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Jules Renard


Journal
de Jules Renard
1905-1910

 

1905

1erjanvier.

Huot estparti furieuxmais il reviendramort ou vif ; etdans quatre anson verra : M. Renard ne sera pas toujours maire ! Les petits garstrouvent déjà que ça va mieux. M. Royle nouvelinstituteurdonne des bons points. Il constate que les petits nesavent rien.

Les Huotont laissé l'école en état de saleté.Luicrasseuxpas raséen pantouflesle jour d'un mariage.Elle sent la chemise salene se nettoie jamais les dents.

Le poëtePonge va reprendre la plume : les nationalistes relèvent latête !

L'argentil l'appelle « le numéraire ».

Sa maisonest terminée : quatre piècesdont une pour le four oùl'on « trafique ».

-- Vousavez un premier étage ?

-- Oh ! çane se fait pas chez nous. Les gens de Germenay disent qu'ils en fontfairemais c'est par vantardise. Ils disent que c'est un premiermais c'est un grenieret ça leur sert de grenier.

Je lui aifait donner les palmes. Il dit aux gens de son village :

-- Mesamisles palmes me font bien plaisirmais ce n'est rien àcôté de vos félicitations.

L'espritinquiet mais clairvoyantc'est-à-dire actif et saindel'homme qui ne travaille pas.

Le poëtePonge me dit :

--Quelques personnes m'ont dit qu'on ferait mieux de m'offrir un bureaude tabac que les palmes académiques. Moià cause demes enfantsje préfère les palmes. Le bureau de tabacje ne pourrais pas le tenir moi-même parce que mon travail deschamps m'en empêcherait ; s'il fallait le faire tenir par unautrele gain n'en vaudrait plus la peine.

Ragottem'a apporté de l'eau chaude. Je lui dis :

-- Mais labouillote fuit !

-- Oh ! jele sais biendit-elle.

Le médecinlui a dit de prendre chez le pharmacien de la denrée qu'elleboira. Elle profitepour se coucherd'un instant où je nesuis pas dans la cuisine. Dans le coinelle ôte sa jupemetson bonnet. Je vois ses pieds nus dans ses savates.

Leur maniede cacher qu'ils sont malades. Leur ignorance en face de la maladie.En dehors de « J'ai mal aux reinsje ne peux pas dormir nimanger »ils ne savent rien.

Cetteodeur de peau raclée de gens qui ne se lavent jamais.

Philippe.Ses oreilles gèlentcuisent et pèlent.

Toute lacampagne tremble de froid.

Il veut sefaire enterrer civilement.

--Faudra-t-il parler sur la tombe ?

-- Parlezsi vous voulez ! Je ne vous répondrai pas.

Causerie àMarigny sur Victor Hugo. Je demande s'il faut continuer. J'entends :« Oui ! oui ! Toute la nuit ! Toute la nuit ! »

Le froid.Les cartes de l'école dans l'ombre. L'unique lampe. Tousdebout autour du poêle.

Le poëtePonge me présente et lit un papier. M. Roy ne me fait pas decomplimentsmais il a entendu un tel « qui parle bien aussi ».

-- J'aifroid.

-- C'estla saison qui veut çadit le riche.

Hiver. Desvitres dessinées par Vallotton.

Le ventlui-même a gelé.

La glacerépandue sur le pré comme des glaces brisées.

-- Oh !vousme dit-ilvous avez vite fait de venir !

Comme sij'allais plus vite que le train.

Ilsveulent voir l'âme du feu.

Le feu debois qui s'éteint à chaque instantqu'il fautsurveillerleur tient compagnie.

La vache.Il faut lui donner à manger en trois fois ; sinonde tout sonfoin elle ferait une litière. Ce n'est pas comme le cheval.

7 janvier.

On parlede Syveton. Elle aussi se rappelle avoir étépetitefillepoursuivie par un homme tout décolleté du bas etqu'on appelait l'homme au nez rouge.

Coolusraconte que d'Annunziolors de sa première visite àSarah Bernhardts'arrêta à quelques pas d'elle et ditcomme inspiré :

-- Belle !magnifique ! d'Annunzienne !

Aprèsquoiil dit :

--Bonjourmadame.

--Qu'est-ce qu'il faut vous souhaiter ?

-- Je nesais pasrépond Guitry. Tout !

La viesimple. On a besoin d'un domestique pour fermer les voletspourallumer une lampecomme si l'honnête homme ne devrait pastrouver du plaisir à ces menus travaux de ménage.

Ces heuresoùje ne sais pourquoij'ai envie de me punir.

9 janvier.

Jaurèsdit que Syveton n'avait aucun intérêt à se tuermaisà y regarder de prèsouien cherchant bienontrouve que nous avons tous un intérêt quelconque ànous tuer.

Socialisteil n'en coûte rien de l'être par raisonmais lesentiment ruine. Le socialiste par raison peut avoir tous les défautsdu riche ; le socialiste par sentiment doit avoir toutes les vertusdu pauvre.

On peutaujourd'hui arriver au socialisme après le succèsquand on est sûr d'avoir du talentcomme on allait autrefois àla Trappe.

-- Je suisplus sûr de Jaurès que de moidit Blum. C'est un hommed'une probité absolue.

Il atoutes les audacesmais il est pudique. Les gros mots de Viviani lechoquent. Il ne peut pas s'y habituer.

Il vit dela vie de famille. Sa femme ne le comprend pasmais elle est fièrede lui comme serait la femme d'un receveur ou d'un sous-préfet.Le baptême de leur fillec'est la victoire de cette femme etde sa mère. C'est peut-être le résultat decertaines conditions au mariage.

Il estdans une situation fausse et se surmène pour s'y maintenir.Tout le monde profite de lui pour faire ses affaires. Les socialistesle trahissentet les républicains l'exploitent.

-- C'estun grand écrivaindit Léon Blum.

-- Ouidis-jec'est un homme de génie. Il ne lui manque que d'avoirécrit quelques poëmes en prose. Par ce travail délicatil aurait appris à se défier de son abondance.

Capusgrisonnejaunitengraisse et se plaint. Il trouve déplorablesles moeurs de la critique dramatique. Il ne parle pas encore decelles du théâtre.

On le ditcommanditaire de Guitrycommanditaire du futur théâtrede Le Bargy.

Il estperdu pour nous. Je me sens gêné avec lui : j'ai l'aird'un reproche.

Quand jepense que je ne serais peut-être pas socialiste si j'avais pufaire trois actes !

Slaves :des gens qui écrivent entre les lignes au lieu d'écriredessus.

J'aime :beaucoup regarder les visages des jeunes femmes. Ça m'amuse dedeviner ce qu'elles serontdevenues vieilles.

12janvier.

AuthéâtreBaïe voudrait jouer les rôles defemme de chambre : on n'a qu'à apporter les biscuits.

Bourgetpsychologue ! Mais lisez donc une page de Tristan ou de moi !

Une flammebrille-t-elle pour cuire un pot-au-feu ?

Un nez quiprise : une poudrière.

13janvier.

Dans moncoeur froidquelques rares jolis sentimentscomme des oiseaux auxpetites pattes sur de la neige.

-- C'estimbécilecette pièce !

-- Allonsdonc ! Si elle était de moivous la trouveriez trèsbien.

Et unappétit ! Des foisil me semble que je digérerais monestomac.

Pourquoil'acteur à qui on apporte une carte ou une lettre dit-iltoujours : « Qu'est-ce que ça peut bien être ? »au lieu de regarder et d'ouvrir ?

Femmesauxquelles on apporte des hommages respectueuxet on est obligéde les remporter.

Avez-vousremarqué quelorsqu'on dit à une femme qu'elle estjolieelle croit toujours que c'est vrai ?

--Qu'est-ce que vous reprochez aux femmes ?

-- Je lestrouve bêtes.

--Quelques-unes.

-- Toutes! Toutes celles avec qui j'ai causé.

-- Vousn'avez jamais eu avec une femme de conversation intéressante ?

-- Oh !si.

--Spirituelle ?

-- Oh !oui.

-- Alors ?

-- Alorsça ne prouve rien en faveur des damescardans ces sortes deconversationsc'est moi qui faisais tous les frais.

16janvier.

Rostandavait un cocher attaché à sa personne. Il étaitplein de pitié pour lui. Quand il soupait après lethéâtreil lui était insupportable de penser quele cocher restaitdehorsà la pluieau froidàminuit et plus. Ça lui gâtait tout. Alorsil luifaisait porter un grog et dire de rentrerqueluiprendrait unfiacre.

Une nuitle cocher entra au café et dit à « monsieur »qu'il le quittait. Il était vexé de ne pas êtrepris au sérieux.

20janvier.

Il estaussi amusant de réduire sa vie que de la dilater.

21janvier.

Al'Oeuvre. La Giocundad'Annunzio. Un beau couplet sur lesmarbres blancsetencoreparce que nous croyons queles marbresc'est plus chic que des pierres de taille.

DerrièremoiLéon Blumau premier acted'une fadeur !... donne lesignal des applaudissements. A l'entracte :

-- Renardn'aime pas çadit-il.

-- Non.

-- C'estd'une grande beauté lyrique.

-- Jetrouve ça nul.

-- Vousavez l'air en colèredit-il.

-- Ouiàcause de votre enthousiasme.

Il meprouve qu'il y a entre nous des abîmesque d'ailleurs je netiens pas à franchir.

Secondacte. J'applaudis le couplet sur les marbres. Dans sa loge Mendèsdit : « Que c'est beau ! » et applaudit avec sa canne.

-- Ah ! Ah! Pourquoi applaudissez-vous ? dit Blum.

-- Parceque je trouve ça bien.

Al'entracte :

-- Ouidis-je. Le couplet n'était pas mal. D'Annunzioje ne leconteste pasa le sens d'une certaine beauté plastiquemaissa beauté morale me laisse froid. Ses douleurs ne me touchentpas. Je me fiche de son sculpteur.

-- Vousvous retenez.

-- Non. Jeproteste contre votre enthousiasme pour cet Italien quand nous avonsun Victor Hugo qui nous donneà chaque pagevingt beautéscomme celle des « marbres ».

-- Ouimais il faut monter jusqu'à Victor Hugodit-ilet d'Annunziovient après.

-- Bienaprès ! dis-je. Et je lui préfère un GautierunBanville.

-- Nonnon ! dit Blum.

-- Dumoins un Baudelaireun Verlaine.

Comme jeme retourneje heurte la canne de Blum qui en appuyait la poignéesur sa bouche. Ça lui fait très mal.

-- Vousavez des dents de cassées ?

-- Nonmais la lèvre coupée.

-- Je suisdésolé ! Mais vous ne devriez pas porter ainsi votrecanne.

-- C'estvraidit sa femme.

Puis ladiscussion recommenceplus aigre.

-- Vousavez lu la pièce ? me demande-t-il.

-- Nonmais j'écoute

-- C'estplein de choses délicieuses.

--Lesquelles ? Citez-m'en une.

-- Je neme souviens pasdit-il. D'ailleursces acteurs jouent mal.

-- Je nepense ni ne sens comme vousparce que vous êtes un hommeintelligenttropet que l'homme trop intelligent est mauvais.

-- Oh !pourquoi ? dit Mme Blum

-- Quelleniaiserie ! dit-il.

-- Pas dutout ! Pour n'être jamais pris de courtvous vous forcez àtout comprendre. Vous êtes en proie à toutes lesémotions. Votre intelligence vous fait faire des chosescharmantesmais elle vous égare et l'on devine que vousdiriez le contraire avec la même intelligence.

Alceste.

Si j'encrois le ruban qu'il porte sur l'épaule
Il obtintlepremierle mérite agricole.

Willy ontbeaucoup de talent.

24janvier.

Ilfaudrait faire partie d'une ligue tout seul.

Il y a deshommes auxquels il suffit d'avoir des cors aux pieds comme tel hommeintelligent : ils croient par là lui ressembler.

Unprotestantc'est un homme qui s'arrête au milieu de la route.

J'ail'esprit anticlérical et un coeur de moine.

Une espècede monstre bouffi avec un seul sourcil pour deux yeux rougesdescheveux comme un hérisson pommadéune large boucheetbouffiet ventruet des bagueset pas très propre. Il croità la guigneaux pressentimentsau monde des invisiblesauxséries de suicidesà la fatalitéà uneespèce de justice immanente.

Il vapublier un livre de verset il me demande des noms de critiquesinfluents. Il est las d'être regardé comme un poëteamateur.

Est-ce queRostandsi j'intervenaisne pourrait pas lire son recueil et diretout haut qu'il est bien ?

Il n'a pasbesoin d'argentmais il voudrait un peu de gloire.

Il publieson livre à compte d'auteuret il en donnera le plus possibled'exemplaires afin de n'être pas humilié parce qu'il enresterait chez l'éditeur.

26janvier.

Ils ontété dresséset bien dresséspar despatrons rosses. Ça se reconnaît tout de suiteet ils ensont fiers. Ils ont un peu l'orgueil du soldat qui manoeuvre biensous les ordres d'un sale capitaine « avec qui ça barde».

Ilsméprisent un peu ceux qui ne savent pas commander.

Aprèsun long monologue où je lui explique la vieoù il m'aécouté bien attentivement jusqu'à en avoir leslarmes aux yeuxFantec me ditd'une bonne grosse voix de grand gars:

-- Jesorspapa. Je te rapporterai ton pot à colle.

Un pot àcolle que je lui avais demandé la veille.

Un froidqui me venait de l'intérieur.

27janvier.

Rapidecomme la pensée du zèbre.

Gagner sagloire à la sueur de son front.

28janvier.

Le chatendormibien boutonné dans sa peau.

29janvier.

Parcequ'elle est aussi grande que moiBaïe dit qu'elle peut liretout ce que j'ai écrit.

Mariagecivil : il y a des gens qui ne se croient pas mariés.

En 1792quand on décréta qu'il y aurait des officiersd'état-civilil y eut des gens qui ne crurent pas leursenfants nés.

Le théâtreamuse l'esprit : il ne doit pas le préoccuper.

30janvier.

Certesily a de bons et de mauvais momentsmais notre humeur change plussouvent que notre fortune.

Je suis unsectaireje l'avoueet je ne respecte pas ce que je trouve idiot.

31janvier.

Au Louvrej'achète une « Palme » pour le poëte Pongemais j'ai bien soin de montrer que je suis chevalier de la Légiond'honneur.

L'ennui defaire perdre son temps à un vendeur qui ne trouve pas ce qu'ilvous faut.

Quelqu'undemandaità l'enterrement de Louise Michel :

-- Est-cepour lui faire honneur qu'il y a tant de troupe ?

Capus estun penseur : il cite Pascal.

Moineauxau bord du tuyau de cheminée : ils n'osent pas entrer.

Unmonsieur et une dameépouxqui avaient l'air de faire letrottoir chacun pour son compte.

La beautédu pot-au-feu. Carottenavetoignonclou de girofle plantécomme un clou dans l'oignonaillaurierpoireau dans sa ficellefeuille de céleri.

-- Ouidit Marinette avec fiertéet tout ça bout comme unministère.

1erfévrier.

Prendre latempérature d'une femme.

2 février.

Certainespièces vont à la centième avec une rapiditéqui bouleverse l'honnête notion qu'on peut avoir du temps.

7 février.

Notrenouvelle bonne. Une fille d'ordre et d'argent. Elle a 600 francs àla Caisse d'épargne. Elle travaille chez les autres depuisl'âge de treize ansmaistant qu'elle n'a pas étéà Parisc'est-à-dire jusqu'à vingt et un ouvingt-deux ansson père lui a pris toutes ses économies.Aussice n'est pas elle qui leur enverra un sou.

-- Mamèredit-ellen'est pas heureusemais elle est bête.Elle s'est trop laissé mener par mon père.

Elle estdégoûtée des enfants. Impossible de coudreaveceux ! A chaque instant il faut aller les torcher.

Elle n'ajamais eu la chance d'être chez une femme qui lui donne sesnippes.

8 février.

Promenadesavec Marinette. Un vieux avec son domestiquehabillé enbourgeoisqui marche à côté de lui et un peu enavant.

Unevieille damel'air idiotcoiffée en mousquetaire.

Des arbrestaillés qui n'ont que les os et la peau.

Cetteimpression brusque qu'on a de rêver. Qu'est-ce que cette ville? Ces gens qui se promènent ? Toute la confiance qui voussoutient d'ordinaire et vous permet de vivre vous quitte.

C'est uneheure de printemps.

On voitdes pauvres petites femmes bien laides qui sont tout de mêmeenceintes.

Il y a depauvres gens qui tiennent à Paris comme si c'était unvillage.

9 février.

QuandMendès n'est pas sûr de ce qu'il admireil s'en prendaux ironistes.

11février.

Rêve.Alorsje me sentis tout à coup l'âme d'un collégienet je vous dis :

-- Nousavons une classe de mathématiquesce soir. Elle m'ennuie. Jen'irai pas. Je resterai avec vous.

Oh ! votrejoli sourire !

Jem'éveillai et fis de vains efforts pour maintenir votre imagequi s'effaçait.

Vous avezacheté une boîte où il y avait des cerisesellesétaient joliesmais la boîte ne faisait pas bien.Alorsvous avez mis sur les cerises le noeud de votre chapeau.

Ah ! Je neme souviens plus. Si ! Attendez.

Et puisje ne me rappelle pas. C'est le réveil. Vous mourez de monréveil.

Ouioui !Ca ne veut rien diremais c'était du bonheur doux et fincomme la lumière.

Jedonnerais bien des jours de réveil pour une nouvelle nuit dece soleil-là.

Oh ! vousétiez plus jolie que vous n'êtesplus jeuneplusfraîcheplus fine. Vous marchiez à peineet votre voixn'avait pas de son. Seul je l'entendais.

Vousm'avez répondu par un sourire qui se fondait avec la gaietédes choses.

Je vousdonne rendez-vous dans mon prochain rêve. Ditesvous viendrez?

Je ne mesouviens plus. Si vous croyez que c'est facile !

13février.

Lajeunessec'est l'ignoranceet je sais bien mieux qu'à vingtans que je ne sais rien.

L'ombred'un chat a l'air d'un tigre.

PourtousserPhilippe se cache derrière sa main ; maisàla veilléequand nous causons familièrementil metses pieds nus sur ses sabots.

Un soleilavec abat-jour.

Eternelrhume de cerveau dans la poitrine.

Voyage àChaumot du 16 au 20.

La natureest d'une finesse !... On dirait une esquisse de nature.

Lescorbeaux sont comme des choux rouges gelés par l'hiveretMarinette n'avait jamais vu la campagne toute blanche de neige.

Draps delit froidshumides. On se couche avec son tricotson caleçonses chaussonssa robe de chambreet on grelotte toute la nuit.

La rivièrefume de froid.

Lesvillagesque ne cachent plus les feuillesont l'air de dire : «A la bonne heure ! On respire. »

Le poëtePonge conférencier.

Une lampesur la chaireune trentaine de paysans assis sur les tables.

Il est enblouse. Il parle de la gaieté gauloise. Il lit mal des chosescopiées. Euxils comprennent et rient. Ils comprennent mieuxque moi.

Ils'arrête.

-- Pendantque je me reposedit-ilchante-nous donc une chansonPierre.

Pierre enchante une où brille l'étoile de l'amour tandis qu'ilcherche les lèvres d'une femmequi sont des fruits.

PuisPonge lit du Rabelaismaisà cause de Marinetteil necontinue pas : c'est trop cru.

Le poêleéteinton gèle.

Il lit unepage de moisans me nommer« une page d'un auteur bien connu»dit-il. Il aurait mieux fait de me nommer.

Le poëtePongequi me remercie à peine de sa palme d'argent -- ilcroit que j'en peux remplir mes poches au Ministère --me dit:

--Maintenantce qu'il me faudraitc'est un bureau de tabac.

Je ne saisqui lui a mis en tête qu'il pourrait en avoir un. Un bureauqu'il louerait pour quelques centaines de francs. Ecoeuréjeme fâche et lui dis de ne pas compter sur moi.

Il aimesurtout à écrire le soir quand ses enfants dorment etque sa femme veille chez la voisine.

Un diamantque les dames riches ne peuvent garder à l'oreillec'est lagoutte d'eau.

Immobilitésommeil profond de la nature : le chant du coq monte tout droit.

-- Je nepeux pourtant pas me tuer ! dit Honorine. Ça ferait dudéshonneur à la famille.

Lesjardins sont semés de foetus.

On a dûlui couper une jambe. Comme elle aau cimetièreuneconcession de trente ans pour son beau-pèreelle y a faitdéposer sa jambe.

Ce n'estpas un pied qu'elle a déjàelledans la tombe : c'estune jambe.

22février.

Aujourd'huireprise de Poil de Carotte.

Enmatinéeà Clunyà La Femme au masquej'avais à ma droite une vieille femme qui ressemble àma mère. Elle écoutait la pièce comme si je l'yavais amenéecomme si ç'avait été lapièce de son filsc'est-à-dire sans témoignerd'émotion.

Commed'habitudeen partantje ne lui ai pas dit bonsoir.

24février.

Elle vients'accouder aux fauteuilsdevant moi.

-- Puisquevous ne venez pas me voirdit-ellec'est moi qui vous fais unevisite.

-- Votremari n'est pas là ?

-- Non.

-- Vouslui raconterez la pièce ?

-- Un peu.Oh ! Je ne suis même pas son inspiratrice. Nonce n'est pasmoi qui l'inspire.

-- Vousvoulez dire que c'en est une autre ?

-- Je lecrains.

-- Oh !dis-jeje ne le saluerais plus.

--Pourquoi ?

-- Parcequemoiqui me suis donné pendant dix-sept ans la peine derester fidèle à ma femmej'ai le droit d'êtreplein de mépris pour un homme qui ne resterait pas fidèleà la sienne... Combien ?

-- Pastrois ans.

-- Vous lecalomniez. Il travaille.

-- Oh ! Entout casil maigrit.

Je laregarde. Comment lui reviendrait-il ? Elle a l'air d'un pauvreparapluie. C'est très joliune compagne intelligentemais ilfaut que ce soit une femmeavectout de mêmeque diable ! unpeu de ce qui est nécessaire pour faire l'amour.

Uneouvreuse vous met votre parapluie mouillé dans la manche devotre pardessus.

25février.

L'idéeprête à s'envoler comme un moineau au bord d'un toitetqu'on retient.

27février.

Mort deSchwob. Eclosion de souvenirs.

On sereconnaît si peu de droits au bonheur qu'on a un peu hâteque ça finisse.

Lafacilité avec laquelle les enfants se débarrassent dessouvenirs qu'on leur a donnés.

-- Mais ceportrait de Poil de Carotte faisait biendans la chambre !

-- J'aimemieux quand le mur est nudit Fantec.

Les joursoù il semble que tout le monde ait envie de mourir.

Schwobmorton dit de lui ce qu'il méprisait quand il l'entendaitdire des autres.

Il savaitVillon et les contemporains de Shakespeare : on dit que sa scienceétait infinie.

Mortiladit-oncet air en colère de certains morts qui s'en vonttrop jeunes.

28février.

Uneactrice tombe à genouxmais elle a eu la précaution des'y mettre de petits coussins d'ouate.

1er mars.

Enterrementde Schwob. Pourquoi les hommes de lettres ne font-ils pasde leurvivantles discours qu'ils désirent entendre aprèsleur mort ? Ça leur prendrait cinq minutes de leur vieavantla mort.

A cause deVillonil habitait rue Saint-Louis-en-l'Ile. Quelqu'un demanda àun fruitier de cette rue :

-- Quiemmène-t-on ?

-- Unpoëtedit le fruitier.

Ce quirésume assez mal Schwob.

M. Croisetfait un discours banalmais le son de voix fait aimer ce vieuxprofesseur.

Inquiétuded'avoir un chapeau melon ; il est vrai que Jarry a une casquettegarnie de poils.

Prèsde la tombele Chinois de Schwobhabillé en civil.

GeorgesHugol'airdéjàd'un vieux beau qui serait maladroità se faire une tête.

Dans uncaveau provisoire on descend Schwob. Il descendil descend jusquedans l'autre monde.

«Faites-moi un bout de conduite : ça me sera trèsagréablemaisje vous en suppliene restez pas découvertssi vous avez peur d'attraper un rhume. S'il fait beaun'apportez pasvos parapluies. Des couronnes ? Enfinsoits'il y en a une delaurier.

« Etpuisne prenez donc pas ces airs tristes qui vous enlaidissent !Prenez garde de me ressembler !

« Etpuisne dites donc pas que j'avais toutes les qualités ! Voussavez bien que nonmieux que moi. Surtoutne dites pas que j'avaisbon caractère. D'avoir bon caractèrece n'est pas unevertu : c'est le vice éternelet vous savez bien combien jedétestais qu'on m'embêtât. Soyez émussivous pouvezquelques-uns. Que les autres soient souriants etspirituels ! »

Etpourquoi n'applaudit-on pas à un discours funèbre ? Çàne gênerait pas le mortqui est sourdet ça feraitbien plaisir à l'orateur qui ne sait que faire de ses feuillesmanuscrites quand le voisin lui rend son chapeau.

