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Jules RenardJournal de Jules Renard 1887-1892

1887

Sans date.

La phraselourdeet comme chargée de fluides électriques deBaudelaire.

Un oiseauenveloppé de brumescomme s'il rapportait des morceaux d'unnuage déchiré à coups de bec.

Vous avezvos nerfsmadame. Moije n'en ai qu'unmais il est de boeuf.

Variétéde femmes : il faut voir avec quelle mélancolie elle avale unpot de confitures.

J'ai enhorreur les histoires qui se passent quelque part. C'est sans doutepour cette raison que j'aime beaucoup les livres de voyagesétantsi peu « calé » en géographie que les lieuxqu'on me décrit sont pour moi des pays vaguesdes paysd'imagination et de rêve quipour ainsi direne comptent pas.

La vertudes femmesau contraire des lattes de boulangera d'autant moins devaleur qu'on y fait plus d'entailles.

L'effet leplus puissamment produitVilliers de L'Isle-Adam le doit aux motsqui jurent avec les faits.

Lesbuissons semblaient saoûls de soleils'agitaient d'un airindisposé et vomissaient de l'aubépineécumeblanche.

Aussinavrant que le « attendez que je mouille » d'une vierge.

Qui saitsi chaque événement ne réalise pas un rêvequ'on a faitqu'a fait un autredont on ne se souvient plusouqu'on n'a pas connu ?

Une femmea l'importance d'un nid entre deux branches.

Enlittératureil avait assez de courage pour soutenir que lesonnet d'Arvers n'est pas un chef-d'oeuvre.

Le talentest une question de quantité. Le talentce n'est pas d'écrireune page : c'est d'en écrire 300. Il n'est pas de roman qu'uneintelligence ordinaire ne puisse concevoirpas de phrase si bellequ'elle soit qu'un débutant ne puisse construire. Reste laplume à souleverl'action de régler son papierdepatiemment l'emplir. Les forts n'hésitent pas. Ilss'attablentils sueront. Ils iront au bout. Ils épuiserontl'encreils useront le papier. Cela seul les différencieleshommes de talentdes lâches qui ne commenceront jamais. Enlittératureil n'y a que des boeufs. Les génies sontles plus grosceux qui peinent dix-huit heures par jour d'unemanière infatigable. La gloire est un effort constant.

Meubléeen arrière comme une jument de 1200 francs.

Comme avecdes ciseauxla femmeavec ses cuisses qui s'ouvrentcoupe lesgerbes de nos désirs.

Noussommes las d'avoir fauché tant de désirs dans le beauchamp de notre amour.

Sur lesmoissonsle soleil flambait moins que nous.

Vois-tumadameil faut dormir. Nous sommes partis ce matin. Tu sommeillaisun peu de reste et je te disais : Il en reste.

Gais commeun couple qui s'épouse.

Dans lapoussière des moutons nous allions comme dans un nuage.

Je tecontais sur tous les tons. Les meules nous semblaient en ortoutexprès pour notre sieste.

Mais tabouche s'ouvrait encoreet je te disais : Il en reste.

Mesdeux mains lassesmes deux mains gourdes
Ont moissonnétoute ta chair
L'haleine mêlée à l'haleine.

Appelonsla femme un bel animal sans fourrure dont la peau est trèsrecherchée.

15 juin.

Chacuntrouve son plaisir où il le prend.

20 juin.

Lanostalgie que nous avons des pays que nous ne connaissons pas n'estpeut-être que le souvenir de régions parcourues en desvoyages antérieurs à cette vie.

1erjuillet.

Aujourd'huidéjeuner avec Henry Maretdu Radical. Sans doutec'est un homme comme un autreetmalgré celaun petittremblement vous secoue à l'approche de ces hommes qu'oncherche à s'imaginer comme les autrespour se faire illusion.

Il fitcette réflexion profonde : qu'un homme auquel on paye àdéjeuner est un homme à moitié dompté.

Vuaujourd'hui M. Henry Maret. Style Vallès. Un peu endormi.Tourne le cou avec une difficulté réelle pour regarderà droite et à gauchese ressent d'avoir étéde la grande école des fumeurs et des buveurs.

Prétendqu'il faut attendre une guerre entre la Russie et l'Allemagne pourprendre celle-ci en queueet regarde comme une ruine pour la Francetoute guerre franco-allemande entreprise en d'autres conditions.Regrette comme tous les journalistes politiquesd'avoir écritplus que Voltaire et de n'avoir pas fait une ligne pour la postérité.Parole simplepeu savanteparfois brutale. A un souverain méprispour le reporter du journalisme.

Me prendpour un garçon riche et s'imagine qu'il a pour moi de troppetites besognes.

Sans date.

Nouvelle.Dans une maison borgne on entend : « Rends-moi mes deux sous !»

Vous êtescomme quelqu'un qui demanderait du café bouillant et lelaisserait refroidir.

6 juillet.

Commerésultatj'ai aujourd'hui 100 francs par mois pour aller tousles deux jours au bureau demander quelque chose à faireet iln'y a jamais rien à faire.

16juillet.

J'ai passécette nuit avec les grandes dames du XVIIIe siècle : la DuBarryla Pompadourla duchesse de Châteaurouxet il mevenait à l'esprit d'offrir au dispensateur des sorts soixanteans de ma vie pour une journée de Louis XV. Se dire que toutcela est bien passéc'est se donner l'éternel remordsd'être venu trop tard.

17juillet.

Il fautbien que je descende la crémaillère de mon esprit poury suspendre votre pot-au-feu !

18juillet.

Dites àune femme deux ou trois mots qu'elle ne comprenne pasd'aspectprofond. Ils la déroutentl'inquiètentla rendentanxieusela forcent à réfléchir et vous laramènent consciente de son inférioritésansdéfense. Car le reste est jeu d'enfant. Il n'estbienentendupas nécessaire que vous les compreniez vous-même.

Pour peuque vous contestiezl'homme perspicace s'arrêtelèvesa canne en l'air et prend un air grave.

«Rappelez-vous bien »prononce-t-il« ce que je vous disaujourd'hui 18 juillet. »

Et il metainsi des piquets dans votre mémoire et dans la sienne pourun jours'y reconnaître commodément.

Ettoujours grandement décolletéecette femme restegrave. Elle se taitcomme d'autres éclatent de rireàgorge déployée.

20juillet.

L'espritest à peu prèsà l'intelligence vraiecequ'est le vinaigre au vin solide et de bon cru : breuvage descerveaux stériles et des estomacs maladifs.

Son coeurdélaisséabandonnéisoléplus seulqu'un as de coeur au milieu d'une carte à jouer.

22juillet.

Je ne mesens jamais assez mûr pour une oeuvre forte. Apparemmentj'attends de tomber en ruine.

L'amourd'une vierge est aussi assommant qu'un appartement neuf. Il semblequ'on essuie les plâtres. Il est vrai qu'on n'a pas àredouter les germes maladifspestilentielsd'un autre locataire.

La merengrande artistetue pour tueret rejette aux rochers ses débrisavec dédain.

25juillet.

Que nepeut-ellecette femme ardenteépouser un cheval !

4 août

EntreRonsard et André Chénier (et encoreAndréChénier !...) on cherche en vain un poëte. Je ne dis pas: un rimeurun versificateurun aligneur de motsmais un poëte.Pas un ! Appelons poésie une création par l'image et lerêve.

9 août.

Au bordde la mer.

La mermonteprend les rochers un à unensevelit celui-cilèchecelui-làécume sur cet autre et montre àtravers son vert de bouteillecomme autant de monstres fantastiquespétrifiésaux chevelures de varech.

Lescrabesgalets marchant.

Sur lesable blanc surgit un phare comme un parfait au café sur unenappe.

Lesrochers sont habités par les baigneuses qui trouvent le moyende sortiren costume de bainde leur peignoirsans que le curieuxy voie goutte de chair.

Lestrois-mâts : chênes mobilesvégétation dela mer.

Floconsd'écume. Il semble que le flot éclate comme un pétardsourd et lointain dont on ne verrait que la fumée.

L'odeurd'un coquillage putréfié suffit pour accuser toute lamer.

DesChimères mordant leur queue en fleur de lys.

Beauvieillardvert sans doutemais de ce vert particulier que lui donnele commencement de sa décomposition lente.

13septembre.

Le plusartiste ne sera pas de s'atteler à quelque gros oeuvrecommela fabrication d'un romanpar exemple où l'esprit tout entierdevra se plier aux exigences d'un sujet absorbant qu'il s'est imposé; mais le plus artiste sera d'écrirepar petits bondssurcent sujets qui surgiront à l'improvisted'émietterpour ainsi dire sa pensée. De la sorterien n'est forcé.Tout a le charme du non vouludu naturel. On ne provoque pas : onattend.

17septembre

Uneinexactitude scrupuleuse.

28septembre.

« Ah! » me dit le noble vieillard en sortant de la vespasienne. «L'homme est comme un temple. Quand la colonne est briséeiltombeet les femmes n'y portent plus leurs dévotions. »

1eroctobre.

A voir unChinoison se demande ce que peut bien être le masque d'unChinois.

4 octobre

J'ai faitdes vers comme un héros fait des exploits. C'est à vousde les direnon à moi.

Chaquematinle vieux poëte s'adosse au vieux rocher de l'inspirationgrimacerougitse raiditse rompt les reinset rien ne bouge.

11octobre.

Le combledu patriotisme : fuir un ciel bleu de Prusse.

13octobre.

Ses dentsclaquaientapplaudissant au drame de son cerveau.

Homme depeu de lettres.

On nevoyait pas à quatre vagues devant soi.

15octobre.

Ils'agirait d'être un homme qui pourrait se vanter de n'avoirjamais regardé le portail de Notre-Dame et de n'avoir jamaismis les pieds à l'Opéra.

16octobre.

Elle vitavec 39 francs par mois et n'achète pas de livres dont le prixdépasse quatre sous. Elle apour l'entretien de son poêletoute une théorieet ne consent à en rejeter la cendreque quand elle est blanche et fine comme de la poudre de riz. Commedessertdes noix en toute saisonparce que les coquilles sebrûlent. Elle a un monstre qui la dévoreune pieuvrequi la suce : l'omnibus. Qu'on en juge ! Quatre omnibus par semainefont 4 fr. 80 par moisqu'il faut déduire d'une leçonde 40 francs. Avec celagaieprenant la vie par les fleurslesoleiltout ce qui brilletout ce qui chantetout ce qui sent bongratisheureuse peut-être. L'hiver est sa terreur. Il augmentela dépense.

A ses murspendent des chromosmais qu'elle a su si bien choisir qu'elles sontréjouissantes pour la vue comme des peintures fraîches.L'objet d'art est une faïence peinte par elleoùs'enlacent des lisérés ténusde pauvreslisérés.

Tellementsincère qu'elle ajoute à la vérité parmégardeavec un dieu littéraireAlphonse Karret undemi-satanZolaqu'elle repousse par propreté.

«J'admire son talent. Toutefoisdit-ellene lui en demandez pas pluslong. »

Authéâtredans l'étouffement des logesellequitte son jupon de dessous.

En musiqueni l'opérani l'opérette : l'opéra-comique.

19octobre.

Quellechance contraire empêche certain monsieur de trouver dans lesRoses le signe de merveilles à veniret de m'envoyer unerente annuelle de 2 400 francs ?

21octobre.

Ne pas setromper aux figures hautaines et silencieuses : ce sont des timides.

Éleverla boulangerie à la hauteur d'une institution nationale : paingratuit et obligatoire.

23octobre.

Chez moiun besoin presque incessant de dire du mal des autreset une grandeindifférence à leur en faire.

24octobre.

Si d'unediscussion pouvait sortir la moindre véritéondiscuterait moins. Rien d'assommant comme de s'entendre : on n'a plusrien à se dire.

25octobre.

Rachildenous dit : « Au moinsmoion peut me rendre cette justice :je ne déménage jamais. Apres chaque saison de bainsonest sûr de me retrouver. » Son éditeur ne veut pasla lâcher. C'est ça qui est original.

27octobre.

C'est untravail curieux que de démêler chez un jeune lesinfluences des arrivés. Que de mal on se donne avant deprendre son originalité chez soitout simplement !

La mersemblable à un vaste champ remué par d'invisibleslaboureurs.

Les petitsflots vomissent leur bave blanche ainsi que des roquetsavec unjappement très doux.

Le ventcouchait la pluie presque horizontalementcomme des épis deblé.

28octobre.

Singuliermondeque celui du rêve ! Les penséesles parolesintérieuresen dedansse pressentfourmillent. Tout cepetit monde se hâte de vivre avant le réveilqui est safinsa mort à lui.

Rien debanal comme un état normal.

29octobre.

Desinstants où l'on voudrait dire au soleil paresseux : «Il est l'heure. Lève-toi ! »

Elle m'afait les honneurs de son corps.

30 octobre

Il y a desmoments où l'on en veut à mort à toutes lesjeunes filles qu'on rencontreparce qu'elles ne vous jettent pasleur coeur et 20 000 livres de rentes.

31octobre

Il nousvient souvent l'envie de changer notre famille naturelle contre unefamille littéraire de notre choixafin de pouvoir dire àtel auteur d'une page touchante : « frère ».

Au réveild'un doux rêveon voudrait se rendormir pour le continuer ;mais vainement on s'efforce d'en ressaisir les vagues tracescommeles plis de la robe d'une femme aimée disparaissant derrièreune portière qu'on ne pourrait soulever.

1ernovembre.

Ilarrivaitmontait mes six étageset tout de suite c'étaientd'interminables discussions politiques ; etchose bizarredans lepauvre cabinet de travail aux murs couverts de petits riensd'éventailsde typogravures Boussodd'incroyables portraitssous le reflet d'une ombrelle rougec'était luic'étaientses soixante ans qui parlaient à mes vingt ans de sociétéde républiqued'humanitéc'était le pèrequi cherchait à éclaireravec toute là lumièrequ'il croyait contenue dans ses grands motsà réchaufferle filspetit jeune homme déjà sceptique et embêté.Je l'ai vu quelquefoisdans des moments d'ennuis cruelsserévolteragiter en l'air de petites idées subversivesmais cela passait viteet il revenait aussitôt à sesbonnes convictionsbien sainesqu'il soutenait avec l'étrangeténacité des vieillards qui ne veulent plus rienapprendre.

Dans sesmauvais instants il se disait : « Notre rupturec'est undépêtrement. » Passionné funèbre.Les femmes qui connaissent tout l'amourles femmes savantes ne s'ytrompaient pas.

Ellevenait derrière lui l'embrasser sur le front. Le coeur en feuil se retournait et disait froidement : « Est-ce que cela vousplaît encoreà vous ? Si vous saviez combien ils mesont indifférents ! »s'efforçant àdessein d'être grossier.

Cetteséparation a été longuedouloureuseavec desrechutesun mal calculéune sorte de souffrance d'électionen laquelle lui surtout se complut. Quand ils se quittèrentle monde autour d'eux était plus triste que s'il eût étéune création de leur esprit.

A toifemme que j'ai tant fait souffrirje dédie le meilleur de mavie qui va se continuer et quiquoique lamentableaura peut-êtreencore quelques douceurs. Je t'en offre l'hommage trèsaffectueux.

La peur dela vie. A la façon dont les plus petites chosesm'impressionnentje me demande quelles douleurs me réservel'avenir.

Aprèss'être ingéniés à se mutuellement jouer debons tours bien atrocesles amants se disaient chacun : «Comme il me fait souffrir ! »

Il voulaitse fâcher et ne pouvait pas. Ses nerfs se détendaientmalgré lui. Il se faisait l'effet de soufflerpour legonflerdans un ballon qui aurait eu un trou.

Puis il sejetait brusquement à ses pieds : c'est trop bêteàla finde ne pas l'embrasser quand elle est làet que jen'ai qu'à me pencheret que j'en meurs d'envie ! Etavidementgoulûmentil faisait sonner sur ses yeuxson cousa peau fraîcheses grains de beautéses lèvresouvertesdes baisers pareils à de petites bulles d'airsentant bien qu'il serait toujours le vaincu dans sa lutte avec cettechairet que toutes ses résolutions antérieurestomberaient comme des bonshommes de neige trop ensoleillés.

2novembre.

Projet depréface. « Ma chère maîtresseje te dédieces versd'abord parce que tu ne les liras paset qued'autrepartje suis bien tranquillecarsi tu les listu n'y comprendrasrien. Mais je te les offre parce qu'ils sont nés sur lesgalets de la Manchedans des coins de paysage de Normandiedans unenature tapageuse parmi les dessous de bois et les buissons. Nous ysommes-nous piquéshein ! Effet bizarre : presque tous ontune allure triste. Très peu sont gais. En me les rappelantjesonge à un vol de corbeaux que j'ai vuoù se mêlaientça et làquelques alouettes effaréeset quis'élevait au-dessus d'un parterre enchanteur et trèsriant de pavots rougesde marguerites neigeuses et de bellesgueules-de-loup. C'estvois-tuune habitude des faiseurs de vers den'être jamais où ils sont. Si tu venais m'embrasserpendant la lecture d'un sonnet de Baudelaireje serais capable de nepas m'interrompreetsi l'on m'annonçait la mort de mon pèreentre deux strophes d'Hugoje dirais : « Attendez. »

Je merappelle aussi tes enthousiasmes. Tu as beau dire : tu admiraismaistu ne comprenais pas. Pourtantil était d'un grand charmepour moice battement de mains tout de confianceet rien n'est plusdoux au coeur d'un homme que le ravissement de la femme qu'il aimequi l'aimeet la mine attentive qu'elle prend à chacune deses parolesd'autant plus émue et intérieurementgrisée qu'elle ne sait pas ce qu'il lui dit.

Ton adoré

P. S. Tusais que je me marie. »

3novembre.

Il y avaiten lui des paresses sénilesdu sang de vieillarddu sangd'un père qui l'avait eu trop tard.

Rester àl'affût de son espritla plume hauteprêt àpiquer la moindre idée qui peut en sortir.

De voirles autres égoïstescela nous stupéfiecomme sinous seuls avions le droit de l'être et l'ardeur de vivre.

5novembre.

Un airfraistransparentoù la lumière semble mouilléelavéetrempée dans de l'eau très claireetsuspendue comme de fines gazes pour sécheraprès unelessive de l'atmosphère

La femmese rattrape singulièrementdans la littératurede lasituationdit-elleinférieurequ'elle tient de la société

Lesdescriptions de femme ressemblent à des vitrines de bijoutier.On y voit des cheveux d'ordes yeux émeraudedes dentsperlesdes lèvres de corail. Qu'est-cesi l'on va plus loindans l'intimité ! En amouron pisse de l'or.

7novembre.

Une petitefilleavec de jolies chevilles ouvrières.

Une chutecontinue de gouttes d'eau faitdans la vapeur des vitrescomme unpetit sentier dans de la neige.

Une naturemétalliqueune végétation de tuyaux de poêledes toits de zinc plus blancs que des lacsdes creux de cavernes quisont des ouvertures de tabatièresune cité presqueenfouie sous l'eau jusqu'à hauteur des cheminées debriques rougesune noyade sous un soleil très pâlecouleur de brique lui aussitout un monde flottantfantomatiquevuau travers des vitres vaporeuses par un temps de pluie.

8novembre.

Ce quicaractérise au plus haut point le style des Goncourtc'est lemépris hautain qu'ils ont pour l'harmoniece que Flaubertappelait les chutes de phrases. Elles sont encombréesleursphrasesde génitifs accouplésde subjonctifs lourdsde tournures pâteuses qui ont l'air de sortir d'une bouchepleine de salive. Ils ont des mots qui sont comme des roncesunesyntaxe qui râcle la gorgequi font au haut du palaisl'impression d'une chose qu'on ne peut pas se décider àvomir.

HenryCéardl'auteur d'un livre fait tout exprès pour tenirla petite place que les Goncourt lui réservaient dans leurbibliothèque.

9novembre.

L'artavant tout. Il restait un moisdeux moisparmi ses livresne leurdemandant que le temps du repos et des sommeilspuis tout àcoup il tâtait sa bourse. Il fallait chercher un emploin'importe quoipour revivre. Une longue suite de jours dans unbureau quelconque avec des ronds-de-cuirde race ceux-làilcollait des timbresmettait des adressesacceptait toute besognegagnait quelques sousremerciait le patron et retournait àses livresjusqu'à nouvelle détresse.

11novembre.

Le styleverticaldiamantésans bavures.

14novembre.

Parfoistoutautour de moime semble si diffussi tremblotantsi peusolideque je m'imagine que ce monde-ci n'est que le mirage d'unmonde à venirsa projection. Il me semble que nous sommesencore loin de la forêt et quebien que l'ombre des grandsarbres déjà nous enveloppenous avons encore beaucoupde chemin à faire avant de marcher sous leur feuillage.

21novembre.

Latapisserie sur fond noir avec le relief de roses rouges comme desoeufs de Pâquesaux feuilles raides comme des coquilles.

Aprèsun assaut d'escrimeremué par cet assaut comme par une merj'en garde le roulis etle mouvement éteintl'image dumouvement m'agite et se continue en moi.

Quand onn'a plus à compter sur rienil faut compter sur tout.

24novembre.

On meraconte que Montépin a devant luisur sa tabledes petitsbonshommes en bois qu'il enlève à mesure que son romanles tue.

Çaun poëte ? Il serait refusé à un concoursd'acrostiches !

25novembre

C'est enpleine ville qu'on écrit les plus belles pages sur lacampagne.

2décembre.

Ses doigtsnoueux comme un cou de poulet.

4décembre.

L'espritn'accueille une idée qu'en lui donnant un corps ; de làles comparaisons.

5décembre

Lacauserie des fauteuils rangésavant l'arrivée desvisiteursun jour de réception.

6 décembre

Unaveugleromancierquiaux descriptions visuelles substituerait desdescriptions olfactives.

13décembre.

S'évanouirc'est se noyer à l'air libre. Se noyerc'est s'évanouirdans l'eau.

15décembre

Il avaitplus de cheveux blancs que de cheveux.

27décembre.

Le travailpensela paresse songe.

Elle a unefaçon d'être bonnetrès méchante.

Dans labonté des choses le coquillage voisine avec le caillou.



1888

Février.

A quoi bontant de science pour une cervelle de femme ! Que vous jetiez l'Océanou un verre d'eau sur le trou d'une aiguilleil n'y passera toujoursqu'une goutte d'eau.

Un mot sijoli qu'on le voudrait avec des jouespour l'embrasser.

Un tempsde prosateur.

Troisans. Qui peut dire toutes les fois que nous nous embrassâmes !
Il nous fallutainsi qu'un écheveau de laine
Chacunprenant son coeursa chair et son haleine
Démêlernos deux âmes.

Juin.

Le goût.Qu'on trouve chez un artiste les communes et grosses poteries àfleurs des paysanson s'émerveille.
Oh ! ce Barfleur ! Yvivre et y mûrir !

12 août.

Au GrandBoisaprès déjeuner. Assis sur un pin au-dessus d'unruisseau qui court dans une écorce. Des bouteilles serafraîchissent dans l'eau. Des brindilles s'y trempentcommeayant soif. L'eau se précipiteblanche avec des flaquesclairesglacialesqui font presque mal à force de fraîcheur.Mon gros bébé se penche sur mon épaule pour voirce que j'écris. Je l'embrasseet c'est délicieux.

Riend'assommant comme les portraits de Gautier. La figure est dépeintetrait pour traitavec des détailsdes minuties encombrantes.Il n'en reste rien à l'esprit. C'est là une erreur dugrand écrivainoù l'école moderne se garde detomber. On dépeint par un mot précis qui fait imagemais on ne s'amuse plus à des revues au microscope.

Un matinD... est venu me trouver et m'a dit : « Si tu veuxnous allonsacheter deux tables en bois blancchacun une calotte de veloursetnous allons monter une Institution. »

Mettre deson côté toute la quantité possible de possibleet aller droit.

9 octobre.

Reçude mon père une lettre attristante. Rien sur Crime devillagepas un mot. Encore une vanité qu'il faudra que jeperde.

11octobre.

Il fit unpoème et le commença ainsi : « Musene me disrien ! Musetais-toi ! »

13octobre.

L'éloquence.Saint Andrémis en croixprêche pendant deux jours àvingt mille personnes. Tous l'écoutentcaptivésmaispas un ne songe à le délivrer.

29octobre.

Lu lepremier volume des Entr'actes de Dumas fils. Rien àrelire.

10novembre.

Avec unefemmel'amitié ne peut être que le clair de lune del'amour.

11novembre.

La vieintellectuelle est à la réalité ce que lagéométrie est à l'architecture. Il est d'unestupide folie (procès Chambige) de vouloir appliquer àsa vie sa méthode de pensercomme il serait antiscientifiquede croire qu'il existe des lignes droites.

15novembre.

Un amiressemble à un habit. Il faut le quitter avant qu'il ne soitusé. Sans celac'est lui qui nous quitte.

Les motssont la menue monnaie de la pensée. Il y a des bavards quinous payent en pièces de dix sous. D'autresau contrairenedonnent que des louis d'or.

Une penséeécrite est morte. Elle vivait. Elle ne vit plus. Elle étaitfleur. L'écriture l'a rendue artificiellec'est-à-direimmuable.

Parfois laconversation s'éteint comme une lampe. On remonte la mèche.Quelques idées jettent encore quelque éclatmais iln'y a décidément plus d'huile. La parole meurt et lapensée s'endort.

23novembre

Le poëten'a pas qu'à rêver : il doit observer. J'ai laconviction que par là la poésie doit se renouveler.Elle demande une transformation analogue à celle qui s'estproduite dans le roman. Qui croirait que la vieille mythologie nousopprime encore ! A quoi bon chanter que l'arbre est habité parle Faune ? Il est habité par lui-même. L'arbre vit :c'est cela qu'il faut croire. La plante a une âme. La feuillen'est pas ce qu'un vain peuple pense. On parle souvent des feuillesmortesmais on ne croit guère qu'elles meurent. A quoi boncréer la vie à côté de la vie ? Faunesvous avez eu votre temps : c'est maintenant avec l'arbre que le poëteveut s'entretenir.

Pour fairecertaines sottisesnous devons ressembler à un cocher qui alâché les guides de ses chevaux et qui dort.

Tu neseras rien. Tu as beau faire : tu ne seras rien. Tu comprends lesplus grands poëtesles plus profonds prosateursmaisbienqu'on prétende quecomprendrec'est égalertu leurseras aussi peu comparable qu'un infime nain peut l'être àdes géants.

Tutravailles tous les jours. Tu prends la vie au sérieux. Tucrois en ton art avec ferveur. Tu ne te sers de la femme qu'avecréserve. Mais tu ne seras rien.

Tu n'aspas le souci de l'argentdu pain à gagner. Te voilàlibreet le temps t'appartient. Tu n'as qu'à vouloir. Mais ilte manque de pouvoir.

Tu neseras rien. Pleureemporte-toiprends ta tête entre tesmainsespèredésespèrereprends ta tâcheroule ton rocher. Tu ne seras rien.

Ta têteest bizarretaillée à grands coups de couteau commecelle des génies. Ton front s'illumine comme celui de Socrate.Par la phrénologietu rappelles CromwellNapoléon ettant d'autreset pourtant tu ne seras rien. Pourquoi cette dépensedes bonnes dispositionsde dons favorablespuisque tu dois ne rienêtre ?

Quel estl'astrele mondele sein de Dieula nouvelle vie où tucompteras parmi les êtresoù l'on t'enviera oùles vivants te salueront très basoù tu seras quelquechose ?

18décembre.

Quand ausceptique « pourquoi ? » le « parce que »crédule a répondula discussion est close.

29décembre.

Que degens ont voulu se suicideret se sont contentés de déchirerleur photographie !



1889

15janvier.

Il a unechose qui m'a toujours stupéfié : c'est l'admirationuniverselle des lettrés d'élite pour Henri Heine.J'avoue que je ne comprends rien à cet Allemand qui a le grandtort d'avoir posé pour le Français. Son Intermezzome paraît l'oeuvre d'un débutant qui aurait voulu fairequelque chose de poétique.

16janvier.

Qu'onsonge à ce que peut être la vie d'un juge de paix parmiles paysans qui le tiraillent avec leur entêtement inlassable !Dans la rue même on l'attrape. Mais il paraît que lemoyen le plus sûrpour luid'arriver à la véritéest encore de leur dire : « En levez-vous la main ? » Lepaysan a peur. Il hésiteimpressionné. Luisi finaudle voilà démonté. Il voudrait bien mentirmaisautrement. Un Christ en croix a plus de puissance sur lui que tousles raisonnements.

Rentréchez luile paysan n'a guère plus de mouvement que l'aïet le tardigrade. Il aime les ténèbresnon seulementpar économiemais encore par goût. Ses yeux brûlésde soleil se reposent. Dans un cercle d'ombre le poêle donneson ronflement par sa petite porte ouverte comme une bouche rouge.

17janvier.

Lapalpitation de l'eau sous la glace.

Autour dugrand feuau-dessus duquel bout la soupe aux chouxde grands potssont rangésdes pots au ventre arrondi où se font lesfromages dursune spécialité du Nivernais. Ils sontrecouverts avec des tuiles Montchanin hexagonesornées d'unlosange en relief. Les chenets en ferénormessontdépareillés. Deux chats dorment au pied de l'un d'euxavec un petit chien aux yeux vairons.

Il fautque le paysan soit deux fois sûr d'une véritépour parier pour elle.

La mèrea senti les premières douleurs. On n'appelle jamais lemédecin. On a rarement recours à la sage-femme. Le plussouventune bonne femme préside à l'accouchement. Elleconnaît des herbes et sait bander un ventre. Pendant qu'elleopèred'autres regardent. C'est un motif de réunion.Pour ne pas effaroucher la maladeelles ont quitté leurssabots en entrant. Cela se passe bien. La mère ne fait guèreplus de manières qu'une vache.

On a vudes bébés avec trois bonnets sur la tête.

Il ne fautpas acheter le berceau avant : d'abordça porte malheur. Etpuisle malheur arrivantqu'est-ce qu'on en ferait ? Le vannier nevend que la couchette. Les pieds reviennent au menuisier. Il leslivre en bois blancbien équarriset conseille de mettreau-dessous une lame de cuir qui étouffe le bruit. On peintl'osier de la corbeille pour éviter les punaises. Le choix dela couleur amène une discussion. On se décide pour unrouge « oeuf de Pâques »qu'on obtient facilementavec des oignons.

L'enfantau mondeon l'emmaillote tout entiersans laisser les bras libres.On ne voit que sa tête violette et soufflée.

Sagrand-mère tricote près du poêleen chaussons :les sabots sont toujours loin des chaussons. Elle a les jambescroisées etau pied qui se balanceest attachéepartant du berceau qui oscilleune ficelle composée d'unmorceau de vraie ficelled'une bordure de robed'une ganse decouleur passée.

Le savantgénéralisel'artiste individualise.

Mettre entête du livre : Je n'ai pas vu des typesmais des individus.

Joindre àce livre une série sur les animaux : le cochonsa mortetc.

18janvier.

Le merlece corbeau minuscule.

Amec'est bien là le mot qui a fait dire le plus de bêtises.Quand on pense qu'au XVIIe siècle des gens sensésdepar Descartesrefusaient une âme aux animaux ! Outre l'ineptiequ'il y avait à refuser à d'autres êtres unechose dont l'homme n'a pas la moindre idéeil eûtautant valu prétendre que le rossignolpar exemplen'a pasde voixmaisdans le becun petit sifflet fort bien faitachetépar lui à Pan ou à quelque autre Satyrebibelotier dela forêt.

23janvier.

Toute unecatégorie de sentiments est surannée.

Les hommesde la naturecomme on les appellene parlent guère de lanature.

24janvier.

Dansl'ancien style on éprouvait parfois le besoin de traduirequelques mots français en latin. L'imprimerie les rendait enlettres italiques. De nos joursnous nous demandons pourquoi.C'étaiten effetune pauvre manière de prouver sonérudition. Les mots latins n'ajoutaient rien aux motsfrançais. Ce n'était qu'une simple redondanceparfaitement vaine. C'est ainsi qu'on lit dans le Génie duChristianisme : « On ne revient point impie des royaumes dela solitudeRegna solitudinis. » Pourquoi « Regnasolitudinis » ?

25janvier.

Onreproche aux décadents leur obscurité. C'est unemauvaise critique. Qu'y a-t-il à comprendre dans un vers ?Absolument rien. Des vers ne sont pas une version latine. J'aimebeaucoup Lamartinemais la musique de son vers me suffit. On negagne pas beaucoup à regarder sous les mots. On y trouveraitvraiment peu de chose. Mais c'est trop exiger que de vouloir qu'unemusique ait un sensbeaucoup de sens. Lamartine et les décadentsse rencontrent sur ce point. Ils ne considèrent que la forme.Les décadents y mettent un peu plus de façonsvoilàtout.

