres paysages étrangers dans leskaléidoscopes des gares.

Çasent le pays pour tous.

Voyagerdoucementcomme un poisson mort.

Ellepressa les yeux de la langouste pour lui faire battre de la queue.

Un teintd'une telle sensibilité qu'il change avec les nuagescomme lamer.

Vous tenezà moià mon coeurcomme un coquillage au rocher.

Il y a uncertain plaisir d'orgueilleux à se laisser voler par cesgens-là.

J'envoyaiune dépêche. Ils attendirent jusqu'à dix heures.L'unique garçon s'était mis en habitet la bonne enbonnet blanc.

Les grandscuirassés rouges au soleil comme des tuileries sur la mer.

Toulon. Degrands mouchoirs à carreaux pendent aux arbres. On y voit laplace de Victor Hugo et son petit-fils.

20février.

Lesmauvais pas.

Cédersa place à une dame dans un omnibus. Et quelquefois elles vousreçoivent si mal !

-- Mercimonsieur. Je ne suis pas fatiguée.

-- Je vousen priemadame.

-- Nonmonsieur. J'aime mieux rester debout pour prendre l'air et regarderla campagne.

On serassiedpenaud comme quelqu'un qui s'est levé avant d'êtrearrivé et quand ce n'était pas son tourcomme un bonpetit élève qui veut à toute force récitersa leçon qu'il sait si bien et auquel le maître d'écoledit sèchement : « Asseyez-vous ! »

La vieillequi tâtonne avec son bâton au bord du trottoir et regardede droite et de gauche. Tant pisj'y vais ! Mais elle me souritmecomplimente : avec les jeunesil y a toujours de la ressource. Ellevoudrait faire la causette. Si elle ne se dépêche pasje la lâcheje la fais écraser. Elle me remercieposeses doigts sur ma manche. Qui est-ce qui lui demande quelque chose ?

Et je mesauverougehonteux de ma bonne action ridicule.

J'aime àlire comme une poule boiten relevant fréquemment la têtepour faire couler.

Vu LouisGanderax. Décorégrossatisfaitun Marcel Prévostavec moins de cheveuxplus de barbeet des lunettes.

-- Si vousavez une idéeveneznous en causerons.

--Voulez-vous des fantaisies ?

-- Oh ! maclientèlequije croissera surtout étrangèren'aime ni l'espritni l'ironie. Que de Françaisd'ailleurssont étrangers ! Ainsile vieux Buloz...

Suit unehistoire interminablequi prouve que Buloz ne comprenait rien àl'ironie.

-- Alorsdis-jepourquoi m'avez-vous fait venir ? Vous voulez faireconcurrence à La Revue des Deux Mondes en étantune autre Revue des Deux Mondes ?

22février.

Je t'aimecomme cette phrase que j'ai faite en rêveet que je ne peuxplus retrouver.

-- Ouidit Schwob. J'ai reçu une invitation pour la représentationd'Une journée parlementaire de la part du Figaro.Mais j'ai répondu qu'à mon grand regret il me seraitimpossible d'y aller. Et je suis sûr d'être le seul àavoir fait ça. Et je suis très content de moi. Jetrouve honteuse la réclame que se fait Barrès. C'est uncrime de faire une pièce avec Baïhaut. Qu'il fasse doncune pièce avec lui-même ! Ce sera encore plus ignobleetau moinsce ne sera pas lâche.

Je peuxdire quegrâce à Poil de carottej'aurai doubléma vie.

Aujourd'huitrente anset je sens mourir tout autour de moi des flots demélancolie.

Un de mesprofesseurs de rhétoriqueM. Royme disait : « Vouspasserez par l'École Normale et vous ferez tout de suite de lalittérature. Maisje vous en supplien'écrivez pasavant d'avoir trente ans. » Je les aiet quatre ou cinq livresderrière moi. Sais-je mieux ou moins bien écrire que sije n'avais jamais écrit ?

Quand tuécris une lettrepense quesous le sceau du secretellesera communiquée à tout le monde.

-- Lesmots qui ont la poussière du voyagedit Tristan Bernard.

Et toicher amies-tu bien ? N'as-tu plus à souffrir des voisinsfrivolesetsi tu vérifies mon amitiéne vois-tu pastrop clairet qu'il s'y mêlait de l'envie avec un peud'hostilité taquine ? Comme c'est douxde se rappeler qu'on avécu dans l'intimité de ceux qui sont morts !

Trente ans! Etmaintenantje suis sûr de ne pas échapper àla mort.

Parfoisce que j'écris me semble de la littérature de furet.

23février.

Avec lesidées qu'il épouse Barrès ne fait jamais que desmariages de convenance.

Si vouspensez du bien de moiil faut le dire le plus vite possibleparcequevous savezça se passera.

24février.

-- Je mesuis interrogésondédit Bernotet je me suisrépondu quedepuis l'âge de dix ansje n'avais penséqu'à la littérature. Dernièrement encoreun amime disait : « Comment ! Toitu es marchand de vins en gros ?Maismon pauvre garçonil faut lâcher ça toutde suite ! Tu ne feras rien dans le vin » Alorsj'ai vendu monfondset me voilà prêt à l'épreuve. Jen'ai pas besoin de gagner de l'argent tout de suite. J'ai gardéune petite affaire qui me permettra de vivre. J'ai vingt-sept ans.J'ai fait des tas de vers et de prose. De quel côtévas-tu me lancer ?

26février.

-- Axelouic'est beau ; mais une cathédrale aussic'est beauetpourtantsi l'on vous jouait une cathédrale !... Et cedocteur Janus avec ses bottesqui avait l'air de l'égoutierde la science !... « Corps splendide »« cielradieux »avouez qu'il ne s'est pas foulé pour trouverces adjectifs.

Etd'autres admiraientparce qu'ils avaient peur de paraîtreridicules.

Enfinelle avait fini. Nous poussâmes un gros soupird'applaudissement.

27février.

Ce quin'est pas du théâtre m'ennuiemais ce qui est duthéâtre m'ennuie aussi.

28février.

Antichambrede Flammarion. -- Une petite femme brunesècheparle aupetit employé qui ne sait que lui répondre.

Elle afaithierl'essai de son titre sur des bourgeoisdes artistes etdes hommes du monde. Ils faisaient une tête ! « Je nebois que de l'eau à chaque repasun demi-verre d'eau oùil avait mis une goutte de vin blanc pour lui donner du goût. »

Paul Adamlui fera un article. Elle n'aura pour elle ni Le FigaroniL'Écho de Parisni Le Gaulois_. Mendès voulaitla pousser dans un café pour lui faire boire des liqueursfortes. « Il est très gentil avec moimais il ne peutpas me souffrir. Nous nous disons poliment des choses désagréables.Je suis peut-être bêtemais j'ai peur des bombes. Jemourrais bien tout de suitemaisavoir un bras casséunoeil crevénonje n'y tiens pas. »

1er mars.

Direz-vousqu'il est idéalistecelui qui parle de temps en temps desétoiles du firmament et lit Flammarion dans le train ?

Je trouvecette jacinthe admirable. Elle n'a pas besoin d'amour. Elle ne senourrit que d'eau fraîche. Carenfinsi l'on te mettait commeelle dans un pottu n'irais pas loin.

Et lessauterelles qu'on décapiteet quisans perdre la têtepour si peud'un coup d'ailes s'envolent par la fenêtre !

Le docteurprit la tête. Il sentait tomber sur sa cuisse des gouttes desang chaud. Il lui tira l'oreille et lui souffla sur les yeux. Il luipinça le nezmais Vaillant ne répondit pas. Pâleet déjà froidil avait vraiment perdu la tête.

Les tuerd'abordet les forcer d'avouer ensuite.

Onentendait remuer encorer les oies couchées.

Ellesbavardaient de la gorge. Elles soulevaient un peu leurs ailes pourles refermer commodément. Elles s'installaient comme des damesqui se serrent en froufroutant autour du conteur qui va leur dire unehistoire.

Et luiquand il les tenaitil avait la coquetterie de leur demander :

-- Faut-ilcontinuermesdames ?

Le froiddésordre de Gustave Doré.

2 mars.

Gênécomme quelqu'un qui fait trop de bruit dans un vase.

Il y a lebavardage insignifiantet le bavardage pompeux qui signifie moinsencore.

-- Il nepeut y avoir que deux jeunes revuesdit Pierre Louÿs : celle dela rive droiteet celle de la rive gaucheVerlaine d'un côtéMallarmé de l'autre.

-- Faguetest « enthousiasmé » de Bonne DameditEstaunié.

Jeantet medit :

-- Nousvous paierons comme les poëtescarenfinc'est un peu desversce que vous faites. Faire un livre sur Chitry et direparexemple : « Ce cochonje l'ai vuje le connais et j'ai mis macanne dans l'anneau de sa queue. Nous avons ensemble d'excellentesrelations. »

Régnierme demande trop d'attention. Je lis péniblement ses contesdurs. Encores'il était mort !

Une grossefemme dont l'amour pesant l'aplatissait comme un calepin.

-- Ons'efforce de faire du Christ un hommedit Bosdeveix. On s'efforce defaire de Napoléon un dieu.

Jet'aimeraile temps de voir dans ce grain de beauté uneverrue.

3 mars.

Pour quele chef-d'oeuvre vienne à vousau moins faites-lui un signe.

L'ombred'un arbre mort.

5 mars.

Il met dela haine ou de l'amour en bouteille de Leyde.

Une grandeoreille où il pouvait aisément se servir de son poucecomme auriculaire.

Nul n'aurade talent hors nousmoins mes amis.

Hiernousétions quelques-uns réunis chez Vallette pour faireduMercureune société anonyme par actions. Etnous étions honteux de notre ignoranceet nous tâchionsde la dissimuler par des attitudes des hochements de têted'hommes d'affaireset nous nous taisions prudemmentet celui quiparlait par hasard roulait dans sa bouche endolorie des motstechniques qui lui faisaient mal comme des aphtes.

6 mars.

Schwob vavers la mortetlui partije reprends vite mes soucis journaliersma vie puérile.

Barrèssoutient avec des procédés d'enfant une autoritéqui l'embarrasse.

A mon hôte:

-- J'airedemandé de ton platnon parce que je l'aimaismais parpolitesseet pour t'empêcher de t'apercevoir que je nel'aimais pas.

Je seraisanarchiste si j'étais malheureux. Mais je n'ai pas à meplaindre.

-- Commentpourrais-je être à la fois anarchiste et satisfait ?

Un paysanc'est un tronc d'arbre qui se déplace.

Sachezécouter. Malheur à celui quisans la ramasserlaissetomber une parole d'or de la bouche d'autrui.

-- Nous nevoyons jamais un paysage que comme une toile de fonddit Willette.

La fatiguede nouer jusqu'au bout ses cordons de souliers.

Ne peut-onpas dîner chez les gens et ne leur trouver aucun talent ?

De cegrand corpsil ne sortait que la voix de sa femme.

La vie estarrangée pour qu'à chaque instant le plus faible soitle plus fortet que le plus bête ait le plus d'esprit.

9 mars.

Je n'airien oublié d'elleque sa mort.

10 mars.

Pour bienarriveril faut d'abord arriver soi-même puisque les autresn'arrivent pas.

Son genred'esprit : il ne faut pas abusermême des pires choses.

Commetoute comparaison originale doit forcémentà la longuese banalisern'en jamais faire.

12 mars.

Lecritique de livres ne lit plus que sa critiqueque lui rédigeson secrétaire.

-- J'ai laprétentiondit Courtelined'être l'homme de France quia le plus de bon sens.

14 mars.

Songe-t-onà jalouser M. Bertin qui lit des vers au petit laitdans lemonde bureaucratiquele jour de réception du sous-chef ?

Vraimentaussiil trouve que cet arbre a trop l'air en bois.

15 mars.

Notre viec'était comme un lac d'amitié traversé par uncourant d'amour.

16 mars.

Le soleilne s'est pas levé aujourd'hui. Il a sucé un peu deneige et s'est recouchébien affaibli.

Lire unepage de ce livre et le poserpour ne plus le reprendre.

17 mars.

Lire unlivre du bout du pouce.

PierreSales raconte à Collache mon élection. Devantl'hostilité de quelques vieux membresZola dit : «Messieurssi nous ne sommes pas sûrs de faire passer M. JulesRenardil faut remettre l'électioncar la Sociétédes gens de Lettres se rendrait ridicule. » Et M. EdmondThiaudière ajouta : « Je viens seulement de lire un deses livres : c'est plein de chefs-d'oeuvre. »

Il ne fautpas avoir trop faim pour bien mangercardès qu'on se met àtableon n'a plus faim. De même il ne faut pas se sentir troppassionné quand on veut écrire.

20 mars.

D'une raced'escargots plus sensibles et dont les cornes ne sortent jamais.

Un goûtsi mauvais que c'est encore du goût.

Chiromancie.Quand on a l'index plus court que l'annulaireon préfèrela gloire à l'argent ; maissi l'on se suce l'index de façonà l'allongeron a tout de même des chances de devenirriche. Un doigt effilé est signe d'imagination : sucez doncvotre doigt avec opiniâtreté. Un doigt carré estsigne de raison : écrasez-vous donc le pouceet nul n'oseravous contredireetc.etc.

Graphologie: mettez les points sur les iet votre esprit deviendra net.Paraphez en coup de sabreet vous n'aurez pas peur.

La gloired'hier ne compte plus ; celle d'aujourd'hui est trop fadeet je nedésire que celle de demain.

21 mars.

Vous devezfaire dans ce journal des choses très bienmais précisément.Je ne lis pas ce journal.

On se meten colère contre les vieuxmais je vois très bien quedans deux ou trois annéesje ne pourrai plus lire un livre dejeune.

22 mars.

Qui diraqui peindra les étranges choses que je vois !

L'orgueilde direquand tout va mal : « Ça va bien. »

24 mars.

Vu hierAnatole France. Il me parle de L'Écornifleurqu'ilaime beaucoupbeaucoup. C'est toujours un plaisir que d'entendre lesgens vous louer mal. Je lui demande pourquoi il m'a appelé «le plus sincère des naturalistes ».

--J'entends par naturalistedit-ilqui aime la nature.

Tout vabien. D'ailleursça n'a pas d'importance. Il aura l'occasionde reparler de moi et se rattraperacomme les autres.

Je lui dis:

-- Monprocédé est très simple. Je m'intéresse àce que je faiset je tâche d'y intéresser les autres.

Et Franceavec sa tête vissée se retournait du côtéde Veberet disait :

-- C'esttrès bience qu'il dit là. C'est très bien.

PierreVeber. Il ne parle pasmaisavec l'élancement d'une jeunechèvreil broute une branche.

-- J'aibeaucoup de volontédit-il.

Poil deCarotte. Ce frisson dont il tremble à l'approche du ridicule.

Mot defemme : « Elle est joliemais elle le sait trop. »

25 mars.

Ensuiteils mangèrent un plat de gravier où il y avait quelqueslentilles.

Il écrità vol d'oiseau.

Du talenttu en as assez. Maintenantperfectionne un peu ta morale.

-- Ilcourtil courtle furet !

-- Pourquelle maison ?

28 mars.

Penserc'est chercher des clairières dans une forêt.

29 mars.

Mon cherdirecteurvous avez tort de ne pas prendre aujourd'hui ma copie.Elle est bonne. Je la soigne. Avec elle je veux me faire un nom. Jemanque d'habileté pour tromper les autreset d'indifférencepour me tromper moi-même. Prenez-lacarplus tardvous me lapaierez très cherquand elle ne vaudra plus rien.

Ce soircommander le bouillon de pouletandis que l'invité n'y estpas : lui laisser les plats mensongers et les filets plus fauxencore.

-- Oh ! Jen'ai pas de jourmais je reste un jour par semaine à lamaison pour coudreet pour permettre à mes amies de venir mevoir.

Ce n'estpas difficiled'être exquis de temps en temps ; mais l'êtretout sa vie !...

Lesrevenants de Salis font entendreau lieu d'un bruit de chaînesun bruit de verres cassés.

Willettequi a l'air d'un oiseau élevé par des serpentsdit :

-- Unpaysan est un accident de terrain.

Et safemme lui dit :

-- Tu boistrop d'absinthePierrot.

-- Vouscroyez tous ces racontars ? dit Verlaine. Je ne me saoulemonsieurque pour soigner ma réputationdont je suis l'esclave. Je neme saoule que quand je vais dans le monde.

Palmierarbre absalonienaux cheveux de poëte idéaliste.

Je seraiun petit enfantet il faudra bien me soignerme dorloterme coupermon bonheur dans une assietteme l'écarter sur ma tartine.

Notreamitié ne pouvait pas durer : nous nous sommes trop vides l'unl'autre.

C'est lepremier jour de l'annéeetgrand Dieu Seigneur ! ce n'estsûrement pas le dernier.

Meréserver dans le Mercure cinq ou six pages oùsous le titre du Grand Saint Éloije ferai un peu ceque fait « le Chasseur de chevelures »où jedirai sous l'anonymat des choses énormes.

Le mot queBarrès écrit le plusc'est « émotion »; maisce qu'il a le moinsc'est l'émotion.

A l'affûtj'attends tout ce qui me passera par la tête.

PaulHervieu : « Bon ! » dis-je. « Voilàencore... » Et déjàivre de « vingince »j'ai pris Diogène le Chienetl'ayant luje ne mesuis pas envoyé dire : « Imbécile ! »

31 mars.

Les gensqui veulent suivre des règles m'amusentcar il n'y a dans lavie que de l'exceptionnel.

Un jardind'une vingtaine de mètres qu'il avait fait enclore de murspour pouvoir y chasser en tout temps.

2 avril.

Faussenouvelle de Tristan Bernard : « Les bureaux du Journalsont transformés en vastes entrepôts de vins. On acongédié tout l'ancien personnel. Seuls ont étégardés MM. Fernand XauAlexis Lauze et V...dont lesconnaissances spéciales seront très utiles à lanouvelle entreprise. »

J'aihorreur de l'originalité.

Les gensheureux n'ont pas de talent.

Il estvrai que nous ne lisons pas assez Lycurgue.

3 avril.

-- Ilss'en fichentdu théâtre ! Ce qu'ils veulentc'estfrapper sur un tambour à peau bien raide.

4 avril.

Dans lemondemultiplier son ennui par celui des autres.

-- CamilleMauclaircette pâle jeune filleaux dents de loupditHervieu.

Vandérem« faisant une exécution »refusant d'accepter lamain des trois Natanson parce qu'on a mal parlé de LaCendre à La Revue blanche.

Elle medit qu'elle lit mes ouvrages à sa fille qui a dix-huit ans etqui s'occupe beaucoup de littérature.

5 avril.

Quelques-unsMarcel Schwobpar exempleaiment les écrivains étrangersquels qu'ils soientpar goût du dépaysement. Moije medéfie d'euxpar goût de mon intérieur. Pour queje leur trouve quelque talentil faut qu'ils en aient le double.J'ai lu du Mark Twainhierpour la première fois. Cela meparaît fort inférieur à ce qu'écrit notreAllais ; et puisc'est trop long. Je ne supporte que l'indicationd'une plaisanterie. Ne nous rasez pas ! Et puisil y a latraductionce crime de gens malhonnêtes quine connaissant nil'une ni l'autre langueentreprennent avec audace de remplacer l'unepar l'autre.

Les gensqu'on connaît de vueet jamais de nom. Dans une rééditiond'A vau-l'eauHuysmans maintient une faute que Jules Lemaitrelui avait signalée : « Un grand découragement lepoigna. » Peu importe de faire des fautes de françaisquand on ne sait pas la langue ; maisquand on la saitpourquois'entêter ? Les fautes voulues n'ont pas de valeur.

6 avril.

Vallottonun air douxsimpledistinguédes cheveux plats nettementséparés par une raie bien droitedes gestes sobresdes théories peu compliquéeset je ne sais quoi detrès égoïste dans tout ce qu'il dit.

Titres :Les Tablettes d'Éloi. Les Tablettes d'argile.

La véritésort de la bouche dentelée des blanches marguerites.

7 avril.

Pourdétruire les mouchesse mettre tout nu et s'enduire de gluliquidemélangée d'un peu de miel ou saupoudréede sucreet se promener dans sa chambre. Les mouches attiréesviennent se coller sur votre peau. Vous les prenez comme vous voulez.Le procédé manque d'élégancemais il estinfaillible.

L'insupportableprocédé de Twain. Ces gens-là doivent s'exercerà pincer les lèvres avant d'écrire.

8 avril.

Sociétédes gens de lettres. -- Étonnantcomme ils savent peu parler!

M. Zola medit :

--Monsieurnous sommes très heureux d'avoir fait votreacquisition.

Il y avaitaussi un petit vieuxtombé dans un fauteuilqui cherchait àattraper un brasun pan de redingote pour se faire traînerjusqu'à l'urne. M. de Kératry distillait et vaporisaitsur Zola. A voir tous ces inconnus de figuredont le talent m'étaitencore plus inconnu que la figureje me sentais tout modeste.

Un membrequi n'est pas content (on ne gagne plus sa vie dans ce sale métier-là!)M. Marc Anfossije croiss'écries'adressant au comité:

-- Avaincre sans périlon triomphe sans gloire.

Un autreparla de l'immortel commentateur de BossuetBrunetièreet del'armée qui saurait bienencore une foischasser l'étranger.Th. Cahu a parlé de « sous-entendus formels »Ernest Daudet ne parvient pas à se faire entendre. MarcelPrévost fait une quête de voix pour Toudouzeet ondirait qu'il parle à de jolies femmes.

9 avril.

On se voittropon se voit moinson ne se voit plus.

--Pourquoi êtes-vous méchant ?

-- Parceque je n'ai pas la force d'être bon.

Nous nepouvons plus nous voirmais nous aimons encore à nous écrire.Notre amitié est devenue littéraire. Elle se sert dephrases bien faites et de sous-entendusde réticencesetc.Et on exagère : « A X.mon cher amison amireconnaissantfidèle jusqu'à la mort. » Eh !bienpuisqu'il est mortje n'ai plus besoin de lui rester fidèle.Je ne l'aime plus.

Tout lejourje me suis drogué de tristesse.

La doucemanie de l'épigraphe en latin.

10 avril.

L'hommeest un animal qui lève la tête au ciel et ne voit queles araignées du plafond.

JeanAicardun peuun peu plus qu'un Jean Rameauun Jean Rameau etquart.

Elle medit :

-- Quandil rentre d'avec ses maîtressesje le lave physiquement etmoralement. Je ne vous conte pas cela pour vous rasermonsieur maisparce que je le vois aller à vau-l'eauson talent perdu auxmains de cette fille que je n'ose nommer. Moije suis une femmepropre. J'ai dix ans de plus que luic'est malheureux. Je ne veuxpas entraver sa vie. Je le laisse libre ; maisdernièrementses parentsqui me connaissentqui savent ce que je vaux et que jetravaillecar je travaillemoimonsieurlui ont envoyé unephotographie de lui quand il était petit et lui ont dit : «Remets-ça à qui de droit. » Qui de droit c'étaitmoi. Ouimonsieur ! Ses parents m'ont donné la photographiede G... enfant.

11 avril.

AurélienScholl sort d'ici avec sa rosette d'officier moins rouge que sesyeux. Il a gagné beaucoup d'argent : une année120 000francsmais aujourd'hui il en gagne peuet il trouve que les jeunesrevues ont trop de tendances à la commandite. Il ne peut pluss'asseoir dans un fauteuil : c'est trop bas. Il lui faut une chaise.

Quand ilme quitteje lui dis de prendre garde à l'escalierqui estobscur. Il me répond d'un ton jeune qu'il n'y a pas de dangermais il descend lentement ; ses pieds tâtonnentont l'aird'écraser des choses sur chaque marche. Et il sent quelà-hautde mon palierpenché sur la cageje lesurveilleque j'ai peur d'une catastropheetpour me rassurerilchantonneou pour montrer ques'il descend ainsic'est parce qu'ille veut bien et qu'il n'est pas pressé.

12 avril.

A la Hayedit Courtelineles gens sont tellement propres quequand ils ontenvie de cracherils prennent le train pour aller cracher àla campagne.

13 avril

-- Unjournalce n'est pas beaucoup plus littéraire qu'une tabled'hôte.

14 avril.

-- Dieucelui que tout le monde connaîtde nom. Quelques photographieset une bonne loupeet je voyage suffisamment.

15 avril.

Ridiculecomme quelqu'un quide joielève une jambe et tombe sur sonderrière.

Goncourtéchafaudant sur des chenêts Louis XVavec des pincettesLouis XVIdes bûches fumeuses qui retombaient toujours.

Merkivoulut faire entrer un éléphant dans le Mercure deFrance : la queueseulene pouvait point passer.

16 avril.

Pâlecomme la blanche chicorée des caves.

17 avril.

L'ImpérieuseBonté. La phrase des Rosnytelle une personne un peu ivrequi marcherait de travers sur une route magnifique.

18 avril.

Il voyaitle moins de personnes qu'il pouvait afin de s'épargner le pluspossible l'ennui des enterrements.

Lescavernes des loges où grouille la bêtise.

Prendre lavie au sérieux burlesque.

19 avril.

Fairequelque chose sur le crédit et le débit de l'amitié.

Défie-toide ta fantaisie. Je n'aime que les gâteaux qui ont un peu legoût du pain.

Le blanccadavérique des maisons par temps d'orageet le bleu de dentsgâtées des fenêtres.

21 avril.

J'aime lapluie qui dure un jouret je ne me crois bien à la campagneque quand je suis crotté.

Vu de laVillehervélamentablele dos comme voûté par lacrainte d'autres coups de couteaula tête basseles mainsdans les pochesl'oeil tourné en dedans vers le passédu côté du crimeun assassiné impressionnantcomme un assassin.

-- Je vousai donné mon prixdonnez-moi le vôtremaintenant.

-- Monprixc'est : rien.

-- Ouvrezces placards. Regardez-moi ces matelas. (Justement la laine de l'und'eux sortaitcomme du coton d'oreilles.) Voilà une cage oùvous pourrez mettre un oiseausi vous en avez.

-- Je n'enai pas.

-- Vouspourriez en avoir.

Etre francc'est-à-dire marcher sur les pieds des autres en le faisantexprès... A combien de calottesde gros motsetc.ons'expose !

23 avril.

Je paieles duretés de coeur que j'ai eues.

Retombéen âge mûr.

24 avril.

Ouimaisquelle doit être la vie d'Allais ! Il faut qu'il garde toujoursson air abrutiqu'il se laisse taper sur le ventrequ'il écoutesans broncher les « Est-il rigoloce type-là ! »du premier venu.

L'Épousebâillonnée. Elle n'y prit jamais goût.Parfoiselle s'endormaitet il était obligé de laréveiller d'une chiquenaude sur le nez. Surtoutelle n'aimaitpas à être dérangée au milieu de sontravail. S'il voulait jouerlui parler gentimentelle se mettait àcoudre.

Tu asassez d'ennemis pour que je ne manque pas d'amis.

Ilprésentait sa femme en disant : « Mon ordinaire. »

Il voulaitqu'elle eût toutes les qualités d'une bonne grossepaysannemais il voulait aussi qu'elle fût distinguéecomme une grande dame.

D'uneépingle elle frappa deux fois le miroir pour s'y changer lesyeux en étoiles.

Des idéesà peine remuantescomme des crabes écrasés.

25 avril.

Il venaitme voir de temps en tempspas trop souventseulement pour respirerd'aigres bouffées d'amertume.

Neconfondons pas l'homme intelligent avec l'homme de talent.

Il futtoujours sentimental : la petite fleur bleue avait en lui des racinesde chêne. Les plus fortes tempêtes ont passé surelle sans l'arracher. Elle se refermait un peu pour se rouvrir toutde suitele temps calmé.

27 avril.

Le bonménage. Ce qui les amusaitc'était de voir sur lafigure des autres les ravages d'un mauvais régime. Les marisavaient encore les narines froncées par un reste de colèreet quelques femmes étaient marquéesaux jouesdetaches violettesdernières traces d'un violent orage.

Etdèsque l'enfant leur paraissait avoir encore embelliils le faisaientphotographier.

Une cabanesi petite et si pauvre que le tonnerre même ne tomberait jamaisdessus.

Il seraitfacile de noter les petits ridicules de Barrès. Aucun auteurde mon âge ne m'exaspère à ce pointou ne mefait si souvent sourire. Remarquez d'abord la manie qu'il a des'enfiévrer à tout propos. Etmalgré celauncharme mystérieuxl'invincible séduction des gensqu'on aime et à qui l'on voudrait résisterau moinspour la forme. Si je ne le connaissais pasj'avouerais la sorted'hypnotisme qu'il exerce sur moi.

Lesambitieuxles gens habilesdont la curiosité vacille commeune flamme de gaz. Ils vont dans la rue toujours flairant. Ils sont àgifler.

Unesensibilité toujours inquiètequ'il voulait tuer parun travail méthodique dont il fut d'ailleurs incapable.

Nouspassons notre vie à causer de ce mystère : notre vie.

Lapréoccupation de la mortc'est comme une nacelle d'oùl'on peut voirde hautle petit monde.

28 avril.

-- Vousconnaissez Antoine ?

-- Quiest-ce qui ne connaît pas Antoine !

-- Il estgentilce monsieur ?

-- Trèsgentil. J'ai entendu dire beaucoup de mal de luimais on dit tant dechoses !

29 avril.

Roinardfait les courses de la Révolution.

1er mai.

AMaisons-Laffitte.

Les autresdéveloppent en nous surtout le mauvais instinct de lapropriété ; il suffit d'être un instant chez euxpour vouloir aussitôt être chez soi.

Dans unemaison meubléeles globes de verre qu'on tourne du côtéoù ils ne sont pas fêlés. Le vase brisé deSully-Prudhomme lui-même n'échapperait pas àcette tricherie. Les tapisseries qui sont des Gobelinset les storesqui marcheront quand on aura donné un peu d'airet lapompe qui donne 500 litres d'eau par 24 heures et qui coule àpeu près comme un nez priset le : « D'ailleurssivous avez besoin de quelque chosevous n'aurez qu'à ledemander. »

7 mai.

Une jeunefemme :

-- C'estjolitout de mêmedes soldats en tenue de campagne. Et puisla musique les aide à avaler la poussière.

L'amour dudrapeaude la patriec'est que ce petit soldat perdu dans lesrangsqui traîne un piedet dont la figure reluit decambouisse croit regardé comme s'il était colonel àcheval.

Cettejolie idée de Saint-Pol-Roux que les arbres échangentdes oiseaux comme des paroles.

Lesoiseaux qui mâchent dans leur bec des brins de paille musicaux.

Le petitcoq qui mène toute la bande comme un marquiset ce petitchien ! Monsieurvous secoueriez votre pipe sur le mur qu'il vousentendraitet vos coups de pied ne le feraient pas reculer.

Cela faitpeur comme le vent qui soulève les vieilles tapisseries.

Il fautbien laisser refroidir sa prosecomme une crème avant d'ygoûter.

Si j'étaistrès richeje loueraispour le plus dur soir d'hiverleplus vieux des manoirset j'y liraisà la clartéd'une chandelleles aventures de d'Artagnanou cellesmoinspopulaires mais plus admirablesde Sigogne du Capitaine Fracasse.

8 mai.

-- Maismonsieursi l'orage faisait tant de victimesil y aurait déjàdans les bazars de Parisdes paratonnerres à vingt-neuf sous!

Il ne faitque cracheret pourtant il ne méprise personne : il estasthmatique.

9 mai.

Quand lemerle voit les vendangeurs entrer dans la vigneil s'étonnesurtout de les voir qui n'ont pascomme luipeur de l'épouvantail.

A Fantec :

--Comprends la vie mieux que moimoins petitementet garde toujoursta pensée à la hauteur des arbres.

Rêvede grandes choses : cela te permettra d'en faire au moins de toutespetites.

Un sommeild'enfant que ne troubleraient pas même des cris d'enfant.

11 mai.

Ceslocations meublées si douteuses qu'on y coucherait dans desjournauxet qu'on en étale partout.

J'écristout de même de gentilles lettres. Si les gens savaientilsvoudraient ne jamais me connaître que par correspondance.

Il fautque notre Journal ne soit pas seulement un bavardage comme l'est tropsouvent celui des Goncourt. Il faut qu'il nous serve à formernotre caractèreà le rectifier sans cesseà leremettre droit.

Elledonnait volontiers un sou à son pauvremais il devait nevenir qu'une fois par semaine. Avec un soun'est-ce pas ? un pauvrequand il est seulpeut bien vivre huit jours.

Il y asur ma tabledes pensées dans un verre à champagne. Cedoit être un symbole. Il faut faire la noce de temps en tempspour épurer l'intelligence.

-- Papadit Fantecest-ce vrai que le bon Dieu entend tout ?

-- OuiFantec.

-- Eh !bienil ne doit pas être sourd !

M.Rielterqui est un peintre « connu »mais qui estsurtout mon propriétaireme refuse des casseroleset je lemenace de l'huissier. Bien que ces petits ennuis me rendent maladeje les adore parce qu'ils me donnent l'illusion d'une lutte pour mavie. C'est bonde ne pas regarder à la dépense de sonénergie !

Les plushautes feuilles des arbres impalpées.

Notreamour de la campagne : un feu de paille rural.

Mon âmequi a glissé sur toutes les pentesest déchiréeet rapiécée comme un fond de vieille culotte.

Les lysnoirs des cheminées.

Et descheveux comme peuventseulsen avoir au derrière quelqueschevaux hors de service et particulièrement négligés.

14 mai.

DonQuichottec'est une fièvre chaude.

15 mai.

D'unenature confianteil voyait trop vite l'envers de tout.

Je meplainset je viens de voir un petit enfant qui a une jambe de boiset qui frappait durement la terre par rage de ne pouvoir suivre lesautres.

Inventeurde la ligne-parasol qui permet de se tenir à l'abri du soleiltout en prenant du poisson.

16 mai.

Il nesuffit pas d'être heureux : il faut encore que les autres ne lesoient pas.

Ce qui estlong et difficilec'est de se mettre en état d'espritdecréer l'atmosphère de ce qu'on va écrire.

Mon rêved'hier renaît aujourd'hui de ses cendresettout entierjebrûle d'une douce flamme. J'oublie mon corpsle monde et mesmanies : celle de gagner de l'argentet celle de friser mamoustache. Tout à coup midi sonne. Il me faut aller déjeunerm'emplir le ventrefaire la bêteetc.

Mais unsinge a grimpé dans l'arbre de ma vie
Et me fait lagrimace au plus haut de ses branches.

L'épéede Damoclès : la suspension à la mode du temps.

Il sesouvenait avec goût. Dans ce qu'il avait vu le choix se faisaittout seul. Il ne se rappelait que l'essentiel.

17 mai.

Fairequelque chose avec la peur de tuer un veauun chienun oiseauuninsecteune fleurun légumeune herbe vagueet de marchersur la terre.

Unsouvenir sur Léonide Leblanc. Comme on me présentait àelleelle dit :

-- Eneffetce n'est pas un petit jeune homme.

Etgaucheles mains sur les genouxje subissais l'examen de cettegrande cocotte à l'oreille mal faitequi voulait bien meprendre sous sa protection.

Rousseauconverse avec son âme et Goncourt plutôt avec le petitesprit de ses voisins. Jean-Jacques se sent vieuxmaisdécrépitil se préfère aux jeunes gens qui sont en bonne santé.

Lespetites bobonnes. -- Celle qui se saouleallume son feucasse lecharbon avec une bouteille d'absintheest aveuglée par lafumée et roule des yeux blancs.

Celle quidonne mes cordelières à son frère.

Celle quis'en va sans rien dire.

Malittératurec'est comme des lettres à moi-mêmeque je vous permettrais de lire.

On écrittoujours ses livres trop tôt.

Il faitcalme : mon paysage est au fond de la mer.

21 mai.

JeanLorrain :

-- Ouij'ai eu beaucoup de reconnaissance à François Coppée.J'aurais voulu le lui montrermaisquand je suis arrivé pourdéjeuneril y avait là Jean BlaizeAbel Hermant... etje n'ai pu que dire à Coppée :

-- Je nesais comment vous remercier.

Je croisqu'il m'a répondu

-- Maiscomment donc ! C'est bien le moins.

Sonarticle a illuminé la vie de ma mère. Je tenais lapauvre vieille un peu à l'écartnon de mon coeurmaisde ma pensée. Sans doute elle serait morte inquièteavec des doutes sur son fils qui aimait trop les livres. Maintenantgrâce à l'article du grand poëtede l'académiciensurtoutla voilà rayonnante pour toute sa vie.

Hieràla Société des gens de lettresMaël et Rameautous deux boiteuxmais d'une jambe différentesecomplétaient fort bien pour danser la polka piquée. Ily avait aussi une jeune confrèrejolie de loin etcoquettement mise ; maisquand on s'approchaiton étaitchoqué par son nezpointu et blanc ; on ne voyait que lui. Ilsemblait avoir été pincé dans tous les livresd'une bibliothèqueet il défendait la bouche contre lamenace du baiser.

Il y avaitde vieilles femmes qui disaient :

-- Moijene manque pas une réunion. Je considère cela comme undevoirettout ce que je faisje le fais sérieusement.

Un vieuxnoble avait des bagues vertes aux doigts et un foulard rouge autourdu cou. Alph. Labitte écartait désespérémentsur son crâne une dernière mèche de cheveux.Ernest Daudetà qui l'on ne faisait que parler de son frèrerépondait d'un ton compassé et élogieuxenregardant le plafond. Un autre demandait qu'on organisâtdetemps en temps« des petites réunions de famille ».

JeanAicard se promenaitle buste droit et l'oeil franc. Il ressemblaitau jeune frère du Maître de forgesmoins grasmoins grand que l'autremais pouvant s'écrier enfin :

-- C'estmon tour !

Ce grosparapluie que semble être un curé dans la campagne.

Fantecappelle une allée de grands arbres un tunnel vert.

Un oragecomme on n'en avait pas vu depuis plus de trente anscomme tous lesoragesenfin.

L'azur : «Je suis la grande fleur bleue. »

Lesfeuilles toutes fleuries de pluie.

Un pigeonse posa sur ma fenêtre et s'envola avec un bruit de servietteclaquante.

Une de cestêtes couleur de son qu'elle semblait avoir ramasséedans le panier de justice.

23 mai.

Elleaimait à regarder la campagne à travers des yeux quipleurent doucement.

Vraimentce petit M... que d'intelligence et de prétention : il ignorequ'il ne faut ni trop aimer Ibsenni trop mépriser Sarcey.

25 mai.

Il disaitmodestement : « Il y a en moi du Rousseau et du Voltaire. Ils'agit seulement de savoir quides deuxl'emportera. »

Mon coeurétait pour vous comme une chaudière brûlantemaisd'une main maladroitevous avez renversé la vapeur.

-- MaisouiFantecles arbres vivent.

-- Maisils ne vivent pas autant que moidit-il.

26 mai.

Si voussaviez comme je me sens bon quand je suis tout seulcomme j'aitoujours de bonnes relations avec moi !

Hiercomme je corrigeais au Figaro les épreuves de LaPromenade du chienBernard Lazare m'a tiré dans un coinet m'a dit :

--Qu'avez-vous donc fait à Périvier ? Il ne veut pas queje vous mette dans « Ceux de demain ».

-- Moi ?Rien. Pourquoi ne veut-il pas ?

-- Je lelui ai demandéet il m'a répondu : « Parce que.»

C'estvraiment curieuxcette hostilitédirait Goncourtet je mesouviens d'un incident dont j'aurais volontiers fait un accident siHuret m'y avait autorisé. Et puisje me rappelle les débutsmodestes de M. Périvier. Je considère aujourd'hui sahaute situation littéraireet je me dis : « Il suffitd'avoir du talentune bonne conduite et de l'applicationpourarriver. J'arriverai. »

Etpourcommencerje me ferme la porte du Figaro.

BernardLazare :

-- On dirace qu'on voudra ! Je n'attaque que des gens qui sont plus forts quemoi.

Rencontréhiersur le trottoirMme Bonnetain retour du Soudan. Sa joliefigure au ventles narines vibranteselle donnait le bras àune petite fille jauneexotiquement paréequ'elle a adoptéeet ramenée de là-bas. Quant à la petite filleblanchela légitimeelle marchait toute seule et suivait lecouple de sa maman et de sa soeur d'élection qui faisait seretourner les passants.

Rodenbach: « Un souvenir d'enfance remonté au fil de monâme...Les longs doigts gothiques de Mlle Moreno. » Dieu !qu'il est douxce poëte-làdirait une dame.

Samainledoux poëteouvrant de grands yeux étonnés parceque j'ai dit dans la conversation : « papa Goncourt ».

LeFrançais crible d'épigrammes surtout ce qu'il voudraitêtre : le députéet ce qu'il voudrait avoir : leruban rouge.

Bientuberculeuxà le juger par la pomme de terre de son nez !

29 mai.

Enfinmevoilà chauve. Tant mieux ! A quoi me servaient mes cheveux ?Ils n'étaient pas une parureet j'étais la proie del'être ignoblele coiffeurqui me soufflait au visage sonméprisou me caressait comme une maîtresseou metapotait la joue comme un prêtre.

-- Jeviens de me laver les mainsdit Fantec ; et elles sont si blanchesque c'est à croire qu'on vient de m'acheter.

--Qu'importe aux gens que je les méprisesi je leur fais dubien !

Levant latêteon voyait là-hautentre les plus hautes branchesdes arbrescouler une rivière de ciel.

Fantecauteurn'étudie qu'une femmemais fouille-la bienet tuconnaîtras la femme.

A lamanière dont il... se fouillait le nezje vis quel étaitson genre de talent.

Je n'aipas eu ce que je désirais tantetun peu plus tardje mesuis aperçu qu'il était heureux pour moi de n'avoir pasréalisé mon désir têtu.

Qui doncnous protège ainsi ?

Cette idéeque j'ai trente ans me navre. Toute une vie morte derrièremoi. Devantune vie opaque où je ne vois rien. Je me sensvieuxtriste comme un vieux. Ma femme me regardetout étonnéede me voir si sombre. Mon Fantec me dit : « Alors tu vieillispapa ? » Etdu dehorspersonne ne m'écritnem'adresse une preuve de sympathiene s'intéresse à malamentable aventure.

Et lesarbres tendaient la froide lune eucharistique au bout de leursbranches.

30 mai.

La vie deM. Schwob. Et nouségoïstesnous étions agacéspar cette façon de souffrir si longtemps à cause d'unemorte.

Rodenbach: une littérature de cave fraîche.

Malittérature n'est qu'une continuelle rectification de ce quej'éprouve dans la vie.

Commequelqu'un qui cherche fiévreusement dans un livre ce qu'ilfaut faire pour ranimer le noyé couché sur la rive.

Lesfeuilles clignent comme des paupièreset on voit un oeil dejour.

31 mai.

Une barberarecomme mangée par les grillons.

2 Juin.

Cela jugela critiquequ'un jeune homme de vingt ansCamille Mauclairpuisses'y montrer de première force. C'est un genre du mêmeordre que les courses à pied et le cyclisme.

4 juin.

Iln'achetait que son selson poivre et son vinaigre. Tout le resteille faisait lui-même. Il ne dépensait pas dix francs paran.

Vuhierun jeune homme de vingt ans qui en a déjà passédeux au Vénézuela. Fait prisonniera failli êtrefusillé. Il a traversé une forêtseul avec unguide qui voulait le tuer pour avoir ses bottes. Le soirla nuittombait tout à coup comme une toile noire. Il grimpait sur unarbreinstallait son hamac à sept ou huit mètres dehaut et disait à son guide : « Reste en basou je telogeau premier mouvementun pruneau dans la tête ! »Il ne dormait que d'un oeil. D'ailleursdes vampires se collaientsur sa face ; le matinelle était en sangà sonréveilet couverte de choses visqueuses.

Entre-tempsil fut piqué au genou par un trigonocéphale.Heureusement au genou ! Il pouvait sucer sa plaiela rongerlamangermanger la mort qui était làtapie dans ce coinde chair. Et son guide allumait du feuau risque de faire flamber laforêtfaisait rougir un éperon et lui brûlait saplaie. « Et » dit-il« je vous promets que çasentait le roussi ! »

Avant departiril était allé voir Elisée Reclus qui luidit : « Vous savezmoije ne suis jamais allé là.»

Pourreveniril était en retard. Le bateau partait déjà; maisau risque de tomber et d'être dévoré parles caïmansil sautaet un marin le rattrapa à bout debras.

Parlant deces pays lointainsil disait : « Là... au coin... plushaut... à gauche »comme s'il avait renseignésur une rue de Paris.

En amourdes femmes de treize ansdures comme le fermais des négressessurtoutparce que les Indiennes sont presque toutes contaminées.

Commenourrituredu riz à l'eausans sel et sans pain.

Pendantqu'il parlaitmon ennuic'était de ne pas savoirmalgréles noms qu'il citaitsi ces belles aventures se passaient enAmérique ou en Afrique. Je les distinguerai toujours mal.

Il a biendéjeunésurtout il a bien buet il fermente sur lebancau soleil.

Nouséprouvons une double joie à lire quelque chose de biensigné par un maître : la joie de lire quelque chose debienet la joie de constater que ce maître n'est pas unimbécile.

Elle avaitl'aspect vieux de certaines femmes jeunes encore.

Je vis unedate gravée sur le mur à la pointe du couteau. Je luidemandai si c'était celle de son mariageou d'une fêteou d'une naissance.

-- Nonmerépondit-elle. C'est la date du jour où nous avons menéla vache au taureau. Il y a juste six mois et demiet je ne trouvepas que son ventre soit gros comme il devrait. Je la tâtaisencore tout à l'heure.

Pourcertains paysansla couleuvre n'est qu'une anguille de haieet ilsla mangent comme l'anguille d'eau.

5 juin.

Monographiede la paresse. -- Décrire une journéeet montrer quele cerveau est comme une grosse fleur qu'il faut cultiver tout lematin pour qu'elle s'épanouisse le soir. Etcomme àParison sort surtout le soirjamais le cerveau n'y atteint àsa maturité complète. A la campagne seulement il peuts'ouvrir tout à fait. Le matinremuer des journauxdeslivresflairer les idées des autresécrire des notesdu bout de la plumechercher d'où vient le ventamener sonesprit au point où il a besoin de produire. Enfindéveloppercette méthode d'entraînementde chauffageavec desmots légersune langue ni scientifiqueni charabia.

BarrèsEncore un petit âne dans Un amateur d'âmes. C'estune rage. A ce proposrechercher l'animal préféréde chaque auteur dans ses livres. Moij'ai le lapin.

Desrognons luisant comme des marronsl'écorce enlevée.

Oùje serais bien ? Entre deux rayons d'armoiresur une couche de lingeblanc.

8 juin.

-- Moidit Léon Daudetje mets au-dessus de tout Shakespeare etDante. Victor Hugo et Goethe viennent ensuitesur la mêmelignemais en second lieu.

11 juin.

Châtrez« désopilant »et vous avez « désolant».

Ledandinement d'ours des arbres.

Commentn'est-ce pas ? le tonnerre tomberait-il sur ma maisonquand il peuttomber sur celle du voisin ?

13 juin.

Le cèdreaux cuisses rouges.

14 juin.

Jevoudrais un cabinet de travail dont la fenêtre ouvrirait surune ferme. Je verrais chauffer au soleil le café de la marese dandiner les caneset les oies dresser leurs têtes auxouïes fines comme des trous d'aiguilles. Devant les vachesrangées dans les étables et soufflant fortje medirais : « C'est nousles hommes qui devrions être àla place de ces grosses bêtes. Pourquoi d'un coup de corne auderrièrene jettent-elles pas dehors le vacher qui les traitassis sur son escabeauet qui vide leurs tétines deux pardeuxcomme s'il grimpait avec les mains le long d'une corde ? Etquand on veut les caresserelles reculent. D'ailleursle vacher n'aguère conscience de sa forcede sa supérioritéhumaine. Moi seulje m'émeusje crois comprendre etm'imagine dominer. C'est que je reviens de loinpour arriver làdans cette écurie. Et le vacher y est né. »

Etj'aurais une casquette avec ces mots en lettres d'or : Interprètede la Nature.

Tous lesanimaux parlentexcepté le perroquet qui parle.

Le pétroleallumé de ses yeux.

16 juin.

-- Ouidit-il : je l'ai échappé laide.

18 juin.

Les filstélégraphiques rayaient la lunecomme une lune àmusiqueau moment précis oùattendrij'avais enviede chanter quelque chanson qui me serait venue du coeur.

S'obstinerà comprendre une tête d'épingle.

20 juin.

Deschampignons comme des petits bancs.

Les êtresformés des objetsqui nous regardent quand nous nousréveillons. Sans doute nous regardaient-ils dormir. Dèsque nous ouvrons les yeux effarouchésils fondents'immobilisent et redeviennent choses inertes.

Un coq auxplumes flamboyantes comme un chef de Peaux-Rouges.

Lesarbresmoutons de la forêt.

22 juin.

Décidémentce qui m'empêche d'admirer Barrès comme il faudraitc'est qu'il n'a que quelques années de plus que moi.

Coppéeet Theurietdes rossignols de lettresle mot étant pris dansson double sens.

Du bout demes pieds qui dépassaient le confessionnal je frappais sur lesolparce que j'avais mal aux genoux.

-- Voyonsmonsieurdis-je. Vous êtes intelligent. Nous pouvons nouscomprendreentre hommes du monde.

Mais levieux prêtre me dit :

-- Cen'est pas tout ça ! Êtes-vous chrétienoui ounon ? Si ouirépondez-moi en chrétienet non enjournaliste.

Mourantil prononça ces mots : « C'est aujourd'hui le jour de mafête. »

RaoulPonchon disait à Mme Steinlende sa voix douce et appuyée:

-- J'avaislu L'Écornifleurmais je ne croyais pas Renard commeca. Il me plaîtoui. Ce garçon-là me plaîtpar des qualités que je lui prêtais si peu que je luicroyais plutôt les défauts contraires.

Ponchonun poëte qui doit dire : « Les femmes sont bellesleshommes sont douxle vin est bon et j'aime la vie de toute ma vie. »

--Ponchondit Courtelinehabite depuis plus de vingt-cinq ans dans lamême maison. Elle a été vendue plusieurs foisetles différents propriétaires ont toujours stipulésur l'acte de vente que Ponchon n'avait pas de loyer à payercelasans qu'il l'ait jamais demandé.

Au momentoù le condamné a la tête dans la guillotineildevrait y avoir un silence avant que le couteau tombe. Un garderépublicain sortirait des rangs et remettrait au bourreau uneenveloppe et celui-ci dirait au condamné : « C'est tagrâce ! » Et il ferait tomber le couteau.

Ainsi lecondamné mourrait dans la joie.

26 juin.

Baïevoyant couper les cheveux de Fantecdit : « Oh ! qu'il a latête sale ! » Elle prenait pour de la saleté lescheveux qui tombaient.

29 juin.

A Schwobsur Le Livre de Monelle.

-- Moncher amij'ai lu Le Livre de Monelle avec une scrupuleuseminutie. Il me semble que je suis très près de tout àfait comprendre votre artet je crois bien que je pourrais en écrireune page amusante et épluchée. Ce petit livre me paraitsi « sorti » de vous qu'à certains moments jem'imaginais tenir votre âme enfantine et changeante au boutd'une pince. Si vous mourez avant moije demanderai àprononcer votre éloge. Je me sens capable de le fairedignement.

Toutefoisles paroles de Monelle me troublent un peu. Je ne l'entendspas toujours. Elle m'échappe deux ou trois foiset je lui enveux. Je lui ai donné quelques coups de crayon d'une mainfâchée. Je tâcherai de revenir sur cetteimpression d'agacement. Une causerie avec vous m'y aidera. Je suisplus à mon aise au milieu de ses soeursqui toutes tiennentde l'oiseaude la fleur et de la petite fille que nous avons aimée.Je les admire d'autant plus quesur la finMonelle prendra encoreplaisir à se déroberà éviter ma pinceà mériter les bleus de mon crayon.

En résumévotre livre est si ténusi peu appuyéque je l'abîmeau courant de ma trop grosse plume. Ce que je vous dis plusfacilementC'est que Le Livre de Monelle m'a donné unejoie rarespécialeet qu'il m'a prisces jours-cilesmeilleures de mes heures.

30 juin.

Je suisfrancmoic'est-à-dire que je parle tout le temps d'unefranchise quemalgré mes effortsje n'arrive pas àm'approprier.

Qu'est-ceque la mâchoire d'âne de Samson au prix de la sienne ?

Un pas sivif et si menu qu'elle a sûrement plus de deux jambes.

Ilfaudrait pouvoir recommencer ses études avec son intelligencede trente ans.

Si elleétait la femme du président de la Républiqueelle voudrait tous les soirs coucher dans des draps neufs quisortiraient de l'armoire.

Lemisanthrope : le soleil ne sert qu'à faire éclore desmouches qui me sucent la chair.

1erjuillet.

Quandj'ouvre ma fenêtrele matinC'est comme si mon amie me lavaitles yeux à l'eau fraîche.

De petitsnuages blancs montent de la terre comme si on lui tondait la lainesur le dos.

Les coqsà la voix gamine ou gravejettent des commandements comme dejeunes ou de vieux chefs peaux-rouges.

Bon ! Untrain lointain.

Et la voixd'une tourterellec'est comme si la ménagère râpaitdans une casseroleavec une cuiller de boisun reste de crèmebrûléeouplutôt comme si tu ne faisais querentrer et sortir pour essayer les gonds d'une porte.

Et voilàune poule qui chante comme si elle finissait de marteler surl'enclumeà coups brefsson oeuf pondu.

Et voilàune mouche bourdonnante qui passecomme le son court sur un fil defer.

Et lestrois coups lents d'une clochesuivis de trois coups lentssuivisd'un carillon vif et léger.

Et la voixdes canardsc'est comme des cailloux qui rebondissentl'hiversurla glace des canaux.

Mais leshommes n'ont pas encore dit un mot.

Le premierqu'ils disentc'est : « Ferme la fenêtreetrecouche-toi ! »

Desabeilles se sont posées sur mes lèvres et y meurentprises à la glu.

2 juillet.

Il aime lanaturemais il ne connaîtde verdureque le vert de sesstores.

La nuitnous avons bien plus peur que les enfants.

3 Juillet.

Ah ! labonne femme que j'ai perdue ! De son tempsje pêchais au bordde la rivièretout le long ; etquand je voulais passer surl'autre bordje n'attendais pas un pont. J'entrais gaillardementdans l'eau avec mes souliersmes chaussettestenant ma ligne haute.

Je nerelevais même pas mon pantalon. Je me mouillais avec joiejusqu'au ventre.

Side tontempsje t'avais cru pas plus de raison qu'un gaminne megronderais-tu pas ? Ne te fâcherais-tu pas ?

Orde sontempsla bonne femme que j'ai perdue ne me disait rien ; etmêmeje la voyais qui souriait en détournant la tête.

Etmêmesi mon pied venait à glisserje m'asseyais un peu sur lescailloux.

Le chienconcasse sa voix de sabot. Des ciseaux de son becle corbeau déchirela solide toile de l'air.

Pourarriveril faut mettre de l'eau dans son vinjusqu'à cequ'il n'y ait plus de vin.

Pour peuqu'on tâche de se perfectionneron voit les autres rapetissercomme s'ils s'enfonçaient dans le sable.

Moidictant une lettre : « Mets donc des pointsvoyons ! »

Marinette: « Mais ouitiens ! J'en ai déjà mis unlà-haut. »

Son idéaldit Ernest Hello de la Fontainec'est le renard. Mon idéal àmoic'est La Fontaine.

Médiocreen toutexcepté en génie.

4 juillet.

Il gardaitce calme qui convient à une grande nation.

Il luiconseillait de lire chaque jour les faits divers pour se rendrecompte de son bonheur.

Lisez-moidonc quelque chose de court qui ne me fasse pas manquer le train.

A chaqueinstant son âme craquait. Elle ne lui allait pas comme un gant.

6 juillet.

-- Dieuque j'ai chaud !

-- Et moidonc !

-- Maisvous me parlez toujours de vous. Vousqu'est-ce que ça mefait ?

Unperroquetdit Veberc'est un oiseau peint par une main d'enfant.

7 juillet.

Il montrale plafond blanc de ses yeux tournés.

Que lamain qui écrit ignore toujours l'oeil qui lit !

8 juillet.

Je dis àBaïe :

-- On vamontrer ton bobo au pharmacien.

-- Il neva pas pleurer ? dit-elle.

9 juillet.

Pour elledes bottines fraîchement ciréesc'est des bottinesneuves.

Lemeilleur interviewer est celui qui dit que j'ai un oeil d'aigle etune crinière de lion.

10juillet.

Quand ellecomprit qu'elle ne verrait jamais Dieuelle se mit à pleurercomme si elle avait perdu quelqu'un.

Elledisait : « Quoi ? Qu'y a-t-il ? Vous voulez coucher avec moi ?Faites ! Depuis que j'ai vu mourir mon pauvre frèreje nerefuse rien à personne. »

Vosilluminations ? Maissimplement en me frottant les yeuxj'en faisde bien plus belles !

J'écriraiun livre qui étonnera mes amis. Je ne me croirai pas supérieuraux autrescomme Goncourt. Je ne dirai pas de mal de moi pour qu'onm'excusecomme Rousseau. Je tâcherai seulement de voir clairde faire en moi la lumière pour les autres et pour moi. J'aitrente ans. Comment ai-je vécu jusqu'ici ? Et maintenantqueferai-je ? Me laisserai-je aller ? Chercherai-je à me rendreutile ?

Je croisqueune fois qu'on m'a bien vul'on ne m'oublie plus. Je suis d'unevanité qui me stupéfiequand je la considèrel'attaque passée. Si Paris m'offrait de me couronner delaurierscomme autrefois Pétrarquepar une démonstrationofficielleje ne serais pas étonné et je saurais bienjustifier cette faveur.

J'aimeraisà gagner beaucoup d'argentpour le plaisir de direenversant sur la table l'or et les billets pliés comme desmouchoirs de poche : « Voilàpayez-vous ! »Tantôt je réclame toute justice et je donne deux souscomme un sou à mes pauvrestantôt je veuxmoi aussilutter pour mes pauvres.

Mes peurs.Ce que je ferais dans un duel. Répondre aux lettres : d'abordje veux envoyer promener les genspuis je m'en voudrais de leurfaire de la peine. Et pourquoi se créer des ennemis ? Enfinil verra comment je sais tourner une lettre.

Ouij'aime à prendre un petit air penché.

A vingtansil a déjà eu son heure de célébrité.

Quand sonchien mourutelle dit à son mari :

-- Jet'aimerais tant si tu mettais un crèpe à ton chapeaudeux doigts seulementun rien.

Il avaitun museau ridéune tête de vieille femmel'air frileuxet paralysé. D'ailleurs il vivait dans un panier qui s'enallait en lambeaux humidessous des couvertures puantes. D'ailleursj'oubliais de le dire : il est mort.

-- Oùça ? où ça ? cria-t-elle.

-- Dansson litcomme un pauvre vieil homme de chien qui n'est pas un héros.

11juillet.

Que faitl'oiseau dans la tempête ? Il ne se cramponne pas à labranche : il suit la tempête.

12juillet.

Ce quiexaspère :

-- Tiens !Nous avons eu tous deux la même idée. Dans le tempsj'ai écrit une chose comme ça.

Sa tourd'ivoirequelque arrière-boutique.

Toujourscasser la glace qui se reforme dans le cerveau. L'empêcher degeler.

Titre :L'OEil-de-boeuf.

17juillet.

L'imaginationje n'en ai pas pour un sou. Je serais incapable d'inventer unehistoire d'Épinal.

Le chocbrisa mon sommeil comme une coquille.

La lunesur un paratonnerretel un clown qui fait tourner un chapeau decouleur au bout d'une baguette.

Je citel'exemple de Pascal qui combattait ses maux de tête avec desproblèmes de géométrie.

-- Moidit Tristan Bernardje combattais la géométrie enfeignant d'avoir des maux de tête.

18juillet.

L'étépour l'aveuglec'est peut-être seulement quand bourdonnent lesmouches.

La libertéd'une presse qui fonctionne plutôt comme un pressoir.

Ne ditespas que ce que j'écris n'est pas vrai : dites que je l'écrismalcar tout est vrai.

20juillet.

Ilcomptait sur ses doigts ceux qui devaient écrire un article aulendemain de sa mort. Que de mains il lui aurait fallu !

J'ai enmoi une nichée de sentiments mauvais qu'il faut écraser.

Ilsgoûtaientassis ou couchés sur le côtédans le champet nous donnaient faim et soifet la gorge brûléedes femmes nous donnait envie.

L'airenfantin des vieilles maisons les unes sur les autres. Une fillettequi a une jambe trop courtebondit sur la béquille. Desgosses qui ont l'air d'être en mie de pain noirfaçonnéepar des doigts malpropres. Qu'on serait bien làlàencorepartoutexcepté où nous sommes ! Des maisonsde terre habitées par des êtres de terre.

22juillet.

Comme lebruit subit d'une clef dans une serrure que personne ne touche.

JulesRenardce Maupassant de poche.

Quand onle priait à dînerSchwob apportait toujours quelquechose. C'était son plat à lui : un volume de Rabelaisou de Pascal. Il lisait admirablementje ne dis pas : sansprétention à bien lire. Après chaque phrase illevait les yeux sur ses auditeurs comme pour s'assurer qu'ils setenaient làimmobilescaptivés et reconnaissants. Ilpouvait manquer de goût. Je me rappelle qu'un soirchez MmeLéon Daudetoù on l'écoutait avec unecomplaisance charmanteil faillit confondre Oscar Wilde avecShakespeare. On dut l'arrêter.

Il avaitdes manies enfantines. Il semblait alorssa belle intelligence misede côtéjouer avec les petites soeurs de Monelle. Ilprenait son petit déson petit cotonses petites aiguilleset il cousait de plaisantes bavettes sous le nez des directeurs dejournaux. Il les avait tous en horreur. Il contait bien et y prenaitplaisir. Il s'exerçait peut-être à domicilecarau bout de trois ou quatre ansil nous parut que quelques-unes deses histoires restaient les mêmes.

Il ne fautpas sournoisement respecter les morts. Il faut traiter leurs imagesen amies et aimer tous les souvenirs qui nous viennent d'eux. Il fautles aimer pour eux-mêmes et pour nousdût-on déplaireaux autres.

Sestaquineries. Ses calembours sur des noms haïsdes titres delivres écoeurants.

23juillet.

Un doigtd'eau pure dans un dé à coudre de cristal.

De tempsen temps se retirer de ce qu'on faitet gagner quelque hauteur pourrespirer et dominer.

J'ai lecerveau comme une noix fraîcheet j'attends le coup de marteauqui doit l'ouvrir.

Devant lastupidité des peintreson a envie d'apprendre àdessiner avant de mourir.

Explicationde Marcel Schwob sur l'impossibilité de fonder un journal dumatin à Nantes : à cause de l'exiguïté destrottoirsles Nantais ne peuvent lire en allant à leursaffaires.

25juillet.--J'aurai tout de même tiré six annéesde bonheur depuis mon mariageen 1888.

Il amanqué à Goncourt d'avoir beaucoup d'enfants.

26juillet.

Baïset Fantec ne veulent pas qu'on leur achète les mêmesjoujouxafin de pouvoir s'envier l'un l'autre et se disputer encriant.

Quand j'aieu beaucoup de mal à écrire une pageje la crois bienécrite.

-- Avecquoi fait-on les plus belles boucles d'oreilles ?

-- Avecdes cerises.

Titre :Pommes sauvages.

Je n'aipas pu m'empêcher de dire à la marchande de journaux.

-- Il estde moice petit bouquin-là.

-- Ah !dit-elleje n'en ai pas encore vendu.

Il fautpouvoir direquand on se sépare de quelqu'un : « Jeregrette de ne l'avoir pas connu davantage. »

A Fantec :« La mortc'est comme le petit oiseau que tu n'as jamais revu.»

Desennuistout le monde en amais on ne s'ennuie pas.

Le paysanâpre au gain ! C'est bientôt dit : je voudrais vous yvoir.

Schwobqui vient de se faire payer un voyage par Léon Daudet me dit :

-- Vouscomprenez quesi j'avais refuséil aurait ététrès froissé.

Etpourque je n'aille pas chez son éditeuril me dit :

-- C'estun imbécile.

Il dit deshistoires de flibustiers et de corsairescet homme quimêmeen habita toujours l'air d'être en robe de chambreet ils'en inspireraen les copiant...

A la findu déjeunertandis que je lui souriaisque je lui offrais àboire et d'excellent gruyèrej'avais envie de lui dire : «Schwobje vous hais. Etsi vous me répondez un motun seulje vous enfonce cette tableces platsces carafestoutdans leventre. »

31juillet.

Arromanches.

La grandehorloge était couchée par terrecomme si on avait misle temps dans un cercueil.

6 août.

Unevieille femmeenfouie sous l'énorme gerbe de bléqu'elle portetient toute la routeaccroche les haieset des brinsde paille fontà sa têteune auréole hérissée.

8 août.

Titre :Pierre ou Paul et Virginie.

9 août.

A trenteansje n'ai pas encore lu un vers de Léon Daudet.

13 août.

Heureuxceux qui sont nés parfaits ! On a beau faire : on ne ledevient jamais.

14 août.

La luneallonge sur la mer l'ombre des maisons. L'écume des vagues sebrise aux dents de l'ombre. Le coup d'éventail lumineux d'unphare tournant.

15 août.

Sur laplagedeux petits bonshommes se disputent une bêche. Ils laserrent de leurs quatre mains et cherchent à se l'arracher.Ils vont se battremaisde force égaleils se défient.Enfinils se décident à bêcher ensemble entenant tous les deux la bêchesans la lâcher.

18 août.

Dansl'admiration qu'on a pour Verlaineje sens une trop grande part depitié pour le pilier d'hôpital.

19 août.

Avec descasquettes de marins ils se donnent des airs d'amiraux.

23 août.

D'Arromanchesà Isigny. -- Le paysan bien renseigné dit : «Suivez le fil électrique. » Jusqu'à Grandcampstout le long de la routedes chiensattelés à desvoitures à trois rouestraînent des paysansdontquelques-uns sont en blouseet pour qui c'est un attelage depromenade. Les autres sont marchands de moules. Ils se dirigent aumoyen d'un gouvernail. Aux descentesça va tout seul.

AGrandcampsjoie d'apercevoir au loin la côte de QuinevilleSaint-WaastBarfleur. Il semble qu'il n'y ait qu'à enjamberpour se trouver dans un pays de doux souvenirs.

Un petitmendiantdont on dit qu'il fait la bête mais qu'au fond il estfinaudvient rôder autour de nous. On lui commande : «Fais ta prièretu auras un sou. » Il hésitepuis se fourre un doigt dans la boucheen arrache une énormechique qu'il jette à terrepuis se met à genoux et ditsa prière en chantonnant : « Mon Dieuje vous offre moncoeur. » Il se relève après un signe de croixdépêchéramasse sa chique et attend son sou. Ilamuse et il écoeure.

Des gensne sont jamais contents : on leur sert une soleils disent tout desuite que c'est une plie.

...D'énormes marinsles loups des égouts de la meravecleurs bottes gigantesques et ruisselantess'avancenttassésles jambes écartéesles bras en boiset crachent dansleur barbe...

Isigny. Ilsemble que tous les gens qu'on rencontrera auront à la mainune tartine de beurremais ni aux vitrinesni ailleurson ne voitle moindre petit pot. En échangebeaucoup de mouchesetsurle cheval qui conduit à la merdes crapauds que j'ai de lapeine à ne pas écraser sous ma bicyclette.

VouillyColombiers. Des routes qui se croisent sans écriteauxdesbornes dont on a pris soin d'effacer l'inscriptionouplutôtpas de bornesmaisà un carrefourun grand diable deChristplus haut qu'un hommequi se dresse tout à coup sursa croix géante et qui épouvantejaunecaleçonnécomme un baigneurtête penchéebouche ouverte.

Desmaisons bassesdes portes au-dessous du niveau de la routeet unpaysanassis sur le sol en terre battuecomme s'il voulait encores'éloigner du soleilécosse des pois.

30 août.

Retour àParis. A quelques lieues de Parisje veux le conquériretdès que j'y suisme revoilà tout timide.

31 août.

Au mariagede Raynaudl'église Saint-Laurenttoute pleine de sergentsde villes déguisésgauches et rasés de fraisavait l'air d'un bagne le jour du dimanche.

3septembre.

Quand jerelis au hasard une page de ce que j'ai fait jusqu'icitout de mêmeelle me paraît un peu sèche.

5septembre.

-- Veux-tume donner le petit cochon de porcelaine ? dit Baïe.

-- Maismon chériça ne t'amuserait pas : il est mort.

-- Oh !alorstu me le donneras quand il ne sera pas mortdit ?

7septembre.

On m'acoupé les pâles couleursdit-elle. J'ai vu un vieux quim'a conduite au bord d'un vivier où il y avait des truites. Ilen a pêché uneet il me l'a mise sur la poitrineentreles deux poitrines. Je l'ai laissée gigoter et battre de laqueue jusqu'à ce qu'elle soit morte. Puisil faut la garderjusqu'à ce qu'on trouve une eau pour l'y jeter.

C'esttrois francs : deux pour la truiteun pour l'homme et son travail.Et maintenantvous voyezje n'ai plus les pâles couleurs.

10septembre.

A Schwob :« Aucune de ces deux publications : Poil de carotte etLe Vigneron dans sa vignene me satisfera. Poil de carottesurtout est un mélange déplaisantoù je netrouve plus les joies passées. C'estplutôt qu'uneoeuvrel'étalage d'un esprit loqueteux où l'onrencontre un peu de tout : de la pitiéde la méchancetédu déjà dit et du mauvais goût. Je vous donnebien entenduma dernière impression. Il me fautpour que jeme remonte un peume rappeler votre précieuse lettre àpropos du Chat.

«Enfinn'en parlons plus. Je me juge avec autant de sincéritéque de sévérité. Vous seul n'en douterez pas.Mais mon ennui - ajouté à d'autres - vient de ce que jene me renouvelle pas et de ce que je suis incapable de me renouveler.Je suis né nouéet rien ne tranchera le noeud. Vousavez dit à Byvanck : «... si la vie ne lui donne laforte secousse morale dont le talent a besoin pour se délivrerdes entraves qu'il se forge lui-même. » Cette conditionmême ne suffirait plus. Peut-être aussi que je suismécontent d'avoir donne Poil de carotte trop vitedel'avoir bâclé sur la fin pour gagner quelque argentimmédiat. C'est possible. Les temps sont durs pour ceux quitendent à la perfection... »

Le parquetétait si bien ciré qu'elle releva sa robe comme si elleeût voulu passer une flaque d'eaupour ne pas se mouiller lespieds.

11septembre.

Vu entreHouillesCarrières-Saint-Denis et Sartrouvilledans cesjardins de maraîchers où l'on recueille la pluie dansdes tonneaux et dont les propriétaires habitent des maisons decuir bouillisept ou huit chasseurs sans chienles uns sur lesautreset qui avaient toutes les peines du monde à s'éviterà ne se point gêner dans leurs petites battueshygiéniques.

Titres :VignettesScènes de paravent.

Unplaisirce serait d'écrire de longues scènes et dem'amuser ensuite à les résumer en trois lignes.

15septembre.

-- Je suisun honnête hommemoimonsieur !

-- Vousavez tort : c'est un mauvais métier.

20septembre.

Si le dieupréposé à l'art me disait : « Voulez-vousêtre heureux par moimais sans gloire ? »je traiteraistout de suite.

Traiterais-je? Est-ce que je ne tiens pas encore un peu aux compliments de tellepetite dame ?

Je ne suisqu'une boiteusemais je vous garantis quesi je me mariais et sij'étais grosseje porterais bien comme une autre ma petitebutte.

21septembre.

Poil decarotte est un mauvais livre incompletmal composéparcequ'il ne m'est venu que par bouffées.

On n'estpas heureux : notre bonheurc'est le silence du malheur.

27septembre.

Poil decarotteon pourrait indifféremment le réduire oule prolonger. Poil de carotte c'est une tournure d'esprit.

Capustoujours criblé de dettesen proie aux huissiers. N'ose plusparlercar ce qu'il veut dire(et il sait ce qu'il veut dire)iln'arrive jamais à le dire.

29septembre.

LesGoncourt ont dit ce qu'il fallait des autres ; ils n'ont pas dit cequ'il fallait d'eux-mêmes.