Henri deRégnier me dit que Mallarmé ne comprenait pas qu'on pûtécrire les mots « Dieu » et « coeur ».Dieudans une phrasefait l'effet d'un caillou dans une toiled'araignée. Coeur évoque sans doute une image tropmatérielle.

Feu. Debleus oiseaux de feu voltigent sur le charbon.

Un arbretout muscles.

2 mars.

Je viscomme un vieux. Je lis un peu des journauxdes morceaux choisisj'écris quelques notesje me chauffe etsouventjesommeille.

6 mars.

Les femmescherchent un féminin à « auteur » : il y a« bas-bleu ». C'est joliet ça dit tout. A moinsqu'elles n'aiment mieux « plagiaire » ou «écrivaine » : la rime n'aurait rien d'excessif.

Je veuxfaire rire : les femmes ont plus de talent que nous. Je propose dedire « madame »afin qu'elles gardent quelque chose deleur sexe.

LesVentres dorésde Fabre. C'est très bien. C'est dufootballdu théâtre extérieur« du grandthéâtre »comme dit M. Brissonoù il fautcrier comme à des sourds des banalités de répétitiongénérale. Montrez-moi l'âme d'un financier sivous voulez : je me moque de sa jaquette.

Capus :beaucoup d'espritun peu d'imaginationun peu de goût pour lamesuresinon pour la vérité.

Je ne suisplus capable de mourir jeune.

Au coin dela rue de Vienneau moment où Marthe Mellot va monter dans unfiacresa voilette se détache. Je m'élance. Athisoccupé à l'installerne me suit pas.

Lavoilette court sur le trottoir et va se coller aux mollets d'unmonsieur. Avec ma canne je veux la saisirmais je prends le molletdu monsieurqui se retourneépouvanté. Je lâchela canne. La voilette passe et se sauve. Je vais la laisser : elles'arrête. Je cours : elle s'envole. Elle me mène ainsijusqu'au pâtissier Doret. J'y renoncequand elle se colle auventre d'un monsieur qui l'attrape et me la donne.

Jereviens. Un monsieur -- est ce lui que j'ai failli précipitersur le trottoir ? -- m'offre gracieusementavec un indulgentsourirema canne qu'il a ramassée.

Marthe setord dans le fiacre. Athis est narquois.

Elle neremet pas sa voilette qui a traîné partoutet elle vasans doute la jeter tout à l'heure.

La vien'était déjà pas si gaie ! La religion a fait dela mort quelque chose de terrible et d'absurde.

Un voyaged'un an ou deux au Pôle Sud rend un homme célèbre.Il est vrai qu'on peut y rester.

Il fautvingt ans à un pur artiste pour se faire un nomet il peut yrester aussi.

Printemps: art nouveau.

7 mars.

La vie aun petit goût de liqueur fine.

Schwob : «Ne dites donc pas que j'avais trente-huit ans : j'en avaistrente-neuf. Maintenantj'ai l'éternité. »

Le petitJosephle petit gars de Philippeest mort hier soir. Encore un quise fout de l'immortalité !

Aveugles.On leur fait étudier de la musique de sourds.

« Etne dites donc pas que j'étais toujours de bonne humeur ! Jen'avais pas une nature de cette banalité.

«Dans un journal propreécrivez quelque page sur moi : çafait toujours plaisir ; mais que cette page ne m'ennuie pas et soittelle quevivantj'aurais pu la lire sans me moquer de vous. Un peud'espritet même de méchanceténe la gâterapoint. »

[En marge: « Testament. Je le signeraimais une croix suffirait.»].

9 mars.

Silencesindiscrets des diplomates.

Regarde !Regarde !

Tous lesraisonnements ont été faitsmais tout n'a pas étévu.

Verrai-jemourir un à un tous les personnages de mes livres ?

Elle a vuun tableau représentant l'Inquisition. Elle dit :

-- Unhomme couché. On lui enfonce des coinson lui brûle lespiedspendant que des moines lisent leurs journaux.

Hervieun'écrit plus pour son compte personnel. Savamment etpesammentil traduit je ne sais quel Tacite qu'il voudrait être.Il se sert de toutes les tournures de phrase qui embrouillent. Il metde l'acharnement à n'être pas clair. Si l'on avait peurde luicet homme-là nous semblerait très fort.

Casernes.Les autres maisons ne sont pas gardées : un concierge suffit ;etdevant celles-là qui sont pleines de soldatson met unfactionnaire pour les garder !

13 mars.

Avec sessouvenirs d'enfanceRestif me donne l'idée d'écrireles amours du jeune Poil de Carotte.

Elletrouve que la mort est une des plus grandes tristesses de la vie.

Lesmoineaux disent de nous : « Ils construisent des maisons pourque nous puissions faire nos nids dans les murs. »

14 mars.

Blum parlede la bonté de Schwob. Schwob était un égoïstecomme les autres : qu'il me tire par les piedssi je mens !

Dans notreaffection pour un Juifil y a un peu d'orgueil. On se dit : «Comme je suis généreuxde l'aimer ! »

Un arbreporteà branches tenduesune bande de pigeons.

Fantec etses idées de bronze.

Pigeonsqui couchent tous les soirs aux Tuileries.

15 mars.

Le nuagelaisse traîner ses cheveux de pluie.

Ouic'estintéressantce que fait la mortmais elle se répètetrop.

Un hommede lettres qui serait poliqui répondrait à unelettreà l'envoi d'un livrene se croirait pas célèbre.

Le bonsens qui dispense de savoir.

Ce que lesoleil peut faire d'un vieux mur pelé !

Rayons desoleil : toutes les aiguilles du temps.

Ecrirel'histoire du mois qui vient de finir. On ne reconnaîtraitpersonne.

Le travailest un peu une prison : que de jolies choses qui passent il empêchede voir !

Journéeperdue à rêver à ce travail remis d'heure enheure. Des notesquelques trouvailles peut-êtredu superflupas le nécessaire

J'envieMarinette : elle a fait notre soupe.

Je n'airien fait. Siseulementj'avais planté des clousfendu unpeu de boissemé des carottesécritsur quelquesujetquelques lignes qui paraîtraient demain et me seraientpayées quelques sous ! Je n'aurais pas rien faitje n'auraispas perdu ma journée.

Onsupprimepour travaillerles obligations de sa vie. Plus unevisiteplus un repas au-dehorsplus d'escrime ni de promenade. Onva pouvoir travaillerfaire de belles chosesetsur cette grandefeuille grise qu'est une journéel'esprit ne projette rien.

Hervieufait des efforts désespérés pour mal écrire: il y arrive.

J'aisupprimé brusquement des choses que j'aimais beaucoup : lesversl'escrimela pêchela chassela nage. Quandsupprimerai-je la prosela littérature ? Quandla vie ?

Nuits sanssommeillongues nuits où le cerveau s'illumine comme unegrande ville. Et quel beau défilé de rêves qu'oncroit vivants ! Venu le matinils ne sont plus. Balayeurimpitoyablele réveil a tout poussé à l'égout.

Un modéréc'est un monsieur qui s'occupe modérément des intérêtsd'autrui

Féminisme.Ouije crois qu'il est convenableavant que de faire un enfant àune femmede lui demander si elle veut.

Asseyez-vouslàet expliquez-moi la vie.

LesJaponais ont rejeté le catholicismece qui ne les empêchepas de flanquer une belle pile aux catholiques Russes.

17 mars.

Unjournaliste de La Patriecol de fourruresouliers jaunesuntic stupide à la face.

-- AvecJaluzot comme commanditaireme dit-ilLa Patrie est unjournal stupidemais il faut bien vivre ! Je voudrais faire duthéâtre.

Il avingt-quatre ans. Je me lève et « regrette de prendrecongé ».

Je lui aidit que les paysans se marient souvent par amouret il imprime justele contraire.

20 mars.

Ils sepassionnent pour des grues ou pour des financiers de théâtreet ils trouvent que l'âme d'un paysança ne dit rien.

21 mars.

Dansl'ombreil reste des hommes remarquablesles premierspeut-êtrequi se défient d'eux-mêmes et qu'on n'utilisera jamais.

22 mars

Printemps.La fumée qui sort des toits est couleur de pervenche.

23 mars.

Au Jardind'acclimatation. Le coeur des feuilles se déroule.

Le papaquià sa petite familleannonce les animaux d'aprèsles étiquettes qu'il lit de loin

L'énormezébu suit sa femelle etde temps en tempsse lève surses pattes de derrière et darde une longue flèche rougequi n'atteint pas son but. Voluptueux spectacle quand on est avec unejolie femme qui rougit un peu. On va voir les phoquesparce qu'ilssont tout prèsmais on regarde du côté du zébuetdu coin de l'oeilon guette une flèche neuve.

Lespanthères : frottement amoureux de tapis. Elle grogne etcherche à agacer le mâle dont la superbe indifférencel'irrite. Elle rentre dans le rochersortpasse devant le nez dumâle qu'elle chatouille se couche sur le ventrepuis sur ledoset se retourne. Luise dresse et va s'asseoir sur elle ; maiselle fait la coquette farouchegronde et montre ses dents. «Elle ne sait pas ce qu'elle veut »semble penser le mâlequi va reprendre sa placecollé à la grilleennuyéet rêveur.

L'ourss'amuse avec son platfait de belles galettes liquidesjaunesets'assied dedans.

Le chevalnain« le plus petit qu'on ait trouvé »expliquele vilain nain qui le garde. Quoique petitil est bien fait. Lenainune bague au doigtest heureux d'avoir un cheval à sataillemais il est encore plus fier de faire aller et venir lagirafe derrière sa grille en l'appelant « Paule ».

Un nain :une poire qui se serait racornie en pomme.

Tous cesoiseaux étranges donnent envie de voir un merle.

Le mâletoujours plus beau que la femelle.

Au milieude ces oiseaux exotiquesles poules ont l'air de braves honnêtesfemmes.

Au moindrerayon de soleilun aigle se cache dans un coin d'ombre de sa cage.

Le cygneau ventre plat semble glisser sur l'eau comme sur une table. Il fautle voir filer quand un petit canard lui flanque une poursuite.

Plantes deserre : plantes à l'hôpital.

25 mars.

Toujourspeur de la vieetquand elle a passéje ne peux plus endétacher mes yeux.

26 mars.

La Dusedans La Femme de Claudeune pièce où Dumas filsa été particulièrement toc.

J'attendaisla mélancolie souffrantela finesse : c'est de la forceunpeu celle de Guitry. Jeu de brasjeu de mains. Une Réjaneplus puissantemoins les trucsetà ma surprisebeaucoupd'attitudes théâtrales.

Les hommesjouent comme des hommes plutôt communsmais vrais ; ils sontmoins acteurs que les nôtres.

Cela megêneque la Duse aime ce rôle grossier de femme fatale.Serait-elle plus actrice que femme ?

Elleapplique un bon gros baiser bien sonore sur la bouche de l'hommequ'elle veut pour amant. Du baiser silencieux où ellesinsistentnos actrices ont fait quelque chose d'assez répugnantet dont on attend la fin avec quelque haut-le-coeur.

Nousvoulons de la vie au théâtreet du théâtredans la vie.

Rirediscret comme celui d'une personne qui vient de perdre quelqu'un desa famille.

Joues enacajou.

Fantec medit :

-- Leprofesseur n'était pas content parce qu'un élèvedans un devoiravait tapé sur Dieu.

29 mars.

La Dusedans La Dame aux camélias. Dans la nuit de la salleles uns s'énerventles autres dorment.

Cettefemme est vraiment une harmonie. Tout le premier acte est unecaresse. Elle a une façon de séduire sur des coussinset de se cacher la tête dans un oreiller !...

Elle n'estpas contente. Elle trouve le public froidla recette insuffisanteles rappels pas assez nombreux.

-- Si vousm'aimiez déjàdites-moicomme au théâtrequelle robe je portais le premier jour que vous m'avez vue.

-- Est-ceque je m'occupe de ça !

Claretieune belle vie pour un discours funèbre.

30 mars.

JacquesRichepin attrape Gregh quidans son livre sur Victor Hugon'a pasdit un mot de Jean Richepin« le plus admirable poëtelyrique après Victor Hugo ».

Une femmedit :

-- Moij'adore la mythologie.

J'ai vucinquante piècescet hiver. Il n'y en a pas une que jevoudrais avoir essayé d'écrire.

Mendèsconfond « ingénu » et « puéril ».

1er avril.

Théâtre.J'y aurai peut-être dépensé le meilleur de monindignation.

Boylesve.Je le croise. Faut-il passers'arrêter ? A l'effort que jefais pour m'arrêterje glisseet il n'en faudrait pas pluspour me casser une jambe.

-- Je vousaime et je vous admire...

Querépondre ?

Il me ditque Rebell est mort de misère au milieu de 40 000 francs debeaux livresdont il ne voulait pas se séparer. Il avait lafoi luxurieuse : il officiait.

On s'aimebien. Au revoirjusqu'au prochain hasard !

2 avril.

Et puisj'ai peut-être assez lu.

5 avril.

La Duse.Beauténoblesseintelligence. Son visage ne « se gèle» jamais. Dans la pièce de Goldoni elle a la figurespirituelle : elle ne fait pas de l'esprit avec sa figure.

Elle a debelles toilettesmais elle pourrait faire des économies surl'article.

Quand ellequitte la scèneelle sort : elle ne s'arrache pas.

L'envien'est qu'une peur de voir de la beauté qu'on ne pourrait pasréaliser soi-même.

Avril.

Capus.Piégois. Une scène va aux nues ; naturellementc'est la plus artificiellemaisquand un acteur est violentlepublic ne résiste pas : il admirenon de confiancemais depeur.

La langued'amour est créée depuis longtempsla langued'affaires ne l'est pas. Qu'un homme veuille coucher avec une femmeil trouve moyen de le lui direet presque tous les moyens sont bons; il dit n'importe quoi : c'est suffisant. Qu'un homme d'affairesveuille en rouler un autreça se passe dans la niaiserie. Leplus fort est aussi simple que le plus faible. Quoi ! C'est çales affaires ? S'il s'agit d'un gogoouimais c'est un banquier quiveut rouler un directeur de casino. Le banquier montre un vaguepapier. Guitry jette un vague coup d'oeil et dit : « Moi nonplusje ne suis pas une bête. » C'est tout. Nous avonsassisté à une lutte terribleetsi nous ne sommes pasémus...

Mendèsentre dans la loge de Guitryembrasse Capus et dit :

-- Vousn'avez jamais rien fait de plus fort ! etc.etc.

Edwardss'écroule dans un fauteuil.

-- Ah !que je suis content ! C'est moi qui l'ai trouvéinventécrééce Capus.

Capus :

-- Foutonsle camp ! Foutons ce camp qui n'a peut-être pas étéfoutu depuis hier soir.

Il dit àGuitry :

-- Votrechemisier est ignoble. Ses cols ne me vont passes poignets ne mevont passes mouchoirs ne me vont pas.

Ainsijeviens de faire ce matin un plan de comédie dramatiquededrameen trois et même quatre actesqui me fait pleurer detendresse.

C'est trèsamusantde faire un plan de piècemaisquand il fautl'écriresonger que c'est pour un théâtrepourdes acteurspour l'ignoble publicon pense à autre chose.

Ne baisejamais la main d'une femmede peur d'avaler la bague.

LaGloriette. Voyage du 7 au 11 avril.

La natureest plutôt vert-de-gris que verte. Les feuilles des marronniersse défrisent.

Le verttendreet trop clairdes blés clairsemésle vertfoncé des luzernes ; et les fleurs pâles desprunelliers.

Desviolettesdes pensées. La terre pense : elle a des idéesde toutes les couleurs.

ChezGuitry. Les mousquetaires sont au completmaistout de mêmenous avons perdu contact. Un peu de lassitudede vieillessecirculeentre nous. Et puisCapus a beau dire : « Cette critique estétonnante ! Pour une petite pièce que je donne en finde saison ! » il souffre du demi-succès de son Piégois.

Tristan acomme moil'impression que cette pièce marque un affaissementde Capusque la fintrop vantéedu deuxième acteest de Guitryque le théâtre de Capus manque toujoursd'imprévuet que le reproche qu'on faisait déjàà Rosine reste justifié : c'est du théâtreterre à terre.

Hervieuaurait écrit quelque partaprès mon interview de LaPatrieque je suis l'amer de la Nièvre. Charmant !

Guitry memontre des eaux-fortes japonaises et m'en offre. J'accepteet jefais exprès de les oublier. Mauvais signe.

Femme.Elle pense comme une pensée de jardin : elle fleurit.

13 avril.

Ce quinous paraît de mauvais goûtc'est ce que nous ne sommespas en humeur de goûter. Un quart d'heure plus tard ou plustôtet c'était savoureux.

19 avril.

Sur larouteHonorine s'arrête fréquemmentétonnéede marcher encore.

Le jauned'oeuf du pissenlit.

20 avril.

Elle nepratique plus parce qu'elle a été bonne chez une damequi recevait à sa table deux curés en civilquijuraientbuvaient et ne faisaient que parler de leurs maîtresses.

21 avril.

Andréjoue au poker chez Alfreddont le pèrecouché sur undivanfait un pet énorme.

Andrése met à rire trop fort. Alfred lui dit :

-- Pas sifort ! Vous allez froisser mon pèrequi n'a plus que ceplaisir.

Mais Andrérit de plus en plus fort.

-- Jereconnais la voix de mon pèredit-il.

Philippeme dit :

-- C'estun monsieur qui est làdans la cuisineet qui demande quandil pourra vous recevoir.

Maman medit :

-- Tu asune mine !... Tu es roulé.

Si on nela retient pasmais on la retiendraelle veut venir tous les joursà La Gloriette. Quand elle reste un jour sans nouvelleselleest inquiète à pleurer.

Elle dittoujours ce qu'il ne faut pas dire : bonne mineà la personnequi se croit malademauvaise mineaux gens qui ont peur de se malporter.

Je ne meferai jamais à cette femme. Je ne m'habituerai jamais àma mère.

Ellem'apporte mes « roulées »douze oeufs de Pâqueset recommande bien à Marinette de n'en donner àpersonne ; ni à la bonneni à Philippeni mêmeà Fantec et Baïe. Elle veut que je les mange tous. Cesont douze oeufs durs : elle veut que j'étouffe.

Promenade.Ils nous disent quecet hiverils ont eu des douleursdesrhumatismes.

L'épinese fait prendre pour de l'aubépine.

Pas unbrin d'herbe qui ne m'attendrisse.

Nouscroisons des vaches. L'une d'elles laisse tomber de belles bousesvertes. Nous en rions comme d'un hommagemais le vieux paysan quiles mène lui dità cause de nouspar politesse : «Salope ! ».

Ilsdisenttâtant leurs jambes :

-- C'estles jambesqui ne vont plus ! C'est le commencement de la fin.

22 avril.

Regarderl'homme en naturalisteet non en psychologue romanesque. L'homme estun animal qui ne raisonne presque pas.

Le vent.On entend quelquefois le bruit de la mercomme si elle étaitlàtout près.

La bellesaison traversée de jourson dirait de penséestristes.

Maman nedit plus : « Mon fils »mais « Monsieur le maire». Bientôtelle me dira vouscomme une mère decuré.

Elle dit :

-- Mabelle-fille a tant de goût ! d'ailleursson mari la laisselibre. Il a en elle une confiance absolue. Elle la mérite. Jene serai plus là pour le voirmais vous verrez comme ilsarrangeront bien ma maison ! Ce sera une merveille.

26 avril.

Jecomprends l'arbreil ne raisonne pas.

Si Fantecest refusé à son baccalauréatmaman dira : «Il était trop fort : il a passé par-dessus ! »

28 avril.

Dix-septans de mariage ! Marinette y a résistéet c'est cequ'il y a de mieux dans ma vie.

Honorine :un vieux tronc d'être humain.

Si le bonDieu la prend au mot et rend tout ce qu'elle lui demande de rendreMarinetteau cielne boira que du café : toutes les tassescélestes seront réquisitionnées pour elle.

Un peu dehaine purge la bonté.

La rivièrene coulerait peut-être plus si elle savait que le ruisseau sedessèchemais l'homme mange au milieu d'hommes qui crèventde faim.

Il n'y aque d'un fils qu'on ne soit point jaloux.

3 mai.

Camaradescomme les deux draps qui font la paire.

Quand ellerevient en voiture avec Marinettemaman me jette un regard de défi.

-- Desongles noirs jusque-là ! dit-elle en montrant les siens quisont noirs partout.

Commec'est difficiled'être bon ! Et j'espère bien ne jamaisy arriver.

Ledimanche soirPhilippe s'ennuie. Il remet une bride à sonsabot et va planter des pommes de terre. Il promène les chienset pleure le petit Joseph.

Acretéde leurs âmes. Figures nuageusesbouchées.

-- Leshirondelles volent bien mal par ce ventdit Marinette.

-- Ellesvolent encore mieux que toi.

Le matindès l'aubeelles se rincent le bec en gazouillant.

Maupassant.Le vraisemblable lui a trop suffi.

Chaquematinles boeufs poussent dans les prés comme deschampignons.

Maman.Marinette lui dit :

-- Commevous cousez encore bienpour votre âge !

-- J'aibien cousu autrefois. J'aimais tant ça ! Le soirquand mesenfants dormaientmon plaisir était de prendre mon aiguilleet de recoudre leurs affaires.

Parfoiselle lâche son aiguilleregarde Marinette et dit :

-- Mapauvre fillesi vous veniez à tomber malade ! La nuitje meréveille et je pense tout haut : « Pourvu qu'il ne nousarrive pas encore un malheur ! »

Style. Jem'arrête toujours au bord de ce qui ne sera pas vrai.

6 mai.

Larmes surun visage d'homme froid : grosses gouttes de pluie sur un mur.

Troispetits gars vont de porte à portemontrant trois fouinesqu'ils ont prises. On leur donne un soudes oeufs.

Charitéhypocrite qui donne dix sous pour avoir vingt francs de gratitude.

Le comiquede la misère.

Ragotte.Il lui suffit de porter un fagot pour avoir l'air d'une forêtqui marche.

La duretéde coeur du riche n'est pas un gros défaut aux yeux du paysan.

La tombe :un trou où il ne passe plus rien.

Un vieuxqui était dans un champqui avait l'air si pauvre et quibougeait si peuMarinette l'a pris pour un épouvantail.

J'attendsqu'il nous rejoigne : je lui donnerai deux sous.

Mais c'estun épouvantail.

Elle veutse jeter à la rivière parce qu'elle a déménagéde son auberge pour aller dans une autrecent mètres plusloin.

Je diraisà Philippe :

-- Montezdonc au village prévenir que je suis mort.

Ilpourrait répondre :

-- J'yvaismonsieur. Justementj'ai besoin d'un litre de pétrole.

10 mai.

Le trainl'automobile du pauvre. Il ne lui manque que de pouvoir allerpartout.

Défenseaux gens de passercommeaux moutonsde paître sur lechaume. Je l'ai loué pour la saison à une alouette quivient d'y faire son nid. Il y a quatre oeufs. Marinette a faillimettre le pied dessus. L'alouette s'est levée pour aller seposer un peu plus loinles ailes encore couvantes.

Ce matinpour lui faire honneurje me suis levé presque en mêmetemps qu'elle.

16 mai.

Dieu n'estpas une solution. Ça n'arrange rien.

Boeufgâtécouché dans le préet solitaire. Ilmange bienmais il ne garde pas l'herbe. Elle ne lui profite pas. Onva l'envoyer à Paris. Son voyage coûtera 25 francseton le vendra 30 ou 35 pour les fauves du Jardin des Plantes.

Plus aucungoût pour la littérature qui rapporte. Rienqueregarder la vieet se contenter de ce qu'elle donne.

Peut-êtrequesi l'on perfectionnait trop sa moraleon deviendrait comme cepetit arbre rabougri que je vois par la fenêtre de mon jardinet qui ne produit même plus une feuille.

18 mai.

Sur lecanalle nez peintle nez tricolore des bateaux plats.

19 mai.

Maupassant: un oeilmais un gros oeil.

Il laissel'impression d'un homme qui a une bonne grosse santé. Il s'entire toujours. Le lecteur n'ira pas y voir.

Hé! sietsi je sais quelle température il faut pourl'éclosion des oeufsl'aventure de Toinequi est une idéeamusanteme semblera fausseparce que Maupassant insiste.

C'est unhomme qui n'est jamais embarrassé. Il n'apprend rienet laqualité de ses sentiments ne lui vaut pas notre affection.Bonjourbonsoir. On n'a pas d'intimité avec lui.