Il devraitêtre interditsous peine d'amende et même de prisonàtout écrivain moderned'emprunter une comparaison à lamythologiede parler de harpede lyrede musede cygnes. Passeencore pour les cigognes.

Chênedollévoilà un joli nom. C'est peut-être pour le mériterque le pauvre poëte a voulu faire des vers.
« Depuistrente ansdit Chênedolléje m'occupe de l'étudede la nature. Je l'observe sans cesseje m'étudie sans cesseà la prendre sur le fait. » Cela ditil parle du «joyeux babil des moissonneurs »du « métayerrobuste ». Il appelle une fourche « un rustique trident »un chariotun char« le char des moissons ». Il estbien de cette école de Rivarol qui prétendait que «la poésie doit toujours peindre et ne jamais nommer ».

30janvier.

L'idéaldu calme est dans un chat assis.

2 février.

C'est àcroire que les yeux des nouveau-nésces yeux qui ne voientpas et où l'on voit à peineces yeux sans blancprofonds et vaguessont faits avec un peu de l'abîme dont ilssortent.

A noter ence moment-là le rôle niaisinutilesuperflule rôletroisième zone du mariqui reste les bras ballantsla figureembarrasséedevant l'utilité de sa femme et son peud'importance à lui.

8 février.

Pierre nefait guère que téter et dormir. On sent que ses yeuxvont être bientôt capables de perception. Ses mainsratissent le vide dans une éducation constante du tact.

20février.

LudeMicheletla Mer. Michelet est le type du grand bavard. Ilextrait d'une petite idée une grande page. Blanc bonnet ne luisuffit pas : il lui faut bonnet blanc. En généralillui faut des faits pour le soutenir. Toute l'histoire de France n'estpas de tropmais la mer n'est pas assezparce qu'elle n'a pasd'histoire. On commence par admirer ces écrivainsgenremagnifiquequi tiennent des poules pondeuses. Bientôton aassez de leurs oeufs.

26février.

Un aulnese penche dans l'attitude d'un tireur de bateau.

-- Madamedit une dame mûre à une jeune dame pour a rassurerquand j'accouchec'est comme si je faisais un gros caca.

27février.

Un hommesimpleun homme ayant le courage d'avoir une signature lisible.

12 mars.

Paroles debelle-mère.

-- Ouimaman

--D'abordje ne suis pas votre mèreet je n'ai pas besoin devos compliments.

Tantôtelle oubliait de mettre son couverttantôt elle lui donnaitune fourchette saleou bienencoreen essuyant la tableellelaissait à dessein des miettes devant sa bru. Au besoinelley amassait en tas celles des autres. Toutes les petites vexations luiétaient bonnes.

Onentendait : « Depuis que cette étrangère est icirien ne marche. » Et cette étrangère étaitla femme de son fils. L'affection du beau-père pour sa bruattisait encore la rage de la belle-mère. En passant prèsd'elleelle se rétrécissaitcollant ses bras àson corpss'écrasait au mur comme par crainte de se salir.Elle poussait de grands soupirsdéclarant que le malheur netue pascarsans celaelle serait morte. Elle allait jusqu'àcracher par dégoût.

Parfoiselle s'en prenait au ménage tout entier. « Parlez-moid'Albert et d'Amélie. Voilà des êtres heureux etqui s'entendent. Ce n'est pas comme d'autres qui en ont l'airseulement. »

Ellearrêtait une brave femme dans le corridorsur la porte de sabruet lui délayait ses chagrins. « Qu'est-ce que vousvoulez ? Ils sont jeunes »disait celle-ci tout en se régalantde ces racontars. « Ah ! Ils ne le seront pas toujours ! disaitla belle-mère. Ça se passe. Moi aussij'ai bienembrassé le mienmais c'est fini. Marchez ! La mort nousprend tous. Je les attends dans dix anset même moins. »

Il ne fautpas oublier les retours. Soyons justes. Elle en avaitet de bienattendrissants.

-- Mabellema vieilleje suis à votre disposition. J'ai beau dire: je vous aime autant que ma fille. Donnez doncque je vousremplisse votre cuvette. Laissez-moi donc les gros ouvrages. Vousavez les mains bien trop blanches.

Soudainsa figure devenait mauvaise :

-- Est-ceque je ne suis pas bonne à tout faire ?

Et elleséparaitdans sa chambre les photographies de ses enfants decelle de sa brula laissait isoléeabandonnéebienvexée sans aucun doute.

19 mars.

Lire deuxpages de l'Intelligence de Taine et aller chercher despissenlitsvoilà un rêveet c'est ma vie pour lemoment. J'assiste encore au coucher des grivesau croule desbécassesà l'endormement du bois. J'en deviens bête.Heureusementdeux pages de Taine me décrassentet me voilàen pleine fantaisieau-dessus du mondeacharné àl'étude de mon moide sa décompositionde notrenéant.

27 mars.

Des yeux àpeindremais par un peintre en bâtiment. Un peintre ordinairen'y arriverait pas.

29 mars.

La plussotte exagération est celle des larmes. Elle agace comme unrobinet qui ne ferme pas.

31 mars.

Je connaisun grand garçon qui a vingt-quatre ans qui dirige troisfermesqui mène durement ses hommes et n'aime que sesbestiauxqui fait saillir à chaque instant un boeuf ou unétalonqui aide à pleins brasmanches retrousséesles vaches à faire leurs veauxqui renfonce les matrices deses brebis quand elles tombentqui connaît à fondtoutes les choses malpropres de son métieret qui a dit àma femmed'un air timide et embarrassé : « N'allez pasdire à ma mère que je lis la Terre ! »

4 avril.

LesSoeurs Vatard de Huysmansc'est du Zola en zincdu naturalismeen toc.

6 avril.

Huysmanstoujours inquiet des dents de ses personnages.

Tout ceque j'ai lutout ce que j'ai pensétous mes paradoxesforcésma haine du convenumon mépris du banalnem'empêchent pas de m'attendrir au premier jour de printempsdechercher des violettes au pied des haies parmi les étrons etles papiers pourrisde jouer aux « chiques » avec lesgaminsde regarder des lézardsdes papillons à robejaunede rapporter une petite fleur bleue à ma femme. Éternelantagonisme. Effort continu pour sortir de la stupiditéetinévitable rechute. Heureusement !

8 avril.

L'hommemarié est au garçon ce qu'est un volume relié àun volume broché.

10 avril.

L'horreurdes bourgeois est bourgeoise.

3 mai

Papa amaintenant de ces réponses :

-- Votrebaromètre est-il à la pluieM. Renard ?

-- A lapluie ? Oh ! nonil n'est pas à la pluie ! Au contraireilest dans la cuisinebien au sec.

13 mai.

Ce matinassis sur un fagoten plein soleilparmi les longues feuilles demuguettandis que nos yeux en cherchaient les perles encore closesnous avons parlé continuellement de la mort et de ce quiadviendrait si l'un de nous s'en allait. Le soleil nous aveuglaittout notre être s'imprégnait d'une envie de vivreetnous trouvions un grand charme à parler de cette inévitablemortloin d'elle. Ah ! ceux qu'on laisse. Pierreson chapeau surl'oreilleen casseur d'assiettesdormaitsouriaitsuçaitson biberon. Des hommes couchaient de jeunes chênes sur deuxfourches piquées en terre par le mancheet prestement leurenlevaient l'écorceune écorce humide de sèvevivantepareille à une peau et qui se resserrait dans unesuprême contraction.

16 mai.

L'odeurforte des fagots secs.

17 mai.

Unearaignée glisse sur un fil invisible comme si elle nageaitdans l'air.

21 mai.

--Qu'est-ce qu'il fait doncJules ?

-- Iltravaille.

-- Ouiiltravaille. A quoi donc ?

-- Je vousl'ai dit : à son livre.

-- Fautdonc si longtemps que çapour copier un livre ?

-- Il nele copie pas : il l'invente.

-- Ill'invente ! Alorsc'est donc pas vraice qu'on met dans les livres?

22 mai.

Par lessoleils couchantsil semble qu'au-delà de notre horizoncommencent les pays chimériquesles pays brûlésla Terre de Feules pays qui nous jettent en plein rêvedontl'évocation nous charmeet qui sont pour nous des paradisaccessiblesl'Égypte et ses grands sphinxl'Asie et sesmystèrestoutexcepté notre pauvre petit maigre ettriste monde.

27 mai.

Aujourd'huila vache à Marie Piarry a fait veau. Marie pleurait et disait: « Je ne veux pas voir ça. J'vas m'en aller. »

Ellerevenait. « Oh ! la pauvre amie ! La pauvre amie ! Tenez ! Elleest morte ! Je vois bien qu'elle est morte. Jamais elle ne sortira !»

La vachevêlait et poussait des soupirs. Lexandre lui faisait la mouetout en tirant les pattes du veau et disait : « Ouima belle !» Le père Castel présidait et disait : «Mes enfantstireztirez ! »

Tout lemonde se sentait mèreetquand la vacheson veau faitayant bu une bouteille de vin sucrése mit à lécherle sel qu'on avait répandu sur son veautout le monde avaitles larmes aux yeux.

28 mai.

L'amitiéd'un homme de lettres de talent serait un grand bienfait. Il est fortdommage que ceux dont on désire les bonnes grâces soienttoujours morts.

29 mai.

-- Leshommes ? Oh ! ça me fait faire pipi.

Comptersur quelqu'un comme sur une planche pourrie.

12 juin.

Noter chezle paysan son épouvante de Paris.

14 juin.

Avons-nousune destinée ? Sommes-nous libres ? Quel ennui de ne passavoir ! Quels ennuis si l'on savait !

L'horizonest plus près ce soir que ce matin.

23 juin.

Le soleilpareil à un balancier immobilisé.

9 juillet.

Toutefemme contient une belle-mère.

14juillet.

La femmeparle toujours de son âge et ne le dit jamais.

16juillet.

Pierrepèse dix-sept livres.

22juillet.

Je suisassis sur des pierres entassées que des « tolles »enchevêtrées dans des pieuxempêchent de tomberdans l'eau. Le bassin est une cuvette profonde. A travers l'eauclaire le fond paraît ferme. Des cailloux polis rappellent lesgalets de la mer. Çà et làde grosses pierrespointuesfaites pour labourer le ventre d'un nageur. Une bande defeuilles jaunissantes suit un courant d'eau. Des petites médaillesd'écume blanche se détachent d'un bouillon et s'en vontà la dériveau fil de l'eau. On dirait qu'une bouched'ange qui s'amuse crache du haut du ciel dans le bassin. D'un coupde queueune ablette court flairer une brindille de bois. Uneperchezèbre de l'eaulève la têtese cabreet se tient droite dans son fourreau de barres. Mon bouchon penchesur le côté etsous le rouliss'agite comme ces lapinsen carton dont on branle la tête du bout du doigt. De temps entemps on croit voirbien basau-delà des caillouxun moutonfloconneux traverser le bassin : c'est un nuage qui passe au-dessusde ma tête.

De grospoissons blancs ouvrent leur gueule lentementlentementcomme onfait avec les mains quand on veut projeter l'ombre d'une gueule deloup sur un mur.

Un poissonqui se retourne met la tache d'une plaque d'argent dans le terne del'eau.

Et voilàune page de description qui en vaut bien une autre.

25juillet.

Écrireune série de penséesde notesde réflexions àl'usage de Pierreintitulées « les Cahiers deBoulouloum ».

L'amour :tu aimerasc'est-à-dire que tu voudras coucher avec unefemmeet que tu auras quelque temps du plaisir à coucher aveccette femme.

Littérature: je ne veux pas te faire un cours. Je peux te dire quels livres j'aireluset quels écrivains j'ai aimés.

La musique: pêche à la ligne près du pont de Marigny. D'unefenêtre ouverte dans un cadre de branches m'arrivait unemélodie neuveet j'étais vivement ému quand enmême tempsmon bouchon se mettait à danser sur l'eau.

Lapeinture : je souhaite que tu l'aimes et que tu montres plus de goûtque moi qui n'ai jamais pu distinguer un tableau d'une impressionlithographique en couleurs.

La famille: j'ai été l'homme de transition. Tu seras le grandhomme.

La morale: il est trop tard pour t'en parler. Nul ne pourrait changer ce quiest en toi. On ne revient pas sur des principes. Mon pèrequiétait entrepreneur de travaux publicsa eu maintes foisl'occasion de voler. Bien qu'il en ait eu la tentationque millemotifs soient venus à son aideil n'a jamais pu voler. Enmoralela volonté est impuissante.

Lapolitique : fais-ensi tu ne trouves pas que les journaux endégoûtent.

Laphilosophie : fais de la philosophie. Quelle expression ! Ce n'estpas moi qui l'ai inventée. Sois mesuré toutefois. Unamateur a risqué plusieurs ascensions en ballon. Il a vu unmonde inconnu sous une perspective nouvelle. Il a ressenti une grandejoieéprouvé une grande émotion. Le ballonredescend. Il saute de la nacelle et s'en valaissant derrièrelui le ballon un peu dégonflé. Il ne se fait pasaéronaute.

Boulouloumje te recommande aussi les contes de fées bienparticulièrement. Maintenant encore ils m'enchantent. Les féesnous échappent. Elles sont radieuses et on ne peut les saisiretce qu'on ne peut pas avoiron l'aime éternellement.

Boulouloumtout le monde a du talentdu génie aussiet même de lafacilité. Voir l'abbé d'II ne faut jurer de rien.Ne dis pas : cet homme est sans talent. Encore moins imprime-le. Dissimplement : son genre d'écriturela sorte de penséesqu'il affectionne me déplaisent. C'est tout ton droit.

Boulouloumquand tu t'ennuieras trop et que la vie te sera lourdeoh ! lourde àen mourirprends la quatrième page d'un journal quelconqueet cherche le mot du triangle ou du carré proposé. Acet amusementles plus grandes douleurs fondent.

28juillet.

Boulouloumquiconque lit trop ne retient rien. Choisis ton homme. Relisrelis-le pour te l'assimilerle digérer. Comprendrec'estégaler. Être l'égal de Tainepar exemplec'estdéjà joli.

Les champsde blé rasés de fraisavec ces taches verdâtresqui rappellent le bleu de la joue des acteurs.

31juillet.

Chaquematinboire une tasse de soleil et manger un épi de blé.

«Petit cochonvous ne travaillez pas ! » disait Langibout àAnatole. Ainsi je dois me dire : « Petit cochontu netravailles pas ! » Ouic'est bon ! Tu bois du soleilturegardestu observestu jouis de la vietu trouves bien fait toutce que le bon Dieu a fait. Les lézards t'intéressentles demoiselles aussi quiplantées sur le cou l'une del'autrevolent de brindille en brindille et se posentl'une toutedroite et raidel'autre en ligne briséele bout de sa queuedans l'eau. Tu te dis : avant d'écrireil faut voir. Flânerc'est travailler. Il faut apprendre à tout voirle brind'herbeles oies qui crient dans les établesle soleilcouchantla queue du soleil couché qui s'étend roséeet pourpre sur tout l'horizon comme un voile déplié oùse pose l'arc de la lune. Tu t'emplis de tableauxles deux mainsdans tes poches. Tu lèves les pelles de ta rêverie. Elledéborde de droite et de gauchesort de son bassins'épanouità l'aventureau hasard. Tu as même des idées pasgaies. Tu penses à la mortavec effroi quand il tonnesanspeur quand il fait clairque la lumière diffuse se fourrepartoutregarde par chaque fente de volet et fait pencher lesavoines lourdesquand tu voudrais bien être quelque partàl'ombretranquilleloin du mondeet que tu te voisnullement émules pieds jointsallongérecueillipresque souriantàquelques pouces sous terretout près des fleursdes herbesde la vie et du bruit. C'est bon. Je t'écoute. Tu ne chassesmême plus. Tuer un oiseau te répugne. N'ont-ils pas ledroit de vivre ? Tu ne pêches pas. Les poissons te semblent desêtres animésqui intéressent comme d'autresbêtesqui ont des ailes pour voler dans l'eauqui luttentqui rusentqui existent. Tu te fais élégiaque. Tucomprends toutma foi ! Tu panthéises. Tu vois Dieu partoutet nulle part. Tu as des idées sereines qui te font sourireavec bienveillance. Tu dégustes le temps. Tu te trouves biencomme le restemais je te le redis : « Petit cochontu netravailles pas ! »

1er août.

«Baisse la tête comme Pierre Sicambre ! » dit une bonnefemme.

Boulouloumtu te diras bien des fois : « Il me semble que je vais faire unauteur étonnant. » Il n'y a que ce qu'on fait qui n'estjamais étonnant.

9 août.

Un chien :on dirait une descente de lit empaillée.

Mon groslibrairequi ne connaît des livres que leurs titresm'a diten me remettant le Disciple de Bourgetavec une voix bonenfantun ton convaincu et un air imbécile : « C'estamusantmais c'est un peu durpar exemple. »

12 août.

La grandefacilité qu'il avait de s'approprier les idées et lessentiments de ses auteurs favoris paralysait son originalité.Il ne pouvait se tenir en place. Chaque livre lui semblait renfermerquelque excellente maximequelque bonne théorie qu'iladoptait aussitôt. De làune diffusion dans son espritune multiplicité de goûts qui toujours trouvaient leursatisfactionmais aussi une éclipse du but àatteindredes pas perdusd'inutiles voyages littérairesunobsédant éclectisme qui le contint dans la médiocritéet fit de son âme une véritable âme photographiéeune âme littéraireparasite des autres âmes etincapable de vivre par elle-même.

16 août.

Quand untrain passe sur une plaque tournanteles wagons ont l'air d'avoir lehoquet.

20 août.

Lu LePortier des chartreux. L'homme a besoinparfoisde se vautrercomme un porc dans ces saletés bêtement écriteset physiologiquement ineptes.

24 août.

Lesécrivains qui n'aiment pas Victor Hugo me sont ennuyeux àliremême quand ils n'en parlent pas.

28 août.

C'estdésespérant : tout lireet ne rien retenir ! Car on neretient rien. On a beau faire effort : tout échappe. Çàet làquelques lambeaux demeurentencore fragilescomme cesflocons de fumée indiquant qu'un train a passé.

Dansl'immuable équilibre du mondele désir que nous avonsde voir mourir tel être doit être un préservatifpour lui.

29 août.

Il a unegrande répugnance pour tout ce qui est action banale dans lavie courante. Quand il n'a plus de timbres et quepris au dépourvuil doit aller lui-même en acheter un au bureau de tabacàcôté du zincen face des oeufs rangés quireposent dans leur ceinture de fil de ferc'est pour lui un grandsupplice.

30 août.

On a beaufaire : jusqu'à un certain âge -- et je ne sais paslequel --on n'éprouve aucun plaisir à causer avec unefemme qui ne pourrait pas être une maîtresse.

Le sommeilest la halle aux souvenirs. Il favorise leur retour. Il est leur lieude rendez-vous. Telle cousine quetout jeuneon a aimée pourla fraîcheur de ses bonnes jouesà laquelle on ne songeplus depuis des annéesqui a disparu de la vie éveilléerevient dans le rêvetentantecolle sa bouche à votrebouchenoue son corps au vôtrevous met en feu et laisseaumatinun longun indéfinissable regret.

1erseptembre.

Je melaisse facilement abattremais je reprends le dessus avec unefacilité extraordinaire. Je trouve toujours le bon côtéd'un ennui. C'est l'effet d'une pusillanimité rare quim'empêche de regarder les embêtements en face.

MlleBlanche a été caissière dans un vater-closet àl'Exposition de 78. On payait cinq souset dix sous pour lescabinets avec toilette. Elle fait sonner les prix avec orgueilet ànous-mêmes il sembledevant la fabuleuse énormitédu droit d'entréeque la chose devait sentir moins mauvaisque de nos jours où ces petits endroits deviennent d'un bonmarché dérisoire. D'ailleurspourquoi les prix ont-ilsbaissé ? On a envie ou l'on n'a pas envien'est-ce pas ?

5septembre.

L'individuest une plantel'individu est une grainel'individu est un fruit.L'art est une plantela religion est une plantela sociétéest une plante. Tout est une plante. Malgré toute monadmiration pour le grand écrivain qu'est Taineje ne peuxm'empêcher de remarquer combien toutes ses comparaisons sontpauvresbanales et semblables.

Qu'est-ceque je demande ? La gloire ! Un homme m'a dit que j'avais quelquechose dans le ventre. Un autre m'a dit que je faisais mieux et moinssale que Maupassant un autre. Un autre encore... Est-ce çalagloire ? Nonles hommes sont trop laids. Je suis aussi laid qu'eux.Je ne les aime pas. Peu m'importe ce qu'ils pensent. Les femmesalors ? Unece soirjolieau beau corsage m'a dit : « Je liset je relis Crime de village. » Voilà la gloireje la tiens. Mais cette femme est une belle imbécile. Elle n'apas une idée. J'aimerais à coucher avec elle si elleétait muette. Si c'était çala gloirejen'aurais plus rien à faire. Et cependanttoute proportiongardéece n'est pas autre chose ! La quantité changela qualité reste la même. C'est aussi une questiond'oreille. A cette oreille un peu de ouate suffità cetteautre il faudrait une balle de coton.

6septembre.

J'envieles peintres. Ils sont maîtres de leur public. J'observais cematin M. Béraud au Palais des Machines... Sa toile est devantlui. Elle prend figure. Sur la tête du chevalet présidele chapeau gris de M. Béraud. Le peintre prenait sur sapalette une tache de couleurla posait délicatement. Il sereculaitsouriaitm'expliquait l'ingratitude du sujet et son désirde faire neuf. De plusil avait une petite badine à la mainet qui sifflait parfois d'une manière inquiétante. Ildésignait un point lumineuxun fond terrible àdébrouiller. Que voulez-vous que le public fasse devant cettemise en scène ? Il est battu d'avance. Sa vanité entreen jeu et le mène par le bout de sa bêtise. Il necomprend pasc'est sûr ; maiss'il le fait voirun voisin leremarquera : il a tout intérêt à s'y connaître.Il s'y connaîtet lance un mot peu compromettanten regardantde droite et de gauche. Le peintreà ce momentsourit. Lepeintre a souri. Le public est empoigné. Il parlera du sourireet du tableaudu sourire surtout. Le mot qu'il a lancé étaitsi juste !

Le peintredomine les badauds par sa présence et par sa canne. Et puison le voit à l'oeuvre. Il travailleau moinscelui-là!

Unlittérateur a passé des nuits à faire un livre.Le public l'achète 2 fr. 75. Il l'ouvre chez luitout seultout seulcomprenez bien celasans peur. Il peut le jeter au paniers'il veutquand il veut. C'est un homme libre. Il ne craint plus levoisin ni la badine cinglante du peintre. Il peut être stupideà son aiseécraser d'un coup de poing le tome à2 fr. 75comme une gouvernante qu'on n'observe pas pince la chaird'un baby qui crie trop et l'appelle « vilain monstre » :j'envie les peintres.

7septembre.

MlleBlanche fait des vers. Elle trouve qu'il y a des gens qui les fontmal. Elle recherche la délicatesse. Une personne l'engage àmultiplier ses châles et ses fourrures. Elle lui réponden versqu'une chose tient plus chaud qu'une fourrure : c'estl'amitié. Elle débite ainsi aux amis qui lui offrent àdîner un petit compliment sucré. Pour ellela poésiec'est cela. Une idée fine qui lui vient et qu'elle versifie larend heureuse toute la journée. Elle ne se fait pas un autreidéal du poëte etpar instantselle pense qu'elle-mêmeest cet idéal. Qui osera lui dire qu'elle se trompe ?

8septembre.

Mme Barataprès nous avoir dit qu'elle adorait son marinous racontequ'il met des basqu'il porte des jarretièreset qu'il luifaut en été des petits caleçons en toile bleuepareils à des culottes de suisse. C'est elle qui lesconfectionne. Il les veut bleus : rien à faire. Elle finit endisant : « Oh ! ces vieux maris qui ont des manies ! »

Cela merappelle celui de Mme G... Il voulaitchaque matinpasser sa jambedans sa culotte sans toucher le drap. Il recommençait jusqu'àréussite complète. Il exigeait autour de luidans soncabinet de toiletteune douzaine de serviettes au completpas onzepas treizequ'il mettait toutes en trainchacune ayant son petitbout de peau à essuyer.

9septembre.

Boulouloumtu auras beau t'ennuyerplus tarddans un salon. La maîtressede maison ne s'en apercevra pasne le croira pas. Elle trouverasimplement que tu as l'air « anglais ».

18septembre.

Ce qui n'apas été faitc'est un livre moderniste sur lacampagne.

Lacampagne se prête à toutes les divagations du rêve.On questionne bien tranquillement le ruisseaul'arbreles grandesluzernes : ils ne répondent pas et ce qui dégoûtedes hommesc'est qu'ils veulent toujours répondre auxquestions qu'on leur pose. Chacun nous offre une certitudeunesolution : c'est désolant.

Je nesortirai pas de ce dilemme : j'ai les ennuis en horreurmais ils mefouettentme rendent talentueux. La paix et le bien-être meparalysentau contraire. Doncêtre nulou êtreéternellement embêté. Il faut choisir.

J'aimemieux être embêtéje le dis.

Celam'ennuiera biend'être pris au mot.

24septembre.

CommencéObermann de Sénancour. Illisible. Nonvraimentje nepeux pas aller jusqu'au bout. C'est insenséce culte del'ennui. Était-ce assez idiotcet ancien « vague àl'âme ! » L'âmece n'est pas grand-chosemaiscette école-là arrivait à en faire rien du tout.

25septembre.

Je lisroman sur romanje m'en bourreje m'en gonflej'en ai jusqu'àla gorgeafin de me dégoûter de leurs banalitésde leurs reditesde leur convenude leurs procédéssystématiqueset de pouvoir faire autre.

26septembre.

Je n'ai vuqu'une fois Théodore de Banville. C'était chez M.Labitteun poëte lamartinien d'un très médiocretalentmais très aimableet qui me faisait pitié parla façon dont il me racontait les vilenies de sa femme.Banville fit ce soir-là une courte apparition. Il aje croisl'habitude de se coucher de bonne heure. Je me rappelle sa figurelarge et pâteuse comme un fromage blancsans poils dessus. Ilm'était entièrement inconnu comme poëte. A cemoment-làje ne lisais guère que moi-même.C'était toutefois une célébrité pour moimais une célébrité que je n'avais pas contrôlée.Je n'avais pas à cette époquechose curieuseen 84àvingt anscette timidité invincible qui m'est venue plustardqui m'empêche d'aller dans le mondequi me tient commeun mal intimeet qui me fait trembler dès que je m'approched'une gloirece qui d'ailleurs m'arrive rarement. Banville ne meproduisit donc aucune espèce d'impression. Labitte me présentacomme poëte et comme étudiant en droit.

-- Poètec'est biendit Banville. Mais étudiant en droit !...

Je luiaffirmai que j'allais au cours aussi peu que possible. Il parut mesourire d'une manière bienveillante. Ce fut à peu prèstout. Je crois qu'il me reprocha encore d'avoir fait lireau lieu deles lire moi-mêmemes premiers versles Étoilesqu'il trouva « très bien »par une espèced'imbécileM. Ruefpoëte aussimais vieux poëteratéqui sans doute avait voulu se redorer un peu en mepatronnanten me faisant complaisammentavec abnégationunpetit succès de salon.

Vaniteuxalors plus que je ne le suis maintenant -- j'ai déjàsuivi le convoi de un grand nombre de mes rêves -- tout pleindu petit bourdonnement amical qu'avait provoqué la levéede mes étoilesje n'écoutais pas Banville. Je leregrette amèrementet j'ai perdu ce jour-là une belleoccasion d'entendre sa causerie triomphalemétaphoriquelyrique et continûment spirituelle dont ses Souvenirsnous donnent la sensation lointaine et affaiblie.

Je mesouviens encore quele poëte Grangeneuve désirant lireavec sa voix profonde de Gauloisquelques vers du maîtreBanville tendit la main d'un mouvement lentonctueux comme un gestede prêtreet dit :

-- Nonjevous en prie ! Cela me ferait de la peine.

Le motétait jolimais combien de fois Banville l'a-t-il servi !

Plus tardsi le bon Dieu me donne à choisir le paysage où jedevrai revivreje lui demanderai un paysage toujours lunaireafinde voir éternellement la molle et belle lune épancher «sur les forêts ce grand secret de mélancolie qu'elleaime à raconter aux vieux chênes et aux rivages antiquesdes mers ». Une superbe phrase d'Atalaqui m'a toujoursproduit une impression énorme de solitude et d'ampleur.

Un francsuccèsc'est-à-dire une chute qu'on n'a pas lafranchise d'avouer.

28septembre.

Tu n'espas assez mûrdis-tu. Attends-tu donc que tu pourrisses ?

30septembre.

Il mevient à l'idée de réunir mes notes en un volumede les grouper en chapitres. Généralités :l'hommela femmeles amantsles littérateursla villelacampagnela merle poëtel'ami du poëteDieulapolitiqueconseils à Boulouloum.

Pourachever un romanil faudra toujours que je me propose d'en fairedeux.

Mérimée.Oh ! le méchant ! Faisons-lui les cornes. Rageur et boudeurses colères ressemblent à celles d'un enfant auquel ondonne un os de côtelette à ronger.

Lecture àun ami. Ah ! mon amitu m'as fait bien souffrir ! Je vois encore tonvisage... Nonje ne veux plus le voir. Je te disais : « Enveux-tu encore un peu ? » Était-ce du thé ou desvers ? Tu hésitais.

Quellesouffrance pour moi ! Je me dévouais et remplissais ta tasse ;puisje feuilletais mon manuscrit avec des souriresdes petits oh !oh !des clins d'yeux qui tententpour t'enjôlerte remettreen goût. Mais tu buvais ta tasse avec lenteurles yeux àmoitié closdans un nuage de vapeur légère.

Amisidiotsà quoi servez-vous donc ? Je rentrais mon manuscritdans sa chemisemais avec quelle maladresse ! Certesla maîtressenue qui remet aux yeux de son amant une chemise jetée au lointout à l'heure et qui veut retarder la mort de son désirn'invente pas plus de ménagementsde difficultés àtrouver la manchede prudence à rabattre les plis...L'artilleur qui remet dans le manègeau trot saccadéde son chevalson sabre au fourreau...

Maisamiton désir à toi était bien mort. Le manuscritrentra dans sa peau de toileet je t'aurais volontiers jeté ala figure la théière bouillante. Amischers amiscriez donc toujours : « C'est beaubien beau ! Encore ! Encore! » Cela vous coûte si peu de le direetquand vous nele dites pasnous sommes tant peinéset pour si longtemps !

Il est desgens maladifs et condamnés qui vous recommandentàmots voilésde faire votre caca avec soinsur le mêmeton qu'ils vous diraient : « Honore ton père et ta mère.»

A la salled'armesun tas de marquisde comtes. Ces gens-là vivent deleur nom comme d'autres de leur travail. Ils me produisent une forteimpression. Plébéienfils d'un paysanje les croistous imbéciles. Pourtantils m'imposentetquand je passedevant leurs tristes académies nuesje leur demande pardonavec timidité.

4 octobre.

Il avaitdes façons de parler délicates et disait : «N'est-ce point ? » au lieu de « N'est-ce pas ? »

5 octobre

M. B...est si petit et il a une bouche si grande qu'il tiendrait aisémenttout entier dans sa bouche.

6 octobre.

Ce quej'ai fait de plus utile jusqu'icic'est certainement d'avoir faittourner des gros sous sur mon bureau pour amuser François.

Un jouron mettra des phonographes dans les pendules. Elles dirontau lieude sonner « Il est 5 heures8 heures. » On leurrépondra. « Tu retardes ou tu avances. » Nouscauserons avec le temps. Il s'arrêtera pour tailler unebavettecomme un simple concierge ou une bonne chez le fournisseur.

Une femmetrès bienune femme à bonne tenuequi fait sonpossible pour ne pas avoir l'air trop cochon.

8 octobre.

A force deregarder les toiles de M. Béraudl'éducation de monoeil se fait. Je goûte une tache et je m'imagine comprendre uneffet de lumière. J'ai eu autant de peine a aimer les gâteauxmaismaintenantje les mange sans trop de haut-le-coeur. Je vaismême jusqu'aux confiseries. Est-ce que je finirai parm'empeinturlurer l'esprit ?

9 octobre.