1eroctobre.

S'étantbrouilléeselles se redemandèrent froidement leursrouleaux de musique.

Faire pourmon village ce que Sainte-Beuve a fait pour Chateaubriand et sontemps. Raconter tout par notespetits drames ou tableaux muetstoutjusqu'aux terreurs du soir. Fouiller jusqu'au fonddonner laplante de la vérité avec ses racines.

Mémoireapporte-moi mon paysmets-le là sur la table. L'ennui c'estqu'avant de se souvenir d'un pays il faut le voirmettre les piedsdans sa boue.

9 octobre.

Je veuxloyalement me réfléchir et savoir l'état de cetêtre qui est moiqui pousse depuis trente ans. Je ne meregarde pas sans surprise. Ce qui me frappe d'abordc'est moninutilitéet pourtant je n'arrive pas à me persuaderque je n'arriverai jamais à rien.

13octobre.

Il a unstyle à lui dont les autres ne voudraient pas.

17octobre.

Tirertoute ma littérature à mon village. Lui appliquer toutce que j'aime littérairement.

Un cerveaubien soigné ne se fatigue jamais.

J'appelle« classiques » les gens qui ne faisaient pas encore de lalittérature un métier.

23octobre.

Poil decarotte. -- Quand les couturièresMarie et Angèlevenaient à la maisonelles prenaient leur repas avec nousàla même tableet elles avaient peur de manger. Est-ce qu'on setassait ainsi à cause d'elles ? Bien plutôtMme Lepicfaisait des frais en leur honneuret Poil de Carotte bénissaitleur présence. Il pouvait manger un peu plus sans que MmeLepic s'en aperçût ; elle le surveillait moins. Maisignorant qu'elles étaient l'occasion d'une détentelescouturières avaient hâte de se lever de tableensemblecomme une seule femmeet d'aller prendre l'air.

Sepromener le jour de l'apparition d'un livreregarder obliquement lapile de volumescomme si le garçon fixait sur vous des yeuxde méprisconsidérer comme un ennemi mortel lelibraire qui ne l'a pas mis à l'étalage et qui toutsimplement ne l'a pas encore reçuêtre un écorchédouloureux. Ces pains de savon que deviennent les livres !

J'entendaisle garçon de Flammarion crier : « Un Poil! DeuxPoil! Trois Poil! »

Il paraîtquesi l'on est bien avec Achillele vendeur de Calmann-Lévyboulevard des Italiensc'est une vente assurée de 100exemplaires ; mažs c'est un monsieur pas commode. Il a sestêtes. L'offre banale d'un exemplaire avec une belle dédicacepeut être insuffisante. Il met même des clients àla porte. C'est un originalqui doit avoir un rude méprispour les hommes de lettres.

26octobre.

Baïe.En colèreelle serre les lèvres ettandis que sa mèrela grondedonne des coups de pied dans les jambes de Fantecgriffela chaise etpar derrièretire les poils du chien.

2novembre.

Par cestemps d'indifférencede prose abondanteoù un beauvers ne rime à rien.

3novembre.

Je suisune horloge dont le balancier va sans lassitude de l'orgueil àl'humilité ; maissolide sur mes piedsje garde l'équilibreet reste debout.

5novembre.

-- Si vousaviez comme moidit C...deux ménages et pas d'intérieur!..

6novembre.

HieràL'OEuvreAnnabella ou « Quel dommage que ce soit uneprostituée ! » pièce de Fordtraduction deMaeterlinckcauserie de Marcel Schwob. Respiré tout de mêmeune odeur de barbares. Mais ces incestueux parlent comme deux amants.L'inceste ne devrait être que l'aboutissement tranquille dedeux jeunesses. Si on acceptait l'inceste avec calmele mondepourrait être refait. Rachilde furieuse parce que je trouve lesacteurs au-dessous de tout. Courteline trouve que tous ces gens fontbien du chichi. Léon Daudet prétend que toutel'humanité repose sur un fond louche. Maeterlinck se balanceavec son air de charpentier arrivé et satisfait. Le fauneMallarmé file avec douceur entre les couples et tremble d'êtreenfin compris. Le barbu Georges Hugo porte sur sa large poitrinel'étendard d'un nom illustre. Mme Willytraînant lacorde à puits de ses cheveuxregarde le doux Julia et éclatede rire. Bauër fait le taureau aussi petit que la grenouilleetmon ami Schwobqui autrefois se rasait la tête jusqu'au sanga maintenant sur le front un petit saule pleureurnoiren cheveuxplatsqui répond bien à l'état actuel de sonâme triste.

8novembre.

Bernardest venu ce soir et m'a réconcilié avec moi-même.Il m'a dit : « Tous vos amis trouvent que Poil de carotteest ce que vous avez fait de mieux. Personne ne sent aussi bien quemoi l'humanité de votre petit héros. Toulouse-Lautrecveut vous voir... Selon moiPoil de carottemoins LesJoues rougesest un livre où l'on prendra plus tard unesérie de thèmes allemands. »

Et mevoilà glorieuxsoufflé d'aise comme une pomme deterredisant : « Quel dur métier ! Ah ! la gloire sefait payer chermais c'est ce qu'il y a de plus enviable au monde. »

Et voilàque je me rêve entouré de mes amiset que je leur donnedes conseils de volonté et d'honnêtetéet que jeleur distribue des paroles de moribond !

12novembre.

Ce que jevoudrais êtrec'est maître d'école de villageenvoyant des articles au journal de l'arrondissementde petiteslettres à la Sarceyloin des regards sceptiques.

Le ventce taureau épars.

Poil decarotte. Lui donner comme exergue :

« Lepère et la mère doivent tout à l'enfant.L'enfant ne leur doit rien. J.R. »

14novembre.

Il eut lahardiesse de substituer à la formule « par ce courrier»celle-ci : « par ce facteur ».

15novembre.

Pourarriveril faut faire ou des saletésou des chefs-d'oeuvre.Êtes-vous plus capable des unes que des autres ?

17novembre.

La mortdoit parler de moi : j'ai un glas dans les oreilles.

22novembre.

Le motjuste ! Le mot juste ! Quelle économie de papier le jour oùune loi obligera les écrivains à ne se servir que dumot juste !

Allaisqui a toujours l'air entre deux vinspas drôle entre deux viesdrôlesentre deux ahurissements. Et sa figure fleuriesescheveux d'enfantsa barbe de fauve apprivoisé pour serreparisienne !

Cettepetite fleur que personne n'a jamais vue et quisur ce rocherdansune touffe d'herbeattend d'être respirée.

23novembre.

Comiquesnos relations ! Nous échangeons des lettres adorablesdeux outrois par anetquand nous nous voyonsnous avons envie de nousdonner des claques.

24novembre.

Il prit unsecrétaire pour se forcer à travaillerpour avoir àlui donner de l'ouvrage.

Pour faireporter sa malle à la gare quand il vient à Parispapacède le raisin de sa vigne.

HierRaynaud me traitait de journaliste (lui étant artiste) et medonnait l'opinion de sa femme sur mes livres : « C'est enfant»et il ajoutait : « Le mot est juste. » Sa femmelui avait mis la main sur la bouche pour l'empêcher de répéteret il lui criblait les doigts de baisers. Enfinelle le laissa dire.

-- Je veuxdireajouta-t-ellerougissanteque dans chacun de vos contes il ya des choses drôlesamusantesenfantinesetc.

Jem'amusaissans rire trop jaune.

26novembre.

Pourquoine pas donner au théâtre un drame dans un wagonunassassinat dans un train ?

Ce mondeoù des jeunes femmes très bien disent : « Au boutde trois moismon mari me faisait une queue avec la marchande dejournaux d'en face. »

Ildésirait faire quelques portraits à la « duc deSaint-Simon ».

Lautrec :un tout petit forgeron à binocle. Un petit sac à doublecompartiment où il met ses pauvres jambes. Des lèvresépaisseset des mains comme celles qu'il dessineavec desdoigts écartés et osseuxdes pouces en demi-cercles.Il parle souvent de petits hommes avec l'air de dire : « Je nesuis pas si petit que çamoi ! »

Il aimeZimmermann et Péan surtoutqui a l'airen fouillant lesventresde chercher de la monnaie dans sa poche.

Il a sachambre dans une « maison »est bien avec toutes cesdamesqui ont des sentiments exquisinconnus des femmes honnêteset qui posent admirablement. Il est aussi propriétaire d'uncouventet il va du couvent à la « maison ».

Il faitmal d'abord par sa petitessepuis très vivanttrèsgentilavec un grognement qui sépare ses phrases et soulèveses lèvrescomme le vent les bourrelets d'une porte.

Il a lataille de son nom.

Il revientà Péanvivement amusé par toute cettecharcuteriela table en aluminiumqui vaut dix mille francsetqu'on lève ou qu'on abaisse au moyen d'un pistonpar l'opéréqui glisse et qu'on ramènepar la force de Péan quienlève tout : les aidesl'opéréla tabled'unseul effortqui arrache une molaire avec ses doigtset quicharcutantparle gracieusement à l'assistance...

Ettoujours le grognementet toujours le désir de raconter deschoses « tellement bêtes qu'elles sont bien ».

Et desbulles de bave volent à ses moustaches.

Elle estde ces petites femmes fragiles qui aiment mieux aimer que fairel'amour.

28novembre.

L'Herbe.Appliquer à la description de ce village le style de Pascal oude Saint-Simon.

Je mepromèneje renifle les odeursj'écouteun peu gênéseulement parce que je ne connais pas les noms de tous ces oiseauxque je dérange. Ce ne sont pas des oiseaux aux mille couleurs.Ceux-ci n'en ont que deux ou troisceux-làqu'une.

Vallottonme raconte qu'une femmeaprès avoir lu L'Écornifleurpleuraittant elle se sentait froissée dans sa dignité.

J'aimebeaucoup votre livre parce que j'en vois bien les défauts.

29novembre.

Je n'airéussi nulle part. J'ai tourné le dos au Gil Blasà L'Écho de Parisau Journalau Figaroà La Revue hebdomadaireà la Revue deParis_etc.etc. Pas un de mes livres n'arrive à un secondtirage. Je gagne en moyenne 25 francs par moi. Si mon ménagereste pacifiquec'est grâce à une femme douce comme lesanges. J'ai vite assez de mes amis. Quand je les aime tropje leuren veuxetquand ils ne m'aiment plusje les méprise. Je nesuis bon à rienni à me conduire en propriétaireni à faire la charité. Parlons de mon talent. Il mesuffit de lire une page de Saint-Simon ou de Flaubert pour rougir.Mon imaginationc'est une bouteilleun cul de flacon déjàvide. Avec un peu d'habitude un reporter égalerait ce queplein de suffisancej'appelle mon style. Je flatte mes confrèrespar lettres et je les déteste à vue. Mon égoïsmeexige tout. Une ambition de taille à regarder par-dessusl'Arc-de-Triompheet ce faux dédain des médailles ! Sil'on m'apportait la croix d'honneur sur une assietteje metrouverais mal de joieet je ne reviendrais à moi que pourdire : « Remportez ça ! » Le pli que j'ai au frontse creuse chaque jour davantageet bientôt les hommes aurontpeur de le regarder et se détournerontcomme si c'étaitune fosse. Je ne travaille même pas comme quelqu'un qui veutmériter l'abrutissementetmalgré celail y amaparoledes quarts d'heure où je suis content de moi.

La cordesur laquelle il danse est bien à lui.

1erdécembre.

La roue dela Fortune lui a passé sur le corps.

Ilécrivait à ses parents : « Dans ce métierd'écrivainquand on gagne de l'argent avant quarante ans onest perdu. »

4décembre.

Lesvieilles comparaisons ne nous semblent plus supportables que chez lesécrivains étrangers.

5décembre.

L'entraînementdu porte-plume. Toute seulela pensée va où elle veut.Avec le porte-plumeelle n'est plus libre. Elle tire de son côtélui du sien. Elle est comme un aveugle que son bâton conduit detraverset ce que je viens d'écrire n'est déjàplus ce que je voulais écrire.

7décembre.

Et tout lemonde se plaint. Et Veberqui me parle avec son air d'élégantechèvre qui brouteen mangeant ses motsse plaint que lacopie ne passe pas. Et il se révolte. Il a déjàécrit dans les journauxque diable ! Le Figaro letraite en débutant... On croit qu'il a fait un mariage trèsriche. D'abordce n'est pas une chose à lui jeter à lafigureensuitec'est faux. Il a maintenant une femme ànourrir... Et il disait l'autre jour à Xau : « Nousdevrions tous imiter Renard et filer à la moindre offense. Carvous ne pouvez pas faire un journal sans nousets'il y a quelqu'unque vous devriez retenirmême par force arméec'estRenard. »

Moijeremercieje balbutie : « J'ai mes ennuis aussiet mêmemes ennuis d'argentsous une autre forme. Trois ou quatre heures parjour je me désespère. J'ai une bonne femme qui meremonte. Si Veber acomme moiune bonne femme intelligente - et jen'en doute pas- le voilà sauvé. Tout s'arrange ».

Et jerépète : « Tout s'arrange. » J'ajoute : «Il y a une ligne de sommetset une autre de bas-fonds. Il s'agit derester sur les sommets »etc.etc.

Ainsilesmalheurs des autres nous sont indifférentsà moinsqu'ils ne nous fassent plaisir.

Et Veberdevant la boutique de charcuteriedisait : « Qu'est-ce que jepourrais donc bien acheter pour ma femme ? »

9décembre.

HierchezLautrec avec Tristan Bernard. D'une rue où il pleuvait àversepassé dans un atelier de chaleur étouffante. Enchemiseperdant sa culotte et coiffé d'un chapeau defarinierle petit Lautrec nous ouvre sa porte. Et d'abordau fondsur un sofaje vois deux femmes nues : l'une montre son ventreetl'autre son derrière. Bernard va leur tendre la main en disant: « Bonjourmesdemoiselles ! » Moigênéje n'ose regarder franc ces deux modèles. Je cherche oùmettre mon chapeaumon pardessus et mon parapluie qui pisse.

-- Quenous ne vous empêchions pas de travaillerdit Bernard.

-- Nousavons finidit Lautrec. Rhabillez-vousmesdames.

Et il vachercher une pièce de dix francs qu'il pose sur la table.Elles s'habillentun peu derrière des toilesetde temps entempsje risque un oeilsans réussir à les bien voir; et il me semble toujours que j'ai sur mes yeux clignotantsleurregard de défi. Enfinelles partent. J'ai vu des fessesmatesdes choses tombantesdes cheveux rouxdes poils jaunes.

Lautrecnous fait voir ses études de « maisons »sesoeuvres de jeunesse : il a tout de suite fait hardi et vilain. Il meparaît surtout curieux d'art. Je ne suis pas sûr que cequ'il fait soit bienmais je sais qu'il aime le rareque c'est unartiste. Ce petit homme qui appelle sa canne « mon petit bâton»qui souffre certainement de sa tailleméritepar sasensibilitéd'être un homme de talent.

12décembre.

J'étaisné pour les succès de journalismela gloirequotidiennela littérature abondante : la lecture des grandsécrivains a changé tout cela. De làle malheurde ma vie.

16décembre.

AlphonseDaudet me dit :

-- Malgrémon admiration pour Poil de carotteje lui préfèreencore des choses comme Le Bijou et L'Horloge du vignerondans sa vigne. Je ne sais rien de plus parfait dans lalittérature française. Vous faites des chefs-d'oeuvresur l'ongle.

Vous êtesun homme du XVIIe siècle. Il vous faudrait la cassette du roiou d'un grand seigneurcar jamais on ne pourra vous payer ce quevous faiteset vous y êtes si particuliersi « chezvous » que je crois que vous ne pourriez pas faire autre chose.Je ne vous vois que dans un jardin d'un mètre carréetrenté par l'État. Que ne faites-vous comme Céardqui gagne 5 000 francs à Carnavaletcomme Henry Fèvrequi ne sait même pas ce qu'il fait ! Et n'attendez pas d'êtreau bout : c'est le moment. Vous voilà en vedette. Tous vosadmirateurset moi le premiernous nous mettrons en quatreet jedis pas ça en l'air. Ce n'est pas une plaisanterie d'ami.Demandez quelque chosela lune si vous voulezet nous vousl'aurons.

«Ainsi » me dis-je« on conseille aux jeunes littérateursde prendre d'abord un emploi. Peut-être vaut-il mieux commencerpar la littérature pour obtenir facilement un emploi. »

Depuisjeme réveille chaque matin avec le bonheur de ne pas aller àmon bureau.

18décembre.

Qu'est-ceque cette nouvelle littérature d'humanité ?Serions-nous meilleurs aujourd'hui qu'hier ? On vient de découvrirun millième sujet de roman : l'humanité. Jusqu'ici l'ons'en était peu préoccupé. On peut dire que lesujet humanité n'existait pas et que nul ne l'avait traité.De quoi parlaient nos pèresje me le demande.

Toutes lesdédicaces sont d'admirateurs. Le mot « admiration »commence d'avoir cours : ça fait une pièce fausse deplus dans la circulation.

HieravecLéon Daudetnous nous demandions side nos joursunpamphlet avait quelque chance de réussir. Il faudrait frapperfortavec une massue. En sommes-nous capables ? Barrèss'essouffle vite. Il en reste aux panamistes. Quelle virtuositéau contrairechez Rochefort ! Celui-là a cent bonnes manièresd'appeler les gens voleurs. Il frappe toujours le même coup demarteaumais toujours dans une attitude nouvelle. Il varie ses han !Aujourd'huipour être pamphlétaireil faudrait êtred'abord un grand lyrique. L'ère des coups d'épingle apassé. Le lecteur ne s'amuserait que si nous nous jetionsàla tête les uns des autresdes immeubles.

19décembre.

Nul nedevine mieux qu'Éloi l'heure où les gens du monde vontse laisser aller. Ils attendaient le départ de quelquespersonnes graves ou respectées. Et les voilà entreintimes. Aussitôtles oreilles s'allumentet les bouchesprennent la forme de délicats égouts.

21décembre.

-- Sij'étais tout seul dans une mansardedit Léon Daudetd'ici trois ans je serais quelqu'un.

26décembre.

L'Herbe.Dans ce livreje me propose de pénétrer jusqu'au coeurdu villagec'est-à-dire jusqu'au coeur de Marie Pierrycarle curé et le maître d'école ne sont pas du pays: ils n'y vivent que de passage. Je voudrais mériter leurconfiancemais je n'y arrive pas. Ils se défient de moi. J'aiappris trop de choses. J'ai trop grandi. Je ne peux plus me baisserjusqu'à mes racines. D'abordils ont dit de ma jeune femme :« Elle n'est pas fière. » Puiscomme elle avaitdu plaisir à leur parler de son intérieurde sachambredu prix des rideauxdes meublesils ont dit : « Elleest trop riche. » Et ils la méprisèrent parce quepouvant porter de belles toilettes et avoir plusieurs domestiqueselle n'avait qu'une bonne et s'habillait simplement.

31décembre.

Siaulieu de gagner beaucoup d'argent pour vivrenous tâchions devivre avec peu d'argent ?



1895

1erjanvier.

Examen.Pas assez travaillé : trop retenu. Car moiqui dans la viesuis plutôt un abondantqui fais une trop grosse dépensenerveuseen littératuredès que je prends une plumeme voilà hésitantd'une conscience excessive. Je voisnon pas le beau livrela page mauvaise qui pourrait gâter cebeau livre et m'empêche de l'écrire. Me répéterque la littérature est un sportque tout y dépend dela méthodequ'on appelle aujourd'hui l'entraînement.Aucun danger de dépasser les limites.

Pas assezsorti : il faut voir les gens pour les remettre à la placequ'ils méritent. Trop dédaigné le journalismeles petits embêtementsles pichenettes du sort. Pas assez lude littérature grecquepas assez de latin. Pas assez faitd'armes ou de bicyclette : en faire jusqu'au dégoût. Letravail cérébral paraît ensuite une espècede salut dans un couvent où l'on peut mourir.

De plus enplus égoïste : rien à faire. Rechercher lesapparencestâcher de n'avoir de bonheur qu'à rendre lesautres heureux. Eu trop peur d'admirer livres ou actions. Quellemaniede dire des mots d'esprit aux gens quand on voudrait lesembrasser ! Trop demandé à mes amishypocritementdeséloges de Poil de carotte. Laisser fairela chosefaite. Le bon qu'on attendait n'arrive pasmais celui qu'onn'attendait pas arrive. Il y a une justicemais celui qui la rendbatifole. C'est un juge jovialqui se moque de nousnous attrapemais quitout peséne se trompe jamais.

Tropmangétrop dormieu trop peur de l'orage. Trop dépensé: il s'agitnon pas de gagner beaucoup d'argentmais de dépenserpeu.

Tropméprisé l'avis d'autrui dans les questions gravestropconsulté autrui dans les frivoles. Faut-il sortir avec cepardessusmettre mon chapeau de forme ? Il va pleuvoirmais je neprendrai pas mon parapluieparce que j'ai une belle canne et que jeveux qu'on la voie.

M'êtretrop réjoui en m'apitoyant sur le malheur des autres. Pris unair d'homme sûr de lui. Trop fait le petit garçon avecmes maîtres etavec les plus jeunes que moile bon grandhomme qui ne fait pas exprès d'avoir du génie.

Tropregardé aux kiosques pour voir si l'on me reproduisaittroplu les journaux pour y trouver mon nom cité. Trop envoyétrop dédicacé de livrespardonnant aux critiquesparun brusque attendrissementle bien qu'ils m'avaient fait en nedisant de moi ni bienni mal.

Trop aimémes enfants par pose de bon papatrop étalél'indifférence de mon coeur à l'égard de mafamille. M'être trop attendri sur les pauvresauxquels je nedonne rien sous prétexte qu'on ne sait jamais.

Tropconseillé aux autres ce que je devinais qu'il fallait leurconseiller pour leur faire plaisir. Aimé trop de choses pourles autreset non pour moi-même. Trop parlé de moioh! ouitroptrop ! Trop parlé de PascalMontaigneShakespeareet pas assez lu ShakespeareMontaignePascal.

Trop dit àmes amis : « Si je meurs avant vousje vous demande dem'enterrer à Chitry-les-Minesetsur ma tombevous mettrezun petit buste avec les titres de mes ouvragessimplementrien queça. » Puisbrusquement : « D'ailleursje vousenterrerai tous. »

M'êtretrop noirci quand je savais qu'on allait protesteravoir trop flattépour qu'on me flatte.

Je ne suisqu'un misérableje le sais. Je n'en suis pas plus fier. Je lesaiset je continuerai

Authéâtretrop remué la tête de droite et degauchecomme un bouvreuilpour faire déjà desagaceries à ma jeune gloire. Revenu toujours trop vite sur mesimpressions. Trop lu les articles de Coppée pour me prouverque je suis plus malin que lui.

Et je mefrappe la poitrineetà la finje me dis : « Entrez !»et je me reçois très biendéjàpardonné. Trop vanté les petites revues que je n'ouvrejamaiset trop méprisé les journaux dont je lis quatreou cinq chaque jour. Trop parlé de ma générationet trop caché l'âge que j'ai. Trop parlé deBarrès et pas assez « écrit » son nom.

Trop bu dechartreuse.

Trop dit :« le bien que je pense... » au lieu de : « le malque je pense... ».

3 janvier.

-- «Quand je serai grande »dit Baïe« j'aurai pas demaman et je boirai de la goutte ».

Le vieuxnaturaliste étudie les moeurs et le travail des fourmis dansses jambes.

Capusl'ex-boulevardierle sceptiqueetc. Tâche de gagner beaucoupd'argent pour le donner à son frère qui est sans placemariépapaet qui a une belle-mère. (Voir leurodyssée dans Années d'aventures.) Il est toutprès d'avoir eu un article de Muhlfeld dans La Revueblanche.

-- Voilàdit-ilque je pénètre enfin dans le vrai milieulittérairecelui de La Revue Blanche et du Mercurede France. J'avais commencé par le vrai public. Vousvousfaites l'inverse.

-- Ouidis-jemais le grand public me laisse encore de côté.

Tout fieraussi d'être au Figaro et que M. de Rodays l'appellecher maître.

Ilm'emmène dans son cabinet de travail où il écriten un quart d'heure son Graindorge qu'il envoie par son groomà L'Écho de Paris. Il écrit quelquefoisde haut sur une planche qu'il a sous le nezà cause de samyopie. Parmi ses livresje vois du Tainede l'Herbert Spencer etles études de Brunetière sur Bossuet.

15janvier.

Visite auJardin d'acclimatation.

Desphoques se poussent gauchement des coudespetites oreilles pincéesleur gueule rose plantée de chicots noirs.

De toutespetites perruches comme les épingles de cravate qui chantent.

Lessorties de bal des hamadryasleur manière d'éplucherdes pommes de terre froideset leur hurlement subit et prolongéà pleine gueule ouverte.

18janvier.

Un bon motvaut mieux qu'un mauvais livre.

19janvier.

LeDésert. -- Pierre Loticomptez-moi parmi vos frèresde rêvede doute et d'angoisse. Me voilà : marchezdevant moije vous suis.

Est-cequ'on ne va pas bientôt s'asseoir ? Est-ce qu'on ne va pasbientôt arriver ? Tapez un peu sur le chameau.

Toi quiportes un vrai costume d'Arabeje te suivrai dans ma robe dechambre.

Cheminé...Cheminé... Mais pourquoi n'avez-vous pas joint une carte àvotre livre ? Il me faut garder sous les yeux mon petit atlas depoche.

Arrivés...Arrivés... enfin... enfin.

Arrêtons-noushommes de la tente. L'homme des maisons de pierre s'exaspère.

Comment sefait-il donc qu'on connaisse toutes les bonnes actions discrètes?

On tirades coups de fusil dans sa fosse pour lui rendre les honneursmilitaires.

-- Maisils vont le tuer ! criait la mère.

21janvier.

L'air oùje vis est tout gris.

28janvier.

Voyage àBologne. -- Tous ces petits villages sous la neigecomme enveloppésde fourrures blanches.

Il y avaitquelques toilettesla demoiselle du sous-préfet beaucoup devides etau parterrequelques spectateurs qui changeaient àchaque instant de banquettesen crachant.

On medisait : « Comment le trouvez-vousnotre petit théâtre? »

-- Oh !très gentil. On n'en voit pas beaucoup comme ça enprovince. M. Repin avait un grand col aux cornes menaçantesGaillardonun petit gilet de couleur et un chapeau de soie dorée.Henriette était plus grande que Marieet la servantedécolletéeportait de gros sabots blancs avec de lapaille qui sortaitqui sortait !...

Ettoujours Docquois me répétait qu'il n'avait que çamais qu'il avait sûrement le sens du théâtrequeLa Demande était très scéniqueet quePour la Couronnec'était d'un art qui avait déjàdes cheveux blancs.

Orilarriva que nos acteurs n'avaient pas mangé aux répétitionsetpour faire honneur aux auteurs parisiensle jeune et intelligentdirecteur fit servirle soir de la première- la dernière- un repas copieux. D'aborddu vrai vermoutpuis de la vraie soupedu vrai ragoûtde l'omelette vraiepuis du café et ducognac. Et ils mangeaient des motsils ne savaient plus que dire.Ils se voyaient au souper de la centièmeetde temps entempson entendait : « Passez-moi le sel. » Et lesouffleurjalouxsoufflait comme une sirènemaisinutilement.

Un tuyaudu calorifère avait crevéet ça empestait lecharbon.

Etcommec'était une représentation au bénéficed'une oeuvre anglaiseil n'y avait que des Anglais qui necomprenaient pas un mot et attendaient Miss Helyett.

On jouad'abord l'hymne russel'hymne anglais et La Marseillaise.

Unmonsieurauteur dramatique du paysnous dit que c'était unebelle tranche de viequ'il connaissait çaque c'étaitdu bon Théâtre libremais que ça ne prendraitpas.

Le petithomme disait : « Ma petite femme »et la petite femmedisait : « Mon petit homme. » En hiverils mangeaientdans la cuisine sur une grande table en bois blancauprèsd'un fourneau admirable d'éclatsoignéfrottérelié ! Etle matinils mangeaient des bonnes pommes deterre avec du veau dans son jusetle soirils remangeaient duveau froid avec de la salade huilée et juteuse. Le petit hommeétait photographe : il faut bien vivremais il troussait desarticles et les lisait à sa petite femme avant de les envoyerau journal de la ville. Il avait aussi été ténorpendant quatre ans. C'est si amusantde voyager ! Il n'avait pas uneforte voix : il avait une voix juste. Sans se croire un phénixil avait conscience de sa petite valeuret l'idée ne luientrait pas dans la tête qu'un jour il pût êtresifflé. Ça lui arriva à Cherbourg. Il y jouaitdepuis quatre mois. Il semblait être aimé du publicquand des officiersdes brutes... Ce fut fini. P'tit homme se sentitcassé. Il eut une maladie d'estomac et ne joua plus.

Maintenantil ne fait plus que de la photographie. Pourtantil fait autre chose: un eczéma. C'est son malheur. Ça l'a pris on ne saitcomment. Toujours la vermine l'a adoré. S'il y avait une pucesur un chienc'était pour lui. Mais est-ce de la verminel'eczémaou est-ce que ça vient du sang ? Il a prisdes dépuratifs : rien n'y fait. Il s'enduit de pâtes.Parfoisrésignéil ne s'en occupe pluset çadisparaîtmais ça revient avant qu'il n'ait eu le tempsde se réjouir. Il ne fait que se regarder dans la glace.

--Avez-vous remarquédit-ilquand vous êtes entréque je ne vous ai pas tendu une main fraternelle ?

Il n'oseplus rectifier les têtes de ses clients. Il s'approcheavecdes mains lépreusesd'une demoiselle pour lui placer la tête: elle recule et fait la moue. Les yeux enflammésil répète: « C'est dégoûtant ! » Pour se réhabiliteril ajoute : « Par exemplequand on a çaon n'a pasautre chose. Ainsij'avais une maladie d'estomac : elle est partie.Me voilà garanti contre n'importe quoi. » Et il citeRaspail.

Raspailcommence à faire autorité dans les provinces.

29janvier.

Pâlecomme si elle se nourrissait de neige.

31janvier.

Hier soirentre CapusMuhlfeld et moila conversation a roulé - aurisque de les aplatir un peu - sur l'extraordinaire habiletémarchande des P... et des V... Ils offrent des volumes dédicacésmême aux petites vendeuses des gares. Ils sont du dernier bienavec Achille. Ils font des voyages en Allemagneen AngleterreenDanemark mêmepour surveiller la venteetc.etc. Et ilsenvoient aux critiques des exemplaires sur vélin avec marge.

Le malc'est qu'ils donnent aux éditeurs des habitudesd'indifférence. Confiant en son auteurl'éditeur nes'occupe plus de rien.

1erfévrier.

Comme laneige serait monotone si Dieu n'avait créé les corbeaux!

J'aime àsortir par ces temps froids où il n'y a de mondedans lesruesque le strict nécessaire.

3 février.

Mme Adam.Je la voyais moins jeune. Parle de son rôledit «Gallifet et moi ». Voit parmi nous une vingtaine de jeunes quipeuvent l'aider à reprendre l'Alsace et la Lorraine. Se plaintdu lâchage d'anciens collaborateurs. En veut à la Revuede Paris et s'excite à rire de mes anecdotes pointues surGanderax.

Je meprésente à Bauër. Il est grosplein d'art etrevenu de tout. Il me dit que je l'irrite. Il ajoute : « C'estce qu'il faut. » Il défend mollement Strindberg et faitla roue en parlant du Plaidoyer d'un fou que Strindberg lui adédié. Mais que nous aimons donc Ibsen ! voilàle grand.

Quant àla foulele peupleil ne l'aime plus.

Abîmeentre l'artiste et les masses. Il est revenu de tous ces bas-fonds.

Il fauttout de même se forcer pour admirer Rochefort. Toute satableauterie me dégoûte. Ce richard qui bougonneçadevient une scie déplaisante. On peut dire de luibanalementqu'il a passé toute sa vie à vouloir se rendreintéressant.

4 février.

Hier soircherché un nom pour notre maison de Chaumot On choisit laGloriettequi signifie petite maison de plaisanceet aussiparce que c'est un diminutif de gloire et que « Gloriette »engageoblige un homme de lettres.

L'Herbe.Je veux tâcher de mettre un village dans un livrede l'ymettre tout entierdepuis le maire jusqu'au cochon. Et ceux-làcomprendront la beauté du titre qui ont entendu un paysan dire: « L'herbe pousse »ou : « C'est un beau tempspour l'herbe »ou : « Il n'y a plus d'herbe. »

Ils ont degrosses têtescomme des bûchesavec des noeuds quim'écorchent et que je ne sais par quelles cornes prendre.

J'aiacheté cette maison pour être heureux. Paponque jerencontreme dit :

-- Ah !vous avez l'air heureuxvous.

Et je luiréponds :

-- Monbrave Paponje n'en ai pas que l'air : je le suis.

-- C'estparce que vous avez eu de la chance me dit-il. Vous êtes bientombé.

Et ils'éloigne. S'il avait raison ! Si j'étais seulementbien tombémoi qui m'imagine avoir créé monbonheur moi-même par mon applicationma persévérancemon sens de la viedisons-le : par mon intelligence ! Si je n'étaisque bien tombé !

De loinmes amisje vous juge. Toitu veux gagner beaucoup d'argent ; toipuérilement dominer et tu désires une gloire en gros ;toitu t'écartes de façon qu'on te voie t'écarter; toitu passes ta littérature à écrire du mald'un monde où tu ne peux t'empêcher d'aller. Oh ! vousêtes tous très remarquables. Vous êtes de beauxcerveauxmais vous avez des buts comiqueset je ris biensur mabutte.

Il faut lestrict nécessaireet il faut ne s'en écarter ni endedansni en dehors : en dehorsc'est de la sottiseen dedansc'est de l'orgueil.

Je me faisnommer maire et je me dis : « Il y a cent personnes autour demoi. Je peux les rendre heureuses. Imitez-moi. Que chacun de vous enfasse autant. Je commence. » Le principal personnage de monlivrele hérosc'est le bonheur. C'est à lui qu'ilfaut s'intéressersouhaitez qu'il ne vienne pas à lafin.

De mafenêtreje vois le canalla rivièredes bois. Je neveux rien mépriseretsi je pouvais faire consciencieusementde la politiqueje le juremon cher Barrèsj'en ferais.

6 février.

Toutpetitje passais pour une mauvaise tête. Il faut maintenantquedans mon cher paysje me fasse une réputation de bonté.

8 février.

Le ver àsoie file un mauvais cocon.

La neigetourbillonne comme une Loïe Fuller. Ses râclures de corne.Il ne reste sur les champs que des morceaux de neige déchirés.Une bourrasque : elle tombe horizontale.

Le bruitde mort d'un tombereau qui roule sur la terre gelée. Ceshommes qui travaillent dans la neige ont l'air de s'êtrefrottés contre un mur. Un temps où les bouillottes sontenviées.

9 février.

L'amiqu'on rencontre et qu'on hésite à tutoyeret la petitecomédie à deux qu'on joue.

-- VoyonsBernarddit Natansondonnez-nous une nouvelle pour le prochainnuméro de La Revue blanche. Je compte sur vousn'est-ce pas ?

-- Bienbien. Quand faudra-t-il venir vous essayer ça ?

11février.

La chaleurlégèreailéed'un feu de bois.

12février.

Il y a lesbons écrivainset les grands. Soyons les bons.

Dans lessalles de rédactionil me semble que je perds mon temps sousmoi.

13février.

HierRodme racontait la lamentable odyssée de Duchosal à Paris.Comment ce cul-de-jatte manchot a-t-il pu y arriver et y circuler ?En se traînant. Il est allé voir Rod à Auteuiletdit Rodil n'a fait que toussercracher et se moucher dans saserviette. Etcomme un autre sourd était venu de Genèveà Paris (ils ont tous la manie de quitter Genèveditle Genevois Rod). Duchosal a eu un mot sublime dit encore Rod : «Comment peut-il venir à Parislui un infirme ! » Et lepauvre Duchosal comptait sur des arcs de triomphelançait detous côtés des télégrammes : « Jesuis à Paris. Je vous attends à l'hotel de... »Mais ses amis le fuyaient comme la peste.

Oui : leconte que j'écris existeécrit d'une façonabsolument parfaitequelque partdans l'air. Il ne s'agit pour moique de le trouver -- et de le copier.

Mon Éloi: c'est une sorte de Don Quichotte de chambre.

On ne peutguérir du mal d'écrire que pour tomber réellementmortellement maladeet mourir.

LéonBlum me dit :

-- Je nevoudrais pas que vous vous méprissiez sur ce que je pense devous. Mais je ne sauraissans barboter... Tenezdéjàje barbote !

Il ditqu'il a surpris une de ses bonnes apprenant par coeur Voluptéde Sainte-Beuvequ'elle avait pris dans sa bibliothèque. Ildut lui donner le livre.

-- Lascène du don a dû être émouvanteditTristan Bernard

Paul Adamdit qu'une de ses bonnes lisait du Poictevinet qu'il a reçudes tas de lettres d'ouvriersde huit pagesetc. Mais A. Natansoncoupe les paroles de touscomme des betteraves.

Achille etDon Quichotte sontDieu merciassez connuspour que nous nousdispensions de lire Homère et Cervantès.


14février.

Baïea rêvé d'un éléphant qui avait de bellesbottines

Enlittératureil faut arriver doucementde peur d'attraper unchaud et froid.

Le vrai nese distingue du fauxen littératureque comme les fleursnaturelles des artificielles : par une espèce d'inimitableodeur.

16février.

Lapremière fois que je rencontrai Mme Séverinetout desuitesans dire un motnous prenant les mainsnous nous mîmesà pleurer.

Il fautêtre honnête et modestemais il faut dire qu'on l'est.

Ce quedevient le mot cochon dans la bouche d'une jolie femme.

18février.

Leséditeurs si gentils quand on ne publie pas chez eux.

C'estl'heure où sortent des ateliers de petits modèles àsuivre.

19février.

On n'estrien avant trente anstrente-cinq anset je m'aperçois qu'ilfaut toujours reculer la date.

Toulouse-Lautrec.Plus on le voitet plus il grandit. Il finit par être d'unetaille au-dessous de la moyenne.

Oh ! lejoli mot ! Il faut mettre ça quelque part. Il fait tant dejolis mots qu'il ne sait plus où les mettre.

20février.

Il prend àla conversation la part du lion.

23février.

Ilfaudraitpour meubler ce grand salonlâcher deux ou troispetits éléphants qui se promèneraient en toussens.

Çadura vingt-cinq ansmontre en main.

Un petitparticulier humain m'intéresse plus que l'humain général.

24février.

-- Hierdîner de La Nouvelle Revuesous la présidence deMme Adam fausseen général de Galliffet. Et des gensqui prononcent gravement ces deux mots : économie politique.On propose de signer une pétition pour faire décorerd'Esparbès.

Une belledame qui a l'air du buste de la République des Lettres.Silence ! Il va tomber de la neige. Quand on veut embrasser cettefemme froideon a l'air de vouloir écarter de la neige.

Je n'aimeà parler qu'avec des gens plus grands que moi et dont labouche me dépasseparce qu'ainsi les odeurs montent.

-- Oh !Vos pages courtes ont un succès !... dit Mme Adamavec l'aird'ajouter : « Ouimais ce n'est tout de même pas çaqui va nous rendre l'Alsace et la Lorraine ! »

Mauclairavec une petite moustache blonde. L'ancien ministre Bourgeois arriveavec sa rosette et une redingote. Edmond Aman-Jeanavec une têtequi a déraillé.

--Avez-vous reçu mon livre ? dit-il.

-- Lequel? dit Mauclair. Vous en publiez trente-six.

Le députéÉtienne Dejean me dit :

-- Nousdevons être du même âge.

Il setrouve qu'il n'a que dix ans de plus que moi. J'ai tant souffert !

25 février

Auxpaysans qui lui demandent si tel endroit de Paris est loin de telautrepapa répond : « Peuh ! Il n'y a que la rivièreà passer. »

A LaNouvelle Revue où l'on nous paie dix francs nosfantaisies. Tristan Bernardvexésigne sur les reçusavec un petit b.

28février.

Passéà la Morgue aujourd'hui après déjeuner. Vu troisnobles cadavresbien arrangés sous leur couverture notre etnumérotés. La bouche ouvertela barbe et les cheveuxpeignésils ont l'air de dormir. Ils ont seulement l'air detrop dormirsans respirer. Ils sont vraiment très bienbeaucoup mieux que leurs photographies qu'on voit à la porte :ce n'est pas vivant.

2 mars.

Hier soirbanquet d'Edmond de Goncourt. -- D'abordon peut envoyer untélégramme d'excuses. Economie : 12 francs. Et puisletélégramme est lu au dessert. Ainsil'on se tire de lafoule.

Enentrantj'aperçois un beau jeune garçon frisélingépommadepeint et poudré : « C'est LucienDaudet. » Il parle avec une petite voix de poche de gilet. JeanLorrainavec des mèches blanches et une paupièretombante. Marcel Schwobqui se fait maintenant une têtelaisse pousser ses cheveuxceux qui veulent ; mais il a derrièrele crâne une place nue. Il a l'air de sortir d'un de sescontes.

JeanDolent couvert de miettes. Nous parlons du travail pour le travailet il se met en fureur contre les gens qui disent : « Oh !Dolent n'a pas de besoins. » -- Quand je voyage avec mon amiCarrière et que nous faisons un détour pour économisercent francsça nous chagrine. J'ai de quoi manger parce queje modère mes appétits. L'artistec'est celui qui n'apas de butqui n'est préoccupé que de son artet nonpoint de femmesd'argentde situation mondaine. Et l'artiste estcelui qui dédaigne les complimentsparce que personne ne leconnaît comme il se connaît.

Tissot meprésente Georges Lecomte et lui dit : « Voilà unhomme heureux ! »

Et Fèvrequi fait la moue parce que je lui dis qu'il ressemble à uncertain Pontsevrezet Georges Moreaudirecteur de La Revueencyclopédiquequi vient à moi et me reconnaîtd'après un portrait paru dans La Plume. A ma gaucheunmonsieur qui se rappelle m'avoir vu chez Léon Daudetou dansune gare en costume de voyage : il ne sait pas bien. Il confond avecRochefortretour de Londres. Il est sourdet il me parle avec unetoute petite voix de religieusede sorte que c'est moi qui luisemble être le sourd.

-- On nevous voit pas souventme dit Goncourt.

-- Moncher maîtrec'est pure discrétion.

-- Eh !bienc'est bête.

-- Voilàun mot qui me plaît.

Il estbeaunotre vieux maître. Il est émuetquand on luiserre la mainon la sent molleet ballottantecomme pleine del'eau de son émotion.

Il y adevant luisur la tableun superbe gâteau montédonton dirait l'Académie des Goncourt réaliséeenmodèle réduitpar un pâtissier.

Comment !C'est çale grand Clemenceauce monsieur qui parle d'unevoix saccadéeune main dans la pocheet qui vous sort unevieille phraséologie ? Ce scalpel ne servait-il pas déjàà couper la carotide aux mammouths ? Dieu ! que ces gens-làsont loin de nous ! « Bon ouvrier... Républiquesociale... » Zut ! Zut ! Monsieurvous êtes chez deshommes de lettreset vous nous prenez pour des électeurs. Nesentez-vous pas notre déceptionet un peu notre dédain? Quelques-uns de vos amis disent que vous improvisez.

Et puisZola nous raconte ses petites affaires. Ah ! le vieux bûcheronbûcheronne toujours. EnfinDaudetrestant assislit àGoncourt son petit devoir d'amitié. Il a bien l'air del'écolier penché sur sa tablesur sa feuille de papiertremblantesous l'oeil sévère du maître. Etpourtantje l'affirmetoute notre sympathie allait à euxquanddurant nos bravos et tandis que nos mains battaientGoncourtet Daudet se serraient les leurs sous la table.

TrèsbienPoincaréavec sa figure anguleuse et volontairesonfront gouvernemental. Il dit le mot juste. Il est modeste. Il diminuel'Étatil s'excuse en l'honneur de la littérature. Etcela lui permetà luijeune ministre de trente-cinq ansd'être assis sans ridiculesans que nous nous révoltionsà la droite d'un de nos maîtres qui a plus desoixante-dix ans et qui seulement à cet âge est mis àsa placeau premier rang.

Et Barrèsavec sa tête de grand-duc dépluméle regardelejeune ministreapplaudit mêmeBarrès dont le nezs'allonge jusqu'à former un angle aigu avec la ligne de labouche et du menton. Je le félicite de sa dernièreincarnationet il sourit.

GeorgesHugoplein de santéqui se porte comme un alexandrin de songrand-père.

Il y a desJaponaisqui ont l'air de petits charbonniers juifs. Il y a desAnglaisqui ont l'air d'Oscar Wilde traduit en français. Il ya un petit Américain estropiéqui a fondé unjournal à douze anset trente mille petites filles se sontabonnées.

Et il n'ya pas François Coppéequi est malade et mourrapeut-être de ce banquet. Et il y a Willetteavec sa têtede Louis-Philippe avant la gloire. Et il y a Huretavec sa têtede grand jars prêt à siffler.

Le grandhall se vide. Un riche original pourrait s'y offrir un banquettoutseul à lui tout seulavec les plats qu'on a économisésgrâce à ces discours. Quand on parlait de La FilleÉlisales garçons dressaient l'oreille comme sielle allait entrer. Et Goncourt a dû faire cette réflexionavant de se coucher : « Vraimentpuisqu'ils sont si gentilsJe vais encore leur donner un volume de mon Journal avant demourir. »

Etmoij'avais envie d'aller tout de suite à n'importe quelledistribution de prixprononcer mon premier discours. Mes gestesmarchaient tout seuls et ma voix donnait d'elle-même.

Oui ! jesuis heureuxce soirparce que quelques hommes de goût m'onttémoigné leur admiration. Mais demain ?

La joiepeut-êtred'un grand homme qui devine que ses enfants neseront rien.

Le bois dufoyer bouge comme si la chaleur y faisait remuer des bêtesendormies.

5 mars.

Il a lamanie de vous mettre sous le nez des phrases de Mallarméetde dire : « Lisez-moi ca ! » On liton a luet on restemuet (heureusement !) d'admiration.

5 mars.

Éloia nettement conscience de son énorme vanité ; mais ilespère qu'à force de volonté il la réduiraau minimum de ridiculeet qu'à force de talent il la ferapasser par-dessus le marché.

Chez JeanVeber. Comment ! C'est ce monsieur qui est deboutune jambe àcheval sur une chaiseet qui se dandineet qui bavardequi nepense pas uniquement à ce qu'il faitqui voudrait me faireressemblant ?

Et il neveut pas avoir l'air de s'appliquer. Sa première esquisse estmanquée. Sa jeune femmequ'il consultene le lui cache pas.Il recommenceet elle est làprès de luitoutepetite et se haussant. Elle le guide. On dirait qu'elle apprend àdessiner à un enfant. Elle lui dit : « L'oeil plusperçant. Tu plisses trop le front. Les sourcils sont moinsnoirs. Pince un peu la bouche ! » Et il répond : «C'est vraic'est vrai. » Ah ! madamece que je verrai debiensigné Jean Veberje dirai que c'est vous qui l'avezfait.

Ilsaffirment qu'ils sont heureux. Elle ne bouge pas. Elle porte unelongue chaîne sur sa robe qui lui monte jusqu'au cou.

Enpréparationdes culs-de-jatte qui s'arrachent un louis d'orpar terredans des flaques de sang. Au murdes croquis de Barrèsen singeen hideux oiseaux : corbeau ou chouette. Emballement surWillette. Lautrec dessine admirablement. Vallottonbornémanque d'imprévu.

7 mars.

ChezPottecherà BellevueClaudel nous lit sa traductionlittérale de l'Agamemnon d'Eschyle. Il s'est d'abordfait prier assez modestementpuis il commencede sa voix de machineà parleret ses lèvres s'ouvrent comme des éclairsde chaleur. Sa tête est d'un ton cendré. Il a l'aird'avoir brûlé. Il admire ou déteste avecgaminerie. Il dit :

-- Il n'ya rien de plus beau au monde que le théâtre chinois.Quand on a vu çaon ne peut plus rien voir.

Puis ilnous lit une correction de Tête d'orqu'il refera toutesa vie.

-- Vousavez raisonlui dis-je. Nous devrionschaque annéeauprintempspasser un mois à corriger notre oeuvre.

Je lui disqu'il se grise d'imageset qu'il ne faut confondre l'image vaguementbelle avec l'image exactebien supérieure.

Il trouveque Boileau est un grand poëte pittoresqueet le seul qui aitsu faire le vers.

Lacertitude de n'être pas seul qui console même dans uncimetière.

10 mars.

Mon paysc'est où passent les plus beaux nuages.

Et Dantequi s'évanouit à chaque instant.

12 mars.

Comme nousapprenions coup sur coup plusieurs mortselle ne manqua pas de dire: « Crois-tu qu'on décanillehein ? »

13 mars.

Nous avonsbavardé plus de cinq heureset il ne m'en reste rien. Nousméprisions tantôt l'argenttantôt le travail quine rapporte pas. Je disais : « J'aime la solitude »etClaudel me répondait : « Vous ne savez pas ce que c'estque la solitude. Moije l'ai connue dans un désertd'Amériqueà 80 kilomètres de Bostonoùmon ami le violoniste composa un air où le désert étaittout entier. »

Ce qu'il yeut de mieuxce furent quelques phrases de La Bruyère quenous lut Claudel. Elles nous donnèrent l'impression que nousne lisons jamais La Bruyère. Et Claudel parle de tuer en luitoute créationtoute inspiration. Déjàil nelui consacre plus qu'une heure par jourettandis qu'il passe d'uneconviction à une autreson visage joue tout un orage.

-- Dans lamétaphoredit-ille premier terme de la comparaisondisparaît. Dans l'imageles deux termes subsistent et ne sontqu'ajoutés l'un à l'autre.

Et ilparle des Indiens qui imitent avec la bouche le bruit d'un insectequi ronge le boiset qui passent de longs mois à chercher uneformule de trois ou quatre vers pour incanter une rivièreetqui considèrent le lapindéjà si troublant cheznouscomme un grand magicien.

Claudell'auteur de Tête d'oret de La Villequi passeparmi nous pour un homme de génieet qui est vice-consul àNew Yorkà Bostonen Chineetc.reste au bureau pardevoirfait des rapports par devoirau point même qu'il enfait qu'on ne lui demande pas.

-- Je suispayédit-il simplement. Je tâche de gagner mon argent.

Ce soirau cirqueun dompteur montrait à la fois des poulesdesrenards et des chiens. Les renards s'avançaient amicalementvers les poules : c'était le progrès. Les poulesn'avaient pas l'air trop rassuré : c'était la routine.Grâce aux chiens pacificateurstout allait bien : c'étaitla civilisation.

Unclassique est un écrivain qui veille sur la tradition.

15 mars.

Le petitfrisson avant-coureur d'une belle phrase qui vient.

Jevoudraisouije voudrais aussi qu'elle allât un peu àla messe. Ça ne me déplairait pas. Elle y montrerait satoilette. Elle serait la plus belle. Elle ne prierait pas Dieusottement comme une dévote inintelligente. Elle lui souriraitlui ferait bon visageavec l'air de dire : « Vous savez ? Sivous existeztant mieux. Je le souhaitemais vous ne me faites paspeur. Je vous aime sans trembler. » Elle n'irait pas aux vêpres: c'est trop froid.

16 mars.

Hierétépour la première fois de ma vie à l'Opéra.

JeanGraveun ouvrier à figure intelligente et douce.Naturellementil fonde un journal. Il a déjà les 300francs du premier numéro. Il me raconte qu'un propriétairea cédé à quelques socialistes un hectare deterrain en pleine campagne. Ils le feront clorey mettront quelquesanimaux etsans travaillery vivront « des fruits de la terre». Ils se vêtiront des peaux de leurs bêtesetc.etc.et les bêtes vivront écorchées. Pourvu quetout cela ne finisse pas malaux Folies-Bergère.

19 mars.

-- Oh !maintenantdit Rodauteur pour institutricesje n'ai plus deprétentions.

-- Il nevous reste que celle de ne plus en avoir.

ChezClaudeldîner et soirée fantômatique. Sa soeur medit :

-- Vous mefaites peurMr. Renard. Vous me ridiculiserez dans un de vos livres.

Son visagepoudré ne s'anime que par les yeux et la bouche. Quelquefoisil semble mort. Elle hait la musiquele dit tout haut comme elle lepenseet son frère ragele nez dans son assietteet on sentses mains se contracter de colère et ses jambes trembler sousla table.

Ateliertraversé de poutresavec des lanternes suspendues par desficelles. Nous les allumons. Des portes d'armoires que Mlle Claudel aplaquées contre le mur. Des chandeliers où la bougie seplante sur une pointe de fer et qui peuvent servir de poignardsetdes ébauches qui dorment sous leur linge. Et ce groupe de lavalse où le couple semble vouloir se coucher et finir la dansepar l'amour.

Je n'aipas entendu un mot de ce que disait la mère. Etpourtantàchacune de nos paroles elle répondaitfaisait sa petiteréflexion pour elle seuleou poussait un soupir.

Et lemusicien qui a vécu deux ans avec Claudelet qui vientseulement d'apprendre que Claudel est un littérateur ! Presqueun vieillardaux cheveux raressans crâneet douxet bienélevéqui vous serre les mains comme s'il voulait d'unseul coup prendre possession de toute votre sympathie. Il ne se faitpas prier pour jouer. Il attendait. Son violon dort au chaud dans descoussins brodés de palmes. Et il joue sans poseles yeuxfermés. Après un morceauil dit : « Qu'est-ceque je vais vous jouer maintenant ? » Quand visiblement noussommes un peu lasil dit : « Faut-il le remettre ? »avec un air de dire : « Il faut donc le remettre ! »

Comparaisonentre la musique et la littérature. Ces gens voudraient nousfaire croire que leurs émotions sont plus complètes queles nôtres. Nous éprouvons tout ce que vous éprouvezplus... Plus quoi ? Un petit plaisir sensuella griserie quedonnerait un verre d'alcool. J'ai peine à croire que ce petitbonhomme à peine vivant aille plus loindans la jouissanced'artque Victor Hugo ou Lamartinequi n'aimaient pas la musique.

On parlede Schwobde ses cheveux à la pirate. Il ne voit plus aucunde nous. Et sa fureur parce que Mme Léon Daudet citait àtable un vers de lui ! Et sa sourde haine parce que j'ai écritIl faut qu'une porte soit fermée !...

-- Est-cevraimademoisellequ'à Guernesey les rochers où s'estassis Victor Hugo sont marqués d'une croix verte ?

Et leroman ? Qui de nous oserait écrire un roman avec ces motsvidés de leurs sens : « Je t'aime » et «amour » ? Nous ne sommes capables que d'écrire un livrec'est-à-dire de remplir un cahier et de vider un encrier pournotre santé intellectuelle.

Shakespeare! Tu dis toujours Shakespeare ! Il y en a un en toi : trouve-le.

Allerparfois dans le monde pour avaler un verre de bile.

UnJaponais à la peau sans pli me dit qued'abordtous lesEuropéens lui ont paru les mêmes et qu'il a mislongtemps à les individualiser.

--Cependantlui dis-jenous sommes blondsou brunsou rougestandis que vous êtes tous jaunes et noirs.

-- Il vousparaîtdit-il.

EtàMlle Claudel qui avait collectionné quelques japonaiseriesqu'elle admire de tout son coeuril apprend qu'elle n'a làque de mauvaises copies de mauvaises choses de la décadence.

26 mars.

Lessillonsrides annuelles de la terre.

Schwobsait quelle est la partie la plus faible d'un livre et que c'est decelle-là surtout qu'il faut complimenter.

27 mars.

De sonronronnementle chat accompagne le tic-tac de l'horloge ; c'esttoute la musique de la chambre.

Pottecherm'emmène chez Goncourt. Il me semble que la maison a grandi.Eulalie vient nous ouvrir. Je crois bien qu'elle a un lorgnon. Elle apresque l'air d'une grande dame dont la fille épouserasûrement un homme de lettres. Goncourtqui se reposait dans sachambrearrivetout tassé. Il se plaint de l'influenza.Description de l'influenza. On ne sait pas ce que c'est. Descriptiond'un feu de cheminée qu'Eulalie et sa fille ont éteint.Supériorité du feu de bois sur tout autre feu. Il agelé l'autre soir en dînant chez Zola ; le dînerétait d'ailleurs très bon. Le feu de bois n'a quel'inconvénient de faire trop de suie. Alorsle progrès? Maintenanton ne sait plus se chauffer. Etmême chez laprincesseles femmes sont obligées de mettre un fichu surleurs épaules décolletées.

-- Etqu'est-ce que vous faites ?

Autrefoison gagnait beaucoup moins. Aujourd'huila littérature nourritson homme. Et encore !... Le plus fortc'est Halévy quicomme Micheletédite ses livres à ses frais. Unartiste ne gagne jamais d'argent par son artmais par ce qu'il saitmettre à côté. En ce sensDaudet a beaucoup faitpour les artistes et pour lui-même. C'est lui qui fait nostraités. Ah ! si je n'avais pas d'enfants ! disent-ils. Maisun artiste ne doit pas avoir d'enfants. C'est une vieille opinion àmoi. Avec mon frèrenous n'avions que 9 000 francs de rentes.

-- Tantqu'on n'aura pas trouvé de moyen de photographier la gloiredis-jel'artiste ne sera pas content. Et il lui restera de seplaindre que ce n'est pas bien venu.

Réflexionssur Sarcey. Zolamalgré tout son talentne comprend niLourdesni Romeni Paris. Ce sont là des sujetsnon deromansmais de fresques historiques.

Ne peutplus lire de livres d'imagination. Ne lit plus que des Mémoires: c'est là qu'il y a encore le moins de fausseté.

Si émule soir de son banquetqu'il a gardé tout entière pourlui la corbeille de fleurs envoyée par Mme Mirbeauet quiétait composée de petits bouquets pour les invitésde marque.

D'aprèsPottecheril a eu beaucoup de maîtresses. A Vichyil reçutune boîte avec une coccinelle dedanset disait : « C'estune jolie femme qui l'a prise sur son cou et qui me l'envoie. »

29 mars.

-- On nevous voit pas.

-- C'estpourtant vraioui. Ça me manque si peu !

Leschardons au poil de lapin.

31 mars.

Hier soirdîner de La Nouvelle Revue. -- Georges Hugole masqueet la carrure de son grand-père. Débute dans lalittérature aujourd'hui même par les Récitsd'un matelot. On pourrait remplir un petit volume de toutes lesbanalités que fera dire ce début. Nous dînons enface de Gerville-RéacheRivet et Dejeantrois députés.J'entends un vieuxqui n'a plus de dentsdire : « Les hommesraffinés sont quelquefois durs. » Nous disons àRivet que Barrès est le plus grand écrivain du siècle.Léon Daudet crie que Boileau est le plus grand poëte detous les temps. Pan ! Pan ! Pan ! Et Georges Hugo dit que LéonDaudet a l'oeil le plus intelligent qu'il connaisse.

Une femmelaide et décolletée parle de ses « petits écrits».

2 avril.

Comme onse rencontre ! ouion se rencontrecornes en avantcomme les deuxchèvres de La Fontaine sur leur étroite planche.

A CharlesMaurras : « Je voudrais causer longuement avec vous de votredéfinition de Poil de carotte. Je ne puispar cettelettreque vous remercier d'avoirpour la seconde foisécritsur mon « sottisier »quelques lignes dont je suis trèstouché. Je n'y ajouterai qu'une réflexionpresque unelégère protestation.

«Comme écrivainje tâche de savoir me borner.Comme lecteurje ne me borne pas. J'aimecroyez-lebeaucoup dechoses que mes livres ne laissent point deviner. J'ai étéfortement remué par les poëteset surtout par laprodigieuse abondance verbale de Victor Hugo. Y a-t-il réaction? C'est possible. Il y a plutôt limitation. Au delàjesuis mal à l'aiseet je m'excuse en me persuadant quepourfaire bienil faut que je fasse peuet même petit. Maislatête relevée de mon établi où vousimaginez que je me contracteje vous assure que je ne méprisepersonne et que je n'ai aucune peur d'admirer les plus grands. Et jeme laisse même aller avec une douce détente.

«Vous voyez que cette lettre ne me suffirait pas. Sachez encore quej'ai barré de coups de crayon furieuxsur mon exemplaire d'Enrouteles mêmes phrases que vous soulignez. Vous voyez quele dégoût de ce trivial exaspérant nous estcommun ».

7 avril

Puisqu'ily a l'homme du Nord et l'homme du Midin'y a-t-il pas aussi l'hommedu Centre ?

Le putoissur la maison des Perreau. Tableau de nuit. Je n'ai plus le temps deregarder tout celad'avoir ces impressions troublantes et quilongtemps se répercutaient en moiet me faisaient rentrer matête sous les draps.

Son livrede la vie fut in-75 ans.

9 avril.

Le docteurGallmannélégant Viennois à lunettes d'or vientme demander de lui indiqueren deux lignesce quedu passéje souhaiterais de voir revivre.

Il me ditqu'on ne connaîtde chaque littérature étrangèreque ses rapports avec la politique.

-- Chaquelittératurelui dis-jea pour chariot sa politique.

Le mot luiplaîtet je sens qu'il le placera quelque part. Je lui écris:

-- Je nedésire rien du passé. Je ne compte plus sur l'avenir.Le présent me suffit. Je suis un homme heureuxcar j'airenoncé au bonheur.


10avril.

PaulHervieutrente-huit ans. Il a maintenant la bonté large quedonne le succès. Il ne dédaigne que...qui ne sait niécrireni construireni faire la scène. Monadmiration pour Capus le choque un peu. Il le met au rang des...quisont des hommes de tout l'esprit qu'on peut avoirmais qui ne sontpas des poëtes. Le poëte est celui qui voit le drame et lacomédie. On gagne à être connu. On perd àêtre trop connu. Pourquoi mépriser le grand monde ?C'est l'aboutissement d'une marche ascensionnelle. L'homme du mondeest aussi intéressant que le mineur. D'ailleurson trouvetout même dans un morceau de silex.

Lescheveux abondants et bien divisésmenton rondpommettesrondes.

13 avril.

Dans cetteaffaire Oscar Wildequelque chose de plus comique que l'indignationde toute l'Angleterrec'est la pudibonderie de quelques Françaisque nous connaissons bien.

Écrirec'est une façon de parler sans être interrompu.

La noix :ces deux minuscules tortues figées ; la tortuecette moitiéde grosse noix.

Derrièrela fenêtre je vois une main qui coud. On dirait qu'elle vientchasser de la vitre une mouche obstinéeune buée quise reformequ'elle relève une mèche de cheveuxretombant toujours.

-- Leschevaux seraient bien plus beaux s'ils n'avaient pas de poilsditBertheet s'ils portaient des tabliers rouges.

27 avril.

Visite deBarbusse. Grandgrandfigure rasée. Il compte sur desarticles de Silvestrede Coppéede Gaston Deschamps. Çafait vendre !

Il me faitl'honneur de dire qu'il préfère la prose aux vers.

Clichés.Encore un qui tenait l'Empire en échec du bout de sa plume oude son crayon !

30 avril.

Rostandun peu jeuneun peu vieuxun peu chauveplein d'un joli talentdans sa Princesse lointainetrès au courant deL'Écornifleur et de Coquecigrues.

Vicaireun Verlaine commundont les vers coulaienthierentre les bocks etles soucoupesmousmous.

Le petitthéâtre minuscule où le spectateur choisit saplacevoilà où je voudrais voir jouer une de mespièces.

-- Ouimon cher amidit Courteline. Elle assistait à la répétitiongénérale d'une pantomimeetcomme elle ne comprenaitpaselle disait à sa voisine : « Aujourd'huice n'estqu'une répétition généralemais ilsparleront demainà la première. »

8 mai.

Mallarmé.Il est tellement clair dans la conversation qu'après l'avoirlu on le trouve causeur banal. Il parle de Baudelaire et de ce que jefais. Malgré moije suis en glace. Impossible de dire un motgentil. Si encoreil était velu comme un fauneje pourraisle caresser.

Jardind'acclimatation. Les boutons de chemise des yeux des flamants roses.

Le casoarà casquequi a des plumes comme un sanglier.

La sellede l'autruche relève.

Un bisontout sculptéexcepté les mâchoires qui remuent.

Un cygnenoir au bec rougecomme un prêtre qui se pique le nez.

Le lièvrede Russie mêle ses poils à l'herbe qui repousse.

Lebouquetin grave comme un moissonneur qui revient des champs et portesur ses épaules une double faucille.

Le lapinbéliernoir ou blancdont le nez remue comme une paupièreaux oreilles lâches comme une cravate dénouée.

Mme TolaDorian. Cheveux blancs sous perruque noire. Elle a encore un jolisourire au coin de la bouche. Tout en vertelle offre au Mercurecomme tapis vertsa robe de velours vert qu'elle déploie etrelève pour montrer de riches dessous.

13 mai.

MmeRostand devine d'instinct si une chose est bonne ou mauvaise. Elleouvre un livrelit deux pagesest fixéeet ne se trompejamais. Seulement en vers. Dit qu'elle ne se connaît pas enprose. Elle aime aussi Renan. Leconte de Lisle l'aimait beaucoup.Elle l'aimait beaucoup aussimais pas son talentce qui la rendaitmalheureuse. Elle ne pouvait pas lui faire de compliments : c'étaitplus fort qu'elle. Elle a fait un volume de versoui. Elle n'enparle plus. Elle tâchera d'en retrouver un exemplaire pour moi.Elle ne s'emporte que dans les discussions littéraires. Ellene peut pas se retenir : c'est encore plus fort qu'elle. Elle n'aimepas le vague. Elle aime les choses profondes et originalesextravagantes autant qu'on voudramais précises.

19 mai.

Les coqs àcrête d'apoplectiques.

21 mai.

Ce quifait le plus plaisir aux femmesc'est une basse flatterie sur leurintelligence.

Dans sonpuits de science il n'avait pas d'eau fraîche.

24 mai.

Éloin'aime pas à écrire une longue phrase. S'il étaitobligé d'en écrire uneil la disperseraitligne parlignesur plusieurs petits morceaux de papier.

30 mai.

Prudencen'est que l'euphémisme de peur.

4 juin.

TristanBernard. Son premier soinen arrivant à l'hôtelest dedemander s'il y a une dépêche pour luiquoique personnene sache son adresse. A tableil fait venir un de ces petitscommissionnaires belges qui ont des blouses blanches de maçonet lui donne un mot : « Prière de remettre au porteurtoutes les dépêches et lettres adressées àM. Paul Bernard. »

-- Vousattendez quelque chose ?

-- Moi ?Rien.

Ils'achète une éponge et une petite terrine à fondvert pour se laver la barbe et le resteet il finit par se laverdans la cuvette de l'hôtel.

Nouscherchons des ressemblanceset nous avons déjà trouvéle père de Paul Hervieuquand je dis :

-- Tiens ?sur l'autre trottoirAlphonse Allais.

EtAlphonse Allais lui-même se retourne et lève les bras auciel. Il nous invite à déjeuner. Comme le garçonlui offre des pommes nouvelles :

-- Il n'ya rien de nouveau sous le soleildit Allais.

Les demisde bièreon les appelle des gendarmes.

LéonHamelle a déjà mangé un homardplusieurstranches de rosbif ; il demande des oeufs durs au garçon quirevient disant :

--Monsieurle buffet froid est ferméet le chef est parti.

La nuitet le matin de bonne heuredans les ruesattelages de chiens quifont croire qu'un peuple de nains prend possession de la citévit et travaille pendant que dort la race des géants.

Bruxellesc'est une capitale de province. Les bicyclistes y ont encore destrompes.

Lesmoeursc'est comme l'argent : il n'y a que la menue monnaie quichange de ville à ville. Ce qui a de la valeur et ce quiimporte reste le même.

20 juin.

Arrivéeà Gérardmer. -- Sur le lacun petit bateau marche àla voile avec un parapluie.

Avec unecroisée mi-partie en carreaux rougesmi-partie en carreauxbleuson tire deux forêts d'une seule : une en plein incendiel'autrenoirebrûléeéteinte. Des nuéesblanches s'accrochent aux pins.

Devantmoiun petit paysage sorti d'une boîte de jour de l'anavecdes maisons rougesdes arbres vernis et de grandes toiles blanchesétendues sur l'herbe. Des petits chalets qu'on pourraitdéplacer en mouillant le bout de son doigt.

21 juin.

Levoyageur quilà-bassur la routepasse péniblementd'un arbre à un autre.

Ce n'estpas une plaisanterieun mirage classique : une belle jeune fillemarche pieds nus sur la route.

29 juin.

Sur lesroses la rosée.

Je saispourquoi je déteste le dimanche : c'est parce que des gensoccupés à riense permettent d'être oisifs commemoi.

Une lunelégèrecomme faite avec un morceau de nuage blanc.

Claudel.L'âpre Bresse où il est né une seconde fois. Sonfront devait se cogner aux montagnespuispar les vallées àperte de vueson regard filer comme un éclair. Un calvairequi donne le vertige. Une église qui étouffe le villagedans son ombreet ces gens dévots qui nous regardenttoujourstoujourscomme des étrangers.

Et l'onarrive à ces maisons de cloportes par d'invisibles sentiersperdus dans l'herbe. L'hiveril faut repousser la neige comme desours blancs.

Quelépicier aligna tous ces pins de sucre ?

Ce qui memanquaitau milieu de ces pinsc'était de pouvoir poser meslèvres sur la joue d'une femme fraîche et un peu lasse.

Le petitruisseau qui écume à toutes les pierres.

-- Lesbêtes qui dorment dans l'ombre reposent mieux et s'échauffentmoinsdit la vieille femme.

On nevoyait de la chèvre que ses yeuxet un peu ses cornes.

-- Lachèvre qui pond du laitdit Berthe.

Desmoissons dispersées sur la montagne avec une symétriequi apparaît de loinune proportion dans les distances. Çàet làune école videavec sa cloche dont la ficellepend. Ses verres dépolis et grattés et ses grandescartes d'atlas qui dépassent.

Leschevaux aux tabliers chasseurs de moucheset leurs petites toursEiffel de grelots.

L'oragejoueur de boules derrière la montagne. Après chaquecoup de tonnerre la pluie redouble comme les pleurs après lesgros mots.

Dans unlong voyageeffacer des gares comme les jours de l'année aurégiment.

5 juillet.

Gérardmerla Schluchtle Hohneck. -- Charlemagne a pris ici un repaschampêtre. Tout de suite on parle de ses relations avec sesfilles.

LaRoche du diableoccasion d'exposer sa théorie sur levertige. Le corps en arrièreon ne s'appuie à la rampede fer que du bout du doigt. On devient cotonneux. Un mendiantquiressemble à Verlaine(il est très beauce mendiant-là!) profite de notre vertige. Par sensibilité peureusenouslui donnons chacun deux sous. C'est à la fois une charitéet une façon de désarmer l'abîme qui bâilleà nos pieds.

La Meurthen'en finit plus de prendre sa source. Les autres rivièrespeuvent attendre.

Descendujusqu'à Retournemer par le Sentier des Dames. C'est une espèced'entraînement pour l'enfer. Un des endroits les plus riants denotre promenade. Des petites servantes ahuries nous apportent bièreâcre et limonade rouge. Comme je donne quatre sous de pourboireà l'une d'elleselle les retournetrouve que ce n'est pasassez pour payer la bièreou se demande pourquoi je paie deuxfois.

AuHohnecktable d'orientation. Un sentier permet d'y arriver sansmarcher sur le territoire allemand. Il faut être patriotecarle sentier allemand est beaucoup plus doux.

Vivre etmourir au bord du lac de Longemer ! Les lichens pendent comme desbarbes d'Espagnols. Sous les hêtresla cascade tombe engémissantcomme une femme qui se cache la figure.

6 juillet.

Le poëteTitulopanpé avait faitsur les papillonsune pièce devers. Il n'en était pas content du tout. Il trouvait lourd levol de ses papillons. Il déchira ses vers et jeta sur le lacles morceaux de papier. Mais ils ne tombèrent pas àl'eau. Légersils s'envolèrent d'un essor miroitantpris par la brise. Et le poëte Titulopanpé les suivait duregardattendricontent d'avoir écrit des vers meilleursqu'il ne croyait.

19juillet.