23 mai.

Un vent !Tous les arbrescomme des désespérésjoignentleurs branches et se plaignent lugubrement.

Le soleilse couche là-bascomme un beau faisan dorédans lesbranches.

Le pouletsur ses allumettes.

Mamandemandecomme un honneurde raccommoder mes vieilles chaussettes.

L'haleinedu livre qu'on ouvre. Oh ! que celui-là pue de la gueule !

Lescloches pluvieuses.

Réservéau départ de la viepour la postérité.

Un préfauché dans son milieuaux « enfants d'Edouard ».

Le Nordenvoie ses ballots de nuages blancs au Midi.

Une vachebretonne qu'on a retirée à temps de l'encrier : elleétait déjà presque toute noire.

30 mai.

Embarrassécomme un insecte qui arrive au bout du doigt.

Il n'estpas nécessaire de mépriser le riche : il suffit de nepas l'envier.

Je mepromène à l'intérieursur mon lac d'ennui. J'yfais de petites promenades joyeuses.

Rêve.Quand la raison va faire un tourles fous dansent dans le cerveau.

Je dis quetout est vanitéparce que mon petit discours n'a pas eu desuccès.

1er juin.

Il mesemble que mon amour pour la nature l'embellit : l'herbe me paraîtplus verte qu'autrefoisetles tuiles des maisonsplus roses.

Marinettea peur que je perde le goût de la vie. Je lui dis qu'il ne fautpas confondre l'ambition vulgaire avec la joie de vivre.

-- Avectoidit-elletout s'arrange. Le taureau ne me fait pas peur. D'ungestetu l'écartes loin de nous.

--Marinettelui dis-jej'ai eu peur de la mortetaujourd'huijeme vois très bienen souriantallongé dans uncercueil. J'ai eu peur de l'orage : je n'y pense plus. J'ai peurencore de souffrirnon de mourird'un coup d'épéeetnon d'être tué en duel. L'essentielc'est que je ne teperde pas ; le reste !... J'ai renoncé à tout ce querecherche un Hervieu : je n'ai pas renoncé au principal.J'avais peur de certaines idées : je n'ai plus peur d'aucune.J'admets toutsauf qu'on fasse souffrir l'être qu'on aimeetmêmesimplementqu'on fasse souffrir. Tu m'as empêchéd'être un poëte satirique. Je suis un poëteélégiaque. Je garde en moi un fond de naïvetéqui est une éternelle jeunesse. Je défie tout ce quiest beauvivant et simplede ne pas m'impressionner.

Pauvresgens ! Il faut savoir les prendre comme des gaminsles pucer deleurs petits mensonges et de leurs hypocrisiesmoucher leur nez quipleure sans savoir pourquoiet fermer d'une caresse leur bouche quiveut mordreleur dire : « Parlez ! Expliquez-vous ! »

7 juin.

Certificatd'études les 5 et 6 juin. Surprise. Les deux dictéessont choisies par l'inspecteur d'académie dans les Histoiresnaturelles.

Une petitefille ditdans sa rédactionqu'elle s'est lavé lespieds avant de venir ; c'est la seule. Aucune n'ose dire qu'elle afait sa prière le matin.

On lesbourre d'orthographe. A Chitryon leur fait faire quatre dictéespar jour avant l'examen. Réponses nulles. Elles choisissentdans Victor Hugo les pièces pieusesmais ne peuvent pas direce que c'est qu'une madone de pierreni comment s'appelle le Dieuqui s'est fait homme.

Hypocrisiela morale puante qui s'étale dans les rédactions : mabonne mèrema bonne maîtresse qui s'est donnétant de mal pour me préparer à l'examen.

Naïveté: je serai reçuepuisque je suis la première sur six.

Une petitefille ne me prend pas au sérieux et écrit mon nom sanslettre majuscule.

Indulgencecoupable pour les élèves des Soeursmais on veut fairele généreux. C'est l'injustice à rebours dontparle Renan.

9 juin.

Le moineau: un petit oiseau délicieux qui ne chante pas.

Pitiéouioui ; maisce que tu ne dis pasc'est leur saleté.

Lelocataire dont tout l'orgueiltoute la dignité humaineestde payer exactement.

Il ne fautpas trop bien recevoir les visites : on aurait l'air de s'ennuyer.

J'ouvre mafenêtre à la mouche qui bourdonne désespérémentcontre la vitre.

-- Quellebonté !

-- Nonjevous assure. Elle m'embêtait.

Luciennedit de la maison du Paulson frère :

-- Il fautqu'il mette une femme là-dedans. Sans une jeune mariéece serait vite dégoûtant.

LeTransigeant.

Le chênequi se renouvelle a l'air d'un petit vieux.

Réalisteouimais la réalité est partout.

Ilsreniflent encore de la servitude. Le château fumeles voletsde la salle à manger sont ouvertsM. le comte arrive. On vasourire et faire le dos rondet déjà les chapeaux netiennent plus sur les têtes.

Commec'est la fête patronalej'ai dit au garde de faire sa tournéele soir et de ne pas ménager les ivrognes. Le premier qu'ilrencontre est son père.

-- C'estcomme ça que tu me fais affront ! dit-il.

L'autrequi ne dessaoule pas depuis deux jourslui dit :

-- Jet'em...

Il résisteet ramasse une pierremanque son coupse jette sur le gardeluigriffe la joue.

-- Jel'aurais mené au postedit le garde.

Il n'y ena pas. A la mairieils briseraient toutdans une grangeilsflanqueraient le feu.

10 juin.

Marinettes'accoude à la rampe du petit pont.

-- Oh ! lejoli balcon ! dit-elle.

Par leruisseauun flot de soleil couchant semble venir à nous. Il yade chaque côtéde mystérieuses grottes faitesde racines et de branches. Le ruisseau passe entre ces vertesdemeures comme une rue dans un village.

17 juin.

A unvieillard qui se sentait mourir je demandais d'un petit air gai : «Ça va bien ?

-- Pastrop bien. » me répondit-il.

A Paris.On reçoit des compliments.

-- Oh !vous avez assez de talent pour vous permettre de ne pas aimer lamusique.

Gueules delarbins sur les portes. Ils sonten morte-saisonpropriétairesde Paris.

Capussesarticles au Figaro sur le théâtre. Il a bien tortde parler de ce qu'il connaît.

Noussauvons une fourmi avec un brin de pailleetsi elle retombenousdisons que c'est une ingrate.

Postillons: intempéries du langage.

Je sensque je serais patriote en cas de guerre.

Pâlecomme un mur au clair de lune.

Lesdéfauts de nos morts se fanentleurs qualitésfleurissentleurs vertus éclatent dans le jardin de notresouvenir.

19 juin.

L'ombre dusoleil de midi grande comme un petit chien à nos pieds.

20 juin.

Un cield'un bleu de blouse paysanne.

L'institutricea retenuaprès la classetrois petits gars qui ne savaientpas leur leçon.

Marinettedéléguée cantonaleleur dit :

-- Cen'est pas bien.

Tous troisse mettent à rirele nez au joint de leur livre.

-- -Pourquoi riez-vous quand on vous fait un reproche mérité? Oh ! que c'est mal !

Ilséclatent de rire. On ne voit plus que leur dos tout secoué.

-- Vouscroyezmadame dit l'institutriceque ce n'est pas àdécourager une sainte ? Allez-vous endit-elle aux petits.Vous me feriez perdre patience.

C'estalors seulement que les trois petits garslibresse mirent àpleurer.

-- Le bonDieu n'est pas raisonnabledit Philippe.

Celui quinous aime et nous admire le mieuxc'est encore celui qui nousconnaît le moins.

21 juin.

Chariotsde foin comme des saules en marche.

Gosses quijouent à se traîner dans un chariot aussi mal fichu quela Grande Ourse.

Aprèsune rêverie sur le bancs'endormir les yeux pleins d'étoiles.

Parfoisje traverse de mornes petits déserts où je ne trouvepas une note à prendre.

Je merappelle cette odeur spéciale que j'ai sentie à la mortde mon père. Elle me revient chaque annéeà lamême époque. Je finirai par croire que c'est le goûtde la mort.

Jem'aperçois que c'est l'odeur des roses fanées dans leurvase.

Mon pèreest mort en juindans la saison des roses.

Inclinéspar le ventles joncs me saluaient doucement de l'épée.

Le travailest un trésor : je le sais par contre-épreuve.

Pourprouver qu'un puits est dangereuxil se jetterait dedans.

24 juin.

Affaire duMaroc. Ça ne s'arrange pas vite. Jaurès m'inquiètepar son accent de patriotisme. S'il le faut...

Je regardemon livret. Il me dit qu'en cas de mobilisation il faut attendre unnouvel ordre. J'attendrai. On a moins peur de la guerre àquarante ans qu'à vingt. A vingt ansle patriotisme estimposé ; à quaranteil est raisonné.

Ouilaguerre est odieuse ! Ouije veux la paixet je lâcherais tousles Maroc pour vivre en paix.

Sitoutde mêmeles Allemands prenaient cette soif de paix pour de lapeurs'ils s'imaginaient qu'ils vont nous avaler d'une bouchéeah ! non.

Au fondje tiens plus à la paix qu'à la vie.

Onmarcheraitet bienje vous jure !

26 juin.

Jammesunjoli poëte qui fait le petit garçon.

A quoi bondes objets de souveniret même des photographies ? Il est douxque les choses meurent aussicomme les hommes.

Luquelques pages de Stendhal sur BourgesMémoires d'untouristetome 1. Je finirai peut-être par rougir de monignorance. Stendhal m'amusemaispendant mon année devolontariat à Bourgesje n'ai pas regardé lacathédrale. Quant à l'hôtel de Jacques Coeurbien des fois j'ai passé devantau pas accélérépour aller prendre le train de Paris. Je n'ai tout de même pasenvie de refaire une année de service militaire.

Stendhaldit qu'à son arrivée à Bourges il se sentitétouffé par le sentiment de la petitesse bourgeoise. Jen'ai d'ailleurs pas senti ça non plus.

Un cieltout dépeigné. Un horizon chaud et rouge comme unetuilerie. Des nuages brûlés de soleildesséchéscomme le sablestriésen poudre.

Librepenseur. Penseur suffirait.

Le plaisirde ne travailler que le dimanche.

Borneaus'est fâché avec Mougneau à propos d'un puitscommun.

Ilss'étaient entendus pour le faire curer : Borneau a fait letravail. Venu le moment de payer: Mougneau dit qu'il n'a rienpromis. Il devait 1175 F. Juge de paix. Feuille de 060 F pourBorneau.

-- Enfindit le juge de paixMougneauoffrez quelque chose.

-- J'offrecent sous.

--Acceptez-vousBorneau ?

-- Sij'accepte ! dit Borneau. J'accepterais s'il les mettait làmais il n'est pas capable d'avoir cent sous dans sa poche.

-- Ah ! tucrois ça ? dit Mougneau. Eh bienmalintu te trompes : lesvoilà !

-- Etj'étais bien content de les prendredit Borneau.

28 juin.

Letouriste assis dans un fauteuil.

Lesporcelets ne se trompent jamais sous le ventre de la truieet chacunreconnaîtdès le premier soirla mamelle qui est àlui.

Une soiréed'une douceur !... A qui pourrais-je bien demander pardon ?

Il rentredu travail dans sa voiture à âne. C'est petitpresqueun attelage de cul-de-jatte.

--Couvrez-vous donc !

-- Oh !monsieurj'ai bien assez chaud.

Il poseson chapeau au fond de sa voiture. Nous causons.

Il acollées à la figurede petites larmes de plâtre.Quelques-unes plus fraîchessont d'aujourd'hui sans doute. Lesautres sont d'hier ou de lundipremier jour de la semaine.

Je lesreverrai toutes demain.

Cerveauvide comme l'arche du pauvre.

Sans sonamertumela vie ne serait pas supportable.

Juillet.

De laParesse! Ah ! il faudra bien que je l'écrivece livre-là! Le sot qui sent sa sottise n'est déjà plus si sotmais le paresseux peut connaître sa paresseen gémiret le rester.

La trognedu curé sous le daisavec son miroir à alouettes.

Bourgeoisde Clamecy. A BourgesStendhal se crut étouffé par lesentiment de la petitesse bourgeoise. Il n'est pas venu àClamecy !

Je n'aipas déjeuné au champagnechez des gens qui seraientcharmants si l'on pouvait penser comme eux.

--Mademoiselle peut-elle aller voir telle pièce ?

-- Toutesmadame.

Et ilsrogneraient vite. Au milieu du repason a une envie folle de s'enaller.

-- J'aidéjà remarqué que mon mari et monsieur JulesRenard ne s'entendent pas toujours.

-- Nousn'avons pas quatre idées communes !

-- Çane fait riendit-il. Le fond est le même.

-- Etpourvu qu'on soit sincère !... dis-je lâchement.

Je merattrape en laissant passer des plats.

Mme lasous-préfète : une beauté de province. Cheveuxyeuxdentstout cela est de première force pour le noirl'éclat et la blancheur. Elle sait toutes les positions del'arrondissement. Nul ne peut mieux qu'elle dire si telle famille estau-dessus ou au-dessous de ses affaireset s'étonner que cefonctionnairepar exempleait cheval et voiture. Pourquoi ? Il negagne que tantsa femme ne lui a apporté que tantetc.

Je dissoudain que j'ai une petite course à faire. Ce n'est pas polimais c'est « grand homme ». Au fondils voudraient êtreartistes. La curieuse demoiselleancienne actricequi est dans lamisèrequi donne des leçons de chant à leurdemoisellequi danse dans le menuet à plus de soixante ansavec de gros souliersqui rit toujoursqui égaie tout lemonde quand on l'invite (pour ce qu'elle mange !)les force àl'admiration.

A Clamecypetite ville prudeon fait pipi à un angle de l'hôtelde ville. Pas une plaque de tôle derrière soiet tousles bourgeois dont la fenêtre donne sur la place peuventuncoin de rideau soulevéreconnaître à son dos lemonsieur qui pisse.

Tous trèspolis. Je passe toujours le premier ; ce doit être par ordre demérite.

M. Nolinme demandeavec une voix sourde de notaire et des excuses pour sonarrivée tardivesi je veux devenir membre de la Sociétéscientifique et artistique de Clamecy. A son troisième motjedis oui. Il continue.

Chariot :une belle chevelure de foinavec la raie de la perche au milieu.

Les lys nesont pas beaux longtemps. L'orage arrive vite qui les renverse et lesmeurtrit dans la boue. Quand on les relèveils ont l'airgodiche.

Si tucrains la solituden'essaie pas d'être juste.

Soleilcouchant. Là-basentre l'horizon et le large nuage roseunespace bien pur. On dirait la mer. Un petit nuage semble un bateaudes arbresune caravane de chameaux arrêtés par la mer.

Je ne melie avec personne à cause de la certitude que j'ai que jedevrai me brouiller avec tout le monde.

5 juillet.

Mamans'écrie :

-- Dixmètres d'étoffe ! Oh ! ma chériec'est tropmille fois trop ! J'en avais bien assez de neuf mètres.

C'estpeut-être parce que le chardon pique qu'il ne craint pas lasécheresse. Il ne faut pas être trop indulgent : un peude haine protège.

Tout çace n'est pas du travail : c'est des vacances indéfinimentprolongées.

Onm'appelle pour les distributions de prix à dix lieues àla ronde. J'ai une réputation comme un rebouteux.

Médusec'était la pauvreté

Le peuplen'est pas le public.

Lesmoutons font un bruit de jupes.

Je tepréviens que le peuple suefumecrachese cherche dans lenezse rogne les ongles avec son couteau. Par délicatessetun'oseras rien diremais auras-tu le coeur assez solide pour rester ?

Mamanvoudrait un peignoir avec des manches courtescomme celui de Baïe.

En petitefilleelle veut montrer à Marinette un ourlet qu'elle vientde fairepour savoir si elle ne s'est pas trompée.

Ils ne metrouvent pas très fort. Ils ne feraient pas de moi unconseiller d'arrondissement.

La vieémouvante d'un arbre qui s'agite désespérémentpour faire un pas.

Ils nechangent pas à la fois les deux draps du lit. Ils ôtentcelui du dessousmettent à la place celui du dessuset unneuf à la place de ce dernier.

Ils ontdes draps trop courts.

-- Lespieds passentdit Ragotteet suent sur la couette.

Elles'étonne de la longueur de nos draps : ça fait bien dulinge de perdu.

«Comité républicain radical. » En voyant laformule sur la carte rougeje n'ai même pas pensé àdemander qu'on mît « radical-socialiste ».

L'ouvrierva aux réunions politiquesle bourgeoisaux conférences.

UnPrégermaind'Epirys'adresse constamment à moi et medonne mille coups du bout du doigt au revers de mon veston.

Quand lepeuple ne subit pasquand il veut discuterc'est l'épaissepoussière de la bêtise qui s'élève. On luifait des discourson ne cause pas avec lui.

Ragotte nedemandera jamais rien aux deux enfants qui lui restent. Ils neressemblent pas aux deux qui sont morts : elle ne sait pas avec quoiils sont faits. Les deux autres étaient tout pareils au pèreet à la mèremaisceux-lànon.

19juillet.

Lent commeune vieille femme qui vous apporte une dépêche enmontant un escalier.

20juillet.

Aller debon matin au-devant du soleil à l'horizon.

La joie del'oeuvre finie gâte l'oeuvre qu'on commence : on croit encoreque c'est facile.

Honorinecouche tout habillée et s'enroule dans la couettecomme unchien.

La beautéd'un dé percé par l'usure.

27juillet.

Ragotte etsa voix de messe basse tout au fond du jardin.

L'absencedes êtres aimés nous habitue à leur mort ; ellefait bien voir comme on se consolerait vite !

La bellepage écrite par l'arbre ne dure qu'une saison.

Wildedans son De Profundisnous donne le regret de n'êtrepas en prison.

Je ne veuxplus marcher que quand j'aurai des ailes.

31juillet.

Incendiedu vendredi 28 juilletà trois heures du matin.

Borneau vamieux. Il rittout fier d'avoir échappé au feu ducieltout fier aussi d'avoir été presque foudroyé.

-- Je mesuis jeté à quatre pattesdit-ilpour courir dans larue.

Déchirurefracassante du coup de tonnerre.

-- N'aiepas peur ! dis-je à Baïe.

Lucienneappelle Philippeson père. Par la porteje vois Chitry enfeu. On s'habille. Lanterne pour moins voir les éclairs. Genssur les portesdans les rues. Des hommes redescendent.

-- C'estchez Borneau ! disent-ils.

-- EtBorneau ?

-- On l'asauvémais la Mougneaude a voulu rentrer pour prendre sonédredonet elle y est restée.

Ah ! Etles pompes ? Pas d'eau. Cris. Une échelle. Tous les hommes àla chaîne.

Il faitdéjà jour. Ma lanterne alluméeque je porte dujardin à la courdoit me rendre ridicule.

Il y aceux qui veulent se distinguer et sont beaux à voir sur letoit. Il y a les goguenards qui se défilent.

L'oragerecommence

Ceux quine se distinguent pas par le courage veulentdans leur récitse distinguer par la peur : jamais ils n'ont eu et jamais personnen'a eu peur comme ça !

LaMougneaude sur son litvieillepresque mortenoire de suiesuanterespirant à peine.

-- Otez lachemise ! Coupezcoupez ! Qu'est-ce que ça fait ? Frottezavec de la lainede l'eau chaudenon : froide.

Maman enverse un plein pot sur la laine.

Cuillerentre les dents. Je cherche la langueje la pinceimpossible del'attraper. Le mouchoir. Mouvement des bras. Le vert des dents. Lecorps blanc de cette vieille femme.

Elle vas'en tirer.

Le curéarrivemet sa blouse blanchelit ses prières et débouchesa fiole d'huile pour l'extrême-onction. Je ne me découvrepasmais je sors.

Tandis quenous la ranimonsil l'enterre.

Honorinedit que le feu du ciel l'a jetée sous son arche.

Le paysanveut être éloquent dans la douleur. Mougneau poussaitdes cris comme une pleureuse classique.

De sonpoulaillerdes poules se sauvaienten feu.

Août.

CousineNanette dit de Borneau :

-- Le feudu ciel a brûlé sa maison parce qu'il avait dit àJules de le faire enterrer civilement.

8 août.

Le 6prixà Châtillon-en-Bazois.

-- Ehbienme dit le sous-préfetil est très gentilvotrepetit discours. Seulementil n'y a pas de clous dorés àvotre fauteuil. J'ai regardé : ils sont argentés.

-- Vousdevriez prendre la parolemonsieur le sous-préfet.

-- Je nesuis pas venu officiellementmais invité par M. Légermaire. Ouije prendrais bien la parolemais pour quoi dire ? Vousavez tout dit.

-- Tropaimable. C'est égalvous auriez dû mettre votreuniforme. Cette petite fille que vous embrassez aurait gardéde vous un souvenir éterneltandis queavec votre redingotevos gants blancs et votre chapeau à claquevous ne resterezpas dans sa mémoire.

-- C'estjuste.

Lui etl'inspecteur d'académieils ont des figures comme si je leuravais volé la place.

-- Jecroyaisdit Légerqu'il y aurait plus d'hommes. Je suis unpeu déçu. Ils ont peur. Le château les surveilleet ceux qui viennent sont notés.

-- Moijetrouve qu'il y a bien assez de monde.

-- Oh ! ily en a tout de même beaucoup.

-- Commed'habitudedit Mme Léger. Tous les ansc'est la mêmechose. Les enfants sont si heureux d'avoir leur prix quequand çadure tropils s'ennuient.

-- Lediscours ?

-- Ladistributiondit Léger. Veux-tu me communiquer ton discours ?Mon adjoint voudrait en parler dans le journal.

-- Oh !merci ce n'est pas la peine. Tu saisces choses-làimprimées...

-- Ouiçane signifierait plus rien. Je n'insiste pasdit Léger.

-- Onconnaît plus Poil de Carotte que vousme dit le maîtred'école.

-- Oui !Il a pris ma place.

-- Vousl'avez écrit pour ça.

C'est leseul compliment que j'aie reçu.

Légerqui a été avec moi chez M. Rigalà Neversmedit en tout et pour tout :

-- Tu asla voix forte.

9 août.

Saint-Saulge.La vie émouvante. Une vieille dans ses pommes de terre.

Une maisonde paysan. Pourquoi est-elle là ?

Uneperdrix se brise l'aile au fil du téléphone.

La gueuledu Nivernais quandd'un revers de mainil s'essuie la bouche.

Une petiteligne mal faite oùà chaque détourun disquevert fait peur à la locomotivequi s'arrête.

La beautéd'un pré immense où les boeufs semblent en libertéet qui n'a pour limites que le bois.

Clochersaigus sur une butte. Trop de confiance en Dieucorrigée parla foudre.

Des boisoù un garde de belle allure met une jarretière rougeaux arbres.

Prendsgarde ! Le bonheur qui déborde éclabousse le voisin.

La libertéa les limites que lui impose la justice.

14 août.

Vézelaygrande impressionsauf l'église de la Madeleine : je meréjouis qu'elle ne me dise rien. Mais quel passé !Cette dynastie de moines...

Sur laterrasseles vieux arbres hachés à coups de foudre.Une vieille dame à cheveux blancs y fait de la dentelle.

Uncyclistequi descendait la grand-rue à toute vitesses'étalesur la place. On le croit mort. Il se relèvepâle. Sonpère lui dit :

-- Tu nevas pas te trouver malj'espère ?

Judicaimable et timide. Le matinde 5 à 7fait sa promenadequotidienne. Elève des souris pour l'Institut Pasteur. Fait dela sculpture et de la peinture.

-- Ah !dit-ellesi je savais dessiner !...

-- C'esttrès bienmadamemais je ne suis pas connaisseur.

Unmonsieur au nom polonais leur a installé l'électricitépour eux seuls. Dubrujeaud a un furoncleet Judic lui demande s'ils'est excusé d'avoir une chemise de nuit.

Il fait duroman feuilleton : deux cents lignes tous les matins. Çarapportemais il était né pour fignoler des vingt-cinqlignes. Lui aussi !

Il a euassez de la gloire quand il s'est aperçu que le contrôleurdans les théâtreslui disait : « Ah ! monsieurDubrujeaud ! » et se dressait sur son siège.

Heureuxil regrette seulement de n'avoir pas toujours le billet de mille àoffrir à l'ami « resté en arrière ».

Notrearrivée. Instant d'angoisse. Sur la foi d'un écriteau :« Ferme des Nids »nous grimpons par le potager vers unemaison sans aspect. Personne.

-- Ilssont à la gare.

-- Mais iln'y a pas de meubles ! Ce doit être plus loin.

Nousallions vers quelque atelier ou remise quand un grand jeune hommenous dit : « Je suis le fils de madame Judic »et nousemmènede l'autre côté de la routevers lavraie maisontoute meublée de souvenirs.