Pour sefaire une têteil se coupait soigneusement les cheveux a tortet à traversafin queçà et là unemèche droite et protestante pût indiquer l'excentricitéde ses pensées et l'audace de ses intentions.

Vous dites: « Je suis vaniteux »mais vous l'êtes surtoutparce que vous dites que vous l'êtes.

R... portedes cols sales comme des fromageset des gilets peints oùl'on voitsur un fond vieil orde petits bonshommes lumineusementblancs jongler avec des fleurs roses.

Laconversationce soira roulé sur le succès de Barrèsdu fond de nous tous montaitavec la vapeur du potage et le fumet dupoulet farcile dépit de n'avoir pas eu le nez long comme lesien.

10octobre.

Femmepareille à une cheminée. Il est temps de lever ta robe: le feu doit être pris.

15octobre.

Unepersonne embrouilléesubtileà complicationsquidonne la sensation d'une toile d'araignée.

21octobre.

Un LaBruyère en style modernevoilà ce qu'il faudrait être.

Il y a desgens qui donnent un conseil comme on donne un coup de poing. On ensaigne un peuet on riposte en ne le suivant pas.

Quand jeserre une femme dans mes brasje me rends parfaitement compte qu'àce moment encore je fais de la littérature. Je dis tel motparce que je dois le direet parce qu'il est littéraire. Mêmealorsil m'est impossible d'être naturel. Je ne sais pasl'anglaismais je dirais plus volontiers : « Je t'aime »en anglaisque « Je t'aime » en naturel.

Rien deplus mauvais que les nouvelles de Balzac. C'est trop petit pour lui.D'ailleursquand il avait une idéeil en faisait un roman.

Lessouvenirsce soiront pris pour tambourin mon cerveau.

Une joliefemme doit être propre et coquette dès le matin enfaisant son ménageet briller comme une pièce d'argentdans un tas d'ordures.

22octobre.

Papaaujourd'huimet des gants comme un jeune homme. C'est unecoquetterie qui lui vient sur le tard. Si on lui demandait pourquoiil répondrait que la vieillesse lui glace déjàle bout des doigts.

28octobre.

Onrencontre dans les bureaux de commissaires police des gens du genrequi suit. L'inspecteur :

-- Combienavez-vous d'enfants ?

-- Cinqnonsix. Noncinq.

-- Voyons! Cinq ou six ?

--Monsieur l'inspecteurc'est plutôt six.

-- Oùdemeurez-vous ?

-- RueLegendre.

-- C'estbon. Allez-vous-en.

-- Ah !pardonmonsieur l'inspecteur. J'ai dit : rue Legendre. Mais c'estpas celle-là : c'est celle d'à côté.

-- Combieny a-t-il de temps que vous habitez dans cette rue ?

-- Un an.

-- Et vousne savez pas son nom ?

-- Je l'aioubliémonsieur l'inspecteur.

Cesgens-là ont le droit de voter comme M. Renan.

1ernovembre.

Il atoujours le petit mot pour faire rire de lui.

4novembre.

NondécidémentBarrès se retient trop. Il seramalade quelque jour. Sa sincérité contenue fera pétersa peau. Il mourra d'une conviction rentréeétoufferade civilisation comme d'autres d'un manque d'air. Des sensationscourtes rendues par des phrases brèves. Est-ce neufce qu'ildit ? Il adore la tranche des manuels classiques. Quand on a dit : «Il n'y a rien »une foisune seulen'est-ce pas suffisant ?Restent les apparencesles belles et variées apparences quicomposent un Univers bien assez réel pour notre petite viejusqu'à notre petite et proche mort. Barrèsmon amidéboutonnez-vous : vous sentez le concentré. On étouffechez vous ! Aérez !

5novembre.

Autrepréface pourFrançoise (Les Cloportes) :
« Une petite préface vaut bien un long chapitre.Jusqu'icije trouvais mon roman très bien dans son entierdéveloppement. Il n'y a rienlàqui doive étonner.Toutefoisen corrigeant mes épreuvesje me suis aperçuqu'une aventure épisodique me déplaisait. Aprèsdes hésitations variées qui m'ont tenu éveillémême la nuitj'ai pris sur moi de la supprimer. J'espèreque tout le monde s'en plaindra. Pourtantsiparmi mes deux outrois lecteurs (ô hypocrite !)il s'en trouve un quinoncontent d'être assuré que Françoise est morteveuille connaître la manière dont elle mourutje meferai un plaisir de lui communiquer le manuscrit. »

Ah ! sij'avais un secrétaire de mes rêves ! Quelles belleschoses il écrirait ! Le jourj'allume seulement ma pensée.Elle est parfois morne comme un feu qui ne veut pas prendre. Maisdès le sommeilelle flambe. Mon cerveau est une usine denuit.

Une peaudouce comme la pulpe d'un fruit.

6novembre.

Nousvoulons fonder une revue. Chacun de nous disait : « Qui fera lachronique ? » Personne ne voulait faire la chronique. Quelqu'unproposa : « Nous la ferons (chacun) à notre tour. »

A la finil s'est trouvé quetousnous avions une chronique en pocheà livrertout de suiteau premier numéro...

Vallettecomme rédacteur-directeuragrémente sa conversationd'expressions telles : majorationfonds de caisserentréescomptes rendus.

En sommenotre mépris de l'argent proclamé haut et fortnousserions grandement enorgueillis si le premier numéro nousrapportait dix sous.

9novembre.

Les marinset les marines sont en honneur. Moi aussije les aimeles marins etla mer ; mais vous verrez que j'arriverai à parler d'eux quandils seront communs comme la Tour Eiffelusés jusqu'àl'ancrequand on aura multiplié leur collier de barbe commela lune son croissantquand on ne pourra plus en voir un sans avoirle mal de mer !

10novembre.

La hontede pleurer qui donne l'effronterie de rire.

14novembre.

Hier soir13première réunion de La Pléiade auCafé Françaisvu des têtes étranges. Jecroyais qu'on en avait fini avec les longs cheveux. J'ai cru entrerdans une ménagerie. Ils étaient sept. RetrouvéCourt. Il n'a pas grandietbien que je ne l'aie pas vu depuis cinqans au moinsil m'a semblé qu'il n'avait pas encore pris letemps de renouveler son faux colni ses dents. Vallette me présente.Nous nous sommes tous connus de nom. On se lève avecpolitessecar je suis le gros capitaliste de l'affaire. Déjàje m'effraie de certaines odeurs qui se lèvent. On s'assiedetsur mon calepin en dedansje commence à prendre desnotes. Quelles chevelures ! l'un d'eux ressemble à l'homme quiritmais il rit malparce qu'un bouton gros de pus pend à salèvre inférieure. On peut compter ses poils de barbemais je n'ai pas le temps. Sa chevelure me captiveson chapeau mouson dolman à col d'officier qui lui gante le busteet sonmonocle qui tombequi se relèveéclateinquiète.Elle cache ses oreillessa chevelure ! A-t-il des oreilles ?J'espère qu'une porteen s'ouvrantun journalen sedéployantva faired'un souffleenvoler une ou deuxboucleset que je pourrai les découvrir. Mais nonlesboucles sont trop lourdes et je finis par croire qu'il a les oreillescoupées. Les vilaines mains ! Des doigts rouges et pareils àdes cigarettes mal roulées. Je ne peux pourtant pas toujoursles regarder. Cela devient indécent. Il va m'emprunter dixfrancs pour le coup d'oeil. Je tourne la tête à gauche.Autre chevelu. Une tête de boisd'un lion de ménageriepauvre qu'on oublie de peigner. C'est encore surprenant : des cheveuxtouffus comme un chêne en juinet presque point de barbe. Lementon est blancle nez longaplati un peuun nez de lionquoi !une bouche petitemais encore trop grande pour les dents joliescomme des fins de cigare. Il se nomme Aurietje crois (Aurier). Detemps en temps il passe ses doigts dans sa chevelure et retire sesongles pleins d'un élément grisgrasrésineux.Cela me fatigue je coeuretcomme une cire de coiffeur tournantesur une visma tête se déplace.

Maintenantje fais face à une tête aride. J'éprouve lasensation de sortir d'un bois pour entrer dans une plaine. Icilavégétation manque. Tout est brûlé par lesoleil. Pas de sève. Les yeux sont rouges. Il leur faudrait unpeu de charpieun linge imbibé d'eau fraîche. Lesoreilles à incrustations primitives ressemblent à desrochers où rien ne germedes rochers creusés par deschutes de cataractes. Le regard a peine à se tenir sur cettefigure-làse bute à des nervures osseusesenfin tombedans une bouche profonde et large où rien de blanc n'apparaît.Comment ce monsieur ne se couvre-t-il pas d'une perruque ? Mais non.Sa tête est moissonnéerasée d'une manièreprodigue. Elle n'a rien gardé. Avec une pince à épileron pourrait plutôt extraire de ce crâne une idéequ'un cheveu. Il ne dit rien. Est-ce un idiot ? Tout àl'heurequand il va parlernous dresserons la têtecomme descerfs qui sentent les chiens.

Cependantj'entends la voix de Vallette.

-- Peut-onconsidérer la revue comme une personne morale ? Voilàla question.

-- Ah !--Oh !-- Oui.

-- Carenfinsi on opérait une saisie-arrêt...

On seconsulte. Ils n'ont assurément jamais rien eu à fairesaisir. Toutefoisl'inquiétude naît. Le mot paralyse.Chacun se voit en prisonassis sur un bancau milieu des petitspaniers de provisions qu'apporteraient ses amis.

--Permettez ! Maissi on saisissait la revue comme personne moralec'est qu'alors elle serait immorale.

Je croisque c'est moi qui ai dit cela. Est-ce assez bête ! Pas desuccèset je rougis comme un bocal sous un réflecteur.

Le dangerd'une saisie semble écarté. Valletterédacteuren chefconsulte un petit bout de papier écrit au crayonetcontinue :

-- Etd'abordle titre. Conservons-nous le titre de La Pléiade?

Moijen'ose pas le diremais je le trouve un peu vieillotce titreastralMarpon-Flammarion. Pourquoi pas le Scorpion ou la GrandeOurse ? Et puisdes groupes de poëtes ont déjàpris ce titre sous Ptolémée Philadelphesous Henri IIIet sous Louis XIII. Néanmoins le titre est adopté.

-- Et lacouleur de la couverture ?

-- Beurrefrais. -- Blanc mat. -- Vert pomme. -- Non ! Comme un cheval que j'aivu -- Gris pommelé alezan. Non ! Non !

Vallettene se rappelle plus bien le cheval qu'il a vu.

-- Couleurd'un tabac sur lequel on aurait versé du lait.

-- Si onfaisait l'expérience ?

On fitapporter un bol de laitmais personne ne voulut livrer son tabac àgâcher.

Oncommença à parcourir la série des nuancesmaisles mots manquaient. Il eût fallu Verlaine. On y suppléaitpar le gestedes écartements de doigtsdes attitudesimpressionnistesdes gestes suspendus en plein airdes projectionsd'index qui faisaient des trous dans le vide.

-- EtvousRenard ?

-- Çam'est égalmoi.

J'ai parléavec indifférencemais au fond j'adore le vert de certainsScapins retour de kiosqueun certain vert délayépar les intempéries.

-- EtvousCourt ?

-- Je suisde l'avis de la majorité

-- Tout lemonde est de l'avis de la majorité. Où est-elle ?

Elle seconcentre sur le mauve. Les rideaux mauves sont si jolis ! Et puisle mot rime un peu avec alcôveet l'association d'idéesmouille les prunelles d'Aurier ; il doit connaître une grandedame élégante.

Vallettereprend :

-- Auversonous mettonsn'est-ce pas ? les titres des ouvrages parus.

Chacun setait.

-- Et desouvrages à paraître.

Tout lemonde veut parlerAurier : le Vieux Vallette : BabylasDumur : Albert. Et la liste s'allongetitrée comme sielle descendait des Croisades.

-- EtvousRenard ?

-- Moijen'ai pas de titres. Ah ! par exemplej'ai de la copie !

J'ai l'airde dire qu'ils n'en ont pas. On me regarde obliquement.

-- Passonsau formatdit Vallette. On aurait peut-être dû commencerpar là.

-- M'estégal. -- Je m'en f...

-- Pardondit Aurier. Il faut de l'airdes margesde belles marges. Il fautque le texte ait la possibilité de se mouvoir sur le papier.

-- Ouimais cela se paie. -- Ah ! Ah ! -- Je demande le format in-18 àcause de ma bibliothèque.

-- C'estmesquin. -- Ça ressemble à un carnet de blanchisseuse.-- Ouimais ça se relie très bienet cela permet degarder la composition pour une plaquette. Ainsipar exemple... --Affaire commune.

-- Voyonsmaintenant le contenu. Au premier numérotout le monde doitdonner.

-- Nousserons tassés comme des harengs en caque.

On découpela revue en tranches.

-- J'enprends dixparfaitement. Je les paie trente francs.

Enfinons'arrange comme des voyageurs de diligence. On me pardonne parce queje n'ai pas de vers à donneret tous offrent des vers.

--Frontispice et culs-de-lampebien entendu.

-- Ouibeaucoup de culs-de-lampe pour détacher les pièces devers les unes des autrescar elles se tiennent comme on fait queueau théâtre avec la peur de ne pas entrer. Si on allaitles confondre !...

Valletteva faire un article sur La Pléiade. Voici à peuprès le fond. Il y a trois raisons de fonder une revue : 10pour gagner de l'argent. Nous ne voulons pas gagner d'argent...

On sedévisage. Qui est-ce qui va direiciqu'il veut gagner del'argent ? Personne. C'est heureuxvraiment.

--Serons-nous décadents ?

-- Non ! Acause de Baju. Vous savez qu'il est instituteur.

-- Tantpis ! Le dieu Verlaine ne nous placera pas à sa droite.

--Serons-nous clairs ?

-- Ouiclairs. -- Très clairs. -- Oh ! Très clairs.N'exagérons rien. Mettons clairs-obscurs.

--N'apportez que le dessus de vos paniersdit Vallette.

Samainunjeune homme distinguéen gants pommequi n'a encore riendittout occupé à dessiner sur la table un grosfessier de femme nue :

-- Et nousdonnerons le dessous au Figaro.

-- Il nefaut pas blaguer le Figaro. Aurier en est.

-- EtRandon aussi.

Aurierc'est le lion. Randonc'est la tête aride. Dès lorsils eurent toute notre considérationet voici comme Auriernous parla :

-- Oui.Sapeck était devenu fou. Je savais sur son compte quelquesfumisteries. Un ami me conseille de les porter au Figaro. J'ycours etle samedi suivantje suis tout étonné deretrouver mes brins de suie (puisqu'il s'agit d'un fumiste)en pleinSupplément du Figaro. Je passe à la caisse. Onme donne 8640 F. On m'a volé de 0 fr. 60. A six sous lalignej'avais droit à 87 francs net.

Vallette :

-- On vousa retenu les 60 centimes pour votre retraite.

Ce fut autour de Randon.

-- Moij'ai la spécialité des nouvelles à la main. Jeles adresse à Magnard lui-même. On en a fait passerquatre. A trois francs l'unecela fait douze francs. Le matinen melevantje cours au kiosque voisin. J'achète le PetitJournal et je feuillette le Figaro. Si je vois manouvelleje cours vite à la caisse. On me connaît.J'entre comme un rédacteur en chef.

-- Maiscomment sait-on que les nouvelles sont de vous ?

--D'abordje les signe. Cela regarde ensuite la conscience du «Masque de fer » qui fait établir son bordereau.D'ailleurssi le caissier hésite en consultant ses livresjelui récite par coeur la nouvelle à la main. Il se tordetconvaincume paie rubis sur caisse. Allezmes amis ! Courage !Trouvez des motsfaites de l'esprit : ma vie est assurée. Jene viens pas ici pour en être de mes fraisde mon caféde cinquante. J'écoule les nouvelles à la main desautres. On les appelle ainsi parce qu'on les fait d'un tour de mainet qu'elles fleurissent entre les doigts comme des manches àgigot en papier.

Il voulutnous en réciter quelques-unesmais elles nous parurentdétestablessans doute parce que le « Masque de fer »ne les avait pas encore acceptées et fait imprimer...

Parmalheurla question des cotisations fut agitée. Vallette fitobserver qu'il allait les écrire sous la dictée dechacunmais au crayonafin de pouvoir les effacer plus facilementau premier repentir possible. Renard30Dumur20 ; Vallette10 ;Raynaud10 ; Court 5. Cela allait en se raccourcissant comme unequeue de lézard. J'ai cru que quelqu'un allait mettre unboutonpour finir. Justement fierje me fis aussitôtpourmes 30 francsune haute idée de moi-même et del'Universetdédaigneuxje me gardai de dire quoi que cefût pour écraser sous une pile de garanties les soupçonsqui certainement éclosaient dans le coeur de ces hommes ausujet de ma solvabilité.

Il futdécidé qu'on se réunirait le premier et ledernier vendredi de chaque mois dans un café sur son déclin« afin de le relever ». Il fut décidé qu'onverserait deux cotisations à la foiscar il faut qu'une revuepuisse dire : j'existeet le prouveret cela n'est pas aussi facileque le pensait Descartes...

Les verresétaient vides. Il restait trois morceaux de sucre dans unesoucoupe. Aurier les prit entre le pouce et l'index et les offrit deloin. Les têtes allèrent de droite et de gauche. Iln'insista pas etavec simplicitéil serra le sucre dans sapoche de redingote. « C'est pour mes lapins »dit-ilenparodiant un mot de Taupin. Pour son déjeuner du lendemainpeut-être.

Tous sepréparaient au coup de la fin. On y travailla de onze heures àminuit et quartchacun en silence. Il en valait la peine. Quipaierait les consommations ? Les hypothèses se promenaientsous les bancssournoises et muettescomme des araignées. Lecapitaliste à 30 francs se devait cette générositéà lui-mêmemais il s'obstina à rester sondébiteur. Peu à peules femmes d'amour s'en allaientcelle-ci solitairecelle-là tenant avec âpretépar le bras ou par le pan de sa redingote un homme en proie auxdémangeaisons. Déjà les garçons prenaientla liberté de s'asseoir sur le matériel del'établissementtable ou chaise... La caissièrecomptait sa caisseet nous entendions avec douleur sonner entre sesdoigts les baisers des républiques d'argent entrechoquéesavec bruit.

Ce quevoyantl'un de nousM. Samainappela un garçon et dit :

-- Combien?

-- Tousles cafés ?

-- Non :un.

--Quarante centimesmonsieur.

Il endonna cinquante et se leva. Chacun pour soiet deux sous pour legarçon. C'était un hommecelui-là !

16novembre.

Une grandeboucheune petite voix. Figurez-vous un vent coulis qui sortiraitpar une porte cochère.

19novembre.

RevueRachildeMme Vallette : un corsage rouge flamboyantcolliers au couet au brascolliers d'ambre. Les cheveux coupés à lagarçonet raideset va comme je te peigne. Toujours des cilscomme de gros et longs traits de plume à l'encre de Chine.Arrivent DumurDubus. Le premiertoujours colèrele secondneuf pour moimaisau bout d'un instantvieux jeu. Je n'ai plusbesoin d'avoir de l'espritet il m'est insupportable de retrouvercelui que j'avais du temps du Zig-Zag. Dubus parle degardes-malades qu'il a eues après un duelje crois. Iln'avait qu'à dire : « Je suis blessévenez. »Elles venaient. Elles étaient une douzaine. Elles ont dûpasser leur temps à l'épilercar il a les lèvreset le menton blancs comme un élève du Conservatoire. Ilse marieon le marie. Il est en procès avec son grand-père.Il poseparleinterromptdit des paradoxes vieux comme descathédralesennuieassommemais continuea des théoriessur la femme. Encore ! Ce n'est donc pas fini d'avoir des théoriessur la femme ? Imbécile ! Tu fais comme les autres quand tu essur une femme. Tu dis : je t'aimeje jouiset tu lui bois sa salivesimplementcomme un homme. A moins que tu ne sois pas un homme.

Vallettearrive. On sent qu'il a un domicile. Il se tait suffisamment.Rachilde voit que je m'embête et me parle du bébé.Mais je m'embête tout de mêmecar j'ai en dégoûtl'originalité de Dubus. Il me semble qu'on me fait mangerquelque chose pour la millième fois. C'est peut-êtreaussi le chouberskimais j'ai mal au coeur. On sonne. C'est LouisPilate de Brinn Gaubast. Je me sauve. J'ai à peine le temps devoir une sorte de Méphisto élégantet puis jecrois n'avoir rien vu.

C'esttoujours le procédé de Rachilde : faire croire auxautres qu'ils sont plus malins qu'elle. Elle dit : « Vous quifaites de l'art. » En effetils en fontils en font trop. Ilspuent l'artces messieurs. Non ! Assez ! Plus d'artque je medébarbouille en embrassant Marinon et Fantec !

Lu desvers de Dubus dans La Pléiade. Ce n'est pas malmaispourquoi être si vieux jeusi épatantsifastidieusement peu naturel !

20novembre.

Dubus àun homme froid :

-- Moimonsieurje ne peux travaillerquand je travaillequ'à lalumière des lampes. Je me suis fait faire des volets doubles.Dans le jourje les ferme et j'allume.

L'hommefroid :

-- Oh !moimonsieurje suis bourgeois comme un aigle. Le soleil me suffitet ne me fait point peur.

23novembre.

Je lisaujourd'huidans La Revue bleue un article sur Barrès.Barrès est à la mode. Si on le considère commelittérateurce qu'on pourrait dire de plus exactc'est ceque Rivarol disait de Lauraguais : « Ses idéesressemblent à des carreaux de vitres entassées dans lepanier d'un vitrierclaires une à uneet obscures toutesensemble. »

25novembre.

J'aime leshommes plus ou moinsselon que j'en tire plus ou moins de notes.

26novembre.

Vallettedit : « Voir la vie en encre de Chine. »

3décembre.

VuchezRachildeTrézenikfigure bien franche et sympathique. Ilessaieluil'ancien directeur de Lutècede faire unjournal qui soit lu de tous les lettrés. Tout le monde y vientdonc !

Trézeniknous disait qu'aucun étudiant ne lisait Lutècece petit journal qui faisait tant de tapage dans la grande presse.

4décembre.

Lestailleurs ont de l'esprit. « Monsieurme dit l'un d'eux enm'essayant des cols de pardessusnous en avons pour tous les cous. »

5décembre.

HierRaynaud m'a amenénon deux gendarmesmais trois poëtesMaurice du PlessysMarius André et l'autre. Ah ! l'autrec'est un muet.

ÉtonnantRaynaud ! Il amène ses amisles plante làdit qu'ilssont tous distinguéset ne s'en occupe plus. Marius Andréex-rédacteur en chef du Faunecheveux longsbarberare (décidémentça revient à la mode)Méridionalconnaît tout et tousparle de tout et detouset trouve que le boulangismepar exemplen'a commencéà être fort qu'aux élections dernièrescelles d'octobrea une voix gravedes chaussettes et des souliersquimanifestementne sont pas faites les unes pour les autres. A untas d'amis qui regorgent de talent. Il a des lettres de RenéGhil où il est avoué que le Grand OEuvre est parfaitet même à recommencer. Les uns le vomissentles autresle retiennentcomme Louis Lecardonnel qui fait la coquette avec leséditeurs. M'a promis de revenir me voir sans que je le luidemande. A montré une animation particulière quand on aparlé des voyelles peintes de Rimbaud. Fantec en a crié.Papa sest sauvé. Marinette avait peur pour les tasses.Raynaud parlait d'un savant allemand et des couleurscomplémentaires...

Du Plessyss'est d'abord chauffé les pieds. Il a une jaquette galonnéedes boutons en fer rouge à son gilet et un pantalon collant.Un peu terneun peu sans audace à côté duMéridional. Rachilde tenait tête à tous et disait: « Moidans ma petite jugeote de femme... » Suivait uneénormité... Elle a un culte pour le latin. Elle aimeles mots en usqui lui semblent gonflés designification. C'est peut-être pour cela qu'elle a faitMonsieur Vénus.

6décembre.

Rosnyunesorte de Zola compliquéavec une phrase artiste où lesincidentes se bousculent.

7décembre.

Lesromanciers parlent souvent de l'odeur de la femme habilléequ'on approche d'un peu près. Il faudrait s'entendre : ou lafemme se sert de parfumset ce n'est pas elle qui fleureou cetteodeur provient des aisselles et du bas-ventreet alors c'est qu'ellene se lave pas. La femme saine et propre ne sent rienheureusement !

11décembre.

Un hommequi apprend la mort de sa maîtresse en présence de safemmeet quine pouvant montrer sa douleurla résume en cessimples mots : « Je suis veuf. »

20décembre.

Ildressait soigneusement la liste de ceux qui sont arrivés tardet il se réjouissait de constater que tel contemporain envogue dépassait la quarantaine. Il se disait : « J'aibien le temps ! »

26décembre.

Cettesensation poignante qui fait qu'on touche à une phrase comme àune arme à feu.

28décembre.

Écrireun dialogue entre un monsieur qui est en villégiature etconnaît la campagne d'après George Sandet un vieuxpaysan très simple et point chimérique. Le monsieurquestionne le paysan sur ses « instruments aratoires »sur sa « chaumine ». Les illusions du monsieur poëtetombent une à unecassées aux réponses sèchesdu bonhomme.



1890

2 janvier.

On peutêtre poëte avec des cheveux courts. On peut êtrepoëte et payer son loyer.

Quoiquepoëteon peut coucher avec sa femme.

Un poëteparfoispeut écrire en français.

23janvier.

Peut-êtrecher monsieur Tailhadequ'il est possible d'avoir du talent sanstraiter tel littérateur d'idiotet tel autrede dentiste.

24janvier.

Onconstatait hier soir une originalité pour le Mercure deFrance. Les poëtes n'y ont pas encore parlé de leurlyre.

Il fautopérer par la dissociationet non par l'association desidées. Une association est presque toujours banale. Ladissociation décompose et découvre des affinitéslatentes.

27janvier.

Des versc'est de la prose avec des gants et des bretelles américaines; c'est de la prose qui posequi fait plastron comme un invitéen soirée.

28janvier.

Lesbourgeoisce sont les autres.

1erfévrier.

Écrireun roman où l'on mettrait avant l'heure la mort d'uncontemporain.

8 février

Cet hommede génie est un aigle bête comme une oie.

9 février

Ce qu'on adû donner à Sully Prudhomme de vases à briser.

--Avez-vous déjà donné quelque chose aux éditeurs?

-- Ouimais ils me l'ont bien rendu !

11février.

ChezRachilde. M. Langlois le peintrele fils d'Albert Wolf peut-êtresi Albert Wolf a des fils. Longueur de piedslongueur de phraseslongueur de corps. Un pantalon un peu courtpar exemple...

CharlesMorice parle la tête dans son pantalon. Des guêtres surses souliers. Oh ! ces guêtres ! Elles se soulèventcomme des visièresdes visières à plisdepauvres visières. Un faux col saleun gilet qui bâillepar toutes ses boutonnières. Des cheveux pas coupésune barbe rareun monsieur mielleux et mauvais. Il doit s'êtrebrouillé avec Trézenik. Ils ne se sont pas vus depuisdix ans pour des raisons « inférieures à tous lesdeux ». Trouve Rod bêteGoncourt affamé de gloireet de considérationMéténier au-dessous de rienet les idées des autres mort-nées. A promis au Mercuredes « Bouquets à Chloris » qui ne sont pasdéjetés.

12février.

Laconfession d'un homme de lettres. Les étapes : LamartineMussetVictor HugoBaudelaireles jeunes.

14février.

Rod estencore à faire une distinction entre l'observation extérieureet l'observation intérieure ou intuitivisme. Comme sienpsychologieil n'était pas prouvé depuis longtemps quetoute observation est intérieure !

Avide detout connaîtred'être au courantj'en suis venu àaimer les livres très courtsfaciles à lired'uneimpression largepleine d'éclairciesafin de pouvoir lejeter le plus tôt possible dans ma bibliothèque etpasser à un autre.

Faire unarticle sur Georges Ohnetcontre le mépris dont on veutl'accabler.

L'abus dela mort dans les livres l'horripilaitet cependant son coeur seserrait à chaque nouveau décèsà chaquenouvel enterrementà chacune de ces banalitésterribles. On se révolte. On dit : « C'est bête !» Maisquand c'est « bien fait »on a une grosseenvie de pleurer.

15février.

On entredans un livre comme dans un wagonavec des coups d'oeil en arrièredes hésitationsl'ennui de changer de lieu et d'idées.Quel sera le voyage ? Quel sera ce livre ?

MlleBlanchequi a 30 francs à dépenser par moisa unjouret elle est très froissée qu'on n'y aille pas àson jour ! Mais elle le maintient contre toutes les indifférences.Ah ! la peur de vieilliret la maladresse de s'accrocher àtoutde vouloir être quelque chose dans la vie des autresetla douleur de sentir que « ça ne prend plus » etque c'est finiqu'on n'est plus qu'une vieille maussade et inutilebonne à mourir !

Nouvelle àexécuter prochainement :

Deuxjeunes mariés sont à la campagne. Ils s'ennuient. Ilsécrivent étourdiment à Mlle Blanche de venir.Son arrivée. Les premiers tempsc'est charmantpuis toutchange. La petite vieille tourne à l'aigre. Elle devientassommante. Comment s'en débarrasser ? En effetdans leurprécipitationils lui ont écrit qu'elle finirait sesjours avec eux ; que c'est bon de faire le bien ! Elle a donc perdusa petite clientèle. Ils ne peuvent la renvoyer. D'ailleurselle ne s'aperçoit de rien. Elle exaspère par safranchise. Elle trouve le bébé mal élevéet entreprend de le corriger. Colère du père et de lamèrede celle-ci surtout : « Je ne veux pas qu'elletouche à mon enfant ! » Un jourils ont une faussejoie. Elle tombe malademais elle guérit. Le jeune homme voitson ménage troubléle supplice d'une vie qui menaced'être toujours la même et cette petite vieille qui n'enfinit plus ! Il décidé froidement sa mort. (Variante :elle prend le parti de se tuer.) La jeune femme ne prend point partau crime mais elle le devine. Faire de ce crime une chose trèsbien faite et très lugubre.

La jeunefemme a peur.

-- Quidonc nous soupçonnerait ? dit le jeune homme.

En effetils ne sont pas soupçonnés. Ils reprennenttranquillement leur vie heureuse et n'ont aucun remords. Comme lapetite vieille est très peureusele mari élèveune bande de rats dans le plafond. Un jouril loge une chouette danssa chambre même. Elle ne part pas. Elle se croit attachéeau couple par sa reconnaissance même.

Faire decette nouvelle une étude très fouillée et trèsfroidement féroce.

-- Votredernière nouvelle me déplaît.

Ilrépondit :

-- Ce quime déplaîtà moic'est la franchise hors depropos et de mauvais goût.

Sesnarines se collèrent comme les feuilles d'un livre qu'onferme. Elle pâlit à certains points de sa peauparcheminée et fit : « Oi ! Oi ! » comme un enfantqui reçoit brusquement un coup de règle sur les doigts.Les deux jeunes gens la supportent par un reste d'amitiépuispar charitépuis par devoirjusqu'à ce qu'ils nepuissent plus du tout la sentir. Ils disent d'abord : « Il fautlui pardonner. Elle est si bonne ! » Puis : « Elle nousembêteà la fin ! Ses qualitésoùsont-elles ? »

Lespetites manières de Mlle Blanche qui se couronne de bleuetsde fleurs des champs comme une jeune fille. On en rit d'abord ;ensuiteon la trouve ridicule.

16février.

L'ennui depasser près d'un banc où sont assis des gens. C'estqu'en effet l'homme assis sur un banc se sent très fort. Ilpeut regarder les passantset rire à son aiseet faire sesréflexions. Il sait que ceux qui passent ne peuvent en fairesurtout ne peuvent s'arrêterregarderni rire à leurtour.

17février.

Cherchezle ridicule en toutvous le trouverez.

18février.

L'enfantVictor Hugo et bien d'autres l'ont vu ange. C'est féroce etinfernal qu'il faut le voir. D'ailleurs la littérature surl'enfant ne peut être renouvelée que si l'on se place àce point de vue. Il faut casser l'enfant en sucre que tous les Drozont donné jusqu'ici à sucer au public. L'enfant est unpetit animal nécessaire. Un chat est plus humain. Non l'enfantqui fait des motsmais celui qui enfonce ses griffes dans tout cequ'il rencontre de tendre. La préoccupation du parent estcontinuede les lui faire rentrer.

Sa chemiseremuait doucementcomme agitée par une vermine.

19février.

Une femmehautaine et majestueuse dans l'exercice de sa vertu.