Rentréeà Paris. Paris a une odeur de fiacre.

26juillet.

J'aimemieux m'occuper de moi que des autresdans la crainte qu'ils nedisent : « De quoi se mêle-t- ilcelui-là ? »

28juillet.

Cettepièce estcomme on dit dans les faits diversun de cesdrames malheureusement trop fréquents.

29juillet.

Toutenotre critiquec'est de reprocher à autrui de n'avoir que lesqualités que nous croyons avoir.

10 août.

Je pense àvous etdevant chaque beau siteje pousse une exclamation en votrehonneur.

De la joiecomme quand il pleut et qu'on sait un ami dehors.

20 août.

La merc'est l'abîme plein jusqu'au bord.

Oh ! voirle Groënland ou la mer Morte ! Devant moisur le coteauil y aun petit arbre maigre et ratatiné qui tourne son dos de bossuà la mer et se courbe à son souffle oppressant.

25 août.

Rentréede Veulettes à Paris.

Lescanards se demandent quel est celui d'entre eux qu'ils verrontdemainau lever du soleilbrusquement empoigné par laservante de l'hôtelserré au coules ailes follesetjeté par terrebec ouvertpattes raideset ne bougeantpluscomme s'il dormait.

27 août.

TristanBernardun homme audacieuxun vrai Parisien. Il a le courage dedescendre de bicyclette et d'acheter un cornet de raisin chez lafruitière d'en faceet de le manger tout de suitesur letrottoirsous les regards des concierges du quartier.

Quand lesautres me fatiguentc'est que je me lasse de moi-même.

Quand onlit le récit d'une vie « exemplaire » comme cellede Balzacon arrive toujours au récit de la mort. Ainsiàquoi bon ?

28 août.

Je suissouvent mécontent de ce que j'ai écrit. Je ne le suisjamais de ce que j'écriscarsi j'en étais mécontentje ne l'écrirais pas.

Lamontagne enterrée. -- Des étoiles brillent. Les yeux duloup s'allument dans la forêt. L'ombre de la montagne se couchedans l'eau du lac comme un grand catafalqueet les reflets desétoiles s'allument tout à l'entourcomme des cierges.

29 août.

Le garçonde librairie au vent est curieux à observer. Çal'agacetous ces désoeuvrés qui dérangent leslivresles salissent et ne les achètent jamais. Les liseursde revues surtout l'horripilent : il les traite en ennemis. Il lesrepousse des genoux et du coude avec un tardif : « Pardonmonsieur »si l'ennemi résiste. Il ouvre des placardsdu bas et écarte les portescomme si un landau allait entrer.

Maissonarme la plus redoutableC'est le plumeau. Il s'en sert avecsournoiserie. Il fait voler la poussière des livres sous lesnarines du badaud qui ne s'aperçoit de rienqui admet toutesles nécessités du serviceet qui finit par s'en alleracheter un livre plus loin.

Quelquefoisc'est un pauvre auteur dont l'implacable employé coupe ainsinetl'innocente joie de manier son livre.


30août.

HierCapus couleur de cuivre. Il vient de terminer une pièce avecAlphonse Allais. C'était durde faire travailler Allais deuxou trois heures par jour.

-- Pourfaire une pièce de théâtredit Capusil ne fautque de la volonté et de l'esprit de sacrifice. En journalismeon peut écrire une mauvaise page aujourd'hui à lacondition d'en écrire une bonne demain. Dans une pièceil faut déchirer la page mauvaise. C'était le plus durà faire comprendre à Allais. Il était rebelle àce principe comme aux lois de l'équilibre. Jamais je n'ai pului apprendre à monter à bicyclette.

Capus ahérité des dettes de Balzac. Il ne vient de Blois àParis que pour prendre chez son concierge des feuilles de papiertimbré ou des menaces de vente. Ça commence à lefatiguer tout de même.

Sur leboulevard on l'appelle Alfred : c'est donc bien un journaliste.

Vu Brieux« l'auteur applaudi » de Blanchette et deL'Engrenage. Des cheveux trop longs et un pantalon trop court.Il vient de « terminer une pièce ». Il a unefigure rose et jeune. Il allait à la campagneavec l'air d'enrevenir.

La toutepetite fille de la conciergequi est devenue aveuglecommence àtrès bien se servir de ses autres sens : elle va et vientmême sur le trottoir ; maisquand elle entend des enfantsjouer dans la rueelle rentre et pleure.

4septembre.

Cliché.Les artsl'agricultureles lettresla politique ont fourni desaliments à l'activité de son intelligence.

Comme jeremercie Mme Adam de m'avoir fait obtenir un sursiselle me parlelonguement de la bonté pour la bonté. Elle détestelà bonté judaïque qui implique une récompense.Elle est pour la bonté moderne.

-- Demêmedit-elleque la rente de l'argent qui baisse de plus enplusde même la rente de la bonté doit se réduireau minimumet même s'annuler. Non que je sois bête ! Jene lâche pas les méchantsetquand j'ai mis ma fortuneen travers de celle d'un Bismarck ou d'un Gambettason affaire estmauvaise. Quand on me répète qu'une femme dit du mal demoije réponds : « Je ne comprends pas. Je ne lui aipourtant jamais fait de bien ni rendu aucun service. »

Elle vientde recevoir la visite d'un Russe qu'on n'a pas encore rapatriébien quedit-elleelle ait donné 12 000 francs de sa pochepour le rapatriement des Russes. Et ça ne l'amuse pascarelle n'est pas riche.

Elle a destoilettes clairesl'air aussi jeune que peut l'avoir une femme déjàvieilledes dents fines et vraiesdes cheveux grisun visage pastrop poudréet de grosses lunettes.

7septembre.

Moncerveau est gras de littérature et gonflé comme un foied'oie.

9septembre.

A chaqueinstant Poil de carotte me revient. Nous vivons ensembleet j'espèrebien que je mourrai avant lui.

10septembre.

L'écureuilson murmure à bouche fermée.

13septembre.

M. Rigalest encore venu me voir ce matincomme une leçon. Il a unechaîne de montre en orune cravate blancheune chemise moinsblancheet des accrocs à ses manchesà son pantalond'un noir polipoli. Il ne veut pas d'une situation quil'humilierait aux yeux de ses anciens administrésmaisil leur tend volontiers la main. Il parle d'organiser une loterie à20 francs le billet. A 200 billetsil trouverait 4 000 francsavecquoi il recommencerait sa vie. Dans une heure de conversationiltrouve quatre ou cinq idées qui le tireraient d'affaire.

--Qu'est-ce que vous en pensezRenard ? Il vaudrait mieux faire celapeut-être ?

Arrivel'instant où ses yeux s'emplissent d'eau. C'est une habitudequ'il a prise. Il réussit très bien.

Et il esttoujours grasde cette graisse des petits restaurants où l'onmange beaucoup de pain. Il a gardé son bon appétit etses petites dents d'Auvergnat rongeur ; et il a une poignée demain en chair froide.

La misèrene le corrige pas. On voit qu'il se fait à mendier. Il secontente de traiter le siècle de « positif ». Sesmains courent à toutes ses pochesdisparaissentressortentvont et viennent pour tirer des lettres : « Tenezlisez ça! »des lettres dédoublées pour que çapèse moinset sales. On reste les yeux dessus le tempsnécessaire pour faire croire qu'on les lit. Et tout àcoup :

-- Si jeretournais à Nevers fonder une nouvelle maison ?

Je leregarde. Et sa grosse têtebouffiechauve et cuivréeme fait l'effet d'une cloche dont le battantsoudaindevient fou.

Ettoutle tempsla peur du « tapage ». Mais ça ne tombepas.

Etreheureux n'est pas le butmais il faut au moins l'avoir été.

Mêmeen voitureil a l'air d'aller à pied.

18septembre.

Il aplusieurs cordes à l'arc de sa lyre.

19septembre.

Hierchezles Noirs du Soudan. Une odeur d'insectes écrasés.Femmes portant sur leur dos des enfants dont la tête pend. Lesunes écrasent du mil dans des calebasses. Unejoliechangeson petitet cette jeune mère montre de belles cuissesbrunespoliestentantes. Un enfant plonge dans un lac verdâtrequi dégoûterait des canardsramasse le sou qu'on lui ajeté et le met dans sa bouche. Mon confrère écritsur de longues feuilles de papierd'une écriture arabeencommençant par la droitedes histoires pour son petit garçon.

Ilscousent sans désavec des épines. Quelques-uns ont destêtes intelligentesla plupartdes figures puériles.Dès mon arrivéeje sens dans la foule unchatouillement au ventre : c'est un petit Noir qui pose sa bouche surmon gilet et dit : « Sou ! Sou ! Sou ! » Je lui donne unsouqu'il baise. D'autres demandent à échanger leurssous contre des pièceset les jeunes femmes envoient unbaiser contre un sou.

Une sepose un cataplasme sur un abcès qu'elle a sous le bras : pasun poil. Ils se chauffent. Je m'imagine que je fais naufrage auSoudan et que tout à coup je me vois entouré d'unecinquantaine de Noirs gambadant et hurlant.

Quelques-unsse promènent avec des Blanches. Volontiers ils touchent nosbarbeset leurs mains nous passent devant la figure comme deschauves-souris

Dans descalebasses ils mangent avec des os plats le riz couleur de ciment.Leurs produits sont rangés par échantillons dans unemosquéemais sur les étiquettes des bocaux il y a desadresses de Paris. Leurs maisonsnous en faisions de pareilles quandnous étions petits. C'est entre le marin et le lapin.

Lesforgerons ont des soufflets cornus qu'ils lèvent et rabaissentcomme des diables. Aux chevilles des femmesde lourds anneauxd'argent. Pas de poitrine : des seins écartés et enforme de poires à poudre.

Histoiresnaturelles. - Buffon a décrit les animaux pour faireplaisir : aux hommes. Moije voudrais être agréable auxanimaux mêmes. Je voudraiss'ils pouvaient lire mes petitesHistoires naturellesque cela les fît sourire.

Il aimebeaucoup les voyages. Ce qui l'ennuiec'est de changer de place.

20septembre.

Il excelledans le comique et le tragique à la fois ou séparément.

22septembre.

Relisrelis. Des choses que tu n'as pas comprises hiertu seras toutétonné de les comprendre aujourd'hui. Voilàseulement que j'aime Mérimée.

Je n'aimeà écrire que de petites chosesen artistemais je nerisque pas des livres de précisiondes biographiesdescritiques. Les romans me dégoûtentles vers mefatiguent.

Reconstruirema famille d'après mon enfance.

Il medemandait la lune. J'allai chercher un seau d'eau. « Tiens »lui dis-je« prends-la. Tu n'as qu'à te baisser. Tu nepeux pas l'attraper ? Arrange-toi. Ce n'est plus mon affaire. Je t'aiapporté la lune. »

J'aiattelé Pégase à une charrue. Il a beau piaffer :il faut qu'il marche avec lenteur et qu'il laboure mon champ. Ilreniflaitjetait du feupiaffaitm'offrait sa croupeprêt às'envoler.

-- Toutcela est bienlui dis-je. Mais approche-toi.

Il vouluts'élancer au cielmais le soc de la charrue s'enfonçaitdans la terre et l'y retenait.

Il n'y apas de Paradismais il faut tâcher de mériter qu'il yen ait un.

Impossiblede voir au fond de mon coeur : la bougie s'y éteintfauted'air pur.

Je me sensdéjà vieuxincapable de grandes choses. Si ma vie seprolonge de vingt annéescomment pourrai-je les remplir ?

25septembre.

Je n'envoudrais pas pour un empire colonial.

26septembre.

Ce qui megâte les animaux de Grandvillec'est leur costume. L'airsuffisait. J'ai tâché de me contenter de l'airdans mes Histoires naturelles. Les animaux ne sont pasridicules.

La tortueressemble à une blouse qui sèche sur une corde etballonnée par le vent.

La girafeporte-drapeau.

Lehérisson frisé comme des baguettes de tambour.

L'âneau sabot d'enfantmodeste chanteur des rues.

28septembre.

Par lafenêtreje la vois toujours travaillant. Il lui arrive deparler tout haut à son ouvrage. Le matinelle fait son ménageavec des gants. C'est une vieille fille qui a quitté la maisonoù elle était parce qu'on l'a démolie. Elle estici depuis plus de quinze ans. Elle n'a fait que ces deux maisons. Unami vient la voir. Jamais il ne couche. Il déjeune quelquefoisle dimanche. Ils sont blancstous les deuxà les croirepoudréset propreset polispolis. Ils font de fréquentsvoyages et paient leur loyer avant de partir. Il est veufpèrede famille. Il a des enfants qui ont des enfants. De peur de leurfaire du tortelle n'a jamais voulu l'épouser. C'est uncouple qui fait aimer la vie. Elle ne réclame rien àson propriétaire. Une foiselle lui a demandél'autorisation de faire changer son papier à ses frais. Bienavec tout le mondeelle est vieille et a l'air jeune. On la voittrès bien maîtresse aimée et amoureuse.

Pour vivretous les jours avec les mêmes personnesil faut garder avecelles l'attitude qu'on aurait si on ne les voyait que tous les troismois.

Ce n'estpas nouveau : c'est renouveautout au plus.

29septembre.

Le pivert: « Peut-on entrer ? » Il regarde de l'autre côtés'il a percé l'arbre. Le chirurgien des arbres.

30septembre.

Le jugeavec sa toquecoiffé comme un gros crayon.

Qu'est-ceque vous voulez que je fasse ! Est-ce ma faute si je n'ai pas lementon volontaire ?

Tupasseras ta vie à crever ta coquille.

Relu leslettres de Schwob. Nos lettresc'est bien ce qu'il y a de meilleuren nous.

Patience !L'eau de mon petit ruisseau arrivera à la mer.

Je veuxque mon oreille soit un coquillage qui garde tous les bruits de lanature.

Etquandune feuille qui paraît abritée se met tout à coupà remuerà délirer (oui ! elle a le délire)ses voisines restant calmesn'y a-t-il pas là un mystère?

Soismodeste ! C'est le genre d'orgueil qui déplaît le moins.

La viequ'il y a dans une mouche. Son arrière-train transparent demie de pain. Elle frotte ses deux pattes de devant l'une contrel'autreet sa trompe entre ses pattes.

Si jel'écrasais comme une mouche ?

2 octobre.

Ne vousillusionnez donc pas ! Né vingt ans plus tôtvousauriez fait du naturalisme comme tout le monde.

C'estétonnant comme ces écrivains célibataires quin'ont pas d'enfants s'occupent du problème de l'enfant !

3 octobre.

Celui quiaime la littérature n'aime ni l'argentni les tableauxniles bibelotsni le reste. Au fondBalzac n'aimait pas lalittérature.

Balzac estvrai en grosil ne l'est pas en détail.

Des nuagesgrisveloutéset comme illuminés de feux intérieurs.

Et malyreje l'ai mise au gaz.

4 octobre.

Un journalqui s'est assuré contre ma collaboration.

5 octobre.

Le matinau travail. Brumes d'abordquelquefois impénétrables.Etpeu à peuil fait clair. C'est comme un petit soleil quis'élève lentement dans le cerveau.

6 octobre.

D'aprèsThéocrite. -- Etsifflant sur une lame de couteauils sedisputèrent le prix de la flûte. L'un mit comme enjeuson paquet de tabacl'autreun petit porte-monnaie presque neuf.

Comme çam'est égalque certaines des idylles de Théocritesoient en dialecte ionien ! Faire avec de réels bergersmodernes ce qu'il a fait avec ses bergers syracusains.

8 octobre.

Allais medit hier soir qu'il a vu Schwob dans un misérable petit cafésirotanteffondréun verre de liqueur noire.

Il n'y aque les hommes de lettres qui soient capables de piétiner unsujet de conversation avec une telle opiniâtreté. Cesujetc'était Les Tenailles de Paul Hervieu. Allaisdéclare que la pièce l'a tout bêtement empoigné.Capus proteste contre cette sécheresse d'Hervieuce manqued'humanitéd'intérêtce parti pris de froideur.Aucune émotion dit-il. Des phrases où il n'en faut pas.Il est aigrece soirCapuset il prétend qu'il fautcomprendre la critique comme Rochefort et Drumont comprennent lapolitique : avec partialité et indignation.

-- Jerencontredit AllaisHervieu qui me dit : « Crois-tu que j'aide la guigne ! Le Français fait relâche ce soir àcause de la mort de Pasteur ! » Et il a 15 000 francs de rentes!

Et Allaisne rit que du coin de la boucheou il se met la main sur les lèvrespour cacher l'âge de ses dents.

Je dis queles hommes de lettres gagnent trop d'argent.

-- Cetteidée vous passera d'autant plus vitedit Capusqu'on vousaugmentera plus rapidement. D'ailleursje suis de votre avis. Moije gagne de l'argent pour payer mes dettes. Je n'ai que du méprispour ceux qui gagnent de l'argent sans raison.

Et Capusmontre une réelle supériorité sur Allaisdontles plaisanteries sont un peu toujours les mêmeset grasses.Allais parle de ses parents qui habitent à Honfleur.

--Maintenantils sont fiers de toidit Mme Allais.

-- Espèced'imbécile ! Pourquoi veux-tu qu'ils soient fiers ? Ils sontcontents que leur pauvre fils gagne de l'argentvoilà tout.Longtemps on s'est demandé à Honfleur : « De quoivit-il ? Il a fait ses études de pharmacienpuis il a menéune vie de bohème sans jamais faire de dettesdemandant unbillet de cent francs à sa mère qui ne se faisait pastrop prier ; et aujourd'hui toute la jeunesse de Honfleur est aveclui. »

Ils viventà l'hôtel. Ils ont 200 000 francs auxquels ils netouchent pas et qu'ils gardent pour acheter une propriétéà Honfleur. Ils ont ramené de Blois un petit groomqu'ils paient 15 francs par mois et qui n'a rien à faire.Chaque matinà l'hôtelil demande à madame : «Qu'est-ce qu'il faut faire ? » On ne sait pas. Alorsonl'envoie porter une lettre chez des amis qui sont absentset on luidit d'attendre la réponse.

Produirebeaucoupne publier que le meilleur.

9 octobre.

-- Noussommes assis sur le murpapa et moidit mon frère Maurice.Il attend que je parleet moi j'attends qu'il parle. Et çadure jusqu'à ce que nous allions nous coucher. Il ne peut plustirer. Il a une douleur dans le bras gauche. Quand une perdrix partqu'un lièvre débouleil ne peut plus lever le bras.C'est comme si quelqu'un lui mettait la main sur l'épaule pourl'empêcher de tuer et lui disait : « Assez ! »

Dans lavieille chambre à coucherle papier se décolle et leplâtre du mur se dégrade. Ça fait des trous. Il yen a un assez grand pour que je puisse y mettre ma montrecomme dansune niche.

Papa estvenu avec moi jusqu'aux champs Bargeots et il me fatigue. Il ditauretour : « Je ne suis pas plus fatigué qu'au départparce qu'à mon âge on est toujours fatigué. »

10octobre.

Quand nousrencontrons une actriceune femme de lettresnous lui disons : «Ma femme est beaucoup moins intelligente que vous. Elle n'a ni votreespritni votre beauténi vos toilettesmais vous verrezcomme elle est bonne femme ! Elle sera si heureuse de vous connaîtreque je suis sûr qu'elle vous plaira. » Etsi notrefemmesurgissant derrière nousnous entendait parler ainsielle nous donnerait peut-être une claque.

J'ai faitdu journalisme en chambredit Vielé-Griffinpour moi toutseuldepuis l'article de tête jusqu'aux nouvelles à lamainet j'ai vu combien c'était facile. Au bout d'un moisjesavais à quoi m'en teniret j'ai laissé là cetexercice inférieur.

16octobre.

Formulespour accuser réception des livres :

-- Ducourageselon le mot de Diderot. Élargissez Dieu.

-- Voilàun livre qui est bien à vousmon cher amiet je suis heureuxde vous le dire.

-- Merci !J'emporte votre livre à la campagne. Je le lirai sous lesarbresau bord de l'eaudans un décor digne de lui.

19octobre.

Quand vousrougissezvous êtes jolie et mélancolique à voircomme un feu de bois.

21octobre.

Le corbeau: il revient de l'enterrement. Une pie en demi-deuil.

22octobre.

A l'Odéon.Docquois et moinous nous asseyons sur un bancdans l'escalier.D'abordje suis frappé par la quantité de calottes quipassent et repassent devant nousconcierges et garçons debureau. Une espèce d'Hamlet maladif monteet descendetremonteavec un souffle pénible. Des petites actrices etleurs mères attendent. Une mère dit : « Ons'amuse comme à la campagneici ! » La petite répond: « Si encore on y était ! » Tout à coup onentend un cri : « Auguste ! » Tout le monde s'élance.L'escalier tremble. C'est Marck qui arrive. Voilà un cri quime restera dans l'oreille.

Dans lecabinet directorialM. Desbeaux ressemble bien à Capus. «Et pourtant » dit-il« je ne le connais pas. Je ne l'aijamais vu ». M. Marck est le plus grosle plus directeur.D'ailleursil est seul à s'asseoir. On distribue les rôles.Lecture aux artistesjeudide cette comédie impayablecommea dit Sarceysans doute parce que l'Odéon ne nous paierarien.

24octobre.

Il fautpourtant que je sorte mes guenilles de ma malle pour les défriserdit papa.

25octobre.

Papatypede maire. -- Le tambour de la commune a 25 francs par an.

-- Il n'apas de quoi entretenir sa caissedis-je.

--D'abordelle n'est pas à lui. Elle est à la commune ;et puisje ne la fais jamais battre. Il ne tape guère qu'auxélections. En admettant que je le dérange une heure parança lui fait une heure bien payée. Enfinc'est unprivilège. Le tambour revient presque de droit au gardechampêtreque mon prédécesseur a dépossédéje ne sais pourquoi. C'est un type ce tambour. Pour scier ma pile deboisil est venu l'autre jour avec son couteau à scie.

Chaquecommune a maintenant une assistance médicale ; et puisnousdonnons du pain aux pauvres. Il y a des malheureux à Chitrymais pas un mendiant. Il est interdit aux mendiants de quitter leurcommune. Avec un morceau de pain et deux ou trois noix on se nourrit.Il m'en est venu deux de Saint-Révérienun aveugleconduit par une jeune femme.

-- Maislui dis-jeest-ce que votre femme ne pourrait pas travailler au lieude vous promener comme ça toute la journée ?

-- Oh !monsieur le maireça nous rapporterait moins.

Je leur aitout de même donné un souen leur disant de ne plusrevenirsinonje les ferais arrêter. Puisje les ai regardéspartir par la vieille route. Je les entendais rire. Ils se moquaientde moi.

Les boeufsblonds comme les blés.

26octobre.

Lasauterelle en forme de g.

27octobre.

Quand elles'est mariéeelle n'a pas voulu inviter -- ou elle l'aoublié-- un de ses parents qui était sorcier àMarigny et de qui l'on racontait des histoires peu honorables. Il sevengea en envoyant à Alexandre la guillotte noirec'est-à-dire que pendant dix jours il fut impossible àAlexandre d'« embrasser » sa femme. Elle raconte cetteaventure à qui veut l'entendreet toujours dans les mêmestermes. Alexandrequi est là et qui écoutene dit niouini non. Il ne se trouve pas ridiculepuisque c'était unsort.

Ceux quimarchent avec une jambe et une épaule.

Les vachesfont cuire au soleil le café au lait de leur ventre.

Lescrémaillères lumineuses de l'orage.

Ellesétaient assises comme des meules de blé.

Etrepartout et dans un coin.

J'aicomme on ditl'esprit mordantmais je ne m'en sens paset matimidité augmente.

Il n'y aaucune différence entre la perle vraie et la perle fausse. Ledifficilec'est d'avoir l'air désolé quand on casse ouqu'on perd la perle fausse.

Elle a sesrides toutes prêtes. Au moindre froncementelles se forment.

Le crapaud: il marche ventre à terre.

Voilàce quemême au prix d'une rêverie intenseje ne peuxpas faire : situer Moïse dans le temps par rapport àHomère.

La naturen'est pas définitive : on peut toujours lui ajouter.

Papa neveut jamais télégraphier son arrivéeparcequ'on sait quand on partmais on ne sait pas quand on arrive. Et ilarrive à l'improvistede cinquante lieuesavec une perdrixdans sa poche.

Il parleavec tant de lenteur qu'il ne répond jamais qu'àl'avant-dernière question.

Agacétout ce jour par un petit tremblement de la paupière.

Unedouleur derrière la têtecomme si l'on me soutirait desidées.


29octobre.

La grandeerreur de la justicec'est de s'imaginer que ses accusésagissent toujours logiquement.

31octobre.

JulesRenardmaire de Chaumotc'est ça qui fera bien sur lacouverture de mes livres !

1ernovembre.

LéonBlumun jeune homme imberbe quid'une voix de fillettepeutréciterdurant deux heures d'horlogedu Pascaldu LaBruyèredu Saint-Evremontetc.

« Ilrecouvrit la raison »écrivait Marcel L'Heureux dans unde ses contes.

-- Il doity avoir une faute d'orthographedit Fénéon. C'est lamaisonqu'il voulait dire.

2novembre.

Papa. --Les veines gonflées de ses tempes. Les taupes le travaillentet le ravagent sous la peau.

Le mouton: il n'a oublié que de nouer sa faveur rose autour de son cou.

4novembre.

Lecrapaudet sa jambe de forçat qui a traîné leboulet à la patte.

5novembre.

Il n'y apas de synthèse : il n'y a que le discontinu.

9novembre.

Unironiste n'est pas un homme d'esprit. Donnay a autant d'esprit qu'onen peut avoir : ce n'est pas un ironiste.

Un amic'est celui qui devine toujours quand on a besoin de lui.

-- Ouidit MarckBauërqui tape sur l'Odéon tant qu'il peutnous y fait entretenir une espèce de grue qui nous coûte6 000 francs et dont personne ne veut.

13novembre.

Souper. --Mme Rostand est religieuse. Elle se confesse et communiemais sonmari dit que ce n'est pas sérieuxqu'elle s'efforce seulementde croire.

Il estvraiment exquisRostand. Il ne fait pas de journalismeil n'écritpas dans les revuesà la pensée qu'il pourrait prendrela place de quelqu'un. Maiscomme il n'a pas le succèsquotidien pour le fouetteril reste quelquefois désespérédeux ou trois mois de suite. Il est très préoccupépar la misère des autres. Il donne beaucoup.

Ils ontfaitune foissouper Richepin jusqu'à quatre heures dumatin. Pour l'y décider ils disaient : « Vous avez peurde votre femme »ou « Il vaut mieux rentrer : vousseriez trop fatigué demain matin. » Et il restaitet ilsoupaitcomme un misérable.

-- Votretentative à l'Odéonme dit Tristan Bernardfaitpenser à un bon nageur qui tremperait le bout du pied dansl'eaula trouverait trop froide et la ferait tâter par unautre.

15novembre.

Le lapin ale geste humain d'un homme qui se peigne la barbe.

16novembre.

JulesHuret me dit :

-- Oh !Mendèsle voilà romantique à tous crins. Çal'a pris comme un retour en enfance. Il disait dans un caféau milieu d'amis :

-- Renardfinira par écrire : « La poule pond »et il secroisera les brasen arrêt admiratif sur cette beauté.

-- Et luidis-jeil finira par écrire : « La poule foire. »Etavec ces trois motsil barbouillera d'abord une feuillepuisune ramepuis un volume de papieret il lui en restera encore àdire.

Steinlenme raconte que ce pauvre Jules Jouy est dans une maison de santéà 350 francs par mois. C'est la grosse Dufaysa maîtressequi a été très bonne pour luiqui l'entretient.Mais on commence à ne plus savoir où trouver del'argent.

Quand onva le voiron lui dit : « Écris-moi un motsi tu mereconnais. » Et il écrit tout de suite une page entièreoù il y a un ou deux mots compréhensiblesle resteétant inintelligible.

Cettefoliec'est la suite d'un accident. Un jouril a reçu unebûche sur l'oeil. Il ne l'avouait pasmais il étaitborgne.

Je payaishier soir 56 fr. 50 à Steinlen pour prix de son Poil decarotte. Par pudeuril laissa l'argent sur le guéridonn'osant pas le prendre tout de suiteavidementcomme un effronté.Puis nous causâmes dans le demi-jourle crépuscule etla nuit complète ; etquand la bonne vint apporter la lampel'argent avait disparu.

Ni l'un nil'autre nous n'avons osé réclamer.

Le taureauet sa belle tête de tribun populaire.

Travaillercomme un borgne et laisser faire aux dieux.

Le feu dela cheminéece petit théâtre où lesflammes gesticulent comme des acteurs affairés. (Cette imageestje croisde Rostand.)

Ajoutezdeux lettres à « Paris » : c'est le Paradis.

Un pauvreacteur de l'OdéonFourniercelui qui apporte les lettres surun platme dit :

-- Pensezà moimonsieur Renard. Ça me ferait tant plaisir !C'est moi qui apporte toutes les affaires.

Jem'imagine qu'il me demande un pourboire et je répondssèchement :

-- Oui !Oui ! J'en parlerai à Docquois.

Mais non :il me demandait une brochure.

Paparaconte l'histoire de Compère le poulet.

Il s'estcassé une patte en grattant la terre. Il est allé voirle médecinqui lui a dit :

-- Je nevous soignerai pas si vous ne me donnez pas d'argent.

Le pouletest parti. En grattant la terre de son autre patteil trouve unporte-monnaieet il va voir un autre médecin. Puis ils'achète un grand cheval et une voitureet il passe etrepasse fièrement devant le premier médecin qui arefusé de le soigner pour rien.

17novembre.

ARobinson. Peut-on abîmer un arbre comme ça ! Ettout enhautil y a un couple. La femme est vieillemais l'homme est sijeune !

Hierdansles bois de Bellevuedans une grande et large allée oùles arbres perdent leurs feuilles et meurent comme des poëtessilencieuxune folle.

Nousétions en voiture. Elle courut derrière nous et nousdit précipitamment :

--Connaissez-vous ma famille ? Elle est de Normandie. Comme vousl'aimeriez si vous la connaissiez !

Elle étaitbien misejeune encorepresque distinguée.

Unereligieuse l'accompagne etde temps en tempsla rabroue :

--Voulez-vous laisser ces messieurs tranquilles !... Allonsviteici!

Elle luipermet de s'éloigner d'une centaine de mètres. Elle larappelle d'une voix dure. La folle ne l'écoute plusqui doità sa richesse de ne pas mendier dans les fossés.

Les arbresmontrent leurs fibres les plus intimes.

Voilàune maison qu'on n'avait pas vue de tout l'été.

Et la nuitqui descend également sur tout.

Letombereau qu'on décharge. Il y a peut-être une prose demoi dans ces papiers. La voiture qui nous secoue. Si nous avions desbouchonsnous ne pourrions plus les ravoir. Un chasseur sur un petitpont. Des arbres à têtes rouges. De longues bandesvertes. Des oies qui marchent assises. Et partoutpartoutdespoteaux avec l'inscription : Chasse réservée. Oh !laissez-moi entrer : je ne tuerai pas vos bêtes. Je lesregarderai sans y toucher. Une petite mare à boire.

O bois àqui je voudrais me mêler ! Dire que je ne pourrais pas passerune secondetout nuentre tes arbressans éternuer !

Barrèsaffecté comme un enfant par un article où BernardLazare à L'Écho de Parisinsinue qu'il est unfédéraliste genre réactionnaire. Il ne saitquelle réponse faire.

-- Quandon revient de la campagnedit-ilon se sent de la vitalité.On porte en soi une force fraîche. J'ai envie de répondrepar des coups de pieds.

Il ditqu'on a les qualités qu'on veut avoiret quesi l'abondanceme manquec'est parce que je n'en veux point. PourtantàMérimée aussi l'on reproche sa sécheresse ; etquand on veut citer un conteur parfaiton cite Mérimée.

Jamais uncomplimentce qui m'exaspère. Pourtantje les provoque. J'aimême la bêtise de lui parler fédéralisme etde lui dire que je vais faire tout mon possible pour être nommémaire de mon village.

18novembre.

La maisonqui s'ébouleà peine finiesous le maçon quichante encore.

Cettepetite vieille qui ressemble à une feuille de tabac roulée.

Hier soiren l'honneur de l'article de Lemaitremangé du pain moudela viande rouge à peine tuéedes écrevisses quicoulaientdes huîtres pas inodoresc'est-à-dire :soupé. Bien amusé. Recommencerai.

Lemaitre.Un cabinet de travailune chienneune bicyclette. Une figure doucecouperoséeet un air timide. Ne tient guère àses idées et répète : « On ne sait pas. Onne sait pas. » Doit avoir peur des ironistes.

Dit que M.de la Coulonche était un homme qui avait beaucoup de ridiculeset de vertusque nous sommes moins sincères que la générationprécédentemais plus intelligents.

Ne connaîtqu'une actrice intelligente : Bartetet qu'une spirituelle : Réjane.

-- Dansnotre admiration pour les Anciensdit-ilil y a de l'étonnementqu'ils aient pu écrire parfoisce que nousqui sommespourtant plus fortsnous n'écrivons guère mieux.

Je merappelle une vieille toupie chez le père Rigal. Elle étaitlaideéquarrieavec des trous qui la faisaient ronflerincolore. De son bec elle mordait toutes les autres. Elle bondissaitles bousculantles tuant. Elle s'agitait comme une sorcièretrapue et grondante. Elle me faisait un peu peur.

D'Esparbès:

Mon vieuxquand je serai décoréj'achèterai une croixune vraie croix de soldat qui revient de la guerre avec la têtefenduetombe à genoux quand on le décoreet dit : «Maintenantje peux mourir ! » J'inviterai quelques amis et monpère. Je mettrai ma croixsur la tabledans sa servietteetil me regardera comme un colonel. Ce qu'il m'admire ! C'est mêmegênantdans les cafés : il raconte tout aux garçons.

Je vaism'en aller de Verneuil parce qu'on va bâtir. Je ne veux pas demaison à côté de moi. Je veux être libre.

Ouimonvieux ! Je connais un homme qui fait maigre tous les ansàl'anniversaire de la mort de Victor Hugo.

Je touche175 francs par conte au Journal. Ça vaut çaquand je pense qu'Hervieu en touche 250.

Mon pèrea été conducteur d'omnibuset on dit que je ne connaispas le peuple !

Étoufferson idéal avec une brioche.

22novembre.

-- Commevous êtes jolie !

-- Ouiily a des hommes qui aiment ça.

25novembre.

-- Jeviens vous demander à déjeuner sans façons.

-- C'estprécisément ce que je vous reproche.

Elle ouvreson parapluie : rideau.

L'hommevraiment libre est celui qui sait refuser une invitation àdînersans donner de prétexte.

La lunefond de tonneau vineux.

La chèvre.Elle saute à la corde avec ses cornes.

26novembre.

Répétitiondu Fils de l'Arétin. J'ai vu pour la premièrefoisce soirle petit père Bornier. Tout petit et toutblanc. Après l'avoir vuje comprends sa pièce. C'estbien ça.

PaulHervieulà-basau n° 1 des fauteuils de balcon. Il al'air assis dans une baignoire d'enfant. De prèsil estratatiné par le succès. Son front et son menton se sontrapprochés. On dirait un gibus ni tout à fait baisséni tout à fait levé. Il m'appelle : « Mon vieuxRenard... Mon petit Renard. » C'est encore lui qui dédaignele plus la pièce de Bornierà cause des Tenailles.

JeanLorrain va perdre l'oeil gauche. Il aimerait mieux voir les Histoiresnaturelles que Le Fils de l'Arétin. C'est gentil desa partmais il postillonne trop.

Mendèsnous raconte que le petit Bornier avait une maîtresse qu'ilpayait 170 francs par mois. C'était une géante. Ellehabitait rue Coquillère.

LéopoldLacour me demande mes livres et se vante d'avoir fait passerl'article de Souza au Gil Blas.

Il dit àl'écho : Répète voir un peu !

27novembre.

Intéresse! Intéresse ! Aucun prétexte d'art n'excuse d'embêterles gens.

Je ne suispas encore couché etderrière leurs rideauxje voisdéjà des gens qui se peignent.

Lalittératuredrôle de métier : moins on en faitet mieux il faut faire.

28novembre.

DeChevillard :

--Docteurvoulez-vous me dire pourquoi je boite depuis dix minutes ?

-- Maismon amiparce que depuis dix minutes vous marchez une jambe sur lachaussée et l'autre sur le trottoir.

-- Jeviens d'écrire que vous êtes un artiste japonais.

-- Merci.J'accepte. C'est exactet ça vexera les Chinois.

Donnay aété dessinateur chez les Duclos. Quand il a lâchéle dessinsa famille était désolée. Il s'estmême brouillé avec elle. Aujourd'huiil lui donne desbillets de théâtre.

29novembre.

Lis toutesles biographies des grands mortset tu aimeras la vie.

30novembre.

Ramenerles images au bercail où on les examineoù on lescompteoù l'on sépare les saines des galeuses.

2décembre.

Lamodestie va bien aux grands hommes. C'est de n'être rien etd'être quand même modeste qui est difficile.

La loutre: ses joues de cuir bouilli.

Quej'échappe à cette maladieen serai-je plus immortel ?

Qu'importele bonheur quand on n'a point la joie !

Letrousseau des clefs de son coeur.

Une bouchesi belle quevraimenton ne saurait dire qu'elle a une lèvreinférieure.

Je ne suispas encore à l'âge où l'on en voit monter de plusjeunes que soi.

6décembre.

Enterrementdu père de Courteline. Les yeux de Courteline étaientpleins de larmes. La douleur d'un homme intelligent fait plus mal àvoir que celle d'un imbécile.

Unenterrement serait trop triste s'il n'y avait pas les prêtres.

-- Quandje pensemon pauvre Allaisque tu mourras avant moi !

-- Tu essûr ?

-- Autantqu'on peut l'être.

-- Et tume survivras de combien ?

--Qu'importedis-jepuisque tu ne le sauras pas !

-- Tu esgai. Combien d'années ai-je encore à vivre ?

-- Unehuitaine.

-- Eneffetdit Allaisje me sens des forces pour cette durée-là.

Mendès:

--Voulez-vous me dire comment « cimeterre »que Ronsardemployait encorea pris un i et perdu un r pourdevenir « cimetière » ?

-- Voilàune chose que je n'ai jamais suepar exemple !

Oh ! pasde discours de société sur ma tombe. Quelques parolesd'un amique je lui aurais soufflées avant ma mort.

-- Ondirait que la nature s'attriste de sa mort.

-- Maisnon ! Elle a l'air triste parce que vous enterrez votre homme endécembre.

-- Commenous sortionsun mariage entrait. Quel contraste douloureux !

-- Quoi !vous n'aviez pas assez d'un enterrement.

Ilssoulevaient un peu leur chapeau du côté où il nefaisait pas de vent. Ils avaient l'air d'hommes saouls.

-- Il fautplaindre surtout ceux qui restent.

-- Mercivous êtes bien aimable.

Allaisétait tristemais Alexis Lauze faisait de l'esprit.

Unecouronne arrive en retardtoutes ses roses en sueur.

Unmonsieur se présente à moiun ami d'enfance deCourteline. Il est secrétaire de commissaire de police. Il amême fait un peu de littérature avec Courtelineet ilsait que Courteline allait souvent chez moidu côté deMoret. (?)

On lit lesenseignes avec des airs de blague.

Jésus-Christmesure le plafond. Le gaz est dans l'église. Il arrive par desbecs en forme de croix. Des gens font le signe de la croix. Ilstrempent le petit balai dans l'eau bénite.

Lescimetièresces musées de menhirs.

Zo d'Axa.Je lui dis que son livre fait aimer son caractèreet jem'aperçois qu'il est saoul. Il n'aime que les gravures demode. Il n'y a que des mots et des contacts. Il va en prison comme autéléphone : quand on l'appelle. Etdit-ilcommej'aime qui m'aimeet que je vous aimais déjàje vousaime au carré.

Moreno.Son profil d'Égyptienne. On la dessinerait au charbon sur unmur. Elle imite Mounet-Sullyses yeux révulsés et sapoignée de main de chat.

-- Non !dit-elle. Un acteur n'est jamais dans la peau de son hérosmais il n'est plus dans la sienne. Quand je joue Monimeje ne pensepas à Monimemais je ne suis plus Moreno. Je suismétamorphosée en je ne sais quoi de vibrantdesurexcitéd'embêté. Je suis surtout un êtrequi a le tracqui est en cotonet qui sue.

Et elletousseet Schwob lui dit :

-- VoyonsMarguerite ! C'est ridicule. Finissezje vous prie.

Je veuxbien signer la pétition pour Oscar Wildeà lacondition qu'il prenne l'engagement d'honneur de ne plus jamais...écrire.

J'aimeraisà aller aux enterrementssi l'on me prêtait la chairecomme un cabinet de travail d'où je pourrais prendre des notessur les têtes.

J'ai connule bonheurmais ce n'est pas ce qui m'a rendu le plus heureux.

-- Si vousne pouviez me la prêterj'emprunterais cette somme ailleurs.

-- Moncher amine vous gênez pas.

Il m'aouvert ses tiroirs en me disant : « Prenez ! » Mais iln'y avait rien dedans.

Il estinsupportable. Il a la rage de rendre service aux autres.

Et puisil faut que ceux de ma génération renoncent tout desuite à donner leur nom à un siècle ; car nousserons à cheval sur le XIXe et le XXe.

8décembre.

Borneau. «Comme on dit des fois... Ah ! Ça en a faitdu bruitLaDemande! Pas plus tard qu'hierMarie Pierryque vous avez misedans votre Orageme disait : « Puisque tu vas àParistu vas aller à la grande opéra de monsieurJules. » J'ai demandé a monsieur votre père ceque c'était. Il m'a répondu : « Ah ! Je n'ai rienvu. Je ne m'occupe pas de ça moi. » Le maîtred'écoleil voudrait faire entrer à coups de poing lamathématique dans la tête de nos enfants. Comme on ditdes foisje voulais écrire à l'inspecteur de laprimaire.

Il gagne 3fr. 50 par jour en étéà 12 heures par jour detravailet 3 francs en hiverà 10 heures. Il travaille auchâteauoù il y a « de la Renaissancedu LouisXV et de l'Empire. »

La mèreFrançoise va tous les jours à Corbigny. Elle se lèveà quatre heuresfait cuire son petit café et part unquart d'heure avant les autresparce qu'elle marche moins vite. Ellerentre à huit heures du soir. Elle gagne ses quinze sous parjour.

9décembre.

Hier soirRostand et moinous venons de faire faire un grand pas en avant ànotre rupture. C'est ainsi que j'ai la manie des lettresque celled'hier matin n'était pas spirituelleque je veux toujoursm'expliqueret que cela est inutile.

Dèsque vous n'êtes plus sérieux avec votre amila brouilleest proche. Je le sens bienmoi qui use mes amis par douzaines.

Une goutted'âme dans un oiseau.

13décembre.

Lafréquente petite lâcheté de se mettre avec lesautres contre un ami.

J'avaisbeau dire à la négresse : « Ote donc ta chemise »: elle restait noire.

La jambecomme un jeune arbre dont le tronc est en haut.

Si vousconnaissez la viedonnez-moi son adresse.

16décembre.

Franz M.Melchers. -- Chez Le Barc de Boutteville avec Moreau. Despeinturlures d'enfant. Des maisons couvertes en tuiles rouges biendivisées. Des pommiers verts et ronds comme des prunesoucomme des bonnets à poil de l'Empire. Des petits nuages quisemblent monter d'une cigarette. Des sabots quiselon le mot deMaeterlinckpatientent à la porte. Des bonshommes épaiscomme des feuilles de papier et collés à des murs debriques toujours bien divisés. Je vois mes petits contesillustrés par ce peintre précisminutieuxetquelquefois au bord du mystère.

Et tut'imagines quesi tu n'ajoutes pas aujourd'hui vingt-cinq nouvelleslignes à ton oeuvrete voilà oubliéperdu.

J'ai mistrop de ma vie dans mes livres. Je ne suis qu'un os rongé.

18décembre.

LéonBailbyle secrétaire de Jules Jaluzotvient me voir.Vingt-huit anstrès finl'air honnête. Avoue ne pasconnaître encore Jaluzot. Excuse son cynisme par la platitudede ses électeurs. Quand je pense que j'ai adresséunjourà M. JaluzotCoquecigruecomme un beau produitde son département !

Jevoudrais être à la place de ce secrétaire. Ilvoit tout. Il assiste à des baptêmes de cloches. Il priedes mendiants. Il prend part aux discussions de la Chambre. Jem'imagine querien qu'en étant simpleferme et honnêteje roulerais tous ces hommes malins qui se croient très forts.Ça les embêterait joliment. Ça les dérouterait.Leur maniec'est de toujours croire le contraire de ce qu'on dit.

19décembre.

Ettoujours l'irresponsabilité nous incombe.

Il meparle de ses projetsd'une pièce pour le Théâtre-Françaisaccommodée au cynisme de la maisonettandis qu'il me parleje regarde sa peau sècheses yeux creuxses narines minceset les nerfs de son couet il me semble que l'araignée de lamort pose déjà ses fils.

La lettrequ'on n'a jamais reçued'où dépendait peut-êtrele bonheur de toute notre vie.

Oh ! letemps passe si vite !

-- Exceptéquand on a une pièce reçue à laComédie-Française.

Prendsgarde à cette phrase que tu vas écrire : des yeux del'autre monde peut-être la liront. Il ne faut pas qu'elle ylaisse un nuage trouble.

Ces gensqui ne se rappellent à notre souvenir que par des lettres dedeuil.

Disant queson éditeur lui payait 50 000 francs ses Mémoires etlui donnait 1 franc par exemplaire pour un premier tirage de 100 000Rochefort avait l'air étonné. Comme il parlaitchezMme Jeanne Hugode faire avancer Dennery dans la Légiond'honneurMendès prit la parole et protesta avec indignation.Rochefort était interloqué. Tous deuxdit plus tardMendès à un certain Vincentnous avons étébrillants. N'est-ce pas Vincent ?

26décembre.

Rostandfait des haltères avec sa tristesse.

PapaCoppée laisse tout de même très bien jouer sesJacobites en Allemagne par Mlle Segond-Weber.

MauriceTalmeyr : Entre mufles. De ma vie je n'ai assisté àpareil insuccès. C'est indiscutable. Quelques raresapplaudissements à la fin des quatre premiers actes. A la findu cinquièmepas un. Je dis à Mendès :

-- Noussommes loin d'une chose parfaite.

Il poussedes soupirsmais Talmeyr (Talmeyrtalfille) est de ses amiset iln'aura pas le courage de taper sur les « ironistes féroces» dont il me croit.

Descavesveut me persuader qu'il me faut cinquante Histoires naturelles pourfaire un volume. Ce n'est pas seulement son avis : c'est celui decopainsetc. Lautrec me propose d'en illustrer une huitaine et d'envendre cent exemplaires à 25 francs chacun. Nous partageronsles bénéfices.

Il aimebien les barsà causesans doutedes tabourets où ilpeut se percheril est presque aussi grand que nous.

-- Commenttrouvez-vous la fin du 3e acte ? dit Marcel L'Heureux.

-- Pas dutout réussie.

-- Moielle me plaît. C'est peut-être que je suis gâteux.

Personnene proteste.

Quand uneactrice n'est pas ridicule à fouetteron dit qu'elle a dutalent.

DesGachons me demande quelque chose pour le Théâtreminuscule.

-- Çavous irait bienme dit Rostand.

-- Ouietà vous le Théâtre-Français.

Aujourd'huitoute pièce rosse est une erreur chronologique.

Ce que jereproche à Forainc'est de n'avoir peut-être jamais luun beau vers.

SarahBernhardt. Je cherche une épithète pour résumermes impressions. Je ne trouve que celle-ci : « Elle estgentille. » Je ne voulais pas la voir. Maintenantj'ai brisél'idole ridicule et gênante que je faisais d'elle. Il reste unefemme que je croyais maigreet qui est grasseque je croyais laideet qui est jolieouijolie comme un sourire d'enfant.

QuandRostand a dit : « Je vous présente Jules Renard »elle s'est tout de suite levée de sa table et a dit d'un tonjoyeuxpuériladorable :

-- Oh !comme je suis contente ! Il est bien tel que je le croyaisn'est-cepasRostand ? Monsieurje suis votre admiratrice.

-- Madamec'est une stupéfaction dans ma vie d'apprendre que vouspuissiez admirer les oeuvres (j'ai dit : les oeuvres) de JulesRenard.

--Pourquoi ? dit-elle. Vous me preniez donc pour une imbécile ?

-- Bon !J'ai dit une maladresse.

-- Maisnon !

Et elle semet du rouge aux lèvres.

Plus tarddans l'escalierj'ai trouvé ceci : « Nonmadamejevous prenais pour une femme de génieavec tous sesinconvénients. » C'était peut-être plusbête encore.

-- Sentezcomme j'ai froid ? dit-elle en passant sa main sur la joue deRostandqu'elle appelle « son poëte »« sonauteur ».

-- Eneffetelle est glacéedit Rostand.

Et lesmots qui ne me viennent pas ! Impossible d'être brillant. Jesuis très émupriset je voudrais faire l'homme.

-- Quefaites-vous en ce momentRenard ?

-- Madameje viens de faire quelque chose de beau : je viens de vous écouter.

-- Ouivous êtes un amour. Mais que faites-vous ?

-- Oh !très peu de chose. De petits riensdes histoires naturellesdes bêtes. Elles sont moins belles que celle-cidis-je endésignant son chien un superbe chien qu'elle appelle Djemmjecrois.

Et ma voixde pauvre homme se perd dans les poils du chien.

--Savez-vousdit-elleà qui vous ressemblez ? Vous l'a-t-ondéjà dit ?

-- Oui : àRochefort.

-- Non : àAlbert Delpit.

Deuxautres voix :

-- ADuflos... A Lemaitre.

Je trouveque je ressemble à beaucoup trop de personnes.

-- Et vousl'aimiezmadameAlbert Delpit ?

-- Non.

-- Oh !

-- Maisvousje vous aime. Delpit a mal tournévousvous tournerezbien. D'ailleursc'est fini. Vous ne pouvez plus prendre de faussedirection.

Autour denouson paraît un peu étonné que la tragédiennes'occupe tant de moi. On demande : « Qui est-ce ? » Lesuns connaissentles autrespas.

Puis elleva jouer la plus belle tragédie du mondetoute seule.

Pourquoidit-elle « cruel-esoleil-e » ? Il faut m'y faire. Jem'y fais. J'ai déjà pour elle une grosse gratitude aucoeurl'envie de l'admirerde l'aimeret la peur de me laisseraller. Je fais à Rostand de petites théories sèchessur la défiance que j'avais d'elle et sur le plaisir que j'aià la trouver gentilleouigentille.

Il m'estdifficile de faire du théâtre parce que tous mesbonshommes m'intéresseraient également. A chacun d'euxet à tous je donnerais raison.



1896

1erjanvier.

Je veuxfaire une année exceptionnelleet je commence par me levertardpar trop bien déjeuner et par dormir dans un fauteuiljusqu'à trois heures.

2 janvier.

Chez SarahBernhardt. Elle est couchée près d'une cheminéemonumentalesur une peau d'ours blanc. D'ailleurschez elle on nes'assied pas : on se couche. Elle me dit : « Mettez-vous làmonsieur Renard. » Là ? Où ? Entre elle et MmeRostand il y a un coussin. Je n'ose m'y asseoiret je m'agenouilleaux pieds de Mme Rostandet les miens dépassentdépassentcomme dans un confessionnal.

On craintle nombre treize. Maurice Bernhardt est làavec sa jeunefemme enceinte. Pour passer dans la salle à mangerSarah meprend le bras. J'en oublie de lever les tentures. Je la lâche àla première assiettemais c'est tout là-bas qu'il fautallervers cette grande chaise à dais. Je m'assieds àla droiteet je ne vais pas beaucoup manger. Sarah boit dans unecoupe d'or. Je ne me décide pas à ouvrir la bouchemême pour réclamer ma serviette qu'un garçon m'aenlevéeet je mange ma viande avec ma fourchette àfruits. Tout à l'heure je me surprendrai à déposerproprement sur mon porte-couteau mes asperges sucées. Certainplateau de verre m'intriguera aussi : on y met sa salade.Heureusementil y aà la gauche de Sarahun docteurl'inévitable docteur des romansdes pièces de théâtreet de la vie. Il explique à Sarah pourquoi elle a entenducette nuitfrapper 21 coupset pourquoi son chien a aboyé 21fois.

Puisc'est la revue des mains : je suis très lunaire. Je dois aimerla luneparler d'elleêtre influencé par sesvariations. Je parle en effet beaucoup de la lunemais je la regarderarement. J'ai dans le pouce beaucoup plus de volonté que delogique. C'est vrai. Rostand a le contraire ; et Sarah prend etreprend ma mainqui est blanche et grassemais dont je soigne malles ongles. Je ne les ai jamais vus comme ce soirni esthétiquesni très nets.

-- Oh !nous avons pioché ça ! dit Maurice Bernhardt au bout dela table.

Je croisplutôt que Sarah improvise. D'ailleurselle ne trouve rien.

Puis MmeMaurice Bernhardt renverse sur la nappe un verre où il y a desfleurs et de l'eau. Me voilà inondé. ViteSarah trempeses doigts dans l'eau et me frotte la tête. Me voilàheureux pour longtemps.

Sa loic'est de ne jamais penser au lendemain. Demaince sera n'importequoimême la mort. Elle profite de chaque minute. Elle ne serappelle pas quel pays elle préfèrede tous ceuxqu'elle a vusni quel succès l'a le plus fortement émue.Elle a songé à jouer Maison de poupéemais elle trouve queIbsenc'est trop voulu. Non ! Elle veut de laclarté dans l'idéal. Elle aime trop Sardou pour aimerIbsen. Et je lui dis ce que j'ai pensé d'elle à mapremière visite :

-- Vousêtes grassejolie et gentille.

La Sarahque je connais par sa renomméequi tient un demi-sièclede placeme trouble et m'étourdit ; mais la femme que j'ailàprès de moine m'épate pas trop.

Puis voilàles plaisanteries : « Savez-vous pourquoi les grenouilles n'ontpas de queue ?... Moi non plus. » « Quand deux jeunesmariés sont couchésqu'est-ce qui fond ? C'est labougie »etc. On ne se croirait plus chez la « grande ».Et ce sont les ressemblances avec les bêtes. Sarah est sûrede ressembler à l'antilopeRostand à un rongeursafemme à un moutonMaurice à un limiersa femme àune chouette. Moion ne sait pas. J'ai peut-être trop de frontpour un animal.

-- A lapremière ligne que j'ai lue de vousme dit Sarahj'ai pensé: Cet homme-là doit être roux. Pourtantles roux sontméchants. D'ailleursvous êtes plutôt blond.

-- J'étaisrouxfranchement rouxet méchantmadamemaisàmesure que la bonté me venait par la raisonmon poil passaitau blond.

Et autrespuérilités.

Haraucourtannonce gravement mon admiration pour Victor Hugo. « Il avaittant d'esprit ! » dit Sarah. Hugo lui a donné une baguela « larme » de Ruy Blas. Il paraîtà ceproposque Robert de Montesquioua une vraie larme dans une bagueetdit le docteuril a même fait des versqui sontma foitrès jolis.

Au salon.Des palmiers avec une lampe électrique sous chaque feuille.Une petite fille en terre brunesous clocheque Sarah finira àson retour. Des portraitset des tas de choses de musée.

Moinscabotine que les autreselle dit :

-- J'aivoulu tout faireécriresculpter. Oh ! je sais que je n'aiaucun talentmais j'ai voulu goûter à tout.

Ce seraitune belle maîtresse de volonté.

Voici lelionun des cinq « pumas » de Sarah Bernhardt. On letient par une chaîne. Il vient flairer les peaux et les gens.Il a des allongements de cuisse terriblesdes griffeset Haraucourtfait bien de fermer les yeux quand le puma veut lui caresser sonplastron de chemise. Enfinun peu au soulagement de touson leremmène...

Arriventdeux énormes chiens au nez rose et trufféet quimangeraient chacun un enfant pour leur souper. Ils se roulent parterredouxhonnêteset nos habits seront tout àl'heure pleins de petits cheveux blancs.

Unebouteille de champagne se renverse dans les mains du garçon.Le bouchon partet Sarahcouchée sur sa peau d'oursreçoitla limonade en plein visage. Un momentj'ai cru que çafaisait partie du programme...

Je necherchais pasce soirmon chapeauqui était sur ma têtemais j'emportais tranquillement à la main celui d'un autre.

6 janvier.

Ilraffinait jusqu'à tendre des pièges dans la cage de sonoiseau.

Ah ! Tuviens de marcher sur les pieds de mon âme.

8 janvier.

Rêvéque je voyais M.G...M. Vernet. Il s'en allait la tête basseles yeux morts et les moustaches pleurantes. Pris d'une folleterreurje me suis mis à courirà courir ! Mais il nem'avait pas vu. Il marchait voûtécomme sous le poidsde L'Écornifleur.

-- J'aisoif de vérité.

-- Prendsgarde à l'ivrognerie.

Vous êtessi gracieuse que je ne peux pas vous voir couchéecomme lesautres femmesdans un lit : je m'imagine que vous dormez sur unebranche.

Lekangourou géant. Il s'est cassé les jambes pour pouvoirmarcher à quatre pattesmais les bras sont encore tropcourts.

9 janvier.

L'enterrementde Verlaine. Comme disait cet académicienles enterrementsm'excitent. Cela me redonne une vitalité. Lepelletier avaitdes larmes plein la bouche. Il s'est écrié que la femmeavait perdu Verlaine : c'est au moins de l'ingratitude pour Verlaine.Moréas a dit : Certes !

Barrèsa bien la voix qu'il faut quand on parle sur une tombeavec dessonorités de caveaux et de corbeau. Il aen effetadmirablement parlé des jeunesbien que Beaubourg prétendequ'il ait un peu tiré à lui la couverturecar c'estplutôt Anatole France qui a fait Verlaine. Avant de parlerilavait passé son chapeau à Montesquiou. J'ai eu unmoment l'envie d'applaudir avec ma canne sur la tombemais si lemort s'était réveillé ?

Mendèsa parlé d'escalier aux marches de marbre léger qu'onmonte au milieu de lauriers-roses vers des cierges qui rayonnent.C'était très joliet ça pouvait s'appliquer àtout le monde.

Coppéea été applaudi au début. On s'est refroidi quandil a retenu sa place près de Verlaine dans le Paradis.Permettezpermettez !

Mallarmé.Il faudra relire son discours. Lepelletier a fait une profession defois matérialistebien qu'il n'y eût pas d'électeurs.La grande qualité de Barrèsc'est le tact. Ilréussirait à bien diremême la bouche pleine.

Donnay seprésente à moi : c'est le premier service que Verlainem'ait rendu.

Verlaineallait faire des conférences en Hollande. On lui avait retenula plus belle chambre. Il fit monter le gérant :

-- Je veuxune autre chambre.

-- Maîtrec'est notre plus belle.

--Précisément ! Je dis bien : j'en veux une autre.

Il avaitapporté une valisequi ne contenait qu'un dictionnaire.

Vicaireavait l'air de prendre la succession de Verlaine sur sa tombe même.Il était déjà bien saoulet Spont dut le hisserdans un fiacre.

Aurestauranton plaisante : on retient la table et on commande lerepas pour l'enterrement de Coppée.

C'estMauclair qui vient encore de faire un article sans s'en douter. Jesuis fier de déjeuner avec des journalistes. Il y a avec nousau bout de la tabledeux jeunes gens assez jeunes pour nous traiterbientôt de vieilles brutes.

StuartMerrill se présente. Il est gras et gentil comme un abbé.Rachilde dit à de Souza :

-- C'estvousl'e muet qui faites tant de bruit !

Il y a unperroquet qui nous tourne le dos et qui ne cesse de dire «cacacaca ». Schwob a sa tête d'enterrementune têtelugubreoeil creuxmoustache qui pleurecheveu brouillé.

D'autresdisent qu'il y avait un caca au milieu de la chambre de Verlaine.

Barrèsse rajeunit des mortsdit Schwob.

16janvier.

Capus.Toujours fatiguéendormi. Il a été vendudernièrement. Il vit dans un logement mal meublé. Destables en bois blanc recouvertes d'une étoffe de quatre souset qui remuent.

Il a promuson groom au grade de chef de cuisine et « acheté »une jolie petite bonne qui a bien peur de tout ce monde-là.

18janvier.

Sonderrière allait de droite à gauche comme un fiacre prisdans des rails.

Le sourirearc-en-ciel des larmes.

Larougeurl'aurore des larmes qui vont tomber.

Mendèsdans ses chroniques théâtrales : on dirait qu'il met uncasque.

J'ai connuun oiseau qui tombait par terre chaque fois qu'il voulait s'endormirsur une branche.

Ce que lesbêtes provoquent surtout en moic'est l'étonnementcomme toute chose d'ailleurs.

Réponseà une injure sanglante :

-- Oh !vous dites ça pour me taquiner.

Comme onserait meilleursans la crainte d'être dupe !

Rostandje l'aimeet je suis content de le faire aimer aux autresàBernardà Boulenger. C'est mon prince lointainet un petitfrère dont la face douloureuse me fait mal. J'ai toujours peurd'apprendre sa mortet il va me glisser dans les bras. Il estdélicat et gentilil n'est pas méchant. Il estpeut-être très malheureux. Il évite les figuresqu'il ne connaît paset il est content de savoir qu'onl'aime... Ouiil est peut-êtredans son luxeavec sa joliefemmesa célébrité naissantetrèsmalheureux. Sa mort me ferait beaucoupbeaucoup de chagrin.

Oh ! jevous en supplielaissez-moi être un peu ridicule.

Prendredes notesc'est faire des gammes de littérature.

La cigognesur sa tige de roseau.

Mêmeen plein jour il faut allumer son cerveau à alcool.

L'amitiévide plus que l'amour.

Bernard etsa bouche comme une barque légère et rose dans lefleuve noir de sa barbe.

A laprochaine guerreil me faudra supposer tout le temps que Guillaumem'a donné une gifle.

BernardLazare tend un doigt à Schollqui lui dit :

-- Oùvoulez-vous que je le mette ?

Allais etPonchon dînaient chez Lebaudyquise levant de tableleurdit :

-- Quandje pense qu'il n'y a que vous deuxiciqui ne m'ayez pas encoretapé !

Pourquoidemandes-tu des billets de théâtre aux auteurspuisquetu ne pourras pas leur dire que tu t'es embêté àleur pièce ?

23 janvier

Rostand.Il est d'une santé si frêle qu'on hésiteratoujours à ne pas lui trouver de talent.

24janvier.

Oh ! cesvillages où je passe et qui ne me verront plus !

Elle ditquand elle a épousé Veber :

-- Je faisun mariage d'humour.

Comme onjouait au jeu innocent du gantVeber jeta le sien sur la têtede Beaubourg et lui brisa son lorgnon sur les yeux. Tout le mondeétait un peu ému. La fiancée de Veber lui dit :

-- Vousavez gagné une rose et six macarons.

Un borgnec'est un infirme qui n'a droit qu'à un demi-chien.

25janvier.

Premieraveu : je ne comprends pas toujours Shakespeare. Deuxième aveu: je n'aime pas toujours Shakespeare. Troisième aveu :Shakespeare m'embête toujours.

Pleuréen lisant La Grand'mèrede Victor Hugo.

29janvier.

Leconte deLisle à Rostand :

-- Vousavez l'air si peu content des Romanesques que je commence àme défier : ça doit être bien.

31janvier.

Un stylegros et glissant comme le pavé de Paris par un temps brumeux.

1erfévrier.

MadameLepicles yeux cousus de fil blanc.

Poil decarotte. Notes inutilisées de « La Chambre de la cave ».-- Il voudrait pousser la hardiesse jusqu'à appeler sa mèremadamediscuter sur le sentiment de la famillesur lethéâtre. « Je serais un ange ! » -- «Tu vas te faire mal au pied »dit grand frère Félix.Madame Lepic est allée se coucher en emportant la lumière.Mon affection a sa raison d'être. Madame prévientmonsieur qu'elle va se coucher. Il est peut-être allétrop loin. Soufflant la lampeelle lui dit : « Si tu crois queje vais user de la lumière pour toi !... » Si les autress'éloignentsa mère lui reste. Le garde-mangerl'auge. On y calmerait sa soif sans boire. D'énormes barreauxl'empêchent d'aller se jeter dans le puits. A droiteàgauchederrière luiil écoute ronfler sa famille. Sesrêves. Il se réveille en sueur et il pleure de joie.

CharlesMorice. Il faut prononcer son nom comme « Charbovary »sans insister.

Mallarmé.Ses vers sont un peu de la musiqueouicomme les vers libres sontun peu du dessin

3 février.

A LaRevue blanche. Hier soirMuhlfeldBaragnonThadée etAlexandre Natanson reconnaissaient du talent à Maupassantetqu'on l'avait calomniéet à Lotiet à Bourget.Ce n'est pas tant difficilede forcer l'admiration d'un jeune. Ilfaut connaître la serrureet c'est un tour de clef àdonner.

Nos litsn'étaient pas pleins d'odeurs précisémentlégères.

-- Il y adit-elledans Victor Hugode jolies expressions.

-- Lautrecest si petitdit Mme T. Bernardqu'il me donne le vertige.

Le poêlebourré fait craquer ses os de fonte.

La neiges'attardait çà et làcomme il reste quelquefoisdu savon dans les oreilles.

Oh ! enamitiéquand on s'est confié ses secrets d'argentçatourne mal.

-- Quandmènerez-vous votre fille dans le monde ? disait M. Legrand.

-- Oh !répondait Mme Morneaules bons chevauxon vient les chercherà l'écurie : inutile de les mener à la foire.

Madame deSévignédit-ona écrit ses lettres pour lapostérité. Elle a joliment bien fait ! Préféreriez-vousdes brouillons mal écrits ?

Ellen'aime pas les enterrements civils : c'est trop triste.

Ses yeuxdorment comme deux oiseaux.

La lâchetédes mains quand il faut l'applaudir.

Son oeiltoujours inquiet comme une marguerite qu'on fait tourner entre sesdoigts.

Et avecquel miel empoisonné il me disait : « C'est une opinionqui vous est personnelle ! »

Sa têtetourne sur son cou avec la lenteur d'un soleil de jardin.

-- Hélas! dit Tristan Bernardon n'aurait pas besoin de faire un choix dansl'oeuvre de V... pour l'empêcher d'entrer à l'Académie.

-- Capusje retiens une loge pour la 80e.

-- Oh !dit Capusce jour-làje vous donnerai toute la salle.

-- Je vousai bien applaudil'autre soirdans Amants.

-- Et moidit Guitryje vous admire toujours. Vous devriez bien nous donnerquelque chose.

-- Vousêtes le seul qui puissiez jouer Caquets de rupture misau point.

--Faites-le.

-- Jeconsidère ça comme un encouragement.

--Prenez-le de ma part comme un engagement.

-- Je vousdonne rendez-vous dans un mois.

Et mevoilà tout fiévreuxet j'ai dans les yeux un théâtreilluminé où je triomphe. Oh ! les bonnes heuresdélicieuses que j'aurai !

7 février.

Rostand.Il a un bel atelier : il n'y travaille pas. Il travaille dans unechambre à couchersur une petite table branlante. Avec LesRomanesquesil s'est offert un beau cabinet de toilettebaignoireet bidet près de la baignoire. Sa belle-soeurentreet lui dit « Bonjourcher maître. »

Il s'isolede plus en plus. Il nous trouve fauxmenteursméchants etrapaces.

Il écritsur des feuilles volantes etsur les margesgriffonne des dessinsdont quelques-unsdit Mme Rostandsontma foitrès jolis.

Il se ditcapable de trouver du talent aux hommes qu'il haitou qu'il méprise.

-- Lemodeste demi-deuil de sa robe à pois blancsdit Rostand de lapintade.

Je n'aivraiment qu'une raison qui me permette d'aimer encore Rostand : c'estma crainte qu'il ne meure bientôt.

-- Eh !bienqu'est-ce que vous avez à me dire ?

C'est safaçon de m'accueillir ce soir après m'avoir fait poser.

-- Vousêtes insupportable ! lui dis-je. Je reste jeuneet je vouslaisse à votre vieillesse. Bonjour !

Rompons !dit-il.

Et il ades yeux petits et minces. Il frise sa moustache. Il est pâle.

--Rostandil n'y a plus que quelques ficelles entre nousquelquesharpons menus que je couperai.

-- Coupez!

Etcommeje ferme la portej'entends :

-- C'estassommantpar exemple !

Je meretourne. Je lui dis au revoiret que l'air est délicieux.

--Amusez-vous bienme dit-il.

Jetrembleet il a les lèvres blanches. Et peut-être quetous deux nous éprouvons un plaisir âcre à noustourner le dos.

Un ami demoinsquel soulagement !

10février.

Le «je ne sais quoi » d'une femmeil n'y a que ça quicompte.

Saloméd'Oscar Wilde. C'est impressionnantmais il faudrait supprimerencoreçà et làquelques têtesd'Iokanan. Il y en a tropil y en a trop ! Et que de crisinutilement répétéset que de richesses en toc!

Rostandje lui souhaite une bonne maladie qui le mène aux portes de lamort et lui fasse rebrousser chemin vers la vie.

Jardind'Acclimatation. Je vois dans une cage un petit animal qui va etvient avec une opiniâtreté noire. Il n'est pas laid : ilest comique. Je sais bien à quoi il ressemblemais je n'osepas dire que c'en est unet j'arrive au gardien.

--Qu'est-cemonsieurque ce petit animal nouveau qui n'a pasd'étiquette ?

-- Ça? Attendez donc ! me répond-il. Je ne me rappelle pas son nom.Il y en avait deuxvous savez bienqui couraient dans l'herbelasemaine dernièrel'un après l'autre. Diable de nom !Je l'ai sur le bout de la langue.

Ilcherche. Nous cherchons ensemble.

-- Ah !dit-il soudainj'y suis ! Je me rappelle. Eh ! bienmonsieurc'estun petit chien.

Il y a desamis. Il n'y a pas de vrais amis.

Réconciliationde deux amis. Tout à couple coeurqui était secduret racornis'amollit et se dilatecomme s'il tombait dans l'eaupure.

Herodias.Relu ce conte de Flaubert. Il me donne l'impression de quelque chosed'ennuyeuxd'inutileet de mal écrit. P. 173 : « Sansavoir reçu ces ordresMannaeï les accomplissaitcarIokanan était Juifet il exécrait les Juifscommetous les Samaritains. » Quiil? P. 171 : « Tout àcoupune voix lointaine... Il se pencha pour écouter ; elleavait disparu. » Une voix qui disparaît. P. 180 : «Il devint immobile. »

MmeRostand vient me voir ce soiretdès ses premièresparolesje lui dis que j'aimais Rostand comme un frère plusjeune et malademais que je ne peux plus le voiret que nous enviendrions aux gifles.

Elle saitelle sait. Au père de Rostand elle vient d'écriretrente pages éplorées. Que faire ? Il couve un suicide.Il parle de se faire prêtre. Il se détache de tout etdit que c'est le commencement de la sagesse. Il ne se lève deson lit que pour s'asseoiret il ne fait rienrien. Il arrangeseulement des pages en un beau désordre quand on vient le voir; sur ces pagesil n'y a rienque quelques gribouillis de dessinset elles ne se suivent même pas.

Un grandmédecin est venu. On ne sait pas. Neurasthénieasthénie. Elle souhaite qu'il ait une bonne maladie. Onlutterait. On le sauverait. Il serait guéri. Maisainsiil al'air d'un mort.

--N'a-t-il pas quelque amour ?

Elle ledésireraitetsi elle connaissait une femme capable de lefaire revivreelle la jetterait dans ses bras. Et la pauvre petitefemme s'en va pleurant. Il joue avec des couteauxdes armesdesbouteillesdes verres. Il manie des objets de mort.

-- Ouidis-je. S'il était mortce serait intéressant deparler de çamais il a le défaut d'être encorevivantsi peu qu'il le soitetalors il n'est qu'insupportable. Ilest lâche pour vouspour ses enfantspour ses amis. Ilfaudrait qu'il eût à gagner votre painpauvre petitefemme.

-- Il nele gagnerait pas. Il nous laisserait tous mourir de faimcar jeconnais son peu d'énergieet elle décroît. Ellesera bientôt réduite à rien. Ses abattements sontde plus en plus fréquents et prolongés et il remonte demoins en moins haut.