Jereconnais le froid « Oh ! que je suis contente ! » desartistes qui reçoivent un auteur.

Elledéteste Mme de Sévigné.

-- Ah !dit-elleenfinen voilà un qui...

-- Maisnonmadame ! Je plaisantais. Elle a bien plus de talent que GeorgeSand.

-- J'ai ludans les journaux que vous aviez une pièce chez Guitryet jepensais qu'il y avait un rôle pour moi.

-- Jevoudrais bienmadame. Ça prouverait 1° que je serais jouéchez Guitry ; 2° que je le serais par vous ; 3° que ma pièceserait faite.

On s'entire comme on peut.

Le groschien qui est bien fidèlemais qui puele perroquet peintcomme un Huron et terrible à voir quand il casse une noix ;n'aime pas les étrangers.

Dubrujeauda sur sa table un buste de Dumas filsqu'il a reçu aprèsun article sur Francillon.

Ladéconfiture de Jaluzot qui voulait augmenter le prix de nosconfitures.

17 août.

Le seulhomme de Chitry qui veuille bien casser des pierres à latâche. Trois ou quatre coups de masse sur celle qui est sousson sabot ne l'entament pas.

-- Il y ena qui sont « malines »dit-il.

-- Ouimais vous êtes aussi malin qu'elles.

-- Je suismalinmais dans un autre sens.

-- Vousavez pourtant une bonne réputation.

-- Je mefâche souvent contre les pierres qui me résistent. Jecrie tout haut. Ça me donne de la forceet je les réduisen poussière.

Distributiondes prix à Chitry. M. Royl'instituteurun brave homme. Ilchante faux comme une vieille horlogemais il apprend aux enfants àchanter. Il ose à peine battre la mesuremais on sent qu'ille fait avec un coeur !...

Puis desgosses récitent une fable et disent ainsi le dernier vers :

Juramais un peu tardqu'on ne l'y prendrait plus La Fontaine.

Deuxautres récitent ensemble le même morceau : on diraitdeux petits ânes attelés sur le canal qui tirent quelquechose. Puisdiscours ému pour remercier « monsieur lemaire ». Je lui serre la mainet je parle de sourceaprèsavoir écrit mon allocution.

Livres quisentent la collecouronnes d'un vert de bouteille.

Il y a eude vieux instituteurs comme M. Roy : il n'y a plus que lui.

18 août.

Il fautque le socialisme descende du cerveau jusqu'au coeur.

Le singe :un homme qui n'a pas réussi.

Philippequi a vu l'église de Saint-Pèreprès deVézelaydit :

-- Il y amême des sculptures qui ne sont pas mal faites.

Patrie.Personne ne change de pays pour la beauté d'un paysage.

Il n'y aplus de gluiet une couverture neuve en paille coûterait pluscher que de la tuile ou de l'ardoisemais la paille est la meilleurecouverture. Elle est chaudel'hiverfraîchel'étéet c'est elle qui conserve le mieux le grain.

On ne medemande de mes nouvelles que pour avoir le droit de me raconter tousses malheurs.

Iciiln'y a guère que les portes de granges qui gardent quelquetemps leurs opinions politiques. Electeurs et candidats les ont viteoubliées.

21 août.

Le comitérépublicain du 20 août. Pas le moindre salut au comitéprovisoire. Quand j'arriveles trois hommes politiques s'installentau bureau. Quelques-uns demandent pourquoi je n'en suis pas.

M.d'Aunay. Sa petite tête de fruit confità cheveuxblancs et à moustache noiresi ce n'est le contraire : je nesais plus bien. Gilet blanc chou rouge à la boutonnière.Grêle silhouette de diplomate. Place avec des tempsdessouriresdes pausesdes reprisesun excellent discours pour lepeuplecent fois récité par coeuroù jamaisune idée neuve n'est venue troubler la banalité d'unstyle officiel. Sur la tabledes feuilles où de temps entemps il jette un coup d'oeil : ça donne au discours quelquechose de neuf. Parfoisun mot dit par coeur est l'opposé decelui qu'il eût fallu. Parfoisil se reprend. «Gambetta... Waldeck-Rousseau... Le Sénat plus républicainque la Chambre... La commission dont je fais partie... Nous allonspouvoir nous occuper des questions sociales... La paixmais laguerre... Les guerres économiques... » Succès àchaque période. Quelques ratés.

Puis lesprésentations. Il tapote la joue d'un jeune facteurqui estheureux comme s'il venait d'embrasser une jolie femme. Il dit àun autre : « Attendez donc ! Je me rappelle »regarde lapauvre figure paysanne de loincomme un bibelotavale tout. Unpauvreen jaquettelui dit :

-- Vousn'avez pas tenu votre promessemaisquand monsieur Clemenceauviendraje lui dirai de vous attraper.

-- Il y aquinze ans que vous me promettez ce bureau de tabacdit l'autre.Moij'ai eu seize enfants. Je connais monsieur Piot : c'est mon ami.

-- C'estaussi un de mes bons amisdit le sénateur.

-- Ehbienalorspourquoi que vous ne me le donnez pasmon bureau detabac ?

Discussionentre lui et moi à propos de Jaurès et de Clemenceau.Des pauvres diables attendent et doivent me maudire.

-- Jaurèsest mal renseignédit-il. Il n'a pas étudié cesquestions-là.

Sonprocédé de discussionc'est de dire : « LesEtats-Unis ? Je les connais très bien. Je connais trèsbien les socialistes allemands. »

-- MaisGuillaume est peut-être un imbécile.

-- Dutoutdu tout ! C'est un homme très intelligent : j'ai causéavec lui.

Mougneau.Sa joie de déterrerdans les cendres de sa maisonun vieuxferun outil pas brûlé. Il n'a jamais eu de pareillesjoies quand il l'habitait.

La truieet ses mamelles bien rangées comme des petits pots.

C'est enété que les sources seraient le plus fraîchessielles ne tarissaient pas.

Par lestemps secs la vache mendie sur le bord de la routemais ellerapporte fidèlement à l'écurie son pis plein delait.

L'animalchemin de fer apparaît dans nos campagnes.

23 août.

Ragotte nesait pas laver dans un baquet. Elle fait un voyage pour laver untorchon à la rivièredans l'eau qui court.

Aller a lamesse et laver à la rivièredeux vieilles habitudessacrées.

-- Je nem'occupe pas de politique.

-- C'estcomme si vous disiez : « Je ne m'occupe pas de la vie. »

Leur filleest morte dimanche et a été enterrée mardi.

Luitoutela journée du lundiil a battu au fléau. Elleellen'a pas l'air d'une femme qui a perdu sa fille : elle a l'air d'unefemme quideux fois par jourmatin et soira ses quatre vaches àtirer.

Est-cequ'ils ont du temps à donner à la douleur ?

-- Premierprix au Concours général...

-- Oh !

--... depêche à la ligne.

3septembre.

Ils nedisent pas « écrire »mais « marquer ».« Je lui ai marqué ça sur ma lettre. »C'est bien plus exact.

L'éclusierse plaint de son isolement. Pas de congépas d'argent. Ilfaut être là dix-huit heures par jourque les bateauxpassent ou ne passent pas. Et qu'est-ce que c'est doncun petitéclusier ? Personne ne le regarde. S'il rencontre uninstituteur (un instituteurc'est pourtant un petit fonctionnairecomme lui)l'instituteur ne s'aperçoit pas qu'il croise unéclusier.

Le pécheurmanque plusieurs fois un poisson et dit :

«Est-il bête ! »

Cochon :toute cette saleté sur fond rose.

Les nuagess'ouvrent comme une draperie sur la toile de fond de l'azur.

Un beaucri bien poussé résonne à travers les temps.

Le peuplece roi fainéant.

Nuagestouffus comme des chênes.

-- Moijesuis de la vieille écoledit le cantonnier.

Unsourireet il achève :

-- Del'école qui ne sait pas lire.

L'âneavec sa voix d'automobile.

Fantec meraconte :

-- J'aidit à M. Montagnonà Neverspour visiter safaïencerie : « Je suis le fils de Jules Renard. »Montagnon m'a dit : « Ah ! ouile pharmacien de Clamecy !--Non !-- Ah ! ouile capitaine !-- Non !-- Ah ! ouile lieutenant demarine !-- Non ! L'homme de lettres. -- Ah ! ouicelui qui a faitdes petits romans qui ont eu assez de succès. »

Ilsconnaissent un cousin du frère de Dufayel et je ne sais quelparent du nouveau directeur du Printemps.

Famille.La recevoir du bout des lèvresdu bout des doigts etenfindu bout du pied.

20septembre.

Tillier.Fête. Notes.

Leministre suce un raisin et écoute les éloges qu'on luicasse sur la tête. Séparation. Pas un mot de Briand.

L'un n'apas eu de haricots vertsl'autrepas de salade. C'est tout cequ'ils retiennent du banquet.

Troisprésentations : comme mairecomme membre du comitérépublicain de Corbignycomme orateur du comité ClaudeTillier.

--Monsieur Jules Renard ? Je vous connais. J'ai vu une pièce demairie signée de vous. Vous êtes maire de Chitry ?

-- Oui.monsieur le ministre.

-- Nousavonsnous aussiun Chitry dans l'Yonne.

Un convivem'appelle Jean.

Un autreme dit :

-- Ilscomptent sur vos discours. Sisi ! ils comptent que vous allez lesfaire rire.

Pasd'accordmême sur la manière de prononcer le nom deTillier.

-- On adilapidé les fonds du comité ! affirme le poëtePonge.

Le méprisd'un chat pour un veau qui le poursuit dans un pré.

Guitry amis Auguste et Emilienne à la porte du Breuil. Emilienne s'estvengée en disant :

-- Il n'apas le sou : il ne fait qu'en demander au Crédit Lyonnais.

Ayantperdu son oncleil pleuraitpleurait ! Pour le consolerTristanlui dit :

-- Çane durera que quelque temps.

-- Combien?

-- Oh !trois semaines.

-- C'esténorme ! dit l'autrequi se rejette dans ses sanglots.

Guitry.Mariusson chauffeurlui fait faire un détour de 400kilomètresouvre la porte de l'autopuis celle d'une cabaneet dit :

-- Il fautpourtant que je vous montre ma mère !

Allaisdemande un timbrecouleur bleue et bon teint :

-- C'estpour aller loindit-il.

-- Nousallonsdit Guitryfaire quelques raccords à la piècede Capus.

-- Tantmieux ! dit Allais. Je ne connais pas la piècemais elle en alargement besoin.

ChezCurel. Guitry voit venir à lui un beau lièvre.

-- Veux-tut'en allersalaud ! crie Guitry.

Curelarrive et l'engueule.

-- Maisdit Guitryje n'avais que des chevrotines !

-- Voustrouvez que ce n'était pas assez gros ?

Parler àDieu et lui dire « mon vieux » : on s'entendrait trèsbien. Guitry me dit de La Gloriette : « Votre hectare detuiles. »

Pêcheurs.

-- Monbouchon a remuédit l'un.

-- Vousavez de la veine ! répond l'autreglacial.

Guitry.Une dépression. Il se marqueet il y a de ses histoires quej'ai trop entendues. Il n'y ajoute plus que de la longueur. Je luidis parfois : « Allons ! ne mentez pas ! » Et çale vexe : il a un petit sourire rentré.

Il avaitdéposé sa bonne amie à l'hôtel CahouetàCorbigny.

-- Quiest-ce ?

-- Je nesais pasdit-il.

-- Ilfallait l'amener.

-- Elledort à poings ferméscomme un enfant.

AvecTristan ils ont bien ri parce quela première enseigne qu'ilsont luec'est Paul Cocu.

Trop vitel'auto. Tant de jolis paysages où l'on ne s'arrête pas !On laisse des regrets partout.

A Vézelayils n'ont pas vu la terrasse. Ils imaginent ce que dirait Mirbeau : «Une ville morte ! Plus que cent habitants ! Autrefois dix mille !Tous ont eu la maladie de la pierre ! »

1eroctobre.

Chasse àcourrechasse à tirtout cela est ignoble et sans excuse. Onne chasse pas pour se nourrir ; si c'était une excusele seulchasseur excusable serait le braconnier. Celui-là vend songibier et en vit toute l'année.

-- Maisvous vous tuez une pouleun boeuf !

-- Celan'a aucun rapport avec la chasse. Jamais la poule ni le boeuf neprévoit sa mort. Jamais ils n'ont peur de nous. Ils ont bienvécu grâce à nous : leur mortc'est presque lepaiement d'une dette. Entre la vie d'une poule et celle d'uneperdrixun animal de bon sens n'hésiterait pas.

Regardezaux premiers jours d'octobrecomme les perdrix fuientaffolées.Leur viequ'elles ont eu tant de peine à défendrecontre la grêlela sécheresseles bêtes deproien'est plus que terreur depuis l'apparition de l'homme avec sonbâton qui fait du bruit et de la fumée. Et regardezensuite la poule que vous mangerez demain !

Le paysanest peut-être la seule espèce d'homme qui n'aime pas lacampagne et ne la regarde jamais.

4 octobre.

Maman a dela tristesseet une tristesse sincèrequi ne durera pasmais qui impressionne.

Ellecommence à croire que tout ne s'arrange pas avec des visites.

Tristesse: vieille femme sur une chaise qui ne tient que sur deux pieds. Ellese penche vers un feu de deux bûches qui fument. Derrièreellele froid de la cuisine.

Elleretrouve dans son fils le même homme muet qu'était sonmari ; de plusle mari reste invisible.

Pour laservirelle a Lucieune petite bonne en deuilqui d'ailleurs n'estjamais là.

Elle perdses forces de femme bavarde. Ses paroles tombent dans le feuet lesautres ne suivent pas. Il y a de longs silences.

Ellepleure et dit :

-- Oh !j'ai un grand chagrin ! Vous ne voyez pas comme j'ai du chagrin !

Il peutêtre de n'avoir pas su se faire aimer comme épouse etcomme mèred'avoir manqué sa vie.

Que nepeut-elle disparaîtrebrûlée doucementet semêler à la cendre du foyer !

Et le vent! Tous les souffles du vent gémissent à sa porte.

De Herediameurt. Il ne laisse qu'un volume de vers. Il se croit sauvé :la postérité ne peut pas refuser un volume.

Il lui estaussi facile d'en refuser un que mille.

9 octobre.

Je visdans la paresse comme dans une prison

Quand jen'ai plus que cent sousj'ai peur ; quand je n'ai plus que dix sousje retrouve ma tranquillité morale.

A force deleur expliquer quelque choseon n'y comprend plus rien.

Du côtéde Germenaytristesse. Bois sombreprés d'un vert cru.

Une buseplane sur ses domaines.

Un chatsauvage loge dans la haie et vit de campagnols et de gibier.

Pointu enarrêt. C'est la forte émotion. Le chat débouleenfin et file le long de la haiede l'autre côté. Je nevois rien.

--Attrape-le ! crie Philippe.

J'ai vu lechien tout près de la queue de quelque chose qui crie. Je dis:

-- Il l'a!

M'arrachantde la haieje tombele nez sur le bout de mon fusil.

-- C'estun chatdit Philippe.

En effet.Il est rentré dans la haie etgrimaçantgriffesdehorsil tient Pointu en respect. J'appelle le chienpour quePhilippe tue le chat qui se convulse dans les épines.

-- Il ason compte ! dis-je.

-- Oh ! àcette distance-làdit Philippece serait malheureux.

Ensuiteen tenant des propos raisonnablesnous justifions 1e meurtre.

10octobre.

Lavieillesse n'existe pas. Du moins ne souffrons-nous pas d'unevieillesse continue à la fin de notre vie : comme les arbrestous les ans nous avons nos accès de vieillesse. Nous perdonsnos feuillesnotre bonne humeurnotre goût de la viepuis çarevient.

Nousn'avons pas une enfanceune maturitéune vieillesse :plusieurs fois dans la vie nous avons nos saisonsmais leur coursnous reste mal connu : il n'est pas régulier.

11octobre.

Laphilosophiec'est du tir au juger : on ne voit jamais oùpasse Dieuni si on l'attrape.

Réponseà Jules Huretpas envoyée.

Jedonnerais volontiers ma pièce à un théâtrevidesans directeur sans acteurssans publicet sans presse.

Unerépétition générale est toujours unsupplice.

Quoi ! Cemonsieur à qui je ne trouve aucun talent va peut-êtredire quu j'en ai.

Le plusbel éloge ne fait pas plus plaisir qu'une banale politesseettoute critique me paraît une grossièreté.

Ons'habitue vite au silence des journaux.

Dansl'analyse de la pièce d'un autreje ne reconnais jamais lapièce que j'ai vue moi-même. Pourquoi la critiqueserait-elle plus raisonnable quand il s'agit de moi ?

Un articlede M. Faguet amuse ou ennuiemais quel rapport a-t-il avec lajustice littéraire ? Il y a trois ou quatre critiques detalentmaisle restepouah !

Je ne saispas ce que c'est qu'une maison de commercemais je sais bien que lethéâtre est l'endroit où l'on parle le plusd'argent. Je ne connais qu'un directeur qui ait le courage demaintenir sur l'affiche une pièce qui ne fait pas d'argentetencoreje ne veux pas le nommer : il me ferait un procès.

Undirecteur a ce droit : il n'en usera jamais.

Un auteurs'il a une âme de poëteou de sagepeut se passer deréclamemais un directeurun acteurune actrice ! Essayezmême pour une reprisede ne pas convoquer la presse !

Et puisne nous lassons pas de le répéter : directeursacteursauteursc'est un monde d'aimables fous.

La grive aun peu l'élégance de Brandès.

Desmoutons gardés par un gosse si petit que le loup profiteraitde leur inattention pour le manger.

Je vois lavie en rosse.

15octobre.

Un vieuxentre à la mairie. Je lui donne deux sous.

-- Jevoudrais vous parler.

-- Je vousdemande de m'hospitaliser à Corbigny. Le médecin m'adit de venir vous trouver. Je suis de Chitry.

C'est unRousseaude Combres. Page le reconnaît.

-- Oùétait votre dernier domicile ?

-- Undomicile ! Si j'en avais unje ne serais pas ici.

Il y aplus de trente ans qu'il a quitté le pays et qu'il marchechemineau ou mendiant.

-- Mais onne vous prendra pas à l'hospice de Corbigny ! Vous n'êtespas malade.

-- Simonsieur.

En effetil est tout jaune.

-- Moijen'en sais rien. Je ne suis pas médecin.

-- Si jevous disais ce que j'ai !

-- Il mefaut un certificat du médecin. L'hospice reçoit lesmaladesnon les vieillards. Vous quittez votre paysvous l'oublieztrente anset vous venez lui demander secours ! Nos secours vont àceux qui restent au pays

-- Vous nesavez pasdit-ilce que j'ai sur le corps. Alorsje n'ai plus qu'àtomber sur la route.

-- Ceserait une autre affaire. Tombez d'abordnous verrons après.La commune vous recueillerait alors et vous enverrait àCorbignycomme malade à guérir. Dans les conditions oùvous êtesje ne peux rien.

-- Alorsje tomberai et je crèverai. Au revoirmessieurs.

Je luidonne quarante sous. Un peu étonnéil reprend goûtà la vie et la mort qui l'arrêtera n'est pas encorefondue.

-- Voilàtoujours de quoi foutre le camp de ma communede n'y pas tomber.Avez-vous quelqu'un iciun parent ?

-- Je neconnais plus personne.

-- Il estparti mariédit Page.

-- Etvotre femmeoù est-elle ?

-- Je nesais pas.

--Est-elle morte ?

-- Je n'ensais rien.

On ne peutpas discuter la patrie : pourquoi ? On discute bien Dieu !

Bravesmorts au champ d'honneurmais les peureux aussi y sont mortset ilss'en seraient bien passé.

18octobre.

Honorinene distingue plus la nuit du jour. Elle se lèvela nuitpourprendre un morceau de pain. Elle aura donc toujours faimjusqu'àsa mort ?

Automne.Un lourd tapis de brumes se retire au sudet le nord apparaîtensoleilléclairet froid.

Chasse.Deux hérissons dans leur nid de feuilles. Pointu les faitsortir de la haie avec la pattecomme des marrons trop chaudspuisil les prend dans sa gueulemais ça brûleet il lesdépose à terre.

19octobre.

Aprèsla chassela bonne fatigue qui se dissout près du poêleavant que la lampe ne soit allumée.

Leursfigures parfois mortes.

Celle deRagotte quand elle traverse la cour et qu'elle ne se sait pasregardée.

L'airsauvage de Philippe. En pleine chassequand il marche derrièremoij'ai peur de recevoir un coup de fusil dans le dos.

20octobre.

Il suffitde goûter à la gloire : inutile de s'en bourrer.

Chasse. Lachienne de Pierre est près de faire ses petitsmais il nes'en occupe pas. Elle a l'air d'une truie. Les petits vont japperdans son ventre. Bientôtil nous appelle.

-- Venezdonc voir ma chienne qui met bas !

Elle enfait un dans un sainfoin. Elle déchire l'enveloppecoupe lecordon avec ses dentslèchegrogne doucement et nous regardede ses yeux tendres. Le petit crie dans l'herbe et remue ses pattesroses. Pierre le lui prend. Elle ne dit rien. Philippe l'enveloppedans du papier et le met dans sa carnassière pour le jetertout à l'heure dans le canal.

Les autresn'arrivant pasla chasse continue. Je tire des alouettes. Lachiennequi ne paraît pas souffrirqui fait seulement uneffort par intervallese remet à courir et aboie aux coups defusil. Pierre essaie de la renvoyer. Elle s'éloigneregardesi on la suit (il semble qu'elle implore)et revient. Le plus drôlec'est que pas un de nous n'a l'humanité de dire : « Ilfaut rentrer. » La chienne s'assied parfoispousseet seremet en chasse.

Automne.Le soleil est si bas qu'il y a déjà des coins qui nedégèlent pas.

Clouer surle sold'un coup de fusilla tête de son ombre.

Sortie del'école. Les gars vont devantles petites suiventmais àdistanceet elles lambinent tout le long du chemin. La plus grandesalue d'un air sournois.

Labour.Les chevaux dans la brume. Pour se réchaufferl'homme jure.Attirées par la terre fraîchement retournéelesbergeronnettes battent de la queue toutes les mottes.

Vol depinsons réunis en bandes : signe de froid prochain.

Il n'y apas de succèssi loin de Chitry et si peu littérairequ'il soitqui ne m'ait fait ronchonner.

22octobre.

Elle afait un voyage à Paris. Elle était chez une tantebigote quile matinla menait à la messe etle soirluioffrait le Salut. Elle habitait une maison où il fallaittoujours être rentré avant dix heures. Elle disait avecfierté :

-- Nous nenous sommes jamais permis de réveiller le concierge.

Ouivousêtes intelligentvous comprenez toutet vous aurez le tempsde tout comprendrecar jamais l'extase ne vous arrête ; etl'extaseseul l'artiste la connaît.

23 octobre

Le théâtren'est qu'un jeu qui se donne des airs de vie.

Je suisarrêté par des grains de sable aussi nombreux que ceuxde la mer.

Leslaveusesl'hiverdans la buée à la rivièrecesont presque des Ondines.

La clefest sur la porte. Ça ne veut pas dire : « Vous pouvezentrer »mais : « Oh ! personne n'entrera. Il n'y a rienà prendre. »

Lefossoyeurla goutte au nez : une goutte noiredu sang de mort.

Un peuavant le coucher du soleill'heure où il ne me vient que despensées finessi fines que mon cerveau est comme un arbredépouillé de feuilles.

L'amour dela nature est comme un amouret la campagne m'empêche detravailler comme une maîtresse.

Au milieude la nuit Honorine va « toquer » à la porte de savoisine et dit :

-- Je suisgelée. Chauffez-moi.

L'autreouvre et lui demande d'où elle vient. Honorine ne répondpas. On la coucheet on s'aperçoit qu'elle n'a plus dechemise.

Maman. Lasolitudela rêvasserie au coin d'un feu maigre tandis que levent souffle derrière elle par les fentes de la porte et parles trous de la bassie.

Elle n'aplus qu'un amusement : trouver des défauts à sa bonnequ'elle envoie d'ailleurs en journée chez tous les voisinsetchaque fois qu'elle lui trouve un défautelle ne manquepas de lui dire :

-- Moij'ai la qualité contraire. Vous êtes jeunecoquette etmalpropre. Moije suis vieilleje ne suis plus coquetteDieu merci! et je suis propre. Vous avez le coeur sec. Hiervous avez puranger les outilsles effets de votre pèreses cottessesblousessa truellesans une larme à l'oeil. Moirien qu'àla pensée que vous avez fait cet ouvrageje ne peux pasm'empêcher de pleurer. A tablevous ne savez pas mangervousvous servez avant moi. Jamais je n'aurais osémoime serviravant les miens.