20février.

Ce regardquêteur que l'acteur promène circulairement mêmedans ses préoccupations les plus gravesafin de s'assurerqu'on le regarde et qu'il est reconnu.

21février.

Il fautavoir l'esprit largeme disait-on hier soir c'est-à-diresans doutese donner des airs de comprendre toutet d'êtreuniversel comme une bonne à tout faire ; pour que les mèresqui ont des filles à marier pensent : « En voilàun qui a reçu une éducation complète ! »Esprit large et conscience large ! Ne dirait-on pas qu'il s'agit depoches profondes où l'on serre avec soin et commodémentun tas de petites saletés ?

Ah ! Tantpis pour moi ! La musique m'embête. La peinturej'en ignoreet une sculpture me ravit autant qu'une figure de cire chez uncoiffeur. Encore celle-ci est-elle animée ; elle semble vivre.Elle tourne lentement sur une viset elle soulève et abaissecomme un président de Courson faux toupet avec unerégularité opiniâtre.

C'estqu'il vous manque un sensme dira-t-on. La psychologie m'avait déjàdit que je n'en ai que cinq. Un sens de plusun de moinsqu'importepourvu qu'il me reste le bon !

C'estquelquefois la critique d'un critique que nous n'aimons pas qui nousfait aimer le livre critiqué.

Le droitd'un critique est de renier ses articles l'un après l'autreet son devoir est de n'avoir aucune espèce de conviction.

22février.

Elle avaitune peur ridicule du ridicule.

Insupportablecomme un homme qui vous parle du « divin Virgile ». Ah !elle est bien là tout entièrela tradition ! Honoreton pèreet ta mèreet Virgile.

26février.

Innocentcomme la mère de l'enfant qui vient de naître.

27février.

Maisenfinpourquoi donc mépriser un homme qui a de l'égoïsmeplutôt qu'un homme qui a du coeur.

1er mars.

Ilarriverail en est sûrmais lentementsans à-coups.Il ira se rangerà la finpar mille réputationssolides. Ce ne sera passa renomméeun feu de paillecesera bien plutôt une longue consomption de bois vert.

2 mars.

M. A...est fanatique de Péladan« le plus grand géniedu siècle »rien que ça. Il a dînéavec lui. Est-ce hier ? Bien en dèchece pauvre Péladan! M. A...qui a dix neuf anspeut-être moinsenfinqui estmineurs'imagine que la dèchec'est les trois quarts dugénie. Il a inventé une nouvelle instrumentationmaisil n'en parle pas aux poëtesqui pourraient lui voler son idée.Il n'en parle qu'aux musiciensqui comprennent et s'exclamenttantc'est bieneux quien généralne comprennent jamaisrien. Il en a touché quelques mots à R...lequel aparu très étonné sansbien entenduvouloir leparaître. Il me tendait l'article Fin de sièclequi doit passer à la Caravane.

--Voulez-vous le revoir ?

Je necomprenais pas son insistancequand je me suis aperçu quel'enveloppe était couverte de timbres. Il avait dû payerneuf sous pour insuffisance d'affranchissementetfranchementjene pouvais pas faire une petite bêtise plus inopportune et plusnavrante. Il disait : « Cela ne fait rien »comme ungrand seigneur. Ah ! le monde des Lettres ! Curieux mondele mondedes douleurs ironiques et des misères qui font ricaner.

4 mars

Dubustrès vexé de la chute de Constans. A écrit centarticles dont dix au moins sont bons. Prie Rachilde de fouiller dansses oeuvres pour y trouver des choses. Va hériterprochainementpeut-être jeudi prochainde 500 000 francsachètera le Mercure de Francenous rétribueraou bien en fera une anthologie où il sera tout seul. Revientau vers avec une césureau vers classique ! de Racineveutfaire autographier ses poésiespasse d'une idée àl'autre en sautillanten bavardant eten véritén'apas le temps de s'occuper de littérature puisqu'il cloue destapis dans son appartement : six piècesdeux fenêtres àla chambre à coucheretc.

Quand ilvoyait une jolie femme au teint animé par une courseembelliepar une agitation quelconqueil ne manquait pas de se dire qu'en cemoment même elle devait avoir le derrière suantet celal'en dégoûtait tout de suite.

12 mars.

Hier soirchez les Colasun dîner compliquéun mélange devins forts et de mets échauffants pas sérieux etàla fin du repasune discussion sur le socialisme où M.Clémentqui s'était repu pendant deux heures entièresm'a fait l'effet d'un cochon plein donnant des coups de groin àdes chiens galeux.

13 mars.

Il estaussi utile à un peuple de craindre la guerre qu'à unindividula mort.

14 mars.

Lu LeBesoin d'aimerde Paul Alexis. Des nouvelles lourdesinsignifiantesune phrase incolore. Laisser ce monsieur bientranquille. Une manière de voir les choses de gros myope quivoyant petitcroit voir fin et vrai.

Pierremarche. Il fait une dizaine de pas tout seul tombe sur ses fesses etse met à rireet court dès qu'il est à portéedes genoux de sa maman.

Malgrél'ininterrompue continuité de nos vicesnous trouvonstoujours un petit moment pour mépriser les autres.

17 mars.

Je passeun bien vilain moment. Tous les livres me dégoûtent. Jene fais rien. Je m'aperçois plus que jamais que je ne sers àrien. Je sens que je n'arriverai à rienet ces lignes quej'écris me paraissent puérilesridiculeset mêmeet surtoutabsolument inutiles. Comment sortir de là ? J'aiune ressource : l'hypocrisie. Je reste enfermé des heureseton croit que je travaille. On me plaint peut-êtrequelques-unsm'admirentet je m'ennuieet je bâillel'oeil plein desreflets jaunesdes reflets de jaunisse de ma bibliothèque.J'ai une femme qui est un fort et doux être plein de vieunbébé qui illustrerait un concourset je n'ai aucuneespèce de force pour jouir de tout cela. Je sais bien que cetétat d'âme ne durera pas. Je vais ravoir des espérancesde nouveaux couragesje vais faire des efforts tout neufs. Si encoreces aveux me servaient ! Si plus tard je devenais un grandpsychologuegrand comme M. Bourget ! Mais je ne me crois pas enpuissance assez de vie. Je mourrai avant l'heureou je me rendraiet je deviendrai un ivrogne de rêverie. Mieux vaudrait casserdes pierreslabourer des champs. Je passerai donc ma viecourte oulongueà dire : Mieux vaudrait autre chose. Pourquoi ceroulis de notre âmece va-et-vient de nos ardeurs ? Nosespérances sont comme les flots de la mer : quand ils seretirentils laissent à nu un tas de choses nauséabondesde coquillages infects et de crabesde crabes moraux et puantsoubliés làqui se traînent de guingois pourrattraper la mer. Est-ce assez stérilela vie d'un homme delettres qui n'arrive pas ! Mon Dieuje suis intelligentplusintelligent que bien d'autres. C'est évidentpuisque je lissans m'endormir la Tentation de saint Antoine. Maiscetteintelligencec'est comme une eau qui coule inutileinconnueoùl'on n'a pas encore installé un moulin. Ouic'est ça :moije n'ai pas encore trouvé mon moulin. Le trouverai-jejamais ?

18 mars.

«Avez-vous lu Monsieur Vénus ? Avez-vous lu La Terre? » Etsi ouic'est des effarouchementsdes pudeursdesreculs de buste. Franchementje ne vois pas quelle lecture peuvents'interdire des femmes mariées qui fontou ont le droit defaire la bête à deux dos toutes les nuits.

Un pédantest un homme qui digère mal intellectuellement.

Cerailleur de Dubus était tout émuhierpresque pâleparce qu'on lui apprenait qu'un journal quelconque avait parléde lui.

On placeses éloges comme on place de l'argentpour qu'ils nous soientrendus avec les intérêts.

De longuesheuresil épluchait Flaubertcherchait les pouxles taieset finissait par conclure qu'après tout « ce n'étaitpas un si grand écrivain que ça ».

21 mars

Dithiersoirentre autres bêtises :

-- Lasynthèse du naturalisme n'a pas été faite. Noussommes à une époque de transitionet nous marchons aumysticisme et au socialisme. La Bruyère n'est pas unelittératuremais pourquoi ? Si le roman avait eu de son tempsla vogue qu'il a de nos joursLa Bruyère aurait mis sesCaractères en roman. Quel est l'homme qui viendrarecréer un monde ? On comptait sur Rosny. Rosny s'est et nousa trompés. Qui laissera une oeuvre ? On relira MadameBovarypeut-êtreet quelque chose de Balzacmais quoi ?

Du Plessys: La philosophie de Ghil ? Mais Ghil confond Haeckel avec Hegel.

Vallette :Rachilde ne fait pas de pornographie. Ses livres manquent dephosphore. Elle ne fait pas titiller. Mendès ne fait pastitiller.

-- EtvousRachildevous faites du sadismede la cruauté enamour.

Du Plessys: Raynaud est un enfant

MariusAndré : Vous aimez le jolimoij'aime le grand. Je suisencore un romantique. AinsiPéladan fait grand. J'ai prisdeux fois le cordon de sa sonnette sans oser le tirer. J'ai relu dixfois Monsieur de la Nouveauté.

Rachilde :Oh ! Oh !

Vallette :Quand vous serez à la centièmevous nous payerez àdîner.

Rachilde :Samain doit avoir des coins redoutables

Vallette :Je vous connais par deux coinsvousRenard...

J'avaispeur de Barbey d'Aurevillyà cause de Brummelde Huysmansavec lequel j'ai passé une soirée en demandant tout letemps : Se moque-t-il de moi ? Maisje considère FrançoisCoppée comme un copain.

N'ayantencore rien observéil aimait le grand et l'emphatique.

31 mars.

Défiez-vousdes sceptiques à outrance : ils sont capables de juger biensévèrement vos moindres actions.

1er avril.

Unmonsieur très bienpropriétaire d'un palmier enTunisie.

Faire tousles frais de la conversationc'est encore le meilleur moyen de nepas s'apercevoir que les autres sont des imbéciles.

4 avril.

HierMlleBlanche a apporté l'oeuf de Pâques de madame : un petitsac-panier soigneusement ouvragéplein jusqu'aux cordons debonbons Fouquet. Elle dit une parole et me regarde. Elle a rêvédurant ces quinze derniers joursquatre fois de noussurtout demoi. Une foisje lui ai dit des sottises. Une autre foisj'ai étécharmant. Elle me demande un livrele Mercure. Je ne répondspasou je réponds mal. C'est insupportable et pénible.Les gens qui ne veulent pas comprendre se rendent inutilement bienmalheureux. Je voudrais lui dire des choses agréableset desplaisanteries de mauvais goût me viennent aux lèvressur son front découvertpar exemplesur le bouton purulentde sa bouche. Je les ravale avec effortcomme du gras qui ne veutpas passer. Marinette rit. Mme B...un peu lâchementd'ailleurspour me faire plaisir sans doutemultiplie des mots quisont à des mots d'esprit ce qu'une cassure de verre est àun diamant. On s'imagine que c'est commode d'avoir de la bonté! Etdurant toute cette soirée ennuyeuseMlle Blanche sourità contretempsprête l'oreille -- ai-je parlé ?-- distille ses phrases d'institutrice très bien élevéesur les maladies de l'estomacla graisse indigestela viandeblanche qui est aussi lourde que la viande noirequoi qu'on en diseindique des régimes à suivre ; et j'ai beau m'enfoncerdans mon fauteuilles mains dans mes pochesboutonnédigneet froid comme un riche médiocre auquel un pauvre demande unsou : je sens les deux yeux quêteurs de la vieille demoiselleerrer sur moides yeux vaguement suppliants. Je baisse les miensjeles fermemais je la vois remuer encore comme au travers d'unecouche d'eau. C'est ridicule et navrant. Je m'en veux. Je me traitede sans-coeur et de misérablemais je n'y peux rienet je meconvaincs une fois de plus que nous ne pardonnons jamais qu'àceux auxquels nous avons intérêt à pardonner. Etsur le tableau noir des lâchetés humainesje marque unpoint de plus à l'actif de Satan.

9 avril.

Lire Fannyde Feydeaula seule chose de lui qui soit à lire.

Revu lafamille Fortmadame exceptée. Georges me montrerapoursavoir ce que j'en penseune lettre d'invitation à venirprendre une tasse de théune lettre en vers avec une cigale-- la dame s'appelle Cigale -- dans un coin à gauche. Paulfait du théâtremaislàtrèssérieusement. Il a une pièce en lecture au théâtreMontparnasseune pièce tirée de Paul de Kock. Henry deKock la trouve très bien et l'a invité àdéjeuner. Il a déjà été refuséau Conservatoiremais aussi il avait préparé sonexamen douze jours avant. (Pourquoi pas douze jours après ?)Il est de l'école de Dupont-Vernonmeilleur professeurqu'acteur. Un homme très bience Dupont-Vernondécorédes palmes violettesprofesseur dans un collègeun homme dumondeenfin. Quant à luiGeorgesil suit « la lignetracée » par son pèreet gagne 1100 francs paran. La petite fille était en crème avec des gants rougesang de boeuf.

Il y adans Fannyune chose originale : c'est l'admiration del'amant pour le mari.

Avingt-six anson a tellement appétit du neuf et peur de serépéter qu'on ne se sert jamais de ses notes.

Un enfantde vingt ans qui aime une femme de quarante lui dit toujours : «Laissez-moi vous aimer comme un père ! » Le mot est dugenre sublime grotesque. Mettez le au théâtreet lasalle éclate de rire.

Ce seronttoujours les livres comme Fannyécrits en onze joursmais avec passion et sans digressionssans problème posésans descriptionsqui plairont le plus au public. Il les boit d'untraitcomme de grands coups de vin. Il s'ensoleille avec et se f...du resteetfranchementle reste est de peu de prix.

11 avril.

Faire unlivre intitulé le Nihilisme et raconter les chapitresde la philosophie moderne d'une manière expérimentalec'est-à-dire avec des comparaisons tirées de la viebanale. Montrer un esprit qui rentre peu à peu en lui-mêmequi se pose les problèmes de la connaissanceavec l'intérêtd'un bourgeois qui fait des affaireset en arriver peu à peuà la critique de la raison pure de Kanten mettant de côtésa moralecomme une chose trop voulue et artificielle. En sommefaire un livre qui serait à l'histoire de la penséemoderne ce qu'un roman de Zola est à ses théoriesnaturalistes. Faire l'application de la philosophie.

12 avril.

Qu'importece que je fais ! Demandez-moi ce que je pense.

13 avril.

Unmétaphysicien humoristique.

Raynaudparlant d'une femme qui rit bêtementdit : « La filed'oies de ses sourires. » Délicieux !

Un arbreau tronc mollement ployé semblait vouloir s'agenouiller.

D'aprèsl'Avenir de la Science de RenanM. M... aurait étéun commerçant habile et heureux afin que sa fille riche pûtépouser un homme de lettres pauvrelequelintelligentsansdoutemais ordinaireen sommepossède un fils qu'ildirigeraqu'il formerapousseraet dont il fera le grand homme dela race.

15 avril.

-- Je vaisfonder un journal avec Lombarddit Marius André. Nous avonsde l'argent pour deux ans.

-- Alorsvous allez bien durer deux mois !

17 avril.

Les deuxDumas ont renversé la théorie de l'économie.C'est le père qui fut le prodigueet le fils qui fut l'avare.

19 avril.

En sommeje ne serai jamais qu'un croque-notes littéraire.

21 avril.

Quand oncommet une indiscrétionl'on se croit quitte en recommandantà la personne d'être... plus discrète qu'on nel'a été soi-même.

22 avril.

Lesphrases de Villiers de L'Isle-Adam : des hochets d'os oùsonneraient des grelots d'or.

28 avril.

J'ai l'airde vivre au jour le jour« en décousu »etpourtant je suis une ligne de conduite très droite et trèsprécise : donner tout le bonheur matériel possible àma femme et à mon enfantme contenter pour ma part du moinspossibleet arriver à ceci : que mon nom sonne un peu commeun grelot de cuivre.

29 avril.

Faire uneidylle avec l'amour de deux métaux. D'abord on les vit inerteset froids entre les doigts du professeur entremetteurpuissousl'action du feuse mêlers'imprégner l'un de l'autreet s'identifier en une fusion absoluetelle que n'en réaliserontjamais les plus farouches amours. L'un d'eux cédait déjàse liquéfiait par le boutse résolvait en gouttesblanchâtres et crépitantes.

En cemomentle port de Barfleur est bleu d'eau de Javelcomme si unpeuple de blanchisseuses venaient d'y laver leur linge.

Un ventstupidequi poussait devant luiavec une dépense de souffleextraordinairedeux ou trois petits nuages blancs en forme delapins.

30 avril.

Lamétempsycose avec amendement : l'âme de Bismarck passantau coeur d'une sensitive.

3 mai.

On voitdes hommes qui ont des sourcils blancset des poissons qui sontgrands comme des hommes. M. le maire me disait à propos du 1ermai : « Monsieurj'étais sûr du calme. Je connaismon Paris. » Tous sont donc intelligentsmaispar malyre ! ils ont des yeux vilainsdes paupières rouges et desaffaires blanches au milieu. Cela donne la sensation d'anchoisnageant dans de la lie de vin.

J'ai uneidée de roman en forme de hérissoncar je n'ose pas ytoucher. -- Notre petit Fantec est réjouissant à voir.Il a des joues-fesses remarquables et un teint «pièce-de-deux-sous » fort réussi. Toutefoislescrabes à la marche oblique et les homards aux tâtonnementsd'aveugles l'épouvantent. Comme on lui avait glissé unepetite écrevisse dans la poche de son tablieril a mis sesmains derrière son dos comme Napoléon aprèsMoscouet il a attendu ainsi une bonne demi-heureen proie àje ne sais quelles idéesmarchant parfois à reculonspassablement intrigué par ce jouet qui lui remuait sur leventre. Voilà un moyen de le rendre sageauquel nous n'avionspas songé.

Jepourrais bien dire que c'est encore en moi que j'ai trouvé laplus grande quantité de ridicules à noter.

5 mai.

« Mapeur en me mariantdit la jeune femmeet je n'en avais pas d'autrec'était d'avoir besoin d'aller aux cabinets pendant labénédiction nuptiale. »

Je parlaishier à Alix de sa vie en Islandeet vaguement de Loti qui yavait pris ses plus beaux livres.

-- C'estcomme moidit Alix. Quand j'ai fait ma campagne d'Islandej'écrivais sur un morceau de papier les manoeuvres qu'on nousfaisait faireles affaires que je voyais. C'était rudementbienallez ! On m'a volé mon bout de papier. Je le regrettebien.

8 mai.

Jem'applique à faire par jour trois pages de mon roman. Celam'est agréable à peu près comme un pensum.

Il jouaitdu piano d'une façon remarquable avec un seul doigt.

10 mai.

Il soufflebiendit Alix en parlant d'un bon vieux qui chante.

11 mai.

Ce que jerecherche avant tout dans un romance sont des curiosités dephrase. C'est dire que les romans étrangersmêmerussesmême de Tolstoïme sont insupportables.

Lu Âmed'enfant. Inutile et bêtace livre.

14 mai

« Unjourdit-ilje suis resté huit jours sans manger »

15 mai

On voitici des vieux marins qui ont une veste courte et un chapeau haut deforme.

21 mai.

Lacoquetterie du marin est de porter autour du cou un lourd cache-nezde laineetcelamême aux plus beaux jours.

26 mai.

Je dis àAlix que les pièces qu'on joue sur les planches d'un théâtresont écrites par des hommes de lettres

-- Il fautqu'ils écrivent rudement vitedit-il.

Pour «se relever »le marin dit « se remâter ».

Une figurefranche ouverte à deux battants.

27 mai.

Ce quimanque peut-être aux Goncourtc'est l'art de faire ressortirleurs motsleurs curiosités de langagede les mettre envitrine afin que le badaud s'attarde. On ne s'aperçoit qu'ilsont de l'esprit -- et du plus rare --qu'à la deuxièmeou troisième lecture. Mais un honnête homme ne lit pasdeux fois la même chose.

28 mai

Un riretriste comme un clown en habit noir.

Croirehumain ce qui ne nous est que particuliervoilà la grandeerreur.

30 mai.

Une Viergeen cire sous un globeavec une pomme dorée sur la têteimmobile comme si elle attendait Guillaume Tell.

Le silenceétait si absolu que je me croyais sourd.

Donnercomme épigraphe aux Cloportes cette phrase deFlaubert.-- Journal des Goncourt1er volumepage 367 : «Je n'ai eu que l'idée de rendre un toncette couleur demoisissure de l'existence des cloportes. »

Leréalisme ! Le réalisme ! Donnez-moi une belle réalité: je travaillerai d'après elle.

2 juin.

J'ai bâtide si beaux châteaux que les ruines m'en suffiraient.

3 juin.

Le Curéde villagede Balzacun livre où une femme criminelle seréhabilite par l'agriculture !

4 juin.

Relu LeCuré de village. La mort de Mme Graslin est une trèsbelle chose. Toutefoisje pense que ce genre de roman est mortdumoins pour les hommes d'un grand talent. C'est du trompe-l'oeil. Celaproduit une grosse sensationmais l'effet ne dure paset on souritun peu. Je veux dire que Balzac n'est alors qu'un Montépin detalentde génie si on préfèreet je crois queles écrivains vraiment doués ne pourront plus écrirede ces livres-làsérieusement.

6 juin.

Un salonembêtanttriste à la mortoù les bougiessemblent des cierges.

7 juin

Peut-êtrequ'un jour on verra la mer sillonnée de routes et les pauvrespêcheurs d'icidevenus bourgeois et presque amateurspêcheren veston de molleton bleuen pantoufleset au gaz !

Unetempête de calme.

Dans sesPaysansBalzac fait le paysan bavard : je croisaucontrairequ'il ne l'est pas du tout.

Balzac atrop de génie : il en donne à ses paysans.

13 juin.

Quand jefais une plaisanterieje regarde la bonne du coin de l'oeilpourvoir si elle rit.

18 juin.

Un hommequi pêche à la ligne dans la mer.

Le regretde n'être pas l'ami intime d'un écrivain qu'on aime nousen fait dire du mal.

21 juin.

Unpeintrec'est un homme qui porte un béret.

Si vousavez envie de rirevous me trouverez spirituel.

Le bateaus'avance derrière ses voiles comme un guerrier antiquederrière son bouclier.

Del'étrange avec du simple.

Certainesphrases intenses de Villiers de L'Isle-Adam me font comme un coup defusil tiré dans la tête.

C'estsurtout au théâtre que chacun est responsable de sesactes.

23 juin.

La nuitd'orgie dans une pension : il ne reste plus qu'une odeurune odeurbizarre d'oeufs de Pâques écrasés. L'ange du malperché sur les rideaux du maître d'étudechantevictoire etd'une voix fêlées'écrie : «Je tiens ces âmes ! -- Mais non ! Tu ne tiens rien du tout ! »dit l'ange du bientranquilleassis au chevet d'un amant et sur unetable de nuit. « Mais non. Comme dans les contes de la mèrel'Oye et les poésies de Charles Baudelairepour ma partjen'y vois aucun mal. Cela les calmeles chers petitset cela ne tirepas à conséquence. »

L'ange dumal pleurant de dépit dans un vase...

-- Moijedorsmes amisje dors. Allez !

Aussitôtils vontc'est-à-dire ils s'aiment.

Le premierfrottement d'une peau de femme enlèvera ce vice comme unpapier de verre efface une moisissure.

25 juin.

Cettenuiton entendait les trompes des brêmiers rentrant au portgémir et jeter leurs rauques avertissements dans la brume. Onaurait dit le cor d'Hernaniou plutôt des taureauxapocalyptiques beuglant la fin du monde.

27 juin.

Ah ! notrevanité ! Je lisdans Le Roquetmon articlel'Artpour l'argentémasculé de belle manière. Ilm'a semblé toute la matinée qu'on me donnait des coupsde canif en pleine chair.

Lebafouillage hautain de Barbey d'Aurevilly.

28 juin.

A Valletteet Rachilde. « Un coeur de femmede Bourgetc'estécrit comme un pensum avec une plume à trois becs. Jesuis arrivé à la cent cinquantième page de monÉcornifleuret je ne trouve plus rien à diremaislàrien du toutcomme si mes personnages étaientmorts. Vous faites de la psychologie de toilettedans vos Furia-Mode. Ouion diraitpositivementque vous faites des tours depsychologie dans un chapeau gondole. »

On a vingtans depuis quinze jusqu'à trente ans.

1erjuillet.

Levéritable auteur d'un livre est celui qui le fait publier.

7 juillet.

Une noteest pour moi quelque chose de si mort que je ne peux jamais m'enservir.

8 juillet.

Mme Alixsort avec un parapluie qu'elle n'a pas encore « mis ».

18juillet.

Trézenikqui ne mangerait pas en chemin de fer par fausse hontese promèneavec une ombrelle blanche au milieu des marins qui ricanent. Il dit :« Ce ne serait pas la peine d'être un homme de lettresindépendant si je ne pouvais pas porter une ombrelle sansm'occuper du qu'en-dira-t-on. »

Ainsiaudace en deçàlâcheté au-delà.

Une planteexotique s'ouvrait comme un éventail de rasoirs.

20juillet.

Deuxjeunes gens très Paul et Virginisés.
1er août.

Un styleblanc.

12 août.

Peut-êtreMérimée est-il l'écrivain qui restera le pluslongtemps. En effetil se sert moins que tout autre de l'imagecette cause de vieillesse du style. La postéritéappartiendra aux écrivains secsaux constipés.

19 août.

Trézeniktient beaucoup à faire ressortir quesi Le Roquetprend ce que je lui envoiec'est parce que cela n'est pas payé.

Çasent tout de même un peu trop la parfumerieles oeuvres deBourget.

27 août.

Çam'étonneraitme dit amicalement Trézenikque Jullienn'insère pas votre article. Il n'a pasen ce momentde copiesous la main.

3septembre.

Vallettedéfinissait Flaubert : la perfection du talentmais du talentseulement.

C'estétonnant commeentre littérateurson peut s'aimertout en se débinant !

Il esttombé sur moi à coups de compliments.

4septembre.

Laporcelaine cassée dure plus que la porcelaine intacte.

5septembre.

Le jourtrès prochain où les cerfs-volants serviront a laphotographie.

9septembre.

VuchezValletteJean Lombard. Brunun front étroit et un aspect unpeu défraîchil'air d'un petit charpentier que j'aiconnu. Écrit pour son plaisir. A mis un an et demi àfaire Byzance.

LéonRiotorl'homme qui connaît tout le monde.

-- Vousvoulez une marque d'éditeur ? Pourquoi ne prenez-vous pasLemerre ?

-- Je nele connais pas.

-- Venezje vous présenterai.

Il medonne des conseilsparle tout le temps etdevant ma froideurcherche à m'expliquer comment il m'emmène chez Lemerre.Il a déjeuné avec Paul Arène ce matin mêmeet garde son chapeau sur sa tête en parlant à Émile: c'estje croisle premier commis de Lemerreun homme influentdont il me conciliera les bonnes grâces. Il reconnaîtDreyfus (Camille) et son secrétaire qui passent en voiture. Ilfait de la littérature depuis dix ans et vit de journalisme.

M'a vuquelque partetcomme nous faisons la revue des endroits oùil aurait pu me rencontrer :

-- Çadoit être dans la ruedit-il.

12septembre.

Hier soirlonguement causé avec Vallette. Babylasc'est luil'hommeauquel il n'arrive rienl'homme tristenavréqui le seratoujoursdont la viequoique finiese continue pourtantil nesait pourquoi. Il a plusieurs idées de romans : la fille del'officier supérieurl'homme qui a épousé unefemme froide. C'est le roman grisle roman des petitspour lesquelsil a une grande pitié.

Il n'osepas regarder en lui : il se fait peur. Il vient de me raconter lethème des Aveuglesetencore tout tremblant dufrisson de la petite mortnous parlons de la viede sonimbécillité. Il me dit :

-- Nousnous sommes faitsnous autresetvousvous êtes encore ceque vous êtes né.

Ma phrasede demain : le sujetle verbe et l'attribut.

24septembre.

Nous neconnaissons pas l'Au-delà parce que cette ignorance est lacondition sine qua non de notre vie à nous. De mêmela glace ne peut connaître le feu qu'à la condition defondrede s'évanouir.

9 octobre.

Riotornous racontait hier que le journal le Temps nommepour uneannéeune famille : pèremère et fillepourrecevoir les feuilletons. Elle fait un rapport détailléd'après lequel le Temps refuse ou accepte le romanprésenté.

Le vers deJosé-Maria de Herediade Leconte de Lisle. On dirait uncheval de labour qui marche.

13octobre.

Vu cematin M. Ledrain. Type de vieux savantaux cheveux raresàla peau racornieaux ongles noirsau parler moelleux. Des lunettesun chienun petit judas. A beaucoup connu M. Delaville. Connaîtaussi Rachildeavec laquelle il a failli avoir une histoire. Abeaucoup parlé d'Anatole Franceun timidequ'il a supplantéchez Lemerre comme lecteur. En sommebonne apparence ; maisqu'est-ce qu'il y a derrière ?

Vu Lemerrefils. Type de fils de commerçant aux joues et à lasuffisance pleines.

19octobre.

J'attendsce soir Émile Bergerat. Mettre d'un côté l'idéeque je m'en fais etde l'autrel'impression qu'il me produira.

VuBergerat. O gloire ! Un gros homme coiffé d'un chapeau mouvêtu d'un jersey bien inéléganttout grisdesyeux de fouineun nez idemet des bottineset ces élastiquesde bottines ! Nous sommes allés prendre des bocks. Nous étionsune dizainetous éblouis de le voir en homme naturel. Il nousprenait par le brasnous disait : mon vieuxmes enfantssi vousétiez malinsvous feriez ça. Il dit de mon escalier :voilà l'escalier où je vais mourir. Je lui demande :

Vous avezfait un Gautier bien intéressantdans vos Entretiens ?

-- Oh !ouimais j'ai ajouté beaucoupvous savez.

-- Et leGautier des Goncourtcomment le trouvez-vous ?

-- C'estpas ca. Gautier disait merdemais en gentilhomme. Ma vie a étébizarre. Dès mes débutsj'ai dû accrocherquelque chosefrotter une borne qui m'a fait dévier. Je n'aipas eu un succès de cinquante mille francscomme tout lemonde peut en avoir. J'ai des chargesde la famille. J'aimeraismieux creverdisparaître.

Il trouveineptes les chroniques de Fouquier.

-- On sedébinedans les lettresmais on se soutient. J'ai faitentrer au Figaro Jules CaseSéverinequi n'a pas pu yrestertant d'autres ! J'ai connu Flaubertqui est venu me demanderdes choses sur le duc d'Angoulême. J'ai connu Hugo. Il aimaitbeaucoup ma voixsurtout quand il est devenu sourd (sic).C'était un timide. Quand il prenait ses grands airsc'estqu'il avait peur. Il m'aimait encore parce que je lui faisais descalembours età tableme plaçait à côtéde luide préférence à une femme. Houssaye luifaisait baiser des filles incognito. Deux ans avant sa mortil étaitamoureux d'une charcutièreil lui suçait le bout desdoigts dévotement.

-- Ilparle grasdit ce cochon de Guérin.

Dix ans desuiteà L'Officiel il a fait les Beaux-Arts pour seformer le style. Il se vante d'avoir « fait » Antoine. Iltrouve que je ressemble à Rochefort. Je lui dis :

--Êtes-vous pressé ! Restez donc quelques minutes. Nousparlerions littérature.

-- Ah !nondit-il. J'aime mieux aller me promenerprendre l'air. Venezavec moisi vous voulez.

29octobre.

Ajalbertun garçon d'apparence douceraconte avec bonne humeur deshistoires sur Léonide Leblanc et me complimente « surmon talent de chroniqueur ».

ChezLéonide LeblancGilbert s'amusait à tuer des feuillesà coups de revolverdes feuilles et des chapeaux hauts deforme. Orun jourdans un de ceux-ci se trouvait un crâne sipointu qu'il touchait presque le fondet la balle lui grilla lescheveux.

4novembre.

Sixtinepar R. de Gourmont : un délayage bien fait. C'est plein debelles choses grisesde gens qui raisonnent et ne vivent pas. Lesnoms mêmes sont distinguésprétentieux. DuBarrèsavec moins d'esprit. Et puisaussides souvenirs deprocédés latins qui l'obligent à faire toujourssuivre un mot d'une épithète quelconque. Il donne uneénorme importance au cogito de Descarteset oublie quec'est une banalité ou simplementpeut-êtreun jeu demots. C'est d'un joli pathos. Je vous dis que nous revenons àMlle de Scudéry. Un livre tout entier dominé par l'idéekantienne. C'est un livre superbe pour le cas qu'il fait de Villiersde L'Isle-Adam.