Il n'y alà ni gaîténi philosophie. Il n'y a que de latristesse mystérieuseet de la douleur sans raison.

--Pourquoi ne fait-il pas de la littérature avec tout çacomme ByronMussetLamartineet d'autres ?

-- Il n'amême plus cette petite vanité-là.

Est-cequ'il va mouriret que j'aurai le regret de n'avoir pas pénétréau fond de cette âme charmante et trouble ?

Oncomprend toujours trop tard. Ah ! malheur aux heureux !

Ettout àl'heurecomme un imbécile chroniqueje demandais deshéritages ! Je regrettais de n'avoir plus de billets de milleetc.etc. Pauvres foustoustous !

Etpensant à toutes ces chosesje ne peux plus lire ni écrire.Il faut que je me lèveque je marche et me secoueque jedonne du jeu au filet de mes nerfs qui souffrent d'être troptendus.

13février.

Courtelinedit :

-- Il fautbattre une femme quand il n'y a pas d'autre moyen de la faire taire.C'est très jolide dire : « Moije prendrais monchapeauma canneet je m'en irais ! » Mais ça ne sepasse pas ainsi. Ça va encore dans la journée. Onretrouve des amis au caféon causeon joue ; maisle soiroù aller ? Moid'abordje ne peux pas passer la nuit dansces hôtels où il n'y a pas de pendules. Je veux savoirl'heureet je ne dors pas. Et je rentre chez moirien que poursavoir l'heure.

--Alphonse Allaisun Démarque Twaindit Veber.

-- C'estune plaisanterie des peintresdit Jean Veberque le modèlene trouble pas. Moile modèle me trouble beaucoupet c'estfort gênant.

Et moijesuis si gêné que je ne le salue même paslemodèleet que je ne le regarde qu'à la dérobée; et je sens son regard sur moi.

Je ne suispas bourgeoismais je me sens quelques vertus de la bourgeoisie.

Vers laclarté par n'importe quel chemin.

L'orgueild'une femme qui a reçu beaucoup de confetti.

C'estl'heure de grazieller.

Unegrenade qui rit comme un nègre.

Il y atrois de nos rois que je n'ai jamais pu me fourrer dans la tête: Louis XVIIICharles XLouis-Philippe. Je les confonds. Impossiblede les débrouiller. Parfoisà l'aide de mon petitLarousseje les remets chacun à sa placepuisc'est ledésordre. Tout est à recommencer.

20février.

DînerAlphonse Allais. Ce bohème qui a passé sa jeunesse etpas mal de sa maturité dans les cafés et les hôtelsmeublésle voilà rangédans un appartement de3 500 francs. Il y a une baignoire avec de l'eau chaude en touttemps. Les visiteurs n'ont qu'à tourner le robinet pour sebrûler. Il a une cuisinièreun groomqui s'appelleGaëtanqui apporte les lettres sur un plateau et dit timidement: « Madame est servie. »

-- Veux-tupas rire quand tu dis ça ! lui dit Allais.

Il a desmeubles qu'il est allé acheter en Angleterreélégantset finsadmirablement comprisdit Gandillot qui s'assied sur unechaiselaquelle aussitôt craque d'une manièreinquiétante. En attendant les suspensionsles boulesélectriques luisent dans du gui. Gui à tous les étages.

Et moiaussij'aurai un appartement de richeet je le paierai plus de 3500 francs ! Mais non : j'aurai une cabane de cantonnier.

Et toutvient d'Angleterre : les verresles salièresle potageaussicar il est bien froidet le bifteckcar il est trop cuit. Ily a aussi un ancien vinaigre qui a mal tourné et qui estdevenu un petit vin très suffisant.

-- Il n'ya que deux espèces de gens qui vont au théâtredit Gandillot : ceux qui paient toujours leurs places et ne vontnulle partet ceux qui vont partout et ne paient jamais.

Un tristeGandillottoujours maugréant contre les Auteurs Dramatiquesles confettile boeuf graset qui demande à voir rayer laFrance de la carte de l'Europe.

Veberquis'est trouvé mal à l'accouchement de sa femme et qui adû avaler un verre de cognacappelle son petit garçonGil. Ainsi prend-il date pour la succession de Philippe Gille auFigaro. Il faut entendre Allais et Gandillot parler desdernières découvertes scientifiquesdes rayonscathodiquesavec des détails préciset Gandillotreprocher aux savants leur timidité. Je me croyais àCentrale. Dieu ! Que ces gens-là sont donc forts ! Et dire queça ne les empêche pas de connaître tout de mêmeun peu leur littérature ! Je n'ai ni mémoireniintelligenceet je ne peux être qu'artiste à forced'entraînement ; mais j'éprouve certaines impressionsavec une telle intensité que je défie les plus grands.

AlphonseAllaisdirait un Belgece produit de la polichinellerie française.Selon luipendant la dernière guerretoutes les villes deFrance ont été prises par une paire de uhlans.

EtGandillot avait raccourci son pantalon pour faire voir seschaussettes irlandaises.

Le mimosaestparmi les fleursce que le serin est parmi les oiseaux.

Hierautemple israélite de la rue de la Victoire. Froidfroidetbien fatigant à la longueet peu hygiéniquecettehabitude de garder son chapeau sur la tête. Blum souriaitsouriait trop... Il y avait des gens qui semblaient garnis defuroncles. La Revue blanche faisait de l'esprit collectif...Toutes les religions se ressemblent par la quête.

-- Je vousapporte la somme.

-- Çane pressait pasmonsieur.

-- Ouijesais. On dit toujours ça ; mais vous êtes jolimentcontent tout de mêmeet vous avez une belle inquiétudede moins.

29février.

Il vit derien : une petite douleur occupe toute sa vie.

Quand nousvivons intensémentsans doute prenons-nous la part desautresdont la vie doit diminuer.

1er mars.

Rien nesert de mourir : il faut mourir à point.

2 mars.

EugèneMorell'auteur d'Artificielle. Malgré ce succèstraîne partout romans et pièces de théâtre.A quinze ans - il n'en a que vingt-cinq- il faisait partie de lagénération de Descavesde Geffroyde Fèvrequi ont de dix à quinze ans de plus que lui. Le régimentle sépara d'eux. Il revint. Ils étaient arrivésetluirecommençait. Il recommence toujours. Il est obligéd'avoir une place à la Bibliothèque. Les éditeursne lisent pas ses livresqu'il marque d'un fil. Il a une piècequigrâce à Mounet-Sullyreçue àcorrections au Françaispuis refusée netpuis reçueà l'Odéonattendattend. Et moij'ai un peu honte dema chanceet de ma paresse.

Peut-êtren'a-t-il eu que le tort d'être trop précoce. Lesdernières gelées l'ont arrêté net.

Guitry. LaFigurante. -- Assistéhierdans sa logeà sapetite cuisinecelle d'une grande comédienne poilue. Petitspots de crème et de rouge. Sa montre est devant lui.

--Monsieur Guitryon n'attend plus que vous.

-- Qu'onattende ! On ne peut pas commencer sans moi.

Uncoiffeur vient lui noircir la têtelui rétrécirsa raie. Il met des souliers jaunes à éperons. Il fumecausea l'air calmedemande si sa cravate ne fait pas troppansement à la glace.

-- Je net'embrasse pasJeanne Granier. Je suis encore plus maquilléque toi.

Je ne saisque dire. Je lui dis pourtant que Le Plaisir de rompre estpareil à l'acte des adieux d'Amantsmais moins moqueuret plus pénétrant. Il me regardesurpris.

-- Ah ? Ah? Je suis curieux de voir ça.

Il a mis àla mode les cous qui ont le goître derrière.

Dans lasalledes gens qui se rendent enfin aux efforts du Théâtre-libre.Moije m'amuse dans la loge de Maurice Bernhardtavec Mme Rostand.« Ah ! Ah ! Renardil laisse sa femme à la maison ! Ilva dans le monde. Il fréquente les riches. Le paysan du Danubeflirte. »

Sur lascènece théâtre ennuyeux et qui n'a riend'humain. Les plaisanteries éternelles sur la politiquesurCrispisur les femmes qui font arriver leur mari. Oh ! lesredoutables et pernicieuses bavardes ! Quand l'une d'elles commenceune phraseon peut faire un petit somme.

Et Bauerqui trouve que c'est du tac au tac ! Et le tac au tac l'horripile. Ilvoudrait du flou. Qui est-ce qui va lui donner du flou ?Maurice Donnay a déjà commencé. Pourvu que çacontinue ! Il nous donne ainsià Rostand et à moisonopinion intimeet pas son opinion pour tout le monde. Il a desrhumatismes et geint comme le loup de Vigny tourné contre lemur.

Et Antoinesur la scène ! Ce vieux savant avec son vieux coeuret quien collant des os à des osa fini par savoirlui aussiceque c'est que la vie.

ChezMaire. Le joufflu Ajalbert et sa femme joufflue qui fume descigarettesqui errait hier dans les rues de Sévilleet qui aun chapeau de quel paysSeigneur ?

On apportela note. Rostand dépose deux billets de 50 francscomme çasans vérifier. Et sa femme s'aperçoit qu'on a portéune bouteille de vin de 17 francs que nous n'avons pas bue.

Rostand mereproche de tout répéter à tout le monde.

Je seraisbien bêtede ne pas tirer de la vie tout ce qu'elle peutinstantanément nous donner ! Ouisi je rencontre quelqu'unsur le boulevardje ne lui demande pas de ses nouvellesàlui dont je me fichemais je lui cite un vers que je viens de lireou d'entendreune idée de moi ou des autres ; et cela faitde cette rencontre où nous n'aurions dû dire que desbanalitésquelque chose de précieuxde rarequelquechose de plusenfinet qui ajoute à ma vieet qui pouvaitn'être rien. J'ai ouvert une fenêtreet j'ai respiré.

-- Jetrouvedit F.V. Griffinque Rodenbach exploite ses images. Il neles lâche qu'après les avoir sucées jusqu'audernier sens.

Faut-ilparler au compte-gouttes ?

7 mars.

LePlaisir de rompre. -- Blanche. A-t-elle une jolie taille ?

Maurice: La taille d'une serviette avec son rond.

Maurice.Quand il sort du bureaule soirà six heuresil ne sait quefaire. Par économieil ne va pas au café. Il rentredans sa chambrelaisse la porte entr'ouvertes'assiedsans quitterchapeau ni pardessusetle menton appuyé sur sa canneil sefait une visite en attendant l'heure du dîner.

12 mars.

Dînerchez Bernard.

-- Il y adans les Histoires naturellesdit Bernarddes choses de toutpremier ordreet des choses que je n'aime pas. LesChauves-sourisl'Anec'est parfaitLa Chenilleme déplaît pour des raisons qui la feront aimer desautres.

-- Lamoyenne sera donc bonne.

-- C'estun travail de vieille demoiselleréussi parce que vous êtesJules Renardun habile ouvriermais c'est fauxchiquétraquésans aucune humanité. Veber me disait : «Tu n'aimes pas La Chenille parce que tu n'aimes pas lacampagne. » J'ai répondu à Veber : je n'aime pasLa Chenille précisément parce que j'aime lacampagneet que La Chenille est un bibelot de cabinet detravaild'étagèrele contraire d'une bête ayantde la vie et de l'odeur.

-- Trèsbienvotre petit bouquinme dit Muhlfeldmais je fais une réserve.Je ne fais jamais de compliment sans réserve.

-- Pouravoir l'air indépendant.

-- SoitMais pourquoi avoir mis Le Coq? Qu'est-ce qu'il vient faire là? Un coq de clocher n'est pas une bête.

-- Et vousappelez ça une critique ? Vous me dites que mon coq de Clochern'est pas une bêteet vous croyez que ça me vexe.Est-ce que je ne savais pas ce que vous croyez m'apprendre ? Si !Alorsvotre critique n'a aucune espèce de valeur.

-- Il y adu prêtre en vousRenard. Votre première communion vousrevient. Vous êtes pour la moralela chastetéledevoir.

-- C'estvrai. J'en ai assezde notre littérature de cocus et de vos «sonnets du docteur ».

Allaissigentil qu'il a l'air fauxvient près de moi et m'expliqueencore une foisque j'ai eu tort de quitter Le Journal enfaisant claquer les portesqu'on voudrait me ravoirque d'Esparbèstombeque luiAllaisne sait pas ce qu'il leur a faitmais qu'ilest tout puissantque mes Histoires naturelles ont plu àbeaucoup de gensmais que j'ai aussi déchaînébien des rages de gens qui se fichent pas mal des allures de madinde.

Nonnonnous ne sommes pas drôlesmais Lamartine à tableétait-il si drôle que ça ? Rostand avait l'air des'embêter comme chez lui.

Commec'est plus findes jalousiesdes querelles d'amitiéque desquerelles d'amour !

16 mars.

Il marchetoujours sur la pointe des piedscomme attiré par l'idéalmême.

18 mars.

Pourquoivouloir que les hommes me jugent sans erreur ? Est-ce que je ne metrompe pas quand je les juge ? Est-ce que je ne suis pas d'abordl'ennemi de ceux que j'aimerai plus tard ? Est-ce que je ne dédaignepas bientôt ceux que j'ai aimés trop vite ?

Se défierdes imagessi belles qu'elles soientqui datent du temps d'Homère.

Savoirenstyleet ne jamais le laisser paraître.

20 mars.

Le peu declarté qu'il y a dans le mystère qui nous entoure vientde nous-mêmes : c'est une fausse clarté. Jamais lemystère ne nous a montré de la sienne propre.

Un hommequi se plairait trop à la lecture des essais de Maeterlinckserait un homme perdu. Si l'on veut vivre d'une vie humaineextérieure et retentissanteil ne faut ouvrir que quelquesfenêtres de son cerveauet laisser fermées les autres.

Flirt. --Bien qu'il soit toujours d'une impolitesse ridicule de dire àune femme qu'on ne sera jamais amoureux d'elleje crois pouvoir vousaffirmer que je ne me sens pas troublé près de vous.

-- Je vousaime beaucoupdit-elle.

Elle lediten insistantles yeux sur moi. Comment m'aime-t-elle ? Si jelaissais deviner que je devinequel étonnement ! Cependantelle n'est pas fâchée de provoquer un doute.

-- Quedirait votre marisi... ?

-- Lui ?Oh ! rien.

Tucomprendsma chérieque pour moi elle n'existe pas. C'estune fleur peinte et artificiellement parfumée. Je la respirequand elle est làmais je n'y toucherais pasde peur dedéranger ses pétalesses cheveuxde décolorerses yeux et sa bouche. Je n'y touche pasmême en imagination.Tu es ma seulema vraiema solide. Si tu étais jalousetune serais qu'une sotteet tu gâterais ta vie.

Carand'Acheguêtres blanchesgants blancsvisage blancraiecirculaireetavec çaquelque chose de sale dans sapersonne.

Tous lesdix ans il faudrait refaire son collège.

Et cetautre ne fait d'article que si son exemplaire est sur papier deHollande. Si c'est du japonl'article est élogieux.

Celui-làne manquera point de reprocher aux Histoires naturelles de nepas encore résoudre la question sociale.

1er avril.

Renanseslettres glacéeset cellesnon moins frappées de sasoeur Henriette. Ça de l'intimité ? C'est de la geléede confidences.

C'estcomme quand Sarcey nous dit d'un ton calme : « J'enrage ! »

Le petitRostand se tient raide et marche droit avec sa cannepour qu'on leprenne pour un nain.

Vieillefiguevieille fille.

Tirer desballes dans des toiles d'araignées.

Quand ilboit avec un coupleil paie toujourspour avoir l'air d'êtrel'amant.

8 avril.

Il fautexcuser Barrès. Ce n'est pas commode de faire comme lesimbéciles quand on a son esprit.

Il ne fautpas rire tant qu'on n'est qu'à l'extérieur des chosesmais il faut d'abord y entrer. Il faut rire du milieu des choses.Plus clairementje ne ris pas de toute politiquecar il peut enêtre de belle que j'ignoremais je ris des hommes politiquesque je connaiset de la politique qu'ils font sous mes yeux. Que lerire soitnon pas frivole mais sérieux et intérieuret d'une philosophie consciente ! On n'a le droit de rire des larmesque si l'on a pleuré. Le ridicule n'existe que par momentsmais rien n'est tout à fait ni toujours ridicule.

Il ne fautrire que des belles choses qu'on peut aimer. Le banal ne fait pasrire. Avant que de rire des grands hommesil faut savoir les aimerde toute son âme.

Le rireest inattaquable puisqu'il rit de lui-mêmemais il meurt toutseul au milieu des figures graves et pensives.

Renan adit : « Les rieurs ne règneront jamais. » Il estvrai qu'ils se moquent de régner.

11 avril.

Le cielcontinue l'ardoise du toit.

Elle medemanda si je sacrifiais aux Muses.

Un amourplatonique où les âmes se tutoient.

Ne vis pas! Contente-toi de toujours désirer vivre.

13 avril.

Elle medit qu'elle restait chez elle deux jours par semainemais je nedemandai pas quels jours. De peur que je n'oublieelle me ditqu'elle restait chez elle toute la semaine.

Sa boucheest si petite que son accent paraît léger.

17 avril.

Lemendiant regarde le beau château et s'écrie :

-- Oh ! sij'avais ce château !

Il entenddire qu'on l'aurait pour un morceau de pain.

Mais iln'a pas le morceau de pain.

La genèsed'un esprit : 1° stupéfaction2° ironie3°enthousiasme.

Le mot estl'excuse de la pensée.

Ce quefait l'oeil sous la paupière.

Au désertelle demanderait une chaise pour s'asseoir.

21 avril.

MarcStéphanel'auteur de Fleurs de morphinem'envoie sapetite amie pour me demander si je n'ai pas l'intention de faire unarticle sur son livre à L'Écho de Paris ou auMercure de France. Elle a des bandeauxun petit chapeau platdes dents jauneset de grosses joueset un fort accent. Elle estcomme effrontée et innocente.

Et je faisle maîtremoi. Je parle des illusions que doit avoir ce jeunehomme de 26 ansdes difficultés que j'ai euesmoide mabonne volonté à moi. Et je suis flatté. Pensezdonc ! C'est la première visite qu'une femme me fait. Elle nese dégrafe pasmais ça viendra. Vive la littératurefrançaise ! Le métier a du bon. Ça m'embêteratout de mêmede faire cet article. Aussij'ai eu laprécaution de prévenir la petite dame que çàne paraîtra pas dans le prochain numéroqu'un articleau Mercure n'avait aucune importancemais quesi çapouvait lui être agréable que je passe un quart d'heureà écrire deux ou trois lignes...

-- MerciMonsieur. Vous êtes bien aimableet je vous demande pardon devous avoir dérangé.

Si j'avaisdu talenton m'imiterait. Si l'on m'imitaitje deviendrais àla mode. Si je devenais à la modeje passerais bientôtde mode. Doncil vaut mieux que je n'aie pas de talent.

DeHerediadans un salonlançant à toute volée lequadrige de ses postillonss'écriait :

-- Maisc'est admirablel'Aphrodite de Pierre Louÿs ! DepuisFlauberton n'a jamais rien écrit de pareil. C'est lemeilleur roman qui ait paru depuis cinquante ans.

AussitôtPaul Hervieu et Vandérem fichent le camp.

-- Ilssont étonnantsces romanciers ! dit de Heredia. On ne peutpas faire l'éloge d'un roman devant eux.

Maisquelqu'un :

--Monsieur de Herediaest-ce que Pierre Louÿs n'a pas aussi faitdes vers ?

-- Ouimaisentre nousil a eu tortcar ses vers sont franchementmédiocres.

24 avril.

A CatulleMendès. « Il me semble que parfois vous me frappez surl'épaule et me dites : « Jules Renardvous devriezfaire un petit voyage dans la lune. Ça vous changerait. »Et je répondsrésigné : « C'est une idée; mais comment ? » Non ! Nous ne pouvons que tourner surnous-mêmesprendre conscience de notre petit êtreétroitou par instants il fait si noir.

«Après les Corneille et les Racineles grands hommes de rêvesont venus les La Bruyère et les La Rochefoucauldles grandshommes de réalité.

«Nous avons horreur des faiseursdes truqueursdes faux géniesdes idéals de matamores et des bouches gonflées. Legrand homme de demaincelui qui gagnera tout notre coeurc'estl'écrivain qui n'aura pas le courage d'écrire deuxcents pageset qui posera à chaque instant sa plume ens'écriant :

«Qu'est-ce que je f...-làmon Dieu ! Qu'est-ce que je f...-là!

« Iln'y aura plus de passionnés. Il y aura des traîtres quis'amusent. Passionnés d'amour ! Quoi ? De quel amour ? Parcequ'on a couché avec une femmeavec toutes les femmesilfaudrait lever les bras au ciel ? Vous nous proposez lamultiplication infinie du spasme. Maissacré mâtin !lisez doncavantune pensée de Pascalet vous tournerez ledos à la plus belle fille les chairs nues. Je ne crois pas quecette petite fatiguela renouvelât-on jusqu'à enmourirait quelque chose de si enthousiasmant.

«Pour moisi quelqu'un me propose d'écrire Les Burgraveset me donne la force de les écrireje ferai signede latêteque non. Le sublime deux fois répétéet quel chef-d'oeuvre vous désignez ! c'est Le fade.

«Vous croyez à notre impuissance et vous ne voulez pas voirnotre lassitudenotre effroyable ennui. Oh ! nous continueronsd'écrire. Il faut bien toujours écriremais notreplume se promène sur les fleurs comme une abeille écoeurée.

«Vous dites : « Souveraines et vastes chimères » etnous ne comprenons pas. Nous remuons la tête avec un sourirecar nous la connaissonscelle-làet dans les coins.

« Jevous le dismon cher maître : avec HugoLamartineChateaubriandle génie est monté trop haut. Il s'estcassé les reins. Maintenantil se traîne sur la routecomme une oie de village.

«Nous en avons assezd'étudier les « relations des sexes». Nous enjambons vos couples qui se roulent à terreetcomme vous y êtes mêlé - nous faisons le tour- nous sommes plus loin que vous. Nous n'avons aucun mérite àêtre chastespuisque nous le sommes par dégoût.

«J'entendais un grand poëte s'écrier en sortant de sonalcôve : « Terre et cieux ! Nous nous sommes aiméscomme des lions ! » Pourquoi ce lion ne pourrait-il êtreune pauvre bête ?

« Etles hoquets de l'homme saoul ! L'adultère ? La petite fatigueà trois. Mais je n'ai pas la force de vous répondre.

« Oh! les mâles gros et fermes ! Et M. Zolaqui s'attardequelquefois à prendre le menton de la jeunessene nous a-t-ilpas conseillé de nous isolerune ou deux fois par semainedans les blésavec les belles filles ? Grâce !Ménagez-nous ! Nous allons mourir de rire.

« Etnous sommes plus haut et plus loin que vousparce que vous êtesencore empêtré dans la vieet que nous nous rapprochonsde la mort.

«Vous attendez que quelqu'un se lève : personne ne se lèvera.On est si bienassiset si mieuxcouché ! Et puisnousavons trop lu : tous les passionnéstous les sceptiquesàpartir de Jules Lemaitreet tous les farceurs. Nous avons lu desplaisanteries légères comme l'eau qui couleet dessystèmes de philosophie hauts comme des maisons de rapportsNous sommes écoeurésmoulusnoyés.

« Etles petites saletés de l'odorant amour ! »

Mai.

Les rosesont le sang à la tête.

La guignene s'acharne que sur la bêtise.

Surtoutne pas confondre tristesse et ennui.

Voyage àChitry. -- De la joie et de la tristesse selon que le coeur se serreou se dilateet il ne fait que ça.

Sardy-les-Epiryquel nom !

Et tantd'histoire ancienne qui dort...

Regarderces villages si éloignés les uns des autrespuis lesvoir se presser frileusement comme sur une petite carte.

Tous ceuxqui ont vécu là ne sont pas nés en mêmetemps que moi. Et les morts me disent : « Dépêche-toide vivre ! »

L'amusantc'est que tous ces petits villages comptaientau Moyen Ageun oudeux artistes. Aujourd'hui l'on n'y trouverait pas un sabotiercapable de sculpter une tête de République.

Titre :les Puces de nos grands hommes.

Net'imagine pas qu'il y a des grands hommes inconnus.

N'as-tupas souhaité quelquefois d'être l'amant d'une Mme Roland? Ne cherche pas : il n'y en a pas. S'il en existait unetu lesaurais. Toutes les femmes que tu as rencontrées sont - oh !n'en doute pas - bel et bien stupides.

A sixheures du matin son ménage est fini. Quelqu'un passe devant saporteet on cause. On cause ainsi jusqu'à midiet le restede la journée passe de même.

Jamais onne la surprend à faire quelque chose. On frappe. Elle vousouvreen sabotspropreles mains sur le ventre. Tout est en ordre.A quoi s'occupe-t-elle ? Des foiselle tricote. Elle est si heureused'avoir perdu son mari qui se saoulait et la battait que la mort d'unde ses deux garçons n'a pu l'attrister. Elle vivrait ainsiaussi longtemps que le bon Dieu.

Perchésur ma butteje les observe ; et je voudrais surprendre les secretsde leur humble vie.

Toute lajournéetravaillé d'un oeil.

26 mai.

Chaumot.La Gloriette. -- Il a acheté un pulvérisateur pourvitrioler sa vigne. C'est assez semblable à l'appareil queportent sur leur dos les marchands de coco. Comme il voulait voir siça marchait bienil regarda la pomme d'arrosagetourna lerobinet et reçut un jet de vitriol dans les deux yeux. Ilcourut comme un aveugle au ruisseause lava avec de l'eau boueuseetdepuisses yeux pleurent sans cesseet ils sont rouges commedes anneaux de corail. Mais ça va mieux. Oh ! ça vabien mieux.

Lecommerce. Dans les magasins de Corbigny il n'y a personneexceptéles jours de foire. Il n'y a que la sonnetteet elle dort. Elle criequand on la réveille. Dans la salle du fond dont la porteouvre sur le jardinon aperçoit quelqu'un qui tend la têtebouche ouverteyeux étonnés. Et la femme ou l'hommehésite à venir. Qui suis-je donc ? Qui est-ce qui peutbien venir les déranger en semaine ?

Une foismariéela femme se fane. Elle n'a plus ni joliténicoquetterie. Elle ne se soigne plus. Elle s'habille pour vivre dansl'arrièreboutique. Quelquefoisce qu'elles avaient de mieuxpersiste : des dents restent blanches. L'une d'ellesqui étaitjolieen quatre ans a tout perdu. Elle n'a plus que ses cheveux quimettent longtemps à se défriser.

Et onlivre de la main à la mainsans faire de paquets.

-- Oh !moime dit une marchande de vaisselleje ne sais pas faire lespaquets.

--Qu'est-ce que vous pouvez bien savoir fairema brave dame ?

Pauvrehomme ! Quand il sera mortsur sa tombe il faudra mettre unecouronne de cinq livresen pain.

Tu asrejeté les pierres de ton jardin dans le jardin des autresetpour y ajoutertu as démoli un peu de ton mur.

La vie estcourtemais comme c'est longde la naissance à la mort !

A un grosclou pendent de petites choses légères.

Elle esttoute fraîchemême en sortant du train. Elle voyagecomme une fleur dans un panier.

Papaconnaît Tolstoï comme socialisteet Laurent Tailhadecomme dynamité.

A monretour au paysle matin je fus salué par un chant d'alouettesqui pétillaient dans l'air comme des flammes au bout de hautscierges.

Un coupledans le train. Luicravate de satinveste neuve et chapeau mourouge et gercé comme la terre trop sècheraséjusqu'à la nuquesentant fort.

Ellerouge aussimains rouges sans gants. Toilette voyantecorsageacajou qui joint malet garni d'orbracelet or formant noeud decravate ou jarretière. Petits paysans qui se marient etmontent en première. La jeune mariée n'en revient pasdes courroies Paris-Lyon-Méditerranée. Luiil expliquepaysagestrains qui passent. Çac'est un train demarchandises. Des ouvriers travaillant sur la voieil s'écrie:

-- Direque j'ai été comme çamoi !

Et tousdeux se mettent à rire de pitié !

En faceune grosse femme bouffie et noireen deuilmais surtout néeen deuil. Elle dortassise sur le bord de la banquette. Elle sebalance comme sur un bateau ivre ; et sa petite fillequi estbossuemalingrenerveuse et très « susceptible »souffre de voir sa mère ridicule. Elle l'appellelui tire sonjournalpuis se moque d'elle avec nous. Et la maman réponddu fond de son sommeil houleux :

--Laisse-moi donc ! Et aprèsqu'est-ce que ça fait ?

Pense àce que serait un villageson église rasée.

--Courteline ne travaille pasdit Mendès. Il a encore quinzecents francs de paresse devant lui. Aprèsil s'y mettra.

-- Jedéteste Aphroditeme dit Griffin.

Et il medonne de si bonnes raisons que je n'en ai aucune de n'être pasde son avis.

C'est bienentendu. Je ne peux rien faire avec géniepar inspiration.Pour obtenir un résultatil me faut travailler fermeet mebien teniret persévérer. La plus petite faiblessejela paie. Il faut que je m'interdise le primesautierl'impromptu etle chic.

Mme X...Laide dès le premier abord et jusqu'à la fin. Ce ménageest comme un couple de sarments.

GabrielRandon va à La Revue blanche où il est reçuassez grincheusement par La Jeunesse qui lui dit :

-- Quedésirez-vousMonsieur ?

-- Jedésire savoir deux choses : pourquoi on m'éreinte àLa Revue blancheet ce que vous avez fait de vos c...

L'art duromand'après Pierre Sales.

Des arbresmorts tendent leur fin squelette la nuit.

Et ceslongues journées où l'on écrirait un livre toutentier.

Juin.

Égoïste? Ouima vie m'intéresse plus que celle de Jules Césaret elle touche à tant d'autres viescomme un pré aumilieu des prés !

Mets del'eau dans ton sang.

Je mecroyais vieillissant. J'ai vu Raymond hier. J'ai joué avec luiautrefois. Quelle ruine ! Maigrevoûtéil a les mainsrecouvertes d'écorceles dents noiresles yeux éteints.Il est vieux.

On a beaudire ! Ça usede travailler de cinq heures du matin àsept heures du soiret de ne pas manger de bons morceaux. C'estgentilla salade et le fromage blanc quotidiens. Ça et l'airdu tempsle bon air de la campagneça vous tue un homme entrente ans.

Et moiquichaque semainecherche dans une glace mes nouveaux cheveuxblancs !

L'aiguillede la couturière picore comme une poule minutieuse.

Il y a enmoi un fonds de grossièreté qui me permet de comprendreles paysans et de pénétrer loin dans leur vie.

4 juin.

LaurentTailhadeÉcho de Parismercredi 3 juin 96Revueblanche1er juin 96.

«Premier que de s'escrimer du poignard... » « Premier quele sôr Péladan se fût voué... »

C'estbeaule style ! Ce « premier que » est comme le «Il a la gueule noire » du propriétaire d'un chien derace.

On estpénétré de respect. Ça impressionne tantqu'on ne trouve rien à répondre.

6 juin.

Desmonuments de nuages se bâtissent là-bas.

Quemanque-t-il à mes paysans ? Des noms pris dans la Bible.

Pourécarter l'oragecommettre toutes les lâchetés :prier Dieuou feindre de travaillerou sauver une mouche qui allaitse brûler à la flamme d'une bougie.

Vieillefermemurs qui suent du sang noir de fumier.

Cetteaventure me serait-elle réservée ? Je lui écrisque j'aime beaucoupbeaucoup (le second souligné)sonlivre ; et il me répond une lettre qui me fait rougir. Mevoilà bien !

Et jeprévois que ce n'est pas mon dernier mensonge.

Pourquoisuis-je ici comme en exil ? Qu'est-ce que j'y fais ?

J'aihorreur du mot « ratiociner ».

Aujourd'huivendu mon foin trente francs.

-- Trentefrancs la botte ?

-- Ouimais l'acheteur met tout dans la même botte.

C'est lepremier argent que me rapportent « mes terres »et c'estle prix que m'a été payé mon premier conte àL'Écho de Paris. Si l'agriculture manque de brasjelui en donnerai : j'écarte les miens.

9 juin.

Unenterrement de village au soir d'un jour de semaine. On se croirait àun soir de dimanche.

Le ventpasse dans les feuilles sa main invisible.

11 juin.

Quelspectacleun vieux paysan nu !

Je me senstriste comme un Verlaine de campagne.

13 juin.

C'est lacoutumeiciqu'une fois par an le garde-champêtre et un maçonaillentà l'entrée de l'hiverdans toutes les maisonsdu villagefaire une tournée de sûreté. Ilsvisitent les cheminéestâtent les fours et boivent lagoutte. A la dixième maisonils sont saouls. Ils touchentchacun trois francs par jouret ça dure trois jours.

Cetteannéequand Papon est venu dire au maire qu'il allait fairesa tournéepapaqui avait dû déjà lemettre à la porte l'année dernièrea supprimécet usage qui ne repose sur aucun texte de loi. Il a dit àPapon :

-- Si çate rapporte neuf francsj'aime mieux t'en donner dix-huit pour quetu te tiennes tranquille.

Malgréles gouttesPapon a répondu :

-- Commevous voudrez. Moiça m'est égalmonsieur le maire.

Mais papaa oublié de donner les dix-huit francs.

16 juin.

Jeprétends qu'une description qui dépasse dix mots n'estplus visible.

Ohréveiller tous ces villages qui dorment !

Elle estassez originale pour trouver que le lys est une fleur bête.

Juillet.

Tuer lesrats qui mangent mes cerisespourquoi ? J'aime mieux acheter unedemi-livre de cerises qu'une demi-livre de poudre.

A Parison a l'air de vivreon entend du bruiton en faiton dépensepeut-être plus qu'on ne gagne ; maisicipeut-êtrequ'on est mort.

Le ventlutteur aux membres dispersés.

Ragottetraverse la vie. Elle va à la mort avec sa brouette de linge.

C'est uneduperie que de s'efforcer d'être bon. Il faut naître bonou ne s'en mêler jamais.

Comme ilserait intéressantce fait divers où l'on voit troispersonnes assassinéessi vous étiez du nombremoncher ami !

Aprèsavoir lu une leçon du professeur Carl Vogt sur l'utilitéde la taupej'en ai tué une d'un coup de carabine. Je lavoyais soulever son dôme de terre fraîche : deux fois jel'ai détruit. Elle recommençait. Puisj'ai débouchéson trou. Elle est venue mettre le nez à l'air. Je l'ai tuéecomme un rienavec ma foudre à moien me forçant unpeupour voir comment c'était fait. Ça a dû êtrepour elle comme le tonnerre serait pour mois'il me tombait sur latête. Je l'ai tuée comme si j'étais un dieu !Elle était au milieu de l'allée. Elle ne faisait pas demal à mes pieds de saladeauxquels je tiens si peu. Je l'aituée. Pourquoi ? Pourquoi ? Et mon chat vient de déposersa crotte dans la housse de mon fauteuilet je ne lui ai rien dit.

Taupinièresla chair de poule des prés.

Il y a 25°à l'ombreet Philippequi brouette du sable en plein soleildit :

-- Ma foiil fait bien doux !

Il a bienun chapeau de paillemais il se lève de si bonne heure qu'àcause de la fraîcheur du matin il oublie toujours de le mettre.

9 juillet.

Jevoudrais faire faire un petit pas à la littératurevivanteà la vie dans la littérature.

Un ménagepauvre où l'on désire une fille qui servira de bonne.

Un styleroux. Si les littératures ont des couleursj'imagine que lamienne est rousse.

Nuagesnuagesoù courez-vous ? On est si bien ici !

Une boucheun peu de traverscomme une cerise pendue à l'oreille.

Attendez !J'ai jeté ma ligne en moi. Le bouchon remue.

L'orage.La force de cacher ses peurs à ses enfants.

Je ne saispas trop où je suis néet cela me gêne un peu.J'ai toujours l'air de chercher mes racines.

14juillet.

Je demande:

-- Quiest-ce donc qui préside le banquet de Corbigny ?

-- Oh !tout le monde.

Un graind'homme au milieu des champs.

Je voisavec stupeur que je ne suis pas fait pour la campagne.

La peurest une brume de sensations.

Je ne suisfait que pour écouter et regarder vivre la terre.

Canard :le pingouin de famille.

Le sureaudont la fleur sent si bonet l'écorcesi mauvais.

Le cielest rouge comme une tuilerie.

Des petitsgars vont à l'école avec des casquettes enfoncéesjusqu'aux oreillesdes chaussettes rouges et des petits serpents decravates.

Un coqcoiffé comme on l'est à Polytechnique.

Philippeet sa femme sensibles au chant des oiseaux à deux heures dumatin.

Deuxjeunes filles en blanc avec des ombrelles rouges. Qu'il ferait bondormir entre ces deux pavots !

Un versest encore meilleur lu sur une page non coupée.

Mets unpeu de lune dans ce que tu écris.

Tous lesaulnes aspirenttendent à la lune.

Je suisl'homme de la moyenne des lecteurs artistes.

L'hommeaux Sourires pincés félicite M. Gaston Deschampsde savoir si bien se prendre au sérieux.

Le rat. Lecanon de ma carabine le dépassait. Il se met à chantervictoire.

Un chapeaude paille pour clair de lune.

L'orage.Sous des nuages lourds et sombres - stratusdirait Rosny - despaysages au fusain.

Jevoudrais être de ces grands hommes qui avaient peu de choses àdireet qui l'on dit en peu de mots.

Je n'aipas le délire. Je n'ai que le vif sentiment de ce qui vaut lapeine qu'on soit néet de l'inutilité du reste.

Si vousm'annonciez la mort de ma petite fille que j'aime tantet sidansvotre phraseil y avait un mot pittoresqueje ne l'entendrais passans en être charmé.

Lesabsents ont toujours tort de revenir.

Une piqûred'épingle changerait vos propos sur le duel.

Lerebouteux n'a pas pu faire sortir du pied le « sacrilège».

Cesgens-là sont heureux leur nuit de noceset encore !

La fleurcoupée se mit à marcher toute seule comme une fillette.

LaGloriette.

SoliDeo honor et gloria.
Cette maison a été bâtie
en 1776 par M. Dubledde Saulieu
curé de Chaumot.

Il seprécipita sur mon carnet et dit : « Ah ! je le tiens ! »

Un chatqui n'a pas pu s'habituer à sa queue. Quand il la voitsoudainil se précipite sur elle et tourne comme un soleilgris.

Philippene voudrait pas coucher dans une maison à paratonnerre. Ilirait bien vite dans la maison à côte.

Un cielbarbouillé à l'horizoncomme une bouchedeframboises.

Lameilleure santéc'est de ne pas sentir sa santé.

18juillet.

Mort deGoncourt. Regretté de n'être pas allé le voirplus souvent : deux fois en ma vie. Avoir supposé qu'ilpouvait songer à moià cause de mon talent. M'êtredemandé si je refuserais. M'être dit que je refuseraisparce querevenu à la raisonje commençais àne plus espérer. M'être réjoui en apprenant quele testament pouvait être attaquéqu'il n'y en avaitpeut-être pas. Et j'attends la dépêche d'ami quim'annonce que je suis sur le testament. N'avoir fait que me demanderceux qui peuvent y être. Celui-ci est trop richecelui-làvraiment de trop peu de talent. Je n'épargne que Rosny. Puism'être dit quesi 4 000 francs de rentes me tombaient aumilieu de ma paressece serait une injustice. Peu à peurevenu à de plus hauts esprits. Très grand et trèspauvrevoilà l'idéal.

L'artistedoit avoir tout vu et tout oublier. Il est capable de toutcomprendremais il a l'air plutôt inintelligent.

IntitulerL'Amour du pays mon livre sur la Gloriette.

Denis etle locataire qui ne veut pas dire son nom et qui crie : « Jesuis celui qui loge au rez-de-chaussée. »

A Clamecyune dame grave et sa fille obligées de passer tout prèsd'un étron.

Denisvalet de chambre monté au grade de conciergeapprécieles moulures de ma cheminée.

CatalogueCharpentier. Il suffit de le lire pour être modesteau moinsjusqu'à demain.

Eh ! quoiM. Armand Silvestre a publié tous ces volumes de poésieset l'un d'euxLa Chanson des heuresa eu une nouvelleédition considérablement augmentée ? Il est vraique l'édition des Ailes d'or est définitive. Etje ne pourrais pas citer un seul vers de ce laborieux poëte.

Quoi ! M.André Theuriet a publié tout celaet jamais personnene prononce son nom dans nos conversations dites littéraires ?

Quoi !L'oeuvre complète de M. Ferdinand Fabre a étécouronnée par l'Académie Françaiseet je n'ensavais rien ?

Et je nedis pas cela pour être désagréable. Avant que depasser à leurs livresil fautde toute justice que je lisetout mon Gautiertout mon Banvilletout mon Goncourt. Puisj'attaquerai ZolaDaudetMendès. Oh ! Silvestrechercollaborateurjamais je n'arriverai à vous.

Et M.Edmond Laboulaye qui m'attendauteur d'une multitude de contes bleuset d'une histoire des États-Unis en trois volumes !

Et HectorMalot ! Heureusementil a eu la générosité des'arrêter. Et Arthur-Arnould Matthey dont je ne sais mêmepas s'il continue !

Et ArsèneHoussaye qui a un fils !

Michelet :une phrase qui a une maladie nerveusequi a le hoquet.

Contrairementà ce qui est dit dans le Sermon sur la Montagnesi tu as soifde justicetu auras toujours soif.

Incapablede « longue haleine »je lis par-cipar-làetj'écris par-cipar-là. Mais je crois bien que c'est ladestinée du véritable artiste.

Lagracieuse inquiétude de la tête d'un oiseau sur sabranche.

Leridicule de ce que je fais ne me frappe que longtemps après.Je n'observe pas en même temps que je vis. Je ne reviensqu'ensuite sur chaque détail de ma vie.

Mêlerun vrai serpent aux amours d'un moissonneur et d'une fille de moisson

La gloiren'est plus qu'une denrée coloniale.

Comme s'ilavait lu le traité de Fénelon sur L'Éducationdes fillespapa ne faisait que nous proposer Jésus-Christen exemple : « Jésus-Christ a travaillé jusqu'àtrente ans dans une boutique. » C'est exactmaisà lalongueça devenait fatigant.

-- Ilfaudra qu'un de ces joursdit papaje me décide àécrire un bout de testament. Deux lignes seulement : «Je désire être enterré civilement. Faites de moncorps ce que vous voudrez. »

Cet hommea dû envoyer ses témoins à l'évêquele jour où il a été confirmé.

Commelittératureécrire un Pater ou un Ave.

Le boaungros serpent qui sert à attacher aux arbres les gazelles.

Pourquoim'appelle-t-on mauvais coucheur ? Je couche avec si peu de gens !

Août.

Non ! Cen'est pas ça. J'ai encore trop d'esprit.

-- Etvousvous n'êtes donc pas du conseil municipal ?

-- Oh !non. Je me suis retiré de la politique.

Placercette parole pompeuse dans la bouche lamentable d'un pauvre homme.

La gloireM. le ministre Alfred Rambaudc'est d'être un excentrique dela littérature.

Deux coqsqui se battaient à mort parce qu'ils chantaient ensemble.

Phrased'un son extraordinaireCicéron et ses amisp. 245 :« Ulubressituée au milieu des marais PontinsUlubresla désertevacuæ Ulubrædont on appelaitles habitants les Grenouilles d'Ulubres. »

MlleBlanche. Scène à faire. En amourpendant que ses amiss'aimaientelle a gardé leurs enfants.

-- Ainsicher maître vous avez trouvé le secret du bonheur ?

-- Je m'enflatte. Voici comment je m'y prends.

Des nuagessombres où le coeur monte et étouffe.

Lamarguerite : une bouche ronde qui a des dents de tous côtés.

Faischaque jour ta page ; maissi tu sens qu'elle est mauvaisearrête-toi. Tant pis ! C'est une journée perduemais ilvaut encore mieux ne rien faire que de faire mal.

Je n'aimeque le théâtre des hommes de théâtreamateursMussetBanvilleGautier. Au théâtre desprofessionnelsSardouAugierDumasje préfère monlit.

SurVerlaineà propos des Invectives. -- La scènechez Vanier. Je venais d'offenser cruellement un poëte. Mesbassesses pour me faire pardonner.

--Monsieur est richedit Verlaine.

Lecoadmirateur inconnu. Nous allons au café Saint-Michel. Lapatronnequi connaissait bien Verlainenous observait d'un oeilnarquois. Il parla beaucoup de Racine et ne dit pas un mot de Moréas.Le milieu de son visage se resserrait à petits plis.

On confondtoujours l'homme et l'artistesous prétexte que le hasard lesa réunis dans le même corps. La Fontaine a écrità ses femmes des lettres immoralesce qui ne nous empêchepas de l'admirer. C'est bien simple : Verlaine avait le génied'un dieu et le coeur d'un cochon. Ceux qui ont vécu prèsde lui ont dû bien souffrir. Tant pis pour eux ! Ils avaient letort de se trouver là.

Ami oufamilier de Verlaineje lui aurais sans doute donné descalottes. Humble lecteur parmi la foule obscureje ne connais quel'immortel poëte. Ma joie est de l'aimermon devoirdel'absoudre pour le mal qu'il a fait aux autres.

A ses yeuxj'avais deux mérites : il ne me connaissait paset jel'écoutais parler.

Moncoadmirateur tint à payer la moitiédu bout deslèvres. Pour ma partmaintenant que j'avais choqué monverre contre celui du poëteque j'avais le droit de conter plustard cette aventurej'aurais bien voulu être ailleurs.

[Enmarge de ces réflexionsJules Renard a écrit :Vanier dit : « C'est cinq francs »... « Lacotisation Remâcle ne va donc plus ? » Il se piéta.D'abord les mots ne lui vinrent pas. Il marqua son indignation et sonmépris par un redressement du buste et des épaules. Cefut sans doute là l'offense cruelle.]

14 août.

-- Dansnos joies les plus expansivesgardons toujours au fond de notre âmeun coin triste. C'est notre refugeen cas d'alarme subite.

LaFontaine. Qui fut plus humble que lui en apparenceet plus libre enréalité ?

17 août.

Il ne memanque que le goût de l'obscurité.

Septembre.

Larivière. Les roseauxbaïonnettes de régimentsnoyés. Bords spongieux où le soleil s'emplit d'eau.Trois lignes en éventail.

Latempête. Des arbres tourbillonnent sur piedles bras en l'aircomme des soldats frappés au coeur. Les maisonss'accroupissenttremblant comme des navires à l'ancre. Lesgirouettes ne savent plus où tourner. État d'esprit oùl'on n'aurait de plaisir qu'à marcher dans la campagne par unetempête. Les poires tombent. Les pommes de terre se découvrent.Les peuplierstoutes feuilles du même côtéramènent leurs cheveux sur leurs tempes.

Le lièvre.Le bruit menu de la feuille qui tombe l'agace. Il s'énervecomme nous si nous entendons craquer nos meubles.

Rentréeà Paris9 octobre 96.

Comme unelocomotive tirée sur la route par des boeufs.

Moncerveau. Un gaufrier de mots.

Bucoliques.La façon tranquille de se battre des animaux. Deux béliersfurieux se donnent un coup de têtese remettent àmangerpuisde nouveausans passionse précipitent l'unsur l'autre.

Mêmeobservation pour les coqs.

Un bonpetit gars paysanc'est un petit qui ne dit pas merci quand on luidonne des groseilles.

-- MonDieu ! s'écrie Mme Lepic. Qu'est-ce que j'ai donc fait pourêtre aussi malheureuse ! Ah ! mon pauvre Poil de Carottesijamais je t'ai fait des misèresje t'en demande bien pardon.

Ellepleurait comme le chéneau du toit.

Puissoudainle visage secelle disait :

-- Ah ! sima pauvre jambe ne me faisait pas tant souffrirje me sauveraisd'ici. J'irais gagner ma vie en lavant la vaisselle dans une grandemaison.

Ce qu'il ya de plus dur à regarder en facec'est le visage d'une mèrequ'on n'aime pas et qui fait pitié.

L'heuretriste où l'écrivain cherche un maître.

Lespaysansun peu de terre agitée.

Premiertour de boulevard. C'est lànon à la Gloriettequ'estle désert.

Est-cequ'un poëte a besoin d'observer la vie !

Comme unamant que sa maîtresse appelle son chienet qui lui dirait : «Ma chienne ! »

15octobre.

Elle aimemieux adopter un enfant que d'en avoir un : ça fait moins mal.

Leréserviste. Peu à peu je perdais piedet je ne voyaisplus au-dessus de ma tête tout ce ciel plein d'idées oùje vivais naguère.

Et votregrand'mère est bien toujours morten'est-ce pas ? Je ne metrompe pas ?

16octobre.

Un bonclassique ne va pas sans un peu de médiocrité.

Il n'avoueson âge que pour être mieux placé dans lesbanquets.

17octobre.

Barrèsfait de la politique comme Jules Favre a fait des vers.

Le plusgrand homme n'est qu'un enfant que la vie a trompé.

18octobre.

Poil deCarotte secret.

Jevoudrais être un grand écrivain pour le dire avec desmots si exacts qu'ils ne paraîtraient pas trop naturels.

Nous nousservions mal de nos bouches. Elle ignoraitcomme moil'usage de lalangue. Nous ne pouvions que nous donnersur les joues et sur lesfessesdes baisers insuffisants. Je lui chatouille le derrièreavec une paille. Puiselle m'a quitté. Je ne me souviens pasque son départ m'ait fait du chagrin. Sans doute était-cepour moi une délivrance ; déjàje n'aimais pasà vivre de réalités : je préféraisvivre de souvenirs.

Mme Lepicavait la manie de changer de chemise devant moi. Pour nouer lescordons sur sa gorge de femmeelle levait les bras et le cou. Ellese chauffait aussi à la cheminée en retroussant sa robeau-dessus des genoux. Il me fallait voir sa cuisse ; bâillantou la tête dans les mainselle se balançait sur sachaise. Ma mèredont je ne parle qu'avec terreurme mettaiten feu.

Et ce feuest resté dans mes veines. Le jouril dortmaisla nuitils'éveilleet j'ai des rêves effroyables. En présencede M. Lepic qui lit son journal et ne nous regarde même pasjeprends ma mère qui s'offre et je rentre dans ce sein d'oùje suis sorti. Ma tête disparaît dans sa bouche. C'estune jouissance infernale. Quel réveil douloureuxdemainetcomme toute la journée je serai triste ! Aussitôt aprèsnous redevenons ennemis. C'est maintenant moi le plus fort. De cesbras dont je l'enlaçais passionnémentje la jette àterrel'écrase ; je la piétineet je lui broie lafigure sur les carreaux de la cuisine.

Mon pèreinattentif continue de lire son journal.

Je jurequesi je savais que cette nuit encore je ferai ce rêveaulieu de me coucher et de m'endormir je m'enfuirais de ma maison. Jemarcherais jusqu'à l'auroreet je ne tomberais pas defatiguecar la peur me tiendrait debouttout suant et tout courant.

Leridicule au tragique : ma femme et mes enfants m'appellent Poil deCarotte.

19octobre.

Enescrimela mauvaise foi disparaît dès qu'on al'avantage.

Nem'a-t-on pas toujours dit que je devais me mettre dans la peau de mesbonshommeset ne m'est-il pas plus simple de rester dans la mienne ?

Le plaisirde se désenthousiasmer.

20octobre.

Un hommeactif comme s'il était plusieurs.

21octobre.

Heurestristes où il semble qu'on travaille dans un tunnel glacé.

Il nereste que du blé pur dans le vancomme la perle dans lacoquille.

-- Qu'ilte suffisedisait-il à sa femmequ'en réalitéje te sois fidèle ; mais permets-moi au moins les apparencesd'un mari qui trompe sa femme.

Quelquefoisil me semble que du doigt je touche la vie.

22octobre.

Commepréfacese mettre devant sa glacetirer son âme aujour et faire son portrait. Intituler ça Ma Psychéet en faire un livre à 4 francs pour Le Mercure de France.

Ma Psyché.-- Eh ! biennon ! Je n'aime pas ma femme. Je n'aime pas mesenfants. Je n'aime que moi. Il m'arrive de me demander : « Aleur mortqu'est-ce que j'éprouverai ? » Et jen'éprouve riendu moins rien par avancerienrien.

23octobre.

Maman ànotre départremet une caisse à Marinette. Il y a unpouletdu beurredes fruitset elle dit :

--Surtoutrenvoyez-moi bienla caisse ! Soignez-la bien !

Et ellefait l'éloge de sa caisse.

Elle saitbien que Marinette la lui renverraavec du cafédedansetde bonnes choses de Paris.

24octobre.

A chaqueinstant j'ai envie de m'enfuir à l'appel d'une autre femme quime ferait signeet que je rencontrerais dans un parcet qui liraitun livre sous de grands arbres.

Est-ce queje n'ai pas honte d'avoir cru jusqu'ici que le bonheur est dans lamédiocrité ? Et c'en est une de bourgeoisunemédiocrité de saint.

26octobre.

Ilfaudrait écrire en patois comme Rabelais ou Montaigne.

27octobre.

-- Monchef-d'oeuvredit-ilon ne le connaîtra que plus tard : c'estma correspondance.

Ma Psyché.Le travail. -- Quand je marcheje marche comme une montremais jem'arrête souvent.

En il meparlantil m'envoie un postillon énormepresque un crachatil ne l'essuie pas. Je ne l'essuierai pas non plus. Je me venge en nel'essuyant paset il faut qu'il continue de me parlerl'oeil attirépar son crachat qu'il ne peut éviter : il y a quelque choseentre nous.

28octobre.

Relie pardes rêves bien dirigés le travail du soir au travail dumatin.

Ilm'arrive d'avoir conscience que je deviens un melon d'orgueilunecitrouille de vanité.

Ma Psyché.-- Je sens que je deviens de plus en plus artiste et de moins enmoins intelligent. Certaines choses que je comprenaisje ne lescomprends plusetà chaque instantde nouvelles m'émeuvent.

1ernovembre.

Ma Psyché.-- Me traite-t-on assez d'observateur ! Et rien ne m'ennuie autantque d'observer. J'ai la timidité de voir. Chaque nouvellerelation m'effraie. On me dirait : « Allez à droiteetvous rencontrerez un beau type d'humanité »que je neme dérangerais pas de mon chemin. Je subis les « chosesvues »mais je ne les recherche pas.

2novembre.

Devieilles femmes qui sirotent leur conversation.

LesCloportes. Les récrire.

Lettre dePoil de Carotte à M. Lepic sur ce qu'il pense de la mort.

3novembre.

Des versdes verset pas une ligne de poésie.

ParfoisBaïe me parle avec une telle gravité que je lui répondscomme un domestique de grande maison.

Si l'ondonnait des ailes à l'homme pour voler dans l'infiniil ne sesentirait plus que des goûts de cul-de-jatte.

5novembre.

M. Robertde Flers me dit que Coppée a fini par écrire àErnest La Jeunesse une lettre plate comme l'eauoù il lui ditque sa vieille gloire finit par s'incliner devant sa jeune aurore.

Ah ! sil'on m'avait dit qu'un jour Remy de Gourmont ferait de moi unportrait symboliste !

6novembre.

-- Eh !bienpapadit Baïesi tu ne travailles pasnous ne gagneronsjamais le gros lot.

7novembre.

Nosadmirateurs. Il y a le critique de province qui nous découvreetsoudainest enthousiasmé. Il fait une premièreétude dans le journal de sa préfecture. On le remerciecomme il convient : « Ah ! si Paris comptait quelques critiquescomme vousla gloire serait moins tardive ! » etc.etc.Aussitôtil se met en tête de nous lancerde réparerl'injustice des hommes. Il vous demande : 1° votre photographie ;2° votre biographie ; 3° vos oeuvres complètes ; 4°quelque chose d'inédit. Le tout paraîtra dans une granderevue internationale qu'il connaît.

Et il esttrès étonné qu'on ne lui réponde pas.

9novembre.

Répétitionde Don César de Bazan à la Porte-Saint-Martin.

--Parbleudit Jean Coquelinnous le savons bienque cette piècen'est pas écriteet nous en pleurons tous des larmes de sang.

Il ritquand son père joue bien. Il lui donne des conseilset JeanVeber trouve cela très touchant.

Quelle vieque celle de Coquelin ! On veut qu'il aime son métier commes'il débutaitet il voit tout. Il dit : « Je suis leroi d'Espagnede toutes les Espagnes ! » etaussitôtaprès : « Qui est-ce qui m'a fichu une serrure pareille? Elle ne marche pas ! » Il a voulu deux serruresune pourchaque porteavec deux clefset les deux clefs son différenteset il s'embrouille. Il dit qu'il en a par-dessus plusieurs têteset il répéterait encore une fois toute la pièceavant d'aller se coucher.

Bernardnous présenteVeber et moi : deux inconnusqui ne méritentqu'un « Ah ! parfaitement ! » Jean Veber complimenteetc'est à moi que Coquelin répond. Il pique sur moi.

-- Nousnous n'avons rien à dire. Nous jouons la pièce tellequelle. Nous en tirons ce que nous pouvons. Vousvous n'êtespas gobeur mais le public gobe. D'ailleursnous avons échenilléle style de Dumanoir et de d'Ennery. Oh ! Je suis sûr de monpublic du dimanche.

Et lepublic peut être sûr de luicar ils sont dignes l'un del'autre : le rêve de Coquelin serait d'être un grandacteur populairemais il le réalisera difficilement. Sonpassage à la Comédie-Française l'a déjàtrop poli. Il s'est laissé couper ses branchesson panache.

--Tristanqu'est-ce que vous dites ?

C'estCoquelin qui entend causer Bernard et l'interpelle par-dessus larampe.

-- Commentse fait-ildit Tristanque le portrait du roi soit sur chaque piècede monnaie d'Espagneet que ni don Césarni la danseuse nel'aient jamais vu ?

-- Je neregarde jamais la monnaie que je mets dans ma pochedit Coquelin.

D'ailleursce détail importe peu. Il suffit de ne pas en parler.

Il mettrades bas jaunes. Ceux-là sont gris et ne disent rien.

Un vaguedescendant de Dumanoir est venu réclamer un service de pressea voulu assister à une répétition. Elle étaitpresque finie. Il est resté longtemps encoreattendant lasuiteet tout le monde se moquait de lui.

Un balletde répétition. L'étoileune Italienne qui a descuisses admirablesle dos plat. Elle est laidemais quelles jambes! Elle porte une petite médaille qui la protège.L'autre soirelle est tombée sur la scène.

-- Ah !dit-ellej'ai grondé ma médaille. Je lui ai fait unescène épouvantable.

Et desdanseuses qui ont des genouillèrespar crainte du froiddescorsages de villedes flanellesdes caleçonsdes culottesde bicyclistes. Un rang de petits bonshommes qui portent des vases :on dirait d'une sortie d'école professionnelle de poterie. Etle maître de ballet qui suit l'étoilegeste pour gestesouritse penchese haussearrondit les bras comme elle : ondirait de l'ombre de l'étoileune ombre grotesque et enredingote.

Bernard acorrigé certains passageset si bien que d'Ennery ne s'en estpas aperçu. Mon ami Tristan tutoie Jean. Il est làcomme chez lui.

Bockschoucroutesjusqu'à ce que les chaises montent sur les tableset fassent des obscénités superposéesdeux àdeuxdirait Huysmans.

Ces notesque je prends chaque jourc'est un avortement heureux des mauvaiseschoses que je pourrais écrire.

JeanLorrain dit de Lambert qu'il a une voix de « ronde »qu'il parle comme on écrit « aronde ».

Baïedemande :

-- Est-ceque le ciel est plus haut que le plafond ?

Ellen'aime pas à voir les scènes nautiques. Elle dit :

-- Maisils vont se noyer !

-- Ilssavent nager.

--Pourquoi qu'ils tombent dans l'eau ?

-- Ils lefont exprès pour amuser les petits enfants.

-- Cen'est pas drôledit-ellede voir du monde qui tombe àl'eau.

Si tousmes admirateurs achetaient mes livresj'en aurais moins.


10novembre.

Nosancêtres aimaient la campagne : ils s'y promenaient et ne laregardaient pas.

Par lafenêtre il jette l'argent à un ami sûrqui le luirend.

11novembre.

J'écrisd'abord une lettre d'éloges à l'auteur qui m'envoie sonlivrepuis je lis son livreet je tâche de justifier malettre.

-- Il medoit encore quinze francs.

-- Voussavez qu'il est mort ?

-- Oh !alorsje lui en fais cadeau.

12novembre.

AL'OEuvre. Peer Gynt. -- Naudésoléequi veutse suicider. Ne faites pas ça ici ! Attendez que je n'y soisplus. Bon ou médiocreça existe tout de mêmel'esprit français. Qui de nous aurait le courage d'écrirele pouvantles pièces d'Ibsen ?

La musique: quand on joue assez fort ou assez doucementle public applaudit.Ce qu'il doit y avoir d'imbécilesen musique !

Lemonsieur furieux parce qu'on applaudit : « Oh ! nonalors !Qu'est-ce que vous applaudissez ? »

Nousaussiil nous vient parfois l'idée d'écrire notreFaustmais nous nous retenons. Un homme du Nord ne se retient paset il fait d'un bourgeois un prisonnier ivre de liberté.

Ernest LaJeunesse se dresse pour qu'on apprenne à le voir. Il sent quequelqu'underrière luile dessineet il ne bouge presquepas : il fait son meilleur profil. Et moi aussije crois qu'on meregarde. Et les maîtresses de nos grands critiqueset toutesles femmes de toutes les loges croient aussi qu'on les regarde.Pauvres gens ! Si la gloire était commune et répanduecomme l'airil n'y en aurait pas assez pour tout le monde.

L'espritfrançais aime les grandes chosesmais il veut voir oùça le mène. Il met au point les chefs-d'oeuvre.

Oh ! quele génie me donne un coupdût-il me casser la tête.

C'est auprix de toutes mes angoisses que je donne aux autres l'impressiond'une sécurité parfaite.

14novembre.

Il ne peutpas vous dire : « Votre conte aujourd'hui est très bien»sans avoir l'air d'insinuer : « Il est bougrementmieux que celui d'hier ! »

Théâtre.Le cimetière des fauteuils d'orchestre sous la housse. Il nemanque que des têtes.

15novembre.

DînerCapus.

-- Mendèsfait ses articles au cafédit Capus. Il est heureuxd'entendre une petite grue répéter : « Maîtrerelisez-nous cette phrase. »

Ons'accorde à dédaigner tout ce que Mendès aécritexcepté ses chroniques dramatiques. Nous sommestous heureux qu'il les publie en volumebien que personne de nousn'ait l'intention de les relire.

-- Commentvoulez-vousdis-je à Gandillotque j'aie la modestie decroire que mes Histoires naturelles exigent moins d'effortdevolontéd'applicationque vos vaudevilles ? J'accorde qu'ilsoit difficile à un homme de talent de faire un vaudeville quirapporte cent mille francscomme il est difficile à unhonnête homme de faire une saleté lucrative.

Discussionsur la littérature. Veber et Gandillot vantent Dickens. Jecrie à tue-tête que tous les étrangersm'assommentqu'il peut y avoir de bonnes choses çà etlàmais qu'il n'y en a de parfaites que chez nouset que jen'aime que la littérature française. Capus est de monavis.

-- Celuidit Descavesquitoutes proportions gardéesa su tirer leplus d'argent de sa copiec'est Léon Cladel.

Et Capus :

-- Le plusterrible en affairesce n'est pascomme on croitMarcel Prévost: c'est Porto-Riche. Allais est populaire et n'a aucune réputation.Il a pris la succession d'Armand Silvestre.

-- Le pluspopulairedit Gandillotc'est Serginesun nom sous lequel onreproduitaux Annalestoutes les fantaisies du journalisme.Dans les provinces les plus reculées on vous vantera M.Sergines.

16novembre.

Verlaine.Lu ses lettres publiées par La Revue blanchen°83. Son style : une désagrégationune chute defeuilles d'un arbre qui se pourrit.

Un savantc'est un homme qui est à peu près certain.

17novembre.

Il m'estarrivé quelquefois de danser dans la viemais tout seul.

A ErnestLa Jeunesse : « En sommetous ceux que vous avez abîméssont devenus vos meilleurs amiset c'est une honte que deslittérateurs que vous avez traînés dans la bouevous tendent ensuite la maincomme s'ils voulaient s'essuyer. »

L'auteurgai. J'ai bien travailléet je suis content de mon travail.Je pose ma plume parce que la nuit tombe. Rêve dans lecrépuscule. Ma femme et mes enfants sont dans la chambrevoisinepleins de vie. J'ai la santéle succèsassezd'argentpas trop.

Mon Dieuque je suis donc malheureux !

18novembre.

Schwobqu'on me disait mourantne me semble que très fatiguépar le régime qu'il suit. Néanmoinsle squelette duJuif apparaît. Son médecin a promis de le guérir.

Pendantqu'il se lèveje regarde les petites choses bizarres qu'ilaime à voir sur sa tablesur sa cheminée. Un petitmeuble haut comme le pouceavec sa glaceune petite bougie depoupée. Il a dû l'allumer hier soir. Il a peut-êtreécrit un petit conte à sa petite clarté. Unportrait de Jean Lorrain avec ses yeux enflés et dont lespaupières ressemblent à des capotes de diligenceslâcheset qui retombent toujours. Un petit chien japonaisoffert par Montesquiou : il n'y en a que trois comme lui en France.

Ce n'estpas tout à fait une vieille femme : c'est plutôt unefemme mûrequi a trop de graisse et qui n'a plus de sein. Peuà peu il s'anime. Il se réjouit parce qu'on lui a ditqu'Ernest La Jeunesse a sur le corpsau lieu de poilsde petitestouffes de laine serréecomme un homme préhistoriqueparce que Pierre Louÿs n'est déjà plus au Journalet que La Jeunesse y fait mince figure. Moije dis :

-- Ilsuffit de lire une page de Schwob après une page de Louÿspour voir ce que c'est que l'érudition en toc.

Il seréjouit parce que Byvanck rageet il me dit sur la porte :

-- Vousêtes bien gentil.

-- Je vousaime bienlui dis-je.

Ilressemble à un parent d'Ubu Roi. De petites gravures colléesau mur avec d'énormes punaises. Une cheminée oùl'on ne brûle que du papier. Des fauteuils dont les coussins nesont jamais là. Une couverturequi semble être unéchantillonpour ses jambes.

Lesphonographes à la voix de grand'mère.

C'estdouloureuxd'écrire un livre : c'est s'en délivrer.

Bosdeveix.Quand on le menace de la misèreil répond :

-- Unsomnambule m'a prédit que je ne mourrais qu'à 54 ans.Pour vivreil faut de l'argent. J'aurais donc toujours de l'argent.

20novembre.

HenriHeine. Ouiouiil y a un mot drôle de temps en temps.

Moichanger quelque chose au style de La Fontainede La Bruyèrede Molière ? Pas si bête !

Meyer :J'ai mal au genou.

Capus : Unpeu de migraine.

L'Amourfumant une cigarettecoiffé d'une capote et buvant un verrede subliméouencoreprêt à prendre son bock.

21novembre.

Quand vousparlez de moilaissez donc La Fontaine tranquilleet lesproportions seront bien gardées.

Quellangage de portefaix ! Il doit avoir la langue toute verte.

22novembre.

Une belleintelligenceavec une arrière-boutique.

23novembre.

A lacampagneMme Rostand laisse ses enfants jouer avec les enfants duvillage. Parmi eux se trouve une petite fille qui s'appelle BoucheSèchequi n'a pas de chemiseune vraie petite fille d'air etde terre qui appelle Maurice « mon prince ». Maurice ditun gros mot : cochon.

-- Oh !dit Bouche Sèchec'est vilaince que vous dites-là.Et vous allez tout de suite me demander pardonprinceet fairecomme ça.

Elle faitune génuflexion. Mauriceinterloquél'imite et luidit :

-- C'estta maman qui te défend d'écouter des gros mots ?

-- Ouidit-elle. Je n'en laisse jamais passer unetcomme le petit ducharbonnier en avait dit unl'autre jouret qu'il ne voulait pasdemander pardonje lui ai foutu une gifle.

MmeRostandayant besoin d'un valet de chambreavaitparl'intermédiaire des petites annonces du Figarodonnérendez-vous à une quinzaine de domestiquesrue Fortuny. Ilsétaient tous exactsrangésdans le salon vide. L'und'eux lui dit :

-- Madameje ne suis venu que parce que madame a une écriture chic.

Il tireune poignée de lettres de sa poche et dit :

-- Vousvoyez ! Il y a des lettres que je n'ouvre même pas. Regardezmadame. Çace n'est pas des écritures.

Un autre aquitté la duchesse d'Uzès parce qu'il aime mieux êtrepremier dans une petite maison que second chez une duchesse. Un autrea quitté des gens chics parce qu'on y mettait mal le couvert.

-- Ouimadame. Etsi madame le désireun soir qu'elle sera seule etn'aura rien à faireje lui montrerairien que pour l'amuseret la faire rirecomment on mettait le couvert dans cette maison quej'ai été obligé de quitter.

Les autresétaient mariés et demandaient : le plus vieuxun soirde liberté par moisun autreune soirée tous lesquinze joursun autreune soirée par semaineet ainsi desuite par rang d'âgejusqu'au dernierqui était leplus jeune et qui voulait sa soirée tous les jours.

-- J'aimebiendit Rostandle dernier roman de Léon DaudetSuzanne.Je trouve ça congestionné.

-- Ouioui ! Je comprends bien ce qu'il veut dire.

-- Vousavez de la chance !

Fantec etBaïe répètent Noël. D'abordje ne dirairien. Et puisje dirai : « Bonjourmaman ! Tu vas bienmaman? » Et puisje sauterai à bas du lit et j'irai voirdans la cheminée.

-- C'estidiot de pleurer des gens que tu détestais ou que tu n'avaispas vus depuis dix ans !

-- Oh !c'est moimortque je pleure.

Ce n'estpas à l'honnête homme que je m'adresse : c'est au filou.

24novembre.

Il fautaussi se plaindre de son sort pour faire valoir celui des autres.

Compétitionsjalousies féroces. Il réclame à Sarahréclameà Bauër.

-- On memet de côtédit-ilparce que je ne suis pas unintrigant. Je vais droit dans la vie. Je suis une hache.

-- Pardon! dit Bauër. Vous êtes décoré. Vous dînezchez les ministres. Vous vous êtes fait donner une bonne etgrasse place au Trocadéro. Vous êtes une hache du côtédu manche

Et il vatravailler de Heredialui dire qu'il n'aura pas le temps de faireson sonnetet de Heredia le croit et renonce à faire sonsonnet

Et c'estMontesquiou qui voudrait bien aussi !

Et c'estTheuriet qui offre son « tout petit brin d'herbe » !

PaulMounet a mis un pantalon des plus collants et des plus indécents.

-- Est-ceque ça se voit ? dit-il.

-- Pastrop.

-- Maisassezau moins ?

AlfredJarry aurait écrit Ubu Roi à treize anscommetout le monde.

27novembre.

Je ne vispasmais je vis encore trop. Il faudrait toujours assister àsa propre viecomme du milieu d'un rêve. Tout deviendraitamusant.

28novembre.

On ne peutmême pas se plagier soi-même.

Bienmoderne. Il fait de l'esprit à l'électricité.

Ayantrencontré un fou qui pensait comme moije dis :

-- Vous levoyez ! Je ne suis donc pas fou.

Je quittaiMme Sarah Bernhardt dans un état d'esprit où l'onécrirait bien un beau poème épiquesi l'on enavait le temps.

Gagnerbeaucoup d'argent et vivre pauvre.

1erdécembre.

Ah ! c'estdésolant : je ne peux plus mal écrire.

Il nes'agit pas de faire du neuf. Il s'agit d'écrire une petitebrochure de cinq à six pages pour préveniren criantet insultantqu'on va faire du neuf.

Je ne peuxplus faire de critique. Je froisserais à chaque instant desauteurs qui m'admirent à mon insu.

Un hommede lettresc'est un homme qui a passé son baccalauréatès-lettres. Et encore !...

2décembre.

-- Oh !moiquand j'étais soldatj'ai tué un adjudantetjamais personne ne s'en est aperçu.

L'acted'amour est aussi une délivranceAprèson est tout demême un peu moins bête.

3décembre.