Les hommeset les femmes sont si mauvaissi incorrigiblesque je marchetoujours avec un petit air penché.

Maman nevoudrait pas rejoindre ses chers morts dans leur fosse de librespenseurs.

-- Oh !pour moidit-ellela fosse commune ! Ce sera bien assez bon.

-- Nedites donc pas de bêtises ! lui répond Marinette. Voussavez bien que vous aurez votre concession.

Maissonsecret désir qu'elle n'avoue pasc'est qu'elle ait la chanceque sa concession soit à côté de celle de lacomtesse.

Je netiens pas plus à l'immortalité du nom qu'à cellede l'âme.

Si jepouvais m'arranger avec Dieuje lui demanderais de me métamorphoseren arbreun arbre quidu haut des Croisettesregarderait monvillage. Ouij'aimerais mieux ça qu'une statue.

Egoïstecomme un saint.

Toutecette grosse maison pour loger l'avarice ! Elle croit en Dieu comme àun vieux notaire qui garderait à son étude ses titresde propriété.

25octobre.

Grossedame. Encore une qui ne mourra pas de langueur à la chute desfeuilles !

Lesfeuilles fuient comme si une corneille leur avait criéduhaut de l'arbre : « Voilà l'hiver ! »

Il n'y aque le temps qui ne perde pas son temps.

26octobre.

Il fautavec le balaifaire des chemins dans les feuillescomme dans laneige.

Uneinstitutrice me fait écrire à l'inspecteur pour avoirtel poste ; puiscomme elle a l'orgueil d'être celle qui nedemande jamais rienelle écrit à l'inspecteur : «Donnez-moi ce que vous voudrez. »

Il sembleque je me mêle de ce qui ne me regarde pas.

Le curésocialisterévoltélibertin surtout.

-- J'aiune commission à vous fairem'avait-on dit. Un curéveut vous voir.

Il vientne me trouve pascause avec la bonnequ'il appelle « mamignonne »se chauffe au fourneau de la cuisineet revient lelendemain.

-- Oh ! jele connais de réputationdit la bonne. Il fait la cour àtoutes les filles. On l'aime bien.

Il revientle lendemaindoncà cheval sur sa bicyclette. Il prend lamain que je lui offre ettout de suitem'est supérieur.

A quoi bonsortir de chez moi pour l'éviter ? La prétention courtles rues.

Plutôtpetitassez trapuun peu chauve. Pauvremais sale. Une boucle desoulier défaitede la chassie aux yeuxau coin des lèvresdes ongles noirsune bavette mal appliquéeune languequilèche les lèvresqu'il montre après chaquephrase et qu'on voitblanche entre les dents vertes. On dirait uncuré de théâtreon dirait qu'il imite le curéet quequand il voudrail pourra faire peau neuve. Des yeuxluisantstrop frottésqui savent s'éteindre. Laparole facilegrêlequ'on entend comme à travers uneétoffe. Des sourirestrop de sourireset de brusquesgravitésl'air d'un fatet l'air mauvaisl'air qui veutêtre troublantfascinateur. C'est comique. Des envies de toutdiremais il se retient.

Il prévoitqu'à la Séparation il sera débarqué. Onne le lui dit pas : il le sait. Que fera-t-il ? Se révolter ?Rester prêtremalgré la révocationdans saparoisse où toute la population est pour luiou vivre de saplume ? Il me laisse quelques échantillons d'aspect sale queje jugerai en critiquenon en ami.

Il estsocialiste si le socialisme veut être justeindemniser.

Il a écritquelques pages sur le partage de la propriété agricoleun domaine divisé en parties égalessous la directiond'un curépar exemple.

-- Ce sontun peu les idées de Jaurèsdis-je.

-- Je nele savais pas. Je les ai eues avant luivoilà trois ans.

Il n'osepas encore s'adresser aux hommes politiques.

-- Maismoi ! dis-je. Vous voilà compromis.

-- Vousn'êtes pas homme politique. C'est le littérateur que jeviens voir.

Il dit ducuré de Chitry :

-- C'estun gros imbécile.

Du curéde Pazy :

-- C'estun bon prêtre.

-- Onparlait de vousme dit-ildu maire « blocard ». J'aidit « Ouimais il écrit bien. Pas un de nous n'enpourrait faire autant. -- C'est vraia dit le curé de Pazy.Moije le lis et je le goûtemais je ne le lui dirai pas. »

--Pourquoi ? dis-je.

-- Lapeurrépond-il.

30octobre.

On entenddes voix. D'où viennent-elles ? Personne. Ce sont les arbresqui parlent.

1ernovembre.

Ce jour deToussaintPhilippe s'ennuie. Il n'ose pas travailleret il ne veutpas aller au cimetière penser à ses morts. Il écossedes poismais tous sont gelés. C'est bientôt finietil s'ennuie.

On entendles cloches de Chitry et celles de Pazy. Elles vont sonner. Jusqu'àneuf heures. Elles recommenceront demainavec l'Angelus.

Autrefoiselles sonnaient toute la nuitsurtout à Pazy. Philippe me ditque M. Jardécomme maire du canton de Corbignya envoyéà neuf heuresaux cloches de Pazyl'ordre de se taire.

Le ventsouffle. La lune en est à son cinquième jour. Un grosnuage noir s'avance du sud-ouest derrière elle et va n'enfaire qu'une bouchée. Je crois que tout y est ! Si les mortsne sont pas contents !.

Lesvieilles femmespenchées sur le feutisonnent leurs morts.Oui ! Maisdemainaprès la messeindifférencemédisance.

Il mefallait d'abord toute la gloire. Je me suis vite senti ridicule. Etj'aime mieux (ah ! c'est dur)me contenter de rien.

Jen'observe que ce qui m'entre de force dans l'oeil.

Laveusescomme des oies qui battent des ailes au bord de la rivièreavant de se mettre à l'eau.

A l'écolele moniteur qui dénonce le petit qui copie sa dictée.Ensuiteles deux petits se regardent comme des jars de forceinégale.

Des petitsme saluent.

--Bonjourmes petits !

Je passeetderrière moimalgré le respect qu'ils me doiventl'un d'eux fait un petet tous éclatent de rire.

L'a-t-ilfait exprès ? Ce n'est pas la question.

Il y a unrayon de soleil sur ma commune.

2novembre.

Sabelle-mère avait dit d'elle : « Elle fera envie àtous les hommes et à tous elle donnera satisfaction. »Ça se réalise. C'est le petit bordel. Le matinelledanse avec sa bonne et son mitron ; le soirelle se saouleet sonmari se contente d'être un de ceux auxquels elle donnesatisfaction.

Le curéque je revois est aussi sale que pauvre. Il prise. Noir jusqu'auxongles. Quand on a causé trois heures avec luiil faut ouvrirles fenêtres toutes grandes. Toutes les manières duprêtre. La main passe souvent sur le frontdescend sur lesyeuxpuis sur les lèvres où la phrase finit comme uneprière. Parfoisun timbre de voix vulgairequand il s'essaieà l'éloquence.

-- Vousavez un châteauchez vous ?

-- Nondit-il. Je n'ai pas cette chance ; mais les châtelains ne sontpas de mauvaises gens. C'est nous qui les poussons.

Il comptesur les faveurs du Gouvernement pour les prêtres révoltés.

-- Il yaura bien quelques fonds secretsdit-il.

Il ditaussi :

-- Dusocialismeil ne faut combattre que ce qu'il a d'injuste. Maiss'ilindemnise...

--Croyez-vous qu'il soit si juste d'indemniser ?

-- C'estprudent. C'est de la tactique.

Il ditencore :

-- Le papene me gêne pas. Ça m'est égal d'avoir un chefquelque part pourvu qu'il nous laisse libresmais nous ne le sommespas. L'évêque peut me casser demain sans avoir decomptes à rendre à personne.

Il dit :

-- J'aiparlé d'idéal dans un sermon. Ce soir mêmedeuxde mes paroissiens se sont disputés à l'auberge. L'un atraité l'autre d'idéal. L'autre s'est fâché: « Appelle-moi comme tu voudrasmais je te défends deme traiter d'idéal ! »

Oh !pouvoir dire : « J'ai fait style neuf ! »

A cause ducurémaman ne fait pas ses pâques et ma soeur lui dit :« Tu mets trop de curé dans la religion. »

Un paysagenet où les prés gardent le moins possible d'herbeoùles arbres n'ont pas pluspour nous tromperde feuilles que lesmaisons.

3novembre.

Cimetière.C'est par les sapins que se plaignent les morts.

La vien'est pas si longue ! On n'a pas le temps d'oublier un mort.

Je n'aijamais tant joui de la vie : rien d'elle qui ne m'amuse.

5novembre.

Ce curéprend des airs inutilesl'air dédaigneux du prêtre quine souffrirait pas qu'on fût familier avec luipuis l'air duprêtre dont le front est parfois labouré par Dieului-même.

Froid. Lesétoiles en ont les larmes aux yeux.

La vie estmal faite. Les pauvresignorantsdevraient être richesetl'homme intelligentpauvre.

Lunederrière des nuages comme déchiquetés par ellelune sournoise et hargneuse.

6novembre.

Rentréeà Paris. Je viens chercher du travailm'embaucher.

--Avez-vous travaillé ?

-- Je n'aimême pas préparé ma réponse.

Arrivéeà Paris. Tristesse. Si je n'aimais pas Marinetteje fileraispar le train de dix heures. Faiblesse de Marinette.

-- Noussommes les rois là-basdit-elle. Iciles concierges sontlogés comme nous.

La salle àmanger nous semble petite. Je ne trouve pas la maison solide. Leplancher craque sous mes pieds. C'est sinistreet c'est idiot :avoirlà-basle confortablele grand airla vie heureuseet venir se loger six mois dans cet hôtel meublé !

Allaisayant une phlébiteon lui avait ordonné six mois delit. Il a mieux aimé aller au café. Il disait :

-- Demainje serai mort. Vous trouvez ça drôlemaismoije neris pas. Demainje serai mort.

Trèsbeauaprès sa mort. Toutes ses bouffissures rentréesil n'avait que sa figure anglaisefinenoble.

On s'amuseà dire que c'était un grand chimiste. Mais non !C'était un grand écrivain. Il créait àchaque instant.

On n'a pasosé se réunir à la maison mortuairehôtelde la rue d'Amsterdam.

Sa soeurqui ne le voyait plus depuis leurs années de nourricea vouluqu'il fût enterré religieusement.

Ilécrivait à Guitry : « Il pleut tous les jours ;le pluviomètre ne sait plus où donner de la tête.»

Capus esttrès frappé par cette mort. Le glas d'Allaisc'est luiqui l'entendce n'est pas Allais.

Jaurès.Son journal sombre. On ne paie plus personne. Et un de sesactionnairesqui avait donné 2 ou 3 000 francslui écrit: « Vous savez que je suis un de vos commanditaires : jevoudrais bien avoir les palmes. » Pauvre Jaurès !

Lorsqu'Antoinetrouve une pièce biença le gêne qu'on soit tropde son avis. Il fait semblant que ça le gêne.

Guitrydoit jouer mes deux actes avec deux de Rostandsi je veuxl'attendre. C'est le dernier bruit. Mais Rostand voudra-t-ilm'attendre ?

Dans laprochaine pièce de RostandCoquelin doit faire le coq.Coquelin en coq ! Rostand doit attendre que ce coq-là nechante plus.

Mariettenotre bonnequi n'a pas encore vu Paristrouve tout superbe. Elledit : « Voilà les journaux pour Monsieur... Une lettrepour Monsieur. ». Quand elle va aux commissionselle dit : «Au revoirMadame. »

Scèned'amour. Titre : Le Défi. Ça commencepeureusement.

-- Oh !vousvous ne m'aimeriez pas.

-- Vousnon plus.

-- Enfinsi je vous embrassaiscomme ça...

--Commentcomme ça ?

-- Làtout de suite.

-- Vousn'oseriez pas ! C'est vrai.

-- Ah !vous voyez !

-- Commec'est malinde dire ça ! Vous me donneriez une gifle. Moi ?Pas du tout !

-- Vous neme gifleriez pas si je vous embrassais ?

-- Non.

--Farceuse !

--Essayez.

-- Commec'est malin ! Essayez ! Essayez ! Qu'est-ce que vous risquezvous ?Rien : d'être embrassée par un homme qui en vaut unautre. Moije risquerais une gifle.

-- Çavous ferait donc bien mal ?

-- Il y ale déshonneurla honte.

-- Oh !Une main de femmeune petite main de femme... Qu'est-ce que vousvoulez que j'inflige de déshonneur avec ça ? Et puisje ne vous la donnerais pas.

-- La main?

-- Lagifle.

-- Bienvrai ?

-- Ah !écoutezvous avez la tête dure.

Ill'embrasse.

-- Ehbienvous ne l'avez pas reçuevotre gifle !

-- C'estpourtant vrai ! Alorsje peux recommencer ?

-- Etcontinuer.

-- Je neserai pas giflémais vous allez vous moquer de moi jusqu'àla fin de vos jours.

Ill'embrasse.

-- C'estinouïce qui m'arrive avec vous ! Jamais je ne me suis trompéà ce point. Jamais je n'ai été aussi peuphysionomiste. Je me disais : « En voilà unequi semoquerait de moi ! » C'est au point que je n'avais mêmepas l'idée d'avoir l'idée.

-- Oh !que je suis contente !

-- Moiaussi.

-- Je suisen proie à une violente émotion. Nous ne pouvons pasrester là.

-- Nous nepouvons pas en rester là.

-- On nousverrait.

-- Il fautpartir chercher un nid avec deux oreillers dedans. Et puisun seulsuffira.

La portes'ouvre. L'épouse entre ; la dame est aussi naturelle que sirien ne s'était passé.

-- Ouivous dites çamais vous n'êtes pas sincère. Moije le suis. Voilà la différence.

-- Quellelogique ! Comme c'est raisonné !

-- Commevous seriez contente si je marchais ! Vousje vous entends éclaterde rire et raconter à vos amieset même à vosamisavec votre jolie petite voix de voyou : « Je l'ai faitmonter en bateau ! »

-- Si çam'amusait tantje n'aurais pas besoin que vous marchiez. Je pourraisle dire sans que ce soit vrai.

-- Ah !nonpas vous ! Une autreje ne dis pasmais vous...

Au momentoù ils vont partiril s'arrête.

-- Ehbiennonje ne vous suivrai pas ! Je ne sortirai pas. Oh ! ne ditespas un mot : ça ne servirait à rien. Je n'ai aucunepeur du ridicule. Rentrez : je ne crains pas de m'expliquer devantvous. Il ne s'agit pas de moralede bontéde fidélité.Si ma femme ne devait jamais rien savoirje m'en ficheraismaiselle le saurait. Il est impossible qu'elle ne le sache pasparcequ'on lui dirait...

-- Qui çaon ?

-- Maismoi ! Ouimoi ! Je le lui dirais tout de suite. Je lui écriraissortant de vos bras. Je lui télégraphierais que jeviens de la tromper. Je ne dirais peut-être pas que c'est avecvous. Voilà toute ma discrétion. Alorselle aurait untrès gros chagrin ; elle en mourrait peut-être. Aurevoirmadame.

-- Aurevoiradieu.

Elle s'envasouriante.

Que toutsoit simplevraisans excès dramatique. Qu'on sente qu'on aéchappé à une grande douleur.

Je boudeParis. Je suis resté quatre jours sans vouloir le regarder.

13novembre.

Bertradeune pauvre chose ; de la production sans aucun travail. Un Lemaitreriche académicieny y dit beaucoup de mal de l'argentetl'argent a compris : la caissière ne le voit pas venir.

Guitry meprésente à Roujon. Nos mainsdans cette logen'avaient qu'un tout petit espace à traversermais elles onteu peur.

- C'estpourtant lui qui vous a décoréme dit Guitry.

--Peut-êtremais il l'a oubliéet moi aussi.

Guitry arefusé Le Coup d'ailede Curelque prend Antoine. Debelles chosesmais c'est injouable ailleurs qu'à L'Oeuvreen matinée.

Lescheminées qui reçoivent toute la pluie sur leur largecoiffe de tôle avec une résignation de religieuses.

14novembre.

Paris : dela boueet toujours les mêmes choses. Les livres ont àpeine changé de titres.

Des hommesde lettres décidés à tout : « Vingt au GilBlas pour une chronique »dit Schopfer. C'est vingtfrancs.

Le commisde Floury me dit :

-- J'aipensé à vous cet été. J'ai trouvéune Maîtresse pas chèremais en bon état.

Je suis unpeu long à comprendre qu'il s'agit d'un de mes livres.

Un employéde poste qui a l'air poli : çac'est neuf.

Et jerentre avec la sombre certitude que je ne pourrai plus jamais rienfaire.

15novembre.

Pour meremettre d'un travail de trois joursil me faut trois mois derêverie.

Ce n'estpas difficiled'être socialistemais il l'est de se résignerà n'avoir pas le sou.

Socialisme: envie épurée.

Leministre de la Guerre a donné sa démission : la guerreest supprimée.

Le talent: voir vrai avec des yeux de poëte.

L'aveuglerend l'oeil inutile.

Que degens dont il faut direaprès un quart d'heure de paroles «Encore un qui sait tout ! » et qu'il faut fuir !

16novembre.

Avenuesdes Champs-Elysées et du Bois. Le luxe et l'ennui y coulent àpleine chaussée. De passer sous l'Arc de Triomphe ne megrandirait pas beaucoup. L'insolence de l'hôtel Dufayel ; ilparaît qu'il suffit de presser un bouton pour que les étagesmontent et descendent à volonté : ils viennent chercherles gens à la porte. Et toutes ces mauvaises mines ! Et toutesces têtes sans expression ! Et ces autos si grandes qu'ellesont l'air d'être vides ! Quelques belles grues.

Ilfaudrait installerlàau milieuà droite et àgauchequelques milliers de Russes affamésavec quelquesmarmites bien pleines de poudre. Je ne suis pas curieuxmais j'aienvie de voir sauter tout ça.

Au ParcMonceauon fait des petites cabanes de gluide vraies maisonnettespour chaque arbre fragileavec un guichet pour donner de l'air ;elles m'iraient très bien.

Une joliepetite fille m'envoie son cerceau dans les jambes. J'attends qu'ellevienne le reprendre etde mes genouxje le maintiens debout. Quellepatience ! J'aurai peut-être un sourire de la mèrequidoit être jolie ; mais s'approche une gouvernantevieille etlaidequi ne me dit pas merciet qui a des dents comme si ellevoulait me manger.

La femmed'Edwards invite à table des gens comme Charles-LouisPhilippe. Edwardspar amourfait des efforts désespéréspour être aimable.

Elle a unyacht sur la Seine. Ils se promènent sur tous les grandsfleuves. Edwards souffre d'horribles bourdonnements d'oreilles. Ellene sait plus s'habiller que richement.

17novembre.

Guitrydans sa logetrès nerveux parce qu'on l'attrape dans LeTemps et dans Le Gaulois pour son refus du Coup d'aile.Il prend mal la choseet son cou de taureau s'arrondit encore.

Capusdevient tout à fait « Ancien Régime ».Guidé par son monocle de myopeil baise le gant de Marinette; elle
rougit comme une petite fille.

Tout cequi est humain lui devient étranger. Dans la crise de laSociété des auteursil voit qu'elle sera détruiteet que les grands auteurs comme lui n'auront plus à payer lapension des auteurs à foursou des paresseux.

Il dit deMme Allais :

-- Cettepetite va très bien s'en tirer : elle fait les cartespostales.

Il esttoujours de l'avis qui le gêne le moins.

Gandillota profité trois jours de son succès de Vers l'amour.Le revoilà furieux parce qu'on ne lui demande pas de pièces.On sait pourtant qu'il en a une douzaine dans ses cartons.Evidemmenton raisonne ainsi : « Vers l'amour est uneexception : c'est le hasard. Il ne reste à Gandillot que lehasard. »

Tousinquietsembêtésenvieuxmaladestrèsatteintsdesséchésquand on ne les joue pas.

CommentCapus peut-il supporter que son nom ne soit pas sur l'affiche ? Ilcraint les futures répétitions généralesqu'il a tort de confondre avec la justice immanente. Il sentvaguement qu'il y a une moyenne à rétablir.

Il ne peutplus rien dire sans mentir trois ou quatre fois de suite. Il a lemensonge rebondissant.

18novembre.

Nouvelledémentie et rementie.

-- Vousn'avez pas d'imagination.

-- Si !mais je refuse d'en avoir.

Mendèsa une peur terrible qu'on le traite de Juif. Il raconte qu'ill'étaitmais qu'à son entrée en France un hommel'a baptisé avec l'eau d'un fossé. Et Villiers ajoutait:

-- Il nepouvait être baptisé que dans le ruisseau.

19novembre.

La luttecourte de deux moineaux sur un toitau milieu d'une foule demoineaux pépiants qui les excitent et qui font cercle sur letuyau de cheminée.

Du talent: celui-là met bien toutes ses balles dans le cartonmais ilne fait jamais mouche.

Il soignetrop les déjeuners qu'il offre. Aprèsil lit quelquechosemais on s'endortà cause du déjeuner.

Il y a desjours où je m'imagine être le premier qui ait vu la vie.

20novembre.

Des mesétats d'âmela neige est celui que je préfère.

21novembre.

Heures oùl'attention est comme un âne qu'on a beau tirer par le licou :il ne veut pas venir.

Il fautque l'oeuvre naisse et croisse comme l'arbre. Il n'y a pasdansl'airde règlesde lignes invisibles où viendronts'appliquer exactement les branches : l'arbre sort tout entier dugerme qui le contenaitet il se développe à l'airlibrelibrement. C'est le jardinier qui trace des plansdes cheminsà suivreet qui l'abîme.

La vie estla mine d'où j'extrais la littérature qui me reste pourcompte.

Lagirouette immobile comme sitout à coupelle pouvait semettre à penser.

Ce ne sontpas nos idées qui nous profitent ou nous nuisent. Les idéesde Jaurès m'ont peut-être empêché de gagnerbeaucoup d'argent au théâtre.

Clemenceauest un téméraire qui tâcheà chaqueinstantde se faire pardonner ses audaces.

L'aboiementrauque de la scie.

22novembre.

Pendantles entracteson se demande vite pourquoi tous ces gens sont làen postures variéesles unsdeboutles autresaccoudésd'autreslisant un journal : ils ont l'air de faire une traverséedans un fond de bateau.

23novembre.

Dire lavérité : comment Poil de Carotte m'a fait croireque j'étais un homme de théâtrearrêtétrois ou quatre heureset le mal que j'ai eu à repartir pourmon village oublié.

24novembre.

Et je melamente au lit. Pas de solution pour un artiste dans ce monde deslettresde voleurs qui ramassent tout. Ce que produit l'artiste nepeut le nourrir. Ettandis que je me lamenteMarinetteassise surmon litme répète de temps en temps :

--Lève-toimon chéri.

L'artisteon le méprise un peu parce qu'il ne gagne pas d'argentmaisil a le tortluid'en tirer vanité.

Académie.Prix à Capusà Prévostà Paul Adamàtous ces pauvres ! Et après ? Tu dis que tu méprisesl'Académie. Pourrais-tu encore la mépriser si elledistribuait mieux ses prixsi elle te choisissaitpar exempledansta retraite et ton silence ? Tu la mépriseset elle estméprisable. Ne te plains donc pas : tout est bien.

28novembre.

LeMariage de Figaro : un pur chef-d'oeuvreléger commel'air de tous les temps.

Oh !l'ennuyeux amant d'actrice ! Quinze mille volumesune galerie detableaux (« Venezdit-ilsi ça vous intéresse»)un fils de vingt-quatre ans qui a tous mes livresun hommeriche et avare qui se croit des goûts d'artistebibliophilemais surtout em...bêtantem...bêtant !

Je suisindigne de ce bonheur que vous vous fichiez par terre pour tomberdans mes bras.

Cettesocialiste dit qu'on ne peut pas vivre à moins de 20 000francs par an. Elle n'ouvrirait pas elle-même sa porteelle nemettrait pas une bûche au feuet elle laisse à son filsun chapeau mou plus misérable qu'un vieux nid.

On faisaità Tristan les honneurs d'un théâtre presque vide:

-- Vousvoyezles dégagements sont magnifiques.

--Portrait de Henri IIdit l'impresario.

-- Non !Henri IV.

-- Ouienfin...

A Chitryune vieille est morte. Son filsqui la laissait manquer de painluioffre une concession perpétuelle. On oublie le painet on dit: « C'est un bon fils. »

Cochonrond comme un pot de moutarde.

29novembre.

Livre quipousse de tous les côtés à la fois. C'estaujourd'huiun arbre. C'étaithierle soleil lui-mêmese couchant. Ce serademainune bêtedes gens.