5novembre.

ÇafinitSixtinepar la mort d'un parapluie.

9novembre.

Il paraîtque Maurice du Plessys m'appelle un Gustave Droz n°2.

29novembre.

Barrèsa rencontré la meilleure manière d'être neuf :c'est de compliquer l'expression des choses anciennes.

Il nefaudrait pourtant pas laisser passersans faire un chef-d'oeuvreletemps où l'on croit à la littérature : il estcourt.

3onovembre.

Lapsychologie. Quand on se sert de ce mot-làon a l'air desiffler des chiens.

1erdécembre.

On a lasensationen lisant Sixtinede tremper le bout de ses doigtsdans du velours où il y aurait des épingles. Leveloursil s'étale. Les épingleselles piquent.

2décembre.

Professiond'une foule de jeunes gens : ils sont en train de « fairequelque chose pour le Théâtre Libre ».

Tableautin.Le cochonet le porcher qui lui donne des coups de sabot dans sonderrière rose de jeune fille. Mais ce que ça lui estégal ! Ses oreilles roses en remuent à peine.

3décembre.

Provoquerune tempête en collant des cantharides au tronc des arbres.

5 décembre

M. JulienLeclercq est venu me demander d'être son témoin contreM. R. Darzens. Il veut en finir. Il demande un duel férocequinze mètrespuis vingtpuis vingt-cinqà troisballespuis à deuxau visépuis comme on voudra. --Romanesquenonmais il a aimé toute sa vie. Son futurbeau-père exige qu'il lui apporte un certificat de médecinconstatant qu'il n'est pas pédéraste.

10décembre.

Dèsqu'une femme me montre ses dentssi belles qu'elles soientje voisdéjà sa tête en tête de mort.

10décembre.

Vucematin Alphonse Daudet. Bonnetain était là. Daudet s'estlevém'a regardé à la lumière et m'a dit: « Je reconnais Poil de Carotte. » Une belle têtebien telle qu'on la voit aux vitrinesla barbe salée un peu.Un méridional très adoucivieuxdéjàestropiémarchant à l'aide d'une canne terminéepar un bout en caoutchouc. Il me fait de grands compliments. Je nesais de quelle manière lui répondre. Faut-il dire «Monsieur » ou « cher Maître » ? Il nous parleun peu de toutsans espritmais largementsainement. Il dit queles protestations de Renan ont fait mal à l'estomac deGoncourt. Il nous parle de Brinn'Gaubast qui a étéprofesseur de Lucienson filset de la vilaine histoire dumanuscritvolédes Lettres de mon Moulin Daudetdisait à Brinn'Gaubast : « Vousvous feriez le coup deLa lutte pour la vie : vous assassineriez pour trois francs. »

Il dit :

-- Lapremièrel'unique fois que je voulus jouer du biniouc'étaitdevant mes cousineset je fis un gros pet ; ouien voulant enflerma pauvre joueje fis un énorme pet. C'est à cettepiteuse aventure que me font penser les jeunes littérateursd'aujourd'hui.

14décembre.

La patrieserait bien forte si on était soldat à douze ans ; àvingt ansc'est déjà trop tard.

15décembre.

Sur lesjets d'eaula nuitgrandissent les ours blancs.

20décembre.

Le théâtreest très bon parce qu'on ne peut pas s'y servir de phrasesdites « psychologiques » pour préparer des étatsd'âme.

27décembre.

Etreprodiguece n'est pas si commode. Ceux qui recherchent ce défautne l'ont jamais.

31décembre.

Le duelLeclercq-DarzensDuel-vaccin sur la route. De braves gensbrascroisésnous regardaient.

--Messieursdisait Ajalbertje suis très nerveuxje suis trèsnerveux. Allezmessieursdit-il encoreet faites en gensd'honneur.

Darzensricanait. Leclercq souriait et tirait un peu au hasardtandis queson adversaire se servait de son épée comme d'uneaiguillevisait la main et avait l'air d'un monsieur qui veut piquerune guêpe sur une feuille de vigne.

-- Enpensantme dit Leclercqque toute cette sale affaire aboutissait àcette piqûreet que je devais me considérer commesuffisamment vengé des injures de cet hommej'avais unegrande envie de pleurer. Vous êtes furieuxvousRenard.

Jel'étaisen effetetsans vantardisec'eût étéune joie pour moi de m'aligner à mon tour.

-- Maisnous sommes des secondsme dit Paul Gauguin. Pourquoi ne nousbattons-nous pas ?

Lui aussiétait furieux.

Ainsivoilà deux hommes qui se sont donné des coups de poingaméricainsparaît-ildu côté de Darzens.Ils ont failli s'assommer. Ils se sont vraiment battuset le pointd'honneur -- l'honneur qu'il faut satisfaire comme un besoinlesobligeait d'aller ridiculement poser sur la route en face de bravesgens gouailleursà peine intéressés ! C'estgrotesqueet dire que je suis tout prêt a être grotesquecomme ça !

Le duelest un prétexte à avocasseriesà phrasescreusesà sentences de mirliton. C'est aussi une occasion deboire beaucoup et de ne pas déjeuner. C'est un motif pourfaire sortir de leur indifférence quantité d'amisglabresqui viennent voir le combat comme des hyènes. Ilsemporteront chacun un morceau du ridicule qui s'étale en pleinairet le collent en étiquette au nom de leur ami.

J'avaisfait un paquetcomposé de mes deux épées d'unecouverture et d'un parapluiesi bien réussi que j'aurais ététrès ennuyé s'il m'avait fallu le défaire.



1891

5 janvier.

VucematinDaudet. Il dit de Vignier : « Il porte la mort de RobertCaze en bandoulière »de Zolaqu'il travaille tantqu'il en est tout noir.

Goncourtparait-ila lu Sourires pincés et va m'écrire...

Il estplein d'une grande pitié pour les pauvres honnêtespourles femmes qui savent résister aux besoins de l'entre-cuisses.Il s'est battu deux fois en duell'uneau pistoletl'autreàl'épéeavec Delpit qu'il a blessé au ventre etau bras. Au duel Drumont-Meyeraprès que Drumont fut blesséDaudet quittait sa veste et demandait à se battre à sontour...

Mme Daudet: une femme bien plus artiste que moila femme d'art par excellence.

Il a peurque ses enfants héritent de sa maladieet sa pièceL'Obstacle lui a été particulièrementdouloureuse à faire. Il a dit :

-- Jevoudrais mourir de pitié comme je ne sais plus quel roiancienauquel on avait amené des captifs si misérablesqu'il en est tout de suite tombé malade.

10janvier.

Quelqueintégrité que nous ayonson peut toujours nous classerdans une catégorie de voleurs.

12janvier.

A la salled'armes : il dégèle sur les torses.

13janvier.

A tes cilspendent comme des gouttes de sommeil.

19janvier.

Hier soironze heures 1/2on sonne. C'était M. Marcel Schwobqui medemandeà travers la porte« un conte pour L'Échode Paris ». Dans l'éclairage de deux bougiesjevois une figure rondeune tête déjà chauve. Nouscherchons en vain dans mes papiers.

Schwobvoulait m'emmener tout de suite à l'Écho de Pariscomme j'étaisnu-piedsen chemise de nuit.

J'ai ratéune belle occasionquoi !

3 février.

Hier soirdîner des Symbolistes. Toasts multiplespréparésimproviséslusbredouillés. Mot de Barrès : «Nous avons tous au fond du coeur le pétard antisymboliste. »Je trouve Barrès gélatineux. La barbiche de FélixFénéon.

Il y avaitun monsieur rigidement plastronnéavec une grosse choseblanche à la boutonnière. On eût dit le garçond'honneur du symbolisme. On lui demandait : « Pourquoiêtes-vous là ? » Il répondait : « Jeviens de me faire retoquer à mon bachot. En sortant de laFacultéj'ai vu qu'on donnait un banquet d'hommes de lettres.Je me suis payé ça. » Une chose le surprenait. «Comment ! Il est onze heureset vous avez encore le temps de fairepasser des articles dans les journaux ! »

Mendèsc'est la pédérastie dans le geste. Mirbeauun typed'adjudant d'artillerie. Marie Krysinskaune bouche à mettrele pied dedans.

Raynaudn'était pas content du dîneret disait : « On n'apas seulement eu le temps de se saouler un petit peu. »

Vanor. Cegarçon-là donne des poignées de main avec untalent !... Il est de première force dans les saluts de têteet les sourires sympathiques.

Moréas.Ses cheveux lui tombent dans les moustaches.

JeanCarrère. Un Lamartine méridional. Il croit àl'idéalà l'infinià Jobà un tas depauvres choses etpour faire la preuverécite de ses vers.En outreil voudrait bien être pris pour un barbareet croitqu'à l'apparition de son volume de verstout le monde va luitomber dessus. Louis Denised'ailleursl'a bien prévenu.

LéonLacourdéjà grisdéjà chauveettoujours tout petit Ah ! ceux qui prennent la littérature pourune nourrice se portent mal.

Tous cesgens-là disent : « Je suis un révoltémoi»avec un petit air de vieillard qui vient de faire pipi sanstrop souffrir.

4 février.

Oui ! Jeleur parlaisaux étoilesen un langage choisipeut-êtreen versetles bras croisésj'attendais leur réponse.

Mais cefurent des chiens en cerclede maigres chiensqui me répondirenten hurlements monotones.

13février.

Unenouvelle presque très bienquelque chose comme unsous-chef-d'oeuvre.

Ah ! lavie littéraire ! Je suis allé ce soir chez Lemerre. Jen'y vais pas souventpar timidité. Aucun Sourires pincésn'était en montre. Tout de suiteil m'est venu cette idéed'imbécile que les 1000 exemplaires étaient peut-êtreépuisés. Quand je suis entréle coeur mebattait un peu.

Lemerre nem'a même pas reconnu.

16février.

MarcelSchwob n'a pas vingt-quatre ans. Il en porte joie. Il a étérefusé à l'École Normale par de La Coulonchepour le discours françaisnaturellement. Il a étéreçu le premier à la licenceavant les normaliens quis'étaient présentés à Normale en mêmetemps que lui. Il n'a jamais écrit une ligne qui ne fûtpayéeet il est entré à L'Événementen écrivantde provinceà Magnierpour lui offrir defaire des chroniques. Il a le mépris des cheveux et se faitpresque raser la tête. C'est un journaliste du genre savant etde l'espèce rareun travailleur qui veut des chosescroit àdes chosesméprise des choses ; un indéchiffréencore pour moi.

18février.

Prochainvolume : les Cloportes et l'Écornifleur réunis.Premier chapitre : les Lérindeuxième chapitre : lesVernet.

Le stylede Huysmansc'est comme une brosse dureet ça gratteet ily a des crins très grostrès grossiers.

21février.

Mettreentre les Lérin et les Vernet quelques fantaisies intitulées: Entr'acte.

23février.

GeorgeSandla vache bretonne de la littérature.

Nouspassons par des états de corps étrangescomme si lamort nous faisait des signes de tête amicaux.

24février.

Unesignature tremblée qui a peur de dire son nom.

25février.

Ce matinbonne conversation d'une heure et demie avec Alphonse Daudet. Ilsouffrait moinsmarchait des pas presque naturelsétait gai.Goncourt lui a dit : « Dites à Sourires pincésque je ne l'oublie pasque je lui écrirai quand j'en auraifini avec la Fille Élisa. » Goncourt n'est pasau-dessus des petites misères de la vie littéraire. Unarticle méchant de Bonnières au Figaro l'aprofondément froissé. Il en reste nerveux longtemps.Cela devrait pourtant le faire sourirecar il est dit dans cetarticle quetout ce qu'il peut y avoir de bonc'est Ajalbert quil'y a mis !

--Connaissiez-vous Victor Hugo ?

-- Ouij'ai dîné souvent avec lui. Il me prenait pour un rieur.Je buvais presque autant que lui mais j'ai toujours refusé delui donner mes livres. Je lui disais : « Vous ne les lirez pascher maîtreet vous me ferez écrire par une des femmesqui vous font la cour. » Je me suis entêté àgarder ce rôleet Victor Hugo est mort sans me connaître.Mme Daudet était une toute petite fille à la tabled'Hugo. Elle n'osait rien direpar crainte sans doute d'êtreconfondue avec les pimbêches qui entouraient le maître.Au fondcette timiditéc'était de l'orgueil. Je vaistous les dimanches chez Goncourt. Cela me coûtemais j'y vais.Il est tellement seulsi peu entouré ! C'est moi qui ai fondéson Grenier.

«Avec l'instantané on ne fait que du faux. Photographiez unhomme dans sa chute : vous en obtenez un momentmais rien quiressemble à une chute.

«J'ai pris l'habitude d'écrire tout ce qui me passe par latête. Une penséeje la note au volqu'elle soitmalsaine ou criminelle. Il est évident que ces notes nedonneraient pas toujours l'homme que je suis. Nous sommesirresponsables des bizarreries de notre cervelle. Nous ne pouvons quechasser l'immoral et l'illogiquemais non l'empêcher de venir.

« Unjourj'avais écrit que nos premières impressions sontles seules ineffaçables. Le reste n'est qu'une répétitionun effet de l'habitude. Le lendemainj'ai trouvé cette pagerayée à coups d'ongles : Mme Daudet l'avait lueindiscrètementet elle s'était fait ce petitraisonnement en apparence très simple : « Il a dit : «Je t'aime » à d'autres femmes que moi. Je suis venueaprès elles. Quel est donc le degré de sincéritéde ses paroles d'amour ? »

« Laviec'est une boîte d'instruments qui piquent et coupent. Atoute heure nous nous ensanglantons les mains.

« Jeme suis marié jeuneavec 40 000 francs de dettespar amouret par raisonpar crainte de la noce et du collage. Ma femme avaitune centaine de mille francs. Nous avons d'abord payé mesdettespuis nous en sommes arrivés à mettre « auclou » les diamants de Mme Daudet. Elle tenait ses comptes enbonne ménagèremais le mot de mont-de-piétélui faisait peurelle inscrivait sur son livre : Là-bas.

« Unjour Glatigny arrive. « Je viens partager ton déjeuner»me dit-il. Je lui réponds : « Je suis trèsheureux que tu arrives trop tardparce que je n'avais qu'un petitpain d'un souet ma foi ! j'en avais juste assez. » Glatignym'a entraîné chez Banvilleauquel nous avons empruntéquarante sous.

«Banvilleun homme que je ne connais pas encore. Il n'écoutepasn'éprouve aucun plaisir à « feuilleter unesprit »etcomme les acheteursn'attend de votre phrase quele mot qui doit provoquer sa réponse. C'est un homme pleind'anecdotes qu'il raconte fort bienqui sont la plus belle part deson talentmais que je n'ai pas de plaisir à voir. Et nousnous connaissons depuis 1856 !

« Nevous occupez donc pas de votre famille ! On n'arrive jamais àla satisfaire. Mon père entendait une pièce de moi. Unmonsieur qui se trouvait près de lui avant dit : « C'estembêtant ! » mon brave père a tout de suite priscet avis pour décisifet le succès de la pièceles articles de journauxrien n'a pu modifier cette opinion qu'ildevait à quelque imbécile. Une autre foismon filsavait passé une soirée avec quelques-uns de mesennemisqui ne s'étaient pas gênés pour medébiner. Il m'a fait une tête !... Je l'ai écritesa têtedans mes notesetun jourle pauvre garçonsaura ce que j'ai pensé de lui ce soir-là. Ce cahierest pour luiet je ne veux pas qu'on le publie jamais. Il le liraaprès ma mort.

«Mon fils Léon est un esprit de premier ordre. Il a écritdes choses très bien qu'il a le courage de ne pas publier.Est-ce beau !

«Vous arriverezRenard. J'en suis sûret vous gagnerez del'argentmais il faut tout de mêmepour celaque vous vousdonniez de temps en temps quelques coups de pied au cul...

«Les Symbolistesquelles gens absurdes et pauvres ! Ne m'en parlezpas ! Il n'y a rien d'abscons. Tout homme qui a du talent arriveetje crois fanatiquement que chaque peine a son salaire. Venez donc lejeudi. Vous trouverez des gens froidset d'autres quicomme Rosnyau puissant cerveau de savantvous étourdissent de leursparoles. »

J'ai serrévivement la main de Daudet et en lui disant : « Cher Maîtreme voilà remonté pour longtemps. »

Un marivoit un monsieur qui serre de près sa femme.

Le mari :-- Dis-lui donc de finir !

La femme :-- Ah ! dis-luitoi. Moije ne le connais pasce monsieur.

1er mars.

Vu GustaveGeffroy. Un timide noir. Ajalbert lui aà lui aussiparléde ma férocité ; il me fera une réputation quej'aurai de la peine à défaire. Geffroy esteninstantanéun charmant garçonmais on ne lit pasgrand-chose sur sa figure. Il l'a trop petiteet il a trop de barbe.Comme tous les journalistes il se plaint du journalisme. A sa place àLa Justiceet y reste. N'a pas réussi au Gil-Blas.

3 mars.

Nettoyerles écuries d'Augias avec un cure-dent.

5 mars.

HierchezDaudetGoncourtRosnyCarrièreGeffroyM. et MmeToudouzeM. et Mme Rodenbach. Pourquoi suis-je sorti de làécoeuré ? Je m'imaginais sans doute que Goncourtn'était pas un homme. Faut-il retrouver chez les vieux lespetitesses des jeunes ? A-t-on assez arrangé le pauvre Zolajusqu'à l'accuser de tourner au symbolisme ! Et Banville«ce vieux chameau »comme l'appelle Daudetqui dit encoremais cette fois avec esprit : « Si j'avais fait l'arbregénéalogique de Zolaon m'aurait trouvé un jourpendu à l'une de ses branches !... »

Goncourtun gros militaire en retraite. Je n'ai pas vu son esprit : ce serapour une autre fois. Jusqu'à la seconde impressionc'estl'homme des répétitions que je trouve si insupportablesdans l'oeuvre des Goncourt. Rosnyun bavard savantéprouveun vif plaisir à citer du Chateaubriandspécialementles Mémoires d'outre-tombe.

Carrièreun monsieur qui serre la main des autres le plus près possiblede la cuisse.

Rodenbachun poëte qui trouve que nous manquons de naïvetéqui a pris au sérieux l'article de Raynaud sur Moréaset qui ne se reconnaît plus dans les ironies de Barrès.On lui a demandé des vers. Il a fait le difficile. On ainsisté. Il a eu l'air d'en chercher ; on l'a oublié.On a parlé d'autre chose et il n'a pas dit ses vers... .

Mauvaisecette journée d'hier. A l'Écho de Paris on atrouvé trop fine ma nouvelle le Navet sculptéet moi je n'ai pas trouvé nos grands hommes assez fins. Ellene passera pas.

Il y aaussi un petit album offert par Mme Dardoize à Lucienle plusjeune des fils Daudet : tous les invités sont priésd'essuyer leur plume en entrant. J'ai mismoi :

« Lerayon de soleil vint se jouer sur le parquet. L'enfant le vit et sebaissa pour le prendre. Ses ongles se cassèrent. Il criadouloureusement : « Je veux le rayon de soleil ! » et semit à pleurerrageuren frappant du pied.

«Alorsle rayon de soleil s'en alla. »

Qu'est-ceque cela peut bien vouloir dire ?

MmeDardoize. On ne trouve plus l'amour de la jeunesse et de la vie quechez les très vieilles femmes...

Rodenbachraconte que Charles Morice s'est présenté àFerraridirecteur de La Revue bleueet lui a dit : «Monsieurj'ai beaucoup de choses à dire. Il y a beaucoup dechoses à dire en ce moment. » Puistirant de saredingote profonde un petit papier : « 1°. Le symbolisme.2°. Racinemon cher Racine (iciun temps). 3°. La nature etle symbole. 4°. Le symbole et la nature. Ce n'est pas la mêmechose. Il y aurait comme cela trente-six articles. »

Daudet dit:

-- Lesécolesc'est spécial à la France. J'aurais eubeaucoup plus de succès si j'avais voulu monter une boutiqueen face de la boutique à Zola. Mais nous nous sommes laisséassocier avec luipar indifférenceet aujourd'hui toute lapresse est pour Zola. Il n'y a de gloire que pour lui.

Il parledu roman de Banville Rable. Ce sont des cris contre cemonsieur qui veut faire du roman sans documents. Goncourt dit :

-- Quant àmoije n'ai pas encore pu entrer dans cette pâte compacte...

Rodenbachdit :

-- AnatoleFranceparce que sa génération n'a pas voulu de luis'est tourné vers les jeunes et leur a dit : « Voussavezje suis des vôtres. »

7 mars.

Qu'est-ceque vous avez à rire ? Poseurva !

-- Que nedites-vous vrai !

Je ne lisriende peur de trouver des choses bien.

Monsourire a la jaunisse.

Hier soirSchwob et moi nous avons mis notre coeur à nu.

C'est unehaute intelligence qui a passé par bien des crises. Il a mêmevoulu s'empoisonner.

-- Pendantdeux minutesdit-ilavant de vomirj'ai touché à lamort.

Il me dit:

Vousm'avez paru méchanttout d'abordentierinsupportableetmalgré l'admiration que j'ai pour vousje souffraisce soiren venant dîner. Je souffrais à l'avance de voscontradictions.

Le cerveaun'a pas de pudeur.

Portraitde Schwob. Voilà un isolé. Il pense que nous arrivonstard et qu'il ne nous reste qu'une chose à faire aprèsnos aînés : bien écrire.

Il dit : «Voici ce que je veux dire »se lèvese promènele dos un peu courbéet parle. Il a des arches sourcilièresune bonne figure rondele moins de cheveux possibleet un parlerdoux de séminariste distingué.

Lesfantômesracontés par Holmès àMendèsracontés par Mendès à Schwob pourqu'il en fasse une nouvelle. Schwob a déclaré qu'il nepouvait rien en tirer.

Un Anglaisachète une ferme et veut en prendre possession. Il voit desfantômes -- ceux des anciens propriétaires -- rangésautour du foyeret leur dit :

--Allez-vous-en.

Lesfantômes refusent. Le fermier va chercher un policemanpuis unpasteur qui répand de l'eau bénite : les fantômesne veulent pas s'en allerpuis un homme de loi qui leur lit le bail: les fantômes s'en vont.

8 mars.

Étéaujourd'hui chez Daudetd'où nous devions aller voir Rodinpuis Goncourt. J'ai eu le grand malheursans doutede lui déplaire.Aussiqu'est-ce qui m'a pris de ne pas le complimenter au hasard surses livres que je n'ai pas lus ! Salut strictpolitesse tout justece qu'il fautet aucune espèce d'invitationaucun mot de safemme à l'adresse de ma femme et du bébé. Monpetittu as dû faire quelque four. Ah ! la vie nous meurtritles pieds... Daudet nous parle du chic de son fils Lucien de son «jemenfoutisme » à lui en ce qui concerne sa toilette...d'une paire de pantoufles-chaussettes qu'il a fait faire exprèspour luiet nous partons.

ChezRodinune révélationun enchantementcette Portede l'Enfercette petite chosegrande comme la mainquis'appelle l'Éternelle Idole : un hommeles brasderrière le dosvaincuembrasse une femme au-dessous desseinslui colle ses lèvres sur la peauet la femme a l'airtout triste. C'est difficilement que je me détache de ça.Une vieille femme en bronzequi est une chose horriblement belleavec ses seins platsson ventre crevassé et sa têtebelle encore. Puis des enlacements de corpsdes nouements de braset le Péché originella femme cramponnant Adamle tirant à elle par tout son êtreet le Satyreétripant une femme entre ses brasune de ses mains entre sescuissesces oppositions de mollets d'homme et de jambes de femme.Seigneurfaites que j'aie la force d'admirer toutes ces choses !

Dans lacourdes blocs de marbre attendent la vieétranges par leurforme etil semblepar leur désir de vivre. C'est amusant :moije fais l'homme qui a découvert Rodin.

Rodinuntype de pasteurle sculpteur de la douleur de voluptéquestionne naïvement Daudet et lui demande comment il fautappeler ses stupéfiantes créations. Il trouve de petitsnoms poncifsdans la mythologie par exemple. Un Victor Hugo nu dansune maquette... d'ailleursquelque chose de parfaitement grotesque.

ChezGoncourt : un musée de haut en bas. Moij'ai beau regarder :je ne vois rien. Je ne remarque rien. Goncourt est là-dedanschez luivieux type de collectionneurindifférent àtout ce qui n'est pas sa manie. Je regarde des Daumier. Il soulèvela moitié du volume que je laisse un peu tomber : « Desfoisça se casse vous savez. » Il me dit :

-- Si çavous embêtevous n'êtes pas obligé de lesregarder.

La maisonn'a pas l'air solide. La porte du « grenier » ferme malbat sans cesseetavec toutes ces chinoiseries on se croirait dansune des plus riches huttes de l'Exposition universelle.

-- Vous nefumez pas ?

-- Non.

-- Oh !c'est pour vous donner un genre.

9 mars.

J'ai connutrois cervellesdit Goncourt : GavarniBerthelotet un maire devillage.

ChezRodinil m'a semblé que mes yeux tout d'un coup éclataient.Jusqu'ici la sculpture m'avait intéressé comme untravail dans du navet.

Écrireà la manière dont Rodin sculpte.

Burtydont on vend aujourd'hui la collectioninvitait un jour àdîner Alphonse Daudetsa femme et Goncourt. Au dessertilappelait Mme Daudet dans un coinet lui montrait les Amoureusesédition originaleintrouvable avec une dédicace deDaudet à une femme.

Il n'y aguère que deux mois que Mme Daudet a raconté cettepetite histoire à son marien le priant de faire acheter àtout prix l'exemplaire.

Burtyétait un placeur de bonnes : il a fait la guerre àcelle de Goncourt pour la remplacer par une de son cru.

Il a écritun livreGrave imprudenceseulement pour faire tomberManette Salomon.

-- QuandBurty avait de mauvaises penséesdit Goncourtça sevoyait très bien : il devenait tout gris.

Quand onme montre un dessinje le regarde juste le temps de préparerce que je vais en dire.

11 mars.

HieràdînerAlcide Guérin. Voilà ce que c'estd'inviter les gens sur un article ! Un monsieur complètementchauveune figure de juif qui serait dévot. Il paraîtqu'il fait ses prièresva à la messecommunieetfait maigre le vendredi. Quand il parle Patrieil prononce le mot de« douleurs intimes » et il a un ronflement de gorgepresque un roucoulement.

Une voixde châtré.

Il fait deLéon Bloy ce stupéfiant présage : «Attendez-vous à quelque chose de grand d'ici peu. Je considèreBloy comme un sainten tout cascomme un homme providentiel. »

Il nousdità Raynaud et à moi : « Quand vous serezgrandsje vous bénirai. » Et on est tenté deprendre le mot à la lettre.

Il dit : «Moije ne suis rienje ne serai rien. » Il attend qu'onprotestemais on se taitet son hypocrisie est obligée derentrer comme une vilaine limace.

Il a unnoeud de cravate qui me rappellepar sa formeun chapeau de curé.

Qu'est-cequ'il fait au milieu des jeunes ? Car il en parle et affirme lesaimer. Les séminaristes nouvellement arrivés aurégiment doivent avoir une attitude semblable. Quand il s'estmis à tablej'ai cru qu'il allait dire le Benedicite.

Discussionentre Raynaud et moi sur Mallarmé. Je dis : « C'eststupide. » Il dit : « C'est merveilleux. » Et celaressemble à toutes les discussions littéraires.

ChezSchwobrien que des livres anglais ou allemands. Il aen outrelegoût de la criminalitéet l'on voit des brochures dejusticiers.

Lu au murune ballade de Richepin dont voici le dernier vers :

Trinquerdu verre et du nombril.

14 mars

Il vapeut-être se passer ici quelque chose de terrible. Aujourd'huile mot de croup a été prononcé par une célébritéà lorgnon et à 40 francs la visite. Aprèsnousne savons plus ce qu'il a dit. Marinette pleureet moi je suis sortiavec une boule dans la gorge. Nous sommes grisés de peur.

Nousécoutons le souffletantôt rauquetantôtsifflant de bébé. Les vomissements lui font du bienetje voudrais le voir toujours vomir.

Le plusterriblec'est qu'il est gai. Il ritet la mort peut-être seprépare. Moije fais de la littérature.

Nous nousembrouillons dans les pharynx et les larynx.

15 mars.

Un enfantest en bonne santé. Nous disons : « Je l'aime »tout simplementmaisquand il est mourant comment expliquer lamanière dontavec ses petites mainsil s'accroche ànotre coeur !

Mme OuryM...et bébé viennent.

-- Notreenfant est sous une menace de croup.

-- Oh ! cene sera rien.

Et ilsdégringolent les escalierspâles de peuren agitantles bras et en répétant :

-- Ce nesera rien ! Ce ne sera rien !

17 mars.

Scènepossible. L'enfant est mort. La mère et le père sont enlarmes. Mais l'amant prend la main de la femme frappe sur l'épauledu mari et dit :

-- Allonsdu courage ! Nous en ferons un autre.

20 mars.

Docteurmon enfant se meurt du croup.

-- Ah !Donnez-lui des boules de gomme.

HierSchwob est resté jusqu'à deux heures du matin. Il m'asemblé qu'avec des doigts fins il prenait ma cervellelaretournait et l'exposait au grand jour. Il parlait d'Eschyle et lecomparait à Rodin. Il m'analysait Les sept de Thèbeset la rivalité d'Étéocle et Polyniceet lamanière géométriquearchitecturaledont cettepièce est composée : tant d'ennemiscontre tantd'ennemistant de versdixpar exemplepour chaque chef...

Un momentla lampe s'est éteinte. J'ai allumé les bougies dupiano. Le visage de Marcel Schwob était dans l'ombre.

Je sensque ce garçon-là aura sur moi une influence énorme.

Moi : «Vous ne savez pas ce qu'il faut de courage pour s'empêcher defaire souffrir les autres ! »

Lui : «Moij'ai peur de la bêtise de la femme. J'ai pour maîtresseune toute petite fille qui est bien bêtemais si gentiment ! »

Nous nousavouons ceci : quand un être qui nous est cher est maladeetque la mort est toute prêtenous souffrons d'avance des gestesqu'il nous faudra faire pour montrer notre douleurmais nous nepensons pas à l'être qui nous est cher.

C'estmauvaiscette habitude que nous avons de refouler les larmes quandil faudrait les laisser couler. Des foiselles remontent sans quenous sachions pourquoiet nous nous trompons : nous pleurons àcôté.

23 mars.

Balzac estpeut-être le seul qui ait eu le droit de mal écrire.

24 mars.

Lesymbolisme. C'est toujours le « nous ferons route ensemble »des voyageurs qui partent en même temps. A l'arrivéeonse sépare.

25 mars.

L'autresoirau cercle d'escrimeAurélien Schollqui présidaitdisait :

-- Nousallons faire ouvrir : il fait trop chaud.

Et tout lemonde se mettait à rire.

EtAurélien Scholl riait aussi.

31 mars.

RemplacerL'Écornifleur par Le Flagorneur.

7 avril.

Le stylec'est l'oubli de tous les styles.

8 avril.

-- Allonsdégoisez !

--Insolent !

-- Maischère madame« dégoiser » se dit du ramagedes oiseaux.

10 avril

Il m'estvenu à l'idée de faire de L'Écornifleurune des attitudes de Poil de Carotte ; quelque chose comme sesexpériences sentimentales. Ce serait mon Tartarin àmoi. On aurait Poil de Carotte de trois à douze ansPoil deCarotte à vingt ansetplus tardPoil de Carotte de douze àvingt ans.

13 avril.

Une descent mille manières de recevoir un compliment : « Çame fait plaisirparce que je sais que vous êtes unindépendant. »

15 avril.

Mot deGloriette : « Si je savais que je vais mourirj'en mourrais àl'avance. »

Schwobm'apprend que L'Écho de Paris aura un supplémentlittéraire et que Mendès l'appelle à ladirection. Je félicite Schwob comme un oncle àhéritageet mon affection pour lui ne m'empêche pas desonger à l'utile.

Daudetenvervenous parle des embarquements de Gauguinqui voudrait aller àTahiti pour n'y trouver personneet qui ne part jamais. Au point queses amis les meilleurs finissent par lui dire : « Il faut vousen allermon cher amiil faut vous en aller. »

Lecritiquec'est un botaniste. Moije suis un jardinier.

17 avril.