Jules Bois: à désocculter.

5décembre.

LéonBailby me dit :

-- J'aiperdu ma mère que j'aimais comme une maîtresse. Quandelle est mortej'ai pensé que ma vie était finie avecla sienne. Etpourtantj'ai eu assez d'intelligence livresque pourme sentir cabotin dans ma douleur. Oui ! Il y a du cabotinage dansles pires douleurs. C'est toujours ainsila vie : j'ai éténommé directeur de La Presse et de La Patrie laveille de la mort de ma mèreau moment où j'allaispouvoir lui éviter de prendre des omnibus.

7décembre.

D'Esparbèsva être décoré au mois de janvieret il aura unebibliothèque. Il travaille maintenant en pleine naturedansune espèce de bâtisse qui ressemble à un caveaufunéraireau milieu de colonnes brisées.

Il a lesyeux éclatantset il s'élance parmi les fiacressurle pavé grascomme porté par le dieu Funn. Il reçoitdes lettres de femmesmais ne va pas aux rendez-vous. Ellesattendent un tambour-major : elles verraient arriver un petit banc.Il veut garder son prestige.

Il y avaitdevant moi une dame avec un chapeau énormemaisparcompensationle monsieur qui était à côtéd'elle avait enlevé jusqu'à ses cheveux.

8décembre.

Bucoliques.Le nid de pie tout en haut de l'arbre. Une tête de nègreà l'arbre qui n'a pas encore ses feuilles.

Si j'étaisdécoréil m'arriverait moins d'aventures ridicules :je ne veux pas être décoré.

Si tu asplusieurs cordes à ton arcelles s'embrouillerontet tu nepourras plus viser.

Baïereste sage pour avoir du grillé de porc frais.

Elle plaçason pot de réséda près d'un pied de résédadu jardin pour lui montrer comment on pousse.

Ne pouvantlire que des choses parfaitesje ne lis plus.

A cettefemme qui s'inquiète de ce que deviendra son petit héritageaprès sa mortil ne manque que la bonté.

La vachesoufflaprit délicatement entre ses cornes le petit enfantqui se trouvait sur son cheminet l'envoya dinguer en l'air.

Poulessous la pluie. Leur étroit petit manteau noir ou gris toutcolléplaqué sur les eaux.

Le chatassisla queue ramenée en crochet sur ses pattes.

Larivière. Relié par un fil à la vie des poissonsqu'on ne voit pas.

Tempsmaussade et pluvieux où l'on n'est bien qu'à lacuisine. Le bois qui brûle par le milieu et écume parles deux bouts. Les solives écailleusesla porte dont un coinest rongé par les souris. La poêle pendue comme unbalancier immobileles torchons sales mais pas secsla cocotte quia une patte de trople réveille-matin qui bat comme un coeursuffoquéla louche creuse et polie comme une calotted'évêque. Des clous au mur qui sont tous commodesunetable aux jambes nues. La pincette toute en jambesla pelle qui vitsur la tête. Le panier à salade enflé comme unecrinolinele balai comme une barbe rissolée d'homme roux. Laterrine rose comme une tête de veau. Le savon en pierre detaille.

10décembre.

La journéeSarah Bernhardt.

Quand elledescend l'escalier en escargot de l'hôtelil semble qu'ellereste immobile et que l'escalier tourne autour d'elle.

A tablec'est hallucinant. Chaque fois que je veux m'asseoirje trouveàcette placeune carte au nom de Bergerat.

A côtéde Georges Hugo qui a fait couper sa barbe et sans doute l'a passéeà Léon Daudetque j'aperçois tout barbuBauërsueet s'essuie comme une table. J'imagine qu'il va demander augarçon une éponge de voiture. Magnifique comme unsoleil de confiserieil déborde sur la pâle Sarah. Deson regardelle soulève un monde. C'est une image qui faitdes gestes et qui a des yeux vivants. Sardou l'embrassequiressemble à un Coppée de coulisses.

-- J'aiécrit votre nom hierme dit Haraucourt.

-- C'estgentilça.

-- Sur unelettre de faire-part de mon mariage.

Je ne saispas mettre une mantille à une femme. Je mets à l'enverscelle de Mme Rostandet je ne lui donne pas bien la corne. Je luidis :

-- Ilfaudra quemoi aussiun jour que nous serons seuls dans un petitcoinje vous baise la main pour voir ce que ça fait.

-- C'estun peu au-dessus du poignetdit-elleque ça commence àavoir du goût.

Sarah selève. Même jeu adorable dans l'escalier. En hautJulesChancel qui l'attend et lui saisit la main au passage.

A laRenaissance. Elle a voulu être trop bien. Elle joue Phèdrecomme une scène d'Amantsmais elle joue admirablementl'ignoble chose de ParodiSarahun extraordinaire «accroche-coeurs »si l'on peut dire. Elle n'a peut-êtrepas de talentmaisaprès sa journée qui est la nôtreà tousoù nous nous aimonsoù nous nousadoronson se sent renouvelé et grandi ; et cet étatde surexcitation est un bienfaitet sile lendemainon n'a pas detalenton n'est qu'un crétin.

A deuxfauteuils de moiJules Jaluzot applaudit les vers de Rostandde seslarges mains commerciales. A part çail dort.

LaJeunesse est commissaire. Il sera tout à l'heure sur la scène.Avec son chapeau à claqueson dos voûtésamaigreursa petite figure simiesqueil personnifie les petitsvieuxau point que sur son passage tout le monde crie : « Quoi! c'est ça La Jeunesse ? » et qu'il en rougit.

Succèsinouï pour Rostandqui dit avec un aplomb parfaitgrâceaux yeux de Sarah Bernhardt. Succès comme si son sonnet étaiten cinq acteset les applaudissements pour Rostand se confondentavec ceux qui vont à Sarah. C'est quelque chose qui n'en finitpaset qui est inoubliable. Et elle est bien la seule qui supportele trôneet nous sommes tous ses fidèles sujetsprosternés.

Dans laloge de sa mère Maurice pleure. Je dis à SarahBernhardt :

-- Jamaisje n'ai autant regretté de n'être pas un grand poëte.

-- Maisvous en êtes un !

-- Non !Non ! Je ne fais que de toutes petites chosesmais je sais voir etadmirer les plus grandeset je suisen ce momentbien heureux.

-- Vous metrouvez bêten'est-ce pas ?

-- Je voustrouve admirable.

-- Je veuxêtre bête aujourd'hui. Voulez-vous m'embrasser ?

Je croisbien que je me le suis fait répéter. Elle m'embrassefranchement sur les deux joues. Je l'embrasse un petit peudu coinde la bouchen'osant pas appuyer. Et je dis aux Rostandàd'autres :

-- C'estmoiqui suis content ! Sarah Bernhardt m'a embrassé ! J'aiembrassé Sarah Bernhardt.

EtMauricequi pleure toujoursdit :

-- On neconnaît pas ma mère. C'est une bonneune brave femme.

Jeretourne vers elle et je lui dis :

-- Tenezmadamevoulez-vous que je vous dise ? Eh ! bienvous êtes unebrave femme.

Elle n'apeut-être pas entendu le motmais Rostand :

-- C'estbien ce qu'il fallait lui dire.

Et nousvoilà attendristout fondantsjusqu'au soir.

UbuRoi. La journée d'enthousiasme finit dans le grotesque.Dès le milieu du premier acte on sent que ça va devenirsinistre. Au cri de « Merdre »quelqu'un répond :« Mangre ! » Et tout sombre. Si Jarry n'écrit pasdemain qu'il s'est moqué de nousil ne s'en relèverapas. Bauër s'est trompé gros comme lui. Et nous noussommes tous trompéscarsi je savais qu'à la lectureUbu Roi résistait mal jusqu'au boutje ne prévoyaispas cet effondrement. PourtantVallette dit : « C'est drôle»et l'on entend Rachilde crier : « Assez ! » àceux qui sifflent.

Je dis àMme Rostand :

-- C'estle talent du mari qui oblige une femme à rester honnête.Pour moije sens que jamais je n'oserais faire du chagrin àun homme qui a du génie.

Schwob meprésente à Montesquiouqui a une figure vieillie etdit : « Très flatté »du bout d'un becd'oiseau de proie qui ne se nourrirait que de vanités.

Ouiouifinissons-en : Sarahc'est le Génie.

Elle meremet droitcomme la foudre.

Imaginezle plus bête des hommes. Il n'a pas de talent. Il le sait et serésignemaisparfoisil se dresse avec un éclairdans les yeux et se dit : « Ah ! si Sarah voulait direseulement une ligne de moi ! Demain ! je serais célèbre.Sarah c'est le génie. »

Imaginezle plus laid des hommes. Nulle ne l'aimera. Il le saitet serésignemaisparfoisil songe : « Ah ! si je pouvaisvivre un peu près de Sarahdans un petit coin ! Je mecroirais le plus aimé des hommes. Je ne demanderais rien auxautres femmes. Les autresc'est très gentiltrèsjolimaisSarahc'est le génie. »

Dans lafoule qui vous attend à la porteil y a des riches qui nevalent que parce qu'ils vous admirentet il y a des misérablesqui se haussent comme des grands de la terre parce qu'ils vont voirpasser Sarah. Et il y a peut-être un criminelun hommeabandonné de tous qui s'abandonne lui-mêmeet qu'on vasaisir dès que vous aurez passé. Mais il se dit : «Ça m'est égalmaintenantde mourir. J'ai vu Sarahavant de mourir. O Sarahvous êtes le génie ! »

Etchaquesoiril y a un heureux qui voit Sarah pour la première fois.

11décembre.

Je me sensplein de génieet il n'est pas possible que je n'écrivejamais quelque belle page.

12décembre.

AndréTheurietun poëte vraiment médiocrequi s'est beaucouppromené dans la Naturemais avec un mouchoir sur les yeux.

Queltableau pour un peintre ! Un cimetière de vaisseaux noyésau fond de la mer.

13décembre.

Je ne peuxplus relire mes livresparce que je sens que j'en ôteraisencore.

L'arbreouvre ses branches. Il a des ailes du haut en bas.

L'oiseaupasse d'un bâton à l'autrecomme un balancier.

A ceux quime disent : « Faites du roman »je réponds que jene fais pas de roman. Ce que je produisje vous l'offre dans meslivres. C'est à peu près la récolte d'une année.Dites si elle est bonne ou mauvaisemais ne dites pas que vousauriez préféré autre chose.

Nousn'avions pas les mêmes penséesmais nous avions despensées de même couleur.

Un malinDieuqui nous a ouvert l'espace sans nous donner des ailes.

Jusqu'icije n'ai été qu'une taupe.

Nousparlons de nos pèresqui se ressemblentde cette sorte depudeur qui nous sépare d'eux.

-- J'aigardé l'habitude d'embrasser mon père matin et soirdit Bernard. Ce n'est qu'une habitudeet mes amis peuvent y voir ladémonstration d'une tendresse qui n'est ni dans ma naturenidans celle de mon père.

-- Moidis-jeje vois le mien à peu près une fois par an.Quand je le revoisje ne l'embrasse pasje ne lui donne qu'unepoignée de main. Nous resterons ensemble quelques jours. Jel'aurai pour ainsi dire sous la main ; il est donc inutile que jefasse des frais de tendresse qui nous gêneraientmaisquandnous nous quittonsje l'embrasse : je ne le reverrai peut-êtrepas. Plus tardil me serait désagréable de me rappelerque je pouvais l'embrasser encore une fois avant sa mortet que jene l'ai pas fait.

Autrefoisnous le faisionslui et moi. Il y eut un temps oùpar espritd'homme fortje m'en abstinsà l'arrivée comme audépart. Si mon attitude l'a étonnéil ne s'estpas trahi. Plus tardj'ai recommencémais seulement audépart ; pour luiil en avait bien perdu l'habitude. Il ne merendra jamais mon baiser. Il lui faudrait une grosse émotionque je ne prévois pas. Quand c'est l'heure de nous quitterily a déjà longtemps qu'il se taitet que je ne disrien. Tout à coup : « Allons ! » dit-il. Et il metend la main. Je m'approche de lui. Il a toujours un légermouvement de recul ; viteil comprend : « Eh ! ouise dit-ilsans douteil veut m'embrasser. » Etcomme je l'attire àmoiil ne résiste pas. Quel singulier baiserappuyéet pourtant froidinutile et nécessaire ! Baiser de lèvresabsentes sur une joue qui n'a aucune saveurni celle de la chairnicelle du bois. Il ne sent rien à sa jouemoirien àmes lèvres. Le frisson reste au coeur.

Nos pèresne se jettent pas à notre cou. Ils ne nous étouffentpas dans leurs bras. Ils tiennent à nous par d'invisiblesattachespar de souterraines racines. On les aime bienetaprèsleur morton les aimera bien. On pensera souvent à eux. On nese lassera pas d'en parler.

-- Unpèredit Bernardc'est solide et sûr. Chez lameilleure mèreil y a de l'hypocrisiede la ruse et de laméchanceténon pour son filsmais pour les êtresdevenus chers à son fils. Il ne nous arrived'ailleursdevivre en camaradesmon père et moique quand le reste de mafamille n'est pas là. Alorscette confiance passagèrede lui à moiest quelque chose de très doux. Quandj'ai écrit quelque chose de bienil ne me le dit pas. Il leditquand je ne suis pas làà des amisà desparentsà ma mèrequi me le rapporte.

-- Ouidis-jenos pères sont très intelligents. Moij'admirele mienmais il est évident qu'il souffre parce que je nem'intéresse pas aux choses qu'il aime. Nous vivons en ennemisqui ne se font jamais de malqui ne luttent que pour de toutespetites causeset quis'il le fallaitse jetteraient au feu l'unpour l'autre. Sur ma tableà la Gloriette il a vu longtempsles Histoires naturelles et La Maîtresse. Il neme les a pas demandés ; je ne les lui ai pas offerts. Iln'avait qu'à les prendre : il ne les a pas pris. Longtempsaprès il écrit à ma femme : « Si j'étaisà Parisj'achèterais peut-être les deux dernierslivres de Jules. » Je les lui envoie ; il ne m'en accuse mêmepas réception. Bien plus tard il écrit encore àma femme : « Je voulais vous faire quelques observations surles livres de Jules ; maisaprès réflexionsje trouveque c'est inutile. »

--J'avouedit Tristanque je ne lis plus Paul Adamet que c'estdevenu une fatigue pour moi de lire Schwob.

Revue detous ceux que nous lisons toujoursquelquefois ou jamaisdescontemporainsou de toutes les littératures.

-- Masoeurdis-jeaurait voulu être mon Eugénie de Guérinmais je n'étais pas Maurice de Guérin. De làunmalentendu qui dure toujours.

Tristanlit très peu d'HervieuCoppéeles Lettres del'ouvreuse a cause des noms citésAurialjamais lesMargueritteni Theuriet ni Paul ArèneShakespearequotidiennement. Il aime RabelaisMarivauxMolièreJean-Jacques Rousseau : la première partie des Confessions.

Les pattesdes oiseaux font sur la neige de petites branches de lilas.

16décembre.

Mamoralité m'est nécessaire comme mon squelette.

Sur unsigne de Sarah Bernhardt je la suivrais au bout du mondeavec mafemme.

Rousseauje le lisais en sommeillantet je veux supprimer chez moi ce qui delui me faisait sommeiller.

17décembre.

Un matinsi gris que les oiseaux se recouchaient

Ledirecteur du Rire tenant à Léandre un discourssubtil pour lui prouver quesi désormais on lui prend moinsde dessinspar compensation on les lui paiera moins cher.

19décembre.

A seizeans il nous faut un gros quartier de maîtresse.

Dessommeils épais qui sont comme des échantillons de mort.

22décembre.

Cetteforme de dialogue intermittent que je croyais avoir inventéepour L'Écornifleurvoilà que je la retrouvedans les livres de la comtesse de Ségur.

24décembre.

DînerVeber.

-- Mafemmeraconte Capusme dit : « J'ai rêvé demortcette nuitet je n'aime pas ça. » Je me moqueetpar hasardlui demande où elle va aujourd'hui. Elle merépond qu'elle va faire une course rueNotre-Dame-des-Victoires. Je pars. Au Gaulois je vois arriverun garçon qui me dit : « Je viens de voir écraserune femme rue Notre-Dame-des-Victoires. » Je crois que c'estelle. Je cours chez le commissaire de policequi m'envoie àl'hôpitald'où l'on me renvoie à un autrehôpital. J'ai enfin l'idée de rentrer chez moiet jetrouve ma femmeà qui je fais une scène.

Gandillotest collé avec une vieille habitude qui ne veut pas le lâcher.Comme il venait de ramasser d'un coup 70 000 francs dans les diversthéâtres où il est jouéelled'un coupaussielle en dépense 30 000. Et voilà.

-- Ce quime détourne de Coppéedit Bernardc'est qu'il prêchecomme devoirs des instincts : par exemplel'amour d'une mèrepour son enfant.

25décembre.

Il fautgémirmais en cadence.

Il ne peutplus y avoir de Jean-Jacques Rousseau. Dès qu'on a du talenton est connudonc désarmé.

27décembre.

Si tu asperdu ta journéedis-le bienet elle ne sera pas perdue.

28décembre.

Ouicelamanque à ma vie d'honnête solitaire. De temps en tempsj'ai besoin d'un petit flirt. Hierla jolie madame... me dit :

--Êtes-vous pressé ? Non ? Alorsmarchons un peu.

Avecvivacité elle me parle de choses indifférentespuis :

-- Je vaisprendre des renseignements sur une femme de chambre. Venez-vous avecmoi ?

- Je veuxbien.

-- Vousêtes sûr que cela ne peut pas faire de peine àvotre femme ?

-- Maisnon ! Mais non !

-- Moidit-elleje suis sûre que cela ne fait rien à mon mari.Ça lui est égal.

J'arrêteun fiacre.

-- Je suiscontente que vous veniez avec moiparce que ma nouvelle femme dechambre m'a dit que sa maîtresse est un peu folle ; et j'aitoujours peur des folles.

-- Mais jevous attendrai en bas ?

--Naturellement !

Le fiacreroule. Elle est un peu amuséemoiun peu inquietparcrainte du ridicule. Nous parlons d'autres femmes. Je lui demande siMme L...de ses amiesest une honnête femme. Elle me répond:

-- Je saisque les apparences sont contre ellemais à tort. D'ailleurselle craint son mariqui ferait un mauvais coup.

-- Je lecroyais plus débonnaire.

--Détrompez-vous. C'est un homme terriblemais il n'y a aucundanger. Entre nousje la crois peu portée là-dessus.

-- Elle al'air d'un homme. Elle préfère peut-être lesfemmes ?

-- Oh ! nedites pas de ces vilaines choses.

Le fiacres'arrête.

-- Montezavec moidit-elle. Ce sera drôle.

-- Vousavez décidément peur de la folle ?

-- Non.

-- Alorsje monte. Elle me prendra pour votre mari.

Unevieille dame nous reçoit dans son appartementtrèsriche. Pas folle du tout. Elle a une voix de petit enfant. Tout desuite elle dit :

-- C'estune personne très dansereuse à introduire dansune maison.

Elle sevenge de sa bonnequi recerce les hommesest entretenuecequi lui permet de ne pas demander de gros gagesn'est pas jolieseteinta un râtelierlui a volé un peignoir. Et lavieille baronnequi s'animeconfie à une étrangèrece qu'elle ne dirait pas à un amiet regarde froidement demon côté. Qui est-ce que ce monsieur qui a un chapeaumelonun parapluie mal rouléson pantalon retrousséet qui n'a pas de gants ?

Je sourisun peu embêté. Si elle m'interrogejamais je n'oseraisdire que je suis le mari de Mme... Las d'entendre : « C'est unepersonne très dansereuse »nous quittons la baronne.

-- Dieu !Que c'était drôle ! dit Mme... Un jourj'ai fait unecourse pareille avec mon beau-frèreque je faisais passerpour mon mariet il nous fallait nous tutoyeret je me trompaisetc'était très drôletrès drôle.

-- J'aivudit Baïeun pauvre petit moineau que j'ai invité àdîner.

-- Je medéshabille.

-- C'estce que tu as de mieux à défaire.

-- Si unloup voulait m'emporterdit Baïeje lui flanquerais un pot defleurs sur la tête.

Un coeuren cervelle.

Les gensqui se disent blasés n'ont jamais rien éprouvé :la sensibilité ne s'use pas.

Le paradisn'est pas sur la terremais il y en a des morceaux. Il y a sur laterre un paradis brisé.

Enlittérature comme au billardfaire la série.

Pourfaciliter la besogne du lecteurj'en arriverai à soulignerdans chacune de mes phrasesles mots qui doivent porter.

30décembre.

Un peuplus d'activitéet je ne ferais rien du tout.

Fanteccroit encore à Noëlmaissi Noël ne lui apportaitpas de joujouxil s'en prendrait à sa maman.

L'amitiéun oiseau d'amour qui a la queue coupée.

Il y adéjà en automne de petits hivers doux et tristes.

L'annonciationde l'hiver. Toutes ces feuilles quechaque soirramasse le râteau.Et il faut recommencer le lendemaindit le jardinier de mauvaisehumeur. Le coq du clocher regarde obstinément au nord. Il faittrop mauvais pour arracher les pommes de terre.

Un pêcheurjette son épervier et ne prend rien. A chaque coupon devinequ'il ne ramènera rien. Il fait trop de vent pour que lespoissons se promènent dehorsdans les champs.

Des archesdu pont tremblent. Elles vont céder. Déjà«en 66 »une inondation les a emportées. On a oubliéde lever les pelles du moulin. Les maladroits s'y efforcent. Touteune forêt nage sur l'eau.

Les pieuxne luttent plus. Leur tête a disparu. On ne vendangera pascette année. Des treillesdes grains de raisin sont tombéscomme des gouttes de pluie figées.

Toutecette bouec'est poignant. Partons ! Les cheminées fument.Des gamins construisent des cabanes.

Déjàcette sonorité des portes qui fait mal au coeur.

Desvillages apparaissent tous nusque suffisaient à cacherquelques feuilles. Une feuille qui tombe découvre l'horizon.

Les deuxtruies. Celle qui était dessuss'efforçait de faire leverrat ; mais celle qui était dessousne sentant rien desérieuxcontinuait de fouiller la terre et avançaitsans hâtepar le pré.

-- Vouslui avez cassé votre canne sur la figure.

-- Quellebonne blague ! Il y avait une tringle de fer dans ma canne.

Philippe.L'ombre de ses oreilles écartées empêche la barbede pousser sur ses joues.

Il a faittoute la campagne de 70 comme fournisseur de l'armée.

Il auraitvécu cent anscomme tous ceux qui meurent à vingt.

Tombési malheureusement que la roue de la Fortune lui passa sur le corps.

Mes 28jours. Le fils d'Octave Feuillet me dit : « Que faites-vousdonc de votre métiersergent Renardpour calligraphier ainsi? » Le ton était peu pressant. J'éprouvai quelquejouissance à ne pas répondre. J'aurais pu dire cettebanalité : « Je fais le métier de monsieur votrepèreavec moins de talent. »

Oh !madamemon ambition n'a pas de bornes. Pour arriverje vouspasserais sur le ventre.

Il a brûléses manuscritsmais on adore ce qu'on a brûlé.

Lespeintres peuvent toujours dire que leur tableau est mal éclairé.

Automne.Et je vous jure quesi c'est un jour d'automnesi c'est l'heure oùla nuit tombe avec sa brusquerie oppressanteil ne manque rien ànotre tristesse.

Encore unqui a son grand ressort cassé !

Et encorerien qu'à manger trop de soupePapon trouve moyen de se fairemal au ventre.

Il fitdeux vers à côté l'un de l'autre.

Et nousrêvons tous deux. Moije rêve troublemais elle rêveune jaquette d'astrakan.

Il n'y apas une goutte de pluie qui ne soit tombée aujourd'hui.

Elle suitla mode comme si elle en était l'ombre.

Je suisnaturaliste parce que j'aime la nature ; mais le ciel est dans lanature.

Construireun pigeonnier autour d'un pigeon.

Baïese fait des moustaches avec le sucre de son biscuit.

Jamaisnous ne sommes plus heureux que quand nos plaisanteries font rire labonne.

Unenregistreur artiste.

Des livresdisparaissent mystérieusementcomme si l'auteurnous jugeantindignesnous les avait repris.

Une bonnegrosse qui donne de gros baiserscomme si elle collait des timbres.

Bienqu'elle n'eût l'air que de le prêterelle lui donna unsou.

Ibels. Sesbonshommes toujours penchés comme s'ils tiraient des bateaux.

Bonnefilleelle donne des coups de poing comme si elle avait apprisl'amour avec les béliers.

C'est dansles cafés de province qu'il faut voir la hideuse humanité.

Sans merépondre d'une manière définitivevous pouvezbien me dire oui.

Un singe :un parent pauvre.

Lademoiselle : petit serpent volant.

-- Mesenfants m'aidentetmoije bats encore d'une ailedit la vieille.

A cettemisère elle offrit un pot de confitures.

La pluie aà peine mouillé les lèvres des roses. Ce sontles feuilles d'oseille qui boivent le plus. En forme de lèvrestendueselles n'en perdent pas une goutte.

Orage :nous l'avons tous échappé belle. Mais nonpas tous.Trois hirondelles ont été jetées par le vent etla pluie dans le feu de la cheminée. Et les voilàrôties. Trois hirondellestrois êtrestrois fois ce queje suis.

-- OuiPhilippevous êtes moins bien nourri que moimais si vousétiez obligé de digérer tout ce que je digère!...

Se frotterles mains comme une mouche.

La lampe amis le feu sous mes paupièreset toute la nuit je dormiraiilluminé.

Ma Psyché.-- Faudra-t-il t'enterrer religieusement ?

-- Je saisquede mon vivantl'égliseses clochesson encensmeproduisent une forte impression.

-- Morteça te laissera plutôt froide ; mais il sera fait selonton désir.

-- Commentm'habilleras-tu ? Écoute : j'ai un drap bien plus beau que lesautresce qu'on appelle un drap de nocespas usé. Je ne m'ensers pasexprès. Notre enfant y est née. Ensevelis-moidans ce drap. Et toi ?

-- Oh !moiune chemise.

-- Et unecravate ?

Elle netient qu'au souvenir.

-- Maislui dis-jesi tu es dans un cimetière de Parispour penser àtoi il faudra que je pense spécialement à toi. Iciàla Gloriettesi je me rappelle une fleurune feuilleune clartéde rivière sous les branchespar une naturelle associationd'idées je penserai à toi. Moiune pierreavec lestitresen orde mes ouvrages.

--Faudra-t-il mettre les ouvrages en reproduction ? Oh ! toituresteras dans tes livres.

-- C'estplutôt toicar je t'y consacrerai comme la femme modèlede l'homme de lettres.

Un canardmort honorablement d'ennui.

Les mursde province suent la rancune.

Jeunefilleta feuille de vigne a le phylloxera.

Les nuagesse croisentcherchent leur placese rangent en ordre de bataille.

Assis aucoin du feu éteintle chat continue de faire bouillir samarmite.

Fantec dità Philippe :

-- Voussavez tout fairevousPhilippe. Vous feriez bien un petit garçon.

-- Oh !pardiéouimonsieur Fantec ! Avec un peu de terre rouge...

Le vraicielc'est celui que vous voyez au fond de l'eau.

Le bonDieu nous récompense comme il veutmême quand nous necroyons pas le mériter : c'est son affaire.

Parcequ'elle espère gagner le gros lot de 500 000 francselle secroit l'imagination tourmentéeet elle dit à Gloriette:

-- Oh !vousvous êtes une satisfaite. Vous n'avez pas d'aspirations.

-- On n'apas besoin d'argent pour dormirdit Philippe.

-- SiJules revient de ses 28 joursdit papace sera un rude gars. Çame retourneces affaires-là !

28 jours.

Saint-Benind'Azy. Les noms nouveaux des ruesles habitants ne les ont jamaislus. On me retire mon oreiller. Ennuiennuijusqu'à lire desarticles de Clemenceau et de Jean Lorrain. Trempéséreintésles soldats au lieu de rester couchés dans leur paille ontencore l'héroïsme de se promener par les rues jusqu'ausoir.

Châtillon-en-Bazois.Au châteaudans une chambre de domestique... Un paysan me dit: « Vous avez l'air bien vieux ! » Et il s'étonnede ne pas me voir la soutache des rengagés. Attiré cematin dans une ferme par un bon feu. La ménagèresuperbe d'yeux et de seinsm'offre le café et la soupe dansune écuelle de domestique. D'ailleurs c'est ma saison chez lesdomestiques. Tous me parlent. Ils le peuvent mais pas avec lesofficiers. A cause de ces beaux arbres que je vois par ma fenêtreaujourd'hui je trouve tout le monde gentil. Je dis merci sans cesse.

--Sergenton vous appellera quand on aura besoin de vous.

-- Mercimon lieutenant.

Ce matinpassant à pied le long de la colonneje saluais mesofficiersqui presque tous me rendaient mon salut avec une sorte dedédain. Enfinje me suis aperçu que deux de mesboutons n'étaient pas boutonnés.

J'aimejusqu'au chant de la pie. Oh ! cette perte du sens de ce qu'on est !Du soleil et des arbreset j'oublie ma femme et mes enfants.

Ilsengueulent le soldat qui n'est soldat que pour la patriemais ilssont tout miel pour l'ordonnance qui brosse leurs habits.

J'ai peurde ce domestique : il va m'offrir un verre de vin.

Lasolution de tous les problèmes morauxc'est une tristesserésignée. Ouimon cher sot. Suppose que cette jeunefemme en deuil qui se promène dans les allées du parc alu Poil de Carotte. Suppose qu'elle en aime l'auteur. Supposeque le lieutenant qui se promène avec elle lui dise : «C'est Jules Renardmon vélocipédistequi écritdans les journaux. » Suppose qu'en entendant ton nom elleéprouve une grande joiequ'elle te fasse appelerqu'ellelâche son lieutenant. Ton coeur bat. Tu as peine à nepas sauter par la fenêtre.

Etmoncher sotva porter à bicyclette cet ordre de la brigade aucolonel du 13emais tu es heureux de cette supposition. Mais lelieutenant profite de la dame et se gardera bien de lui dire ton nom.Et puisquel nom ?

Oh ! ilpourrait nous arriver de si merveilleuses aventures si le bon Dieus'y prêtait un peu ! Oh ! les délicieuses folies denotre cerveau ! Froisse-toivanité ! Si tu savais ce quit'attendtu te recroquevilleraiset peut-être que tu mourraisdu coup.

C'estégalmon vieux : il te reste à travailler.

-- Est-ceque le vélocipédiste peut écrire ? demande uncapitaine.

D'autresme connaissaient de la première ligne à la dernièreet bientôt ils m'appelaient monsieur Richard.

Le bruitde fagot cassé des fusillades.

Ils meconduisirent faire mes 28 jours en criant : A Berlin ! A Berlin !

Aurestaurant je demandai l'addition. Il vint me la crier : « 17fr. 50Monsieur. » Le chef me dit que lui-même étaitétonné.

Porteenceinte gallo-romaine vue pour la première fois.

Souffrirde la solitude et la rechercher.

Le garçond'hôtel qui fait les chambres et qu'on sonne. Il crie dans lecouloir : Nom de Dieu de nom de Dieu ! Je l'attends à maporte.

-- C'estvous qui a sonnémonsieur ? dit-il.

Ses lèvresplates et blanches comme des ablettes roulées dans la farine.

La peur desaluer à bicyclette.

Unartilleur bleu et bébête dînant à tabled'hôte avec un sourire étonné d'enfantson képisur la têteet le commis-voyageur qui l'a invitél'encourage : « Mangez ! Vous êtes ici chez vous. »

Joueurs decartes : « Peto Cartas. Quinque. » Pas d'écornifleurici.

Il ne saitpas s'il doit se mettre dans la peinture ou dans les vins. Il en està son trente-deuxième tableaudes toiles de deuxmètres qui tiennent une place ! Il réussit spécialementles « chers ». En attendantil place des vins.

-- Vousseriez bien gentil d'aller me chercher une boîted'allumettes-tisons.

On oublieseulement de me rembourser.

Lesbrigadiers de gendarmerie me serrent la main.

Ils sontencore discretsles officiers. Avec tant d'armes en mains ilspourraient n'être que des brutes.



1897

1erjanvier.

Aujourd'huidès le crépusculeil me vient fortement a la penséepour mes étrennesd'écrire ce livre dont le titre meplaît : Les habitudesles goûtsles idéesd'un homme de trente ans. J'ai la certitude que ce sera un beauet bon livreet qu'il me rendra célèbre.

Etd'abordje n'ai plus trente ans. J'en ai presque trente-troismaisje tiens à mon titreet je ne crois pas avoir fait de progrèsremarquables depuis trois ans.

Sous aucunprétexte je ne mentirai.

Je me poseces questions : Qu'est-ce que j'aime ? Qu'est-ce que je suis ?Qu'est-ce que je veux ? J'y répondrai avec sincéritécar je veux avant tout m'éclairer moi-même. Je ne mecrois ni ignobleni naïf. Réellementje vais meregarder à la loupe.

Je n'aid'autre besoin que de me dire la vérité. J'aiconscience que jamais personne ne l'a dite. Je n'excepte pas les plusgrands.

La véritéest-elle bonne à dire ? Peu m'importe. Sera-t-elleintéressantepassionnanteréconfortante ? C'est lemoindre de mes soucis. Servira-t-elle à d'autres qu'àmoi ? Cela m'est égal. Qu'on ne croie pas m'affliger en metraitant d'égoïste ! Reprochez-moi plutôt derespirer. Si j'avais connu Jules Césarpeut-êtreaurais-je raconté sa vieet non la mienne ? Nonje ne croispasou j'aurais fait de lui un personnage aussi petit que moi. Je neveux pas m'en faire accroire. Je me tienset ne me lâcheraipas avant que de me connaître.

Est-ce queje m'imagine être un original ? Je suis curieux de savoir cequ'est un homme semblable aux autres.

Ne mesouhaitez pas une bonne année. Souhaitez-moi de finir ce queje commence aujourd'huiet j'aurai passé la meilleure desannées de ma vie. Je crois que vous me ressemblezmais quevous parlez autrementet que vous ne savez pas comme moi ce que vousdites.

-- Vousvous trompez volontairement.

-- Je merends malheureux. Je vous assure que vous avez tort de me plaindre.

D'autresjouent avec eux-mêmes. Je fixe sur moi un regard sérieuxet je n'ai pas envie de rire. Mais je suis fou. J'ai de l'ordreetvous me passeriez difficilement une pièce fausse.

S'ilarrive que je m'échappeje me vois troubleje pose ma plumeet j'attends.

-- Vousêtes myope.

-- J'ai lavue que m'a donnée ma mère. Je n'y peux rien.

-- Maisvous remettrez votre livre à un libraire ?

-- Ouiquand je l'aurai terminémaisjusqu'à ce que j'aieécrit le mot Finje ne penserai ni au libraireni àl'argentni au succès.

Je nerenonce pas à l'ambition. C'est un feu qui brûle en moià l'étoufféemais qui brûle toujours.

Un hommeépris de la vérité n'a besoin d'être nipoëteni grand. Il est l'un et l'autre sans le chercher.

Maisaurai-je le courage (non : le courageje l'ai)mais la patience dechaque instant ?

L'homme detrente ans. -- Non que je croie définitif ce portrait.J'espère être tout autre à soixante etrecommencer de moi un portrait nouveau.

Je nedirai pascomme Jean-Jacques Rousseau : « Je ne suis faitcomme aucun de ceux que j'ai vus ; j'ose croire n'être faitcomme aucun de ceux qui existent. » Nonnon ! Je suis faitcomme tout le mondeetsi j'arrive à me voir dans ma glacesolidement accrochéeje verrai l'humanité presque toutentière.

Pasnonplusd'invocationcomme fait le René des Natchez : «C'est toiÊtre suprêmesource d'amour et de beautéc'est toi seul qui me créas tel que je suiset toi seul mepeux comprendre ! » Mes « ancêtres géniaux »me font souriremais Chateaubriand me fait rire quand il dit : «Qu'un auteur devienne insensé par les vertiges del'amour-proprequetoujours en présence de lui-mêmene se perdant jamais de vuesa vanité finisse par faire uneplaie incurable à son cerveauc'estde toutes les causes defoliecelle que je comprends le moins et à laquelle je puisle moins compatir. »

Si vouspouvez m'aimertant mieux ! Cela me fera un plaisir secretmais jecomprends très bien qu'on ne m'aime pas.

Ne pasdonner un portrait physique. Des éclairs de tout : bontétalentmodestiehéroïsmesacrificerien de continuque l'égoïsme souterrain.

Je ne veuxni me noircirni me mettre du blanc.

Rien deplus brûlant que le sang-froid avec lequel j'écris ceslignes.

J'ai labravoure de me mettre tout nu sous mon nezmais je ne suis pas unbel hommeet je tâche de me regarder sans plaisir.

Que cepetit livre soit le manuel des jeunes hommes qui se cherchent àtâtons ! Je leur donne une idée et une méthode.

FrançoisCoppée quiselon le mot de Becqueje croisfait de la prosesans le savoir.

3 janvier.

-- Jeviens de voir une étoile filantedit Philippe. Elle esttombée au bout du jardin.

Écrirepour les enfants des histoires de chasse racontées par lelièvre.

4 janvier.

DéjeunerRostand. Comme je fais observer à Bauër que j'ai enhorreur ceux qui écrivent contre les maîtres et quiflanquent leur bonne à la porte en lui donnant trois joursBauërqui se sent morveuxdit que c'est d'un esprit étroitque je confonds deux choses différentes : la vie et les idéesqu'il suffit d'avoir de la logique dans les idéeset quepour luiil ne se soucie pas de mettre sa vie d'accord avec elles.Évidemmentet c'est ce que je lui reproche.

Revue engros de la littérature actuelle. En résuméaucun écrivain ne vaut la peine d'être connu.

5 janvier.

Hommeférocehomme sensibleque de fois il t'est arrivépartout où tu t'abandonnes au rêved'imaginer la mortde ta femmeet de fondre en larmes !

6 janvier.

ALorenzaccio. Hiercomme je donnais mon pardessus àl'ouvreuseMaurice Leblanc me présente sa soeur. Je vois unetête étrange : deux grands yeuxun grand nezunegrande boucheet j'entends :

-- Oh !monsieurje suis heureuse de vous voir. Laissez-moi vous regarder.J'admire tout ce que vous faiteset c'est si rareun écrivain!

Et mevoilà troublé. J'ai luce soirl'article deSainte-Beuve sur Goethe et Bettinaet je me crois Goethe. J'ai peur.A un entra'cteje m'excuse auprès de Maurice Leblanc :

-- Ditesbien à votre soeur que je suis pas aussi sot que j'en ai eul'airet que je suis profondément touché.

Il me ditque c'est une femme extraordinaireune grande artiste lyriqueetune enthousiaste de chaque instant.

--Pourquoidis-jeaime-t-elle les petites choses que je fais ? Acause de ma sincérité ? Est-ce là le lien quiattache les âmes les plus différentes ?

Et jen'ose plus la regarder dans sa loge. C'est trop. J'ai besoin d'allerbien vite travailler dans du noir.

Je n'aimepas beaucoup Sarah en travesti : ces bouclescette figure ronde...Mais vous êtes encoreMadameau 5e acte de Lorenzacciola princesse de l'ironieet vous donnez chaque foisà votreJules Renardune belle leçon qui lui fait du bien. Jecherchais les poux de Poil de Carotteet maintenant je veux chercherdes étoiles.

MmeRostand ne soupe bien que quand on la voit de face. Rostand a unechaînette au lieu d'une épingle de cravate. Le Bargy avaguement peur que je ne lui présente une pièce.

HieràL'Écho de Parisun pauvre diableau guichetentendqu'on lui doit 7 francset s'écrie : « C'est un volmanifeste ! » Puis il va se plaindre aux garçons.

8 janvier.

On estjaloux en admiration comme en amour. Si tu ne crois pas que je suisl'homme qui t'admire le mieuxje cesse de t'admirer.

Ledogmatique Pierre Quillard aborde Mendès pendant un entr'acteet lui ditd'un ton familier :

-- Commentva Son Excellence ?

C'est cequi fait leur force.

Le rire dePlautequelque chose de forcéde nerveuxde peu franccomme souvent le rire de Molièreune sorte de rire composétravailléun rire à tiroirset qui fait sortir de nosbouches des sons fauxde vilains éclats.

Si ta vuebaissesuppose que le monde existe moins.

9 janvier.

Jecommencequand meurt un homme célèbreàcalculer ce qu'il me reste à vivre pour vivre autant que lui.

-- Je nesuis pas content de moidit Allais. Je n'aime plus que la rue. Jeregarde toutes ces gueules. Je ne reste plus chez moiet ma femmes'en pique. J'ai trop beau teint et trop gros ventre. Avec tout çaon ne peut faire que de petites choses. Je ne fais de littératureque pour mon public de commis-voyageurs. Toiun de ces jourstuferas quelque chose qui enlèvera tout.

Les amisde Verlaine nous prient d'assister à une messe anniversairequi sera célébréepour le repos de son âmele 15 janvier 1897en l'église Sainte-Clotildechapelle dela Sainte Viergeà 10 heures précisespar M. l'abbéA. Mugnierpremier vicaire. C'est pourtant bien clairmais je necomprends pas.

Si noussavions prieril nous serait permis d'intercéder auprèsde Dieu pour Verlaine. Mais quelle drôle d'idée de faireprier des croyants comme nous pour une âme comme celle deVerlaine !

-- Parlezpour vous.

--Laissez-moi donc tranquille !

Ils secroient dans leur tour d'ivoire parce qu'ils relèvent le colde leur pardessus.

Je sors dechez moivêtu comment ! Ça m'est égal. Aucontraire !

Maisdèsque je rencontre quelqu'unje suis gêné. Me voilàpris.

Quellebelle journée ! Le printemps devait être de passage àParisincognito ; mais tout le monde l'a bien reconnu.

Commec'est tristeune vieille femme dans une belle voiture à deuxchevaux !

13janvier.

DînerMuhlfeld. G. Vanorcomme on s'étonne de l'effarante précocitédes jeunes (voir le Naturisme composé de MM. de BouhélierPaul FortAndré GideMaurice Leblond et Fernand VandéremÉcho de Paris de ce matin)dit :

-- Letalent de ces jeunesc'est comme les imitations d'acteurs. Cela faitillusion et stupéfiemaisdès qu'on donne un rôleà ces imitateursils ne valent plus rien. Ils commencent parêtre grands révolutionnaires en artpuis ils fonttranquillement leur médecine.

Mlle HenryFouquier est peu à la conversationparce qu'elle aura uneaudition demain matin. Elle veut entrer au théâtre. Despeintres comme Henner ou Bonnat ont fait ou font son portrait. C'estennuyeuxde posermais c'est si beauce qui sort du pinceau de cesmessieurs-là ! Le reste n'existe pas. Valloton écrasede l'encre. Elle dit de Saint-Cère :

-- On peutdire de lui ce qu'on voudramais c'est un homme de beaucoup detalentsûrement !

Dans lecabinet de toilette de Muhlfeldau-dessus de la baignoireunepeinture de Vallotton. D'étonnantes femmes avec des derrièresimmondesdes derrières pendants d'hamadryasqu'ellessoutiennent avec leurs mains. Un chignon de femme comme une botted'herbe tordue. Il y a du vert et des fleurs écraséesdans cette chevelure. Nos femmesconsultéestrouvent quec'est bizarre. C'est une grande gloire pour un homme de lettresdedire : « Moije ne comprends rien à la peinture. Sinous changions de conversation ? »

Aussitôttoutes ces petites femmes reprennent des mines heureusescomme desoiseaux délivrés.

-- Si jevoyais souvent monsieur Renarddit une jolie jeune fillejetomberais malade de rire.

Queldommage queun peu ahuri dans le mondeuniquement soucieux del'effet que je produisje ne songe pas à observer !

On me dittoujours : « J'ai un oncle dont vous tireriez des tas de choses! Il faudra que je vous présente un cousinun vrai type. »Ils m'offrent tous les membres de leur famille. La moindre bourricheferait bien mieux mon affaire.

Sans leduelon ferait de l'escrime tranquillement.

LaJeunesse : une breloque de plus pendue à la redingote deNapoléon.

FrançoisCoppéequi n'est pas soldatappelle la guerreeten vieuxgarçonil crie : « Faites des enfants ! »

15janvier.

Noussommes un escalier à double révolution : quand unemoitié de nous montel'autre descend.

Je netiens pas à savoir la musique. Ça me rapporteraitpeut-être d'avoir le sens du mot bémolisermaisje m'en passe bien.

Économisernon. Ne rien dépenseroui.

Je suismalade de ne pas pouvoir monter dans la lune.

Unevieille femme nous fait visite ce matin et dit qu'elle est venue àParis soigner sa tantequ'elle se trouve un peu gênéeet qu'elle a pensé à moi. C'est une Foinparente duFoin de Corbigny et des Duprétous deux serruriers.

-- Maismadameje ne vous reconnais pas.

Ellesourit d'une bouche sans dents et baisse les yeux.

-- Parceque vous ne m'avez vue qu'en négligédit-elleet pasbien habillée comme aujourd'hui.

-- Maismadameje ne vous ai jamais vue.

--Excusez-moimonsieur. Excusez-moi.

Elle sedisait d'abord de Corbignypuis elle dit qu'elle y va quelquefoisenfinelle ne dit plus que « Excusez-moi. » Elle se lèveet s'en va.

-- Vouscomprenezlui dis-jequesi vous m'étiez recommandée...

-- Ouimonsieur ! Ouimonsieur ! Excusez-moi.

Ellepartiej'ai du remordsmême de ne pas m'être laisséduper.

17janvier.

Au premiersourire de n'importe quelle femmeje serais perdu. Heureusementjesuis laid. Elles ont un peu peuret aucune ne m'écrit.

Il n'y aqu'aux riches qu'on se donne la peine de plaire.

Éloged'une courte maladie. On tient à la vie. Les amis viennentvous voir. Il n'y a aucun danger. Et la légèretédu cerveau videgrisé de rien.

Elle parlede son « intellect ». On croirait que c'est quelque chosequi est en train de cuire.

Saint-Georgesde Bouhélier veut fortifier l'âme des laboureurs.

19janvier.

MarcelBoulenger très déprimé par Rostand.

-- Quandje vous quittedit-ilj'ai envie de travailler douze heures parjour. Puis je vois Rostandson air abîméson oeilvagueet me voilà perdu. Je laisse là mes grosbouquins d'histoireet je prends un roman du jourL'Orme dumailque je lis avec lassitude et désespoir. Rostandm'humilie. Sa femme me disait : « Il me fait peur. » Moije n'ai même pas la force de me mettre en colère contrelui. Je ne trouve rien à lui direque bonjour. Et c'est finic'est le néant. Je donnerais un de mes petits doigts pourarriver à lui dire quelque chose qui l'intéresse.

-- Ouidis-je. Rostand est la vivante preuveà peine vivantequ'iln'y a rien. Il a eu beaucoup d'influence sur moi. Si je n'étaispas l'auteur des Histoires naturellesje ne voudrais jamaisle voir. Mais je peux faire le malin avec lui : au fondje sens bienqu'il est une réalisation supérieure à lamienne. C'est le saint de l'indifférence. Il n'y a plus queles questions de théâtre qui l'animent. Entre Le Bargyet moiil n'hésite pas : il choisit Le Bargy. Je le soupçonned'être amoureux de Sarah Bernhardt. Il est pendu à l'unde ses rayons. Elle est nécessaire à sa viecomme lesoleil à la terre impersonnelle. Quand il sera mortj'écriraisur lui une dizaine de pages qui vaudrontpour leur humanitéles plus belles de Renan.

Bret Harte: Récits californiens. Le meilleur de ceux que j'ai lusc'est La Chance du camp rugissant. C'est de l'Edgar Poe pourfamille. C'est bienmais on lui sait trop grécommed'ailleursà tous les étrangersde ses moindresqualités.

21janvier.

La grandefemme dit à son tout petit mari :

--Dépêche-toi de finirpuis tu monteras m'embrasser.

Bucoliques.De loinje m'attendris sur le sort du père Boussard ; deprèsil me répugne comme un pauvre à un richeet je voudrais bien l'éviter. Heureusement qu'il n'y a pas delépreux à Chaumot ! Jamais je ne pourraiscomme saintFrançois d'Assisebaiser leurs plaies.

Il fautgémir que Renanavec toute son intelligencene soit pasdevenu un saint.

22janvier.

Je dis :

-- La vied'un honnête homme est quelque chose de très plat. Quelui reste-t-ilpuisqu'il s'est retranché le désir deplaire ? Il aime sa femmesi l'on peut aimer une femme à quil'on n'a pas à faire la cour.

-- Peut-ontout faire avec sa femme ? dit-elle.

-- Quandon y estil faut se comporter comme les brutes du XIXe siècle.

-- Lafemmedit-ellea plus de mérite à rester honnêtecar un homme peut toujours se satisfaire avec sa femmepourvuqu'elle soit jeune et propre. Il peut se passer de la bonne volontéde sa femmequi ne peut rien faire sans la sienne à lui.

Descauseries dont on est un peu gênéle lendemain matin.

Notreamour pour certaines femmes est semblable à l'amitiéque nous avons pour certains hommes. Il n'y a guère qu'uncharme et qu'un risque de plus. Si l'on pouvaitsans ridiculebaiser la maincaresser la joue d'un homme qu'on aimerespirer sonparfumle regarder avec attendrissementl'amitié d'un hommenous serait plus chère que l'amour d'une femme.

Une femmeintelligente doit nous laisser nos rêves. Je garde le droitd'aimer une femme comme de désirer un voyage àFlorence. Je ne vais pas à Florence parce que je n'ai pasd'argentou que je n'en ai pas le temps. Je ne coucherai pas aveccette femme parce que je suis mariéou parce qu'elle l'estmais personne ne peut exiger que je la chasse de ma pensée.Elle me préoccupe. Elle tient de la place en moi. Femmesi tute mets en travers de mes rêveriesmalheur à nous !Laisse-les plutôt vivre de leurs petits rienspuis mourir.

J'ai plusde disposition à être saint que coureur de femmes. Maviele sérieux de mon âmemon ambitionmes idéestout me rapproche du saint ; mais je sens bien qu'il faudrait unmiracle pour que je le devienne. Je suis à la merci d'unegrueet cela me fait peur.

Vous mecroyez vain parce que je dis que j'ai du talent. Mais qu'est-ce quecela me faitd'avoir du talent ? C'est du génie que jevoudrais ; et ma modestie consiste à me désespérerde n'avoir pas de génie.

Vous êtespour moi le chardonneret qu'on ne met pas en cageet vous êtesla fleur qu'on ne cueille pas.

Je suiscomme une maison quine pouvant changer de placeouvrirait sesfenêtres pour s'emplir d'inconnu ; mais il n'entre rienetelle perd son intimité.

23janvier.

Je prendsles devants. Je vous dis ma vie intimetelle que je la voistoutevraie. Ainsiaprès ma mortvous n'aurez pas besoin de m'encomposer une fausse. Sinonvous seriez obligé de vous livrerà un petit travail de réparationcomme font lesbiographes de Mérimée.

On setrompe toujours sur ses contemporains. Ne les lisons donc pas.

Aréfléchir aux lettres que j'écrisje me demandequelle valeur de sincérité on a le droit de trouver àla Correspondance des grands hommes.

Je neréponds pas de ne jamais tomber dans la rivièremaisje réponds presque de m'en tirer.

Je ne saisrien de luiet je l'aime comme un frère parce quelapremière fois que je l'ai vumême avant qu'il m'aitadressé la parolej'ai entendu le cri du talent.

Jevoudrais être un saintmoins la prière.

25janvier.

Pauvrefemmeje vous plains. L'adultère seul peut vous tirer de là.

-- Monami...

- Mais pasavec moi.

Le coinnoir où dorment en boule nos sens retirés.

26janvier.

Largeurd'espritétroitesse de coeur.

Au-delàdes forces humaines -- C'est une frénésie pour lapièce. Les femmes sont avides de croireles hommes pleurentde ne pouvoir faire un peu de bien aux hommes. Puistout ce monde vasouper.

Ouiouimon cher Bauër ! Nous prononçons avec héroïsmela phrase de Nietzsche : « Une vie heureuse est impossible...Seuleune vie héroïque est possible. La plus belle viepour le héros est de mûrir pour la mort dans le combat.» Ouioui ! Bienbien ! Et aprèsquoi ? Rienn'est-ce pas ?

Sommes-nousdes artistes ou des professeurs d'économie politique ? Etpour l'artisteun homme écrasé est-il plus intéressantqu'un chien écrasé ? A un beau vers préférez-vousun hospice d'enfants ? Votre dynamitevotre fouvos discoursd'ouvriersvos rengaines de pasteurc'est de la blague. Le théâtred'idées est une bonne farce. L'artiste préfèreune fleur à une livre de pain

Mais celuiqui a faim ? Il souffrevoleou tuemais il ne fait pas dephrases.

Sagesageil n'y a personne de sageque les petits enfants à quil'on promet des joujoux.

28janvier.

Valéryun prodigieux causeur. Du Café de la Paix au Mercurede Franceil montre de surprenantes richesses de cerveauunefortune. Il ramène tout aux mathématiques. Il voudraitfaire une table de logarithmes pour les littérateurs. C'estpourquoi Mallarmé l'intéresse tant. Il y cherche unesyntaxe de précision. Il voudrait faire pour chaque phrase cequ'on n'a fait que pour les mots : une genèse. Il méprisel'intelligence. Il dit que la force a le droit d'arrêterl'intelligence et de la f... en prison. Trop d'intelligence dégoûted'elle.

-- Dansmon paysle Languedocme dit Robert de Flersles paysans font destestaments et disent : « Je donne à PierreàPaul. Je garde pour moi 500 francs »ce qui signifie qu'onleur dira pour 500 francs de messes.

Chaqueannéeils élisent un nouveau Jésus. C'estn'importe quiet tout le monde doit le saluer pendant un an.

Aquatre-vingts ans j'écrirai un commentaire de mes livresoùje ferai la part de la postérité.

Sache doncque tu n'auras fait un réel progrès que quand tu aurasperdu l'envie de prouver que tu as du talent.

30janvier.

Il al'esprit lourdle chagrin lourdla bonté lourde. Il al'image et la métaphore « peuple ». Il est «peuple » jusqu'à dégoûter le peuple. Il necomprend pas que le salut du peuple devrait être fait par desaristocrates. Il voit son monde artiste dans un bocal de pharmacien.

Et il nefaut pas confondre « peuple » et « paysan ».Je serais plutôt paysanet je ne veux pas dire que je m'englorifie. J'en profite quelquefoiset quelquefois j'en souffre.

31janvier.

Lacritique ne doit pas s'écrire : on la parle. A quoi bon écrirece qui est fait ? Seulel'oeuvre d'art se fait plume en main.

Lesprofesseurs ne se préoccupent que de se tenir au niveau deleur auditoire. Ils se défient de ce qu'on ne comprendraitpas. D'oùla médiocrité des LarroumetdesDoumicdes Deschampsetc.etquelquefoisde Lemaitre.

De Flerssort d'ici et m'annonce que Granier va jouer Le Plaisir de romprequ'elle le sait déjà par coeurqu'elle en essaie desmots. Et Nobletqui aime beaucoup tout ce que je faisjoueraprobablement le rôle d'homme. Ainsitout ce mois je vais êtremalheureux et sot. Je m'écrie : « Quelle chance ! »et je ne vois pas en quoi je la mérite.

Moijouépar Granierquidit de Flersne demande pas à êtrepayée ! Moijoué par Noblet quidit de Flersconsentà ne toucher aucun cachet ! Me voilà perdu. Siencoreje l'avais fait exprès ! Ah j'en aide la chance !

-- Ecoute! me dit Marinette. Tu la mérites. Tu passes de si mauvaismoments.

-- Lautrecest très amusantdit Bernard. A chaque instantil prononcele mot « technique » Il ne doit pas en savoir exactementle sens car il dit : « Voilà un vase qui est latechnique de la forme coupe » etd'un monsieur : « C'estla technique du jaloux. »

6 février.

GranierLe Plaisir de rompre. L'air d'un garçon raséfrisé et roux. Une grave voix enrhumée.

-- Moidit-elleje ne suis pas une comédienne. Je joue comme ça.

DepuisAmantselle n'a jamais rien lu comme Le Plaisir de rompre.C'est exquismais le public comprendra-t-il ? Je dresse l'oreille.

-- Oh !dis-jeil commence un peu à s'habituer à ma manière.

-- Dèsque j'ai lu votre pièceme dit-ellej'ai pensé : «Il faut que cet homme-là me fasse trois actes. C'est mon hommeà moi. »

Aussitôtqu'elle ouvre la boucheje lui dis :

-- Commevous êtes intelligente ! Je suis heureux de votre intelligenceet de votre charme.

Moi partielle dira : « Il est rigoloce type-là ! »

7 février.

Unofficier. Parce qu'il a une compagnie de soldatsil s'imagine manierdes hommes.

La joied'avoir travaillé est mauvaise : elle empêche decontinuer.

Je ne veuxgagner que de quoi mangeret je veux rester sur ma faim.

8 février.

Quelledrôle d'idée vous avezBernardde nous faire dînerentre gens d'esprit ! Si vous vous voulez nous mettre en valeurilfaut faire dîner Allais avec des commis-voyageursvous avecdes bourgeoismoi avec des paysanset V... avec V...

9février.--Dîner Bernard. Allais en habitavec unechemise bientôt ravagée.

-- Je medonne beaucoup de mouvementdit Bernard qui va et vientpour avoirl'air d'un domestique mâle.

Al'oreilleil nous dit à quelle dame chacun de nous doitoffrir le bras. Il a coupé des petits papiers pour mettre surnos verres. Sur le sien il a écrit le maître. Ilcraignait de nous voir nous précipiter tous.

-- Oh !puisqu'il s'agit de vouslui dis-jeça ne froisse personne.

Arrive unpetit poissonet bientôt il est en miettes.

-- J'aimis une fois au Mont-de-Piété ma montre et ma chaînedit Vebermais j'ai juré que je n'y remettrais pas les pieds.

-- On neles accepterait pas.

On parlede Londres où la vie coûte six fois plus cher qu'àParis.

-- Nous yresterons six jours au lieu de trente-sixdit Bernard. Il y a deshôtels pas chersà la condition qu'on n'y couche pas etqu'on n'y mange pasqu'on y entre seulementsans avoir l'air derienpour aller aux cabinets.

Lautrecattend la mort de la vieille Victoria. Aussitôt la nouvelleilfile à Londres pour voir un spectacle unique dans ce siècle.Allais dit qu'elle ne se soutient qu'en buvant du gin.

--Personne n'est plus sûr que moi de n'avoir pas de talentditVeber.

-- C'estune justice à vous rendre.

Nouspartonsma femme et moi. Tout à coup j'entends :

-- Noussommes de la classe. Tu n'es pas de la classetoi !

Ce sontquatre ivrognes qui tiennent le boulevardmal éclairésans un sergent de villeet où personne ne passeque nousdeux. J'entends :

-- A-t-ill'air gourde avec sa canne et sa gonzesse !

-- Jecrois que c'est de nous qu'ils parlentme dit-elle.

Je meretourne. Les quatre voyous disent : « Il regarde »passent de l'autre côtéjettent des choses sur lesdevantures ferméeset gueulent.

-- Tu aspeur ? dis-je.

-- Nonpas avec toi.

Ilss'éloignent. Nous entrons dans la lumière. Je n'ai rienditil n'y avait rien à diremais j'aurais voulu pouvoir meprécipiter sur eux à coups de canne à épéeet de revolver. Je m'imagine avoir manqué de bravourecar ondonne trop facilement des raisons à sa peurquoique jem'approuve de m'être tu. Il est vrai qu'ils ne nous ont rienfaitet quesi je leur avais crié : « Sales voyous ! »ils m'auraient répondu : « Qui est-ce qui te parleàtoi ? »

10 février

L'âmepleine de discoursl'âmecomme une cornemusepleine d'un airjoyeux.

Barbussequiaprès son recueil de versLes Pleureusesseredressait comme Lamartinem'apprend qu'il collabore à L'Échode Paris. C'est lui qui fait les anniversaires. Il a piochéson Bottin. Il a de la copie pour un an. De temps en temps il va leurproposer une autre idée.

- Commevous êtes grand ! lui dis-je. Heureusementvous me laissez letrottoir. Je peux causer avec vous.

ArriventSouzaMauclairtous cherchant un trouun petit coinde plus enplus petitsà mesure qu'on les leur refuse.

Barbusse aencore quelque illusion sur le Théâtre-Français.Il a fait un acte en vers que présentera Mendès.

-- Vousattendrez trois anslui dis-jesi vous êtes reçu.Faites-vous donc jouer tout de suite n'importe oùàcôté.

-- Çan'aurait pas un aussi grand retentissementdit-il.

Bucoliques.Çà et làdes herbes plus vertes que les sous lecoup d'une émotion.

RenanFeuilles détachéesme fait quand mêmeparfois l'effet d'un plaisantinsurtout quand il cause avec sonBreton Quellien.

12février.

LaDouloureuse. -- De l'esprit excessivement. Des calembours quin'en ont presque plus l'air. Halévy pleure en disant àDonnay quedepuis Augieron n'a rien fait de plus beau que son 3eacte. D'adroites glissades sur des profondeurs de sentiments. Desartistes qui ont des idéeset se conduisent comme des mufleset espèrent se faire pardonner avec des compliments àla naturedes risettes tendres au cap Saint-Martin. Des gens quidiscutent sur cette question : « Est-ce la même chosepour la femme que pour le maril'adultère ? » Unemanière d'échapper aux grosses émotions par depetits mots. C'est bienmais je sors de là plein d'énergiepour faire mieux.

BernardCoolussont pris par le 3e acte. Ils disent que ça y est etqu'ils croient bien avoir pleurémais ils n'en sont pas sûrs.Ils me disent : « Vous n'êtes pas émuRenardparce que vous êtes un homme heureux. » Et je répondsd'après Renanqueseulsles hommes chastes se connaissenten amour.

Je dis quela nouvelle du coup de pistolet du 1er acte mettrait les femmes enfuite.

-- Maiselles sont grises !

-- Çales dessaoulerait.

On merépond qu'à la mort d'une des filles des Rothschild onn'en a pas moins fait un grand dîner le soir même. On nel'a pas décommandé.

Et que detoilettes et de décors ! Et cette aisance naturelle avec quoiles gens du mondeles financiers surtoutse traitent de fripouilles!

Saint-Cèrequi souffle derrière moi dans une logeditau 1er acte qu'ilva s'en allerparce que c'est son histoire que Donnay a mise authéâtre. Ouimoins le coup de revolver.

Lorrainfraisonctueux comme un petit four.

Bauërpareil à un chêne quiayant perdu ses racinesapprendrait à marcher.

LePlaisir de rompre. Mayer. Des yeux un peu fous. Le type deMérignac pas assez réussi. Figure osseuse et dentséclatantes. Fait une violente sortie contre les piècesoù il y a des artistes. Ah ! nonassez d'artistes comme ça! Ils nous embêtent.

Il dit quele Gymnase ne jouera pas Rosinela pièce de Capus.C'est trop gristrop camaïeu. Les directeurs disent : «Il y a une femme qui vient à Paris avec dix francs en poche.Qu'est-ce que vous voulez qu'on fasse de ça ! »

PauvreCapus ! Pauvre théâtre !

13février.

Celui dontje parle est mortet toi-mêmelisant cette phrasetu dis :

-- Luiaussi est mort.

15février.

LePlaisir de rompre. -- C'est bien théâtre. Nousallons au rendez-vousMayer et moichez Granier. Elle n'y est pas.Elle n'a prévenu personneet son domestique ne sait rien.Quel plaisir ce serait de pouvoir lui dire : « Ma petite damerendez-moi mon manuscrit ! » Mais il faudrait être malin.

Mayers'arrête pour admirer un grillage en fer forgé. Iltrouve byzantines les tours du Sacré-Coeur. Il dit quedansles grandes maisons moderneson a l'air d'habiter des tiroirs.

Je lismalen digérantet il remue sur sa chaise avec une sorted'impatience qui me donne hâte d'en finir. Peu d'effetou pas.Toujours son horreur des hommes de lettres au théâtre.Très papatrès maritrès brave garçonil trouve ravissant le rôle de Granier et ne dit pas un mot dusien. Il ne s'occupe jamais de sa mémoiren'apprend ses rôlesqu'en répétantet il se trouve les savoir malgrélui.

Si jamaisje fais quelque chose de bien au théâtrece sera unecomédie de mauvais caractère.

18février.

Hierpremière répétition. Granierrentréetard du Bois de Boulognedéjeune en chapeau. Rosseries.

De Flersraconte l'histoire d'un monsieur qu'on avait supplié d'êtrecalmequi donne à un autreaux premiers mots échangésun coup de poing en pleine figureet dit ensuite :

-- J'aifait tout ce que j'ai pu.

Granier adans son jardin un cerisier qui a rapporté trois cerises ;elle espère quel'année prochaineil en aura quatre.

Oncommence la lectureGranier et Mayer séparés par latabledes bouteillesdes tasses de café et des odeurs defromage.

Ellecomprend vite et donne vite le ton. Mayer ira lentement et plussûrement. Elle trouve des changements heureux dans ladisposition de la lettre. Elle ne peut pas dire : « Déjàje songeais. » Je la remercie. Il ne restera bientôt plusrien de moi. Avec un égoïsme charmant elle me dit qu'ellecompte jouer la pièce un peu partout et qu'il ne faut pas queje la publie.

Nous nousquittonsenchantés. Tout le monde sera bien.

Couru chezRostandpar curiositépour qu'il me fasse voir son hôtelmais il dit qu'il travailleet ne me montre rien.

19février.

Bientôton annoncera une pièce par Jeanne Granier et Jules Renard.Elle ne trouverait peut-être rien pour les autresmais elle al'intelligence de ce qui lui convient. Sa coqueline figure attire lesmots qui portent. C'est une intelligence spécialemais c'estde l'intelligencequi fait que j'éprouve un besoin demodestie. On ne répète que la moitié de lapièce.

22février.

Ce motd'une Anglaise : « Je veux vivre avec des regretsnon avec desremords. »

Granierqui n'a pas lu Poil de Carottedit que je retravaille mapièce comme Gondinet. Elle ne sait pas qui je suiset je nesais pas quelle chanteuse elle était. C'est comme une petitenuée qui passe sur son visage quand elle réfléchitcherche un effetn'écoute pas la réplique ; et sonvisage fermé comme une porte quand une de mes «trouvailles » ne lui plaît pas. Ils trouvent leurs effetsau moyen d'un tas de petits mots plats : « Allons ! Eh ! benquoi ! » Ils détestent les phrases. Ce sont des acteursnon des diseurs. Ils font des gesteset n'aiment que les répliquesoù il n'y a rien.

A unpassageelle dit :

-- Jevoudrais rirelà !

Ellecherche ses intonations en dedanset sa physionomie prend un air «ailleurs » ; puisbrusquementla phrase saute dehorsaccentuée comme il faut.

Mayercherche sa phrase à l'extérieur. Il la répètecinq ou six fois de suite. Il la martèle contre son palaislapasse au laminoir de ses dentset la redit telle quelle. Granierqui la redit le moins possiblemet de petits mots devant etderrièrequerespectueux de mon texteje couperai plus tardà coups de ciseaux polismais sévères. Et elleexplique ce qu'elle veut direraisonnediscutesubstitue auxmiennes des phrases qui ont plus de vulgaritémais aussi plusde vie ; de sorte qu'elle a l'air de trouver plus que Mayermais cen'est pas sûr.

24février.

Pour voirs'il est bonun acteur regarde si son rôle est épais.

Dèsqu'un acteur parleil cesse de penser.

-- Je n'aiété heureux d'avoir une jolie femmedit-ilque quandje ne l'ai plus aimée. Alorsje l'ai regardée et je mesuis dit : « Tiens ? Il vaut tout de même mieux avoir unejolie femme comme ça qu'un vieux meuble. »

-- VictorHugo a écrit Ruy Blas en dix-neuf joursdit Bernard.

-- Ouimais il n'aurait pas écrit un chapitre des Caractères.C'est la différence qu'il y a entre une belle choseet mêmesublimeet quelque chose de parfait. Le parfait est toujours un peumédiocre.

25février.

DînerGrosclaude. Lemaitreavec son étonnante poignée demain. Ça doit bien le faire souffrirde lever ainsi le coude! D'ailleursil doit souffrir sans cesse de ce qu'il entend et de cequ'il veut diresouffrir parce qu'au lieu de lire une page de Pascalil se croit obligé de lire ce qu'on écrit de neuf. Etil lit toutet il complimente de tout. Il est plus vieux aujourd'huiqu'il ne le sera jamais. Et je le vois qui pense à son toast.Il écouteet répond l'oeil en dedanset decontinuelles rougeurs lui viennent à fleur de peau. Son visageest une tulipe intermittente. Il me conseille de faire unepaysannerie en beaucoup d'actes avec le sujet banal de la fille deferme violéeetc.etc. Ouioui. Il prononce trois lignes dediscours. Étienneancien sous-secrétaire d'Étataux Coloniesparle ensuite de la France coloniale et des servicesque lui a rendus Grosclaudequi écoute avec une apparenteenvie de riremaisau fondtrès flatté. Grosclaudeparle à son tourrestant assis et se jetant dans la bouche depetites croûtes de pain.

Il a unecharmante idée : c'est d'aller de groupe en groupe et deprouver à chacun que certaines parties de la FranceleCentrela SologneNeuilly mêmesont aussi colonialesetmême plusque Madagascaraussi lointaineset il sembles'excuser d'être allé aussi loin. Il me dit que j'yferais des merveilles. Il y a tuépour sa partau moinsvingt-cinq taureaux. Il a sur la tête une petite raie quiressemble à un sentier de Madagascarle sentier de guerre desMalgaches.

Gandillotme fait remarquer la différence qu'il y aà notredésavantageentre notre dîner et un dînerbourgeois.

-- Aucunefusioniciaucune cordialité. Chacun pour soi. Avez-vousnoté commedès le débutchacun a mis la mainsur une chaise avec l'air de dire : « Je la tiens ! On nel'aura qu'avec ma vie » ?

-- C'estvraidis-je. Cette défiance vient de nos moeurs. Je n'aimepas à parler le premier à Lemaitreparce que jem'imagine qu'il croit que je vais lui demander un article. Si jem'approche de Mirbeauil se contractera tout de suitepar peur dema rosserie légendaire. Et puisil y a le hideux compliment.Des bourgeois ne pensent pas à s'en faire. Nousnous ne nouspréoccupons que d'en recevoir ; si nous en donnonsc'esttoujours pour en recevoir.

Hervieupeigné implacablementcomme ses piècesme parle deRostand qu'il aime parce qu'il le trouve dédaigneux etlointain et qu'il l'a entendu parler bien de moi. Parler bien d'unabsentHervieu considère que c'est un acte de vertu. Iln'aime pas Jules Lemaitrequi n'a excellé en aucun genresauf en critique. Il n'aime pas la critiquenon qu'elle l'affligepersonnellementmais parce qu'elle persuade de croire le mal àceux qui ne jugent pas par eux-mêmes. Il déteste larosserie. Il ne comprend pas que notre rosseriearrivée àce degrén'a plus d'importance. Elle n'est qu'une gymnastiquede l'esprit. Elle nous est nécessaire comme l'habit. Nous nedînerions pas sans elle. On est rosse par plaisirpours'amuser avec un joujou d'un maniement difficilemais on ne veut demal à personne.

Barrèsavait l'air d'un Malgache ramené par Grosclaudemais c'étaittout de même le grand homme de la soirée.

Parfoisje m'imagine quepour mettre de l'unité dans ma viejedevrais entreprendre une Histoire de France en vingt volumes.

26février.

Unemodestie savamment retournéecomme une crème.

Aprèsla répétition d'hiersentant peut-être que j'aiquelque méfiance :

-- Lesauteursau débutme dit Mayeront tous peur. Ils sedemandent s'ils m'ont bien donné le rôle qu'il mefallait. Ils doutentcomme moid'ailleurscar je suis trèslent. Je marche comme une taupe dans un rôle. Maisquandj'arrive à la lumièrej'espère que tout y est ;et j'aime mon rôledans votre petite pièceparce qu'ilme donne du mal.

Il aimeles longues répétitions où l'on s'en donne uneventrée.