La veilléede chasse. Voilà ce que j'aurais dû faire. Voilàqui serait bien ; mais ce serait pour l'année prochaine.

1erdécembre.

Suicide.On ne voit rien du tombeaudes horreurs de la mortmais on a ledésir infini de se mêler à la tristesse attirantedes choses.

Ce quimanque à ses piècesc'est tout de même le style.Quelques jolies idéesfaute d'être bien mises encoupletrestent dans la bouche de l'acteur : la voix «patouille ».

Sociétédes auteurs. Richepinun demi-dieu frisé vraiment. MichelCarréimmortalisé par le génie poëtique deRichepin. Marcel Prévostprésident pour jeunes filles.Capusqui ment par tous les pores. Tristaninfiniment sympathique.Hervieule vieil académicien.

Oh ! cemonde fatiguéhypocrite et vulgaire !

Seulel'envie de parler était sincère. Tous ces discoursrentrés sont devenus bile.

Unevieille amitié tempérée par une mutuellerosserie.

3décembre.

O doucerêverietu es l'excuse de ma paresse.

O penséeslégères comme des papillonspassezfuyez ! Si je vousprenaissi je vous piquaisde ma plumesur mon papierçavous ferait trop mal.

Elleraconte :

-- Ouiquelquefoison me suiton me dit des choses. L'autre jourdevantmoiun homme chantonnait. Comme le trottoir était trèsétroitj'ai dû passer devant lui. Alorsil m'a dit : «Oh ! la jolie dame ! Voulez-vous me permettre de vous accompagnermadame ? » Et il s'est remis tout de suite à chanter. Ilne devait pas tenir beaucoup à moi.

Mêmeà Parisje retrouve la campagne. Une voiture de Potin ébranlela maisonetchaque foisil y a quelque chose qui fait du bruitcomme un grillon.

Chosesvues. Un vieil homme court derrière un tramwayl'attrapelelâche et roule à terre. Le conducteur fait arrêter.Le vieil homme se relève et monte. Le conducteur le réprimande: « Il est interdit... La compagnie décline... » ;mais surtout un monsieur bienqui est sur la plate-formelui dit :

-- Vousvous êtes fait mal.

-- Non.

-- Sisi! Vous avez dû vous faire mal au coude gauchequi est saleetau droit. Vous ne sentez rien maintenantmais vous sentirez. Çavous prendra cette nuit : vous ne pourrez pas dormir. Demainvousaurez une courbature. Vous ferez venir le médecin.

Et levieil hommehonteuxaimerait presque autant être sous lesroues du tramway.

Ses amantssont si jeunes qu'on ne veut pas les croire et qu'ils sont obligéspour se faire prendre au sérieuxd'indiquer les endroitssecrets : cabinetspot où l'on pisse.

Eblouiepar le sou du francMariette oublie toujours de le réclamer.

Sa soeur aordre d'acheter un bifteck de 25 sous. Si le boucher en donne pour27pour éviter d'être attrapée elle met deuxsous de sa poche.

5décembre.

PourTristan.

Mes chersconfrères

A l'issuede notre dernière réunion privéemon maîtreet ami M. Jean Richepinm'a fait cette remarque : « Vousn'avez rien dit vousRenard. » Je ne sais pas si c'étaitun regret ou un compliment.

En effetje n'ai pas pris de parolesce jour-là. Elles avaient ététoutes priseset presque toutes -- ce n'est pas un reproche -- parHenri Bernsteindont vous n'avez pas oublié la sériede petites rafales. Je n'avais rien ditmais j'avais fait un signeet promis de voter contre les dissidentsparmi lesquels se trouvemon meilleur amiTristan Bernard. Cette promesseje vais la teniraujourd'hui. Toute cette quinzaine je me suis demandé siétant donné l'amitié qui nous lieTristan etmoij'allais accomplir un acte de courage ou de lâcheté.Je ne suis pas bien fixé. Ma conscience m'éclaire mal.Il y a des moments comme ça où la conscience charbonne.

Maisceque j'affirmece dont je suis sûrc'est que je vote ainsi paresprit de corpspar esprit de défenseparce que je faispartie du bloc dramatique qu'est notre Sociétéet queje lui dois la plus sincère gratitude. C'est par intérêtpersonnelpar égoïsmeque je voterai pour la Sociétéet contre Tristan Bernard. Vous ne savez pasmessieursvous quiêtes des auteurs dramatiques considérablesce que doità votre Société un auteur comme moiunproducteur aussi peu impitoyable que moi. J'ai fait ce calculquemes livres m'ont rapporté jusqu'à présent dequoi payer mon pétroleet que le moindre de mes petits actesme rapporte de quoi... de quoi passer un anet même deuxàfaire un autre livre.

Quand jepense quece soir peut-êtregrâce à l'admirablemécanisme de notre SociétéPoil de Carotteme rapportera -- car il me les rapportera fidèlementen petitbonhomme bien apprivoisé --sans que je m'en occupesans queje le sachesur la scène obscure de quelque théâtreinfiniment provincialla somme de troisde quatre francs mêmec'est-à-dire le prix d'une journée de modeste ouvrierquand je pense à celaj'ai envie de pleurer de tendresse aumilieu de ma petite famille attendrie.

Si Bernardvoulait toucher à notre Sociétéil devrait mepasser sur le corpsmais je suis bien tranquille : il trame trop lespieds pour ça. Je voterai donc l'exilet même la mortde Tristan.

Maisentendons-nous. On a parlé souvent d'honnêteté àpropos de dissidents. Moi aussij'ai voulu parler en honnêtehomme à Tristan. Nous avons beaucoup causéavec unefinesse inégale. Est-ce que je n'étais pas sûr demoi ? Est-ce parce que Tristan a un talent spécial pourembrouiller les questions morales ? Son honnêtetém'apparaît inattaquable. N'espérons pas la tuer par unbulletin de vote.

Quoi qu'onen disel'honnêteté d'un homme aussi fin que lui a ledroit de n'être pas la grosse honnêteté dumonsieur qui se croit honnête par cela seulement qu'il faitpartie de notre Sociétéet scrupuleux parce qu'on l'anommé de la commission. Défions-nous de ces honnêtesgens-là. Bernard a le droit de nous direcomme il le disaitla derrière foisque nous l'embêtons avec cettehonnêteté d'ensembleet que la sienneparticulièrela vaut bien.

C'estpourquoimon vieux Tristansi M. Devalpris d'une ingratitudesubitevous accueillait avec froideurdites-vous bien que siàcette heure gravenous nous séparons de voussi votremeilleur ami vous invite à lui tourner le dosvous emportezavec vous mon estimemon admiration et mon amitié.

Parmodestie et par pauvretéon prend à la confectionn'importe quel vêtementpour ne pas aller tout nuet lecoupeur descend pour rectifier. Il est affreux. Il a une petitefigure noire et pâle. Il a l'air stupide et fat.

-- Ouioui... L'épaule droite...ce n'est rien... La mancheput !Et il vous donne trois ou quatre coups de craiedont un sur la mainet il ditd'un air à gifler :

-- Vousaurez un beau costumemonsieur !

Femme silumineuse qu'on ne voit pas plus son visagele jourque celui dunègrela nuit.

7décembre.

Sacha.Hieraux MathurinsNonotrois actes qui sont unerévélation. C'est du Guitry accouchant lui-mêmed'un auteur.

De lajeunessede l'espritde l'audaceet jamais bête. Nous étionstous ravis et frappés.

La piècesignée d'un Capus ou d'un Donnaynous aurait paru bienetSacha aura d'étonnants succès.

Quelqu'unSéeje croisayant dit : « Sacha devrait collaboreravec Renard : ça lui ferait du bien »Franc-Nohain adodeliné de la tête et a répondu :

-- Je necrois pas.

8décembre.

Omnibus.L'indélicatesse des femmes qui trichent pour passer de forceavant leur tour donne une idée de ce qu'elles feront àla porte du Paradis.

Depuisqu'il gagne 25 000 francs par anil est chic. Après deshésitationsdes « Laisse-moine me dis rien : je meressaisirai peut-être »après cinq ans de ménage« comme le ménage Renard »il dit à safemme :

-- Je veuxma liberté. Va-t'en !

et ilprend un petit laideron de maîtresse.

Ilinstalle sa femme dans un appartement à son nom à luichoisit le mobilier et lui donne 500 francs par mois. Il viendra lavoir en ami.

-- Maisqu'elle n'essaie pas de me reprendre ! dit-il.

Il s'estmarié trop tôt. Il veut être jeuneconnaîtrela vie. Il a trop de talentde succès et d'argent pour ne pasfaire comme les autres. Ellequi lui avait sacrifié sa vied'abord un peu abasourdieelle se calme. Elle attendra le retour dupauvre bougre en bordée. Mais quel intérêt danssa vie !

Elle asouffert « cruellementprofondémentpleinement ».

Elle ornesa douleur de comparaisons :

-- Je suiscomme une feuille qui tombequi tourbillonne et qui va àterre. Moije tourbillonne... Je ne dis rienj'attends. C'est commepour un oiseau qui s'échappe : il faut laisser ouverte laporte de la cage et ne pas faire de bruit.

Ses amissont navrésexquis et délicieux. Ils ont autant dechagrin qu'elleune petite amiesurtoutqui a l'intelligence laplus rare.

Tout Parisle sait-ilau moins ?

Quand ilreviendraelle sera presque déçue.

-- A monâgedit-elleil me faudrait un homme sérieuxde 40 à50 ans. Orje ne suis aimée que par des jeunes gens de 25ans. Celui que j'ai est non seulement trop jeunemais encore tropmaigre : il me faut de la bidocheà moi !

Ils ontappris le théâtre au théâtre.

9décembre.

Courtelineme dit :

-- Vousêtes le premier de votre village.

J'allaislui répondre : « Et vousle premier à Paris ! »Mais je me suis rappelé à temps qu'il habite àSaint-Mandé.

Il mesuffit d'un arbre : il te faut tout un bois.

Je n'écrispas trop malparce que je ne me risque jamais.

Ouiàquarante ansil va falloir que je coure le cachet.

11décembre.

Barrèssa moelle sous une croûte de pédantisme.

Il a dutalent ou n'en a pas selon qu'on est bien ou mal avec lui. Tout n'estque sympathie ou antipathie.

Latimidité du monsieur qui entre le premier dans une salle dethéâtreavant le spectacle.

12décembre.

Je n'aipas compris Ragotte tout de suite. D'abordelle m'a paru bête.Maintenantje la trouve simplenaturelle comme si elle venait denaître.

LeParisien du Danube.

Brute :pas de cervelledu cervelas.

Parisdevient fantastique. Ces omnibus sans chevaux... On a l'air de vivreau pays des Ombres. Et cette idée me revient : « Aufaitest-ce que nous ne sommes pas tous mortssans nous enapercevoir ? » Dans ces bruitsces refletscette brumeonmarche avec angoisseavec la peur moins de se faire écraserque de ne déjà plus vivre. Impression d'une immensecaveet la tête en bouillie par tout ce fracas.

Combienfaut-il de notairesde marchandsd'ingénieursde voyageurset de commis voyageurs pour faire un public et juger un artiste ?

-- Moiaussidit-ilj'ai assisté l'autre jour àl'enterrement civil d'un de mes agents. J'ai même prononcénon pas un discoursmais une petite allocution.

14décembre.

Guitry jeramène Sacha. Je reste un peu dans l'antichambre ; lorsquej'entreSacha est encore au cou de son pèresur l'épaulemais la figure du papa semblait dire : « Mais entrez donc ! »Ils ne s'étaient pas vus depuis un an.

Et dessurnoms ! Edwardsou le Chopin de la Polonaise ; Gémierl'homme épousé par mégarde ; Calmettes :guitrydate ; Calmettedu Figaro : l'entrepreneur deménagements.

Capusobnubilé par son rêve d'Académie.

15décembre.

Toutes lesfumées : bleues et légèresblanchesgrisesnoiresépaissesmontent vers l'azur et s'y perdentet ilreste l'azur.

Surnom :Edouard RodAnatole suisse.

Grassotdit quequand elle écoute un beau morceau de musiqueçalui fait venir des petits grains sous la peau.

19décembre.

Il n'y aplus de feuilleset le vent ne souffle plus que pour faire duchichi.

Je n'aijamais lu une ligne de M. Bazinmais je devine ce qu'il vautetsije lisais une page de luije dirais : « Je ne me suis pastrompé. »

HervieuLe Réveil. C'est à la fois compliqué etpauvre. Tant d'efforts pour qu'une femme s'aperçoive qu'elleest pétrie de limon et parle des tourbes de son instinct !Toute cette volonté tendue pour repêcher ces imagesvulgaires qu'on croyait dans la boîte aux ordures des Lettresfrançaises !

Qu'onreliseaprès une page d'Hervieuune page de Barrès.On verra la différence. Barrès aussi fait des efforts.Il peineil sue il nous fatigueil est insupportablemaispresqueà chaque ligne Barrès trouve.

LeRetour du poëte. D'abordtout le réel : le pèrela mèrerapaces. Ils n'ont jamais rien regardé. Lapetite cousine même pourrait sentir l'ail.

Le poëtereste seul. Il a envie de s'en aller. Il écrit une lettre.

Paraîtune vieille. Elle était peut-être là aucommencement. Elle est vêtue d'une limousine ou d'un grandcapuchon.

-- Vousvous en allezmonsieur ?

Ellel'aurait fait sauter sur ses genoux quand il était petit.Souvenirs d'enfance.

Ellel'intéresse. Il cause avec elle. Il lui parle peu à peuavec une poësie prenante :

--Rappelle-toi...

Ill'appelle d'abord « ma vieille ». Son langage setransforme : il ne s'en aperçoit pas.

Ellemontre une main jeune (il s'est détourné)un brasuncorps de femme jeune. Cela lui paraît tout naturel.

Il finitpar lui dire :

-- Tu esbelle comme la nature !

Elle :

--Aime-moiva ! Tu seras heureux. J'aurai pour toi des charmes que lesautres ne goûtent pas. Tu ne t'en vas pas ?

-- Jereste.

Faire unebelle déclaration de la nature au poëte.

Trèsréaliste au débuttrès poëtiquemaisd'une poësie préciseà la fin. Parler enfin de lanature comme elle le mérite.

La femmecommence par dire : « C'est beau ! » Les quatre saisons.Insensiblementelle en arrive à dire :

-- Je suisbelleettoitu es fait pour me regarder.

Aucunétonnement. Tout celatrès naturel.

Voilàencore une fusée de pièce. Et la peur de n'êtrepas vrai m'empêchera de l'écrire.

20décembre.

LeRetour du poëte. Il faut que la première partie soitdure et émouvante. Impossibilité pour le poëte derester là. La vieillec'est la fenêtre ouverte sur lacampagne.

--Personne ne me regarde. Ils ne me comprennent pas. Vous meregarderezvous me comprendrezvous m'aimerez.

-- Ah !comme tout cela est loin !

-- C'esttout près.

-- Commetout cela est vieux !

-- Maisnon ! C'est toujours jeune.

Ne pasfaire la fin trop poëtiquemais légèreamusanteet précise.

Sociétédes auteurs. Exclusion de Tristan. Oh ! le regret de n'être pasun orateur ! J'aurais pu le sauver.

La fameusequestion des Decourcelle et des Gavault ~ ! « Bernardprenez-vous l'engagement de ne plus donner de pièces au Trust? » J'aurais dû me lever et dire : « L'engagementque Tristan ne veut pas prendreparce qu'il n'est pas l'homme deslâchagessi justifiés qu'ils soientje le prendsmoi.Tristanje vous le jurene donnera plus jamais de pièces auTrust. S'il me désavouecela prouvera que je ne me suis pasentendu avec luimais je réponds de lui et pour luiquandmême. Il a fallu à M. Michel Carrépour qu'ilaccepte sa grâce des intermédiaires de M. Gavaultdescommentaires de Bernsteinune apothéose par un homme degénie. Tristan ne vous demande rien. Ne lui dites riennevous occupez pas de lui. Effacez d'un trait cette histoireet jevous dis que Tristan sera notre plus fidéle sociétaire: il l'est déjà. Pour moij'ai ma théorie surl'honnêteté. Un homme de talent ne peut pas êtreun malhonnête homme. Si cette théorie vous semblespécieuseje vous mets au défi de la réfutercarhonnête homme et homme de talentvous êtes tousl'un et l'autre. Je vais peut-être trop loin. Vous sondez lesconsciencesmoi aussi. Depuis quinze joursj'opère dessondages dans la conscience de Bernard : je vous assure qu'elle estpropre.

«Prenez garde ! Vous allez le traiter de Juif. Prenez garde auxmétaphores militaires. Vous dites qu'il vous a tirédans le dos : est-ce une raison pour le cribler de balles dans leventre ?

« Jepourrais continuer ce petit jeu. J'arrive à ma conclusion.

«Bien décidé moi-même à voter l'exclusionde Bernardje vous offre un moyen de ne pas la voter. On répète: "Il faut manger. » On va même jusqu'à dire: « Il faut bouffer." Certainementmais ne confondez pasla faim avec l'appétit voraceetsi vous êtesgénéreuxvotre estomacne fût-ce que parpudeurse résignera à crier moins haut. »

Sociétédes auteurs. On peut ne plus rien faireon peut se mettre en grèveet avoir une retraite. N'est-ce pas l'idéal ?

Nouspoussons Godfernaux à prendre l'engagement. Il se livre àdemiinquiettrès tenté.

-- Faitesce que vous voudrezdit Tristan.

Godfernauxva cédermais il regarde encore Tristanet se rassied «Je regrette que ma parole ne vous suffise pas : je n'ai que celle-làà vous donner. C'est celle d'un homme qui a la maniecommetout le mondede se croire honnête homme.

« Jesuis convaincuvous ne l'êtes peut-être pas autant quemoimais je vous fais hésiteret je ne crois pasaprèsce que je viens de vous direque vous osiez voter l'exclusion. »

Tristancroyait avoir préparé un beau discoursmais il le litmalet il a oublié que ce qui amuse quelques hommes d'espritchoque une assemblée.

Un peuémuil me remercie d'avoir voté pour lui.

Cetteassemblée manquait de calme. J'ai vu des figures tropcontractées. Tristan se défend mal. Il ignore 1'art dedéchaîner les petites rafales. Il n a pas recours àla violenceà l'hypocrisieà la platitude. Quellebizarre idée il se fait de l'orateur ! Il faudra que je1'emmène avec moi dans quelques réunions publiques devillage.

Ouivouslui avez tendu une perchemais il ne fallait pas lui flanquerd'abord un coup sur la tête.

Ce n'estpas une raisonparce qu'il a une belle barbepour le traiter commeun bouc.

Biensouventj'ai entendu un confrère dire d'un autre : «Quelle fripouille ! Ah ! le bandit ! » Je prenais ça ausérieux : il paraît que j'avais tort et que nous sommestous irréprochables. Soit ! C'est une surprise agréablemais il faut le temps de s'y habituer. En tout cassi j'acceptaisque Tristan restât hors d'une société mêléeje refuse de l'exclure d'une société qui ne se composeque d'honnêtes gens.

22décembre.

Sourire.Il faudrait avoir « soupleurer ».

Il a perduune jambe en 70 : il a gardé 1'autre pour la prochaine guerre.

De lamusiquetout m'émeutdes larges notes aux petites gouttessonores du piano.

25décembre.

Une femmede ménage. Pauvre fille-mère lâchée. Lemonsieur fait le service militaire. Elle est allée voir lesgrands-parents du petit. On lui a dit : « Revenez nous voir. »Elle n'y est pas retournée.

Elle nesait pas que l'Assistance est assez secourable aux filles-mères.

L'autrejourelle descendait un escalier. Un homme tombe sur elle et la batcomme plâtre en la traitant de femme saouleetc. Elle ne peutmême pas pousser un cri. Quand il est lasles voisinsaccourentla relèvent. Luistupideil dit :

-- Oh !pardon ! Je me suis trompéje vous ai prise pour ma femme.

Il lasupplie de ne rien dire et lui promet qu'il fera tout son possiblepour la dédommager. Il gagne dix francs par jour je ne saisoù. Elle ne porte pas plainte. Elle ne fait même pasconstater ses blessures par un certificat de médecin.

On luidemande :

-- Commentétait-ilcet homme ?

Ellerépond :

-- Ilétait très bien. Il n'avait pas l'air d'une brute. Ilavait seulement l'air d'un mari furieux contre sa femme qui boit.

Elle ne seplaint jamais.

Elle gagnedeux francs par jour à faire des ménageset elle saitencore dire d'un air aimable :

-- Je n'aiplus le sou.

-- Oh !moidit-ilje ne crois pas à la guerre : là-dessusje suis très pessimiste.

Travail.Je ne pousse pas ma charrue : je la traîne.

Find'année. Notre dernière énergie tombe comme lesdernières feuilles.

26décembre.

Sil'argent ne fait pas le bonheurrendez-le !

Comme lavie est longuel'hiver !

28décembre.

Baïecroit avoir fait une mauvaise rédactionet elle en a fait unebonne.

Elle ditétonnée :

-- Quandje saurai ce que je faismoi !

LeRetour du poëte. Il dit :

-- Tapoësie ! Qu'est-ce que c'estd'abordque ta poësie ? Unboeuf coûte un franc par jour : voilà qui estintéressant.

Lemonsieur qui saurait tricoter dans le monde

Enfinl'homme est venuun dimanchebien habillé. Il s'est vantéde ne ne pas pouvoir venir la semaine : chaque matinil lui fautmener ses enfants à la garderieetle soiraller leschercher.

-- Vousavez eu peurmais je ne vous oubliais pas.
Il lui a remiscinquante francs.

-- Vousétiez contente ? lui demande-t-on.

-- Oh !pour ce prix-làje recommencerais.



1906

A Chaumotdu 3 au 7 janvier.

M. le Curéa adressé une circulaire pour demander ceux qui veulent garderla religion. Ceux qui ont répondu oui ont eu un pot-au-feu deM. le Comte.

Philippene pense plus à rien. Les nouvelles ne l'intéressentplus.

Ce qu'ildit le plus souventc'est : « Je ne sais pas. »

Lacampagne toute mouillée. Les branches minces enfilent desgouttes de pluie. Parfoisd'une traînée lumineuselesoleil essuie lentement un préun villageun bois.

Le paysan.Sabots de boissabots de plombqui le forcent à se tenirdebout.

Versl'amour. C'est invraisemblablece style ! Gandillot parle mieuxque çadans la vie.

Comme unaveugle têtule vent secoue les arbres sans fruits.

-- Tenezdit l'avare : voici un calendrier neufet qu'il vous fasse toutel'année !

Gregh :son crâne en dos d'ânesa barbe. Il ressemble aux clownsaméricains quià chaque coup de hache qu'ils reçoiventsur la têtese tordent de rire.

Frapiépauvreappliqué et malheureux. Met Dostoïewski « àcent mille pieds » au-dessus de Tolstoï.

Juge depaix ne parlant que de guerre.

Un rhumede cerveau fait bien plus souffrir qu'une idée.
Les mortsde l'amitié.

D'Aunay.On dit de lui qu'il possède bien sa carte électorale.

9 janvier.

Je me metsdans les livresmais pas dans les réclames de journaux.

Je demandeà Philippe :

-- Vousn'avez pas été soldat ?

-- Non.J'ai été réformé.

--Pourquoi ?

-- Pourdes espèces de varices. C'est le père Cornu qui m'afait réformer. Il n'a eu qu'un coup de coude à donnerau père Dupuisau conseil de révision. Je ne suis pasparti.

-- Etpendant la guerre ?

-- Unjouron nous a emmenés à Corbigny. Aprèsonnous a laissés tranquilles.

-- Vousavez monté la garde ?

-- Pasbeaucoup.

-- Y ena-t-il du pays qui soient restés là-bas ?

--Quelques-uns.

-- Qui ?

-- Ma foije ne me rappelle pas leurs noms. Je sais bien que l'un est tombédans une carrière et qu'un autre a été pilé: on n'a pas pu retrouver les morceaux. Mon grand-père avaitvu les Cosaques. Ils ne faisaient pas de mal si on leur donnait cequ'ils demandaient : un veau ? On leur donnait le veau. Ils payaientavec une pièce de monnaiele tholer.

-- Tholer?

-- Oui !Je dis « tholer »moi je ne sais plus ce que je dis. Etils s'en allaient sur des chariots.

--Aviez-vous peur pendant la guerre ?

-- Non. Ily en a qui se sauvaient et qui emportaient ce qu'ils avaient dans descaves ; moije n'avais rien à cacher.

10janvier.

Je lisL'Echangede Claudel. Je comprends très bienet çane me fait aucun plaisir.

Les nuagespassent sur la lune comme des araignées au plafond.

Les plushautes branches de l'arbreles plus finesqui semblentpar lapointese dissoudre dans l'air.