Un hommetellement beau que lui-même se trouve ridicule.

Ouieneffetj'ai dit que vous aviez du talentmais je n'y tiens pas.

21 avril.

Formulenouvelle : l'enfant pleura comme un homme.

Tout demêmeon se repent des torts irréparablesdes tortsqu'on a eus envers des gens qui sont morts.

22 avril.

Un motentendu par le père de Schwob.

Authéâtreun bonhomme est à côté d'unmonsieur au nez difforme. Tout à coupil se tourne vers lui :

-- Tenezj'aime autant vous le dire : il y a un quart d'heure que votre nezm'embête.

L'homme aunez difforme :

- Et moimonsieuril y a vingt-cinq ans !

J'en aiassezde me faire petit devant les autres.

Visitéce soir l'exposition d'Eugène Carrière. La foliedouloureuse des fillettesdes jeunes fillesqui ont le jolilegracieux effrayant des folles gaies. Des mères malades etfolles qui donnent de vilains seinsmal dessinésàleurs enfants. Un bébé qui a des fleurs rouges dans latête et qui a l'air d'un poussah hideux. Pose fréquente: appuiement de la tête sur la main. Le collage des chairs. Desfigures comme taillées dans la pierre. Geffroycemélancolique silencieuxprétend que toutes cestêtes-là pensent. Je ne crois pas : bien plutôtelles ne pensent plus. Elles sont presque mortesinertescommeaprès une effroyable catastrophe. « La vie est-elle doncune chose rigolote ? » dit Geffroy. Et puiszut ! Ces gens-lànous entraîneraient dans des trous. Ils sont intéressantsmais on ne sait plus. On arrive très bien à s'extasierdevant eux. Là où le peintre n'a peut-êtrecherché qu'un effet de lumière ou de lignenous voyonsdes chosesde l'Au-delà. Croûte égalechef-d'oeuvre. On est ivre. Il faut absolument se dessaouler et s'enaller. Le grand art n'est pas là.

24 avril.

Hier soirchez Daudet. La petite filleparaît-ila faitdu coq encarton qu'on lui a donnéune personne morale qui s'appelle «le coq de M. Renard » et avec lequel elle tient desconversations. La splendide Jeanne Hugoavec son merveilleux nezunnez de grande raceà la Victor Hugo. Goncourt parleavec unebonhomie qui me paraît fausse (pourquoi ?) de l'insignifiantevente de ses livresdont quelques-uns ont pourtant fait un potin àla Drumont.

Rosnycause intarissablement de sa bête noireHuysmans. J'entends :« Pour vomir son tempsil faudrait d'abord l'avoir mangé.Chacun est un révoltéde nos jours. » A ceproposDaudet dit :

-- Moij'ai refusé d'entrer à l'Académie. On ne meprendra jamais pour un révolté. Pourquoi ?

Charpentierqui prétend lire tous les manuscrits.

Margueritteun garçon très grandtrès doux. Toudouzequime cherchait partout pour me remercieravec la même ardeursans douteque je mettais à sa recherche.

Unmonsieur glabre qui me parle tout le temps de mon livre. Comme je letrouverais insupportable s'il me parlait d'autre chose !

Daudet medit de Schwob : « Il a la tête toute pleine »

Carrièredont les paroles ont le grisl'incertainl'inachevé de sestableaux.

Un hommeécrit une lettre d'amour à une femme qui ne lui répondpas.

Il chercheles raisons de ce silence.

Il finitpar trouver ceci :

--J'aurais dû mettre un timbre dans la lettre.

26 avril.

FerdinandFabreou l'homme qui veut tous les prix de l'Académie.

Faire deses rêveries des pensées.

27 avril

HierauMoulin-Rougeau Moulin de la Galette. Cela fait malde n'êtrerien pour la femme qu'on trouve jolie. Une petite fille enchaussettesjambes nuesfaisait le grand écart. J'auraisaccepté d'être son souteneur. J'aurais voulu êtreaussi le chef d'orchestrele chef de tout cela. Oh ! les pustules dela vanité !

30 avril.

Schwob meraconte que Rémy de Gourmont est venu pleurer dans le sein deMendès. Son article sur le patriotisme l'avait fait mettre àla porte de la Bibliothèque nationaleet il avait ses pochespleines de choses à reproduire dans le Supplément del'Écho de Paris.

Schwob dit: « C'est peut-être dans la Bible qu'on trouverait desprocédés littéraires nouveaux et l'art delaisser les choses à leur place. »

1er mai.

Qu'estnotre imaginationcomparée à celle d'un enfant quiveut faire un chemin de fer avec des asperges ?

2 mai.

Acquiersle talent de dire sans bâiller : « C'est intéressant.»

Vu cematin Richepin. Un gros chien frisé très doux. Unveston rougedes basdes jarretièresune culotteet il estnu dans une chemise ouverte. Deux chiens. Un jardinet devantunautre derrière.

Deuxdoigts de la main chargés de bagues.

AimeChateaubriandRosnyet trouve les Goncourt surfaits.

Le bonhomme qu'est Rodin nous dit naïvement : « J'ai étél'élève de Baryemais je ne le comprenais pas. Il mesemblait trop simple pour être un grand artiste. »

7 mai.

Prendrepar le cou l'idée fuyante et lui écraser le nez sur lepapier.

Je senstrès bien que je vais être tourmenté par laphrase. Un jour arrivera où je ne pourrai plus écrireun seul mot.

Ma crainteétait de n'êtreplus tardqu'un Flaubert de saloninoffensif.

8 mai.

Cettephrase de Huysmanscette phrase-chariot. Il me semblequand je lisqu'on m'oblige à courir dans des ceps de vigne.

9 mai.

Tout estbeau. Il faut parler d'un cochon comme d'une fleur.

16 mai.

Vuhierl'exposition Monet. Ces meules avec leur ombre bleueces champsbariolés comme des mouchoirs à carreaux.

18 mai.

Revu M.Rigal. Rien de plus douloureux que de revoir un ancien maîtreen mendiant.

22 mai.

Vu cematin Barrès. La conversation sur Mallarmé. Celarapportera des millionsle Grand OEuvre. Mallarmé disant àsa femme et à sa fille : « Maintenantvous pouvez yaller : je suis sûr de moi »et les deux femmes ont jetépar la fenêtre les quelques sous.

-- Mais oùen êtes-vous du Grand OEuvre ? lui dit Barrès.

-- Tenez !dit Mallarmé en lui montrant sur sa table un amoncellement depapiers.

Ils'absenteet Barrèscurieuxfeuillette : les copies desélèves de Mallarmé !

On ne peutpas fréquenter Mallarmé sans avoir du génie.

Uneréunion des Symbolistes d'après Barrés. Dînerglacial. « Le continuateur de Pascal : Théodore deBanville »dit Morin. Éclats de rire.

« Sinous ne voulons pas nous prendre au sérieuxallons-nous-en !» dit l'un d'eux.

Finielaforme du roman. Barrès méprise les paillettes del'esprit. Ne refera plus de Renan et a préparé un «Taine en voyage » qu'il ne publiera pas. N'aime que les idéesla métaphysiquequi le griseet dont on peut jouir sanscomprendre.

Préparedes dialogues à la Sénèque.

24 mai.

Voyage àLa Châtreun pays dont George Sand est la Sainte Vierge. Elley avait son boucherson pâtissierplus uncoiffeur qu'elle emmenait à Nohant pour trente jours.

J'aivoyagéaller et retouravec Henry Fouquieret j'ai eu laforce de ne pas lui demander son nom afin qu'il me demande le mien.Causer littérature sans savoir avec quic'est le meilleurmode pour conserver de bonnes relations littéraires.

Elle estassiseGeorge Sanddans sa pose de Comédie-Françaiseen plein square. Le clerc boiteux qui nous conduit ne peut pas passerdevant une maison sans dire le nom du propriétairela valeurde l'immeubleson histoireet quels héritiers le guignent.Il nous raconte quele jour de l'inauguration de la statue de GeorgeSandMme J.-B. Clesingersa fille (Solange)vexée qu'onn'eût pas accepté le buste de son marile tenait àune fenêtreen face de la fouleentouré de couronneset de drapeaux. Il ajoute que les oeuvres de George Sand rapportent àses héritiers de 40 à 50 000 francs par ance qui neles empêche pas de laisser se perdre la propriétéde Nohant et de faire couper des arbres historiquesdes arbres surl'écorce desquelsdit-ilGeorge Sand avait certainement dûécrire quelque chose.

« Enplein travaildit Fouquier quand nous revenonsGeorge Sand étaitcapable de se lever parce qu'elle avait besoin d'un homme. Ellefaisait de la copie comme on fait des planches. » Sa filleSolangeétait un type plus curieux encore. A la fois artistenoceuse et femme d'ordreelle disait à Fouquierà sixheures du matinà la fin d'un bal : « Je m'en vaisparce que je veux voir ce que font mes servantes. »

Unemémoire presque aussi tenace que celle de George Sandc'estcelle du grand-père de Marinettedu vieux roulier Morneau. Leclerc n'en finit pas : « Tenezçac'était àluiça aussipuis çaet puis encore ça enfintout çaquoi ! »

Eh ! biende « tout ça »il ne reste à Marinette :1° que la moitié d'un terrain -- dit l'acte-- enréalitéd'un petit coin infect où se tasse toutle fumier des gens et des bêtes2° d'une maison étrange.Au rez-de-chausséec'est la cave où il y a un puitset c'est là que s'est logé un des octrois de la ville.Quand on fait trop de feula fumée ne se donne pas la peinede monter : elle passe par les crevasses du mur. Elle est tout desuite dehors.

Derrièreil y a un mur que le voisin ne voulait pas laisser construireet quele grand-père Morneau a fait élever en une nuit : c'estle mieux faitle plus solide. Voilà un tour !

Sansrenseignementsdans cette propriété j'avais vu unchâteau. C'est la plus triste masure de tout la Châtre.L'usufruitière qui la laisse tomber habite une petitepropriété bien entretenue qu'elle soigne comme sonsouffle. La vieille femme tient une petite épicerieets'imagine qu'on la vole. Quand elle est chez elleelle entrecroisedans un ordre précisdes balais devant ses portes. Si elleest dans son jardinelle attache le loquet de la porte à unarbreavec une ficelle. Elle a acheté cette propriétéet cette dette pèse sur toute sa fin de vie. Elle pleure ounous fouille de ses petits yeux. Nous voulons lui racheter l'usufruitde notre masure. Elle voudrait bien de l'argentmais l'idéede n'avoir plus une chose même qui lui est à chargelabouleverse. Elle dit : « Alorsquand vous m'aurez donnéde l'argentje n'aurai plus rienmoi ! Je n'aurai plus rien ! »

Elle avaitcueilli un petit bouquet pour Marinettemaisà la dernièreminuteelle oubliait de me le donner.

Il y a àLa Châtre deux meuniersdeux frères. L'un a épouséune femme riche et est ruiné ; l'autre a commencé avecrienet son moulin vaut un million. Les deux moulins sont àquelques pas l'un de l'autreetcette ruine à côtéde cette jolie chosec'est tout à fait moral. Le clerc nousdit : « Le riche ne surveillait pas le départ de sescharretiers. Ils emportaient des sacs d'avoine et les vendaient.Voilà le bénéfice de la journée mangé.Le pauvreau contrairese levait matin. » Ces deux moulinsc'est toute la vie en deux leçons.

26 mai.

Vous mefaites bleuir.

Moréasdit : « Je ressemble à Racine. »

Chaquematin songer aux gens qu'on va cultiveraux pots qu'il faut arroser.

28 mai.

Présentéhier à Mendès. Il me dit : « Vous avez un roman ?Apportez-le donc. Il passera dans cinq ou six ans. »

Schwob meraconte :

-- Unjeune homme va demander un emploi à un banquierqui le met àla porte. Le jeune hommeen passant dans la courramasse uneépingle. Le banquier le fait rappelerle traite de voleur etle remet à la porte. C'est un peu plus humain et logique quel'histoire Laffitte.

DînerBarrès. D'Esparbès nous raconte Alphonse Allais soldat.

Un jouril voit le drapeau du régiment dans un coin et se précipiteen demandant : « Où est l'ombrel'ombre du drapeau ? »

Il avaitcomme caporal un Corsenommé Bellagamba qu'il appela tout desuite « monsieur Bellejambe ». Il arrivait àl'exercice traînant son fusil par la baïonnette etàchaque instantil sortait des rangs pour regarder les autres quandle caporal disait :

« Untelrentrez le ventre. »

Un jouril dit au caporal :

«Monsieur Bellejambeil fait beauce matin. Le ciel est purlesoiseaux chantent. Moije m'en vais. » Et il quitta les rangstraînant toujours son fusil par la baïonnette.

Tout celaavec un air ahuri. Son colonel lui pardonnait tout et finit mêmepar le laisser aller. Sur vingt-huit joursil en a fait cinq ou six.

Barrèsavec l'air de nous demander si c'était asseznous dit queL'Éclair lui payait 400 francs un article de quinzelignes.

Un motd'Allais : La nuit tombait. Je me penchai pour la ramasser.

CharlesMoricedepuis dix ansest le portier du symbolisme. Il est làsur le seuilet c'est par lui que le jeunes entrent dans la vielittéraire.

Le crânede Barrèsc'est un peu celui du corbeau d'Edgar Poe.

Ne jamaisêtre content : tout l'art est là.

16 juin.

Dirait-onpas qu'on est obligé de faire un roman comme ses vingt-huitjours !

18 juin.

Soyeztranquille ! Je n'oublierai jamais le service que je vous ai rendu.

15juillet.

Je ne voussuivrais pasmême pour aller au bout de monde.

29juillet.

L'Écornifleurc'est l'histoire d'un jeune homme insupportable qui parle tout letemps et ne prouve rien.

30juillet.

La guerren'est peut-être que la revanche des bêtes que nous avonstuées.

31juillet.

Croirait-onqu'un livre a sa pudeuret qu'il ne faut pas trop parler de lui ?

1er août.

Seigneuraidez-nousma femme et moià manger notre pain quotidien deménage !

3 août.

Si onreconnaît « mon style »c'est parce que je faistoujours la même chosehélas !

8 août.

Ma têtebiscornue fait péter tous les clichés.

7 octobre.

Schwob : «Ouipubliez L'Écornifleur. On vous attend. Tout lemonde prétend que vous manquez d'haleine. Rosny me disait cesoir : « Ouisa supériorité dans les petiteschoses est incontestablemais il faudrait le voir dans les grosses.»

Capus : «Pourquoi voulez-vous qu'Ollendorff refuse L'Écornifleur?Il publie un volume par jour. Est-ce qu'on a jamais vu un éditeurrefuser un livre ? »

8 octobre.

En sommeon a toujours un « roulement » d'amis suffisant.

Schwob medit : « Daudet doit avoir des foucades. Ouiil est tel momentoù il doit prendre les gens en horreurvous et moilesautres. Un jourà Champrosayj'ai essayé de luiparler de L'Écornifleur : il est resté d'unfroiddisant simplement parfois : « Ouioui »maisavec un ennui visible. Peut-être a-t-il peur de nos demandes.Peut-être aussicomme vous m'avez introduit chez luiserait-il heureux de constater que je vous lâche et que jeprends votre place auprès de lui. Il ne faut pas retourner levoir sans qu'il vous invite. »

9 octobre.

Une jeunefille victime d'un accident dû à la bienveillance.

Le vraibonheur serait de se souvenir du présent.

Quelménage ! Vous n'avez pas fini vos roucoulements ? On secroirait chez un marchand d'oiseaux !

10octobre.

Quelquechose comme un clair de soleil.

Hélas! Il me suffit encore qu'un homme me dise qu'il est honnêtepour que je le croie.

Au moinsj'ai eu une audace dans L'Écornifleur; j'ai mis «porte-monnaie » au lieu de « bourse ».

13octobre.

Un hommese console d'être doux en affirmant qu'il est férocequand il s'y met.

Peut-êtreque les gens de beaucoup de mémoire n'ont pas d'idéesgénérales.

15octobre.

Un duelça a l'air d'être la répétition généraled'un duel.

16octobre.

J'ai vumonsieursur une table de boucherdes cervelles pareilles àla vôtre.

18octobre.

Hierdînéchez Descaves avec HuysmansBonnetain. Huysmansnaturellementtoutautre que je pensais. Grisonnantbarbe en pointetraits durs etnets. On le reconnaîtrait à sa haine pour Rosny. Causeparfums avec les dames de lettres imprégnées decantharideet qui empoisonnent. Met Lyon au-dessus de Paris.Intéressant amusantproduit de l'effetmais le reproduit dixfois... Il disait :

-- Meyerdu Gaulois! Il nous priait de passer au bureau du journalMaupassantun autre et moi. Que nous voulait-il ? Enfinil arriveet : « Messieursje n'ai pas voulu partir en voyage sans vousserrer la main. »

Carottesupprimez carotte. Vous n'y tenez pas ! Carotte n'est pas un mot dugrand monde...

Mendèsce ruffian de lettresun être malfaisantcérébral.Toute sa littérature est cérébrale. Desplaisanteriesses histoires de femmes ! Est impuissanta de petitespustules sur les lèvreset se soigne !... Met de petitespilules dans sa boissondes pilules sans nom qui ont l'air d'êtrefaites par lui... Très habileet aime les lettres quand çane coûte rien. A joué VilliersMoréasa jouétout le mondeexcepté Lorrainqui lui tient tête.

Sarceyignoble. Lemaîtreplus ignoble encoreparce qu'il croitcomprendre. Francecrétin. Maupassant a fait des affairesavec des terrainsa une maladie de la moelle...

Jevoudrais être en prose un poëte mort qui se regrette.

La prosedoit être un vers qui ne va pas à la ligne.

20octobre.

Une sallede rédaction. Des cartons verts dont les lamentables lèvrespendentdes carreaux barbouillés comme exprèsdesnuméros du jour par terreet des bouts de papier colléssur le mur avec des pains à cacheterquelques-uns avec descrachats. Une atmosphère de lieux d'aisance où descollégiens fument. Sur la tableles Plaideurs deRacine. Tout autourun grouillementdes coups de timbre. Dans lasalle d'attenteune vieille femmeavec un vieux cabasqui sembleattendre qu'on lui apporte des épluchures d'articles.

22octobre.

Mes amism'attendent au romancomme au détour d'une rue.

24octobre.

Vu cematin M. Paul Ollendorff. A la goutte. Est-ce pour ne pas se leverquand un visiteur entre ? Soulaine le chef des correctionsd'épreuvesa sur le visage comme un reflet de Trézenik.Ollendorff m'a fait le discours connu sur le succès d'estimequi m'attend certainementet ce succès d'argent qui m'attendaussimais avec moins impatience.

28octobre.

QuandSchwob dit qu'une chose est très bienson oeil a un petitpapillotement comme des lèvres qui prient.

Êtreméchant sur le papier.

On peutdonner le ton des paysans sans faute d'orthographe.

30octobre.

Une phrasesolidecomme construite avec des lettres d'enseigne en plombdécoupé.

Je ne rispas de la plaisanterie que vous faitesmais de celle que je vaisfaire.

2novembre.

C'estétonnant comme toutes les célébritéslittéraires gagnent à être vues en caricature !

Toujourscette timidité en entrant dans un bureau de rédaction.Des ennemis peut-être sont cachés dans les cartonsetcomme un gros monsieur aimablecorrecteur des épreuves duSupplémentm'offre obligeamment une chaiseje medemande s'il se moque de mois'il veut me jouer un tour.

Hiertouché mon premier sou de lettres. A ce moment-làunsouc'est aussi beau que 50 000 francs.

EnsortantSchwob me dit : « Vous voyez cette femme qui me quitte? C'est mon passé qui revient et que je vais reprendre. Cettefemme-là m'a fait faire tout ce qui mène encorrectionnelle et en Cour d'assises. Elle m'aen outrerenduridiculeet moile Schwob que vous connaissezj'ai étéun monsieur montant à chevaljouant aux coursesvêtu àla dernière mode. Je la méprise. Elle est bêteElle revient à moi parce qu'elle me croit de l'argent. Elleest orgueilleuse. Elle me considère comme un journalisteetles journalistes comme rienet cependant je vais la reprendre. Jevais peut-être faire souffrirpour cette grue que je n'aimepasune autre petite femme que j'aimequi est simplebonneet secontente du peu que je lui donne. Ce n'est pourtant pas sa chair quim'attire. Qu'est-ce que c'est ? Je vais redevenir ce que j'ai été: quelque chose de pas propre. »

Définitionà peu près du mot « terme » par Schwob : undieu dont on célèbre la fête avec des cloches debois.

4novembre.

DînerFlammarion. Gravement on nous enlèveà Schwob et àmoides assiettes où nous n'avons pas mangé. La soleau vin blanc n'arrive pas jusqu'à nous. Nous faisons desprovisions de pain et de pommes vertes. Des gens se battent pour dufromage. Un monsieurun Clovis Hugues souffléfait lechien-loup et pousse des hurlements. Un auteurque nous croyonsdramatiqueet qui est monologuistedit une chanson... Xanrof faitle stupide au piano. Fasquellel'associé de Charpentierexécute la danse du ventre etfrottant son pouce contre latablela fait trembler. Il a un large nez écrasé aumilieu du visage. C'est comme un coup de pied qu'on lui aurait donnéet dont il lui serait resté le pied.

Mendèsparle à Flammarionet celui-ci a l'air aussi embêtéqu'un éditeur qui écoute un auteur. Flammarionl'astronomequi m'a tout de suiteen entrantdemandé lamoitié de mon painme dit qu'il prépare la fin dumonde : sept ans de travail. Il a l'air bien avec le Ciel et trèsbien avec lui-même. Un acteurFlorentartistequi fait desimitationsest rasé comme une fesseet cependant il a trouvéle moyen de se faire une raie. On voit au loinau bout de la tableGinisty dont les yeux sont comme des fentes de porte-plume pourmettre la plume. Il a les cheveux huileuxsortant de lessiveetsur le frontquelque chose que Schwob prend pour une souriset moipour un derrière de crapaud. Un monsieurqui a une tache liede vinressemble à un assassin qui viendrait se mettre àtable sans s'essuyer. Un autresorte d'Homère roussi etédentéparle des souffles : c'est Lacroixle monsieurqui a donné près d'un million à Victor Hugo.Bertol-Graivilun pion maigre et décoré.

Schwob : «Quelles bestialités ! »

Moi : «Et ces cheveux qu'ils ont ! Comme si le bon Dieupressén'avait pas eu le temps de leur ôter ça. »

Schwob : «Et ces yeuxces doubles molardset ces nezces extraordinairesprotubérances charnues ! »

Lui estbeaumoi aussisans doute.

On se lèvede tableet je vois Mendès qui se reculotte.

Allais : «Je suis heureux de connaître Jules Renard. »

Moi : «Moije vous connaissais. Vous avez fait un bien amusant livre. »

Allais : «Oh ! C'est un chef-d'oeuvre. »

Moi : «Je me rappellede vousune histoire. Vous savez ? Cette petitefille qui ne veut pas monter dans un omnibus dont la couleur ne vapas avec sa toilette... »

Allais : «Parbleu ! Je vous crois. C'est un pur bijou. Mais Renard a l'airdésolé. »

Moi : «Pas du tout. Je m'amuseet mon rêve était de causeravec des hommes de lettres. »

Mendès: « Un jourje suis allé dîner chez Cladelet ils'amusait à mettre son gosse les fesses nues sur la soupière: ça lui chauffait le derrière. Ça faisait rireCladel et nous donnait de l'appétit.

« Ilest encore moins sale que Philoxène Boyer que j'ai vu vivre unmois avec une grande raie d'encre sur la joue droiteetquand ilouvrait l'oeilça faisait une solution de continuité.»

Courteline: « Ça ne vaut pas ce monsieur qui ne voulait pasquitter sa paire de chaussettes sales. Il en mettait une paire deneuveset les vieilles s'en allaient en passant au travers desneuves. J'ai vu aussi deux ivrognes saouls jouer aux cartes. L'unentournant le roidégueulait des tas de chosesentre autresdes morceaux de rognons ; l'autresaoul comme luifaisait le plise levait etprenant les morceaux de rognons qui pendaient dans labarbe de son amiles mettait dans sa poche. »

7novembre.

Visite àBarrès.

Barrès: « Devant les grandes douleursje suis toujours pris d'un fourire. »

Moi : «Pourquoi n'organise-t-on pas un système d'agents qui feraientnos visites de condoléances ? Les pleureurs de l'Antiquitéétaient bien imaginés. »

Byvanck :« Il ne faut aimer les femmes de lettres que mortes. »

Barrès: « Je n'aime que les articles des étrangers. Ce sontles seuls qui vous donnent l'illusion de la sincérité.»

Moi : «Je les aime parce que je ne les comprends pasqu'on n'y voit que lenomsans deviner ce qu'il y a autource qui autorise toute libertéde traduction. »

Barrès: « Ce qui m'agacec'est que toute femme que je rencontre medemande ce que je pense de l'amour. »

Byvanck :« Un écrivain allemand a prouvé que la pitiéque nous feignons d'avoir pour le peuple n'est que la peur que nousavons de lui. »

Barrès: « Cependantun chien écrasé... »

Moi : «Quand il est écrasébien ; mais avant ? »

Noussommes allés nous purifier à la flamme modéréede Barrès.

La poignéede main plongeuseen cou de cygnede Barrès. Cette poignéede main n'est d'ailleurs qu'un vague attouchement de doigts.

MauriceBarrès en veston à longs poilsen bottinesdéboutonnéesdans un grand atelier de verre et debois.

Barrès: « OuiStendhal commence à m'ennuyermais si j'enpense moins de bienje ne veux pas qu'on en dise du mal devant moi »

8novembre.

Trèsjeuneon a de l'originalitémais pas de talent.

25novembre.

J'ai faitle calcul : la littérature peut nourrir un pinsonun moineau.

30novembre.

Barrèsoublie souvent que ce qu'il appelle dédaigneusement « unrécit » est plus difficile à faire qu'uneréflexion philosophique.

Il y a descritiques qui ne parlent que des livres qu'on va faire.

1erdécembre.

Commec'est vainune idée ! Sans la phrasej'irais me coucher.

2décembre.

Il estmauvais de vouloir plaire aux gens de talent. Quelle chose morteserait une littérature pour plaire à Barrès !

Les gensauxquels on trouve du talent et qu'on ne lit jamais.

Ilconviendrait de mettre sur nos livresau lieu de premierdeuxièmemille : première douzainedeuxième douzaine.

Cet hommea autant d'effets sur lui qu'un oignon de pelures.

3décembre.

Tout celaest bienmais quand irons-nous dans la lune ?

4décembre.

Il étaitsi laid quelorsqu'il faisait des grimacesil l'était moins.

7décembre.

Il n'y aqu'une façon d'être un peu moins égoïste queles autres : c'est d'avouer son égoïsme.

11décembre.

J'avouetrès humblement mon orgueil.

12décembre.

Quand onsort du Théâtre d'Arton a envie d'appeler sa femme labien-aimée de son âme et la bonnefille de Jérusalem.Je trouve ça très dansantle Cantique de Salomon.Théodatqui est une chose de nuancesparaîtgrosgroset l'évêque a la grâce d'une paire depincettes.

Vu Camillede Sainte-Croixune belettequi s'imaginait que j'étais ungros homme brunà fortes moustachesOctave Mirbeauquicherche des chosesle Stryienski de Stendhalqui me remercie avecchaleur d'articles parus je ne sais oùet j'accepte de mêmeces remerciements qui ne sont pas à moi. On me parle beaucoupde mon roman qui va paraîtreafin de ne m'en plus parler quandil aura paru.

14décembre.

Au dînerdu Gil BlasMaizeroyun type de garçon d'honneurJules Guérinun type d'ancien viveur qui sourit à lamanière des sceptiquesd'Hubertun type de gentilhommeaccablé et bébête. Séverine a desresserrements de tout son être quand elle parle des mèresqui ont cinq enfants.

-- ASaint-Étiennedit-elleles couches du sol sont si mincesquesouventles mineurs qui travaillent sous les cimetièresreçoivent sur la tête la poussière des morts.Vous me faites songer à Vallèset vous savez quelculte j'ai pour lui. Ne me croyez pas complimenteuse. Je ne faisjamais de compliments.

-- Il estentendudis-jequ'on ne fait jamais de compliments.

-- Je merappellede vousun article sur Schwob. Vous l'avez tué deridicule.

--Qu'est-ce que vous me dites là !

-- Ouiily a l'ange et le diable chez l'homme. Vous avez fait cet articlecomme un diableet pas comme un bon diable.

ArriveLabruyère qui me dit la même chose ; seulementen vrairastaquouèreil prononce Schwoub au lieu de Schwob. Il a descheveux raidesimpénétrablesqui lui rabattent lesoreilles et semblent sortir de chez un mauvais perruquier.

LéopoldLacour à Vandérem :

-- Je vousadmire. Vous êtes calme et fort. Vous allez droit àvotre but. Vous êtes partoutvous connaissez tout le mondevous n'avez pas un ennemimoij'ai dansé pendant douze anssur les mainsdans les salons de Pariset je ne suis arrivéà rien. Vousvous êtes prudentpoint sauteuret vousarriverez à tout.

Vandéremun Ajalbert distingué :

-- Ditestout de suite que je suis une fripouille !

Labruyèrea son tabac dans une marmite. Quand il bourre sa pipe à toutpetits coups de pouceil parle de Séverine en termesfolichons.

Talmeyrun esprit finméchantcomme les gens qui ont un mauvaisestomac. Il me peint les convives d'un mot sec.

-- Pauwels: une tête de cour d'assises. Il n'y passe pointparce qu'oncroit peut-être qu'il y a déjà passé.Voici le plus gros actionnaire du Gil-Blas : il y a oppositionsur ses titres.

On meprésente. On me présente aussi au président duconseil d'administrationet tous ces vieux m'adressent descompliments sur mon histoire de cabinets bouchés. Peut-êtrequepour réussir au Gil-Blasil faut et il suffit devoir l'humanité en un endroit : le milieudes deux côtes.

Massiac :une poupée de quarante-cinq ansdes gestes menusune barbeénormedes joues qui dépassent la barbe. On s'attend àle voir soudain poser sur la table sa barbeses joues et sa tête.

Bruantl'homme aux bottesau complet de veloursà la chemise rougeune tête de belle vieille. Il hurle ses chansons les mains dansles pocheset donne parfois la sensation du génieenenthousiasmant.

D'Esparbèsmontre ses mollets carréset durset rougescomme des prixd'honneur.

Lacour semet à faire le paillasseà se rouler par terrepourarriversans doute. Des femmes sont assises sur des genouxet des animaux vont surgir des hommes.

Armandd'Artois :

-- Commeje disais à Mendès : « Voyons ! Vous n'allez pasme faire croire que les décadents ont du talentet que leschoses que vous avez prises à Moréas pour L'Échosont bien »Mendès m'a répondu : « Ilne faut pas qu'on les étouffe !... »

16décembre.

Je noteque Barrès n'entretient que les amis qui peuvent lui êtreutiles. Je lui ai présenté Schwobje l'ai fait dîneravec Schwobicietcomme Schwob est directeur du Supplémentde L'Échola suite se devine

Il estbien malheureux que notre goût avance quand notre talent nebouge pas.

17décembre.

En sommequ'est-ce que je dois à ma famille ? -- Ingrat ! Des romanstout faits.

21décembre.

C'est uneerreur commune de prendre pour des amis deux personnes qui setutoient.

22décembre.

Vu ce soirArmand Silvestre. Je n'ai entendu que ce mot qu'il disait au filsSimon :

-- J'ail'oeil fixé sur vous.

Et il luimontrait son derrière.

23décembre.

Vu hierAntoine pour la première fois au Théâtre Libre.Il ressemble au médecin de Barfleur. La Dupe d'Ancey.

-- Jetrouve ça très biendisait Roinardparce que çafait descendre un peu plus bas le naturalisme.

Selon moides mots d'auteur mal préparéspas vraisdes typestrop tranchésun type de viveur qui est un voyoudesactrices qui remuent les poings comme des lapins. Enfindescoupletstoujours des couplets.

-- J'aiété très content de ma soiréeen sommedit Roinard. Le Cantique des Cantiques est une chose nouvelle.Avec Salomon derrière moije n'avais pas peurmais avec toutautre je n'aurais pas osé faire ça. Ma machine desparfums qu'on a tant blaguée (blague de bon aloi !) m'estvenue naturellement. Ça pue le parfum dans le Cantique.Seulementil m'aurait fallu un calorifèretout au moins unpoêleoù ces parfums eussent pu cuire. Au lieu de çaon m'a donné un monsieur avec un vaporisateur dans une loge.D'ailleursquelle soirée ! Tout le monde m'étaithostile. Vous comprenez qu'on sentait là quelque chose deneuf. J'ai peint les décors moi- même : j'en suis de 500francs de ma poche...