Desphrases courtes et claireset un peu platesavecçàet làune autre phrase qui se dresse comme une fleuréclatante au milieu d'herbes d'une pâle verdure. Etsurtoutpas de cette poésie qui paraît poétiquecomme certains nous paraissent Russes. Qu'ils soient Russesl'oeille voitmais il ne les lit pasmais la bouche ne les prononce pas.C'est là surtout qu'il faut mettre un pointmême surl'i grec du mystère.

2 mars.

Quelledisproportion entre la valeur réelle d'une actrice et sagloireentre sa besogne et le bruit qu'elle faitet comme il estjuste qu'il ne reste rien d'elle après sa mort !

5 mars.

Ce mot deGot : « Quand le public n'est pas làil manque unpersonnage. »

7 mars.

Hier soirlecture de La Samaritaine de Rostand. Un admirable lecteur.Des vers jolisjolis comme des coeurs. Une Samaritaine originaleetun Christ qui rappelle celui de Victor Hugo dans La Fin de Satan.Je n'ai pas de peine à dire à Rostand qu'il est ungrand poëtecomme MussetGautierBanvillequ'il est plusfort que tous les poëtes actuelset qu'il est dans la poésiece que je voudrais être dans la prose. Enfinje l'admire entoute sécuritéet je suis sûr de ne pas metromper. Il y a des admirations qui exigent effortque le doute suitde près. Rostandun peu pâledit : « Oh ! il estdrôle ! » Et il a l'air heureux.

-- J'aimebien mieux Cyrano de Bergerac que je suis en train d'écriredit-il.

Naturellement.

11 mars.

Ouilegoût que j'ai d'une certaine médiocrité meservira au théâtre.

15 mars.

D'abordce matinchez Granierrépétition intime. Granier dansun peignoir que je croyais être la robe de la piècemais ce n'était pas encore elle. Ils répètentils s'amusentils rientils sont chez eux. Ils s'attendrissent.

Répétitiongénérale. C'est au-delà de mes rêves.Granierah ! quelle robe et quel décor ! Elle a apportédes statuettesde la musiquedes fleursune lampeet un abat-jourqu'elle a fait elle-même ce matin. Et elle est jolie ! C'est lapremière fois qu'elle m'émeut. Je n'ose pasl'embrasser. Rideau. Applaudissements pour elle et pour le décor.

De longstemps. Aux premières phrasesMayer fait rire. A partir de cemoment je bois du laitj'en bois trop. Tout porte. Je me promènederrière. L'électricien me dit :

-- C'estque c'est finçamonsieur.

Etj'entends : « Ah ! Ah ! Bravo ! » Je me crois dans laluneet ça a l'air d'une farcebien plaisante.

La pièceest coupée en deuxen son milieupar des bravos dont je meserais contenté à la fin.

Mayer medit :

-- Jen'osais pas regarder le public. Je me faisais l'effet d'un homme quiporte un vase de cristal finet qui se dit : « Ils vont finirpar me le casser ! »

J'entendsGranier pleurer presque. Rideau. Trois rappels. Photographie. C'estje crois bientout le succèssans faute noteque puisseobtenir une petite chose. Puisdéfilé. Des mainsdesmainsdes mains. Gandillot me dit : « Je ne vous dis rien. »Descavesqui a mené la salle en donnantle premierle signala l'air joyeux pour la première fois de ma vie. DeFlers me dit : « Je suis bien heureux de vous connaître.» Les Escholiers me remercient. Une vieille dameque je neconnais pasme serre les mains.

Ainsijusqu'à ce jourj'étais de l'autre côtéde la rivière. Ni Poil de Carotteni les Histoiresnaturelles ne m'avaient fait passer. Maintenant je sens que jepasse.

16 mars.

Ce soirpremière. Je n'ai pas très peur. Il faudrait del'écroulementmaisla joiej'en ai presque assezet unedésillusion brusque serait presque aussi drôle.

Ce matinles mots de triomphede succès foume semblent quand mêmeun peu gros.

Granieràla finavait des larmes d'argent dans la voix.

Jem'attendais à un peu plus de lettresà un peu plus degentillesses dans les journaux. Cela ne m'arrive pas souventmais jepense à Blancheà la vraie. Si elle s'était vuehierelle aurait pleuré de douces larmes. A neuf ans dedistance elle m'aurait aimémais la vie ne permet pas ceschoses-làqui seraient les plus exquises. Le bonheur n'envoiepas des billets de théâtre à l'abandon. L'autremonde serait bien beaus'il était seulement de ce monde-cirectifié.

17 mars.

Premièrereprésentation. Bon public. La salle débordait. Il yavait partout des gens debout. Rachilde et Vallette se tenaient prèsde la rampe. Mayer est très sûr de lui. Il a travailléla pièce toute la journée. Granier a les mains glacées.Comme toujourselle fait sa prière avant d'entrer en scène.« Mon Dieufaites-moi la grâce de bien jouer ! »Le rideau se lève. On n'applaudit pas comme à larépétition générale. Oh ! qu'ils mettentde temps à dire le premier mot ! Il me semble que ça neva pas aussi bien qu'hier. Le gentil Capus me dit que ça vamieux. Parce que certains effets que j'attendais ne se renouvellentpasje suis désoléet les effets nouveaux ne meconsolent pas. Etcependanttout porteet mon nomjeté parMayerest si bien reçu que je salue derrière le décor.

J'embrasseGranier qui rayonne. Elle et Mayer trouvent cette soiréemeilleure que l'autre.

Souper auxEscholiers. Granier rit. Je fais de l'esprit et je tâchede rattraper mon succès que je crois avoir perdu.

21 mars.

Ce queGranier aime en moic'est queles choses drôles que je disje les dis sérieux comme un pape.

Un ami medit d'un autre ami :

-- Oh !celui-là doit être jaloux de votre succès.

La joien'a pas de nuances : ce n'est qu'une dilatation du coeur. L'auteurd'un chef-d'oeuvre applaudi et une petite femme qui fait del'équilibre sur du fil de ferdans un cirquejouissentpareillement de leur gloire.

24 mars.

Hierétérenifler ma gloire à la campagne. Les marronniers se sontgarnis de bourgeons achetés chez le confiseur. Des feuillessont fraîches comme de petites langues ; d'autres ont un airvieillotridées comme des fronts de nouveau-nés ; maisles branches des plus hauts arbres sont encore fines comme descheveux. Les fleurs des poiriers sont toutes prêtes pour allerà un mariage.

Parisvude Meudonsemble l'exploitation d'une immense carrière.

26 mars.

Etre unPasteur littéraire.

-- Centdécoupuresdis-jeont constaté le succès duPlaisir de rompre.

Pourquoicentpuisque je sais très bien qu'il n'y en a pas encoresoixante-dix ?

29 mars.

Ouioui !Elle est si bonne ! Et c'est pour faire croire qu'elle a le coeur surles lèvres qu'elle se met du rouge.

30 mars.

Ce quicondamne la littérature des femmes comme Mme J. Marnic'estqu'un homme pourrait en faire autant.

1er avril.

A dînerCapusBernardCoolus. Nous cherchonsen dehors de nousquatreécrivains vivants à préférer aux autres.Je prends FranceLemaitreLoti et Barrès.

On parledes bouches malsainesdes nez punais.

-- Ilssentent moins mauvais après la mortdit Capus.

2 avril.

Ouinosgrands hommes d'État ont un petit lit de feret ils necouchent jamais dedans.

Ils nedevinaient pas mes qualités d'émotion. L'ÉcornifleurPoil de Carotten'étaient que féroces. Il leur afallu Le Plaisir de romprec'est-à-dire de l'émotiondémonstrative.

3 avril.

Encorequelques annéeset je serai plein d'illusions.

4 avril.

ChezLemaitre. Parlant de mon pèreme voilà parti. Je distoutcomme si je connaissais Lemaitre depuis dix anset j'arrange.Je dis qu'auparavant je n'aimais pas mon pèremais que je m'ysuis mis quand j'ai connu son étonnante vie de coeur. Tout àl'heure je me donnerai des claqueset Lemaitre va croire que c'estchez moi une habitudeun sport.

Lecommencement du talent pour un littérateurc'est le besoin defaire croire qu'il n'est pas compris de sa famille. Lemaitrecependantqui doit avoir un peu peurse gratte le front et s'ôtede petites croûtes.

Il changede conversation en me montrant un manuscrit de Saint-Pol-Rouxunepièce injouablemais qui l'amuse. Roux lui a écritdeux lettres « magnifiques ». Lemaitre lit quelquesbelles imagesdont aucune ne porterait. On n'entendrait mêmepas les mots.

--Quelqu'un viendradis-jequi lira Roux et adaptera tout cela augoût français.

Lemaitredit d'ailleurs que tout se trouve déjà dans Hugo. Ilignore Claudel.

Il medemande si les « mots » sont de moi ou de ma fillette. Çadevient un jeu de société. Il me dit queparfoisondirait des mots d'une petite fille de Maeterlinck.

Puis il mereconduit à la porte en me précédant.

5 avril.

Tandisqu'il fait antichambreje cherche dans le catalogue de mabibliothèque le titre de son livre. Comme je lui parle de moipendant une heure -- Oh ! cette rage de me confier au premier venu !-- il en conclut que pendant une heure il peut me parler de lui. Çadevient long.

Je ne peuxm'empêcher de lui parler de mon ménage. Il me dit :

-- Oh !vous me faites regretter ce que j'ai fait. Ouij'ai peut-êtrerefusé le bonheur. Pour garder mon indépendancej'airefusé l'amour d'une jeune fille qui s'offrait à moi.Et puisje me trouvais ridicule d'être ainsi aiméelleje la trouvais godiche de m'aimer avec cette béatitude.Près de moielle ne disait rien. Oh ! que nous avions l'airbête !

Et iltrompe la faim de son coeur avec l'affection qu'il a pour sa soeur etdes maîtressesde charmantes Parisiennesdit-il« quine sont pas encore courtisanes et quiaprès moivont ledevenir ».

Ilvoudrait gagner 3.000 francs. Avec les 3.000 de rentes qu'il a déjàça lui ferait 6.000. Avec ça un garçon peutvivre.

-- J'tecrois !

Un de cestypes de forgerons qui font paraître sale le blanc des cols dechemises.

6 avril.

Je coursles dangers du succès. J'espère bien en sortirvainqueurc'est-à-dire dégoûté.

Avantd'écrirese mettre sous pression.

8 avril.

-- Est-cevraidit Baïequequand on est soldaton ne peut pas semoucher ?

Tousilsvoudraient évidemment avoir du géniemais ils aimentmieux gagner 500 francs par mois.

-- Moncherdit Capusles acteurspour se faire comprendrene se serventjamais des mêmes mots que nous.

Auxacteurs il faut un grand rôle avec de toutes petites répliques.

Les hommesde lettres ont fait le tour des idéeset ils finissent par semarier avec de pauvres petits bouts de femmes laides.

Lemonocleune vitrine de ventre.

-- Je veuxqu'on me prenne pour un quadrupèdedit l'autruche.

Bucoliques.Aller au bois n'a pas tout à fait le même sens àChaumot qu'à Paris.

Son coeurest un cactus hérissé de poignards.

C'estécrit sur de la toile cirée.

AurestaurantMaurice mange toujours un boeuf gros selun fromageetle garçon mélancolique lui demandeà chaquerepas :

--Qu'est-ce que monsieur va prendre ?

Oh ! ouij'étais terrible ! Je demandais aux grands hommes leurphotographieavec un tremblement dans la voix.

LePlaisir de rompreça devrait se passer sur un éventail.

-- Je vousdis ça à vous.

-- Ouipour que je le répète aux autres.

Elle a rielle a ri ! Il n'y avait pas moyen de la consoler.

Légende: C'est un auteur qui ne tire pas à conséquence.

L'allemandc'est la langue où je me tais de préférence.

Il choisitde ridicules chapeaux étroits pour se donner l'air d'avoir uneforte tête.

Le soleilsi éclatant qu'on ne le voit pas.

Il fautêtre précis jusqu'au romantisme.

La joierend impuissant.

Le petitRostand regarde une pendule carrée : c'est la maison del'heure.

Il semange les lèvres comme du grillé de porc.

Le jour oùFantec a été mordu par un chientoute la matinéeil avait pâli sur le verbe « mordre ».

De grossesgouttes de pluie toutes blanchesdes gouttes de foudre.

Laprudence n'est qu'une qualité : il ne faut pas en faire unevertu.

La poignéede main lointaine d'une femme qui ne veut pas qu'on l'embrasse.

9 avril.

Dans leboisles sapins font bande à partcomme des prêtres.

10 avril.

Hier soirchez Mme de Loynesles rayons Roentgen. D'abordce garçon medemande-t-il : « Faut-il annoncer monsieur ? » ou «Qui faut-il annoncer ? » Je répondstoujours avec unplaisir secret : « Jules Renard. » Et une voix formidablecrie : « Monsieur Renard ! » Et je n'entends pas crierd'autre nom. Ce serait drôle qu'on n'annonçât quemoi.

-- Jecrois toujours que Poil de Carotte va entrerme dit Mme de Loynes.

Ditbonsoir à Sarah Bernhardt qui ferme à demi ses petitsyeux de lama pour n'avoir pas l'air de me voir. Décidémentcette grande actrice me devient insupportablecomme le monde. Jen'aimerai le bon Dieu que s'il est modeste et simple. Et puisellevit trop pour avoir le temps de penser ou de sentir. Elle avale lavie. C'est de la gloutonnerie déplaisante.

Les rayonsRoentgenune plaisanterie enfantine. Ça me rappelle lesexpériences de chimie puérile de mon professeurRatisbonne. C'est beaucoup moins joli qu'un rayon de soleil. Derrièrel'écranle professeur qui dit de temps en temps : «J'ai fait cette découverte »fait passer des boîtesdes mainsdes brasdes animaux empaillésun petit chienvivantune têteune poitrine d'homme. Ce qu'on voit le mieuxc'est les boutons de manchette.

Ouioui !Ce qu'il y a de plus sérieux dans le corps humainc'est lesboutons de manchette.

On aphotographié le squelette de la main de Sarah Bernhardt. Elleest restée immobile et à genoux cinq minutestoujourscomme une grande artiste.

J'aimeraismieux être condamné à ne lire que des versjusqu'à la fin de mes jours que de voir deux ou trois fois ceGuignol de squelettes.

Maispourquoi aller dans le monde ?

Si c'estpour s'amuserquel drôle de divertissement ! Si c'est pourprendre des notesrien à faire. Ces gens-là se sontvidésles unsdans les affairesles autressur le papierles autresdans leur art. Ils vont dans le monde pour attendrel'heure de se coucher. On n'entend pas un mot drôle. Dehors ilsont laissé leur espritleurs passions. Le moindre relieftuerait ce futur candidat à l'Académie ou à laLégion d'honneur. Ils le saventet s'éteignent. Ilstâchent qu'on prenne leur bâillement pour un sourire.

Pour moije m'y sens mauvais. Je dois avoir un visage couleur de sapin. Je nedirais volontiers que des injures. Je giflerais plus d'une têteà finir par la mienne.

Barrèsme parle de son livre en trois volumes. Comme je m'étonneilme fait justement observer que ce n'est que depuis peu qu'on écritdes romans en un seul volumeet que Stendhal en faisait au moinsdeux de Le Rouge et le Noir.

-- Etpuisdit-ilon ne s'amuse qu'à faire autre chose. J'ai misquatre ans à l'écrireet je n'ai pas souffert de lasolitude.

-- Ouidis-jeparce que vous étiez déjà MauriceBarrès.

Et cettejeune femmequi est-elle ? La fillela gouvernante de Mme de Loynesou des petits chiens ? Jusqu'à quel point faut-il la saluer ?

Ah ! restedonc chez toi !

13 avril.

Écritune dizaine de remerciements complimenteurs sur une dizaine de livresque je n'ai pas lus. Honte. Fait compliment à Guiches de Snobaprès en avoir parlé avec dédain àGranier. Pour quoi ? Raconté pour la cinquantième foisle succès du Plaisir de rompreen exagérant unefois de plus.

17 avril.

Ce matinreçu une lettre de ma mèrequi me dit que mon pèrea été pris d'un étouffementqu'il a demandélui-même le médecinet que c'est une congestionpulmonairegrave.

Ah ! J'aitrente-trois ans passéset c'est la première foisqu'il me faut regarder fixement la mort d'un être cher.D'abordça n'entre pas. J'essaie de sourire. Ce n'est rienune congestion pulmonaire.

Je nesonge pas à mon père. Je songe aux petits détailsde la mortetcomme je prévois que je serai stupideje disà Gloriette :

--Surtouttoine perds pas la tête !

Je medonne déjà le droit de la perdre.

Elle medit qu'il me faudra gants et boutons noirset crêpe àmon chapeau. Je me défends mal contre ces nécessitésdu deuil que je trouvais ridicules tant qu'il ne s'agissait que desautres. Un père qu'on voit rarementauquel on pense rarementc'est encore quelque chose au-dessus de soi ; et c'est doux de sentirquelqu'un qui est plus hautqui peut être un protecteur s'ille fautqui nous est supérieur par l'âgela raisonlaresponsabilité.

Lui mortil me semble que je serai comme un chef résigné : jepourrai faire ce que je voudrai. Plus personne n'aura le droit de mejuger sévèrement. Un tout petit enfant serait tristes'il savait que personne ne le grondera jamais.

Jecommençais seulement à l'aimer. J'en parlais l'autrematin à Jules Lemaitre avec une légèretélittéraire coupable. Comme je rêverai à lui !

Petites etfréquentes envies de pleurer. On pleure ainsi parce qu'on adans la mémoire les larmes universelles que la mort a faitrépandre.

19 avril.

Il avaitun geste familier. Il s'accoudait du bras droitposait sa joue surses doigts etde l'ongle du petit doigt librese touchait une dentrentrée. Il m'a laissé ce tic. Il m'a laissé lapeur des lavements et les réponses évasives. Mon frèreet ma soeur ont hérité d'autres tics.

Les motsfilial et paternel ne signifiaient rien entre nous. Unmélange d'estimed'étonnement et de craintevoilàce qui nous reliait. J'avais le soin de dire qu'il n'était pascomme les autreset le souci de montrer qu'il ne me faisait paspeur.

Moijem'arrache les poils du nez comme il faisaitmaisplus sédentaireque luij'exagère.

2 mai.

Seuljepense à Marinette comme à une petite femme toute neuveà qui je ferais la cour. Et je pense aussi à toutes lesautres.

Hierenla quittantj'ai fait quelques pas à pied avec l'espoir dequelques frôlements. Aucune femme ne m'a raccroché.Quelques-unes m'ont seulement regardé avec des yeux quifaisaient baisser les miens. On dit que la sensibilité s'use.La mienne est plus que jamais à vif. Et puison ne naîtpas avec une sensibilité toute faite. On la fait. On lui donneune perfection extraordinaire.

Sipourtanttoutes les femmes qui m'admirentsi ces quelquesfemmes savaient que je suis seulne viendraient-elles pas me voir ?J'aurais dû faire une annonce.

Il fait undimanche ensoleillé qui me rappelle les dimanches de lycéeoù j'étais privé de sortie. D'ailleurssortije m'ennuyais davantage.

Et voilà! Moi qui appelle du fond du coeur les aventuresje me demande oùje vais aller dîner.

5 mai.

C'estbiende mépriser le monde et de s'en servirmais comme c'estmieux de le mépriser tout simplement !

LaGloriette. 10 mai.

-- Je mesens plus fort que l'année dernièredit papa.

A chaquepointe de feu il avait un tressaillement.

-- Il y ena qui crientdit-il. Ça doit les soulager. Je devraispeut-être crier.

Il dit dePaponqui a une maladie de coeur :

-- Ilparaît que ce gars-là a une peur ridicule de la mort.

Avantd'avaler une potionil dit :

-- Etquelle estselon vousla vertu de ce médicament ?

13 mai.

Latristesse de trois coups de cloche qui sonnent en plein jour.

Le rêvec'est le luxe de la pensée.

ChezPapon. Il n'y a personneque le malade. Il y a de l'eau par terreet une marmite sur un feu presque éteint. Papon a sur lesépaules un capuchon d'enfantetsous les reinspour lecalercar il est si gros qu'il défonce le matelasun manteaude la mère Nanette. Il a un bonnet de coton qui ne quitteraplus sa tête.

-- Ah !Madamedit-il à Marinettej'ai bien vieilli.

Ouiil abien vieilli. Sa barbe est tout ce qu'on veutexcepté unebarbe. Il va mourir dans la misère et la saleté. Iln'en a plus pour longtempsmaisautour de luion dit qu'ils'écoute.

Jusqu'àla nuit dernièreNanette a couché avec lui. Elle a malà un genou. Pour se tenir chaudelle a mis trois basdontune chaussette. Et elle n'est pas triste de voir Papon malade. Ellene le soigne pasdécouragée depuis longtemps pard'autres maladiesd'autres misères qui l'ont uséeetpourtantelle dit :

-- Allez !Marchez ! On va bien le sauver !

Etcesvieilles femmesje les ai connues jeunes filles. Suis-je donc sivieux ? Comment ont-elles fait pour vieillir ainsi ?

14 mai.

Le bonheurest dans l'amertume.

Si tuécris à Jules Lemaitremets sur l'enveloppe : «de l'Académie française ». Tu feras plaisir àLemaitreet à la directrice des Postes de ton village.

Je n'aiplus de joie à écrire. Je me suis fait un style tropdifficile.

Marinettedit à papa :

--Etes-vous allé à la selleaujourd'hui ?

-- Oh !dit-ilce n'est pas tous les jours fête.

Il regardeses ongles et dit :

-- C'estlongc'est jaune et noir.

--Voulez-vous que je vous les coupe ? dit Marinette.

Et elleles coupeet les nettoieen plaisantant :

-- Dieuqu'ils sont durs !

-- Il y aaussi les ergots des pattesdit mon père.

EtMarinette dit qu'elle les lui coupera demain.

Mamanquibout dans la cuisinedit tout haut :

-- Il vousen reste encore un à faire. Il faudra aller nettoyer Paponmaintenant.

Elles'exaspère ; etcomme c'est trop tôt pour s'exaspérercontre Marinetteelle s'emporte contre la bonne : cette fille qui setord parce qu'on humilie la maîtresse de maison ! Le fait estque le maître de la maison ne rate jamais le coup. A peinemaman a-t-elle quitté la chambre qu'elle entend :

-- Marieapporte une tasse de lait !... Marieun oeuf à la coque !

-- Je nesuis bonne qu'à vider les pots qu'on me passedit maman.

Marinetteveut la ménageret n'y réussit pas. Elle dit àla bonne :

-- Marieil faudrait laver ce foulard.

Et mamanse précipite :

-- Je lelaverai bienmoipuisque je ne suis bonne qu'à ça età vider les pots !

Puissoudainelle embrasse Marinette en l'appelant « Ma fille ! Machère fille ! » Elle la reconduit jusqu'à la rue.Elle veut être au courant de tout. Elle dit :

-- Ouiona joué une pièce de Jules. Ça s'appelle LeDésir de rompre. Ça a eu beaucoup de succès.Ça a été très applaudi.

CommeMarinette passe une éponge sur le visage de papamaman dittoujours de la cuisine :

-- Ah ! sivous profitiez donc de ce qu'il est malade pour le rendre propre ! Ilvivait dans une saleté honteuse. Dieu mercije lui soignepourtant assez son linge ! Il n'a qu'à ouvrir le placard et àprendre une chemiseun caleçon.

Et papa nerit même plus dans sa barbe. Qu'y a-t-il donc entre ces deuxêtres ? Une foule de petites choseset rien. Il la détesteet la méprise. Il la méprise surtoutet je crois bienaussi qu'il en a un peu peur.

Elleellene doit pas savoir. Elle lui en veut de toutes ces humiliationsdeses silences obstinés. Maiss'il lui disait un motelle luisauterait au cou avec une crise de larmesetviteelle iraitrépéter ce mot par tout le village. Maisce motil ya trente ans qu'il ne le dit plus.

17 mai.

Devantmoila campagne est d'un vert que je peux dire multicolore.

Bucoliques.-- Vous y allez tout de mêmeavec votre pioche ?

-- Il fautbiendit Michel.

-- Il nedoit plus vous en rester un seul.

-- Siilm'en reste un : une poussebien cachée sous une feuille maisil ne m'en reste pas deux. Trois gelées de suitec'étaittrop. D'ailleursla première nuit avait tout perduraisinsfruitsharicotsjusqu'aux petits pois. Jamais de ma vie je n'avaisvu geler les petits pois.

-- Il negèlera pas aujourd'hui. Les rayons du soleil brûlent.

-- Ce quiest gelé est geléet le soleil va cuire le reste. Lesprés grilleront. Si la chaleur succède au froid sanspluieça sera le coup de grâce : nous n'aurons mêmepas d'herbe cette année.

-- Il fautse résignerMichel.

--D'autant plus quesi le raisin avait échappé auxgeléesla maladie ne l'aurait pas manqué. Au moinsonest fixé plus tôtet on se console plus vite.

-- Maisalorsqu'allez-vous faire dans votre vigneavec cette pioche ?

--Arracher les mauvaises herbes avant qu'elles n'aient des graines.Autrementce serait le diableaprèspour nettoyer ma vigne.

-- Que desoins ! Siencoreelle vous rapportait...

-- Elleallait me rapporter. Voilà dix ans que je la répare. Jel'avais presque remise à neuf. Je me disais : « Elle vame payer ma peine. »

-- Elle nevous a pas encore donné de vin ?

-- Ellem'en a donné soixante-seize litres l'an dernier. Elle ne m'endonnera pas un verre cette année.

-- Etpourtant vous y travaillerez aujourd'hui comme hierdu mêmecoeurd'un bout à l'autre de l'annéeet nous nesommes guère qu'au premier bout ; età la finvous nerecevrez aucune récompense de votre travail.

-- Je netravaille pas pour cette annéedit Michel. Je travaille pourl'année prochaine.

Les arbresfont le gros dos sous la pluie.

20 mai.

Ouiquandune belle chose est dite en belle proseil lui manque encore d'êtredite en beaux vers.

21 mai.

Mauriceavait enlevé le revolver de la table de nuitsous prétextede le nettoyer. Papaqui se trouve bien ce soirdit :

-- Ildisait çamais il mentait. Il a peur que je me tue. Maissije voulais me tuerje ne me servirais pas d'un outil avec lequel onne fait que s'estropier.

--Voulez-vous bien ne pas parler de ça ! dit Marinette.

-- Jeprendrais carrément mon fusil.

-- Tuferais mieux de prendre un lavementlui dis-je.

Leurtonneau de Diogène est en zinc.

22 mai.

Les arbressont peut-être seuls à connaître à fond lemystère de l'eau.

Caille.Quel joli nom ! C'est comme une petite explosionun soupir qui montedes blés.

Papa atoujours une intelligence claire et lente. Près de luimoije ne sens plus la mienne très nette. J'ai toujours peur dedire une chose fausseet de la mal direet il doit penser :« Qu'est-ce qu'on a donc à toujours me parler de monfils ? Je ne vois pas ce qu'il a d'extraordinaire. » Il parlebaspour ne pas se fatiguer le poumonet chacune de ses parolestant ménagées fait un peu mal à celui quil'écoute. (Reprendre Les Cloportes.) Dès quemaman ouvre la porteil s'arrête. Elle entre parce qu'elle asenti qu'il allait dire quelque chose qu'elle voudrait bien savoir.Traînant sa jambe maladeelle va au placardl'ouvretouchela pile de lingefeint de chercherécouteet ne prend rien.Elle fait le tour de la tabledéplace un journal. Enfinelletrouve une tasse et l'emporte. Elle n'a rien entendu. Referméesa portepapaqui s'était promené à petitspascontinue et achève sa phrase sur le même ton.

J'ai misdans mon jeule goût d'une fortune médiocrele goûtde la pauvreté.

23 mai.

Lescolonies de l'esprit.

25 mai.

La rivièrene disait rien tout à l'heureouplutôtje nel'entendais pas. Maintenant que je l'écoute bienelleronronne comme un chat flatté.

C'est unegrande preuve de noblesse que l'admiration survive à l'amitié.

28 mai.

Une femmeélectrique qu'on n'oserait pas toucher du bout du doigt.

Lecimetière neuf. De l'herbedes fleursune seule tombeunecroix au milieu de l'unique alléeet une porte fermée.Nous ne pûmes pas entrer.

Quand lespetites filles du pays nous voient de loinelles se détournentpour sourire.

Il est bonà jouer des pièces : il serait meilleur à mettrededans.

Une gouttede pluiecomme un oeil au bout d'une antenne.

Quand vousme dites que je suis égoïstec'est comme si vous medisiez que je suis bien « moi ».

29 mai.

Dans unciel de sombres rochersde petites oasis d'un bleu clair.

Un grosnuagecomme un paquet de linge sale.

2 juin.

Tiréun gros coup de fusil sur une petite couleuvre quidélicatementposée sur l'eaudonnaitau soleilde fins coups de languebifurquée. Jolieelle n'avait pas l'air méchant. Lecoup de fusil a fait un grand trou dans l'eau. On n'a plus rien vu.On l'a vainement cherchée avec un rateau.

Il étaitpourtant nécessaire de la tuer. Sa vie ne vaut point la peurque sa vue aurait faite à Marinette.

Quellevipère vous faites ! Si jamais vous vous cassez les deuxjambesvous trouverez bien le moyen de marcher par reptation.

8 juin.

Papa a sonécharpe de maire dans une petite boîte rouge àfaux-cols du Bon Marché. Pour les mariages il l'emporteà la mairiela pose sur la table et se contente de l'ouvrir ;maisen se haussant sur la pointe du piedépoux et témoinsaperçoivent l'écharpe.

-- Celasuffitdit papa.

Jamais iln'a mis son écharpe ; et il y a des gens qui ne se croient pastrès bien mariés.

C'estbienfaisantde conduire à la gare quelqu'un qui va dans unpays où l'on voudrait aller. Voir en très peu de tempsdes visages gaiset de tristes. On a de la sympathie pour eux parceque tout à l'heure ils seront bien loin.

Revenu àpas lents par la vieille routetout seul. Une bicyclette mêmem'aurait importuné. Je sentais venir une minute de génieje veux dire : de pleine conscience. Je sentais avec allègementqu'il ne ferait pas d'orage. Je n'avais plus guère de brumeautour de la tête. Je me reprochai d'abord mes paresses du jouret mes petites lâchetés. En montant ce vieux cheminentre les églantiersces roses de villageje me dégageaisde ma matièreje me purifiais. L'air frais entrait dans monâme. Je regardais les alouettes. Me voici dans l'alléedu bois Narteaule coeur dilaté. J'étais dans lesmeilleures dispositions pour pleurer. Un rien aurait suffilamoindre apparition.

Un merles'envolanoir comme une mauvaise pensée. J'ai cherchéles tourterelles invisibles. Tout à coupelles sont partiesde l'arbre où je les entendais sans les voir.

Un son declocheet des chants d'oiseaux dont je ne sais pas les nomset quicharment ceux qui ne connaissent rien à la musique.

Comme ilfait bon ! Je rafraîchis à l'air toutes les idéesque j'ai puisées ce matin dans mes livres où l'onétouffe.

Çàet làle long de l'alléeil y a des petits villagesde fagotspressés les uns contre les autres comme des huttes.Une ombre verte s'épaissit là-bas. On a un peu peur.

Iciquelqu'un a allumé du feu ; et je m'arrêterêveurcomme un Peau-Rouge qui trouve une piste.

Làc'est le fossé d'un ancien châteaule fossé dela Dame blanche. Oh ! si elle m'apparaissaitquel tremblementquelculte sans ironie ! Comme je la suivrais docilementsur un signeaubout du mystère !

Je regardesouvent le cielmais c'est par peur de l'orage.

9 juin.

Ilsveulent toujours que ça finisse bien ! Ils feraient épouserJeanne d'Arc par Charles VII.

Jeanned'Arc. Son plus beau mot : « Je n'ai jamais tuépersonne. »

Papadevient douillet. Il se laisse soigner. Il prend régulièrementses petites pilulesqu'il trouve trop petites.

Lettre. Ilme faudrait un petit adultèreouiune courte passionnettepour une femme charmante. Vous n'auriez pas çades foisouchez vos amisou chez vous ?

Ce n'estpoint parce qu'il y a une rose sur le rosier que l'oiseau s'y pose :c'est parce qu'il y a des pucerons.

Orage. Unciel de fin de bataille.

Des hommescomme papa n'estiment que ceux qui s'enrichissentet n'admirent queceux qui meurent pauvres.

Parfoisj'ai la grâce suffisante : il me la faudrait continue.

12 juin.

Les boeufsqui s'avancent lentementcomme des juges en mangeant l'herbe. Lematinils sont à un bout du préet ce n'est que lesoir qu'ils sont à l'autre bout.

-- Vousavez fini votre livre. Maintenantqu'allez-vous faire ?

-- Je vaisle continuer.

Latristesse de ce moulin inhabité ! L'écriteau qued'abordde la routeon essayait de lireet que plus personne nelit ! Les portes ferméesl'herbe qui pousse dans la courplus de pigeons sur le toit. Maisvenue la nuitla rivièrefait du bruit : c'est la roue du moulin qui se met à tournertoute seuleau clair de lune.

Pièceà faire. Le héros serait un agriculteur.

Une femme.Des cheveux rougesdu son sur une peau blanche et fine. Pasdésagréable à regarder siau lieu de dentselle n'avait dans la bouche de gros grains de mortier.

Papa etles ventouses. Six verres à bordeaux étaient déjàrangés sur la tablemais le docteur apporte de vrais verres àventouseset maman enlève les siens.

Papa semet sur le côté droit. A une bougie le docteur allume unmorceau de papier qu'il met dans la ventouseet colle le verre surle dos. Aussitôtla peau gonfle comme quand on s'est fait unegrosse bosse au front. Six petits verres de la même façonet papa reste un quart d'heure avec ses petits verres au dos.

Il a l'aird'un marchand de coco.

Tout celane vous intéresse peut-être pas beaucoupmaisenfinc'est le dos de mon père.

Lesmédecins prononcent certains mots techniques qui les étonnenteux-mêmesaprès lesquels ils n'osent plus rien dire.

Ce dosavec ses pointes de feu roussesses sombres carrelages devésicatoires et ses lunes violettes de ventousesettout aubasaux reinsun énorme grain de beautéetplus basencorede longs poils rareset fins comme des cheveux.

Des fessesvides et dont les plis semblent les plis de vieux sacs.

Quand ildortle bout de son nezses pommettes et ses ongles deviennentviolets. Le sang n'y va plus.

Il s'esttoujours lavé la tête dans un verre d'eausedébarbouillant avec le creux de sa main.

Il s'esttoujours brossé les cheveux frénétiquement.

Il n'ajamais porté bretelles ni bague.

Il n'ajamais mis de chemise de nuitcouchant avec sa chemise de jour.

Il s'esttoujours coupé les ongles avec un canif.

Il nes'est jamais couché sans lire son journalet jamais sanssouffler sa bougie.

Il n'ajamais mis son caleçon et sa culotte séparément.

Bucolique.Icion fauche les cheveux.

Ses pattessous le ventre comme dans un manchonle chat se chauffe sur le mur àun rayon de lune.

13 juin.

Je suis unréaliste que gêne la réalité.

Clair delune. La douce chaleur de la lune pour malade. Une fleur trompéese sentit éclore.

Le chienqui a un collier de pointes n'en sait rien : il croit à saforce.

Il y a desarbres qui ont l'air méchantqui ont l'air d'avoir des âmestordues.

Ah ! parquelle tension de cerveau échapper à la mort ?

L'air dereproche et de menace d'une femme qui mendie avec un enfant sur lesbras.

Prendsprends des notes ! Tu les rumineras l'hiver.

Rêverie.Je ne sens plus la terre. Ce son de cloche me paraît venir dela lune.

La lunenous regarde avec son monocle.

Assaillid'idées malsainestelles que : « Si toute ma famillesi tous ceux que j'aime par devoirdisparaissaient brusquement... Sij'étais seulenfin... »

J'aitoujours dans ma poche un La Bruyère que je n'en tire jamais.

Rien nevieillit comme la mort d'un père. Tiens ? C'est moimaintenantle père Renardet Fantecqui étaitpetit-filspasse fils.

Un petitnuage au cielcomme une oie égarée.

La dame decompagnie qui vous accueille avec un bon sourire : c'est peut-êtrevous qui aurez des égards pour elle.

Lesétoilescomme de petits yeux qui ne s'habituent pas àl'obscurité.

Toutes mesjournées pleineset mon âme toujours vide.

Ouiouiune petite femme qui garderait les vaches et lirait La Revueblanche.

On ditd'un auteur qui n'a pas de ficelles : « Il ne sait pas lethéâtre »et d'un qui sait le théâtre: « Oh ! il a des ficelles. »

14 juin.

Pas degéniemais de petits génies éphémères.

Vava !Cherche la main divine qui nous tend l'hostie de la lune.

15 juin.

L'hommecette taupe de l'atmosphère.

Les livresfrais qui sentent le cadavrela charogne.

J'ai malaux idées. Mes idées sont maladeset je n'ai pas hontede ce mal secret. Je n'ai plus aucun goûtnon seulement autravailmais à la paresse. Aucun remords de ne rien faire. Jesuis las comme un qui aurait fait le tour des astres. Je crois quej'ai touché le fond de mon puits.

AprèsLe Plaisir de romprej'ai cru que je devais faire grand. J'ailaissé les petites Bucoliques. Je voulais écrire troisquatre actes. Avec quoi ? Le jeu de cinq ou six personnages crééspar mon imagination me paraît bêteinsignifiant. Je nepeux sans doute travailler que sur moi-même. Mais oùprendreen moila matière de trois actes ? Ah ! desaventuresdes aventures !

Et ceJournal qui me distraitm'amuse et me stérilise !

Jetravaille une heureet tout de suite je sens une dépression ;et même d'écrire ce que j'écris làm'écoeure.

Ni lesTaineni les Renanne nous ont parlé de ces dégoûtsde ces maladies cachées. Ne les connaissaient-ils pas ?Ont-ils eu la pudeur de ne pas se plaindreou la lâchetéde ne pas voir clair en eux ?

Qu'est-ceque je veux donc ? Parcourir le monde ; mais il faudrait êtreillustreetd'abordil faudrait travailler pour le devenir.

Et prendsgarde ! En ce moment mêmetu te forcestu fais des phrases.Tu n'es déjà plus sincère. Dès que tuveux te regarder dans une glaceton haleine la brouille.

Etj'entends la bonne qui demande :

-- Quellesoupe qu'on faitmadame ?

-- Commed'habitude.

Oui ! Ilfaut tous les jours faire de la soupeetaux légumes prèsc'est tous les jours à peu près la même.

16 juin.

Son âmeprend du ventre.

Lestourterelles propres dont le jupon blanc dépasse un peu sousla queue.

Des arbresà gros ventre et à toute petite tête.

Poèteavec une raison saine.

Êtreun Loti de village.

18 juin.

Papa vadans le jardin s'asseoir sous les noisetierset il ne s'est pasaperçu qu'il y a près de lui un nid de fauvettesunautre de pinsonsun autre de chardonnerets. Faut-il qu'il soit peudru !

Papon vamieux. Ce matinil a voulu piocher ses pommes de terremais il n'aplus la force de diriger sa pioche. Elle retombe où elle veut.Il ne peut plus rester à la maison.

19 juin1897.

Une heureet demie. Mort de mon père.

On peutdire de lui : « Ce n'est qu'un hommeun simple maire de pauvrepetit village »et cependant parler de sa mort comme de cellede Socrate. Je ne me reproche pas de ne pas l'avoir assez aimé: je me reproche de ne l'avoir pas compris.

Aprèsdéjeuner j'écrivais quelques lettres. Le timbre de laporte cochère sonne. C'est Mariela petite bonne de papaquivient me dire qu'il me demande. Pourquoielle l'ignore. Je me lèveseulement étonné. Peut-être plus inquièteMarinette dit : « J'y vais. » Sans me presser je mets messouliers et gonfle mes pneumatiques.

Arrivéà la maisonje vois maman dans la rue. Elle crie : «Jules ! Oh ! Jules ! » J'entends : « Pourquoi s'est-ilenfermé à clef ? » Elle a l'air d'une folle. Apeine plus agité qu'avantje veux ouvrir la porte.Impossible. J'appelle : il ne répond pas. Je ne devine rien.Je suppose qu'il s'est trouvé malou qu'il est au jardin.

Je donnedes coups d'épauleet la porte cède.

De lafumée et une odeur de poudre. Et je pousse de petits cris : «Oh ! papapapa ! Qu'est-ce que tu as fait là ? Ah ! benvoilà ! Oh ! Oh ! » Et pourtantje ne crois pas encore: il a voulu plaisanter. Et je ne crois pas à son visageblancà sa bouche ouverteà ce qui est noirlàprès du coeur.

Borneauqui revenait de Corbignyet qui est entré le second dans lachambreme dit :

-- Il fautlui pardonner ! Il souffrait tropcet homme-là.

Pardonnerquoi ? Quelle idée ! Je comprends à présentmais je ne sens rien. Je vais dans la couret je dis àMarinette qui a ramassé maman par terre :

-- C'estfini. Viens !

Elleentredroitetoute pâleet regarde de traversdu côtédu lit. Elle étouffe. Elle défait son corsage. Ellepeut pleurer. Elle ditpensant à ma mère :

--Empêchez-la d'entrer. Elle est folle.

Nousrestons tous deux. Il est làcouché sur le dosjambesétenduesbuste inclinétête renverséeboucheyeux ouverts. Entre ses jambesson fusilsa canne du côtéde la ruelle. Ses mainslibresavaient lâché la canneet le fusil. Elles étaient encore chaudes sur le drappascrispées. Un peu plus haut que la ceintureune place noirequelque chose comme un petit feu éteint.


26juin.

Non ! Ilne nous avait pas prévenus. Nous parlions souvent de la mortpas de la sienne. Il nous eût fallu des vertus romaines. Il lesavait peut-être ; elles nous auraient manqué.

Je seraisun coupable et un sot si je ne savais pas dégager de cettemort la belle leçon qu'elle nous donne.

On ne peutpas pleurer et pensercar chaque pensée absorbe une larme.

28 juin.

En sommecette mort a ajouté à mon orgueil.

Le 21juinà une heureon sort le cercueil par le jardin pour quemaman et ma soeur n'entendent rien. Des gens attendent sur la route.La plupart ont l'immortelle rouge à la boutonnière. M.Hérisson est là. Je dis :

-- Nousvous remercions spécialement d'avoir bien voulu venir.

Je sorsdans la rue. Je crois que tout le monde me regardequ'aprèsmon père c'est moi le plus important de la cérémonieet qu'il faut faire une figure. Je la sens dure.

Ons'ébranle. Les dix conseillers municipaux se relaient pourporter le cercueil. Contre son bois on entendà chaque pasbattre les poignées de métal.

On passedevant la mairie et devant l'église. Le soleil nous chauffe latête. Par toutes les routes il arrive du monde en retard. Dansune voiturele père Rigaudmaire de Marignyâgéde 84 anset son fils qui a l'air plus vieux que lui.

Lecimetière. La fosse est làdans un coinprèsde la route.

M.Billiard prend la parole et lit d'une voix claireà effetsson adieu écritme regarde après chaque phrasedit «ses constitutions » au lieu de « ses concitoyens »puis tout à coup s'arrête : un feuillet s'est égaré.Long silenceun peu de malice dans l'air. Il improvise ou récitela fin. M. Hérisson lui succèdeettrès émudit trois mots. Pendant tout celaje me passe fréquemment lamain sur la tête. Le soleil me fait mal.

On attend.Plus rien. Je voudrais expliquer le sens de cette mortmais plusrien. On jette les immortelles dans la fosse. Un peu de terres'éboule. Pas de défilé pour nous serrer lesmains. On commence à s'éloigner. Je reste làjereste là. Ah ! misérable cabotin ! Je sens que je lefais un peu exprès. Pourquoimisérable ? Tout le restede mes sentiments n'est-il pas de moicomme ma tristesse ?

Tous cesgens avaient l'air peu rassuré de prendrepar décencepart à cette cérémonie sans prêtre. C'estsans doute le premier enterrement civil de Chitry.

2 juillet.

Jel'emmène promener avec moi à la pêchepartout.

Marinettequi devait me remonterpleure.

Ilsemblait être de son jardincomme les arbres.

Il nemarchait plus : il glissait.

3 juillet.

Quelquefoispar imitation macabreje m'arrête au milieu de la routeetj'ouvre la bouche comme il l'avait ouverte sur son lit.

Pour lapremière fois depuis qu'il est enterréj'ai passéprès du cimetière. Je me suis arrêtémachinalement. Ainsiil est làà quelques pasdel'autre côté du murcouché sur le dos et rongédéjà.

Il ne nousa pas donné un spectacle de décrépitudedesorte qu'il me parait s'être tué en pleine forceplusforte que moi.

7 juillet.

Ma paressetrouve au souvenir de sa mort un aliment et une excuse. Je n'ai plusde goût qu'à regarder l'image qui me frappa siterriblement les yeux.

Je ne peuxplus lire. Que vaut la plus belle des phrases après une belleaction ?

Ce sera lagrande écluse de ma mémoire.

Je n'aiqu'une imagination rétrograde. Je n'imagine que le passé.

9 juillet.

Noussommes allés aux Settons voir tomber la pluie. Blésvéritablement hachés par la grêleou plutôtpiétinéset les épis broutés par untroupeau de bêtes. Il n'en reste pas un. Ces pauvres maisonsisolées sous l'orage.

Sur larouteune troupe d'oies qui semblent garder une petite fille. Plusloinune autre en garde une autremais qui lève la têteet c'est une vieille femme. L'oie qui sert de guide aux autres porteun petit bâton attaché à son cou. On diraitqu'elle a un petit balancier pour se tenir en équilibremaisc'est pour l'empêcher de traverser les haies et de faire desdégâts dans les champs.

Ceschampscomme des pièces rapportées au flanc descoteaux recousues avec leurs gros ourlets de haies.

Cesmaisons isolées sous les oragessi elles brûlaientonne s'en apercevrait peut-être jamais. Deux ou trois petits quijouent entre eux et qui n'en connaissent pas d'autres.

Chaquemaison abritée par un ou deux arbres. Ces existences espacéesqui communient à peineà quoi servent-elles ? Mais àquoi sert la mienne ?

Une truievénérable dont le ventre tout entier est garni demamelles.

Desvieilles qui doivent être muettessourdeset qui ne nousregardent même pas.

AuxSettonsle pied-à-terre tenu par Mme Seguin. C'est làqu'est mort Charcot. La mère de Mme Seguin nous dit :

-- Mafille a été admirable de dévouement. M. Charcotest mort dans ses bras.

-- Dansmes bras ! Qu'est-ce que tu dis doncmaman ? fait Mme Seguin quinous sert à table. Je n'y ai même pas touché !

La vieillecontinue :

-- Noussommes du même âge avec M. Charcot. Nous avons causé.

Ce «Nous avons causé » ennoblit sa vie. Sa filleun typeredoutéune sorte de Madame Angot d'affairesun type de LéonCladelqu'elle dit avoir connuâpreautoritaire et bavarde.Tiendrait le crachoir dans un salon. Iciparle avec distinctionfait de l'espritdes phrasesau milieu des roulierset jouit deses succès. Dit :

-- Nousavons eu un mondela semaine dernière !

Et diratout à l'heureen faisant sa note :

-- Dame !Il passe si peu de monde ici ! On se rattrape.

Parle deCharcot comme de sa famille. Elle regrette moins son mari«dont la maladie lui a pourtant coûté plus de cent millefrancs »que cet homme célèbre.

Quand uncheval pète en sortant de l'écuriec'est bon signe :il marchera bien. Le nôtre bat le briquet avec ses ferset cebruit me berce. Parfoisil s'arrête. On attend qu'il pissequ'il fasse quelque chose. Maisrien. Il repart. Il ne s'arrêtepeut-être queparce que traversé d'une lueur de raisonça l'agace de nous tirer ainsi sans fin.

Des nuagestraînent sur le Morvan. La nue essaie des écharpes.Celle-là ne va pas : à une autre ! C'est toujours unétonnement de rencontrer des êtres là oùnous ne vivons pas.

Chez MmeSeguin. Notre carpedont le fiel avait crevéétaitamère à nous faire verdir. Cependant lorsque Mme Seguinnous dit : « Comment la trouvez-vous ? Elles sont renomméesles carpes des Settons ! » aucun de nous n'eut l'audace de lacontredire ; et deux pauvres vieux qui mangeaient à la mêmetable que nous pensèrent sans doute : « C'est un goûtque doivent avoir les carpes renommées »tant MmeSeguin inspire de crainte.

Elle afait une maladie de la mort de Charcot ; elle est même un peubrouillée avec ceux qui l'accompagnaientparce qu'elle trouvequ'on n'a pas rendu à cet homme les honneurs qu'il méritait.

Desmaisons qui n'ont pas de voisinsavec des fenêtres qui n'ontpas de rideaux.

Il mesuffit de voir au bord du lac une grosse fille -- si rouge quesi onlui donnait un coup d'aiguilleil en sortirait en abondance de l'eaurougie -- pour que je rêve de vivre avec cette fille au bord decet étang.

Et cettecabane de cantonnierun rocher à peine creusén'yserais-je pas mieux que dans ma maison ?

10juillet.

La peur dela mort fait aimer le travailqui est toute la vie.

Soncimetière. Des coquelicotsde hautes herbes où lesperdrix viendront se remiser. Un long ver sort de la terre remuée.Quelques fourmis. A chaque instant j'oublie qu'il est làqueje marche sur lui.

Si loinque la vie m'égarela mort me ramènera près delui.

Nous luiavons fait comme une petite cage de bois blanc.

Déjàje peux retenir ma part de terre.

Assis àl'ombre étroite du murje tâche de me le rappeler.

J'use sonsouvenir.

Les fleursdeviennent laides sur une tombecomme de vieilles enseignes demauvais cabarets.

13juillet.

Sa tombene m'attriste passans doute parce qu'il y est. Maisquandde larouteje regarde la maison où il s'est tuésa maisonet que je ne le vois pasde dosassis sur son murles brascroiséset que je ne vois pas sa barbe blanche sous sonchapeau de pailleje suis triste qu'il n'y soit plus.

Maurice medit :

-- Unjourje te ferai le coup. Je me mettrai à sa place sur lemur.

Et s'ils'était manqué ? S'il ne s'était qu'abîmé? S'il n'avait pas eu la force de se tirer le second coup ? S'ilm'avait criéavec du sang et des larmes dans la bouche : «Achève-moi ! » Qu'aurais-je fait ?

Aurais-jeeu la grandeur de prendre son fusilou de l'étouffer enl'embrassant ?

16juillet.

Il disaitde sa petite bonne :

-- Je nela changerais pas pour une princesse.

Baïedisant avant sa mort :

-- Si onlui achetait quelque choseà grand-père ? Unecouronne...

Mon père(21 mai. Recopié.) En m'approchant de son lit pourl'embrasserje mis les pieds dans le pot. Le temps de regarder ceque j'avais fait et de dire « Oh ! » et mon baisers'était refroidi. Ma surprise de le voir mieux.

-- Ilfaudrait promener une bassinoire dans la chambredisait-iloubrûler du sucre pour chasser l'odeur.

-- On s'yhabituedit Maurice.

-- Ons'habitue aussi à l'odeur du sucredit doucement mon père.

Moitiéde cuillerée à bouche toutes les trois heuressaufselles diarrhéiques.

En maqualité d'homme de lettresc'est moi qui inscrivais le nomdes boîtes ou des flacons à acheteret je n'osais pasdemander au médecin l'orthographe des mots difficiles.

Il dortassis sur son litnarines ouvertesson madras rougeblanc et bleunoué autour de la têteson lorgnon sur le nezlesmains sur le ventreetdans ses mainsle journal L'Éclairretombé sur l'édredon.

Aprèsla visite du médecinnous nous concertions sur son étatet ma mère s'approchait pour entendre : elle avait encorel'air d'écouter aux portes.

Il disaitnarquoisement au médecin :

-- Jeviens de manger une omelette au lard avec des fines herbes.

Cetteespèce de joie au champagne que donne le « Ça vamieux ! » d'un moribond.

Philippeme dit :

-- AParisvous êtes comme des oiseaux en cage bien soignésmais toujours prêts à s'envoler.

Mon père.La diarrhée le dégoûtaitet il a étébien heureux quand il a pu péter ferme.

La voixdes vieillardsqui est une voix sans ossans arêtes.

Mallarméécrit avec intelligence comme un fou.

20juillet.

Et déjàje suis obligé de faire la nuit sur mes yeux pour le voir.

21juillet.

Oh ! pasmaintenant ! Mais je sens bien queplus tarddans un moment dedégoût absoluce que Baudelaire appelle « lamorne incuriosité »je ferai comme lui. Petitecartouche vide qui me regardes comme un oeil crevé !

Que jamaison ne dise : « Son père fut plus brave que lui ! »

24juillet.

Papon estmort hier soirà dix heures. Il aurait pourtant bien voulutravailler encorecouper son blé lui-mêmecar son bléne vaut pas ce que lui coûterait un autre homme pour le couper.

Quand il adû reconnaître quedécidémentil nepouvait plus travailleril a dit à Marinette :

-- Jecrois qu'on va finir par être malheureux.

Dèsqu'ils sont maladesils préféreraient êtremorts. C'est de la vie si triste qu'on n'ose pas en faire de lalittérature. Quand ils se voient maladesils disent aux leurs: « Ah ! bienje vais vous en fairede la coûtance ! »

Et lapharmacie ! S'imagine-t-on que les plus richesc'est-à-direceux qui mangent tous les jours de la soupe au lardpeuvent se payerdes flacons de huit francs ?

Ilsempruntent mille francs pour acheter un peu de terreet jamaisjamais ils ne peuvent faire mieux que de payer les intérêtsde cet argent. C'est une dette à vie. Ils ne se défientpas assez du notaire sans lequel ils n'osent rien conclureetpourtant les notaires se paient d'avance.

Ons'offusque de leurs vicesde leurs défautsde leurssournoiseriesde ce qu'ils boiventbattent leurs femmes. On oublieque la misère leur donne droit au crime.

Ce quiétonnait le plus Papon dans la mort de mon pèrec'estquesi bien soignéil se soit tué.

-- Sij'étais soigné la moitié aussi bien que défuntM. Renarddisait-il à Marinetteon ne verrait pas ma fin.

Ilmangeait des pleines « terrasses » de soupeet ensuiteil se plaignait d'être gonflé.

Un matinà trois heuresil se sentait bien. Il se levaitvoulantaller couper son bléet sa femme lui faisait chauffer unreste de café.

Mon pèreavait du coeurmais son coeur n'était pas un foyer.

26juillet.

Sa mortm'avaitpour un tempsdéraciné.

Ici onbrûle la paillasse d'un mort : c'est une mesure de santé.Bien entenduon garde la toile. On ne brûle que la pailleetl'on ne touche ni au matelasni au reste de la literie.

Les vieux.Celui-là sent comme un petit « grillonnement »dans la tête. L'autre vient de perdre un petit-fils aurégiment. L'autre vient d'avoir le pied écrasépar une bûche de bois. Un autre a un mal de dents perpétuelet il a appris à jouer du violon pour se calmer.

Philippedit à mon père :

-- Vousêtes du même âge que mon père.

-- Ah ?Quel âge aurait-il donc ?

Philippecalculebat ses chiffres et dit :

-- Ilaurait cent sept ans.

Sans avoirl'air de plaisanterpapa répond :

-- Onvieillit peut-être plus vite quand on est mort.

-- Jevoudrais bien avoir une belle maladie comme çamoilui ditMauricequi tapote l'édredontire l'oreille d'un oreilleret ajoute : « Es-tu bien ? Si tu as besoin de quelque choseilfaut le dire. Ne crains rien !

-- On voitbien que Jules n'aime pas ça ! dit mon père.

Et il ditque je m'écarteque je pousse Maurice du côté duvase. Et il va falloir que je me maintienne le nez sur le vasepourprouver à mon père toute mon affection.

On dit àune vieille cousine de la campagne : « Venez donc déjeuner! Nous sommes bien contents de vous voir. » Mais on ne lui ditpas : « Donnez-moi votre bras et allons nous promener par lesrues. »

Châteaude Chastelluxprès d'Avallon. Ce doit être un châteaupour Maeterlinck. Sept enfants y sont nés sourds et muets.Pourtanttous ont trouvé à se marier ; mais ils semettent dans des colères épouvantables. C'est àforce de se marier entre cousins et cousines qu'ils ont fini par neplus rien entendre et ne rien voir. Cependantil arriva que le pèrelaissa tomber une bûche de bois près du berceau dudernier des Chastellux. L'enfant eut peur. Le père leva lesbras au ciel et lui rendit des actions de grâces.

Les motsqu'il me cite de son enfant me font trouver bien les mots que je citede mes enfants à moi.

Il a uneconception de son art qui devient tout de suitepar un légerdéplacementcelle de son argent.

Il vientde recevoir une gifle qu'il ne rend paset il aperçoit ungosse qui se tord. Il va à lui et lui ditfurieux :

-- Vousaussivous voulez une gifle ?

Seul àParisje suis comme un veuf qui aurait l'avantage de croire àla résurrection.

Je n'aiaucun plaisir à éprouver des impressions ; de làune continuelle peur de la vie. Je n'ai de plaisir qu'à lesnoter.

Ilembrasse sa bonne et se sauvepuis il la fait mettre à laporte.

27juillet.

Larivière. Les moignons des bûches se lèventdouloureusement.

Un rochera de la mousse. Mon père n'avait pas de tendresse visibleetil ne disait jamais merci.

Les herbessuivent longtemps le sillage du bateau sur le canal.

Lesmoutons et leurs petites têtes à la FrançoisCoppée.

Les millepattes du troupeau de la pluie.

Une étoilescintille comme si elle était en voiture.

Un pigeonheureux d'avoir fait un oeuf aussi gros qu'un grêlon.

L'oielecanard s'en vontles coudes bien au corps.

Leschampignonsgros boutons de la prairie.

Promenadeà Asnan. Des clochersdes croixdes cimetières. Unecroix noire avec un christ doré qui fait mal aux yeux. Petitschamps soigneusement clos.

Ettoujours cette stupéfaction de voir qu'il y a des êtresqui vivent là ! Une vieille dame très biensur leseuil d'une maison très propretricoteet nous accorde àpeine un coup d'oeil. C'est la première fois que nous voyonsces paysqui nous attendrissent. Nous ne sommes pas des coureurs.

Tous cespays où mon père a chassé ! A chaque instantjem'y croyais égaré. Làil a tué unlièvre. Dans cette haienous avons perdu une perdrix rouge.

Montenoisonun des points culminants du Nivernais.

Le feud'une forge. Un cavalier en gants blancs. Tout de suite : vie dechâteauimages de richesse et de bonheurchâtelainecharmante.

30juillet.

--Rosalieapportez-moi ma carte céleste et ma lanterne quej'étudie un peu les étoiles !

Un hommeciviliséc'est celui qui aime mieux recevoir un coup de poingqu'une gifle.

Ces piècesde versce sont des coques videset l'on met Sarah Bernhardtdedans.

Ilfaudrait qu'on pût me relire avant de me lire : on m'aimeraitbien mieux.

Orage.L'éclair ne voit pas clair.

Un jolipetit enfant qui s'amusait sur un tas de fumier.

Mes motsferont fortune ; moi pas.

Heureuxles cochons qui occupent toute leur tête à mangeret neparlent qu'avec la queue !

Baïe.Sa poupée est morte hiermais aujourd'hui elle va mieux.

N'osantpas aller voir un serpent qui est mortelle dit à une autrepetite fille :

-- Labonne va vous mener voir le serpent. N'ayez pas peur ! Ce n'est pasune bête méchante : elle est morte.

-- Venezavec moi.

-- Oh !moije les aime mieux vivants.

Mon père.Le lendemainje me lève de table pour aller pleurer. C'est lapremière foisdepuis vingt heures que je le veille. Des flotsde larmes me montaient aux yeux : pas un n'avait pu sortir.

Quellebelle mort ! Je crois ques'il s'était tué devant moije l'aurais laissé faire. Il ne faut pas diminuer son mérite.Il s'est tuénon parce qu'il souffrait tropmais parce qu'ilne voulait vivre qu'en bonne santé.

Il auraitdû me le dire. Nous nous serions entretenus de sa mort commefaisaient Socrate et ses amis. Peut-être en a-t-il eu l'idée.Mais je sais bien que j'aurais été stupide. Je luiaurais dit : « Tu es fou ! Laisse-moi tranquilleet parlonsd'autre chose. »

Je crainsmoins la mort. Je crains déjà moins l'orage. (Ce n'estpas vrai.)

Magnifiqueexemple ! Et plus de duel : je me tuerai moi-même quand jevoudrai. Il y a du plomb dans ma vie : les chevrotines de sa mort.

La pievoletaitvêtue en soeur de charité.

D'autresne s'écoutent pas parler : eux ne se voient pas écrire.

1er août.

Un petitgarçon qui traite une petite fille de vieille menteuse.

La terrerapiécée comme une culotte de pauvre.

Claretieet son style humide qui se décolle tout le temps.

S'il faitbeau et que mon baromètre baisseje ne goûte plus lebeau temps.

La mort demon pèrec'est pour moi comme si j'avais fait un beau livre.

4 août.

Les nuagessont comme les penséesles rêveriesles cauchemars duciel.

C'estassez singulier qu'aucun de nous ne sache sa grammaire etpour êtreécrivainne veuille apprendre à écrire.

5 août.

Je suis unhomme du Centre de la Franceà l'abri des brumes du Nord etdes coups de sang du Sud. Ma cigalec'est la sauterelleet masauterelle n'est pas symbolique. Elle n'est pas en or. Je la prendsdans les prés au bout des brins d'herbe. Je lui ôte sesgrandes cuisses et m'en sers pour pêcher à la ligne.

6 août.

Je n'aiqu'une mémoire instantanée.

-- Sij'apprenais quelque chosedit-elleje deviendrais tout de suitetellement exigeante qu'il ne pourrait plus rien faire avec l'autre.

11 août.

On a huitjours pour répondre à une lettre.

-- Oh !pas quand cette lettre est une demande d'argent.

Les arbresdans la brumecomme un cortège de deuil.

31 août.

-- C'estdrôledit Baïe. Je n'ai jamais vu la figure d'un ver ; jene me rappelle pas où sont ses yeux et ses oreilles.

Elleoublie sa misère à force de bavardage. Elle fait vivresa famille avec 9 francs par mois. Elle paie 500 francs de dettes paran sans que les siens le sachent. Ruinée par son frèreelle reste pleine d'admiration pour lui. Comme elle a une excellentevueelle fait des ouvrages de broderie très finset elle seles fait payer dix sous parce que ça ne se voit pas. Tousprofitent de sa bêtisede sa bonté.

Chaquefois qu'elle va voir une amieelle a la délicatesse de mettreles vieilles affaires que cette amie lui a données. Elle a unegarde-robe bien montée età chaque instantchange detoilette.

Tout lemonde est bien bon pour elleet elle n'a aucun mérite.

16 août.

Hierdistribution solennelle des prix de l'école de Chaumotsousla présidence de M. Guillemain de Talon. Nous sommes lesgénéreux donateurs. Tous ces petits avaient la fièvre.L'institutrice elle-même se troubla et diten regardant mesprix : « Quelqu'un les a dérangés. »

D'abordla plus grande des petites filles se levaregarda l'institutrice quilui dit de faire face à M. le maireet récita duVictor Hugo. Je ne reconnus pas mon grand homme : il n'en restait àpeine que du RatisbonneJe donnai le signal des applaudissements.Elle eut le prix d'honneur des filles etpendant toute la séancegarda sa couronne verte sur la tête. Moije m'affermissaisdans mon rôle d'étranger riche et bienfaisant. Marinetteétait si troublée qu'elle répondit : « Oui! » à l'institutrice qui lui disait : « Comme vousêtes gentille d'être venue ! »

M. lemaire prit la parole et dit des choses très gracieuses auxaimables habitants de La Gloriette. Il crut peut-êtreque j'allais lui répondremais je n'avais rien préparé.Malgré l'envie que j'en avaisje n'osai improviser.

J'avaiscommencé par m'asseoir sur la chaise de M. le maire.L'institutrice me dit qu'elle était réservée. Lachaise de M. le maire se distinguait des autres en ce qu'elle avaitaux pieds une descente de lit.

6septembre.

Dieucomprend tout. Il refusera de m'ouvrir la porte du ciel si j'ai faitune faute de français.

Ces raresinstants où l'on est heureux de partout.

9septembre.

Pour bienfairetu as encore trop le désir de bien faire.

17septembre.

Moi quin'aimais pas la chasse et qui n'y voyais qu'un jeu de barbaresvoilàque je l'aime pour faire plaisir à mon père. Chaquefois que je tue une perdrixje jette de son côté uncoup d'oeil qu'il comprend bienetle soiren rentrantsi jepasse devant la porte de son cimetièreje lui dis : «Tu saismon vieuxj'en ai cinq ! »

Oh !étrangler une perdrixlui serrer le cousentir entre sesdoigts cette petite flûte de vie !

Maissije rentre bredouilleje tâche de ne point passer devant laporte du cimetière.

28septembre.

Retour àParis. -- Mon père et moinous ne nous aimions point par ledehorsnous ne tenions pas l'un à l'autre par nos branches :nous nous aimions par nos racines souterraines.

29septembre.

Bucoliques.Le pharmacien sur sa porte dit qu'il y a quelque chose de brouillédans l'ordre des saisons.

Des hommesont l'air de ne s'être mariés que pour empêcherleurs femmes de se marier avec d'autres.

30septembre.

Je voistrop vraiet les yeux me font mal.

Comme onajoute : « C'est authentique » ou « textuel »pour faire rire d'un mot qui n'a pas porté.

La fêtede Marinette. On attendait mon père. Il arrivales mainsderrière le dos. Il lui tendit quelques brins de violette.

-- Je n'enai pas souvent donné comme çadit-il.

Mon père.Si je l'oublie trop longtempstout à coup son image saute surmoi.

Bucoliques.On arrache les pommes de terreet la terre dégarnie semble neplus attendre que la neigepour que ce soit l'hiver.

Je peuxvivre un jour ou mille années : je ne reverrai plus mon père.

J'arrive àla sécheresse idéale. Je n'ai plus besoin de décrireun arbre : il me suffit d'écrire son nom.

Il a unedent gâtée contre moi.

Je me sensparfois les inquiétudesles fourmis du critique.

Je jetteune lueur par anpuis je m'éteins.

Lavieillessec'est quand on commence à dire : « Jamais jene me suis senti aussi jeune. »

Oh ! ceson grave des clochescomme si les morts eux-mêmes tiraient lacorde avec leurs pieds !

Si laFrance est maladequ'elle prenne quelque chose de chaudle soirense couchant !

C'estdimancheaujourd'huidans les feuilles du chêne.

Un bourdonfait le bruit d'une fête.

C'est siennuyeuxle deuil ! A chaque instant il faut se rappeler qu'on esttriste.

Le tempsn'est pas si lointain où j'adressais des vers à ArmandSilvestre.

Quand laparesse rend malheureuxelle a la même valeur que le travail.

Des hommesmeurent de vieillesse à quarante ans.

Bucoliques.Le feu de bois. Toute cette fêtetoute cette vie ! Puis cetteagoniepuis cette mortcette déboulée des bûches.

Lalanternecette grosse dame hydropique qui ne sort que le soir.

--Pourquoi écrivez-vous la mort de votre père ?

--Aimez-vous mieux que je vous parle de Venise ? Mais je n'y suisjamais allé !

Mon âmeest un vieux pot de chambre où dort un oeil.

Un livrec'est déjà une borne.

Je mesurmène de paresse.

Jecommence à être célèbre : on vient metaper.

On ne mefera sortir de la Nature que par la force des baïonnettes.

C'estétonnantcette manie des gens qui ont réussi àParis de conseiller aux autres de rester en province !

1eroctobre.

L'hommeproposeet la femme dispose.

Verlaineses derniers vers. Il n'écrit plus : il joue aux osselets avecdes mots.

Avec de laprudenceon peut faire toute espèce d'imprudences.

Oh !n'importe quelle femmeça m'est égal. On a beau êtredeux : l'amour reste solitaire.

4 octobre.

Lespauvres en redingote. Ils vous demandent une situationet ilsemportent cent sous. Le dernier allait sortir. Il s'excusait dem'avoir dérangé. Il ne m'avait pas demandé autrechose qu'une situationmais il m'avait dit ne savoir oùcoucher ce soirni quoi manger. Il m'avait amené à luioffrir timidement cent sous.

Théâtre.Ces espèces de pièces où c'est la façondont ce n'est pas dit qui est drôle.

Moi aussij'ai voulu laisser flotter ma chevelure au gré du vent. Hélas! Le vent n'a rien voulu savoir.

J'ai déjàla peur de ne jamais avoir le courage de faire comme mon père.

5 octobre.

Nem'accusez pas de mentir ! Du point de vue de la véritéce que je dis n'a pas plus d'importance que ce que j'écris :c'est toujours trop littéraire.

8 octobre.

Ah ! commeje me reproche mon visage dur et ironique pendant qu'il étaitmalade ! Pèreje te demande pardon !

9 octobre.

Lemaitre al'air plus vieux que mon pèrequi est mort.

Le butc'est d'être heureux. On n'y arrive que lentement. Il y fautune application quotidienne. Quand on l'estil reste beaucoup àfaire : à consoler les autres.

Il mesemble que j'ai oublié le nom de notre roi. Comments'appelle-t-il ?

Le mari :

-- Tuexagères. Qu'un mari trompe sa femmeça n'a aucuneimportance.

--Quelquefoisrépond-ellela femme meurt de chagrin. Çan'a aucune importance.

12octobre.

-- Ouidit-ilon prétendmon cher amique d'habitude on meurt deses vices. Moije meurs de mes vertus. Je passe ma vie àremplir mes devoirs. J'ai deux ménageset ma mère : çame fait trois ménages. C'est pour ça que je n'ai plusle temps de travailler.

-- Et vousn'allez pas chez vos amisde peur d'avoir quelques ménages deplus.

13octobre.

Mon pèrem'a aussi légué la certitude que je ne mourrai qu'à72 ans.

Une de cesdames dont il vaut mieux interroger la concierge que la conscience.

-- Notredomestiquedit Capusnous envoie des oeufs ; sur la coquillepouréconomiser trois sous de timbreil écrit ses lettres.On peut lire : « Bonjourmonsieur et madame. Moije vaisbienet vous de même. » Avec deux douzaines d'oeufsona une lettre complète.

Lestapeurs. Leurs premières phrases sont criblées de «cher maître »... « Votre brillante situation...J'ai connu des temps meilleurs... Je suis licencié en droit...Je sors de l'hôpital... Je suis marié en noceslégitimes... Si je vous disais que deux êtresm'attendent à la maison pour avoir de quoi manger !... Je n'aipas un nom comme le vôtremaisenfinj'ai occupé unepetite place dans la presse... Que je vous rembourseraibienentendu... Vous pouvez bien me donner deux francs ?... Votre systèmeest de refuseretle miend'insister. C'est très logiquemais bien dur pour moi. »

Vous citezle nom de Capus.

-- Mais jesuis allé le voiret il m'a donné vingt francs !

Dèsles premiers motson ne les écoute plus. On prépare saréponse. Ça m'est égald'être dupépar les gens que je connais. Je ne veux pas l'être par lesautres.

Ilsfinissent par un digne « Je vous saluemonsieur ».

14octobre.

-- QuandCapus trouve tout de suitetant mieux ! dit Bernard. Maisquand ilne trouve pasil ne cherche pas. Il se contente de n'importe quoi.

19octobre.

Il aemporté tous mes regrets : il ne m'en reste plus.

23octobre.

Je nepromets jamais rienparce que j'ai la mauvaise habitude de tenir mespromesses.

29octobre.

Comme cesgens qui nous saluent de bas en haut tout le long de notre personne.

Bruxelles.Les voyages constipent la jeunesse. Et toujours cette questionempoisonnante : « Que vais-je rapporter à ma femme ? »

Nouscherchons le Mannekenpiss. Nous ne le trouvons pas.

-- Allonspisser nous-mêmes ! dit Capus.