Capus. Savache a fait veau. Il envoie des boîtes de dragées avecune aquarelle spéciale sur le couvercle. Une scèned'étableau coin de laquelle on lit : « Notre génisse.»

17janvier.

L'Humanité.C'est la fin : on lui a coupé l'électricité.Trois hommes font le journal. A la nuit tombanteils attendent qu'onapporte les bougies.

Ligue desdroits de l'homme. Le samedihuitième anniversaire deJ'accuse. M. Painlevé m'étonne par quelques-unesde ses formulestrès belles. Je me sens plein d'admirationpour ce jeune mathématicienmembre de l'Institut àquarante-trois ans. Je voudrais lui écrire : je ne le faispas. Le lundi suivantà la conférence de M. Challayesur le CongoM. Painlevé vient à moi et me dit :

--Voulez-vous me permettre de me présenter ? Monsieur Painlevé.

-- Voilà une minute charmantedis-je.

-- Je vousai lume dit-il.

Il meparle de mes Pointes sèches. Ça ne fait rienjepasse un bon moment.

Psicharihomme à femmes terribleparaît-ilbâille troisgrandes fois au nez du conférencier.

PierreMilleraie au milieufigure poupinevoix lebargiennemonte àla tribune. On entend :

-- Jeparlais au ministre... Je disais au ministre... J'étaisenrhuméde mauvaise humeur... Je lui ai dit des chosesdésagréables.

Demoldertoujours l'air d'un petit bonhomme gonflé pour un voyage dansla lune. Boit trois litres de vin par joursans compter la bièreet le reste. En a eu un moment la langue paralysée. Angoissede ne pas pouvoir répondre à sa femme. Mille roses dansson jardin.

Un volrapide de moineaux serrés comme s'ils partaient d'un fusilcomme des grains de plomb.

-- Il estjoli temps de s'en allerdit une Russe.

Lune dansun nuage de soiedans un papier nuageux.

18janvier.

Soleilcomme un oeil abruti d'éther.

Jarrytoujours dans son écurie.

-- J'aimebien les cloportesdit-ilmais c'est embêtant àéplucher.

On passeet on entend : pan ! pan ! pan ! C'est Jarry quià coups derevolvertue des araignées ; mais il garde les toiles : çaorne.

Çatombe bien sur le visiteurmais les cabinets sont toujours propres.

Ilinstalle ses cabinets au-dessus de la sonnette de la porte. On tirela corde. La cuvette se vide. Ce mouvement qui était perdu estutilisé.

19janvier.

L'horlogequi marchesur placed'un pas lourd et cadencé. Unedeux !Unedeux !

Immobilesserrés les uns contre les autresles toits attendent laneige. Crépuscule. Le cuivre s'allume un peu avant la lampe.

Flirtglacé.

22janvier.

Il ne fautpas que mon indépendance me fasse dépendre des ratés.

24janvier.

Postérité! Pourquoi les gens seraient-ils moins bêtes demainqu'aujourd'hui ?

--Mercredi prochainc'est le dernier jour du moisdis-je.

-- Il enest bien capable ! dit Brandès.

25janvier.

Barrèsle voilà de l'Académie française. Eh bien ! quoi! Vas-tu envier un homme que tu n'admires pas toujours et que tuestimes rarement ?

Le mêmejourLaurent Tailhade entre chez Arthur Meyer.

Si biencloses que soient ses portesil est plus facile d'entrer àl'Académie que de n'y plus penser.

Il nefaudrait produire que des chefs-d'oeuvre et dédaigner lagloirecomme il faudrait gagner beaucoup d'argent pour vivre pauvre.

Il fautrenoncer à tout ce qu'autrui ramasse trop facilement.

Francelevieux chef bavardà l'esprit subtil.

26janvier.

Le mot leplus vraile plus exactle mieux rempli de sensc'est le mot «rien ».

J'ai sipeu le goût du document quequand je vais à Chitryjene vois pas maman. Pourtantà chaque visitequel butin denotes ! Mais la vie me fait encore peur comme quand j'étaispetit. Elle ne m'amuse qu'aprèsetcomme je n'ai aucuneimaginationje n'imagine pas à l'avance ce plaisiret je neme risque pas.

Je croiraià tout ce qu'on voudramais la justice de ce monde ne medonne pas une rassurante idée de la justice dans l'autre.Dieuje le crainsfera encore des bêtises : il accueillerales méchants au Paradis et foutra les bons dans l'Enfer.

Un chatqui dort vingt heures sur vingt-quatrec'est peut-être ce queDieu a fait de plus réussi.

OuiDieuexistemais il n'y entend rienpas plus que nous.

Ah ! ill'aluile divin sourire !

C'est ànous de réparer ses injustices ! Nous sommes plus que desdieux.

J'ignores'il existemais il vaudrait mieuxpour son honneurqu'iln'existât point.

Les élansde la fumée. On croit qu'elle aurait la force de monter auxnueset elle reste làlourde et désunieetbientôtelle retombe.

LesHannetons. C'est charmant. Brieux n'est peut-être qu'unauteur comique qui s'est cru réformateur de moeurs. Il n'a nistyle ni goûtmais il croitet il s'amuse.

Il atoutes les qualités de l'homme de théâtretrèspeu celles de l'artiste. C'est un homme de talent sans agrément.

Onvoudrait récrireligne par ligneune pièce de Brieux; après ce travailon reviendrait peut-être àson texte.

Il estParisienmaisdepuis cinq ansil a choisi un village en Beauce. Ila refusé d'être mairemais il s'intéresse auxpaysans. Il essaie des chosesdes distributions de prix. Ilconseille d'acheter une batteuse communale. On refuse. Alorsil vaen acheter uneet la prêter selon son capricefaire ducésarisme.

28janvier.

Barrès.Article de Paul BourgetFigaro du 28 janvier 1906.

Troiscolonnes pour dire à peu près ceci : que Barrèsa élargi son moi jusqu'aux limites de sa petite patrie et afait remonter sa propre expérience à l'histoire de sesancêtres.

Et on ylit que Barrès est un autoclinicienqu'il a démêléle syndrome de notre maladiequeson moiil ne le considèreplus comme un phénomène premiermais comme unphénomène conditionné. Il ne faut pas séparerson moi : il faut le raciner. Il essaie d'être individualistepour être traditionalisteouplutôtl'individu... Ah !pions !

Fantecm'amuseavec les noumènes et les phénomènes deKantmais il n'a que seize ans. M. Bourget ne vieillit donc pas ?

Faire uneconférence sur Dieuavec projections.

29janvier.

Théâtre.Le succès des autres m'excite cinq minutes et m'abat pourlongtemps.

30janvier.

Théâtrepopulaire. Il faudrait d'abord apprendre au peuple à rire et àpleurer : il se trompe à chaque instant.

C'estaujourd'hui seulement que je regarde Paris.

Il y avingt ansje ne le voyais pas. Je n'étais qu'ambitieux. Je nelisais que les livres.

Maintenantje m'arrête devant le Louvredevant une égliseàun coin de rueet je dis : « Quelles merveilles ! »

A quoiai-je pensé jusqu'à ce que mes yeux s'ouvrent ?

De toitout va me plaire : tes monumentsles nuages roses de tes soleilscouchantset les coqset les poules de tes quais.

J'ai étéétudiant. J'ai pris des inscriptionsetce soirpour lapremière foisje me promène avec plaisir au Quartierlatin.

Unmonsieur très chictrès richehomme du monde desbêteschapeau haut de formetient gravement en laisse unchien bizarre qui tire sur son collier comme si son maîtreétait aveugle et paralytique.

31janvier.

Le bout dela branche accompagne un peu l'oiseau qui s'envole.
Le génieest peut-être au talent ce que l'instinct est à laraison.

Barrèsentre chez Floury. Le Voyage de Sparte vient de paraître.

Nous nousserrons la main. Son sourire vite éteint ; c'est le joli piègede son humeur hautaine : je sourismais ce n'est pas une raison pourque vous croyiez à de l'abandon et que vous vous lâchiezvous-même.

Il estaccompagné d'un petit monsieur à figure vulgaire etrasée qui peut être son domestiqueson secrétaireou son meilleur ami.

Toujoursgêné (moi aussi)il regarde son livre. Moije cherche.Non ! Je ne peux pas le féliciter pour son Académie.

Je luitends un exemplaire de son livre.

-- Vousêtes obligédis-jed'y mettre votre nom.

-- Je vousl'enverrai.

-- Du tout! Je l'ai pris.

Et il estvrai que je venais de le prendre.

-- Alorsdit Barrèsje vous en enverrai un des anciens. Vous habiteztoujours la campagne ?

-- Maisnon ! Rue du Rocher44toujours.

-- Ah !ouil'éternelle adresse.

Ils'assiedécritet je ne regarde pas.

Puisaprès des « Enfin ! »des petits haussements delui-mêmed'un jeune dieu gâté et indifférentil me tend la mainet sort.

Sur lelivre : « A Jules Renardson ami. » Mais non ! Jel'admireil m'étonneet peut-être qu'il ne me trouvepas sans talentmais nous ne sommes pas amis.

1erfévrier.

Dansl'ombre d'un homme glorieuxil y a toujours une femme qui souffre.

A Chaumotdu 2 au 6 février.

La naturea de la neige dans les oreilles.

De bellespièces de terrebien retournéesallongées detout leur longles raies bien nettessur le coteau.

Unmouchoirun bout de neige perdu au bord d'un fossé.

9 février.

Théâtre.Chez Guitry. Toutes ces têtesvues de la scène ! Ondirait des gens jusqu'au cou dans une piscineet si serrésqu'ils ne peuvent plus nager.

Insuccès.C'est agréable et mélancoliquecomme quand on regardela neige fondre sur un toit.

L'Invité(Huit jours à la campagne) est aussi petit dans lespréoccupations générales qu'il l'esten lettresvertessur l'affiche. Mussay en a vu la moitiéet il me dit:

-- Vousn'avez donc que des duègnesdans votre pièce ?

Il y a unefillette de seize ans.

La piècede France ne fait pas beaucoup plus de bruit. On ne relève pasle rideauet Cheirel quitte si rapidement le théâtrequ'elle n'a pas dû se déshabiller.

Une piècepas signéeque je n'ai pas fait répéterdontje ne salue même pas les interprètes ; pourtantj'entreau théâtre avec le vague espoir d'un compliment duconcierged'un machinistede l'habilleur de Guitryde sonchauffeurd'un de mes acteurs qui se précipiterait vers moien criant : « Oui ! Oui ! Je sais bien que c'est vousPaulPage ! Votre pièce a produit un effet énorme. Il afallu relever le rideau ! »

Ah !pauvre malheureux bougre ! Et la plus anodine plaisanterie vous mordle coeur.

Pour fairedu théâtreil faut avoir l'enthousiasme du mensonge.

A Chaumot(suite).

Philippeépluche des haricots et les compte afin de pouvoir dire ce quechacun aura à manger. A chaque centaineil en met un de côté.

Il caresseinterminablement le chat.

Il vabêcher un coin de jardin à l'abri du vent.

Il se lèveà six heures ; à huitil est couché.

Sesoreilles : deux moitiés d'abricot mangées par lesguêpes.

Sur larouteil n'y a que le cantonnier.

Je regardela natureet je dis à Marinette :

-- C'estd'une sanglante tristesse.

Pourquoi «sanglante » ?

L'ailed'une charruegrand oiseau blessé que les chevaux traînentsur le flanc. (Jammes a parlé de l'aile de la charrue.)

10février.

Les eauxvertes de la mémoireoù tout tombe. Et il faut remuer.Des choses remontent à la surface.

Un arbreemmailloté de neigecomme un doigt blessé.

Il n'aplus le sou. Par snobisme il avait vendu la pharmacie de son pèreet il a tout dépensé dans son manoir. Sa femme faisaitvenir un coiffeur de Paris. Aujourd'huiil voudrait une place à200 francs par mois ; maispar habitudeil continue de ne déjeunerque dans les meilleurs restaurants et de fumer les plus gros cigares.Il n'y a qu'une chose de changée : ce sont ses amis quipaient.

Imaginezl'émerveillement de l'homme s'il voyait aujourd'hui lapremière rose ! Il ne serait quel nom extraordinaire luidonner.

Honorine.La mort semble dire : « Elle n'a jamais étémalade. Ça ne m'est pas facilede l'avoir. Je ne sais parquel bout la prendre » -- Vous ne pourriez pas me dire quelleétait la couleur de ma robela première fois que vousm'avez vue 1

-- Oh !madameje pourrais même vous dire quelle était lacouleur de votre pantalon.

Lagirouette bouge. On dirait que quelqu'un va et vient sur le toit.

La femmene devrait vivre qu'une saison sur quatrecomme les fleurs. Ellereparaîtrait tous les ans.

Lafeuillecette parente pauvre de la fleur.

11février.
Chez Guitry. Ennuiennui. Langue paresseuse.

Fantec agagné 200 francshier soiravec Au petit bonheuretmoi10avec L'Invité. On ne pourra pas dire que je nesuis pas modeste.

12février.

Religiondes hommes supérieurs : besoin d'une discipline. Ils n'ont pasla foi : ils croient parce qu'ils veulent croire. C'est le goûtque j'ai souventde la prison.

Actrices.Enjamber les mains qu'elles vous offrent à baiser.

13février.

La vieilleactrice à figure de maquerelle qui cherche toujours àvous parler à contre-jour.

Auxsocialistes : « Partageons ! Mais partageons aussi la loyautéla politesse et l'esprit ! »

14février.

Faguetqui m'a dégoûté de lire Platon. (Je n'y tenaispas beaucoup.)

La sagessedu paysanc'est de l'ignorance qui n'ose pas s'exprimer.

15février.

LesPlumes du geai au Théâtre MolièreJeanJullien est un excellent petit-fils de Scribequi s'est cru auteurde théâtre d'avant-garde.

On nesouffrirait pas d'être incompris si l'homme médiocre nevous disait jamais : « Nous autresvous et moiles hommescomme nous... »

Nous avonsmis dixquinze ansà nous former une espèce de goûtet nous nous étonnons que le public n'en ait paslui qui n'ypense jamais.

Le publicc'est le suffrage universel en art. N'était-ce pas assez del'agréer pour maître en politique ?

La veillede CyranoCoquelindésespéréseprenait sa pauvre vieille tête dans les mains et disait : «Qu'est-ce que je vais jouer dans dix jours ? »

-- Quellebelle piècen'est-ce pas ? dit Ellen Andrée. Çavous étreint. On souffre. Vous ne trouvez pas ?

-- Nondit Marinette.

-- Tiens ?Vous êtes la seule personne qui soit de mon avis.

Boeufsblancs couchés dans le pré comme des moitiésd'oeufs sur un plat d'oseille.

17février.

Rêverie.L'esprit malade qui traîneet qui peut traîner comme çatoute une vie d'homme.

19février.

Au chevald'une voiture de maître je trouve un petit air de vanité.

21février.

MauriceKahn vient m'interviewer sur le Théâtre Musset. Jecomprends pourquoi les gens célèbres affectent de nepas aimer ce genre de visites : c'est que le visiteur ne les laissepas parier. Il parle tout le temps. En une heureje connais tous lesgoûts de M. Maurice Kahnrédacteur en chef de Pageslibreset ceux de la jeunesse qu'il représente. Luiil s'enva avec l'idée que je suis un homme modeste.

22février.

Quarante-deuxans. Qu'est-ce que j'ai fait ? Pas grand-choseet déjàje ne fais plus rien.

J'ai moinsde talentd'argentde santéde lecteursd'amismais jesuis plus résigné.

La mortm'apparaît comme un grand lac dont j'approcheet dont lescontours se dessinent.

Suis-jeplus sage ? Très peu. J'ai moins de ressort pour êtremauvais.

Surquarante-deux ansj'en ai passé dix-huit avec Marinette. Jesuis devenu incapable de lui faire du malmais de quel effortsuis-je capable pour son bien ?

Jeregrette le temps où Fantec et Baïe étaient sipetits et si drôles. Que vont-ils faire ? Cette question mepréoccupe-t-elle autant qu'il faudrait ?

Je pensequelquefois à mon pèrepeu à Mauricequi sontmorts depuis longtemps. Et ma mère vit toujours. Commentferai-je pour passer de sa vie à sa morten m'en apercevant ?

Me levertravaillerm'occuper des autresme fatigue.

Ce qui estbonje l'exécute encore assez bien : dormirmangerrêvassersans effort.

J'envieaussiet je dénigre.

Il ne mesemble pas que je discute mieux ; je crie aussi fort que jamaismoins souventpourtant.

En faitles femmes me sont indifférentes. De-cide-làquelques rêves romanesques.

Je ne lis presque plus leslivres nouveaux. Je n'aime qu'à relire.

Oùen suis-je avec la gloire ? Comme je ne l'aurai jamaissans tropd'efforts je réussis à la dédaigner. C'estpresque sincèremais je le dis trop.
Rien que je désireardemment : il me faudrait trop me démener pour réussir.Suis-je neurasthénique ? Non. C'est une maladie grave ; ondoit souffrir et être malheureux. Moij'ai une maladie doucepleine de charme. Il me semble quel'énergie que j'ai perdueje l'avais en trop. Je m'en passe très bien.

J'aiquelques remordsmais assez d'adresse pour me blâmer d'enavoir et les atténuer. Aucunà franchement parlernem'est insupportable.

Autrefoisj'avais peur d'agir quand c'était dangereux. Aujourd'huij'aipeur de l'actionouplutôtj'ai le goût de l'inaction.

Je listoujours avec plaisir mon nom imprimémais je ne souriraispas au prince de la critique pour qu'il l'imprimeà moinsqu'il ne vienne chez moi. Ouiouije suis assez chic en celaet çane me coûte rien.

25février.

Lesinvisibles lévriers du vent.

Une femme.Elle dit :

-- Ilsuffit que je lui demande une chose pour qu'il me la refuse.

Elle n'ad'idées que dans le derrière.

Quel fondvulgaire ! Si on agite toute cette neigec'est de la boue.

La petitePaulette Allais a été confiée à unebonnedévotequi lui a dit que son père est sûrementen enferet la petite se réveillela nuiten criant : «Papa brûle ! Papa brûle ! »

Capus estmyope. Quand il veut regarder les tableaux qu'il a achetésilest obligé de les dépendre.

26février.

Fuméebleueet peut-être qu'au foyer on brûle des chosesimmondes.

Si lagirouette pouvait parlerelle dirait qu'elle dirige le vent.

Neurasthénique: un homme en bonne santé qui a une maladie mortelle.

L'espritse traîne. La vie est lourde comme un tombereau.

Mon passéc'est les trois quarts de mon présent. Je rêve plus queje ne viset je rêve en arrière.

27février.

Lesbigotes communiquent avec la Vierge par fil spécial.

Le volmoins haïssable que le mensonge.

Je goûtela joie âpre du splendide isolement.

Des nuagesqui ont l'air d'avoir été pensés par des poètes.

Gourmont ala peur orgueilleuse d'avoir raison avec un tas d'imbéciles.

28février.

Mabadauderie littéraire. Je vais de livre en livre. Je m'excited'idée en idée. Je m'arrête quelques minutesdevant un projetet je passe.

1er mars.

Un coupled'avares jouant à quatre mains sur le même piano.

2 mars.

Il avaitéconomisé 20 francs pour acheter un bon de la Presse.On peut gagner le million. Mais il a appris que l'État retientsur le million tant pour cent. Ah ! non. Il veut être payérubis sur l'ongle. Tout ou rien. Il n'achètera pas le billet.

La nuit :le jour qui devient aveugle.

3 mars.

Si j'avaistout ce que je désirej'aurais immédiatementl'impression que je n'ai rien.

4 mars.

Le soleilce gros blond.

Une femmepeut être sublime en refusant de donner la vérole àcelui qu'elle aime.

5 mars.

Il n'y aque ceci que Marinette me refuse : le droit de rêver dans lecrépuscule. Impitoyableelle me demande :

-- Faut-ilt'allumer ?

Je n'osepas dire nonet elle apporte la lampe ennemiequi met tous mesrêves en déroute.

La vie estcourtemais l'ennui l'allonge. Aucune vie n'est assez courte pourque l'ennui n'y trouve pas sa place.

Flaubertaimait peu la natureettout de mêmeça lui a manqué.

Un tempsfraisâcre et malsain comme du plâtre délayé.

Arbredesséchéje n'attends plus que les feuilles desautres.

Cheminéed'usine : un gros doigt qui barbouille l'air de fumée.

Lucarnes :les yeux carrés des toits.

Les arbresdont les bourgeons sourient déjà etdemainéclaterontde rire.

N'écrireni pour le peuple ni pour l'élite : pour moi.

8 mars.

L'Invité.Vu hier la dernière. On a toujours tort de ne pas travailler.En une répétitionj'aurais pu rendre la pièceplus scéniqueplus gaie. Mais comme le théâtreéteint ! Je croyais les plaisanteries presque grosses : ellesme paraissent trop finessi fines qu'elles ne portent pas.

Moineauxcollés au murcomme soutenus par les rayons du.soleil.

10 mars.

AcadémieGoncourt. Ouij'acceptesi je ne suis pas forcé de dire àtous mes collègues qu'ils ont du talent.

Je ne saissi on se corrige de ses défautsmais on se dégoûtede ses qualitéssurtout quand on les retrouve chez lesautres.

Ma gloirecelle que je désiraisc'est déjà du passé.
Il faut que ta page sur l'automne me fasse plaisir comme unepromenade dans les feuilles mortes.

13 mars.

Résumermes notes année par année pour montrer ce que j'étais.Dire : « J'aimaisje lisais cecije croyais cela. » Aufondpas de progrès.

Imaginezla vie sans la mort. De désespoirtous les jours onessaierait de se tuer.

L'injusticeimmanente.

Des amisse défient de nous comme s'ils croyaient que nous connaissonsle fond de leur âme.

Je relismes notes. Quoi que j'eusse faitma vie ne pouvait pas êtrebeaucoup plus compliquée. Ce que j'aurais produit en plusavec bien du maln'ajouterait pas grand-chose à mon oeuvre.Mon oeuvre !

Il y a desnoms qui ne me rappellent rien. Je ne peux pas retrouver un trait decertaines figures à jamais ensevelies.

Si jerecommençais ma vieje la voudrais telle quelle. J'ouvriraisseulement un peu plus l'oeil. J'ai mal vuet je n'ai pas tout vu dece petit univers où j'allais à tâtons.

Sitoutde mêmej'essayais de travailler encore régulièrementquotidiennementcomme un élève de rhétoriquequi veut être le premiernon pour gagner de l'argentnon pourêtre célèbremais pour laisser quelque choseunpetit livreune pagequelques phrases ? Car je ne suis pastranquille.

Gagnezvotre viemais ne la gagnez pas trop.

N'essayezpas de manger doubleafin que le voisin mange une fois.

Ne ditespas : « Je suis la raison »mais raisonnez.

Prenez àtoutes les morales ce qui en fait la valeurà la moralechrétienne ce qu'elle a de bon. Jésus-Christ étaitun homme supérieur et modeste - il ne criera pas au voleur.

Ce quinous fait le plus rougir sous nos cheveux grisonnants ou disparusc'est la bassesse de certains désirs que nous avons eus etdont le souvenir nous écoeure.

Ne comptezpas trop sur la société pour faire des réformes: réformez-vous vous-même.

Maisalorsdites-vousnous serons de petits saints ?

Necraignez pas cela ! A larges traitsje vous donne un vagueprogrammeirréalisable. Vous serez toujours ce que vous êtesmais un peu moins. On atténue ses défauts : on ne lesextirpe pasmais le peu de progrès que vous aurez réalisépar vos efforts illuminera votre vie. Vous vivrez d'un coeur joyeux.

Tel dit :« Moije ne connais que la raison »qui a beaucoup depeine à ne pas être un imbécile.

Sousprétexte que la perfection n'est pas de ce mondene gardezpassoigneusementtous vos défauts.

15 mars.

L'Arlésienne.C'est aussi vieux que n'importe quel drame de Dennery. Oh ! le vieuxberger ! C'est ce qu'on appelle embellir la vie. Mais un vrai bergerest un peu plus beau que ça.

Musiquedélicieuse. Comme toutes les musiques délicieuses seressemblent ! M. Colonne est un brave père coupe-toujours.Tous ces archets qui poussent comme des ongles de princesseschinoises !

17 mars.

Uninventeur qui a trouvé un baromètre trèsagréabledont l'aiguille marque le beau tempsmêmequand il fait mauvais.

Concoursagricole. La vraie richesse de la natureet on ne voit pas d'or.

Desmoutons avec leur petit toupet de laine au flanc.

Destaureaux qui ne cherchent pas à faire prendre des vessies pourdes lanternes.

Despetites vaches bretonnes qui rendent une tasse de laitd'énormesvaches avec des pis comme des besaces.

Des porcsimmobilesventre à terre.

Archets :joncs agités par la tempête.