-- Quandvous auriez tant besoin de vous acheter un chapeau !

Sonpetit coeur. Encore PierrotColombineArlequin et quel Arlequin! Non ! Non ! Fermez ! La littérature est pleine.

Le petitéphèbe Marsolleau va d'ami en ami.

-- Est-cepas ? C'est gentil. Et puis sans prétention est-ce pas ?

On parledans cette gentille piècede Zanettopour faire pst ! pst !au succès du Passant.

M. et MmeClovis Hugues s'installent au balcon. Aussitôtun nom vient àmille bouches : Morin ! Morin ! C'est beaula gloire !...

Touchédu doigt la galantine d'Ajalbertle hérissement deRodenbach...

VuchezSchwobAndré Gidel'auteur des Cahiers d'AndréWalter. Schwob me présente comme un entêtéinsupportable.

-- Si vousne l'êtes pasdit Gide d'une voix grêlevous en avezl'air.

C'est unimberbeenrhumé du nez et de la gorgemâchoiresexagéréesyeux entre deux bourrelets. Il est amoureuxd'Oscar Wildedont je vois la photographie sur la cheminée :un monsieur à la chair grassetrès distinguéimberbe aussiqu'on a récemment découvert.

Impossibled'avoir Courteline à dîner. Il dîne tous les soirsdans sa famille.

-- Maisdit Schwobvous dînez tous les mardis avec Mendèsc'est encore ma familledit Courteline.

24décembre.

Hierdînéchez de Beauregard. Tout était froidexcepté unsemi-vieuxFirmin Javelqui avait connu Albert Glatigny et enparlait avec chaleur.

Aujourd'huique je viens de toucher 215 francs au Gil Blasje souris aucomptableaux caissiersje suis exquis avec tout le monde. L'hommen'est pas la moitié d'un imbécile.

29décembre.

Il fautpourtant se résigner à produire toujours l'effetcontraire.

Monter àcheval sans étriers sur un serpent.



1892

2 janvier.

Un poëtesymboliste lit à un de ses amis la description d'unemaîtresse.

-- Est-ilpossibles'écrie l'amide massacrer ainsi une femme !

Dire qu'ilnous faudra mourirqu'il nous est impossible de n'être pointnés !

Lesdossiers du jeune conducteur d'hommes. On les ouvre : ils contiennentdes cartes du jour de l'an.

Ah ! sil'on pouvaitmonté sur une chaise coller son oreille àla lune ! Que de choses elle nous dirait !

3 janvier.

Mot demari à une femme : Enfinvoyonscombien as-tu d'amants ?

4 janvier.

Lemouvement de l'artiste qui se retire à pas douxécoutantsi on l'applaudit.

Dis toutce que tu voudras de Boileau : n'empêche que tu le connaistandis queluiil ne te connaît pas.

Tomber surun livre à regards raccourcis.

Raynaudparle de Léon Bloy. Quelqu'un lui est-il présenté?

-- Vousêtes un imbécilemonsieur.

Et ilajouteselon la figure qu'on fait :

-- C'estma façon à moi d'éprouver les inconnus. Jecommence par leur dire des sottises.

Ou bien ildit à l'effronté :

--Monsieurqui voulez me parlerje ne suis pas richeet mes quartsd'heure se payent.

5 janvier.

C'étaitun homme aigri... par le succès.

Jetravaille beaucoup afin queplus tardquand je me retirerai dansmon villageles paysans me saluent avec respectsi je me suisenrichi dans la littérature.

-- LeFigaroce supplément du Mercuredit Rachilde.

6 janvier.

Valletteme dit :

-- Je suistrès heureuxet je vis en ménage comme un petitbourgeois à 1700 francs. Rachilde et moinous nous emboîtonsbiencérébralement. Nous sommes égaux. Lemondeje sais ce qui s'y passele mardiet Dubusce Mercure duMercure m'apporte les nouvelles du dehors. Rachilde est unefemme d'un esprit vraiment hors ligne. Elle ne sait pas le dirigerpratiquer la vievoilà tout. Puiselle a sa légendeque rien ne détruira. C'est au point quedans L'Enquêtede Huretaucun de ses amis n'a parlé d'elle. Ils l'ontoubliée par lâchetésimplement... Schwob serend-il compte que sa nouvelleLa Pesteest dans Edgar Poe ?Est-ce là un curieux cas de réminiscence mêléed'oubli ?

Je vois envous deux Renard : le Renard de la notation directeet le Renard dela déformation des types. Je ferai un article là-dessusetquand je l'aurai faitce sera fini. J'aurai dit tout ce que jevoulais dire sur vous.

Gourmontsubit deux grandes influencescelle de Villierset celle desmystiques latins. Il est d'ailleurs incapable d'expliquer ce qu'ilfait.

QuandMinhar oseraon verra ; mais il a encore peur.

La bouchede Dubus : une bouche articulée pour fontaine publiqued'oùsort un jet continu de paroles.

Personnene lit le Mercurepersonne des lecteurs vulgaires ; mais ilest possible que le Mercure soit un jour une modeet qu'onl'achète comme on va au Grand Prix.

-- Dans LaCave de Bîmeme dit Vallettela cave de Bîme est detrop. Vous avez été trop clair. Pauline devait faire lepari d'aller quelque partjusqu'à la croix par exempleunecroix dont la réputation malfaisante serait excessivementvague. Il est évident quesi vous précisez le dangerle trouble est moindrece trouble si cher à Schwob !

Leclercqpoëte français.

-- Moimedit-ilje voudrais avoir une attitudeêtre un monsieur qu'ondéfinit en trois mots. Je voudrais vivre sans séparerles chosesles concentrer toutes. Je crois aux Idéesavec ungrand Iau Désiravec un grand Den Dieuparce que je leconçois. Je regrette qu'on ne porte plus d'épéeau côtéet j'ai des rêves dramatiques. Vous nenous suivrez pasmais les jeunes hommes de demain seront pour nous.Ils vivront etparce qu'ils voudront le bonheurtout le bonheurils seront heureux. Je fais un roman. Il n'est pas commencémais vous verrez ! Vous me prenez pour un Don Quichottemais je suisun Don Quichotte habile.

Opinion dePrévost sur moià Marcel Boulenger : « Un timideun peu fermé. » Il m'a vu une foisune seconde ! «Du restetout à fait inférieur dans ses Sourirespincéset qui tombera dans le journalisme. »

Je visl'écaillère d'huîtres. Elle les vidait de leureau de mer et y mettait un peu d'eau douce avec une pincée desel. Le public aime mieux çame dit-elle.

Chaudes !Chaudes ! les petites femmes.

Une tuileune élégante ardoise.

Vivre danssa tour de bois.

Bernotmarchand de vins : « Mon cheril y a aussi un côtéartiste dans notre métier : lire sur les physionomies. »

12janvier.

HierauGil BlasAjalbert m'attire dans un coinet ses lèvrespar instant collantes prises l'une à l'autreme fait partd'un grand projet : un périodique fondé par Dentu etsix d'entre nous : Ajalbertd'EsparbèsAllaisCourtelineSchwob et moi. Comme j'espère bien que le projet tombera dansl'eauje promets tout ce qu'on veut...

Échode Paris. Jules BoisFrançois de NionSchwob...

-- Jeferaime dit Schwobun article sur L'Écornifleurlong ou courtoù je prouverai que vous êtes unmystique.

-- Ce seradurdis-je.

A dînerSchwob.

-- Daudetnous a raconté ceci. Il dînait chez Victor Hugo.Naturellementle grand poëte présidaitmais il étaità un bout de tableisoléet les invités peu àpeu se retiraient de luiallaient vers la jeunessevers Jeanne etGeorges. Le poëte était presque sourdet on ne luiparlait pas. On l'oubliaitquand tout à coupà la findu repason entendait la voix du grand homme à la barbehirsuteune voix profondevenue de loinet qui disait : « Onne m'a pas donné de biscuit !... »

LéonDaudetintelligentavec des côtés inquiétants.Il part dans une conversationou file d'un coin de salon àl'autre comme s'il obéissait à un ressort.

-- Jedétestedit Schwobles gens qui m'appellent « mon cherconfrère »qui veulent absolument me mettre dans lamême classe qu'eux.

Il ditencore :

--Baudelairedans une brasserie disait : « Ça sent ladestruction. » -- « Mais nonlui répondait-on. Çasent la choucroutela femme qui a un peu chaud. » MaisBaudelaire répétait avec violence : « Je vous disque ça sent la destruction ! »

15janvier.

Cessoirées chez Daudet ! Ce qu'on y entend de plus intéressant:

Goncourt :« Maupassant a du métier. Il réussit trèsbien la nouvelle normandeet encore y a-t-il dans Monnier des chosesplus drôles que son Cochon de Morin. Mais ce n'est pasun grand écrivain ; ce n'est pas ce que nous appelonsnousun artiste. »

Qui çanous ? Il répète : « Ce n'est pas un artiste »regarde autour de lui pour voir si on protestemais personne neproteste.

Daudet : «Ce qui l'a tuémon cherc'est le désir de faire unlivre de plus que les autres. Il se disait : Barrès a publiéBourgetZola ont publiéet moije n'ai encore rien publiécette année. Voilà ce qui l'a tué... »

La main deGoncourt a une douceur d'édredon humide.

A Parisil y a des cafés où l'on ne sert rien aux femmesseules. Elles sont obligées de dire qu'elles attendent unhommeet les pauvres grues même sont gênées. Hierune actrice du Théâtre d'Artau café Weberquiattendait depuis des heures sur sa banquette avec une autre femmeaprofité de notre sortie pour sortir aussi ; et elle a priéSchwob de faire le simulacre de la reconduire à une vaguevoiture.

21janvier.

Schwob aune manière ingénieuse de prouver qu'il s'intéresseà une conversation : c'est de toujours faire répéterdeux ou trois fois ce qu'on lui dit.

Un beauparleurc'est un homme qui jongle très bien avec des bouletsvides.

25janvier.

Ah ! lesgrands jours de petits ennuis ! Le tire-bouton n'attrape aucunboutonmes bretelles font vrille sur mon dos et ces loquesc'estmes chaussettes. Mes yeux renvoient les imageset tous messens ont mal. Je n'ai plus que le plaisir de dire des paroles dures àMarinette quide peur de m'agacern'ose pas faire un mouvement. Oùest la corne ? Quant à ma cravatedepuis que je suis au mondeje n'ai rien vu de plus grotesque que cette cravate-là. Et lepoids de mes vêtements alourdis m'accable.

26janvier.

Aujourd'huitête en cimentcervelle de plâtre. Pas pu écrireune ligne. Je crache nègre. Je rends du noir comme une seiche.Rien ne m'arriveni lettreni visiteni mon travail. Une traitemêmeque j'attendsne vient pas. Et toujours ce petitbattement à fleur de peau dès que mon vêtement metouche trop. Devant moisur un balconune vilaine petite négressequi secoue des tapis. Pourquoi ne retourne-t-elle pas sa peausapeau de soulier mouillé qui ne veut pas reluire ? J'attendsl'inspirationcomme une pompe. Imiter la natureje veux bienmaisqu'elle commence !

27janvier.

Il fautque l'homme libre prenne quelquefois la liberté d'êtreesclave.

Mot d'unriche à un pauvre.

-- Tenezmon amivoilà un morceau de pain. Il n'y a que le pain donton ne se dégoûte pas.

30janvier.

Schwob medit que Forain est enthousiasmé par L'Écornifleuret que cela laisse loin derrièrecomme cruautéBouvard et Pécuchet pas comme talentbien entendu. Oh! il n'est pas question de talent. Il n'en a pas étéparlé.

Certainesgens voient comme si leurs yeux étaient au bout d'une perchetrès loin de leur cerveau.

Schwob acommencé son journal. Il me lit. Je retrouvemais rédigéesdes choses déjà notées par moi.

RencontréGoncourt chez Ollendorff. Sa figure nous paraît plus fatiguéecomme mâchouillée par le temps. Il affecteen parlantde ne s'adresser qu'à Schwob. Il parle de son Journalquilui attire des ennemissurtout quand il veut être aimable ;mais c'est fini : le reste paraîtra après sa mortdanstrente ansmettons vingt.

-- C'est àvous tuer !

-- On enarrivera làdit-ilsurtout quand l'homme de lettres gagnerade l'argent.

-- Cequ'il faudra fairedis-jec'est la description de soi-mêmecomme vous faites celle des autres.

-- Commentprocédez-vous ? demande Schwob.

-- Monfrère et moi nous écrivionsle soiravant de nouscoucherce que nous avions entendu dans la journée. Dame ! ilfallait veiller. Je n'ai pas dit non plus mes idéespolitiquesmais j'ai une politique très curieuse.

-- Que deconfessions la vôtre va nous attirer ! dit Schwob.

-- Oui !Jusqu'à Gaston Jollivet que je viens de rencontreret qui m'adit : « C'est drôlevotre Journal. Moije vaiscommencer le mien. »

L'Écornifleurva paraîtreet Gloriette me dit qu'elle a rencontré...Mme Vernet. Il paraît qu'elle a engraissé et qu'elleressemble à une boule. Toujours coquette mise à ladernière mode. Sa fille lui vient à l'épaule.

Préfacede L'Écornifleur

Jesupporterais volontiers l'homme qui me dirait : « Regardez !J'ai une belle barbe blonde. » Mais je ne peux pas souffrirl'homme qui me dit : « Vous savezmoije suis honnête.» Je sais que vous commettezcomme moiau moins uneindélicatesse par jour.

Je croistantôt à rientantôt à tout.

Jerépondrai à ceux qui me demanderont pourquoi cettepréface n'est pas en tête du livre : « Le romanimprimé comme il l'esta déjà trois cent douzepages. Ça aurait fait trop gros. Je n'ai pas d'autre raison àdonner. »

Qu'est-cequi nous sauvera ? La foi ? Je ne veux pas avoir la foiet je netiens pas à être sauvé.

Peut-êtrela guerre rarrangerait toutmaissi je reçois une balletouten effetsera arrangéetsi je ne reçois rienil m'aura été inutile de me déranger. Le Journaldes Goncourt a fait un grand mal. Il semble que Barrèsl'ait empiré. Il ne nous reste qu'à recommencer enexagérant.

On a voulufaire jolipuis féroce.

Féroce: des hommes-lionstigres. Comme c'est drôle ! Nous n'avonspas même la bêtise des bêtes.

J'aimeraismieux ma famillesi elle avait commis un grand crime que je pourraisétudier ; maissi j'avais commis le crime moi-mêmealorsle bonheur de ma vie serait assuré.

Poseur ?Pourquoi ?

Ce n'estpas ma faute.

Ce livrefroissera beaucoup de gens. Il m'a froissé moi-mêmecomme si mon âme eût été en papier. Jem'imagine que je n'ai pas été sincère. J'ai tropvoulu l'être pour avoir réussi.

Des amiss'y reconnaîtront. Je pense que j'ai dit assez de mal d'euxpour les flatter.

Et puison vous dit : « Regardez la vie ! »

J'airegardémoiles gens qui vivaient.

Aprèstoutje ne tiens pas à avoir vu juste. Avais-je les yeux sousverre ?

Il mesemble quebien lancéj'écrirais la psychologie d'unchiencelle d'un pied de chaise. J'ai évité l'ennui.

Noussommes tous de pauvres imbéciles (je parle pour moibienentendu)incapables d'être deux heures de suite bons ouméchants.

Si onavait le courage de se tuer !... Au fondon n'y tient guère.

Le devoir?... Ah ! nonlaissez-moi tranquille.

Tout celaest banal.

1erfévrier.

Schwob medit : « Vous serez superbe quand vous serez chauve. »

4 février.

Il seprenait la tête par la nuque et la secouait sur la page blanchecomme pour y faire tomber les mots pas mûrsdifficilementdétachables.

6 février.

N'êtrepour soi pas trop sévèreet n'exiger des autres que laperfection.

9 février.

Darzensraconte :

--Huysmansinvité chez Caze la veille du duelfaisait unethéorie purulente sur tous les platssur le pain sans farineetc. Mme Caze était désolée. Huysmans s'enaperçoit tout à coup et termine : « D'ailleursmadamec'est bien meilleur que si c'était vrai. »

12février.

Il n'y aqu'une chose qui me gênerait : c'est mon propre mépris ;maismatériellementje ne peux pas me cracher à laface.

15février.

On peutêtre un méchant cérébral ; on ne doit êtrebon que de fait.

M.Buchotte père. Parle de sa maladiede son ennuide sa viepassée quand il était instituteurqu'il gagnait 600francsplus 25 comme chantreplus 40 comme secrétaire de lamairiede son passage dans une meunerie où il y avait unemeule de 15 mètres de diamètrede sa femme qu'il aattendue trois ans.

-- Nousnous étions dit que nous serions l'un à l'autre.Voyez-vousc'est le sentiment. Ses parents voulaient lui faireépouser un agriculteur. Elle a préférévenir avec moi. Je ne pense pas qu'ils s'en soient repentis.

MmeBuchotte a la passion de son ménage. Elle chasse le grain depoussièreet en oublie de préparer le dîner.

-- Mabelle-mèreellea la manie des noyaux de pêches. Quandelle en a mangé une belleelle va tout de suite en planter lenoyau. Il y a des pêchers partout. Elle a aussi la manie descitrouilles et des chouxmais elle ne sait pas les planteret ellecroit queplus elle en sèmeet plus il en vient. Il faut quej'en arrache dès qu'ils sortent de terre. Moije taille mesarbres. Je les dirige. Je les pince. Je vois pousser les jeunesbouturesetquand je mange un fruit à tableje peux dire :« Voilà un fruit que je connais. » J'en offre àma belle-mère. Elle n'en veut pasmaisquand ils sont tousmangés elle dit : « Eh ! benoù donc qu'ilssontles fruits ? Je n'en ai pas goûtémoi ! »

« Sij'étais en bonne santéj'irais de droite et de gauchedire bonjour aux vieux amis que je suis resté longtemps sansvoirmais je mangerai bientôt les pissenlits par la racine. »

Il gardeson chapeau à cause des rhumesl'ôte souvent parpolitesseet le remet tout de suite par prudence.

16février.

Marcell'Heureux se présente à moi. Jeune vieillard effaréengoncé dans son pardessusgelé par la (ou sa)littérature.

17février.

Je disaisà Albert que mes affaires marchent.

-- Ah !moi je pousse aussidit-il. Me voilà membre du Grand Cercleet j'espère être bientôt membre du Tribunal decommerce.

18février.

Quand ilse regardait dans une glaceil était toujours tenté del'essuyer.

22février.

Schwobraconte :

-- Mendèsa dit devant témoins : « Je trouve L'Écornifleurtrès bien. Il faut que nous ayons Renard parmi nous.Reproduisez un chapitre dans notre Supplément. »

Moi : «Quel homme de talenttout de mêmeque ce Mendès ! »

23février.

Le gesteembarrassé du monsieur qui aentre le pouce et l'indexquelque chose venant du nez.

Haraucourtayant fait du potin à la première de GerminieLacerteux Goncourt s'écria : « Oh ! moi qui luitrouvais tant de talent ! »

25février.

Çame ferait tant plaisir d'être bon !

29février.

... Nos «anciens » voyaient le caractèrele type continu...Nousnous voyons le type discontinuavec ses accalmies et sescrisesses instants de bonté et ses instants de méchanceté.Cette prétention de faire vraiqu'ont eue tous les grandsécrivainsnous l'avons plus forte de jour en jour. Maisapprochons-nous de la vérité ? Demain ou après-demainnous serons fauxet ainsi de suitejusqu'à ce que cetunivers soit las d'être inutile.

3 mars.

On racontedevant Alphonse Allais que certains poissons vivent à detelles profondeurs que la lumière ne pénètre pasjusqu'à eux.

-- Etmêmedit Allaisil leur pousse des visières vertesunbâton à une nageoireune besace sur le doset ils sontconduits par des petits chiens de mer.

4 mars.

Petitesaménités rapportées sur L'Écornifleur.

-- C'estle livre d'un mufle. -- C'est une insulte à tout ce qui esthonnête. -- Daudet : Où voit-on des femmes raccommoderdes caleçons devant les jeunes hommes -- Goncourt : Maisaucontraire ! C'est très bien -- France à Schwob : Jetrouve le livre admirablemais comment voulez-vous que j'en parle àmes lecteurs !

Petitepiquehierentre Schwob et moiSchwob ne voulant pas que jereçoive les gens que je veux :

-- Quandil y a un tiers entre vous et moiça vous rend méchantet moi aussi.

7 mars.

Schwob usele plus rarement possible de plume. Elles sont salescomme trempéesdans du cambouis« mais » dit-il« la plume quine va pas nous oblige à penser avant d'écrire ».

9 mars.

Hierdîner de La Plume. Raresles figures intelligentesd'hommes intelligents. Des laideurs étudiées comme destêtes de cannes. L'effroyable Verlaine : un Socrate morne et unDiogène sali ; du chien et de l'hyène. Tout tremblantse laisse tomber sur sa chaise qu'on a soin d'ajuster derrièrelui. Oh ! ce rire du nezun nez précis comme une tromped'éléphantdes sourcils et du front !

A l'entréede Verlaineun monsieurqui se prouva imbécile quelquesinstants plus tarddit

-- Gloireau génie ! Je ne le connais pasmais gloire au génie !

Et il batdes mains.

L'avocatde La Plume s'écrie :

-- Lapreuve qu'il a du géniec'est qu'il s'en fout.

Puis onapporte un peu de charcuterie à Verlaine qui rumine.

Au caféon le tire avec des « Maître »« cher Maître» mais il est inquietet demande ce qu'on a fait de sonchapeau. Il ressemble à un dieu ivrogne. Il ne reste de luique notre culte. Sur une ruine d'habit -- cravate jaunepardessusqui doit être en plus d'un endroit collé a sa chair --une tête en pierre de taille de démolition.

Cazals ;Lamartine enfant qui viendrait de faire joujou dans un ruisseau avecdes choses pas propres. Un bout de dentelle lui pend au cou. Une voixpâteuseet des mains molles qu'il faut rassembler par unepoignée de main. Il me dit :

-- Venezdoncque je vous chante les pieds de Péladanpour vous !

Mais j'aibien autre chose à faire. Et puisça me semble sidrôlecomme hommage sympathiquede me chanter les pieds dePéladan !

CharlesBuet : le catholicisme en graisse et en crasse.

Son filsun jeune homme très bienqui a une bagueet qui est heureuxd'avoir ses entrées dans les coulisses de la littérature.

Deschampsprononce mon nom. Aussitôt Scholl se lèvevient àmoi et me ditavec compliments abondants :

-- Hierj'étais dans la loge de Félicia Mallet. Elle lisaitvotre livre. Elle m'a dit : « Mais lisez donc çac'estadmirable ! » Et je suis de son avis. Et puisvous avezrenouvelé un mot. Il va rentrer en circulation. Savez-vous quej'ai dû le chercher dans le dictionnaire ?

Je dis : «Oui ! Oui ! Maître ! Maître ! » Et tous les regardsfixés sur moi sont des flèches de plomb.

On chanteet tous les mac-nabêtis défilent. C'est assommantàla fincette mode de scier du lard gravement.

Deschampsdit :

-- Si vouscroyez que ça m'amuse !

Et cedîner. Les mains noires du garçonles choses noires desassiettesce gigot laineux mangé dans des soucoupes... Willyva faire des provisions chez le charcutier voisin. C'est drôle! Seulementil ne les mange paset les saucissons brandis ne sontque prétextes à clameurs...

Enrevenant avec Rachildenous parlons de ce cerveau incomprisméconnuqu'elle estet de notre stérilité.Étrange ! Il est tel livre qui nous semble beaupour lequelnous avons du goûtdont la lecture nous séduitetcependant nous ne voudrions pas l'écrire. Parce qu'il estinutile d'écrire ces choses-là ? Bien étrange !

-- Alorsdit Remâclevous croyez que la femme est simple ?

-- Maisoui ! Je voudrais fairedis-jeun livre où la femme seraitprésentée comme un être simpleen oppositionavec la femme-labyrinthe de ces dernières annéeslittéraires.

La moraledu dînerc'est que le restaurateur s'est aperçu qu'aumoins seize d'entre nous n'avaient pas payé.

-- C'estbeaule génie ! dit Dubus. Ça donne le droit d'êtreun cochonet d'imposer ses vices et ses poux. On trouve çanaturel.

Ah ! parminos petites gloires lumineusesque de bouts de chandelles !

Les yeuxde Verlaine comme écrasés sous la pierre du front.

14 mars.

Est-ce quele fils de Verlaine ressemble à Rimbaud ?

Valletteraconte qu'étant tout petitpar excès de troubleilessuyait ses pieds en sortant de chez les gens.

Ondemandait à Verlaine :

-- Maîtrepar où avez-vous le plus péché ?

Il nerépondit pasmais il leva l'index et le retourna la pointe enbasdans une direction « parlante ».

-- Il y adans Verlainedit Schwobun honnête hommeun citoyenunpatriotequi croit à l'utilité de sa viedit : «Moij'ai donné de la gloire à la France »etvoudrait être décoré.

15 mars.

Analyserun livre ! Que dirait-on d'un convive quimangeant une pêchemûreen retirerait les morceaux de sa bouche pour voir ?

19 mars.

Mendèsme demande où j'en suis du roman que j'ai promis ; je répondsque je n'ai pas finiet Courteline que je n'ai pas commencé.Étendu sur un divanMendès m'exhibe et me promet dereproduire L'Écornifleur dont Henry Simond me fait descompliments. Schwob se sauve. J'ai bien envie d'êtreailleurs...

21 mars.

Snobisme.Ils sont tous les deuxn'ont pas d'enfantsveulent en adopter unqu'ils sont en train d'idiotiser. A tableil n'a pas le droitd'avoir envie de pisser. La phrase qu'il a le plus entenduc'est : «Georgesne fais donc pas ça ! » Il gâterait soncostume de 80 francs.

En têteà têteMonsieur veut que Madame dîne en robe àqueuedécolletéeavec des fleurs au sein. Il a aussisur l'avenue du Boisla préoccupation que son cheval ne selaisse pas dépasser. Il y réussit etle reste de lajournéeil en demeure « tout raide ».

J'ai enviede faire une monographie de la taupe.

Et sabosse qu'on eût prise pour le carton de son chapeau.

26 mars.

Ilvoudrait donner à manger aux mots dans le creux de sa main.

30 mars.

Un mot deGabrielle Rachilde. Elle appelle une meringue : un gâteau àla coque.

C'est toutde même drôle que je ne puisse pas lire sans bâillerdeux pages de Thackeraydont j'ai l'humourparaît-il.

1er avril.

Renoncerabsolument aux phrases longuesqu'on devine plutôt qu'on neles lit.

2 avril.

AperçuBaju : une réduction de sa légende.

Il a pourlui l'éternitémontre en main.

4 avril.

Ce qui luiferait plaisir maintenantc'est une aventure d'amour.

Écrireun « chant » entre deux amantsoù ils ne diraientpas : « Je t'aime. »

5 avril.

Le momentest venu de se fatiguer des cris des littérateurs contre lalittérature. N'en faites pasc'est simple !

Peindresur toiles d'araignée.

6 avril.

La formulenouvelle du romanc'est de ne pas faire de roman.

Jerencontre Steinlen sur les boulevards. Il me dit qu'il a une petitefille de trois ans. Au milieu de la foule nous parlons gravementenbons pères de famillenous finissons par nous dire quel'enfant moralisedans le bon sens du mot.

Entrédans une boutique d'horloger où deux cents penduleschantaienttoutes ensemblemais pas avec ensembleleur tic-tactic-tac. Les idées du bonhomme devaient être toutes dansun petit coin de son cerveau chassées par le bruitrentréescomme des cornes d'escargot.

Il fautdompter la vie par la douceur.

7 avril.

Faire unarticle sur le Lotisme.

Cent milleâmescombien cela peut-il faire d'hommes ?

OscarWilde déjeune à côté de moi. Il al'originalité d'être Anglais. Il vous donne unecigarettemais il la choisit lui-même. Il ne fait pas le tourd'une table : il dérange une table. Il a une figure pétrieavec de petits vers rougesde longues dents avec des caves de Bîmededans. Il est énormeet il porte un jonc énorme.Schwob a de minces mèches de fouets rouges dans le blanc desyeux. Wilde dit :

-- Loti aimprimé ses aquarelles. Mme Barrès est laide. Je nel'ai pas vue. Je ne vois pas ce qui est laid. Je sais la manièrede travailler de Zolaoui : des documents. Un jourun de mes amislui en a apporté deux wagons. Zola se frotte les mainstermine son livremais mon ami lui en apporte encore trois wagons :Zola dut coucher dehors. Trois cents pages sur la guerre ! Un de mesamis revenant du Tonkin me disait : « Quand nous étionsvainqueursnous avions l'air d'enfants qui jouent à la balle; vaincusnous avions l'air de joueurs qui jouent dans une mauvaiseauberge avec de sales cartes. » Ça m'en dit un peu pluslong que La Débâcle !

12 avril.

Ledocument. Zolapour écrire La Terreprenant unevoiture à l'heure et se faisant promener par la Beauce.

Phraseentendue. « Je suis fils de pharmacienc'est vraimais jem'occupe de littérature et d'art. J'ai même des bibelotsrares chez moi. En un motje tâche de me rendre la vie aussiagréable que possibleet je ne rougis pas de mon père.»

15 avril.

Il avingt-quatre ansil est riche. Il est professeur de languesorientales à l'Institut. Il se lève à troisheures du matinetquand sa tête éclate sur deshiéroglyphesla bonne a l'ordre de lui envelopper le frontdans un linge imbibé d'eau fraîche.

Ilrelisait une de ses pages enfantines. Tout à couppar unmiracle que lui avait gagné sa longue vie de travaililaperçut le petit gosse qui l'avait écritecette page.Il l'embrassa sur sa joue piolée où tombait un mèchede cheveux roux.

-- Maiscomment pouvez-vous l'embrasserpuisqu'il n'est pas là ?

-- Oh !Vous voudriez bien me gâter mon plaisir et éclaircir cequi se passe de clarté. Je ne sais pas si le petit est làmais je sais que je l'embrasse de tout mon coeur.

Pourquoien latin quotquot ne signifie-t-il pas le chant d'une poule ?

20 avril.

Le bravehomme qui invite à venir voir « son groseillier »dans son jardin de banlieue.

-- Vousn'avez que celui-là ?

-- Oh ! ilmangeait les autres.

21 avril.

Sur moil'ennui étend ses branches.

23 avril.

Chaquehomme dans une discussion est nombreux comme les grains de sable dela mer.

Ce sontdes écrivains qu'on ne reconnaît pasqui n'ont pas denez au milieu de la figure.

26 avril.

Un livrenous déplaît partout où il nous ressemble.

30 avril.

L'ironieest la pudeur de l'humanité.

Raffet.Désillusion. Je m'attendais à des effets grotesquegrandiose. Orle grotesquechez luic'est dessin manqué. Ils'ignore. Le reste : photographie de grandes manoeuvres.

2 mai.

Il s'agitquand on est avec un peintrede s'arrêter devant chaque arbrede demander : « Comment voyez-vous ça ? Bleuvertviolet ? » et d'ajouter : « Moije vois ça bleu.»

Surtout sion le voit vert.

-- GeorgesLorindit d'Esparbèsavait un petit jardin en zinc sur safenêtre : il l'époussetait tous les matins.

Il y a unefortune à réaliser : étudier l'oeil du hibou eten faire un semblable qui permettrait de voirla nuit.

HieràSaint-Clouddes couples s'enlaçaient. D'autres couples lesregardaientriaientet allaient se poser un peu plus loin. Dans undécor grandiosesur un des escaliers de verdurede laterrasse qui monte en face des ruinesun joli coupleune petitefemme à tête friséeun jeune homme adroitsefaisaient l'amour en gestes. Cent cinquante personnes échelonnéess'allumaient à les voiret des gens très bienboutonnaient leur pardessustandis que les jeunes filles suivaientle couple en ébatsgravessérieusesun peu pâles.

Ce tableaunous cassait les jambeset nous étions obligés de nouscoucher dans l'herbede chercher des trous frais de grillons. AuloinParis montrait ses dés à jouer. Des arbres bienéquarris montaient et se perdaient dans le ciel. Le jeunehomme et la jeune femme s'aperçurent de l'attentionmaispoint troublésils continuèrent de jouer.