Au CaféAnglais Montjoyeux demande d'abord un petit verre d'eau-de-vieune tasse de cafédes fruitsdu fromageet ainsi de suitejusqu'aux huîtres. Mais à peine a-t-il fini qu'il rendson dîner dans l'ordre naturel.

La foudreest tombée sur une fabrique de paratonnerres.

Le foufouette sa toupiecroyant que c'est son cerveau. Elle tourne : «Ah ! j'ai du talent ! » Elle tourne plus vite : « Ah !maintenantj'ai du génie ! »

-- Uneorange vivantedit Baïe par opposition à uneorange-joujou.

Bruxelles.Les numéros à hauteur d'homme. La petite lanterne queles facteurs portent sur le ventre.

Tandis queles nouveaux admirateurs nous lisentles anciens nous oublient.

Novembre.

Notreintelligencec'est une bougie en plein vent.

Il a unebelle situationoù il peut faire attendre les gens.

Les arbresse sont fait couper les feuilles.

J'ai vu leciel dans l'eaudes canards qui passaientun écureuil fincomme une moustache d'homme roux.

L'eau abaissé. Les arbres aux racines déchaussées.L'eau a à peine assez de force pour le voyage d'une feuille.Une source fait un pipi presque indécent. Ce n'est qu'àla longue que ça devient un bruit de la nature.

Lecimetière de Lormes. Tous ces gens qui s'y répandent.Le curé a un petit coup de goupillon spécial pour lesétrangers. Il faut qu'il soit intelligent : il a une belletêtedes cheveux blancs. On parle de lui pour faire un évêque.

Despaysans s'agenouillent sur le bord des tombes. Le chapeau à lamainils ne prient ni ne rêvent. Ils attendent làunpetit instantet leurs cheveuxqu'on ne peut pas couperfinissentpar faire des boucles frisées.

Le glasun son pour chaque oreille de morts.

L'horlogec'est le Juif errant. Écoutez ce pas boiteuxet lentetfatiguéqui ne s'arrête jamais.

Réduirela vie à sa plus simple expression.

-- Il amangé une fortune.

-- A quoi?

-- Mais àvivretout simplement !

La roséebelle barbe blanche de la terre.

6novembre.

L'étoilese cache. Elle me prend pour un poëte. Elle a peur que je lafasse rimer.

7novembre.

Oh !vanité ! Deux disciples sont venus me voir ce matin.L'un est à Normale et l'autre se prépare àSaint-Cyr. Ils ont horreur du prof... Etpendant deux heuresj'aiessayé de séduirepar ma bonhomie de jeune maîtreces deux gosses dont je ne sais même pas les noms. Et je leurai dit :

-- Oh ! nem'appelez pas « cher maître »voyons !

8novembre.

Deslogements si petits qu'on n'y peut que s'embrasser ou se battre.

10novembre.

Guitrysait raconter. Il ne raconte que ce qu'il fautet il sait s'arrêter.Il a du succèsil n'ajoute rienet ne revient pas sur sonhistoire.

-- Avecluidit Bernardon n'est jamais gêné. On cause d'égalà égal. On n'a pas peur de dire tout à coup unechose qui froisse un cabot.

Jamais jen'oserai lire à cet homme-là ma petite piècenaïve et bébête.

Nous avonsaussi beaucoup parlé cravateset j'ai tout de mêmerougi de plaisir parce que Guitry m'a dit que la mienne n'avait pasl'air d'une cravate toute faite.

14novembre.

Lu hiersoir à Guitrydans sa logeen deux entr'actes. Porteinterdite. N'ouvrir sous aucun prétexte. Indispensable petitepréface sur la façon inintelligible et monotone dont jevais lire. Je commencedans l'odeur de sa cigarette.

Jebredouille un peu. Guitryrien. Silence qui déconcertesaufun « Oh ! que c'est biença ! » Puis : «Arrêtons-nous ici. C'est exquisdélicieux. On est commeen présence d'une belle chose. »

--N'est-ce pas ? lui dis-je. Je crois que ça y est. Moij'aimemieux ça que Le Plaisir de rompre. Il me semble quej'ai fait là preuve de plus de maîtrise.

Jedéveloppe peut-être trop. Je vais au-delà descompliments de Guitry. Il disparaît. Quand il revientj'achèveavec assurance. Il rit fort du mot sur Pascal. C'est fini. Vraimentil a l'air pincé. Je suis enchanté. D'ailleursaufondj'étais tranquille. Je ne reste pas plus longtemps avecluide peur de tout gâter.

Je lis ceque je faiscomme mon plus mortel ennemi.

16novembre.

C'est làun livre dont on dit : « Lisons-le tout de suite pour n'avoirpas à le lire plus tard. »

Si je lessurprenaisje dirais : « Ah ! bien ! Pas besoin de vousdemander si vous faites vos petites affaires. »

A une dame: « Vous devriez prendre quelques amants. »

Pas sifort ! Vous dites toujours la vérité en criant.

-- Ce sontdes femmes qu'on ne salue pas.

-- Ouimais on se découvrirait bien tout entier devant elles.

Un motd'acteur : « Un philanthropeje sais ce que c'est ; c'est unmonsieur qui aime les hommes. »

Ellesveulent bien jouer les rôles de vieilles femmesmais pas lesrôles de femmes mûres.

Leportrait de mon père est sur mon bureauet à chaqueinstant je le flanque par terre.

Un mauvaislivrec'est encore plus fort qu'une bonne pièce de théâtre.

17novembre.

-- Vousn'avez pas de défauts.

-- Simadamemais je les garde pour l'intimité.

Quand oncroit qu'il y aura beaucoup de monde à un enterrementon yvaet ça finit par faire beaucoup de monde.

L'admirationse passe de l'amitié. Elle se suffit à elle-même.

19novembre.

Le Painde ménage. Hierlecture chez Guitry à Mlle Brandèset à Bernard.

Desviolettes jetées sur une nappe où déjàsont brodées des violettes. Un bustequi a cette originalitéqu'on ne sait pas qui c'est. Brandèsqui est la Parisiennedédaigne trop la tragédieet Andromaquequ'elle va jouer.

Une bellevue sur la place Vendôme oùpar ce temps de Dreyfusilne manque qu'une guerre civile.

Je lis.Murmure flatteurdes « Oh ! que c'est bien ! » Et j'aila coquetterie de lire plus vitepour qu'on ne m'interrompe pas.

22novembre.

-- Elleest moins jolie que vous.

-- Ellen'y a pas de peine.

Ilappartient à une très honorable famillecomme tous lesvoleurs.

Bien connusur le pavé de la littérature.

Je dis deRostand : « C'est le seul homme que je sois capable d'admireren le détestant. » Ça craqueça craque.

Tristecomme une amitié morte.

Voilàencore un bel acte que j'écrirai sur l'amitié.

Bien peude femmes dans mes piècespar économie de fleurs.

Tout fierde sentir en moi l'inquiétude de Rousseauavec toute ladifférence qu'il peut y avoir entre des fourmis et un vautourrongeur de foie.

23novembre.

Ellen'était pas follefolle à liermais elle n'avait passa tête à elle. On en profitait. Elle faisait desjournées au moulin de Marignyetcomme c'eût étélui rendre un mauvais service que de lui donner de l'argenton lapayaittantôt avec deux ou trois bûches pour sonchauffagetantôt avec un panier de pommes de terre.

Elle a eudeux enfantsmais elle ne se rappelle plus guère de qui.C'est presque comme si elle les avait eus toute seule.

C'étaitune petite vieille rabougrie. Plusieurs foisle soirquand nousrevenions de faire un tour de promenadenous l'avons rencontréequi rentrait du travail. Elle ne disait pas bonjour. Elle faisaitseulement de petits signes de tête et marchait à côtéde noustout en marmonnant. On ne comprenait pas. Elle nousrépugnait un peu. Moije me retournais fréquemmentpour regarder le coucher du soleil. Sans doute elle disait : «Puisque vous donnez aux autrespourquoi ne me donnez-vous pasàmoi ? Je suis plus malheureuse que ma voisinequi a un maridulinge et des meubles. Moije suis seule et je n'ai rien. »Mais on ne lui donnait rien parce que ce n'est pas agréablede lui donner. Étant folleelle est incapable même degratitude ; etquandvers l'écoleau croisement de sa routeet de la nôtreelle nous disait bonsoirnous répondionsavec un secret soulagement : « Bonsoir ! » trèshaut : follenous nous imaginions qu'elle devait être sourde.

Elle estmorte. Nous aurions dû lui donner davantage. Voilà unremords de plus.

26novembre.

LeRepas du Lionla pièce de Curel. Répétitiongénérale. Un bon troisième actebon comme unbon cours de logique d'un professeur à la mode ; le restequelconque. Ça ne m'intéresse pas. La question socialerésolue par une métaphore. Un prêtre dit deschoses senséesmais c'est un prêtre ; où estl'humanité ?

-- Cen'est pas moderne ! dit Bauër qui n'aime que ça. Il luifaut des idées d'hier soir dont l'encre est encore fraîche.

Antoine etGémier un peu vexés. Lemaitre :

-- Ah !Renard ne doit pas aimer ça ! Il n'aime pas l'éloquence.

Non ! Etje n'aime pas non plus à aller faire une visite dans la logede Mme de Loynes.

Mirbeau etSarah jubilent. Dans le plaisir de voir tomber une pièce ilsse taillent la part du lion.

--Maintenantdit Mirbeauje suis tranquille pour Les MauvaisBergers.

Ouivouspouvez l'être. Ce ne peut être pire. Athistrèsappliquédit qu'il trouve ça très beau. Il estvictime de ce vice littéraire qui consiste à se forcerà aimer ce qu'on se croit obligé d'admirer.

A la finun coup de fusil qui tue la pièce.

--C'étaitdit Bernardle seul moyen de faire taire cetinsupportable de Max.

Il luimanque cette sérénité de l'artistequin'empêche pas d'avoir toutes les inquiétudes de l'homme.

Déjeunéchez Bernard. Edmond SéeLouis de RobertYvette Guilbert etson Américain. Yvettecheveux d'un roux quidit-elleluicoûte 25 francs par mois. Bernard me présente comme Poilde Carotte. Elle croit que c'est un surnom et le trouve drôleet mérité.

-- On nepeut pas être plus rousseaudit-elle. Ça me vexe.

L'inévitablepassage du doigt sur les lèvresdans la glace. Un nez quiserait commode si on avait envie de l'embrasser sur la bouche.

Elle secroit chez des gens du mondeadmire les enfants de Bernard et trouvequ'il n'y a pas d'autre but dans la vie.

-- Ilsuffitdit-ellede réfléchir cinq minutes et demie.

On parleDreyfus.

-- Netrouvez-vous pasdit Yvettequ'on pourra permettre à cethomme de porter une cravache pendant huit jours ?

-- Pouravoir ce droitdit Bernardil n'aura qu'à s'engager dans lacavalerie.

Vient MmeAllais. Elle dit qu'Allais est plutôt bon camarade que bonmari.

--Gardez-le comme camarademadameet prenez un... mari.

YvetteGuilbert va en Allemagne. On lui paie près de 40.000 francsdix représentations : il y a de quoi faire rêver lepoëte Gilbert.

27novembre.

Allais enhabit a l'air d'être son propre patron.

29novembre.

Lebonheurla plus rapide des impressions.

Ah ! Ah !Qui est-ce quigrâce à moiva aller tout de suite àla postérité ? C'est ma petite femme.

Le chevalau sabot prétentieux buvait dans le ruisseaucomme une joliefemme qui lève le petit doigt.

Jen'oublie rienet mes impressions me reviennent toujours. Je suis unsentimental qui rumine.

C'est unepièce qu'on peut éreinter à son aise. Il suffitd'ajouter que le talent de l'auteur n'est pas en cause.

LeDimancherêve de ton village.

Les loupsdu vent hurlent à ma porte.

Notreespritune pauvre petite flamme retenue par un corps de suif.

30novembre.

Chez ledentiste. Puison sent que la dent essaie de faire malet qu'ellene peut pas. Le « Vous avez peurhein ? » Le petitfauteuil où il est bien difficile de s'asseoir. Est-ce qu'ilne va pas basculerme ligoter et me livrer au bourreau ?

On leur aune reconnaissance éternelle de ne vous avoir pas fait mal. Onoublie quepeut-êtrerien ne leur était plus facile.

Et je disque mon pèrequi s'est tué comme un hérosn'ajamais voulu aller chez le dentiste.

La petiteserviette à dessert où placer sa tête.

Une petiteautomobile qui vous entre dans une dent.

1erdécembre.

Monthéâtre : une conversation sous un lustre.

C'est audoux climat de cette femme que je voudrais vivre et mourir.

Il fautadmirer le génie de Mussetparce que ses défauts nesont que ceux de son époque.

3décembre.

Mettre lespoints sur tous les i de l'infini.

La sourcese cachait comme si elle avait pleurépour de bonde vraieslarmes.

5décembre.

-- Commentpouvez-vous déjeuner chez luipuisque vous trouvez mauvaisses livres ?

-- C'estcomme si vous me disiez : « Puisque vous aimez ses livrespourquoi dites-vous qu'on mange mal chez lui ? »

-- Guitrydit Bernardc'est comme un fil de cuivre rouge. On sent qu'il rend95 % de l'électricité qu'on lui communique.

6décembre.

Hier soirchez Brandès. Blanc partout. Un feu de bois. Brandèss'efforce d'être aimable comme on s'efforce d'êtrespirituel : seulementelle y arrive. Des livres de Barbeyd'Aurevilly étrangement habillésquelques-uns tout enord'autres avec des raies rougesbleuesblanchescomme desguérites nationales. Et des dédicaces d'encrerouge-sang.

Bernardnous raconte une fable que devait écrire Allais. Un singe etun perroquet. Le singe dit :

-- Je suisagile et malin. Je ressemble à un hommeetc.etc.

Et ildéveloppe jusqu'à ce que le perroquet l'arrête enlui disant :

- Ouimaismoije parle.

-- Eh !bienet moi ? dit le singe. Qu'est-ce que je fais donc depuis unquart d'heure ?

Et je dis:

-- Et moiqui avais apporté mon manuscrit ! Et voilà minuit etdemi !

Naturellementon me fait rester. Ils lisentet il me semble qu'ils ne ferontjamais que lire un peu mieux que moi. Etquand mêmeBrandèstrouve que Guitry en dit trop. Et elle s'inquiète : commentva-t-elle tout écouter ?

8décembre.

Brandèsdans La Vassale. Le foyer de la Comédie-Française.Je m'attendais à quelque chose de grand et de luxueux : çaa l'air d'un foyer pour ouvriers mineurs. On baisserait la tête.Trèstrès gentille.

-- Voussavezvous me faisiez peur. J'ai joué pour vous. Et commentme trouvez-vous ? Il me semble que j'ai fait des progrèsdepuis Les Tenailles ?

-- Oui.Plus d'abandonplus d'humanité.

Autourd'elledes amis et des amies : le vieil abonné àfigure rosele vieux général inévitableet lejeune homme godiche qui n'ose pas s'approcher.

-- Maisque je vous présentedit-elle. M. Jules Renard.

- Oh ! çane dit rien.

Des voix :

-- Si ! Si! Beaucoup ! Plaisir de rompre!

-- Nefaites donc pas le modeste ! me dit-elle.

Je laquitteet j'ai le courage de mettre mon chapeau avant que defranchir l'huissier.

Des bûchesde bois impressionnantes. De hautes pincettes rigides comme une piècede Paul Hervieumais des rideaux salessales ! Les abonnésdoivent se moucher dedans.

Une jeunefemme se présente de la part de plusieurs de mes amis.Presséeelle cite Mayer. Voilà : elle a écritdans La Vie parisienne des choses drôlesetcommec'était drôleon lui en redemande. Elle ne veut pas.Elle voudrait écrire des choses sérieuses au Mercurede France. Elle ne veut pas arriver par les vieux bonshommes.Elle est indépendantefille unique ; elle écritnonpour l'argentmais pour se faire un nom. Malheureusementpour sefaire un nomil faut être connu.

-- Ouidis-je. Je sais : le cercle vicieux.

D'abordelle voulait faire du théâtre. Tout de suite elle a vuqu'elle n'avait aucun talent.

-- Vousêtes durelui dis-je. C'est plus difficile que çades'apercevoir qu'on n'a aucun talent.

Elle a unregard obstinéune grande bouchedes lèvres rouges.Elle n'est pas jolie. Je suis flatté quand même. Elles'en va. Je ne sais pas son nom.

C'estfini. Je n'ai plus rien à dire. C'est le désastre.C'est une catastrophe de silence. Je ne peux pas faire le moindreeffort d'imagination : elle ne soulèverait pas une paille.

C'est sifacile à une femme de se faire aimer ! Nul besoin d'êtrebien jeune ni bien jolie. Il n'y a qu'à tendre la main d'unecertaine façon et l'homme y met tout de suite son coeur.

On dittoujours qu'on est lu en Allemagne pour se consoler de ne pas l'êtreen France.

L'hiverquandau coin d'une borneune femme donne à téter àson enfanton n'est pas obligé de croire que le sein est encaoutchoucet l'enfant en carton.

--Désormaisdit Bernardje remplacerai mon domestique et jedirai moi-même : « Je suis servi. »

9décembre.

Nos mortsreviennent au foyer et revivent dans les flammes que nous regardonsavec tant de mélancolie.

-- Nonnon ! Merci ! Pas ce soir. Je ne fume que quand j'ai bien dîné.

Mesenfantspour tout héritage je vous laisserai mon âmepar écrit.

14décembre.

On peutvoir votre âge à vos dentset vos dents ont l'âged'or.

Unecouverture d'orangedit Baïe.

Commentvoulez-vous qu'un homme qui n'élève jamais la voixpuisse passer pour un homme de génie ?

Il arriveque je me sens Démosthène-- avec ses cailloux dans labouche.

Je ne veuxrien écrire sans émotionet j'ai l'émotionparesseuse : j'écris donc très peu.

15décembre.

Répétitiongénérale des Mauvais Bergers. Dans la loge deGuitryils étaient tous : MirbeauHervieuRodenbachLaJeunesseles enthousiastesles « vies frénétiques». Sipris d'une pitié profonde pour les humbles et lespauvresj'avais serré la main de Firminqui est ledomestique de Guitrytout ce monde-là aurait pouffé derire.

Les piècessocialistes me rendront fou. Le gros Bauër n'en a jamais vud'aussi belle depuis un siècle. Mendès fait chorus.Tous sont de l'avis de La Jeunesse : « L'esprit de véritél'esprit de Dieu a passé par là. » Moij'aienvie de faire des excuses à Cureldont je n'aimais pas LeRepas du Lion.

Et noussommes tous des lâchesmoi le premierqui ne crie pas àBauërMendès et La Jeunesse : « Vous êtestous des fantoches ridiculesetce que Jean Roule crie auxpoliticiens dans la pièce de Mirbeauil vous le crieraquelque jour. Il vous criera : « Vous vous foutez bien desouvriers ! Les députés ne nous donnent que des parolesetvous si nous demandons du pain et de l'argentvous nous donnezdes articlesmais c'est vous qui en touchez le prix. Et je n'ai pastout dit encore ! A bas les Sarah Bernhardtla grande passionnéequiaussitôt après être morte au cinquièmeactese relève et court à la caisse pour savoircombien ça lui a rapporté de mourir pour nous ! A basMendèsquiaprès s'être fondu en eau àm'entendre gueulerva réparer ses forces dans une brasserieet les reperdre ensuite avec des grues ! A bas Bauëràqui sa pitié pour les pauvres rapporte 50.000 francs par an etle titre d'écrivain d'avant-garde ! A bas toustous ! Rendezl'argentles honneursla gloire même ! Ce n'est pas seulementdu pain que nous voulonsmais de votre pain. C'est la moitiéque je veux. Je ne me contenterai que d'une moitié. Oui ! Jete laisse l'autre. Si vous n'êtes que des artistesje n'airien à diremoi. Je ne suis pas un artiste. Je ne vouscomprends pasmais je vous respecteje vous salue polimentet jepasse. Maissi vous prenez en mains ma causej'ai le droit de voustaper sur le ventre et de vous dire : « A nous deux ! Causonsun peu ! » Si vous dites : « Nous ne sommes pas desesprits étroits : nous sommes des hommes d'idées »nous vous crierons que nous ne comprenons pas ces nuancesetpourtoute raisonnous allons vous casser la gueule et vous trouer lapeau. Vous êtes bien fiersparce qu'au lieu de dire vosbêtises à une tribune vous les dites dans des journauxce qui ne vous empêche d'ailleurs pas de proclamer avec pompeà l'occasionque le journal est et doit être unetribune. Et à bas Jules Renardl'homme heureuxlepropriétaire qui se plaint toujours et qui n'est qu'un égoïsteet un hypocritecars'il dit à sa femme et à sesenfants : « Soyez heureux ! » il leur dit aussi : Soyezheureux comme je l'entendsdu bonheur qui me plaît àmoi ; sinongare à vous ! »

-- Toutcela est grosgrosdit Mallarméet ces acteursqui veulentjouer la viene donnent rien de la vie. Ils ne peuvent mêmepas donner la vie d'une causerie de salonmême pas d'un plid'étoffe. Et puisau théâtrela vie me choque.Ma vie à moi me fait mal ; ses petits drames usent trop masensibilité pour que je trouve une saveur à leursfausses imitations. Elles offensent ce que j'ai de pudeur. Ouitousces gens-là me semblent se mêler de ce qui ne lesregarde pas. Je n'aime que les drames de Wagner et les ballets ; etje préfère ceux-ciparce qu'ils sont l'expression dela vie d'un autre monde.

-- Sij'avais vingt ansdit Clemenceauje poserais une bombe sous tousles monuments publics.

On dit çamonsieur Clemenceauquand on a soixante ans.

SarahBernhardt a inventé le rideau qui peut se relever le pluscommodément pour la demi-douzaine de rappels.

Je hais cepublic dont je suiset qui tache mes impressions et mes émotions.Je hais cette manière de me prendre et de me crisper lesnerfs. Ah ! comme un seul beau vers aurait remis tout cela en place !

GeorgetteLeblanc. Une grossegrosse émotion. Le cerveau congestionnél'âme me monte aux yeux. Mallarmé me dira tout àl'heure : « Je suis heureuxmonsieur Renardque nous ayons puadmirer ensemble une belle chose. »

Une femmegracieuse ou très bellevêtue de soie noire. Une voixqui passe d'un étage à un autre sans se servir demarches. Trois rideaux de serge verteune musique invisibleunlaurier : c'est plus fort que Sarah Bernhardt. Un jeu parfaitsaufquelques petits mouvements de tête et des frappements de piedinutiles. Le geste prolonge le chant. Il ne faut pas applaudir quandon n'entend plus rien : il faut suivre d'un oeil douloureux le gestequi terminequi se meurt là-basdans un lointain d'angoisse.On se croit dans la forêtet l'on est la proie de la forêtet la cognée d'un bûcheron qu'on ne voit pas vous frappeau coeur.

-- Maisc'est une femme de génie ! dis-je.

-- Oh !dit Muhlfeldvous exagérez.

Tout desuiteje suis un peu honteux.

La musiqueest un art qui m'effraie. Je me crois dans un tout petit bateau surdes vagues énormes. Ce qui me révolte contre lamusiqueoù je suis ignorantc'est que de petits juges depaix de province en sont fous. De quoi ces gens-là peuvent-ilsêtre fous ?

16décembre.

AlphonseDaudet est mort. On le quittait. Il vous déshabillait aux yeuxde ceux qui restaient là. Arrivé au bas de l'escalieron avait la sensation d'être tout nu.

-- Il esttoujours prêt à se jeter par la fenêtredisait-ilde Léon.

Ons'occupe trop de la mort. Il faudrait tâcher de ne pass'apercevoir qu'elle passe : elle reviendrait moins souvent. Elle n'aaucune espèce d'importance.

Un petitmystère. Je lui ai souvent demandé son portrait : iln'a jamais voulu me le donner.

Notretristesse : une belle femmebelle de pâleurpenchéesur une feuille de papier blanc et tenant une plume à la main.Elle ne peut pas écrire. Elle regarde au loin.

J'ai vu unmort. Il était mort en héros. Non ! Pas en héros: ce mot a quelque chose de faux. Il est mort avec la simplicitéd'un arbre. Je me sentais une lucidité quiseuleme faisaitmal. Quand je réussis à pleurerje compris bien queces larmes n'étaient pas de moimais de l'humanité quise croit forcée de pleurer à certaines heures.

Jesoussigné chez le conciergece matin : « L'homme est unarbre qui va refleurir ailleurs. »

18décembre.

Chèremadame Félicia-Mallet-dans-son-répertoire. Poil decarotte vous embrassecomme c'est son droit.

Il avaitun peu peur quand vous vous frappiez si magnifiquement la poitrine.

Il croyaitentendre sonner le trousseau des clefs de votre coeur.

Le Painde ménage. Jeudi dernier. Fixation du texte. Petits boutsde mots offerts à Brandès comme des bonbons.

--Maintenantdit Guitryprenons garde. Nous nous emprisonnons dansvos jolies phrases comme dans des habits trop collants. Si nouscontinuonsnous finirons par faired'une chose charmanteune choseembêtante.

--Déboutonnez-vousdis-je. Jouez ! Jouez !

Déjeunersoù l'on ne s'assied pas soi-mêmecar un domestiquegrave est là pour rouler sous votre derrière lefauteuil pesant. Quand je n'enfile pas bien la manche de mon paletotj'ai la naïveté de demander pardon au domestique.

Bien !Bien ! Une autre foissi un charbon roule du foyer sur le papierjeme dirai : « C'est l'affaire du domestique »et jelaisserai le tapis brûler.

Bernardavait apporté un petit bout de fleur. J'eus tout à coupl'impression que mes mains étaient bien vides.

Mirbeauune peau de lion pour descente de lit. Une gueule ouverte qui n'avaleriendes dents superbes qui ne mordent pasdu rouge au coeurmaisc'est une bordure d'Andrinopleune queue flasqueprétentieusementramenée sur le flanc.

Il croitquepour casser les vitresil suffit d'y jeter des pierres.

Sonéloquence est à la vraie éloquence ce queMirbeau est à Mirabeau.

-- Vous netrouvez pasdit Guitryque c'est une mode stupide de crier le nomde l'auteur à la fin d'une premièrecomme si tout lemonde ne le savait pas ?

Duguesclin.Il ne tarda pas à atteindre à l'âge de neuf ans.

Je ne mesuis pas lavé les mains depuis Ponce-Pilate.

Quel cou !Quel cou ! Elle a trop de cordes à sa lyre.

Trianon.Des Folies-Bergère de province. Un beau poëtelesmains dans les pochesdit des âneries. Comme les gens n'enfinissent pas de s'asseoiril se croise les bras et attend. Ilmâchonne quelque chose derrière ses doigts qui frisentsa moustacheet il s'en va lentement pour entendre si on l'applaudit: mais on le siffle.

Une belletête de vieux financier à la barbe d'argent.

20décembre.

Lecimetière de Lormes : c'est là que je voudrais mouriret vivre dans l'éternité.

23décembre.

Malgréles efforts de M. Rodle sens de la vie nous manque toujours.

On nemeurt pas. La mortc'est encore de la vie couvée.

-- Est-cequemille tantesça vaut une maman ? demande Baïe.

La mortpour mon compte personnelje l'ai regardée en face vingt-deuxheures de suite. Si elle nous voyait pleurerelle se tordrait.

Lespoissons apparaissent sur l'eau et jettent un éclat brefcomme les souvenirs remontent à fleur de mémoire.

Des sortesde rêves que je fais deboutcomme si toute mon inconsciencechassait ma conscience et se mettait à sa place. Ces imagesbrusquement venuesje ne les connais pas. Etcomme je ne peux lesnierqu'elles sont bien làen moiil faut croire qu'ellessont d'un autre moiet que je suis double.

25décembre.

Ridesdessourires gravés.

Hierpaspensé à mon père. Je ne le fais aujourd'hui quepour me reprocher de n'y avoir pas pensé hier.

Deschevaux de luxe dont la peau semble du même cuir que leursguides et leurs harnais.

Mussets'adresse souvent à quelqu'un : le ChristVoltairepouravoir l'air de dire quelque chose.

Leplaisirnon de rompremais de s'allonger : voilà leurspièces en cinq actes.

Ouiilaurait beaucoup d'esprit ; mais il est si malpropre que son esprit nepeut pas arriver au bout des onglesà cause du noir.

Ah ! pasde plaisanteries sur l'année bissextilehein ?

27décembre.

Ils medisent tous :

-- Quelgrand bonhomme de théâtre vous ferez !

Et je saisqu'ils se trompentet je sais pourquoi.

28décembre.

Cyrano.Des fleursrien que des fleursmais toutes les fleurs ànotre grand poëte dramatique !

On nesavait plus. On barbotait. L'invasion du socialisme au théâtredéroutait les plus indifférents. L'artiste devrait-ildonc s'occuper de ce qui ne le regarde pasposer gauchement desproblèmes insolubleset s'abaisser à savoirquotidiennement le prix du pain ? Aurions-nous des Musset économisteset des Marivaux apôtres ? D'un seul coup de cothurne Rostand arepoussé ces ordures etd'un seul effortremis debout l'artisolésouverain et magnifique. On va pouvoir encore parlerd'amourse dévouer individuellementpleurer sans raisonets'enthousiasmer pour le seul plaisir d'être lyrique.

Notez quela Providence -- décidémentil y a un Dieu -- a vouluque cette belle restauration de l'art se fît entre le théâtredes Mauvais Bergers et le théâtre des DeuxGossesà égale distance des fausses penséeset des faux rires mêlés de fausses larmes.

Ainsiily a un chef-d'oeuvre de plus au monde. Réjouissons-nous.Reposons-nous. Flânons. Allons de théâtre àthéâtre écouter les dernières niaiseries :nous sommes tranquilles. Quand il nous plairanous retrouverons lechef-d'oeuvre. On peut s'y appuyers'y abriters'y sauver desautres et de soi-même.

Commec'est une preuve de santéla fièvre ! Comme je suisheureux ! Que je me porte bien ! L'amitié de Rostand meconsole d'être né tard et de n'avoir pas vécudans l'entourage familier de Victor Hugo.

Je vousjure qu'en toute lucidité je me sens bien inférieur àce beau génie lucide qu'est Edmond Rostand.

Dumény:

-- Ena-t-ildans son saccet animal-là ! En a-t-il !

-- C'estplus beau que le quatrième de Ruy Blas ! dit Mendèsqui pleure.

Nous nousembrassonsRostand et moimalgré nos chapeaux.

-- Il estsi gentil ! Il a tant travaillé ! Ça lui étaitbien dû ! dit sa belle-mère.

-- Maismadamepeu nous importe. C'est un homme de génievoilàtout.

Ouinousaurons du succèstous les succès qu'on peut avoir :jamais nous ne soulèverons une foule comme ça. Tout ceque je pourrais lui direc'est : « Ah ! mon amije vousattends à la prose. »

Lasupériorité de Rostandc'est qu'il nous accable et quenous ne trouvons rien à lui dire. Si nous avions fait sonCyranoil nous trouverait quelque choselui.

30décembre.

-- Cyrano.Première. C'est le triomphe d'hieravec un légertassement. On est fatigué. On n'a plus que la force de fairedes grâces dans le fauteuilcomme des femmes charmées.Lemaitre se délecte et Sarcey exulte. Lemaitre me présenteà lui. Il m'effraie un peuce monument à voix énorme.Comme Lemaitre lui dità propos des spectacles avant-dîner:

-- Vousverrez çavous.

-- Jeserai mortrépond Sarcey.

-- Vousêtes immorteldit Lemaitre.

-- Non !Il n'y a que le bon Dieu qui soit immortel. Moije ne suis quel'oncle.

Et il riténormément.

Lemaitredit à La Jeunesse :

-- Enfinmon amipourquoi faites-vous toujours une tête comme ça?

-- Je nela fais pas quand je suis seulchez moi. Je ne la fais que dans lemondeau milieu des imbéciles.

Moment destupeuret Lemaitre finit par dire :

-- Vousn'avez pas de chance. Vous êtes bien mal tombéce soirau milieu de nous.

Marinettea son succès de fraîcheurdrapée de dentelleset pareille à une République fine.

Dans laloge de Coquelin je dis à Rostand :

--J'aurais été bien heureux si nous avions pu êtredécorés tous les deux le même jour. Puisque cen'est pas possibleje vous assure que je vous félicite sansenvie.

Çace n'est pas vrai ; et voilà qu'en écrivant ces lignesje me mets à pleurer.

Ah !Rostandne me remerciez pas de vous tant applaudirni de vousdéfendre avec passion contre ce qu'il vous reste d'ennemis !

Mon âmen'est pas tant que vous croyez ravie :
Je fais comme je peux pourcacher mon envie.

Heureusementpar je ne sais quel malentenduil y après de moiaupremier rang des fauteuils de balconhuit fauteuils vides qui meconsolent. (Voilà qui est exagéré. Ah !peut-être que jamais l'homme n'a dit un seul mot vrai !)

SarahBernhardt entre.

--RostandRostand ! Où est Rostand ?

- Il estdéjà retourné à La Renaissancelui dis-je.

-- Vousêtes bêtedit-elle.

Et je nesuis pas bien sûr que ce soit une parole aimable. Puis elle dit:

-- J'ai puvoir le dernier acte. Que c'est beau ! Acte par actemon fils metenait au courantdans ma loge. Je me suis dépêchéede mourir. Enfinme voici. Je suis dans un état !... Regardezmes larmes. Regardez ! Regardez ! Je pleure.

Et tout lemonde a envie de lui dire : « Mais nonmadame ! Je vousassure. » Puiselle se précipite sur Coquelinluiprend la tête entre ses deux mainscomme une soupièreet elle se pencheet elle le boitet elle le mange.

-- Coq !dit-elle. Oh ! grand Coq !

Et ellelui a déjà écrit cette lettre que Le Figarociteun chef-d'oeuvre sur parchemin de crocodile :

« Jene puis te dire ma joie pour ton -- notre -- triomphe d'hier et de cesoir. Quel bonheurmon Coq ! Quel bonheur ! C'est l'art c'est labeauté qui triomphent. C'est ton immense talent ! C'est legénie de notre poëte ! Je suis si heureuseoh ! si ! Jet'embrassele coeur battant de la plus pure des joies et de la plussincère amitié. Sarah. »

EnfinRostand ! Et elle le prend pour elle seuletoujours par la têtemaiscette foiscomme une coupe de champagnemieux : une couped'idéal.

ChezMaire. Rostand nous rejointpuis Coquelin. Je me rattrape. Je réparemon enthousiasme.

--Accordez-moi que j'ai le droit d'être le plus fatiguédit Coquelin.

-- Ouiaprès les spectateurs.

-- Vousm'avez écrit une lettre qui est un chef-d'oeuvredit Rostand.Si jamais vous dites du mal de moije la fais imprimer.

-- Mais onme saurait peut-être plus de gré d'avoir dit du mal qued'avoir écrit la lettre.

Quelqu'una dit à Rostand : « En aviez-vousen aviez-vousdesmusesdans votre berceau ! »

-- Je n'aipas assisté à un pareil triomphe depuis la guerreditun militaire.

-- Maislui dis-jeje croyais que nous avions été battus ?

Je dis :

-- Je vaiscasser ma plume.

-- Nefaites pas ça !

-- Oh !J'en ai une pleine boîte !

Coquelinen lunettes a l'air d'un notaire de provinceet il a beau faire : ila toujours cet air-là. Il manque de panache. Il est vieux jeude geste et de talon. Supérieur à son rôleil lecoupe en tranches de vingt rimes. Il ne les lance pas : il vous lesflanque à la figure. Il est heureuxétant laiddepouvoir parler comme un amoureux.

Il avaitune voix de trompetteet Rostand lui a collé au milieu duvisage la trompette elle-même.

ChezGuitry. Mirbeau trouve que Rostand a des qualitésmais Cyranol'agace. C'est physiquechez lui. Il va faire un article contreSarcey. Il lui dira : « Il ne vous reste qu'à mourirmais chez vouspas au théâtre. Pensez donc ! Si vousêtes frappé d'apoplexie dans les fauteuils d'orchestrecomment fera-t-on pour vous sortir ? »

LePasséde Porto-Riche. Ça a l'air de la preuve dutriomphe de Rostand. Quelle langue ! On y dit : « Madamec'estune calomnie que vous articulez-là. » Et puisj'ai enhorreur ces gens qui veulent donner un air de noblesse aux saletésqu'ils font.

Chez LéonBlum. Milieu hostile à Rostand. Comme je dis : « C'estvotre poëteMesdames. Vous allez toutes l'adorer »unepetite dame noireun joli petit corbeau juifme dit :

-- Ah !vous croyez ?

Et elleparledu reste avec intelligencedes ridicules de Rostand dans sesvers de la Revue de Pariset du génie de Musset.

-- Vousdevriezdit Blumvous qui avez de l'influence sur Rostandl'empêcher de faire autre chose que du théâtre.Surtoutqu'il ne publie pas ! Il se perd. La désillusion esttrop forte.

Le chêneet le roseau.

-- C'estégal ! dit un chêne voisin du chêne déraciné.J'aime encore mieux être chêne.

-- Je nedonne jamais plus de 35 sous au cocherdit-ellemais je lui fais ungracieux petit salut.

Une phrasequi vibre courtcomme un fil de fer trop tendu.

Je n'aiqu'un génie régulateur.

Parler enitalique.

Noir surnoircomme un corbeau dans la nuit.



1898

1erjanvier.

-- Ilfaudrame dit-ilque j'aille vous voir demain pour vous racontermes embêtements.

-- Çafera deux personnes embêtées au lieu d'une.

Bernardcause avec un vague monsieur. Sa femme le pince et lui dit àmi-voix :

--Présente-moi.

--Monsieurje vous présente ma femmedit Bernard.

--Monsieur... comment ? dit-elle.

MaisBernard ignore le nom du monsieur.

Oùen suis-je ? Trente-quatre ans bientôtun petit nomdisons :un nomque rien n'empêche -- les autres le croientmaismoije saishélas ! -- de devenir un grand nom. Je pourraisgagner beaucoup d'argentmais je n'en gagne pas. Pas un livre depuisun an. Sans le Plaisir de romprec'était une annéenulle. Il est vrai que j'ai l'excuse de la mort de mon pèremais ma paresse n'a que celle-là. En moraleaucun progrèsloin de là ! j'ai perfectionné mon égoïsme.j'ai prouvé à Marinette que son bonheur dépendaitde ma liberté. Est-ce que j'aime mes enfants ? Je ne le saispas clairement. Ils m'attendrissent quand je les regardemais je necherche pas à les voir. Ils m'attendrissent sur moi. Une bontégénérale dont il me serait pénible de faireprofiter quelqu'un. Pas assez sensuel pour courir après lesfemmesje sens toujours que la première venue ferait de moice qu'elle voudrait.

Des amiset pas d'ami. J'ai à peu près perdu Rostandet sonsuccès ne nous rapprochera pas. Je ne fais rien pour eux. Ilssont peut-être la meilleure preuve que je suis quelqu'un. Ilsne peuvent m'aimer que par estime.

Toujoursrosse. Trois pas dans la rueet je deviens insupportable.Heureusementje ne sors pas souvent.

Je suisaussi vieux d'âme que mon père l'était de corps.Qu'est-ce que j'attends pour me tuer ? Je crois même que jedeviens avareet que je me laisse payer trop de fiacres. J'en suissûr.

Mesmeilleurs motsceux auxquels moi-même je ne m'attendais pas.

2 janvier.

Pour nouspunir de notre paresseil y aoutre nos insuccèsles succèsdes autres.

3 janvier.

ChezMuhlfeld.

-- Il n'ya qu'un poëte : c'est Rostand ! dit Mme Muhlfeld.

Je suisobligé de protesterparce que le voilà plus grand queVictor Hugo et qu'on tirede son triomphedes conséquencesabsurdes. Cyranoun magnifique anachronismeet pas plus.Rostand n'aura aucune influence sur la poésieexceptésur les poëtes médiocres qui voudront avoir son succès.Cyrano n'inquiète même pas les vrais poëtes: c'est par des Samaritaine que Rostand les mettra dans sapoche.

-- Voyonsentre nousdis-je à Rostandle succès de Cyranovous a-t-il donné plus de joie que La Samaritaine?

-- Nondit-il. Il y adans cette dernière piècedes chosesle second acteque je préfère à tout Cyrano.Il y a là un plus grand effort de poésieet le succèsde représentation a peut-être été plusgrand.

-- Vousavez tout fait dans La Samaritaine. Dans Cyranoc'estle sujetc'est l'époque qui vous ont soutenu. Un hommehabileun Sardou versificateurpouvait trouver le sujet de Cyrano: il fallait un poëte pour La Samaritaine. Cyranofait de vous un poëte dramatiquehéroï-comique ; ilvous cantonne. Les poëtes qui ne font pas de théâtrepeuvent toujours se soulager en disant : « II n'est que ça! » MendèsRodenbachetc.etc. Ils peuvent fairebonne figurequoique un peu verte.

Ladécoration de Rostand nous fait tous loucher.

--Qu'avez-vous éprouvé ? lui demandé-je.

-- Oh ! çam'a amusé aujourd'huichez mon coiffeur. Tous les gens quivous connaissent regardent votre boutonnièremais c'étaitdéjà trop tard. Après La Samaritaine çam'aurait fait plus de plaisir.

Et Rostand-- le Rostand qui arrive tout seulsans passer par les petitesrevuesmais en passant par les grandesqui ne va pas dans lesbureaux de rédactionmais qui va dans le mondequi ne boitpas de bocks dans les brasseries avec les bohèmesmais aimemieux dîner chez les gens richesqui préfère auxcritiques de théâtre les directeurs mêmes dethéâtreset Sarah Bernhardt à Lugné-Poe-- nous raconte une visite qu'il fit à Mlle Lucie Faure. Ellelui avait demandé un sonnet pour une bonne oeuvre. Il le lui aporté. Elle l'a reçu simplement dans un petit salonplein de merveilleuses vieilles choses. Mme Barthou était làqui est vraiment charmante. Tout à coup Félix Faure estentré pour faire une visite à sa fille. Il revenait dela chasse et avait un petit chapeau mou. Il s'est excusés'est assisa dit : « Monsieur Rostandbonjour ! » Ilest merveilleux. On comprend que le tsar l'adore. C'est un grandacteur. C'est ce que l'Europe a de mieux comme Louis XIV. Puis ils'est levéa saluéest sorti pour aller faire satoilette. Cet homme-là doit se donner beaucoup de mal. Il estdigne d'être président de notre Républiquequidepuis la Révolutionn'a pas fait un pas vers le bon sens nivers la liberté. C'est une République qui ne tient qu'àêtre reçue chez les Greffulhe.

4 janvier.

L'arbre.Son ombre lui fait une queue de paon qui ouvre et ferme ses yeux desoleilselon que le vent agite leurs paupièresles feuilles.

5 janvier.

FrancisJammes. Acheté et lu Un jour.

«Les mouches qui ont le bruit de la chaleur... Larges (les oies) ellesgonflaient leurs ailes en se précipitant... Les sources jouentjour et nuit... Les éperviers aigus volaient sans avoir l'airde bouger... Les piverts volent comme des vagues... Les ânespasseront en frissonnant de mouches. »

A monsieurFrancis Jammes. « C'est quelquefois bien désagréablede répondre à l'envoi d'un livremais c'est un plaisirrare que d'écrire au poëte d'Un jour : Monsieurje viens d'acheter vos versde les lireet j'en suis trèsheureux. Si vous ne les connaissiezje vous citerais toutes lesdélicatesses qui m'ont ravi. Je suis votre obligé d'uneheure de vraie joie. »

6 janvier.

Mon pèrem'a légué ses envies de dormir.

Ma table àouvrage.

Oh !chaque matin se demander : « Qu'est-ce que je vais faireaujourd'hui ? » Oh ! un travail de Bénédictin !Avoir une éternité de perles à enfiler !

Rostandn'a rien ajouté à des hommes comme Banville et Gautierque l'art de n'être jamais ennuyeux.

8 janvier.

Revisorde Nicolas Gogol. De l'esprit d'Ubu Roi pour nos alliésque nous avons bien mérités.

9 janvier.

ChezGuitry. Bernard dit :

-- Lebruit s'est répandu que je n'aime pas la pièce deRostand et on vient à moi de tous côtéset on serécrie : « Comment ! Il paraît que vous n'aimezpas la pièce de Rostand ? Pourquoi ? » Et l'on attendavec avidité que je donne mes raisons. Vandérem estvenu ce matin.

Guitryaprès avoir fait verdir Mendès avec les recettes deCyranolui dit :

-- Enfiny a-t-il trente vers de Cyrano que vous signeriez ?

-- Non !dit Mendès en tournant le dos

Sarahdisant à Barbier :

-- Trèsbienvotre piècesi elle était en vers.

-- Bon !dit Barbierqui la rapporte en vers.

-- Oh ! sielle était en vers !

-- Maiselle y estdit Barbier.

-- Ouimais en d'autres vers.

10janvier.

Robert deSouza vient me parler de ses tentatives de vers.

-- Moidis-jej'ai eu le phylloxera du vers.

-- Nondit-il. Vous vous êtes aperçu que le verstel qu'ilétait compris quand vous aviez vingt ansne vous suffisaitpas. Vous l'avez mis de côté pour vous donner àla prose. Moij'ai eu le même sentimentmais j'ai cherchéun autre vers. De làmes mesures et mes rythmes.

-- Vousvous êtes bien affranchidis-jedes défauts del'ancien versmais aussi de ses qualités. Votre vers est tropnouveau. Il ne se rattache en rien à mes vieilles habitudesd'être ému par le vers. Vous ne me tendez pas la perche.Je ne vous comprends pas.

--Pourtantécoutez.

Il litetbat du doigt la mesure de son verscomme un chef d'orchestre. C'estmenumenu. Au bout de quatre versc'est déjàmonotone.

--N'êtes-vous pas sensible à ces rythmes nouveaux ?dit-il.

-- Si !Ils me sont désagréables.

-- Maisvotre prose si rythmée et ramassée ?

-- C'estbeaucoup moins compliqué que vous ne croyezdis-je.D'ailleursj'y mettais naguère des complications que personnene sentait. Je les ai suppriméeset personne ne s'enaperçoit.

12janvier.

Hélas! et si je fais une bonne actionje sens qu'elle n'a aucun rapportavec mon âme.

J'ai écrità Francis Jammesde mon propre mouvementun mot gentil. Ilme répond par une lettre un peu ridicule.

Il paraîtqu'il faut que ce soit toujours comme ça.

Mon stylem'étrangle.

Croyez-lemonsieur. Quand je dis que j'ai de l'orgueilce n'est pas parcoquetterie.

Des motsdursà triple détenteet qui font mal avant departir.

Je ne suisqu'un phénix d'égoïsmesolitairehaut perché.Je me nourris de mes parfums. Maissurtoutje m'ennuiejem'ennuie. Le feu de mon bûcher est bien long à prendre.

-- C'estgrisce que vous faites.

-- Oh !monsieurgris-de-perle.

Je vouspasse mon trait d'esprit à travers le corps.

14janvier.

ChezGeorgette Leblanc. Épaules et bras nus.

-- Leshommesdit-elleont le droit de venir comme ils veulent mais ledevoir d'une femme est de se faire toujours la plus belle possible.

Elle estquelquefois très jolie. Elle a un sourire de tout le visagequi est charmant. Elle chante trois ou quatre fois la mêmechoseune fois de plus pour l'invité en retard.

--Qu'est-ce que je vais faire maintenant ? dit-elle. Je chanteraistoute la nuitdes choses que j'aimebien entendu.

HuguesLeroux. Dès qu'il arriveil parle. C'est le roulement d'unphonographe. C'est d'abord étonnant et amusantpuis c'estvite insupportable. Il cite l'année dernièreàtel endroitil a entendu ce mot. Il vous cite vous-mêmeàHervieude l'Hervieuà Renarddu Renard. A seize ans ildevait avoir ce bagoût éloquent. Tout de suite il atrouvé tout ce qui le composeidéesparoledécoration. Il ne progresse paset il ne vieillira pas. Il al'air invraisemblablement jeune et noué. Il ne bouge plus.

-- Nes'attacher à personnedit-il. Avoir beaucoup de relationsles quitter dès qu'ils deviennent ou qu'on devientinsupportablec'est le secret de l'optimisme.

-- Maisdis-jeest-ce donc si nécessaire d'être optimiste ?

-- Non !dit-il. Et le voilà reparti dans une autre direction. Ils'accommode de toutes. Et cet homme extraordinaire et inutile fait unjoli contraste avec Mallarméqui est douxqui est modestequi parle après avoir penséqui préfèrepenser sans parleret dont le dos de redingote est sans tache.

Maizeroy.Il est à Maupassantà son « vieux Guy »ce qu'un pain de sucre est à un bonbon. Il voudrait coffrerZola.

Flaubertétait si bon qu'il prenait au sérieux tous lesdébutants.

--Écrivons une de vos phrases sur une ardoisedisait-il àLeroux. Si elle est jolie à voirelle est bonne. Si ellechoque l'oeilelle ne vaut rien.

C'est unethéorie. Flaubert a trouvé mieux que ça.

L'admirationde Leroux pour Flaubert me touche. Il le sait par coeur. Il devraitbien nous en réciter davantage.

Hervieu.Oh ! celui-làun timide et un borné. Je crois qu'iln'a pas d'autre préoccupation que le succès. Il yarrive par un très grand talentmais il ne se contenteraitpoint d'avoir du talent. Si on lui disait « Hervieuvous neserez jamais de l'Académie »il en mourrait peut-êtremais il en sera. Il sera de tout. Etpour être de toutiltravaille comme une bruteau lieu de paresser comme un hommeintelligent.

Fabrelemusicien de Georgette Leblanc. Maigremaladiffigure de rat trèsdoux. Un singulier col de chemise en forme de petit bateau. Il dit :

--Maeterlinck a toujours peur que je mette trop de musique sur sesvers. Dès qu'il entend une note un peu trop hauteil froncele sourcil. D'ailleursen écrivantil se chante des airsinsignifiants de nourrice et de petit soldat.

GeorgetteLeblanc. Un énorme sablier sur la cheminée. Sur latabledes livres extraordinaires et vieux : ils ont même unpeu de poussière.

Despetites fenêtres peintes en vertdes orangersdes christs aumurdes petits pots de fleurs sur des supports vertset ce petitpot-là dans un coincet autrelàparce qu'ils y fontmieux. De beaux candélabres à sept ou huit bougiesdescandélabres pour Princesse Maleine. Un gros chat noir qui estmis là pour faire le diablesans s'en douter. Des rideauxtendus sur tringles mobiles pour faire des jeux de lumièreselon l'âme qu'on a.

DeHeredia. Sa poésie du cymbalisme.

15janvier.

L'AncienRégimepour quelques-uns c'est une tabatière d'argentune prise de tabac et une pichenette au jabot.

Elle secouche à dix heures et demiefait tout de suite son petitdodose lève à dix heuresfait sa toilette jusqu'àmidifait des visites ou des promenades jusqu'au dînern'apas d'enfants et n'aide pas son mari.

--Voulez-vous me dire à quoi vous servez ?

-- Je sersà me rendre heureuse.

16janvier.

Inclination.Qu'est devenu ce joli mot ?

Il y atrois ans qu'il aime la même femme. Pour elleil a fait toutesles bêtises. Il a brisé sa vies'est ruinés'est fait réformer au régiment par des mensongesrisquant les travaux forcés. Il a réussi toutes lesbêtises qu'il a voulu faire. Il l'aime encore. C'est fini : ilne sera jamais qu'un amant. Il est pâlevautré ; àvingt-trois ansil a quelque chose de déjà trèsvieux. Une continuelle plainte dans la voix : « Oh ! monsieursi vous saviez ! » et de la résignation.

-- Vousdit-ilvous voulez être admiré : c'est le but de votrevie. Moije veux être aimé ; c'est tout mon idéal.

Mais monidéal est encore plus fatigant que le siencar il me donnequarante ans.

Ces jeunesgens si occupés par la femmeje les trouve un peu niais.

18janvier.

Le tempsperdu ne se rattrape jamais.

-- Alorscontinuons de ne rien faire.

21janvier.

LaVille mortede Gabriele d'Annunzio.

-- Uneville mourantedis-je.

-- Uneville crevantedit Marni.

-- Uneéloquence et une poésie d'Asiatiquedit Lemaitre. Desétats d'âme indescriptibleincalculable.

C'est dela poésie comme l'or est un métal précieux : parconvention.

Quand unpoëte a mis le mot « or » dans une phrasequellequ'elle soitil est tranquille sur sa valeur. Elle vaut déjàun peu d'or. Et ces comparaisons : « L'éclat dudiamant... Pur comme l'eau... Fin comme le sable de la mer... »Il y a longtemps que nous ne nous servons plus de ces vieilleries.Hérold lui-mêmeà la barbe fleurietrouve çaennuyeux. Lemaitreà la barbe fanéetrouve qu'il y aune demi-douzaine de belles imagescelle-cipar exemple : «C'est comme si tu coupais toutes les roses du monde pour les refuserà qui les désire. »

Sarahouic'est bience qu'elle faitet c'est très bien ; etc'est certainement elle qui fait les plus belles choses pour lepublic ; maispour nouspour moipour l'homme de théâtreque je voudrais êtreelle n'est pas intéressante. Toutce qui serait originalelle en ferait du prévu.

Elle n'estpas constamment bienmais elle est très d'Annunzio tout letemps. C'est la femme de ce poëte toujours en dehors de lavérité. Il a fait choix d'un sujet bienbien horrible: l'inceste. Et il partet rien ne l'arrêtecar il n'y ajamais de contrôle. Il s'imagine qu'un pays est plus beau parcequ'il est lointainet qu'une colonne est plus belleou une statueparce qu'il en manque la moitié. C'est un peu écoeurantet ce n'est pas sorcier.

Ces poëtesdébandés font aimer ceux qui se retiennentlesrégulateurs. N'importe quelle idée bienils la mettentimpudemment en cinq actes. D'une minuteils extraient trois heuresd'horloge.

Nous nenous sentons d'affinités qu'avec la vie. Elle est un peumédiocre et avare. Etsi nous n'aimons qu'ellenous ne laprovoquons pas : nous la laissons venir à nousetbien desjours de suiteelle ne vient pas. Tant pis ! Nous sommes trop laspour aller au-devant d'elle. Pour être des hommes de génieil ne nous manque que de regarder de prèsintimementvivreCésar ou Napoléon. La qualité de nosenthousiasmesc'est d'être multipliés et brefs.

Euxilsont un enthousiasme qui durequi est leur seconde nature. C'est unehabitudeavec tous les défauts et les périls del'habitude. Leur procédé consiste à soutenirpar exemplequ'un aveugle voit plus clair que vous. Ça flattel'aveuglemais il préférerait avoir ses deux yeux.

Lemaitreparle de Faguet : c'est un professeurun provincial et un bohème.Il va tous les jours à la brasserie avec une vieille femme. Ilest sale. C'est un cérébral. Il n'a pas d'esprit et ila des prétentionsce qui est insupportable.

Vieilletes yeux sont comme un reflet d'étoile dans une ornière.

26janvier.

Si jedisais tous ceux que je n'aime pasil me resterait trop peu d'amis.

Il y a dela place au soleil pour tout le mondesurtout quand tout le mondeveut rester à l'ombre.

Le versest toujours un peu la cage de la pensée.

27janvier.

Lemaitreet moinous sommes d'accord que le théâtre socialisteest une malhonnêteté de gens sans pudeur. Et puiscespersonnages qui pourraient avantageusement être remplacéspar un conférencier sur une chaise !

29janvier.

-- Tutravailles ?

--J'essaie de travailler : c'est bien plus difficile.

Tout àcoupdans la nuitj'entends une femme qui bat du linge.

31janvier.

Le livrenécessaire.

Je necompte pas mes qualités ou mes défauts : je compte desvérités. Je voudrais les dire.

Suspiriade profundis.

Ma femme.De toutes celles que je connaiselle est la plus digne d'êtreaimée.

Un crivers la vertu.

L'enfant.A la fin d'un dînerje passe ma main dans ses cheveuxjepince son oreille pour m'assurer qu'il est là.

Leschosesmon père. Je ne suis pas fou. Je suis un homme qui nesait paset qui voudrait savoir.

Je suis unhomme toujours étonnéqui tombeà chaqueinstantde la lune.

Lapauvreté. C'est ma femme qui est bonne. Moij'ai du plaisir àm'envelopper d'épines. On s'y trompe. Le curé dit : «Le diable a épousé un ange. » Cela fait l'affairede mon goût pour l'ironie et des pauvres. Ils acceptent mieuxce que leur donne ma femmeparce qu'ils s'imaginent qu'elle donne àmon insu. Ils ont l'air de me faire une bonne farce. « Ce n'estpas lui qui nous donnera ! » disent-ils. Et ils tendent la mainsans pudeur. Ils se vengent de ma dureté. L'aumônequ'ils acceptent est un peu volée.

Ma bontéest quelque chose que je retiens et qui filtre quand même.

Et cetteindépendance ne me coûte pas rien. J'ai dit que j'aihorreur des grands dîners : c'est pourquoi l'on ne m'y invitepas. On m'invite à partpour être poli. On a peur de mafranchise. Je mettrais les pieds dans le plat.

Invitéseulje peux les y mettre à ma fantaisieet le dînerest vite expédié. La soupedeux platspas au choixet le dessert. On me fait sobre. Je suis venu pour causer. Vitedébarrassons la table ! Passons au salon prendre le caféet causons.

2 février.

Quand onme dit que j'ai du talenton n'a pas besoin de me le répéter: je comprends du premier coup.

Les chosesdésagréables me font bien souffrirmais c'est encoreelles que je préfère.

Posséderune femme par le bout du doigt.

La lunesous le nuage se ferme lentementcomme un oeil de chat.
Bauërsocialiste bourgeoiss'indigne contre les auteurs mondains quiexècrent le monde.

J'ai étéélevé par une bibliothèque.

-- C'estpapa qui paiedisent cruellement mes enfants.

Je ne suispas de ceux qui croient que rien n'est mystérieux comme uneâme de jeune fille.

« Laplus belle fille du monde...» Mais la plus laide donne plus.

4 février.

-- J'ai unmarimoidit Baïe.

-- Quelâge a-t-il ?

-- Vingtans.

-- Il estbien plus vieux que toi !

-- Oh !avec luij'ai un autre âge.

-- Quelâge ?

-- Je nesais pas. Aussitôt que je serai levéenous irons àVersailles.

-- Moijetrouve...

-- Ouivousmais le publicnotre maître à tous ? dit l'auteurdramatique.

-- Il mesemble que le public a résisté là.

-- Oh ! çam'est égaldit l'auteur. Je me moque du public.

Hommed'espritoui. Mais n'oubliez pas que j'ai en horreur l'esprit desautres.

Il y atoujoursdans la plus spirituelle des femmesune petite dinde quine prend jamais le temps de dormir.

10février.

-- Oh !votre réponse n'est pas forteRenard ! Si l'on sténographiaitnotre conversation...

--Permettezcher ami. Pourquoi aurais-je toujours de l'espritetvousjamais ?

11février.

DéjeunerGuitryHaraucourtBernard. Haraucourt nous raconte qu'au lycéeCharlemagne il faisait les devoirs des autres pour avoir desconfitures ou du brie. Il dit que Fernand Xau a étédécoré vingt-quatre heuresmais qu'à ladernière minute on l'a dédécoré àcause des Petites Annonces du Journal.

-- SarahBernhardtdit-ila été la première gloire quiait profité de l'électricité et du télégraphequi enveloppent le monde de leur réseau. Ni Napoléonni Victor Hugo n'avaient eu ça. A Belle-Isle-en-Mer ellemettait tout le monde sur le flanc. Elle voulait donner l'impressiond'une activité follequ'elle n'avait pas. Elle connaîtPhèdremais seulement par coeur. Elle a perdu sa voixd'or et ne sait plus pousser un cri.

-- Je neveux pas de l'article de Willydit Thadée Natanson. Je neveux pas qu'en ce momentà La Revue blancheon fasseun mot contre Zola.

-- Alorsdis-jeplus d'esprit ?

-- Nonnon. Qu'il fasse des mots à L'Écho de Paris !

-- Ladé-Zola-tion complètequoi !

Çavaut toujours bien le « Il est sommier élastique moinsle quart » du Nouveau Jeu de Lavedan.

12février.

Quand jeregarde une poitrine de femmeje vois double.

Le ventqui a caressé la glace.

15février.

Guitry etmoinous allons demander à Calmette s'il lui serait agréableque Le Pain de ménage fût représentéau Figaro. Calmette dit qu'il serait heureux de faire quelquechose avec nous. Bien ! Allons-nous enet je lui tends la main pourpartir. Mais ce n'est pas finiet je lui donnerai sept ou huitpoignées de main dans la soirée.

Ilm'apparaît tout exsanguefanéen habit noircravateblanchechemise douteuse de mauvais restaurantobligé derester là jusqu'à la fermeture. Quel endroit morne quele bureau de rédaction !

-- Jecroyaisdit Guitryqu'il n'y avait rien de plus sinistre que le bardu Journal.

Salletendue de vertouverte à tous. Téléphonetimbres électriquescornet acoustique. Sur la tablele ToutParis et le Mercure de France.

Un proteapporte des feuilles. Commesur sa lenteurArène lui faitune observationle prote répliquede mauvaise humeurqu'onne peut pas mettre des tas d'hommes sur son bout d'articleet Arènemoumoudit : « Là ! Là ! Ne vous fâchezpasmon bon ami ! » Il est éteint comme un homme qui ade l'esprittoujours de l'espritet qui voudrait bien n'en plusavoir. Huret ne manque pas de nous présenter : ça faitvingt-cinq fois qu'on nous présente.

-- Jecrois que vous êtes un ami de collègeme dit Arèneaccablé. Je crois que je vous connais depuis trente ans.

J'ai enviede lui dire que ça ne le rajeunit pas.

Unépisode. On apporte à Arène sa Note d'unParisien. Il la relit et la passe à Calmette qui hoche latêtede satisfactionet ditje crois : « C'est drôle.» Le garçon emporte la Note.

Tu auraispu mettre aussi...dit Calmette qui propose à Arèneune modification ou un trait d'esprit que je n'entends pas.

Arènesonneet dit au garçon de rapporter la Note. Arènela relit et se prend la tête dans les deux mains. Enfinilajoute une ligne et passe le papier à Calmette en disant : «C'est un peu cocotu sais ! »

--Supprime-ledit Calmette.

Arèneeffacemais il se prend encore la tête entre les mainsetétudie.

-- C'estbienva ! dit Calmette.

-- Oh !dit Arènedepuis que tu m'as donné cette idéeelle me travaille.

Et ilremet Bon sur ce qu'il avait effacé.

Enfinlegarçon emporte la Note d'un Parisien. Et je n'oseraispas dire qu'elle ne reviendra plus.

Berr afait une « nouvelle à la main » ridicule.

-- Elleest vraiment drôle ! dit Calmette. Renardvous devriez biennous faire des nouvelles à la main. Il faut aussi en demanderà Bernard.

Et Huretouvre sa bouche de jeu de bouleset Calmette a de plus en plus l'aird'une quenelle molle qui ne demande qu'à rentrer dans cettebouche.

Et puison joue. Calmette prend une feuille de papier.

-- Quellessont les douze plus jolies actrices de Parisc'est-à-direavec qui nous coucherions bien toustant que nous sommes là ?

Dessilences. Chacun garde la sienne.

Puisdeshistoires de tapettes. Guitry raconte qu'on a dû interdire àX...de La Renaissancede monter vers les machinistes.

Ah ! quandserai-je écrivain au Figaro!

-- On vareprendre le Supplément littérairedit Huretet vous pourrez nous redonner de vos petites crottes.

16février.

Une femmeà une heure du matinsur le trottoir.

--Achetez-moi un petit bouquet. Ça vous portera bonheur.

Elle nedemande que çaet on coucherait bien avec elle. On est vexé.On passe et longtemps on a ce cri dans le dos : « Oh !monsieurdeux sous ! Rien que deux sous ! Ça vous porterabonheur. » On a envie de se retourner et de lui dire : «Nonnon ! Je ne veux pas de ta sale violette. Tu n'auras pas deuxsousmais voilà cent francs si tu veux coucher avec moi ! »

Poètebrillantau sens de « râpé ».

17février.

A proposde Willy refusant de signer la protestation de La Revue blanche:

-- C'estla première foisdit Veberqu'il refuse de signer quelquechose qu'il n'a pas écrit.

Presquetous sont des officiers de réserve. Ils n'ont que la haine del'officier de réserve pour l'officier de l'active.

L'oeil desfemmes qui écoutent des vers. Quel dommage que l'oreille n'aitpas une expression ! L'on verrait de jolies petites oreilles defemmes ressembler à des oreilles de veaux. Et elles écoutent! Elles écoutent comme sitouteselles s'appelaient Thérèse.Avec quelques ronrons et quelques rimeson pourrait leur faireavaler l'Annuaire du Bureau des Longitudes.

J'aitrente-quatre ansun nom. J'ai fait sur Alphonse Daudet un articlede quatre pages où j'ai résumé les impressionsque m'a laissées Daudet. Cet article a paru le plus originalde tous ceux qui ont été écrits sur le mêmesujet : La Revue blanche me le paie seize francs. Mais c'estune bonne leçon de philosophie.

Si jamaisune femme me fait mourirce sera de rire.

18février.

Ce soiràLa Revue blanche. L'affaire Dreyfus nous passionne. Oncompromettrait pour elle femmeenfantsfortune. Thadéequinous apporte les nouvellesdevient quelqu'un.

-- Jedînais hier soirdit Mallarméavec Poincaré quiest pour Zola sans être pour Dreyfuset qui disait tristement: « Je sens la guerre ! »

-- Qu'ilse fasse désinfecter ! dit Léon Blum.

--Pourquoi la guerre ? dis-je.

-- Nousavons déjà failli l'avoir lors du procèsditMallarmé. Ça n'a tenu qu'à un cheveu.L'ambassadeur d'Allemagne a tout arrêté. Aujourd'huiGuillaume est de plus en plus excité. Si sa femme ne leretenait par la manche...

-- Çame paraît un peu simpledis-je. Mais je comprendraisl'irritation de Guillaume. Les Français lui disent d'abord : «Nous avons les Russes avec nous. Ah ! Ah ! venez-ymaintenant ! »Puisdes histoires de pièces volées et vendues àl'Allemagne. On comprend que Guillaume éprouve le besoin denous crier : « Vous m'embêtezavec vos piècesvolées ! Je n'ai pas besoin de vos pièces secrètespour vous battre : j'ai mes armées. Nous allons voir ! »On crie : « Vive l'armée ! » et « A bas laguerre ! » Il y a vingt-cinq ans que l'État-Major seprépare à refuser la guerre. On crie : « Vive laRépublique ! » et on se fait arrêter. Tant mieux !Tout va maltout va bien. Et si Zola est condamnétantmieuxetsi Dreyfus est condamnétant mieux ! Il nousrestera le droit de haïrsans arrière-penséel'attitude écoeurante de nos grands chefs d'armée.

-- J'aiperdu un petit cousin ces jours-ci.

-- Et moiune petite cousine. Nous pouvons parler d'autre chose : nous sommesquittes.

Mme Allaisa l'air résigné et pas très heureux d'une femmedont le mari tourne tout à la blaguetout.

-- Etvousmonsieuroù étiez-vous en 70 ?

-- Ennourrice.

Si j'ai unchapeau où votre tête enfonce jusqu'aux oreillestoutde suite je me crois votre supérieur.

Mendèsvous méprisez les ironistes. Ils jouent avec leurs sentimentsles plus profonds. C'est comme si vous disiez qu'un papa n'aime passes enfants parce qu'il joue avec eux.

Un chevaltombele cocher aussi. Voilà ce que c'est que de vouloirmonter sur le siège !

21février.

Il ne fautpas connaître ses amis avant leur gloire.

22février.

C'est unhomme de haute taille qui paraît petittant il est plat.

Il pleureà froides larmes.

Je ne mesuis jamais aperçu que les compliments qu'on me fait ne sontpas sincères.

C'est unefaçon de mal parler.

Littératurefrançaisetire ta langue : elle est bien malade.

Elle s'estéloignéed'un petit derrière pincé.

23février.

Zola estcondamné à un an de prison et mille francs d'amende.

Etmoije déclare :

Que jesuis écoeuré à plein coeurà coeurdébordantpar la condamnation d'Émile Zola ;

Que jen'écrirai plus jamais une ligne à L'Écho deParis;

Que M.Fernand Xau estphysiquementun des plus petits hommes que jeconnaissemais queà force de platitude dans sesdéclarations à ses abonnésil arrive àme paraître encore plus petit ;

Qu'ironistepar métier je deviens tout à coup sérieux pourcracher à la face de notre vieux pantin nationalM. HenriRochefort

Que leprofesseur d'énergie Maurice Barrès n'est qu'unRochefort de plus de littérature et de moindre aplombetqu'il fera tant que les électeurs ne voudront plus de lui pourconseiller municipal enfariné ;

Que M.Drumont n'a aucun talentaucunet qu'on s'apercevra que le joujouantisémite se cassera dans la main ;

Quesi LeFigaro ne se hâte pas de s'appeler le Bartholol'ombre de Beaumarchais ne peut manquer de venir lui tirer lesoreilles ;

Quefierde lire dans leur texte les FrançaisRacineLa BruyèreLa FontaineMichelet et Victor Hugoj'ai honte d'être sujetde Méline.

Et je jureque Zola est innocent.

Et jedéclare :

Que jen'ai pas de respect pour nos chefs d'armée qu'une longue paixa rendus fiers d'être soldats ;

Que j'aiassisté trois fois à des grandes manoeuvres et que toutm'y a paru désordrepuffismeinintelligence et enfantillage.Des trois officiers qui ont fait de moi un caporal ahurilecapitaine était un médiocre ambitieuxle lieutenantun petit bout d'homme à femmesle sous-lieutenantun jeunehomme convenable qui a dû démissionner.

Je déclareque je me sens un goût subit et passionné pour lesbarricadeset je voudrais être ours afin de manier aisémentles pavés les plus grosquepuisque nos ministres s'enfichentà partir de ce soir je tiens à la Républiquequi m'inspire un respectune tendresse que je ne me connaissais pas.Je déclare que le mot Justice est le plus beau de la languedes hommeset qu'il faut pleurer si les hommes ne le comprennentplus.

Zola estun homme heureux. Il a trouvé sa raison d'êtreet ildoit remercier ses pauvres jurés qui lui font cadeau d'uneannée d'héroïsme.

Et jedéclare que je ne dis pas : « Ah ! si je n'avais pas unefemme et des enfants !... » Mais je dis : « C'est parceque j'ai une femme et des enfantsc'est parce que j'ai étéun homme quand ça ne me coûtait rienqu'il faut quej'en sois un encore quand ça peut me coûter tout ! »

Parcequ'ils ne sont pas Juifsils se croient beauxintelligents ethonnêtes. Barrèsinfecté de coquetterie.

J'acquitteZola. Loin d'organiser le silence autour de luiil faut crier : «Vive Zola ! » Il faut hurler ce cri de toutes nos profondeurs.

Barrèsce gentil génie parfumépas plus soldat que Coppée.Et je déclare en passant que l'attitude papelarde et moribondede Coppée nous dégoûterait de la poésies'il était poëte.

Barrèsqui avait reçu sur les doigts pendant la bataillequi s'étaitaventuré et qui se tenait coiet que revoilà avec safigure de corbeau apprivoisé et son bec habitué auxfouilles délicatesBarrès parlant de patriequ'ilconfond avec sa section électoraleet de l'arméedontil n'est pas !

Quelleintéressante contradiction ! Écrivainvous méprisezla foule ; députévous ne vous fiez qu'à elle.Grand écrivainmais petit homme qui n'attend pas que lepeuple lui offre une place à la Chambrepetit homme quimendie.

Notregouvernement de pékins est si aimable pour nos guerriers quepour ne pas être en resteils lui ont promis qu'à laprochaine guerre ils se mettraient tous en civil.

Coppéequi porte sa culotte de peau jusque sur la figure.

Barrèscolle sur le nez des Juifs les plaisanteries qu'il peut décollerdu sien. Cet écrivain admirable se résigne au jeu despetits papiers électoraux.

L'heuretriste. On crie le verdict. Des hommes essoufflés comme s'ilscouraient au bout du monde. Une larme de pitiéde rage et dehonte.