Onentendit une serinette et une voix délicieusement fausse quichantait : « Sylvain m'a dit : Je t'aime. » Un monsieurtenait sur son ventre un gros bouquet blanc. Une femme prit unelorgnette et s'en servit comme au théâtre. Quand ondétournait la têteon voyait les ruines où tantde nuits d'amour avaient si rapidement passé !

Ilsprenaient la coiffure l'un de l'autre. Nous disions tous : «C'est le printemps ! C'est le printemps ! » Etpour nousmoquer de notre mélancolie : « Non ! C'est legouvernement qui paye ce couple pour attirer les bourgeois. Il fautprofiter de cette heure de tendressecardemainnous seronssérieux et froids. » Les mères dont on agaçaitles filles boudaient et ne trouvaient point convenable de ne paspouvoir prendre part à leurs courses.

C'est unetendresse d'occasionune fausse tendresse. Jamais les femmes ne nousavaient à ce point manqué. Pour nous divertirnousessayions de monter jusqu'au haut de la terrasse en dragueursd'unpiedmais nos jambes molles se dérobaient : il fallaittoucher.

Nousavions des brins d'herbe dans les dents.

Nousapportez-vous des solutions d'Au-delà ? Non ? Alorslaissez-nous. Pensez-vous que vous pouvez en trouver ? « Oui. »Vous ignorez donc les limites de votre intelligence. Ne savez-vouspas qu'on ne peut que pleurer sur la mort ?

Et lechien se retira de la chienne comme une carotte rouge d'un pot degraisse.

4 mai.

Elledésirait connaître le prénom de Ravachol.

11 mai.

Schwobraconte :

-- J'avaisà l'hôpitaldevant moiun agonisant quitoute uneheure avant sa mortfaisait un large signe de croix en disant : «J'ai peur ! J'ai peur ! »

Byvanckun homme d'une honnêteté carrée :

-- J'airemarquéRenarddans vos manuscritsfréquent désirque vous avez de vous noyer.

-- Je n'ensuis encore qu'à la pêche à la ligne.

--L'Écornifleur dit Byvanckest un livre nécessaire.

-- Voilàune épithètedit Valletteque nous n'aurions pastrouvée. Pour moic'est un livre d'humour.

-- Non pas! répond Byvanck. Je trouve qu'il rappelle plus Molièreque tel pince-sans-rire anglais. Comme TartuffeL'Écornifleurfait rire avec des incidents tragiques.

12 mai.

Oh ! cesretours de courses au bois de Boulognefigures tristesces cochersblêmesces gens qui se dévisagent sérieusementsans un motenfoncés dans leurs voituresla main du cocherqui se lève pour prévenir le cocher qui suit ! Leschevaux sont les plus gais en agitant la tête.

Les vieuxqui ont leurs filles pour maîtresses. Et grues ! Ces gensreviennent de s'amuser.

Dans unenoceune bonne femme polie dit au cocher qui vient lui ouvrir laportière et abaisser le marche-pied :

-- Nonaprès vouss'il vous plaît. Je n'en ferai rien.

Elle neveut pas descendre avant le cocher !

13 mai.

Un mot deVerlaine au dîner de La Plume.

-- Jevoudrais bien offrir un cadeau à ma petite.

-- Quel ?dit Deschamps.

-- Despommes nouvelles.

-- Je vaisdire au chef qu'il vous en mette quelques-unes dans un cornet depapier

Verlainequelques instants après :

-- Aufaitnon. La petite les mangerait.

Un mot demère. Elle a un bébé de trois ans.

-- Sescostumes me coûtent un peu cherc'est vrai mais il porte sibien la toilette !

Ne jamaisrien faire comme les autres en art ; en moralefaire comme tout lemonde.

14 mai.

S'ilsuffisait de se coller un timbre rare sur le dos pour se retrouver àl'étranger !

18 mai.

Rosny :trente-six ans.

-- Lapetite chose niaise qu'est le symbolequ'on nous cache avec tant desoin ! Maintenanton apprécie les petits jeunes gensnonparce qu'ils ont du talentmais parce qu'ils cherchent « leproblème de la destinée » !

Nousdescendons de voiture.

-- Je necherche pas dans ma pocheRenardparce que je me rappelle les «trois » du Mercure. On trouve ma langue embarrasséemais on ne sait pas que je me retiens. Quand j'ai à décrireun nuageje fais effort pour n'employer que cinquante motscar j'enai deux cents à ma disposition Dans Les Corneilles quiest un sujet de pendule -- mais j'aime les sujets de pendule --j'aidit « la lune dichotome » pour ne pas dire « lademi-lune »ce qui est une image dégoûtante.

-- Ouidis-je. Mais je voudrais vous voir descendre jusqu'à monignorance.

--Huysmansavec qui je suis brouillén'a pas d'intelligencemais j'avoue qu'il a bien rendu ses indigestions. Barrès aussi: c'est l'élève de Huysmans. Seulementil a déposéses indigestions est a raconté les petites merdes de sonâme... Ah ! les fictions ! Quand on pense que des gens ont étécuits dans des fours à cause de l'Agneau ! Les uns disaient :« Le vrai est à Londres. » D'autres répondaient: « Non ! Il est à Berne. » Les Anglais disent : «Ah ! ouiles Français qui aiment leur petit ruban ! »Et ils s'écrasent pour une reine qui est une horreur decuisinièreet ils se lèvent quand apparaît lepetit prince de Galles qui est une horreur d'homme. Si nous avons desfictionsqu'elles soient au moins en beauté !

«VousRenardvous avez une tête de dolichocéphale (etil me palpe le crâneet je crois qu'il me prend la mesure d'unchapeau). Vous êtes de la série des Sterneet Schwob dela série des Hoffmann.

«Tous ceux dont le regard me gênequi m'empêchent deparlerqui me paralysentdeviennent fous. Jean Lorrain est un deceux-là. On ne sait pas comment il finira. D'ailleursil luipousse à chaque instanten divers endroits du corpsdestumeurs étranges.

«Mes légendes. Pour les unsje suis un ancien princepour lesautresun ouvrier qui apprend à écrire -- j'ai déjàvingt-cinq ans d'apprentissage --pour d'autresun communard.

«J'ai le front fuyantmais il y a deux sortes de fronts qui fuient :ceux qui fuient tout de suiteet ceux qui fuient parce qu'on a unrenflement des arcades sourcilièreset c'est mon cas.

«Rosny est un pseudonyme : Henri-Joseph Rosny. J'ai dû leprendre quand je fréquentais les réunions d'ouvriers...Depuis deux ans mon frère travaille avec moi. J'ai desdistractions (il mange sa soupeet depuis quelques minutestient sacuiller en l'airtoute pleine)mais j'en ai la mémoireetlongtemps elles me travaillent.

«Barrès a du talentmais il lui a manqué la tranchede résistancele bon morceau dont il se serait nourripour son oeuvre.

«Quant au petit Renann'en parlons pas.

«Anatole France est un écrivain distingué qui croit queThaïs renferme un symboleet Jules Lemaître refaitce qu'a fait Anatole. »

Le signede nécessité dont des gens comme ZolaGoncourtDaudetvoudraient marquer leur oeuvre.

Un relieurqui se donnait beaucoup de mal pour effacer les dédicaces deslivres. Il les considérait comme des taches.

19 mai.

«Les affaires avant tout »lui dit-elle.

L'artisteest celui dont le goût va plus vite que le talent.

31 mai.

Et nousvoudrions encore sur les boulevards éprouver la joie de toutle monde.

Un coeurde vingt-cinq couverts.

Il n'avaitplus de mémoireetchaque matinil s'éveillait sanssouvenirsjeune comme une feuille verte.

2 juin.

Lespaysans disent : « Il y a tout ce qu'il faut dans notre pays. »Mais il ne leur faut rien.

11 juin.

Le talentc'est comme l'argent : il n'est pas nécessaire d'en avoir pouren parler.

J'ai déjàdes ennemis parce que je n'ai pas pu trouver de talent à tousceux qui m'ont dit que j'en étais plein.

Il luioffrit une petite boîte qui s'ouvrait et se fermaitd'elle-mêmecomme une enquête.

Il estsorti de son caractère en emportant la clé.

A unebonne : « Vous dormez tropma fille. Vous dormez autant quemoi. »

Ilm'invita à déjeuner et me dit :

-- Nousirons au bouillon Duval. Nous irions bien chez Durandmais ce n'estpas la peine que je vous jette de la poudre aux yeux. Ça neprendrait pasavec vous.

Mélancoliquecomme une bûche de bois qui brûle.

Quand jepense quesi j'étais veufje serais obligé d'allerdîner en ville !

Lesgirafes qui font croire au diable.

Dessourires qui sont comme de vilains éclairs de ciels trèschargés.

Le couragede dire au coiffeur : « Je ne veux pas de votre cosmétique.»

L'argentde la lune a perdu de sa valeur.

14 juin.

Lapersonnalité d'une goutte d'eau.

28 juin.

Ceux quiaiment la campagneet qui disent galamment : « Dame Nature. »

-- LaDébâcledit Schwobc'est de temps en temps del'assez bon Reibrach.

29 juin.

Auriol : «A Malakoffje partis comme un chatj'arrivai comme un lion. »

30 juin.

Qu'est-ceque ça prouvele succès ? Faut-il donner les noms deshommes incomprisdes pièces tombéesdes livresdédaignés ?

-- Etpuisvous aurez peut-être du talentun jour.

5 juillet.

Il lisaitun livre. Il voulait être célèbre comme l'auteuretpour celatravailler de l'aube à la nuit ; puis ayantpris fermement cette résolutionil se levaitallait sepromenerfaire un toursouffler.

9 juillet.

Écrireavec des mots recuits.

11juillet.

Remplacerles lois existantes par des lois qui « n'existeraient pas ».

Enmorceauxen petits morceauxen tout petits morceaux.

Commed'autres cherchent à se donner un frontBarrès coupele sien en deux au moyen d'une mèche qui va de gauche àdroite.

Êtreclair ? Nous sommes si peu capables d'effort pour comprendre lesautres !

Chercherdes Mémoires où l'auteur ne prenne pas toujours àtâche de passer pour indépendant.

12juillet.

Quand elleavait pris ses belles résolutions d'économieellecommençait tout de suite par refuser aux pauvres.

« Eh! bienmonsieurqu'est-ce que dira mon mari quand je lui répéteraice que vous me dites ? Car il faudra que je le lui répète.»

Des brastrop courtset une poitrine si fortepour se laver les mains.

13juillet.

C'estépatantça ! Dire que jamais un homme ne s'est suicidépour moi !

Il luisemblait que le bouchon de sa ligne était le monde.

--Voulez-vous que je vous dise ? Eh ! bienvotre originalitévous tuera.

-- C'estbien possible.

A vingtans on pense profondément et mal.

Elle pâlitcomme une feuille qui se retourne.

L'art dese faire des rentes avec son désintéressement.

Lesescargots au cou de girafe

Despommiers coiffés de blanc comme des chefs de gare.

Liberanos ab Hector Malot.

Heureuxles gens qui peuvent dire : « Je vais à la Banque deFrance ! »

Quand nosconfrères ne sont pas là et que nous lisons du Mussetnous nous sentons tout de suite émus. A la véritési l'on y regarde de prèsces vers paraissent mal faitsetloin de la perfection moderne. C'est donc quelque chose de biennuisibleque la forme.

16juillet.

On luiavait dit qu'une écriture montante était un signed'aveniret il signait de la cave au grenier.

20juillet.

Le Racinesur la table de Verlaine.

-- Unmatindit Schwobje suis allé chez Verlainedans uneauberge borgne. Inutile de vous la décrire. Je pousse laporte. Il y avait un lit moitié boismoitié ferunpot de chambre en fer plein de choseset ça sentait mauvais.Verlaine était couché. On voyait des mèches decheveuxde barbeet un peu de la peau de son visagede la cired'un vilain jaunegâtée.

-- Vousêtes maladeMaître ?

-- Hou !Hou !

-- Vousêtes rentré tardMaître ?

-- Hou !Hou !

« Safigure s'est retournée. J'ai vu toute la boule de cire dont unmorceauenduit de bouela mâchoire inférieuremenaçait de se détacher.

«Verlaine m'a tendu un bout de doigt. Il était tout habillé.Ses souliers sales sortaient des draps. Il s'est retournécontre le muravec ses : Hou ! Hou !

«Sur la table de nuit il y avait un livre : c'était un Racine.»

Schwob medit encore :

--Demandez donc à Barrès la mort d'Hennequin. Il aime àla conter. Elle enseignedit-ilqu'Hennequin était une âmechastepourquoi Odilon Redon fait de mauvais dessinset que MmeHennequin avait un coeur à l'antique.

Hennequinvoulant se baigner dit à Redon :

-- Vous neme regarderez pas.

-- Je neregarde jamais ce qui est nurépondit Redon.

Il tournale dos et demeura longtemps immobile. Cependant Hennequin se noyait.

Quand onrapporta son corps à la maisonMme Hennnequin dit :

-- Voilàune fleur coupée.

25juillet.

Il estsourd de l'oreille gauche : il n'entend pas du côté ducoeur.

Des arbrestaillés en caniche.

Au banquetde la Plumeprésidé par ZolaRetté luidisait :

-- Je voustends la main. Nous sommes ennemismais je vous tends la main.

Et Zolarépondait :

-- Moijevois ce que vous voulez faire. Je le ferai moiquand j'aurai finimes Rougon.

Et Rettéreprenait :

-- Je necrois pas.

L'immoraliste.

Il poussede l'herbe à mon porte-plume.

Une peaud'arbre.

Toute savie il ne fit que couver.

Il necoupait pas son bléde peur d'abîmer les marguerites.

26juillet.

Il avaitune petite perruchegrosse comme un serin qui venait à tablesur son épaule et lui mangeait les cheveux. C'est ainsi qu'ildevint chauve.

27juillet.

L'incompréhensibledit toujours : « Mais tu ne comprends donc rien ! »

Lesfeuilles mortes du style.

3 août.

Il n'y aplus de place que pour les oeuvres de pure imaginationavec un hérosde génietrès fort à l'épéeauchevalau canotetc.une sorte d'OEil-de-Faucon pour ville.

Sil'inspiration existaitil faudrait ne pas l'attendre ; si ellevenaitla chasser comme un chien.

Yaurait-il moyen de reprendre Les Cloportes en style direct. Jedirais : « Mon pèremon frèrema soeur ».Je serais un personnage d'observation : je ne jouerais aucun rôlemais je verrais tout. Je remarquerais que le ventre de la bonnegrossit. Je dirais : « Qu'est-ce qui va se passer ? »J'observerais les têtes. Je dirais : « Pan ! Voilàque maman veut mettre la bonne à la portemaintenant ! »Greffer l'histoire de Louise sur l'histoire d'Annette. C'est moi quifournirais les accessoires. Ce seraient les souvenirs d'un enfantterrible. Je dirais « J'ai reçu une calottemais j'aibien ri. » Faire très gai de surfaceet tragique endessous. Ma mère ne s'aperçoit de rien. Elle bavardetant !

J'auraisainsi Poil de Carotteou l'enfanceles Cloportesadolescenceet lL'Écornifleurvingtième année.En faire une satire intime. Je fais Ksss ! Ksss !

J'ai aucoeur comme le reflet d'un beau rêve dont je ne me souviensplus.

5 août

Un instantsupposez-le mortet vous verrezs'il n'a pas de talent !

Je vouscroyais mort ! Enfince sera pour une autre fois.

24 août.

Il luisuffisaitpour se donner le droit de paresse qu'une mouche se posâtsur sa feuille de papier blanc. Il n'écrivait pasde peur dela déranger.

31 août.

Titre : Unmari en couches.

Ma têteest une fleurmais une fleur montéeet elle doit avoir unfil de fer dans la gorge.

Telleprose de vieux chroniqueurc'est de la graisse pour la machine dujournal.

8septembre.

Je veuxmoi aussijouer l'automne sur mon flûteau et tous les arbress'agitent aux carreaux avec des geste de serpents. On dirait qu'ilsattendent que je leur ouvre la fenêtre. D'abordles feuillesse décrochentet je vois des choses qui sont restéescachées tout l'été. Je m'achète cinquantelivres de boiset je m'offre un hiver de quarante-huit heures.

Le cri dela pie : gerrregégé.

Chaquefois que le vent souffle dans une cheminéPoil de Carottepense à son enfance.

Il dormaità poings fermés pour cause de décès.

10septembre.

La peur del'ennui est la seule excuse du travail.

19septembre.

Êtregaminet jouer tout seulen plein soleilsur place d'une petiteville.

22septembre.

Le dînerdu Journal. Tous ces gens avaient un traité (àproposoù en est le nôtre avec la Russie ?) qui leurassurait à chacunchaque jourla première colonne dela première page. Un calculateur habile établit quesion réunissait bout à bout les copies d'une annéeelles s'étendraient du restaurant à la prise deConstantinople

AlphonseAllais écoutait son voisin en dormant. Maurice Barrèscherchait des idées générales dans laConversation de Méténier qui lui disait merde. BernardLazare promenait sa figure pareille à un abcès prêtà percer. D'Esparbès monta sur une table et dit sonfait à Caïn. Les ventres haletaient comme la mer sur lerivageetau dessertplusieurs se reboutonnèrent.

Notredirecteur se leva. Il lut des dépêches oùquelques conviés s'excusaient de ne pas venir parce qu'ilsallaient ailleurs. Il nous assura que le succès du Journalétait entre nos mains et qu'il ne fallait pasen nous suçantles doigtsles ouvrirde peur de le laisser couler.

D'aimablesparoles comme des écuyères crevaient le papier mâchédes figures.

De nouveaules mains se cherchèrent. Elles frissonnaientinquiètesvoltigeaient de l'une à l'autrese serraient. Un monsieur lesdonnait sans rien dire : il ne recherchait que le nombre. Je netrouvais pas le sens de ces poignées de main. On m'affirma quece devait être le grand critique de la maisonet je comprisqu'avec plus d'opiniâtreté que les autres il s'essayaitdéjà à de légers étranglements.

On meprésente un monsieur qui me félicite d'avoir écritdans Les Soirées de Médan !

-- Iln'aurait pas signélui dit d'Esparbès.

Hugues LeRoux m'a rencontré chez Mme Adam. Ah ?

Il paraîtc'est Paul Adam qui l'affirmeque Francis Vielé-Griffin faitcollection de tout ce que j'écriset il jouit de me lireàla campagneavec des amis.

24septembre.

Il estdans la maison sur un doigt de pied.

28septembre

Il avaitla peur du travailet l'ennui de ne pas travailler.

Il eut unegrosse joie et vécut dessus jusqu'a sa mort.

Quant àl'horizonil était extraordinaire : on ne le voyait plus.

Ilpleurait à verse.

Des idéestrempées dans l'encre.

Faire unesérie d'histoires indiennes dans un décor moderne.

30septembre.

«C'est Mirbeaudit Capusqui a fait de Paul Hervieu ce qu'il est.Hervieu ayant fait une plaisanterie sur Jules Ferry qui se trouvait àla table voisineMirbeau lui dit : « Vous êtes profond.» Il lui fit entendred'ailleursqu'il ne savait pas écrireetmêmequ'il n'avait pas de talentmais il lui dit : «Vous êtes profond. » Etdepuis ce tempsHervieudontla destinée première était d'être gais'applique à être profond. Il fait des chosescontorsionnées. Il passe à côté de songenre. »

3 octobre.

M. ErnestRenan étant mortquelques jeunes gens se demandent avecinquiétude ce que nous allons devenir. On se passe d'avoir lafoi. Je voudrais entendre un homme souffrir du doute comme d'unpanariset crier de rage. Alorsje croirais aux douleurs morales.

Etmoiaussij'ai été voir Renan.

4 octobre.

Dans lesfoules serréesla sensation qu'on est regardé au creuxdes oreilles.

5 octobre.

Amitiémariage de deux êtres qui ne peuvent pas coucher ensemble.

La mortdes autres nous aide à vivre.

7 octobre.

Il fautcéder parce qu'on est le plus jeune. C'est comme quand on estl'aîné...

Bienveillantpour l'humanité en généralet terrible pourchaque individu.

Courtelinevoulant entraîner Schwob dans la littérature gaie !

Schwobunhomme de la pâte des Taine et des Renan.

Lejournalisme clarifie Barrès.

La clartéest la politesse de l'homme de lettres.

Lorrain medit :

-- Je mesuis fait broyer les poignets. Ce soirje ne sens plus rien. Je peuxm'enfoncer des aiguilles.

Sa boucheest pleine d'l mouillées.

--Ecrivez-vous vos mémoires ? lui dis-je.

-- Ceserait trop triste.

Il rêved'une courtisane virginaledont le corps saurait toutet qui auraitun lys dans le cerveau.

--Voltaire a toujours écrit la même lettredit PaulArène.

Et moi :

-- Renanest l'exemple de ce qu'on peut faire sans style.

PaulArèneironique :

-- Non !Il n'a pas l'écriturela calligraphie artiste.

10octobre.

Fortétrangece que nous raconte Capus.

Il aparticipé à toutes sortes de folies.

Il a vécuseulune annéeen pleine campagnesans dire un mot. Il nevoyait qu'une bonne femme qui lui portait de temps en temps un peu denourriture et à laquelle il ne parlait pas. Sur la routeàtrois kilomètresil n'apercevait que de rares passants.

Montjoyeuxet lui vont chez un ami qu'ils ne trouvent pas. Ils n'ont pas de quoipayer leur retour. Ils rencontrent une île sur la Marne et yvivent jusqu'à ce que le crédit leur manque : dix-huitmois. Ils pêchentcanotentne s'ennuient pas. Parfoisilscernent un vague pêcheurjouent aux corsairesle fontprisonnierl'emmènent dans leur îlel'enferment dansun grenier où il n'y a que des faux chevaux et lerelâchent au bout de vingt-quatre heures.

Aprèsdouze ans de folies de ce genreCapus réunit ses créancierset leur dit

« Jevous donnerai mille francs par mois. »

Au mois demars prochainil sera « neuf » comme la premièrefeuille qui naîtra. Il a épousé sa maîtresseet maintenant tous les joursde bonne heureil a envie de dormir.

Il va chezJules Guérin. Il le trouve assis à une petite tableenpantoufles tout nuune ceintureun bonnet d'âne sur latête...Dans un coinune petite femme qui fumait une cigarettele surveillait.

Leur étatnormal était l'ivresse. Ils pouvaient se réveilleravecchacunun petit garçon dans leur lit sans se rendrecompte de ce qui s'était passé.

Ilsattachent avec une ficelle un homme qui dort sur un banc.

Montjoyeuxet un autre avaient une femme de ménage à qui ilsdonnaient à boire. Un jourils rentrent saouls. Ils broientdu tripoli dans du vinaigreet le font boire à la femme quimeurt. Ni le médecinni personne ne remarque qu'elle a étéempoisonnée. On la conduit au cimetière pieusement etsans remords...

Verlaineah ! ouiun Socrate particulièrement boueux. Arrive sentantl'absinthe. Vanier lui donne cent sous contre reçuetVerlaine reste làcausebafouilleparle par gestesparfroncements de sourcilsavec les plis de son crânesespauvres mèchesavec sa bouche où habiteraient dessanglierset son chapeau et sa cravate de boîte àpoubelle. Parle de Racinede Corneille « qui commence àbaisser ». Il dit :

-- «J'ai du talentdu génie. Je suis un homme chic et pas chic »se révolte parce que je lui dis :

-- Etl'affaire Remâcle ne va donc plus ?

Demandeavec des redressements de corps :

--Pourquoi ? Je veux savoir pourquoi !

Me traitede curieuxd'inquisiteuret demande qu'on lui « foute un peucette bougresse de nom de Dieu de paix. »

Me souritme parle de ses élégiesde Victor Hugode Tennysonun grand poëteme dit :

-- Je faisdes vers d'homme à homme. Je cause en vers.
Les élégiesc'est beauc'est simple. Ça n'a pas de forme. Je ne veux plusde la formeje la méprise. Si je voulais faire un sonnetj'en ferais deux.

Me dit :

--Monsieur est donc riche ?

Sedécouvre jusqu'à terrem'offre de m'accompagner aucoinregarde son absinthe avec ses yeux doués de voixlaregarde comme le lac des couleurs et me dit quand je paie :

-- Je suispauvre aujourd'hui. J'aurai de l'argent demain.

Tientferme au creux de sa main la pièce de cent sous de Vanierditpetit enfant :

-- Je vaisêtre sagetravailler. Ma petite femme viendra m'embrassersans doute. Ça m'est égal d'être dans la merdepourvu qu'elle mange du homard.

Bafouilledégoûtecramponnefrappe du pied maladivement pours'assurer qu'il est deboutaime Vanier.

-- On atort de me pousser contre lui. Il ne gagne pas beaucoup avec moi !

Dèsqu'il a le dos tournélui montre le poing :

-- Cochond'éditeur ! Je suis le pis de Vanier.

Une misèrepénible. Comme je prends du quinquinail dit :

-- Ah !oui : quin qui n'a rien.

Et ilgrince comme une hyène rit.

Discourtsur le « Rodrigueas-tu du coeur ? » et « De cettenuitPhéniceas-tu vu la splendeur ? ».

13octobre.

Je ne faispas de versparce que j'aime tant les phrases courtes qu'un vers mesemble déjà trop long.

15octobre.

HierSchwob avait toutes sortes de sourires fins. Nous nous disputions. Ilsouriait à ma femme et avait l'air de dire : « Quelentêté ! Est-il ridicule ! » J'avais une forteenvie de lui donner un coup de pied dans la figurecar Marinettepoliment souriait aussi.

Ah ! lesculs de bouteille de la vie !

20octobre.

On sedégoûte de bien écrire.

Je piqueindifféremment de petits faitset je me suis habitué àleur morphine.

Une phrasebattant neuf.

Et lesidées que je me fais sur les prêtres de campagne ! Lesbonsles vieux !... Mais ils doivent être bêtes commeune soutane vide.

21 octobre

Jamais iln'avait écouté chanter les oiseaux. Il n'en rougissaitpas.

24octobre.

On voulutdonner à une rue le nom de cet enfant du villagemais àquelle rue ? A vrai direil n'y en avait pas. On songea àdébaptiser le village.

La bonnedupe que serait celui qui s'efforcerait d'être tout seuldansla vieun ami sûr.

26octobre.

Parfoisil se croyait un grand artistevoulait dompter la vieetpataudne parvenait à faire que de lourdes bêtises.

Pouratteindre la réalitéil procédait par rêveriessuccessives.

L'homme devraie gloirec'est celui qu'on connaît et dont on n'a jamaisrien lu. Les « trompettes de la Renommée » ne nousont clamé que son nom.

On dira delui que c'était le premier des petits écrivains.

27 octobre

-- Je lisdans le feudit-elle.

Et lui :

-- «Voulez-vous que j'allume un incendie ? »

Ellesétaient si petitesles maisons de mon village que jerevoyaisqu'il me semble que j'allaisdu bout du doigtécrireles lettres de mon nom sur la neige de leurs toits.

L'Herbe. Traiter ça en style direct comme L'Écornifleuret faire de moi l'Émile du roman.

28octobre.

La rarela courte joie de sentir qu'on se perfectionne un peu chaque année.

Lemonsieur qui nous dit : « Et moi aussij'ai passé parlà ! »

Imbécile! Il fallait y rester : alorstu m'intéresserais.

MauriceBarrèsmenacé d'un article éreintant de LéonBloyquidit-illui fera beaucoup de tort en provinceva demanderà Schwob s'il connaît Bloy.

-- Parcequedit-ilje veux le faire assommeravant l'articlepar deuxhommes que je payerai. Je serais chagrin s'ils se trompaient.

Schwobémerveilléachète la photographie de Bloy etl'envoie à Barrès.

Fanatiqueslugubres. Hieralléspar une pluie criblanteaux courses duVélodromesachant qu'il ne pouvait pas y avoir de coursesentréssachant qu'il n'y avait personnenous êtreassis sur l'un des bancs vides des tribunes et avoir regardédeux heuressans nous parlerla piste larmoyantesûrsqu'aucun coureur ne viendraitrepartis contents de nous et souriantfollement.

Lesvalseurs tournant sur leurs gonds.

4novembre.

Elle a desdents qui valent leur pesant d'orexactement.

Unevariété de l'homme de lettres est le monsieur «qui fait des travaux ».

Unerougeur s'épandit sur sa joue comme du vin dans un verred'eau.

9novembre.

Celui quin'ose pas prononcer les mots anglais.

12novembre.

Lepapillotement des paupières de Schwob quand il ment.

14novembre.

Claudel ala tête de son livreune tête d'ordes traits burinésau charbon. Par exempleil m'embarrasse fort quand il m'affirme queje représente pour lui « le goût français».

-- L'hommeque j'aimeraisdit-ellec'est celui qui m'apporterait un billet dethéâtre tous les joursà six heures et demie.

Une oie aucol de cygne.

Un fruitsi beau qu'il a l'air faux.

18novembre.

Il devaitparfois écumer ses idées bouillonnantes.

19novembre.

Unelittérature de crabe.

-- J'adorela neigedit-elle.

Son visageexprimait de l'enchantement. Il était ce qu'on appellepoétique. Elle ajouta :

-- Ouij'adore la neige. Je trouve ça épatant.

Elleregardait la neigede toute son âme blanche.

21novembre.

Rachildeme dit cette idée :

DécrireDieu selon la traditionlui accorder toutes les infinitésqu'on lui prêteen ayant soin de changer quelques métaphoreset terminer par : « Ainsi c'est Dieu. Il y en a encore un autreau-dessus de luimais on ne le connaît pas. »

24novembre.

Ne plussourire que d'une lèvre.

Leséclairsqui sont comme les traces d'une griffe invisible.

1erdécembre.

La fenêtretire la langue d'une descente de lit.

2décembre.

Le féroceest tant à la mode qu'il en devient fade.

5décembre.

Lemonsieur qui demande :

--Êtes-vous mariée ?

-- Oui.Voulez-vous que je vous apporte mon livret ?

-- J'aimeautant ça. J'ai été pincé une fois. Je neveux pas l'être deux.

Il lit lelivre et dit :

--Maintenantasseyez-vousmadameet mangeons la soupe.

-- Schwobdit Boulengera l'air d'un oeuf dur sans coquille.

6 décembre

VuFrançois Coppée qui dit à Lauzecomme undébutant :

-- Jecrois que mon article fera du tapage.

Il mecomplimente sur ma « campagne du Journal »ettrouve Poil de Carotte méchant et fort heureusement mangépar des écrevisses.

Se dressercomme un crapaud sur une pelle chaude.

12décembre.

X...arriverait à me dégoûter de Flaubert par lacaricature qu'il en est.

Hier soirdîné chez X... qui faisait encore sa têteet dèsle potage nous nous regardions en dessousetà chaque platnouveaunous nous espionnions comme des Apacheset sans doute nouspensions l'un de l'autre :

«Tiensc'est à cette sauce-là que je voudrais te manger! »

Ilcouchait sur ses phrasesmais il y dormait.

Il n'apour justifier la supériorité littéraire qu'ilse croitque le mal qu'il dit impunément de Georges Ohnet oude Sarcey.

Vous jouezau jeu innocent de vous demander ce qu'il restera d'eux dans centans. Maisde vouscher ami que reste-t-il à présent ?

Dans unsilence de l'orchestre on entendit une voix qui disait :

-- Oh !moije les préfère au beurre.

J'ai voulusavoir si je l'aimais encore : j'en ai le coeur net.

14décembre.

Zolan'écrit pas une phrasedit Claudelmais une page.

Il venaitde trouver une nouvelle définition de la vie.

21décembre.

Entendu authéâtre d'Ibsen :

-- Commec'est beau !

-- Vadoncvieux cochon !

-- Quelledrôle de famille !

-- Commentdes yeux de poisson mort peuvent-ils effrayer ?

-- Ah !l'intelligence est supérieure à l'esprit.

-- Ouimais la foi est supérieure à l'intelligence.

-- EnFranceil n'y a plus de foi.

-- Maisc'est l'art de se faire des concessions en ménageça.

23décembre.

Que laplus pure lumièrepassée comme un lait aux plis de mesrideauxs'égoutte sur mon papier !

Comme jelui avais ditun jour : « Il ne faut pas chercher midi àquatorze heures »elle me ditun autre jour :

-- Si j'aibien comprisn'est-ce pas ? il n'y a rien à comprendre.

Et lesheures où l'on ne voudrait écrire que de la musique !

On peutdire de lui qu'il a un caractère... officiel.

-- Ce quej'aime liredit Schwobce sont les choses imprimées avec destêtes de clous sur du papier à chandelles.

31décembre.

Les lunesvertes d'hiver.