Ah ! queles livres deviennent lourds !

L'opinionpubliquecette masse poisseuse et poilue.

Une arméece chromo humain. Des officiers qui se croient quelque importanceparce qu'ils sont coloriés comme des pommes d'api.

28février.

-- Zut !dit Baïe.

--Qu'est-ce que tu as dit ?

-- Rien.C'est de l'anglais.

Le moineaupiquant graines et insectes : on ne vit pas seulement de pain.

Vivel'armée ! Avec çaque les officiers la connaissent !S'ils entendaient deux ou trois dialogues de chambréeilsfrissonneraient.

Nousnoussommes à peu près garés. Je plains les jeunesqui viennent.

Je détestel'émotion : c'est trop longbeaucoup plus long que la joie etle rire.

La cascadede son rire sous les vannes de ses dents.

Le Painde ménage. Guitry récite sa petite fable : «Je la questionne souvent... » Et nous le laissons aller sanssoufflerettout à coupil dit :

-- Oh !vous me laissez tout seul sur la routeavec mon petit paniercommeun petit garçon qui va à l'école et qui a enviede pleurer !

Et Brandèslui dit :

-- Vousnous embêtez. Apprenez donc votre rôleà la fin !

Loge deBrandès. Avec le concours de son habilleuseelle passe de sarobe dans son peignoir. Je n'y ai vu que du feu. Puiselle sedébarbouille. Que de choses une jolie femme peut ôter deson visage ! Elle en ôte tout le théâtre.

Comme jen'étais pas en habitl'huissier m'a dit : « Quidemandez-vous ? » d'une voix où il mettait tout sonprotocole. Si Collache ne m'avait pas prêté sa canne àpoignée d'argentsi j'avais gardé mon parapluiej'étais perdu.

Un vieilabonné faisait contraste : habit et gilet de velours. Entrelui et moiil y avait toute cette distanceplus celle de nos âges.Et il me regardait avec des yeux de rivalcondamné àcéder à la jeunesse même laide.

A LaRevue blanche on me pousse contre Barrès : «Attrapez-le donc ! Ce serait drôle. C'est un dévoyé.Il n'a plus en littérature les mêmes idées quenous. »

-- Maisdis-jecomment voulez-vous qu'un homme habitué à lireGoethe et Renan soit très différent de moi ? S'ill'étaitj'avoue que je serais inquiet pour moi.

1er mars.

Mallarméintraduisiblemême en français.

5 mars.

Quand unacteur est mauvaisl'applaudissement le rend pire.

8 mars.

Est-cequemortmon père ne me soutire pas par les pieds l'énergieque j'avais ?

Baïe.Quand elle est fâchée avec son chatelle lui dit «vous ».

-- Est-ceque c'est Flaubert qui a mis sa culotte à l'envers ?demande-t-elle.

Simignonne quesi vous vouliez vous pendrevous n'auriez pas lepoids.

Rodenbach.Triste rire cassé comme celui d'un visage dans une eau oùl'on a jeté des pierres.

Il y a despièces en trois actes dont les deux premiers n'ont étéfaits que pour donner au public le temps de s'asseoir.

11 mars.

Tout lemonde aime les étoilesles arbresles sources. Je ne peuxvous savoir gré de ce sentiment-làbanal comme celuide l'amour. Je ne vous serai reconnaissant que sipar votre façonde les aimervous ajoutez quelque chose à la mienne.

14 mars.

Le Painde ménage. Et si l'on criait bis ! jusqu'àce qu'on le joue une seconde fois dans la même heure ?

Dans lasatisfaction de mes amisquelque chose qui m'inquiètecommes'ils étaient gais parce que ce n'est pas troptrop bien.

C'estaussi une pièce dont on dithélas ! : « Ilfaudra que je l'entende une seconde fois. »

15 mars.

Le Painde ménage. Au FigaroVeberce soir :

-- Eh !bienRenardavez-vous digéré votre succès ?

-- Et vous? lui dis-je.

Hervieupréfère Plaisir de rompre. Ça a étéun succès aussi délicieux à la répétitiongénéralemoins l'étonnement. Dès lespremières phrasesje suis tranquille. Je ne suis plus auteuret je me laisse charmeret j'applaudis comme le publicquiaccompagne la pièce comme s'il l'avait écrite. Brandèset Guitry me disent :

-- Nousavons dû les calmer d'autorité ; sans quoinousn'aurions pas pu dire une phrase.

Trois ouquatre rappels à la finet mon nom tombant comme dans unemare à grenouilles charmantes.

Me voilàbien ! Sans ce nouveau succèsj'aurais peut-être faitcinq actes passables. Maintenanttout m'est interditexceptéle merveilleux.

Le soirje rejoins Guitry qui dîne avec Noblet chez Josephrestaurateur de la rue Marivaux. Ce Joseph découpe un canardcomme s'il jouait du violonet nous sert une finesi chèrequ'il ne peut pas la vendre et préfère l'offrir àses amis.

Tout demême je n'ai pas osé embrasser Brandès.

18 mars.

Dînerchez Bernard.

-- Vousavez de la famillemonsieur Capus ?

-- Ouimadame. J'ai une femmesi mes souvenirs sont exacts.

21 mars.

-- Depuisque je suis mariédit Capusje n'ai jamais mis les piedsdans une autre femme.

Bah !Après ma mortquelqu'un s'apercevra bien qu'au fond j'étaisbon.

Et son âmede grue a des yeux de pervenche.

24 mars.

Ma volontése ride.

27 mars.

Quand jedonne un billet de cent francsje donne le plus sale.

-- Comment! Vous dites qu'il est arrivéce poëte ?

-- Dame !

-- Iln'allait pas loin.

29 mars.

Dînerchez Capus. Son rire réjouissant. Sa petite tête estcomme une bille de billard qui tourne et fait de l'effet sur place.

DécidémentGuitry est un homme à part. Il a une façon discrètede charmer. Il raconte ses histoires en ayant l'air de s'excuser deles raconter encore.

30 mars.

Ibsen.L'Ennemi du peuple. Séverine coiffée en copeauxd'acajou. Thadée Natansonministre d'Ibsen. Une piècetrès claire oùpour une question d'humble voiriemunicipaleles plus belles idées éclatent. Une piècecomme calquée sur l'affaire Zola. Ibsen applaudi pour unautre.

31 mars.

DînerRostand.

-- EnfinRenardque feriez-vous à ma placeaprès Cyrano?

-- Moi ?Je me reposerais dix ans.

Enréalitéje sens qu'il passe par-dessus moi. S'ilm'accordait du génieil se trouverait sublime. Il y auraittoujours une petite nuance.

Oùil travaille le mieuxc'est en chemin de feret même enfiacre. Le mouvement agite son cerveau comme un panier d'idée.

Il acinquante sujets de pièces aussi merveilleux que Cyrano.

Il aimetout du théâtrejusqu'à ses odeurs d'urinoirs.

-- Vousdites ça en riant !

-- Je ledis en riant parce que c'est très sérieux.

Trèsbonne soirée peut-être pour un autreennuyeuse pourmoiet qui me laisse un mauvais souvenir. Je crois que j'ai perdutoute sympathie humaineet je revoisdans tous les souriresdesdents de cannibales.

-- Jen'aime plus le théâtredit Becque à Brandès.Je n'aime qu'à regarder des poitrines.

Tout àl'heure il danseraetentre son gilet et sa culotteon verradéborder son caleçon. Et l'on se chuchotera : «Voyez-vous le caleçon de Becque ? Ce sont ses polichinellesqui sortentpeut-être. »

Jamais lesfemmes ne m'ont paru aussi bêtes.

1er avril.

A laGloriette.

Tristecomme une veuve qui regarde par la fenêtre un paysaged'automne.

Enfinseulsans s.

Des arbresdont on a coupé tous les membres. Il n'en reste que le troncmutilé. Chaque amputation a laissé une tache ronde decicatrice sèche. Au piedquelques branches encore ; avec lesautreson a fait des fagots. Et ce carnage n'impressionne pas :aucune plaie ne saigne. D'autres branches pousseront avec unenouvelle force. Méfions-nous ! Il y a des hommesdont jesuisqui exagèrent la sensibilité des arbres.

Une truiepleinerousse et vêtue de saleté. Ses tétinesgonflées touchent le sol. Voilà une mère ! Ellecommande le respect comme ces femmes quipar ordre du médecinmarchent aux Champs-Élyséesrichement vêtues etprécédées d'un ventre magnifique.

Un verratla suitavec son énorme vessie au derrière.D'ailleursl'un et l'autre ne pensent qu'à mangeret leursgroins ne quittent plus la terre.

Non loind'euxun autre cochonni truieni verrat. Il a dû tomberdans l'eau par mégardecar il est proprepresque blancetgras comme un moine.

Des arbresà la peau rude de rhinocéros.

Avril.

Sur lepontregarder le flottage des bûches qui se poursuivent ets'entrechoquentet paraissent vraiment animées. C'est unefoule de bêtes vivantes et bizarres de simplicité : nitêteni membres. Elles culbutent au bas du moulinetdescendentd'une allure rapideaussi loin que va la rivièrequi n'a plus l'air de couler. Les bûches ruisselantes glissentmarchent ou bondissent sur elle. Quelques-uneslassesse séparentdu troupeau et se retirent dans un coin d'eau dormante oùelles s'immobilisent peu à peu. D'autres se noient. Et lespoissonsque cette invasion effarese collent contre les bordssous l'épervier.

Ledimanche des Rameauxpendant la messele coq du clocher étaittourné au nord : signe de beau tempsd'une année desécheresse.

Leflottage à bûches perdues. Elles arrivent deChâteau-Chinon et vont à Clamecy. On les jette àChâteau-Chinon le matin. Elles arrivent à Chitry versquatre heuresselon la force du courantà Clamecyvers dixheures du soir. Assis au moulinBoulichearmé de son crocles attend et les surveille. Il les surveille jusqu'à Marigny.Il ne faut pas qu'elles s'arrêtent à quelque fond oùla rivière manquerait d'eau ; elles feraient obstructionleflot de bois serait immobiliséet la rivièredébordantentraînerait les bûches dans les prés.L'eau reviendrait peut-êtrepas les bûches.

QuandBouliche voit que quelques-unes se prennent au milieu de la rivièreil quitte ses sabotsrelève sa culotteentre dans l'eau etavec son crocles déprend. Sur le bord de la rivièrenous suivons le flot. Parfoisdeux bûches sonnentcommequelqu'un qui marche avec des sabots. Et voici unelourdeimbibéecomme une épongequi s'en va lentementlevant à fleurd'eau un nez d'hippopotame. Ce n'est pas près qu'elle arrive àClamecy ! Ce doit être une bûche de l'annéedernière. Elle a passé l'hiver au fond de la rivière; elle est remontée aujourd'hui seulementsaoule d'eau.

Un épide blé de la taille de Toulouse-Lautrec.

La pireodeur qu'on respirec'est de se sentir mauvais.

Aucimetière. Je tâche de m'imaginer la chose horriblequ'est maintenant le visage de mon pèreet je sens la grimaceque fait mon visage à moi.

Les vieuxpeignes sales des chardons.

Oh ! Oh !je suis déjà presque aussi vieux que mon pèrequi est mort.

Une naturedessinée avec un crayon taillé trop fin.

Des nuagespour front de jeune fille.

L'enfantdit en regardant la carte :

-- Il doitêtre jolice pays-là ! Il est tout vert.

Toutmalheur qui ne m'atteint pas n'est qu'un rêve.

-- Unjourune femme m'a fait une déclarationet je me suisendormi.

-- Oh !

-- Dansses bras.

L'enviele sentiment le plus fortifiant et le plus pur.

Colombophileil ne manque pas un tir aux pigeons.

Roulées.C'est l'oeuf de Pâques. De porte à porte les enfants dechoeur vont chercher leurs roulées. L'un agite une sonnette etl'autre porte un christ que les hommes baisent en disant : «L'avez-vous bien débarbouilléau moinshier soir ? »Aux gaminson donne un oeuf teint en rougeen jaune ou en bleuoùl'on fait des dessins en y laissant couler de la bougie.

Un jourqu'on leur donna trop à boireles enfants de choeurivresallèrent se coucher dans la paille et dormirenttranquillement.

Un petitpeu de gloire me suffitjuste assez pour n'avoir pas l'air d'unimbécile dans mon village.

Le soleiln'est pas encore couchéet la lune se lèvepour voirce fameux soleil dont on parle tant.

Elle a euune mention à La Mode pratique pour un cordon desonnette. Tout Corbigny s'en est ému.

Si je nesuis plus jeuneje voudrais bien savoir à quelle heure dequel jour ma jeunesse m'a quitté.

La caneessaie de sauter un mur et de passer une haie. Arrivée àmoitié du murelle retombe lourdement. Elle n'insiste pas.Elle va chercher le canard. Tête droitetous deux regardent lemurcherchent un trou dans la haie. De temps en tempsils yrenoncentfont le tour par le prétondent un peu d'herbeetreviennent.

La caneentre dans la haieà mi-corps ; mais c'est trop épais: elle y renonce.

Ils fontle tour du préperdant leur journéeet la mienne.

Et leurssalutations saccadées.

C'est unacte embrouillé. Il faudrait un vaudevilliste pour nous sortirde là.

On croitqu'ils vont s'envolermais ils n'osent pas.

Fanteccontent parce qu'il pourra enfin écrire son âge avecdeux chiffres.

Oh ! nepas tant vivrevégéter seulement !

Elletouche à la terre comme l'hirondelle au lac.

L'ombrefroide du printemps. Des éclaircies de bruitde vent.

Leur goûtdu travailc'est de ne pas pouvoir « rester à rienfaire ».

Ilss'ennuient. Ils ne savent pas rêver comme moi. Leur paresseserait de la vraie paresseet j'ai tort de me rudoyer. Je les défiede paresser comme moi. C'est peut-être là mon uniquesupériorité sur eux ; si le mot choquedisons quec'est ma différence.

Que demots dont je ne me suis pas encore servi ! « Caduc »parexemple.

Comme laterremon courage a besoin de pluie.

-- Apartir de quelle ville qu'on n'est plus dans Paris ? demande Baïe.

Comme jeregarde la rivièreles laveuses se disent : « Qui doncce monsieur-là ? » Et elles me prennent pour un de cesmessieurs des Eaux et Forêts.

Saules.Des troncs d'arbres sans branches sortent de terre comme des poings.

N'écrisque par lassitude de regarder.

Le petitfeu que font deux moitiés de bûche rapprochées.

Voyeur dela nature.

Ces petitsriensces petits froissements qui sont pour l'amitié ou pourl'amour comme une gelée blanche.

J'ai coupéce matin quelques branches qui me cachaient la moitié de monhorizonune partie de la terre.

Ne medemandez pas d'être bon : ne me demandez que d'agir comme si jel'étais.

Avoir dansune cabane des rêves d'empereur.

En notresiècle de peu de foi« sans doute » a le mêmesens que « peut-être ».

Avec lapeur d'être vu et de me voirj'ai embrassé trèsvite une photographie de mon père.

Mes façonsde penserje les emprunte volontiers : je ne tiens qu'à mesfaçons de sentir.

« Onne peut pas travailler à Paris. » « On ne peut pastravailler à la campagne. » Remplacer ces formules par «On peut travailler partout ».

Je pensequelquefois comme Renanet je ne parle jamais mieux que Philippe.

Deuxhommes qui ne se connaissent pas sont capablespar amour-propredepasser l'un à côté de l'autredans un désertsans se saluer.

Un soleilpâlele soleil qu'il faut à des arbres qui n'ont pasencore de feuilles pour faire de l'ombre.

Quel calme! J'entends toutes mes pensées.

A chaqueinstant il faut que je retrousse mon âme qui traîne.

Il n'y aaucune différencepour moientre la lune et son reflet dansle canal.

Le facteurs'est acheté un petit âne pour aller plus doucement.

Un saulecoiffé comme Alphonse Daudet.

Nous nousaperçûmes que c'était une simple ficelle qui nousbarrait la vie.

Se mettreà la place où mon père aimait à semettreet tâcher d'y avoir les mêmes pensées quelui.

Poreldisait : « Les acteursles amis sont un mauvais public. »

-- Lepublicquelquefoisest un mauvais publicdit Capus.

Lemaitrene sera content que lorsqu'il ne restera plus un seul Françaisen France

Il estmort à quatre-vingts ans parce qu'il ne pouvait plus manger.Il est mort en cessant peu à peu de respirer. On voyait lamort violette monter le long de ses jambeschaque jour d'uncentimètre. Comme il avait passé sa vie àchevalayant été grand chasseuril ne se rappelaitplus que ses chiens.

Quelques-unesde ses rides avaient disparude sorte qu'il semblait avoir rajeunide dix anset même de quatre-vingt-quatre.

Il jouaitaux cartes avec sa fille et jurait quand il perdait. Elle prit leparti de le laisser toujours gagner. Alorsil se fâcha parcequ'il ne gagnait pas assez vite.

27 avril.

Omnibus.Des voyageurs à quinze francs le cent.

Je regardeFantec. Il a près de dix ans. Il en aura quinze que je n'enaurai pas quaranteet il n'y a presque rien de commun entre nous.

Et je netiens ni à ce qu'il lise mes livresni à ce qu'ilm'admire.

Je ne peuxlui être utile que d'une façon indirectec'est-à-direqu'il faudra que je gagne beaucoup d'argent pour qu'il fasse sesétudespuis l'homme qu'il voudra.

Je ne mesens que deux ou trois devoirs envers luiet qui sont encontradiction avec ma nature développée. Il faut que jesois un honnête papa dont le nomdu point de vue socialnesoit pas une étiquette ridiculeet qu'au besoin je fasse demauvaises pièces de théâtre qui me permettent del'élever. Le reste ne le regarde pas. Et il peut rire despetites trouvailles de l'auteur des Histoires naturelles; etil ne m'intéressecomme le reste de l'universque pour ceque j'en pourrai tirer de littérature.

J'aipeut-être aussi le devoirqui m'est plus facilede rendre samère heureuse afin qu'il soit heureux par elle.

Ainsin'avons-nous que des rapports indirects. Cela m'étonne et medésole un peu au moment où j'écris ces lignesmais sans doute n'y penserai-je plus ce soir.

29 avril.

Soirée.Des femmes dont les cheveux font imaginer d'horribles toisons. Desgorgesdes peaux pas plus troublantes que des linges qui sèchentà la poussièresur des cordes. Des vieux sénateurs-- c'est pour eux qu'on arrive -- qui ont l'air de forgeronsendimanchés. Des femmes si décolletées quequand on leur parle d'un peu prèson croit parler àdes femmes nues. Et moi pérorantcomme un Caro rossedonnantdes consultations à deux vieilles jeunes filles avec qui je nevoudrais pas couchertout habillées.

D'autresénormes femmes qui se sont fait souffler dans les seins avantque de veniretpeu à peuils fuient et se dégonflent.Et toutes les maîtresses de maison qui ont déjàdonné leur soirée bâillent -- elles mettent lamain devant la bouche pour que ça se remarque mieux-- etdisent. « Nonnon ! Jamais de ma vie je ne me suis tantennuyée ! »

Etl'amateur qui joue une petite piècequi ne sait oùregarderet qui est naturel et fauxet qui est gauche comme s'ilfourrait ses regards dans ses poches.

-- Onentendrait voler une montredit Capus.

Ne ditespas à une femme qu'elle est jolie. Dites-lui seulement qu'ellene ressemble pas aux autreset toutes ses carrières vousseront ouvertes.

Quand unefemme vous dit : « Un homme comme vous... »c'est unefaçon de dire : « Quand vous voudrezmonsieur. »

Si vousvoulez plaire aux femmesdites-leur ce que vous ne voudriez pasqu'on dît à la vôtre.

Je crois àla langue française. J'ai la conviction qu'un Bossuet de nosjours écrirait mieux que le Bossuet classique.


30avril.

Sachesourire quand un homme d'esprit devine tes petites infamies.

Ils ontl'un pour l'autre une amitié de raceune amitié debassets.

Il ne memanque que d'avoir été mêlé à desgrandes choses.

Je memoque des pommes d'or du jardin des Hespérides : donnez-moiune pêche.

Uneasperge à tête de serpentde vipère.

1er mai.

Lemartin-pêcheur en acier bleu.

7 mai.

ChezRostand. Saint-Pol Roux lui adresse un manuscrit La Dame àla faulxoù la plus douce folie est parsemée detalent. Dès que Rostand a le malheur de répondre àune lettre de complimentsil reçoit deux ou trois manuscritsà placerou une autre lettre disant « Je suis poëte.J'ai vingt ans. Que voulez-vous que je fasse ! »

Il reçoitdes verslettres ou livresidiotsde vieilles comtesses etbaronnes qui tremblent d'admiration.

Il dîneen chemise de soie rougesans cravateles pieds assez malchaussetés dans des petits bouts de babouches.

Noussommes cinq à dînery compris la mère de MmeRostandet il y a deux domestiques derrière nous. Ilsprennent part à notre causerie par les têtes qu'ilsfont. Quelquefoisils se tordent derrière leur bouche pincéeet ils oublient de servir ; ou bienimpassibles et dignesils nousjugent sévèrement ; ou bien ils se tiennent de troisquartscomme s'ils écoutaient à une porte.

-- Il y ades jeunes gensdit Rostandqui m'offrent d'être monsecrétaire. Ils savent monter à chevaltirer del'épéetout faireet ils ne demandent pas àêtre payés. Un signe de moiet ils accourent.

9 mai.

L'inspirationce n'est peut-être que la joie d'écrire : elle ne laprécède pas.

10 mai.

Jevoudraismoi aussitout comprendre et tout sentir. Maispauvreescargot que je suisl'horizon infinique je ne touche pasblessemes cornes.

13 mai.

On a vitetouché le fond de l'ordure. Elles ne savent pasces damescombien vite un homme se lasse d'une grue. Pour les aimerilfaudrait d'abord leur coudre la boucheet Marinettedans son coina l'air d'une pudeur qui s'ennuie.

Entreelleselles se traitent minaudièrement de « vaches ».

Celle-ciqui ondule comme une anguilleaimerait à siffleravec deuxdoigts dans la bouchecomme les petits voyous de la rue. Celle-làs'est fait suivreà coups de clins d'yeuxpar Barrèsqui ne la connaît pas. Elle ne voudrait pas coucher aveccelui-ci. Elle coucherait bien avec cet autreetsi elle étaitmariée avec cet autreelle le ferait cocu.

Ellechatouille le ventre de sa chienne. Elle s'étonne que lesfemmes ne couchent pas plus souvent avec les singes.

Unecertaine limite dépasséeil n'y a plus rien àdireni à fairequi en vaille la peine. Quand une joliebouche de femme a dit « merde »tout ce qu'elle peutdire après semble fade. L'artc'est de le dire le plus tardpossiblele grand artpeut-être de ne le dire jamais.

Et le mariécoute ça ! Il a l'air un peu idiot.

Elles sebalancent sur un rocking-chairà qui lèvera les jambesle plus haut.

Et toutcela donne à ma petite Marinette une forte envie de pleurer.

Etd'ailleursRabelais les dégoûte.

14 mai.

J'ai desgoûts d'acrobate solitaire. J'aime à me tourner le dos àmoi-même.

Presséde voir les gensj'en ai tout de suite assez.

Je trouveune femme jolie. Elle dit une bêtise ? Ce n'est pas long : lavoilà laide.

Il n'y arien aujourd'hui. Je me lève. Pourquoi ? Impossible de lired'écrirede faire bonne figured'écouterde parler.Je ne peux guère que mangerpuis m'échouer dans unfauteuil et dormir. Si je sentais qu'un revolver va me partir toutseul dans la têteje ne me dérangerais pas pourl'éviter.

16 mai.

Une vie àjouer sur un clavecin.

20 mai.

Le coeurd'une femme est un noyau de pêche. On la mord à pleineboucheettout à coupon se casse les dents.

21 mai.

Bêtisehumaine. « Humaine » est de trop : il n'y a que leshommes qui soient bêtes.

26 mai.

Haraucourtà Capus :

-- Il mesemblen'est-ce pas ? que nous avons fait un four en mêmetemps.

-- Ouiouidit Capus qui aimerait mieux un autre genre de conversation.

Au Salon.Comme à l'Opéra-Comiqueje n'y étais pas allédepuis dix ans. Seulela statue de Balzac par Rodin me tire l'oeil.De trois quartsà vingt mètreselle a une attitude.Et ces yeux creuxcette tête grimaçantece frontétroitcet homme empêtré dans sa robe detravailc'est quelque chose. On peut dire de cette statue ce que MmeVictorine de Châtenay disait de Joubert : « Une âmequi par hasard a rencontré un corpset qui s'en tire commeelle peut. »

Mais lereste ! Toutes ces sculptures et ces peinturesce doit êtrebâclé comme un article de journal. Rien que des couleursà côté.

D'instinctun ignorant regarderait la statue de Rodin.

Au sortird'un Salonn'importe quoi qui se laisse regarder fait plaisir.

Je suisd'humeur à traiter n'importe quelle femme de sale grueexcepté peut-être une belle grue.

28 mai.

Un hommenous demande l'aumôneà Jean Veber et à moi. Ildit des mots sans suite et nous regarde avec des yeux terriblesdesyeux de scaphandredans sa figure cuite. Un tremblement par tout lecorpsde quelqu'un qui ne sait pas ce qui va se passer. Veber donnequatre sous.

-- Vousavez eu peur ? me dit-il.

-- Oui.

-- Moiaussid'ailleursmais pas jusqu'à donner mes quatre sous.

Je ne peuxplus écrire qu'avec un couteau sur l'écorce des chênes.

Les cilsces pistils de la fleur des yeux.

29 mai.

LesTisserands. Pierre Loti. C'est avec un air presque dévotqu'Antoine nous dit : « Loti va venir ce soir. »

Desbaguesune épingle de cravate trop grandetrop en or : ellea l'air d'une couronne royale. L'air jeunetrop jeuneun peu fané.

-- C'estla première fois que nous nous voyonsdit-ilmais nous noussommes écrit. Il y a longtemps que vous n'avez rien publié.D'ailleursje ne suis pas au courant. Je ne lis rien. C'estridicule.

Ainsicette coquetterie ne le quitte pasde dire qu'il ne lit rien. Maisqu'il a donc l'air jeune ! Je ne m'explique pas. Je ne l'aurais pasreconnu d'après ses portraits.

-- J'aiune figure si changeante ! dit-il. Je ne suis jamais deux jours desuite le même.

Il doit yavoir une autre raisonque j'ignore.

Il aime leThéâtre Antoine parce qu'on y dit naturellement.Il a entendu quelque chose de luirécité par il nesait plus qui de la Comédie-Française. Ce ronflementcontinu l'a horripilé. Il regarde la salle : que de figures àgifles !

-- Est-ceque vous serez ému à votre première chez Antoine?

-- Oh !nondit-il. J'ai eu d'autres émotions.

Il ritd'un rire singulier et charmant. Ses lèvres se retroussent surde belles dentset le reste du visage ne bouge pas. Puisses lèvresse rapprochentet l'on dirait qu'elles ont peur de se toucher.

Il ne meparle pas de mes livres. Sans doute parce qu'il est académicienet qu'il a la rosetteje lui parle des siens. Je lui dis que touteson oeuvre a eu une grande influence sur ma sensibilité. Oh!...

-- Quelest celui de vos livres que vous préférez ?

-- Je nesais pasdit-il. Une fois que j'ai écrit un livreje n'ypense plus. Je n'en ai jamais relu un seul.

Il insisted'une façon spéciale pour que je lui présente «madame Jules Renard ». Évidemmentpour luic'est unenouvelle femmeet de chaque femme nouvelle il attend quelque chose.Marinettegênéele regarde à peine. Mais ellevoit tout de suite ce que je ne vois pas.

Unepolitesse exquise et travaillée qui m'oblige à unepolitesse gauche. Quelques poils blancs à la moustache. Descheveux de jeune homme. De grandes oreilles un peu flétrieset des yeuxcomment dire ?

-- Mais ilest fardé ! Fardé comme une femmeme dit Marinettequand nous l'avons quitté. Il a les cils faitsles yeuxfaitsles cheveux brillants et les lèvres peintes. Il n'osemême pas fermer la boucheet les poils blancs de sa moustachec'est une coquetterie pour faire croire que le reste est naturel.

Je n'yavais rien vufrère Yves.

Ce seraitdrôletout de mêmeque la nature s'abstînt d'êtregaie pour ne pas contraster avec notre tristesse !

Si biennée qu'elle dit :

-- Je mesuis fait une pinte de bon sang illustre.

Des plusbelles choses que j'admireje dis encore que c'est trop long.

Commentvoulez-vous que je dise l'exacte vérité quand je parle? J'ai déjà tant de peine à l'écrire !

A Cyrano.

-- Jevoudrais qu'il se trompedit Baïepour que le souffleur sortede sa boîte et le gronde. Tu connais des gens étonnantsPoum !

Poumc'est moi.

-- MaisPoum aussi est étonnantdit Fantec.

Coquelinc'est le monsieur qu'on a vu en photographie.

Lesouffleur et ses livres. Baïe désolée de nepas le voir.

-- Je nevoudrais pas être Coquelindit-elle. Tout le temps rabâcherla même choseça doit l'embêter. Tant mieuxs'iln'y a pas de musique ! On l'entendra mieux. Où donc qu'est sonsouffletau souffleur. Pourquoi fairedes écrans ? Il y adonc des gens qui ne veulent pas voir ?

Enattendantelle déchire le velours des fauteuils.

-- Tu disque je dis mes fables trop vitefait Fantec ; mais Coquelin réciteles siennes bien plus vite que moi. Je ne peux pas le suivre.

Ilspréfèrent Christianbien gentil. Ils demandent :

-- Quiest-ce qui fait tomber les feuilles ?

Unesignature élégante comme la mèche de fouet d'uncocher de grande maison.

-- Est-ceque c'est Dimanche dans tous les pays ? demande Baïe.

Maismadame vous n'êtes pas vieille ! Vous êtes au soir devotre vie ; etle soleil qui se couchece n'est pas de lavieillesse.

Avoir unstyle exactprécisen reliefessentielqui réveilleraitun mort.

Avec sonmouchoir sur les yeuxBaïe fait le rideau qui baisse.

2 juin.

J'ai unegrande affection pour Capus. C'est l'écrivain de notre époquequi lui trouve le plus de ridicules. D'ailleursil s'accommode decette société. Il blague nos hommes d'Étatetil ferait un poker avec le premier président de la Républiquevenu.

Le 4e actede Rosine est plus qu'un chef-d'oeuvre : c'est une révolutionmorale. Il y a un papa qui donne son fils à une maîtresseavec la même autorité et la même émotionqu'il lui ferait faire un grand mariage.

4 juin.

ChezCapusà Blois. A chaque croisement de routeil lâcheles guides de sa petite jument blancheBichette. Elle prend la routede l'écurie. Brusquementil lui donne une premièredésillusion.

-- Jen'aime pas les paysages qui me dominentdit-il.

Il a gagnéprès de 100.000 francs cette annéeet ne sait cequ'ils sont devenus. Il a besoin d'avoir autour de lui des gens dontla vie dépend de la sienne.

-- Dansune pièce de théâtredit-ilrien de plusinutile qu'une phrase bien faite.

Iln'admire Victor Hugo que comme un professionnel qui n'a jamais hésitédevant le mot à trouver.

L'Herbe.-- Je voudrais leur être utileet ce n'est pas commode dutout. Si je leur donne 50 centimesils croient que c'est parce queje vais me présenter à la députation. Enpolitiqueils ont plus d'idées que moi : Brisson et Deschanelme sont plus étrangers que des professeurs d'algèbre.

Leurreligionleur politiquele curéla châtelaineleurmaire (mon père)puis le pauvre homme qui le remplace.

Ce sontmes frères. Ils disent toujours : « Il faut êtrebien courageux pour en faire autant. » Mais ce n'est pas ce queje voudrais arriver à leur faire dire.

Une espècede saint ridicule et impuissant.

Ce livreamusera et attendrira.

Lecimetière oùtant de foisle village tout entier estvenu se reposer.

J'ai écritce livre en regardant par ma fenêtre l'herbe du château :elle a rafraîchi mes yeux fatigués. Je lui dois mesbonnes rêveries. Elle est la richesse du pays. Elle engraisseles boeufs qui nourrissent les hommes.

Leurs deuxennemis : le médecin et le pharmacien. Sila politique sert àquelque chose : le médecin oublie des notes et le pharmaciencompte moins cher ses pots.

Ils ont undéputé. Leur horreur de la guerre.

Ce livreme délivrera de ce pays amollissant.

L'eauclaire d'une source que traversent des bêtes.

Chassepêche. Usages ruraux. Faire de mon père le principalpersonnage de ce livre. Le drame de la fin entre ma mèremonpère qui se tueet l'étrangère.

8 juin

Des joursoù l'on conduirait avec plaisir tous ses amis

Entréau Jardin des Plantes. Pour avoir une idée de l'ennuiil fautregarder les fauves dans leurs cages.

Lapremière qui fait mal aux yeux en passant et repassantderrière ses barreauxle lion d'Abyssinie offert par M.Grévyet qui lui ressemblele petit ours noir des cocotiersqui a sous le menton un collier de poils jaunescomme un générall'aigle moins impressionnant que les condors et les vautours.

Et lespauvres diables qui mangent là des immondices dans un papiersemblent se dire : « Ah ! si nous étions en cage ! »

On me sertle premier à tablecomme si je n'y avais pas droit.

12 juin.

A laGloriette. J'écoute le crapaud. Régulièrements'échappe de lui une goutte sonoreune note triste. Elle nesemble pas venir de terre : on dirait plutôt la plainte d'unoiseau perché sur un arbre. C'est le gémissementobstiné de toute la campagne ruisselante de pluie. Unaboiement de chienun bruit de porte le font taire Puis il reprend :« Ou ! Ou ! Ou ! » Mais ce n'est pas cela. Il y a uneconsonne ayant cette syllabeje ne sais quelle consonne de gorgeune h un peu aspiréeun peu le bruit de la bulle quivient crever à la surface d'une mare.

C'estautre chose encore. C'est le soupir d'une petite âme. C'estinfiniment doux.

Etcommejamais personne ne lui répondaucune âme soeurilfinit par se taire tout à fait.

18 juin.

Je neserais pas très flatté si plus tardquelque imbéciledisait « Pour moi qui l'ai connuil était biensupérieur à son oeuvre. »

Le secretd'écrire aujourd'huic'est de se méfier des mots dontle sens est usé et d'une syntaxe qu'on a mal apprise.

22 juin.

Micheletveut trop poétiser la nature. Elle n'a pas besoin de ça.Elle se moque d'être surfaiteet elle lui échappemalgré tous ses efforts. Lisez cette phrase à un groupede paysans : « Cette voix sonore de l'alouettepuissantedonne le signal aux moissonneurs. Il faut partirdit le père: n'entendez-vous pas l'alouette ? » Les paysans s'étonneront.Jamais aucun d'eux n'a donné pareil signal : personne n'auraitobéi.

Entraînésans freinpar sa phraseil ne voyait plus. Incomparable quand ildécrit une tempête marineil exagère l'alouette.Victor Hugo restait plus proche des tout petits. Il leur faudrait duMichelet précis : c'est blasphémer ; mais on peut direqu'il faudrait un Michelet rapetissémis au pointquipourrait se charger de cette besogne Un autre Micheletc'est-à-direpersonne.

6 juillet.

Mont-Sabot(Nièvre). Une butte à pic. De quoi mettre une chapellequelques arbres et quelques tombes.

Les portesgarnies de clous sont fermées par l'âge. Une partie dela chapelle est encore couverte en pierres plates. Des sapins oùd'en bason entendpar cette belle journéesouffler leventun vent de mort. Des tilleuls et des ormes foudroyésénormesdes tombes dans l'herbedes rosestoute une floreque je ne connais pas. Une servante enterrée à côtéde son curé avec qui elle a vécu 45 ans : çaattendritet ça fait sourire. On a presque les nuages sur lefrontun peu de vertige. On regarde à travers les barreaux dela petite fenêtre de la sacristie avec la peur d'y voir deschoses. De vieilles croix de pierre finement fouillées par unartiste du Moyen Age. J'ai peur de mettre un morceau de croix de ferdans ma poche. Un clou que je veux arracher d'une porte me pique.

Une rosemord jusqu'au sang un doigt de pierre.

Tous cesarbresc'est le mêmequi se promène au bord de l'eau.

Regarderl'horizonc'est regarder loinmais c'est aussi regarder quelquechose de faux.

11juillet.

Jamaispersonne ne m'empêchera d'être ému quand jeregarde un champquand je marche jusqu'aux genoux dans une avoinequi se redresse derrière moi. Quelle pensée est aussifine que ce brin d'herbe ?

Je memoque de la grande patrie : la petite toujours m'impressionnejusqu'aux larmes. L'empereur allemand ne m'ôterait pas ce brind'herbe.

Il fautqu'elle nourrisse trois personnes : elleson père et sa mèreavec vingt francs par moiset elle est encombrée de vertus.Elle prend part à tous les concours de La Mode pratiquedont on lui paie l'abonnement : ça lui coûte chaque foisle portaller et retourplus vingt sous de manutention. Ellen'obtient jamais rienquelquefois un accessit d'honneur. Elle a plusde frais pour tous ces concours qu'elle n'en aurait pourl'abonnement. Elle brode bienmais lourd.

Quand elleritça va encoremais quand elle pleure !... Sa figure estune pomme à cidre qu'on écrase.

Elles'acharne à faire plaisir aux gens : elle finit par ne plusavoir

Le curéne lève les yeux de son bréviaire que sur ceux dont ilattend le salut : c'est commode.

12juillet.

Assis aubord du canalface au cimetièreje fais lecture à lamémoire de mon père.

Comme lesouvenir que laisse un mort est supérieur à sa vie ! Iln'y a pas de déchets.

Mettre àl'air mon « moi » qui sent le renfermé.

Il lui estarrivé de donner une petite gifle à son enfant et d'enpleurer.

-- Dansles grandes foiresest-ce qu'il y a des veaux à deux têtes? demande Baïe.

A lacampagnej'ai toutes mes inquiétudes sur fond d'orage.

18juillet.

Vingt-huitans instituteur et quinze ans secrétaire de mairie àCorbignyil a 82 médailles d'ord'argentde vermeil et debronzeparmi quoi les cinq prix d'honneur des cinq derniers concoursde l'Académie littéraire et artistique deParis-Provinceprésidée par une femme «de grand talent »Mme Élisa Bloch.

Et il n'aque le ruban violet !

20juillet.

ChezRabelais« resverie » est synonyme de sottise.

Aucimetièreles croix de pierre pareillesde loinàdes fantômes blancs à toutes petites têtes.

Je saisnager juste assez pour me retenir de sauver les autres

Détestablequand il n'est pas de notre avisSarcey devient excellent dèsqu'il dit comme nous.

Il n'y apas que la lune. Il y aussi les vents mystérieux et mauvaisqui dessèchent et font mourir une branche au milieu d'unarbre.

L'escargotet son immeuble.

Le soleilse couche dans un chêne.

--Antipodes ? dit Fantec. Tu ne pourrais pas me donner le nom d'un paysque je connaisse mieux ?

L'Herbe.Moidans tout celaje regardeécoutenotemais je suisneutre.

Les poulesde Hollande à tête de corbillard.

Je suistoujours le premier homme lisant le premier poëte.

Le méprisde mon père pour les gens qui écrivent. Écrirec'est bavarderet il n'aimait que le bavardage politique. Iln'aurait eu de considération pour moi que si je lui avais dit: « J'ai dîné avec Deschanel. » Oh ! iln'aurait pas bondi d'orgueilmais il aurait mis quelque chose decomique et d'étonné dans son « Ah ! »

Et je nepouvais pas le lui dire tous les jours.

Et puisde quoi me serais-je vanté ?

NiVeuillotni Rousseauni Sand n'apprennent à écrire.

La sagessedes Nationscette imbécile.

Mon styleplein de tours de force dont personne ne s'aperçoit.

Pas dephrasesmême sur la nature !

J'aime lasolitudemême quand je suis seul.

Le chantlointain d'une grenouille qui est à mes piedsdans l'herbe.

Philippeignore le sommeil du matin qui repose et détend les nerfs.

Un cielpur où se verrait la fumée d'une cigarette.

L'espérancec'est sortir par un beau soleil et rentrer sous la pluie.

23juillet.

L'hommeest un animal qui a la faculté de penser quelquefois àla mort.

L'emportementde la satire est inutile : il suffit de montrer les choses tellesqu'elles sont. Elles sont assez ridicules par elles-mêmes.

Notreégoïsme va si loin que nous croyonsen temps d'oragequ'il ne tonne que pour nous.

-- Douxdit-ilcomme une barbe d'enfant.

Ledifficilece n'est pas tant d'être bon que de ne pas avoirhonte de sa bontéc'est de ne pas se dire : « Commentmoi qui lis couramment Pascalpuis-je être bon époux etbon papaet me promener le dimanche avec ma légitime et sesgosses ? » Le difficilec'est de ne pas se dire : « Oh !si l'on me voyait ! »

On doitvoir monter sur ma tête la fumée de mes idées defamillecomme celle d'un pot-au-feu.

Par safenêtrema mère voit arriver Marinette. Elle vas'asseoir au milieu de la cuisine et se met à pleurer afin queMarinette la trouve en larmes.

-- MonDieu ! Qu'est-ce que vous avez maman ?

-- J'aides idées.

Pas moyende savoir. On devine que ce sont des idées de suicide.Sûrementelle a quelque chose. Furieuse de n'avoir pas étéinvitée à ma conférence sur Micheletelledisait à Marie Pierry : « Vous allez vous compromettredans cette société ! Vous savez que les prêtresn'aiment pas ce genre-là ? » Elle dit à Marinette:

-- Ilparaît que c'était si beau !

ParPhilippeelle apprend que j'ai mangé deux ou trois griottes.

-- Oh ! çane m'étonne pas ! Il les aimait tant lorsqu'il étaitpetit ! Il s'en barbouillait. Tenez ! Portez-lui en un plein panier.Ce pauvre Julescomme il va être content !

Monvillage est le centre du mondecar le centre du monde est partout.

Je suispassionné pour la véritéet pour les mensongesqu'elle autorise.

Tout lejourle bois retient un peu de nuit avec ses branches.

Je memoque de l'intelligence : je me contenterais d'avoir beaucoupd'instinct.

Restif aécrit Sara ou l'Amour à quarante-cinq ans : iln'a pas osé dépasser cet âge.

C'est unefausseté que de dire qu'on aime toujours son père : ila ses momentscomme tous nos amis.

La mortest douce : elle nous délivre de la pensée de la mort.

Lagaucherie élancée des dindes.

Lesarbresce soir d'oragesont nerveux.

29juillet.

Moi qui nerecherche que le rare et quipour y atteindrerenonce aux grostirages et à la grosse presseje lisce matindans ladernière des petites revuesqu'un anonyme trouve quej'excelle dans ce que je faismais que je fais toujours la mêmechose.

Et mevoilà déconfit pour longtemps.

1er août.

Un épi:

-- Regardecomme je dresse fièrement la tête !

-- Cen'est pas étonnant ! dit l'autre épi. Tu as perdu tesgrains et tu as la tête vide.

La vieillevieillitmais la vache reste jeune : il est vrai que ce n'est pas lamême.

N'ayantplus d'avenirmon père n'était pas curieux de devinerce que serait le mien.

La naturea d'humiliantes façons de se défier de nous. Comme jereste immobile près d'un arbreun oiseau vient se poser surune branchesous mon nez. J'en suis fier. Il me regarde. Tout àcoupil s'aperçoit que c'est un homme : il file bien !

En pleinmidiun bois sombre m'impressionne : les geais s'y disputent commedes voleurs.

On se taitpour de grandes raisons : on n'agit que pour de petites.

Tant qu'unhomme ne s'est pas expliqué le secret de l'universil n'a pasle droit d'être satisfait.

Lesmendiantson ne leur donne pas de sousmais on leur donne notreadresse.

Enlevél'or des blésil reste l'argent des éteules.

L'espritvit aux dépens du corps : si tu te portes bientu penserasmal.

La rêverieest le clair de lune de la pensée.

Il fautregarder la vérité en poëte.

On aimed'abord la nature. Ce n'est que bien plus tard qu'on arrive àl'homme.

La foistupide ne peut que déplaire à Dieu.

Les grandsboeufs puissants qui ont l'air d'avoir été créésavant l'homme.

Quellebonne promenadetout à coup gâtée parce que lefermier du château ne me salue pas ! Nous lui achetons pourtantassez. Je le regarde en face. Je provoque son salutmais il n'aqu'un regard sournois et clignotant. Il tousse et passefeintd'arracher un chardonde rejeter une pierre de la route dans lefossé.

Etpourquoi me saluerait-il ? Je ne dégage pas encore cette odeurde sainteté qui charme et conquiert.

Lève-toi! Déjà la terre est peuplée de travailleurs. Lepaysan coupe son blé. Les boeufs s'occupent à manger.Les voix humaines montent vers le soleil où déjàl'alouette est arrivée. Une petite fille revient de porter lasoupe.

Il fautd'abord défaire ce qu'on te croit : c'est possible. Puistutâcheras de montrer ce que tu es : tu n'y arriveras jamais.

Quelquesgouttes de rosée sur une toile d'araignéeet voilàune rivière de diamants.

8 août.

Ilsécrivent « Leconte de L'Isle »comme s'ils'appelait Rouget.

L'éclusierconnaît les habitudes des perdrix. Le matinelles viennentboire au canal. Elles restent dans les prés pendant lachaleur. Venu le soirelles regagnent le plateau où ellespicorent et se couchent. Les mariniers sont les meilleursbraconniers. Sur leur bateauils ont des perdrix comme oiseaud'agrément : par leur chantelles attirent les autres.

Regarderles choses de tout le monde avec un éclairage personnel.

Sortirpour fumer une cigarette d'air.

Ceslittérateurs sont comme les tonneaux des Danaïdes : ilslaissent passer toute l'humanité.

Le largecoup de dents que la faux donne aux foins.

Barrèsun grand écrivain. Il ne lui manque que de savoir êtremédiocre. De làses échecs aux électionsnationales et cette fatigue que ceux qui l'aiment le mieux éprouventà le lire.

J'aimetant mon village que je n'aime pas voir les autres s'y installer.

Je vaissacrifier à mon père quelques perdrix.

CommeChateaubriandje bâille ma vie.

J'écrisd'humbles livres pour les servantes de mes bons maîtres.

Authéâtreil y a toujours quelque chose de mécaniquementprévuqui m'est insupportable.

Comme nousne sommes pas sûrs de notre couragenous ne voulons pas avoirl'air de douter du courage d'autrui.

L'hirondellele jouet préféré du vent.

Unetempête qui nous retourne l'âme.

15 août.

Distributiondes prix à Chaumot. En plein jourils hésitent àaccepter le verre de sirop de groseille qu'on leur tend. Vienne unpeu de nuitils prendront le vin dans la cave. Ceux qui ne résistentpas à la misère de l'enfance ont l'air d'idiotsceuxqui s'en tirentde sauvages.

Tantqu'ils n'ont point passé la porteil faut crier pour qu'ilsentrent ; une fois entrésils disent : « Nous sommeschez nous. »

Marinetteélève la voix pour les faire placer. Une vieille femmedit : « Entendez-vous comme elle gueule ! »

D'abordtu sauras qu'il ne faut pas compter sur les fruits de la bontéensuitemême sur les fleurs.

Comme onfait circuler les verres de siropdes paysans détournent latête. Il faut les appeler comme s'ils étaient trèsloin.

Le désirde savoir la vérité oblige à se faire petitcomme eux.

Restonschez nous : nous y sommes passables. Ne sortons pas : nos défautsnous attendent à la porte comme des mouches.

Bucoliques: Icipas de sorciers : les paysans ne croient pas aux sortilèges.Quelques figures sinistresmais la misère enlaidit.

Cettevieille femme a le gros ventre ; rienlàde ténébreux: ce n'est pas la faute du diable. La pire explicationc'est quepeut-être elle cache sous son tablier des légumes volésdans les champs.

Elle dit àRagotte :

-- Tu escomme moitu as beau vivre dans la société des «monsieurs »tu parles aussi mal une fois qu'une autretoujours patois.

-- On neme comprendrait plus si je parlais autrementdit Ragotte.

Un coup depoing garni de fleurs.

Des dindesau teint d'Anglaises constipées.

Lesmaisons ne regardent plus dans la rue que par leurs portes ouverteset lumineuses. Toute la clarté sort dans la rue.

Deuxarbres dans un pré. L'un d'eux fléchit le genouenadoration perpétuelle devant l'autre.

Les vieuxchênes à la poitrine ouverte.

Lemaitreappelle Sarcey l'archevêque du bon sens.

Hé! Hé ! J'aurais déjà un très joli petitenterrement !

D'unepoule qui pond au dehorsils disent qu'elle pond en perted'unhomme qui découchequ'il couche en perte.

Un calmechaud où une grosse mouche fait un bruit de cloches.

Desétoilesbasses comme des étincelles envolées dema cheminée.

Elle croitquel'âgec'est de l'argentet elle économise sur sonâge.

Personnene nous montre nos défauts comme un disciple.

J'inaugurela Culture du Moi en ordre dispersé.

-- J'ai undes amis qui ne peut pas comprendre ce que vous faites.

-- Cetamic'est vous.

Jevoudrais être lu par la minoritéet connu par lamajorité.

Avecaplombles hommes donnent des noms aux étoiles.

Ce n'estque ridicule d'être sourdc'est triste d'être aveugle.On peut ainsi mesurer la différence qu'il y a entre la naturevisible et les hommes qui parlent.

Lemeilleur d'entre nous a quelques petits assassinats à sereprocher.

Si tu veuxêtre sûr de toujours faire ton devoirfais ce qui t'estdésagréable.

Je suisl'envoûté de mon village.

Ils ontdes oreilleset ils écrivent mal.

L'idéede patrie est une idée de ville.

La petitepatriec'est la grandec'est l'unique.

Voyage àChâteau-Chinon. Le vieux beaumonocle à l'oeildit :

-- Dans cebeau pays du Morvanles arbres gardent la forme que Dieu leur adonnée.

Uneauberge où il y a un « apport » de mouches.

Le guide.Il était assis sur le bord du fossé. Il se leva ànotre approche et s'éloignales mains derrière le dos.Je le rejoignis en courant et lui dis :

--Pouvez-vous nous indiquer le chemin du Signal ?

-- Oh !ouimonsieurje vais vous le montrer.

-- Mercimonsieur.

--Suivez-moi par ce sentierdit-il.

-- Oh !monsieurne vous donnez pas la peine.

-- Oh !j'ai bien le temps.

-- Je suisdésolédis-jede vous déranger.

-- C'estmon chemin.

Et ilexplique. Icila route d'AutunlàArleufla plus fortecommune du départementles Settons derrière cettemontagnelà-basle mont Beuvray. Des petits gars riaient etlui disaient : « Tu paieras la goutte. » Je compris enfinque c'était un vrai guide et n'eus pas honte de lui offrirvingt sous qu'il accepta avec l'indifférence d'un qui avieilli sous le harnois. Il ne nous reconduisit pas à ladévaléecar il apercevaità l'endroit oùnous l'avions rencontrédes personnes indécises ; etil redescendit leur faire le coup du paysan qui se trouve làpar hasard.

Sous lepetit pont il y a une cascade. Il y a juste de la place pour unepersonne : tout Château-Chinon vient s'y baigner

Je demandeau Lion d'or :

-- A quelheure déjeune-t-on ?

-- A onzeheures.

-- Bien.Je vais faire un petit tour en ville.

J'aidéjeuné dans un autre hôtelet je n'ai plus osépasser devant le Lion d'or. Peut-être qu'on attendtoujours. « Ils viendront dîner »se dit-on. Neva-t-on pas m'envoyer le commissaire de la ville ? etc.etc.Stupides transes.

Sur lesmainsle cocher avait du poilde quoi se faire une casquette

Ils disenttoujours que c'est plein de gibier et de poisson.

Des petitsParisiens en nourricetout nus sur les seuils.

Auxfenêtrestêtes qui nous font baisser les yeux.

Des routespour boeufs qui ne courent jamais.

La lunemédaille au cou de la nuit.

Baïechasseà coups de mouchoirle coq qui veut grignoter lapoule.

Pourquoiserait-il plus difficile de mourirc'est-à-dire de passer dela vie à la mortque de naîtrec'est-à-dire depasser de la mort à la vie ?

Il ne peuty avoird'un côtéla formede l'autrele fond. Unmauvais stylec'est une pensée imparfaite.

Jerecherche le pittoresque dans la vie des autreset j'en ai peur dansla mienne.

Baïene sait pas réciter par coeur quand elle n'a pas le livredevant les yeux.

Il fautfeuilleter tous les livres et n'en lire qu'un ou deux.

Uninstrument qu'on ne remplace pas et qu'on ne perfectionne guère: c'est la charrue.

Mettre unerose au linge sale.

Les nuagesau couchant font faire arrosoir au soleil.

Je rentrel'angoisse au coeur parce que j'ai regardé le soleil couchantentendu chanter les oiseauxet que je n'aurai eu que quelques jourscette terre que j'aime tantet qu'il y a tant de morts avant moi.

Moncerveau clair comme un beau soir.

1eroctobre.

Tout medonne envie de pleurer.

Lefaucheurjaloux parce que la presse ne s'occupe que du geste dusemeur.

Je veux dulyrisme clairet sobre.

-- On nefait jamais ce qu'on veut.

--Heureusement !

Le boisaux mille pieds.

ACorbignyil n'y a qu'un rentieret il est socialiste.

J'aihérité de mon père l'habitude de frapper depetits coups sur le baromètre. Et nous parlonslui et moidesa femme.

J'aibeaucoup d'admiration pour Augiermais j'ignore si elle résisteraità une première lecture.

Pourquoice jonc remue-t-il seul ?

Toutes lesmaisons descendent boire à la rivière. Le village estau bord de l'eau comme un troupeau de bêtes énormes. Leclocher les mèneet le village respire. L'eau qu'on n'avaitpas vue de la journée miroitait au soleil couchant. Ilsoupirait par toutes ses fenêtres. Il se rafraîchissait.

Ma bontéest un clair de lune qui ne réchauffe pas.

Le cochonavec sa casquette toujours sur les yeux.

Ilsbrûlent leur maison pour avoir enfin un peu d'argent. Ilsprofitent des beaux jours d'été. En attendant qu'ellesoit reconstruiteils peuvent coucher à la belle étoile.

Entre leberger et son chienil n'y a qu'une différence d'humanitéque sauterait une puce.

Je suis lasentinelle de la lune.

Je melaboure avec ma plume.

Montaignec'est tout de même un peu traînard.

Rien deplus haineuxpeut-êtreque deux rivaux en bonté.

La lunehonteuse en plein jour.

On ne voitpresque plus. La vie est toute dans les brumes.

L'âmed'un chasseur est une carnassière de ridicules et de sottises.

Quelquefoisle chasseur dit : « Pauvres bêtes ! » C'est quandil a tué tout son saoul.

Moi ettoicochonnous ne serons estimés qu'après notremort.

De làà croire que la mouche qui nous pique le front pendant notresommeil est envoyée par Dieu lui-même pour nousréveiller de notre paresseil n'y a pas loin.

Il neporte la blouse que le Dimanche. Il garde ses vachesen paletot. Ensemaineil porte des bras de chemise.

Une vieheureuseteintée de désespoirc'est la mienne.

Mesfrissons de folie.

Ma stupeuren découvrant mon pays.

A quirevient de voyage je fais une telle tête qu'il n'a plus enviede me dire que telle chose lui advint.

-- Toutest dit.

-- Ouimais on le dit trop.

Pigeons.Leur vol fait le bruit d'un rire étouffé de jeunesfillesde nonnes au couvent.

Hirondelles.Leur gracieux désordre sur le toit. Pas un sentier de l'airqu'elles ne suivent.

Chaquefleur attire sa mouche.

Seulesles fumées savent qu'il y a du vent.

Lesvillages qui n'ont pas peur de dormir dans une nuit toute noire.Comme les gaminsj'ai toujours envie de me demander à sortir.

Je marchesur la terre et sous les étoilesentre la réalitéet le rêve.

Leridicule ne tue pas la pitié.

La Loireun grand fleuve de sable quelquefois mouillé.

C'est unmauvais travail que celui qu'on fait pour n'avoir plus àtravailler.

« Onne fait pas ce qu'on veut »dit-on souvent. C'est « Onne fait pas ce qu'on peut »qu'on devrait dire.

La moraleest dans les faitspas dans les sentiments. Si je soigne bien monpèreje peux m'amuser à désirer sa mort.

Lechasseur tue toujours par adresse. De ses explications il résulteque c'est aussi par adresse qu'il manque.

-- On nepeut pas vous refuser çadit-elle.

La lunen'a pas fermé l'oeil cette nuit.

Si lavérité est au fond du puitsje me jetterai dans lepuits.

Nuages :les descentes de lit de la lune.

L'importantce n'est pas de faire des vers au clair de lune : c'est de les fairebons.

Il fauttout dire : le travail donne une satisfaction un peu béate. Ily a dans la paresse un état d'inquiétude qui n'est pasvulgaireet auquel l'esprit doit peut-être ses plus finestrouvailles.

Comme unhomme qui a pris une bonne résolutionet qui se repose avantde ne pas l'exécuter.

Leur vie :un cochon de cent francset du café trois fois par semaine.

Si jesupprimais toute cette misère de pauvres gensje tuerais toutce qui attendrit mon coeur de poëte.

Lesourd-muet grognait par gestes.

Le matinchaque grande herbe porte une toile d'araignée comme unepetite voile. Le soleil paraîtet tout sombre.

Je n'aijamais regardé un tableau. Je ne m'en vante pas. Je le faisquand même un peu exprès. Je me limite le plus que jepeuxsourd à la musiqueaveugle à la peinture. Jecrois que nous naissons tous avec un génie diffus dont il fautsavoir se débarrasser. Rien n'est plus facileje pensequed'être connaisseur dans tous les artset je tâche de merésigner à un seul.

Un prérasé de frais.

Un vieilarbre fait d'autant de terre que de bois.

Dans labrumedu clocher on ne voit que l'ombre. La brume se dissipeet leclocher s'achève.

Lescigognes crient comme des gamins qui sortent de classe.

Je dis : «Je vais travailler demain »et j'ai peur de travailleraujourd'hui. Je suis inquiet. Il me semble que je ne me repose pasassez.

Mon pèrevoit mes défautsmais je remarque ses ridicules.

C'est lejeûne qui fait le saintet la sobriétél'hommede bon sens.

Donnez laraison au loupmais ne lui laissez pas la faim.

Son fusildans ses brascomme un enfant terrible.

Quand elleva au cimetièreelle arrache un brin de mauvaise herbe sur latombe de chaque mort qu'elle a connu. Elle les a tous connus.

Un salonde médecin de province où tous les fauteuils sont enchemise de nuit.

28octobre.

On parledu pied ridiculement petit de Pierre Loti.

-- Ce doitêtre ce qu'on appelle le pied marindit Bernard.

Un auteurgai disaitavant Médée :

-- DepuisCyranoMendès ne dort plus.

Le mêmeauteur gai ditaprès Médée :

-- Mendèsn'est pas près de fermer l'oeiI.

29octobre.

Etmaintenantje peux faire plusieurs fois le tour du cimetièresans penser à mon père.

L'absolun'a guère plus de sens aujourd'hui que son adverbe.

31octobre.

Il ne fautpas craindre de laisser notre esprit paître un peuchaquejourdes herbes narcotiques dans les champs illimités durêve.

On n'aimepas les défauts de ses amismais on y tient.

-- Çapaiera toujours votre tabac.

-- Ouiparce que je ne fume pas.

Paul Ackerfaisait ses premiers vingt-huit jours au régiment où ilavait déjà fait son année. On y avait lu LesDispensés de l'article 23. Le colonel s'approcha de lui etlui dit : « Cochon ! Saligaud ! Châtré ! »Tous les officiers tournaient autour de lui en lui soufflant desinsultes. On ne le punit pas.

Lessous-officiers le félicitaient d'avoir dit des vérités.

-- Il fautdire des véritéslui répétait le sergentmaître d'armes. Ainsiil faut dire quenous autresnousdevons passer adjudantsparce que nous ne pouvons rien contre desadjudants qui ne font pas d'armes Il faut écrire çadans La Lanterne et signer Bassou. Je lis tous les articlessignés Bassou.

Jamais jen'ai éprouvé d'émotion sincère authéâtresauf à mes pièces.

Elle étaitde ces femmes à qui l'on ne peut pas dire qu'elles sontfraîches comme des roses sans qu'elles répondent : «Demi-closes. »

Cettefemme mariée est si jolie que nous la mépriserions unpeu si elle n'avait pas d'amants.

1ernovembre.

Il aimaità dire des choses désagréables. Comme il étaitsourdil croyait peut-être qu'on n'entendait pas.

4novembre.

Un jeunec'est celui qui n'a pas encore menti.

Vous vousétonnez de quelques bizarreries originalesmais vous ne vousplaignez pas des médiocrités.

Unenégressec'est une femme qui a des grains de beautéplus nombreux que les grains de sable de la mer.

Je mejette à vos piedsmadames'il y a un bon coussin.

L'humoristec'est un homme de bonne mauvaise humeur.

5novembre.

Si je negagne pas d'argentje tâcherai de tourner ça en vertu.

Je suis unlibre-penseur qui voudrait bien avoir pour ami un bon curé.

C'est toutde même un peu fortde croire que l'abondance est une qualité!

Lafranchiseest-ce bien une qualité ? Si ouielle est àla portée de tout le monde ; mais peu de gens tendent la mainvers elle.

Le chiengarde un morceau pour la bonne gueule.

6novembre.

De presquetoute littérature on peut dire que c'est trop long.

Je veux mefaire un style clair aux yeux comme une matinée de printemps.

Il gagne5.200 francs à La Rochelleet voudrait venir à Paris.Hébrarddu Tempsest disposé à prendretout ce qu'il apportera. Est-ce que je n'ai pas un sujet d'article ?

-- Moncherdit-iltu ne sais pas quelle boue est la politique.

Il connaîtun professeur de philosophie très distingué qui dit demoi : « C'est la sérénité dansl'insignifiance. »

-- Çane te fait rienn'est-ce pasque je te dise ça ?

D'ailleursil connaît aussi un médecin qui aime beaucoup ce que jefais.

--Personnedit-ilne te comprend comme moi. Je crois que ce que tu asfait de mieuxc'est Coquecigruesou ton premier livre.

Puisils'invite à déjeuner.

-- Tu sais? dit-il. Je m'invite sans façons.

Ah ! saleengeance !

7novembre.

Baïejoue avec Fantec à s'enfoncer sous les draps du litmais ellea peur et ne peut pas aller aussi loin que lui.

-- Viensdoncbête ! lui dit Fantec. Je te reconduirai.

9novembre.

Un sot ensix lettresun sot double.

LéonBlum explique avec précision et abondance le ridicule d'uneguerre anglo-française. C'est charmantce jeune homme imberbequi pourrait être un sot et qui développe sur un sujetobscur des considérations lumineuses. Toute complicationextérieure est un dérivatif à des complicationsintérieures. La France n'a d'autre raison de se battre avecl'Angleterre que l'instabilité ministérielle d'un lordSalisbury qui veut se consolideret toutes les guerres ont desmotifs de cet ordre. C'est une honte.

La crainted'une chutevoilà ce qui suffit à un ministre pourfaire égorger des milliers d'hommes.

Libreouitu l'es comme moimon égalouimais mon frèrec'est autre chose.

10novembre.

Nousprononçons de ces paroles inutiles et vaines que le simplemouvement de la marche fait sortir de la bouche.

Quelquefoisje me désole de n'avoir pas de génie. Euxilsm'étonnent : ils écriventils écrivent ! Moije ne peux pas. Je ne trouve rien ouplutôtje n'accepte riende ce que je trouve. Ouic'est cela. C'est simplement que je refusede me servir d'un certain talent qui leur suffit.

Elle ditd'abord : « Qu'est-ce que vous faites ? » etaussitôtaprès : « Qu'est-ce que tu vas chercher par là ?»

Il dit àM. Adolphe Brisson : « L'expérience m'a démontréles périls de l'anarchie. » Oh ! la belle phrasetouteen profondeur ! Le dommagec'est qu'on lise quelques lignes plusloin : « Je l'ai trouvé dans l'hôtel qu'il vientde se faire bâtir rue Spontinià proximité duBois. » On dirait l'explication de la belle phrase. On a ledégoût de l'humanitémais un dégoûtprofitable. On vomit son siècleet on se fait bâtir unhôtel dont le décor est sobrediscretdistingué.C'est d'un comique définitif.

Maisdirait à peu près Barrèss'il fallait accorderses principes et sa vieoù irait-on ! L'on n'en finiraitplus.

14novembre.

Chaquejourje rentre ma sensibilité comme un troupeau de moutons.

Déjàplusieurs fois par jourje sens que c'est finique je n'ai plusaucune raison de vivre.

On aautant de peine et de mérite à se passer d'argent qu'àen gagner.

15novembre.

Chenetlepetit chien du foyer.

16novembre.

Ensuiteils se retirèrent dans un coin pour dire à leur aise dubien de Sarcey.

Gandillotun tendre à qui sa tendresse joue de vilains toursun peulongs.

La gaietése contente des premiers mots venusmais à la tendresse ilfaut du style. Il y a des paroles sérieuses qui sonnent fauxde gaies aussimais on s'en aperçoit moins.

Avec sonair de rienil est bon à tout.

Le graveinconvénient d'être l'ami le plus intime d'un jeuneauteur dramatiquec'est qu'il vous prie d'assister à lapremière dans la loge de sa mère.

17novembre.

Lecapitaine était tout fierluid'avoir un déserteurdans sa compagnie.

--J'admets fort bien les apartés au théâtreditCapus. Ça évite bien des choses.

-- Çaévite bien du talent.

Je baisaile joli gantelet de sa peau fine.

Rebelldont les lèvres s'appliquent à rendre le sourire de laJoconde. Vincidit-ony travailla quatre ans. Rebell y travailletoute sa vie.

J'imaginequ'un hommedans la solitudeveut écrirede souvenirlerépertoire de ce qu'il sait. Pour moice ne serait pas long.

18novembre.

Au bord del'eau. Chut ! Je viens de voir une Sirène.

19novembre.

Dieu necroit pas à notre Dieu.

Un petitcabotin tout noir que Guitry adresse à Tristan et que Tristanm'envoie. Je donnerais des gifles à Tristan. Ils sonteffrayantsces pauvres êtres aux regards fous !

--Voulez-vous regardermonsieuret me dire d'abordfranchementsij'ai le physique de votre rôle ? Ne remarquez-vous pas dans mavoix une note étrangère ? J'ai le théâtredans le sang. J'ai lutté contre cette vocation. Je vous juremonsieurque j'ai déjà lutté avec désespoirmais j'ai été brisé. Maintenant je me jette àl'eau. Monsieur Guitry m'a trouvé une note extraordinaire ; ilm'a dit quequand il aurait un théâtre...

Descheveux secs sur un front qui ne luit pas.

-- J'aitrente ansmonsieur.

-- Je vousen donnais vingt.

-- Oh !monsieurvous exagérez. Je vous jure que j'en ai trenteetje m'étonne que vous me rajeunissiezcarce matinje nesuis pas moi-même. J'ai eu mal aux dents toute la nuitet jesens que ma joue droite est encore grosse d'un reste de fluxion.J'adore Granier. Quelle artiste ! Je l'ouïs pour la premièrefois dans Amants. Je veux faire de l'art. Fi du cabotinageécoeurant ! Vous avez une note tendre : c'est ma noteàmoi. Je prise beaucoup le jeu de Mayer. Je viens vous parlermonsieurde l'avenirtout simplement.

-- Il estplus facile de se vieillir que de se rajeunir.

--J'essayai d'entrer à l'Odéonmaisvous le savezeût-on un talent extraordinaire -- et je ne vais pas jusqu'àdire que ce soit mon cas -- il y faut des protections. Sinonrien àfaire. Je dois partir prochainement en tournée.

-- Oùdonc ?

-- Un peupartout : dans les casinosles villes d'eauxje ne sais pas. Jesuis engagé à de brillantes conditionsmaisvous lesavez mieux que moimonsieurla provincece n'est pas Paris.

-- Nondis-je.

Et jem'incline comme si j'étais Paris.

-- J'imitequi je veux. J'imite tout le monde.

-- C'estoriginal.

-- Je n'aipas de fortune personnelle.

-- Si vousen avez une autre...

De tempsen temps il fermait un oeil pour mieux penser. Il était toutpetit dans un grand pardessus. La moustache était d'un noirtrop vrai. Des mains où la saleté continuaitavantageusement le poil. Des cheveux debout comme s'ils étaientplantés dans de la terre. Deux yeux désordonnéscomme des moucheset des dents blanches qu'il n'y avait qu'àlaver. Une manchette sale ; l'autreil ne l'avait pas apportée.

24novembre.

Idéesgénérales. Ainsi appelées parce que personnen'en use.

25novembre.

Écrivezvingt livres. Un critique vous jugera en vingt ligneset vous neserez pas le plus fort.

28novembre.

-- Çame fait plaisirce que vous me dites-là.

-- Alorsje le regrette.

De merelirec'est me suicider.

29novembre.

Combien defois un homme parle-t-il plus haut et est-il plus bête quand ilassiste au spectacle à côté d'une jolie femmequ'il veut épater ?

Elle écritdes articles contre la chasseet elle porte un chapeau fait avec despattesdes becs et des ailes d'oiseaux.

J'aitoujours envie de dire à la musique : « Ce n'est pasvrai ! Tu mens. »

30novembre.

-- Mettrede gros points sur de tout petits i.

8décembre.

A chaqueinstantrelever mon énergie comme une hotte.

Sesparents de province lui écrivent pour lui offrir une jeunefilleorphelinetrès bienavec fortune. Il répond endemandant 1 ° sa photographie faite par un amateurc'est-à-diresans retouches ; 2° son opinion sur l'affaire Dreyfus. Lesparents lui écrivent une lettre de sottises.

12décembre.

-- Un ânec'est un cheval qui ne va pas vitedit Baïe.

13décembre.

Toutesnuesles branches ne sont plus séparées du soleil parles feuilles.

Je nem'amuse qu'aux préparatifs d'un projet qui ne peut pasréussir.

15décembre.

Notreopinionc'est la moyenne entre ce que nous disons à l'auteuret ce que nous disons à ses amis.

-- Dansmes adultères de débutdit-ilje ne pouvais pascacher à ma femme que je la trompais. Alorsje le lui disaissous forme de blagueen farce. Elle ne me croyait paset j'étaisquitte avec ma conscience.

Il me dittoutparce qu'il sait quetantôtje suis discretet quetantôtje répète tout.

--Qu'est-ce que ça faitdit une femmeque je le répèteà tout le mondepuisque c'est sous le sceau du secret ?

LesÉcossais ont oublié leur pantalon.

23décembre.

Je suis deces gens vulgaires quià tabledisent merci aux domestiqueset qui préfèrent un morceau de betterave à unetruffe.

Dîner.Il y avait un monsieur qui n'a dit qu'une chose : que le pétrolea mis beaucoup de gaieté dans les appartementsmais il l'adit plusieurs fois.

La lunerépand l'hiver. Tout le froid nous tombe de cette lune quiluit dans le ciel comme un morceau de glace.

Oh ! cessales bourgeois ! Il n'y a encore que les artistes qui puissentapprécier un repas de mets chaudssain et bien cuitdu lingeblancdes couteaux qui coupentun bon feu de boiset une lampe quiéclaire.

MmeRostand dit qu'elle pense quelquefois profondémentet que lesêtres la font pleurer de pitié.

25décembre.

Chauvequand il pose sa main sur la pomme polie de sa têteil sefigure qu'il monte la première marche d'un escalier.

26décembre.

Frileuxcomme un lézardun rayon de soleil se chauffe sur le mur.

C'est unvieil amiet j'ai pour lui une amitié pureen ce sens qu'iln'y entre pas la moindre admiration.

La lunerépand une neige égale et fine sur les toits.

Ellescroient qu'elles ont du style parce qu'elles disent : «Mandez-moi si...»

-- Al'officedit une bonnenous avons un chef nouveau qui est trèssavant. Il nous a dit que les hommes descendent de Darwin.