Un hommearrive à Paris en blouseavec une jambe de bois. Il est vraiqu'il ne va qu'au Concours agricole.

19 mars.

Une pièceest bonne quand on s'y intéresse malgré les répliquesparfaite quand les personnages disent les mots qu'on attend.

L'oiseauqui voit un ballon se dit peut-être : « Je voudrais volercomme luisans ailes. » C'est le progrès.

La véritésur la terre est au mensonge comme une tête d'épingle àla terre elle-même.

20 mars. -Quand le roi Guillaume a poussé ce cri qui a l'air de nousconsoler de tout : « Oh ! les braves gens ! » est-cequ'un des cavaliers du général Margueritte ne lui a pasréponduavant de tomber : « Vieille brute » ?

Concoursagricole. Un pigeonqui s'est échappévole sousl'armature de la galerie : il voudrait bien rentrer dans sa cage.

Desfromages terribles dont quelques-uns font chavirer.

Unechouette empaillée. Le garçon naturaliste tire uneficelle ; la chouette tourne la têteremue les yeuxouvre lesailes. Tout celaelle le faisait bien mieux quant elle étaitvivante.

Peaux delapins très bien travaillées. D'autres lapins sont làà côté ; ils attendent.
Chèvresmaigres ; leur pis lourd leur tire la peau sur les os.

21 mars.

La pâleur: l'ombre de l'ombre.

Philippeest pour l'orthographe réformiste. Il écrit : unecais d'eu.

J'ai unfront d'hydrocéphaleet mes idées disparaissent àchaque instant dans l'eau. Elles reparaissentcomme noyées.

22 mars.

Dieu nousdira souvent : « Vous n'êtes pas au ciel pour vousamuser. »

A unplaisant :

-- Je vousdemande pardonmonsieurmais je me suis juré de ne plusjamais rire sans en avoir envie.

-- Jem'embête à creverdit Guitry dans sa grande auto.

Phrasequ'il faut lire deux foisnon parce qu'elle est profondemais parcequ'elle n'est pas claire.

24 mars.

Parfoisje n'ai plus de sang que pour faire de la mauvaise humeur.

Sociétédes gens de lettres. Les petits discours de la réunionpréparatoire.

Tous cesmessieursdevant la petite barre de fer qui les sépare denousparlent de leur activitéde leur assiduitédeleur dévouementmais personne ne parle de son talentce quiferait croire qu'ils n'en ont pasou que le coeur est moins rare quel'esprit ; ils ajoutentd'ailleurscomme l'ennuyeux Paul Lacourqu'ils mettent la bonté au-dessus du génie. Le coeurest donc plus rare. Tout cela devient obscur.

M. Labitteditde sa placeque l'honneur est au-dessus de l'argentce quipermet à M. Emerisans y mettre trop de formesde le traiterde misérable.

-- Jecroisdit un monsieurquelorsqu'on a écrit plus de vingtromans et de quatre cents nouvelleson peut se dire homme de lettres!

Ouisielles sont bonnes.

M. Lapauzedit que tous ceux qui le connaissent savent qu'il ne fait jamais depersonnalités. Mais nous ne faisons que ça !

Je ne saisqui prétend que M. Adolphe Brisson est l'honneur des Lettresfrançaises.

M. MichelProvins est secet sûr d'être M. Michel Provins.

MarcelPrévost s'étonne de me voir là.

Mme Pertdit qu'elle écrit mieux qu'elle ne parle. Je ne sais pas.

Mondeétrangeet qui ferait aimer la politique. Mais pourquoi tousces gens veulent-ils être du Comité ?

26 mars.

Sociétédes gens de lettres. M. Dorchain semble dire : « Je suis siaimable ! Pourquoi ne voulez-vous pas faire de moi un petitacadémicien ? »

AndréMaurel. Il crierait : « Assez ! Assez ! » à lagloire des autres.

PaulVibertle seul qui ait le courage de dire qu'il n'a pas 25 francs àdonner au profit de la presse.

Séverinedans un coin. D'une voix prenanteun peu théâtraleelle me dit la bonté du monde des antimilitaristes. Elle nepeut plus parler de riennulle partparce que tous les journauxsont payés. Elle se défie de Jaurèsa plus deconfiance en Briandcet homme froid qui réalisera peut-êtrece que l'autre aura dit.

Guitrydans son auto immense et glaciale. Comme il vient de me dire qu'authéâtre je fais des tours de forceje réponds :

-- Cela netombe pas dans l'oreille d'un sourd.

Et je luiannonceavec un peu de fièvremon projet de faire troisactes sur Philippe. Il m'offre tout de suite Le Breuil pour ytravailler. Je me retiens d'exposer le sujetde peur de n'êtrepas clair.

-- Aufonddis-jej'ai beaucoup d'imagination. Je l'ai toujours refoulée.

-- Je lesavaisdit-il. Vous avez choisi la perfection dans la véritémais l'imagination vous reviendra.

Je deviensun peu plus modestemais un peu plus orgueilleux de ma modestie.

Ilcontinue son petit roman. C'est le Jack de Daudetperfectionné.

Il nefiche rien. Si ! Il va à la cave et il en perd la clef. Quandon la retrouveil dit : « J'étais si malade ! »

S'il enfait long comme le doigtil faut en refaire long comme le bras. S'ilficelle un paquetle noeud se défait et tout le paquets'éventre.

Il regardele jardinier.

Dans sonbuvard on a trouvé un bout de papier et quelques mots dessus :la luneun ou deux mots latinsun mot grec.

-- Je nevends pas ma plume ! dit-il.

Et iln'écrit plus une ligne.

S'il sentle mépris des autresil dit :

-- On neme comprends pas ! Je fais mon oeuvre.

Il dit àsa femme :

-- On nepense qu'à l'argentici.

Commetout de mêmeles gens du pays prennent le parti de sa femmedepuis qu'elle travailleil lui ditcomme si elle jouait un vilainjeu :

-- Oh !toije te démasquerai.

Un curéen robe avec des dessous de cocotte.

28 mars.

Théâtre.Triomphessuccès d'estimefourstout ça fait de lacélébritéet qu'on est un monsieur dont il estparlé. Etau fondils ne tiennent qu'à çaetà l'argent.

La fuméevit et souffre par le vent.

L'officier:

-- Maconscience me dit : « Tu ne défonceras point les portesde l'église. »

Le soldat:

-- Maconscience me dit : « Tu ne tueras pas. »

La grossedame se cramponnait à son amant maigre comme l'abat-jour auverre de lampe.

1er avril.

Ce poëteon va voir ce qu'il a dans le ventre.

-- Destripes.

Deuxtirages en moiet ça ne donne que de la fumée.

4 avril.

ArtistesIndépendants. C'est l'endroit du monde où jem'ennuie le plus. Après le pointillismelepierre-de-taillismeet quelques jeunes maîtres se donnent unmal énorme pour nous faire vomir. C'est assommant comme tousles volumes de vers et de prose publiés à compted'auteur ; on n'est pas reçuà ce salon ; y entre quiveut.

Une têted'enfantclairement dessinée et peintede Paterne Berrichona l'airau milieu de tout celad'un chef-d'oeuvre.

Réussirau théâtre sans la pressesans les amis ni les ennemissans première ni répétition généralevoilà le rêve.

Voilàtrois ou quatre joursje parle à Guitry de ma piècesur Philippe. Après le premier acte :

-- Oh !c'est très bien ! dit-il.

Ledeuxième me vaut le même compliment. Après letroisièmeil dit :

-- Je suisbien content. C'est du Poil de Carotte en trois actes. C'estnouveauimprévu. Ce n'est pas comme Denise ou LesIdées de madame Aubray.

-- S'ilvous vient à l'esprit des critiques...

-- Non !Ça me semble parfait.

Je suiscontent. Maisle lendemaindépression. J'ai déjàété attrapé.

Quelquessoirs plus tardà la Renaissance

-- J'ai beaucouppensé à votre affaireme dit-il. Je continue detrouver ça très bien. Et vous ?

-- Dame !moije m'efforce de trouver des critiquesÇa ne m'en a pasencore dégoûté.

-- Nonnon 1 C'est très bien. Ce que je vois le moins nettementc'est votre dernier actemais vous n'avez fait que m'en parler trèsvite.

-- Vous mele diriezhein ? si je faisais fausse route. Il est encore temps queje fasse autre chose.

Il merépond :

-- Noussommes deux frères. Ne le serions-nous pas que je nelaisserais pas échapper une chose comme ça.

Nezpointillé de noir comme une fraise.

6 avril.

La vie etle théâtre séparés par une toile.

7 avril.

Quand cesvaudevillistes veulent écrireils ne trouvent même pasle style d'un vieux général.

L'autoritéobscuremais impressionnanted'un tailleur qui vous expliquepourquoi un vêtement qui vous va très mal vous va trèsbien.

14 avril.

Chaumot.Vendredi saint13. Est-ce qu'on croit moins en Dieuou le croit-onmoins bête ? Le train était bondé de voyageurs.Sans trop d'horreur une femme a regardé Marinette manger sonpoulet. Un gros homme la regardait avec envie. Tout de mêmeles « premières » se réservent encore. Lafoi ne s'en va que par en bas.

Desmoutons studieuxabsorbés par leur faimayant tous la têteappliquée au solle nez à l'herbe.

Printemps.Routes jaunes ornées de bouquets blancs.

Explosionsblanches des pommiers en fleur.

15 avril.

Philippe.Le fond de ses sabots est de la même crasse que le dessus deses pieds.

Le poëtePonge. Celui-làje suis sûr qu'il a étéfait avec du limon. Et il est resté limon pour les troisquarts. Seull'autre quart est devenu chair.

Le frontest terreux. Les oreilles sont de croûte fangeuse. Il y a de lavase aux coins de la boucheet de l'eau trouble dans les yeux.

Ilprouverait l'existence d'un Dieu grand potier.

Toujoursprêt à diresi je me fâche : « Nous autrespauvres petits campagnardsnous n'avons pas le temps d'étudierces questions-là »ou bien : « J'ai une jumentprête à faire poulain. Je vais la voir. »

La blouselargement ouverte sur le col de sa jaquette où sont les palmes: cette violette écarterait un pré pour se faire voir.

Honorine.Des ongles longs comme ça. Elle n'entend plusne reconnaîtplus. On la fait manger. Elle redevient plante avant de mourir.
16avril.

Trop devanitétrop d'impatience.

Je ne veuxpas me mettre moi-même en avantmais ça m'ennuie qu'onne vienne pas me chercher par la main de disant : « Voilàl'homme qu'il nous faut. » D'ailleursje refuserais de suivre.

J'aime lesbelles idées. Je souffreà les voir servird'étiquettes à des hommes qui ne sont pas beaux.

Jeraisonne ainsi : puisque je n'arrive pas à être un bravehommeil n'y a point de brave homme.

Je feinsd'écoutermais ce n'est pas pour entendrecar je n'écoutepas et je souffre de ne point parler.

Je veuxêtre franc et je dis faux.

Il y a deschoses que je m'efforce de ne pas diremais je souhaite qu'on lesdevine.

En sommeje souffre surtout de n'être pas compris et de ne pas pouvoirêtre ce qu'à mes moments de noblesse clairvoyante jevoudrais être.

Troptropde vanité.

Maman.Nonnonje ne mentirai pas. Jusqu'au boutje dirai que çam'est égal.

Ellevient. Marinette la fait entrer en disant :

-- C'estgrand-mère.

Ellem'embrasse (moije ne peux pas)s'assied tout de suite avant d'enêtre priée. J'ai dit :

--Bonjourmaman. Ça va bien ?

Pas unesyllabe de plus.

Mais iln'en fallait pas plus. Elle parle toute seule. Elle dit :

-- Jeviens de voir Honorine pour la dernière fois. Elle s'en va.Elle ne reconnaît plus. Elle doit avoir beaucoup de fièvre.Ses petites-filles lui donnaient à boire dans une tasse salesale !... Ah ! s'il me fallait boire dans une tasse pareille !... Ah! mes enfantsquand je serai vieilleplus bonne à rienàvotre chargedonnez-moi une pilule.

-- C'estpromisdit Marinette. Vous l'aurez. Allons un peu causer dans machambre.

Et il fautque maman se lève et la suive. Tout était réglécomme pour une froide cérémonie.

-- Et toitu vas bienmon Jules ?

-- Pasmal.

-- Tantmieux !

Dehorselle embrasse Marinette et la remercie. Je suis troublé. Je nesuis pas touché. C'est la situation qui m'émeut : cen'est pas ma mère. Ah ! c'est la vieille femme à qui jeressemblerai plus tard. Cheveux gris encore ondulésla chairs'en va. La peau se plaquecomme elle peutsur les os qui prennentune importance !... Et il y a des croûtes sur la peau comme surle bois qu'on ne repeint jamais.

Elle sevoûte. Deboutje ne vois plus ses yeux terribles. Quelquefoispourtantun éclair pâle monte jusqu'à moimaisça ne tonne plus comme autrefois.

Presquetoujourssur le momentla vie m'ennuie ou me dégoûte.

Ce n'estqu'au souvenir qu'elle s'arrange et m'amuse.

19 avril.

J'aimebeaucoup les compliments. Je ne les provoque pasmais je souffrequand on ne m'en fait pasetquand on m'en faitj'arrêtetout de suite : je ne laisse pas la personne s'étendre commeje voudrais.

Honorinecourbée en deux sur son lit. Elle n'a rien fait depuis quinzejours. Elle dit quelque chose que d'abord on ne comprend pas. Elle lecrie :

--Étranglez-moi donc !

Sacouvertureses draps sont propres. Ses brusdont l'une est sourdeet écoute avec inquiétude ce qu'on dit àl'autrela soignent - c'est leur héritage. Mais la matelasest pourri. Quand on la déplace ou qu'on lui étire lesjambes (elle hurle)les plumes s'envolent. Il y en a qui restentcollées à ses plaieset des enfantstoutes chandellesalluméesjouent avec les plumes.

Elledemande à boire. On lui tient la tête. Elle crie :

-- Vas-tulaisser ma tête tranquillesacrée garce !

Un peugêné tout de même de se marier si vite avec sabelle-soeuril redouble de soins pieux sur la tombe de sa femme :c'est la mieux entretenue du cimetière.

Elle afait ses pâques ce matin avec sa chère cousine. Oh ! cesdeux langues qui sont sorties en même temps de ces deuxvieilles bouchesces deux langues obligéesune secondedese taire ! Il a dû se faire un silence dans l'église...

24 avril.

Paysage.Des petits veaux qui dégringolentcomme renversésd'une boîte à joujoux. Des vaches et des boeufs blancsdans un pré d'un vert purdes toits roses au soleil couchantun horizon bleudes arbres qui n'ont encore qu'un duvet de feuilles.

Chiend'aveugle avec sa sébille comme une théière avecsa passoire.

L'alouettemontemonte. Elle va se poser sur le bout du doigt de Dieu.

Un pommierfleuri comme un garçon d'honneur. Les arbres se marient.

Toutes lesbêtes que tu ne vois pasparce qu'elles fuient à tonapproche !
Merle noir dans un cerisier blanc.

Ils'appelait Françoispuis Franchipuis Fanchietcommec'est un brave hommeon a fini par l'appeler Bon Fanchi.

Le ventpleure toutes ses larmes sur la vitre.

Boeufimmobile sur le pré vert comme la boule blanche sur lebillard.

30 avril.

Un enfantde l'hospiceloué du côté de Cervon àtreize ans. Il est un peu sourd. Il a 120 francs pour quinze mois.J'ai la maladresse de lui dire que ce n'est pas beaucoup. Alorslevant les yeux qu'il tenait baissésil dit avec fierté:

-- Il y aautre chose. On est blanchiet on a une paire de souliers.

1er mai.

Une belleaction d'un autreet notre vie nous paraît sans saveur.

Celui quimet un frein à la fureur des flots ne peut pas arrêtercette pluie.

8 mai.

Hierlundilendemain d'électionPhilippe avait tétécomme un petit veaudit Mariette. Le soirje l'envoie chercher unjournal. Il fait la commission tout de travers et me répondd'une voix pâteuse. Le lendemainje passe sans lui direbonjour. Après déjeuneril me rejoint sous lesnoisetiers.

--Monsieurest-ce que je peux aller planter des pommes de terre pournous ?

-- Allez !

Il faittrois pas et revient.

--Monsieurnous avons eu des paroles défavorableshier soir.

-- Comment?

-- Ouiallons ! Je dis quemoi et vouson s'est envoyé quelquesmots défavorablesparce que j'avais bu un petit coup hiersoir. Tout le monde m'arrêtait pour me payer un verre et pourme demander si vous étiez content.

--Était-ce une raison pour vous mettre dans cet état ?

-- Je nedis pasmais...

-- Allezplanter vos pommes de terre.

Il faittrois paspuis :

-- Alorsécoutez donccherchez-moi un remplaçant. Je vois bienque ça ne peut plus durer. L'autre jourvous m'avez attrapépour un journalhier soir pour un autreles deux fois en pas grandtemps. Alors prenez votre temps : huit joursquinzeun mois si vousvoulez. Je ne veux pas vous laisser en planmais...

-- Vous nesavez pas ce que vous dites.

-- C'estcomme ça.

Ils'éloigne.

Pauvrehomme ! Dans un accès d'alcoolismeil se mettrait sur lapaillelui et sa femme. Et moic'est comme si j'avais reçuun coup de poing.

Marinetteannonce la nouvelle à Ragotte qui ne doit rien savoir. Cettepauvre femme va être écrasée ! Du tout ! Ellesavaitmais ce que dit un homme saoul ne compte pas : il reviendra.

Scèneéreintantefacile à fairemais impossible àtranscrireoùdevant Ragotte qui s'assiedje traite Simonqui garde son chapeau sur la têtede sans-coeurde fauxrépublicain et d'homme saoul. Il veut sortir.

-- Je n'aipas finidis-je.

-- Oh !pour moic'est fini.

-- Restez.Nous avons à régler votre situation. Alorsje n'ai pasle droit de vous faire un reproche quand vous avez bu ?

-- Oh !si. Vous avez bien le droit de dire ce que vous voulez à undomestique.

-- Voussavez bien que je vous ai toujours traité en camarade.

Comme jele cribleil finit par avoir l'air de ne pas m'écouter et deregarder par la fenêtre un rat qui passe. Ragotte baisse latête et ne dit mot. Elle n'a compris qu'une chose et l'a dit àla fin :

-- Alorsc'est au mois d'octobre qu'il faudra nous en aller ?

Je me sensdur. Je parle mal. Les mots ne sortent paset je suis furieux contrecet homme en colère qui n'a pas un mot de regret. il tient àson idée : comme si j'avais bu moi aussinous avons échangédes mots qui se valent.

-- Vous medites de causer avec le monde ! Je ne peux pas causer sans boire unverre.

-- Bon.Qu'est-ce que vous allez faire ?

-- On abien travaillé avant d'être ici ! On travaillera encore.

Mais il asoixante anset il est sourd. Je me retiens de le lui dire.

Et pasattendris du tout ! Il semble qu'ils en aient assez d'être bien: ils voudraient changer. Ils ont soif de liberté misérable.Il reste là comme une motte de terre orgueilleuse. La têtede Ragotte tombe d'accablementde sommeilou d'indifférenceon ne sait de quoi.

Liquidation.On va vendre la vachetuer les chiensperdre les chats et mettre laclef sous la porte. La Gloriette se meurt. Il y a des paysages quimeurent comme les êtres chers.

10 mai.

Préparatifsd'orage. Au ciel roulaient lentement de pleins chariots de nuages.

Dieu n'apas mal réussi la naturemais il a raté l'homme.

Politique.Aie toujours une petite improvisation préparée !

Si ton amiboite du pied droitboite du gauchepour que votre amitiéreste dans un équilibre harmonieux.
Il est beaucoup plusfacile de parler à une foule qu'à un individu.

Lejardinier à poche de sarrigue.

Le casseurde cailloux se dit tailleur de pierres.

Un de cesarbres vilainement taillés par l'hommecomme un mendiant avectous ses moignonset qu'on ne voudrait pas rencontrer au coin d'unbois.

11 mai.

Philippela figure toute blanche et les yeux humides. Tout fond.

-- C'estpas nous qui se fâchentdit-il. C'est les autresqui nousfâchent.

-- Jamaison ne m'a mal parlé de vous.

-- Enfinon dit des choseset puis on les regrette. Je vas bien rester tantque vous voudrez.

-- Vousallez trouver Madamelui dire que vous regrettez ce que vous avezditet que j'arrangerai ça avec elle.

-- Je veuxbien.

--Donnez-moi la main.

Il vatrouver Marinette et lui dit :

--Monsieur m'a dit de vous dire que je regrette ce que j'ai dit.

PuisRagotte embrasse Marinette et lui dit :

-- Vousêtes pour moi tout comme ma mère.

Sa mèreest morteet elle aurait quatre-vingts ans.

-- Vousavez l'air d'avoir vingt ansajoute-t-elle.

Et LaGloriette nous réapparaît fraîcheintimeinséparable.

Fourmispetites perles noires dont le fil est cassé.

Je ne visplus réellement. Je me fais l'effet d'un reflet d'homme dansl'eau.

15 mai.

Le potbout. Les pois y dansent comme une source.

Il fautlire les chefs-d'oeuvre pour les remettre au point. Des livres ledeviennent pendant la bataille commeen temps de guerreon devientcapitaine ; maisensuiteque de révision rapides !

Je suisdevenu paresseux parce que Marinette a eu peur de me dire que je netravaillais pas.

J'ai déjàune vieille cervelle sans élasticité.

Deschemises qui sèchentla tête en baset qui dansent auvent sur leurs manches.

17 mai.

Ne pasécrire trop serré. Il faut aider le public avec depetites phrases banales. Daudet savait les intercaler.

18 mai.

Je me sensirréelcomme fait avec du nuagecomme un de ces êtresqui se composent et se décomposent au soleil couchant.

-- Oh ! ilest très fortcelui-là

-- Ah !Pourquoi ?

-- Il nedit jamais rien.

J'ai lesyeux plus grands que le ventreet le ventre si petit qu'il me suffitd'être propriétaire par les yeux. Rien pour mon ventremais mes yeux prennent tout.

Une vie dechat qui dort. De temps en tempsun bondun coup de griffeunétirement qui a l'air d'être de l'actionPuis le toutrentre dans son poil et se rendort.

Manuscritraturécomme un nid de pie.

Vous dites« la feuille » comme vous dites « la robe »mais il y a autant de feuilles que de toilettes.

Il y a enmoi du bon curémais je suis assez anticlérical pourne jamais devenir un saint.

22 mai.

Lerossignol chante bien ! C'est vite dit. Je chante bienouimaisquoi ? Mais comment ? Les hommes n'ont-ils pas de critique musical ?

Paresse :habitude prise de se reposer avant la fatigue.

24 mai.

Promenadeà Pazy. J'avais choisi un chemin charmant à travers lebois : il n'était que boue. Chaque fois qu'elle pataugeMarinette dit : « Ça ne fait rien »ou : «J'arrivesois tranquille. J'essuierai mes pieds dans l'herbe. »La femme qui accepte ainsi la boue du cheminc'est la bonnecamaradequi n'a pas peur de la vie.

Présgonflés d'une herbe abondantebien clos d'une haie touffue.

Clocher enbois et isolé sur une hauteur. On s'étonne que lafoudre ne l'ait pas encore aperçu.

Vieillesfemmes défiantesimmobiles comme des bornes à leurporte.

Lecantonnier heureux quand quelqu'un passe sur la route.

26 mai.

Paysans.Odeur de sueur piquée de tabac à priser.

Un motvulgairequi laisserait froid l'individutransporte une foule.

L'arbreébranchétout numontre le poing.
29 mai.

L'hirondelledont le vol est partout et qui n'est nulle part.
30 mai.
Dieunous jette aux yeux de la poudre d'étoiles. Qu'y a-t-ilderrière elles ? Rien.

31 mai.
Honorine a tantvécu que sa mort a passé inaperçue.

Parfoisje crois entendre encore son pas dans le jardin.

1er juin.
L'artiste est un homme de talent qui ne tient pas àparaître très fort.

Je regarde la nature jusqu'àce qu'il me semble que tout pousse en moi.
La margueritebelledame en robe blanche à longs plisavec un petit canotier dorésur la tête.

On finittoujours par mépriser ceux qui sont trop facilement de notreavis.

Letravailc'est parfois comme de pêcher dans une eau oùil n'y aurait jamais eu de poisson.

7 juin.

Guitrypasse à Chaumot.

Ce quej'admire toujours en luic'est sa racesa qualité fined'homme supérieurmais tout ce qui aboutit à l'autoce décousu dans le plaisirce fardeau de la libertécet ennui au fond de tout !...

Je le mènevoir la maison de Poil de Carotte. Il regarde le toit aux poulescelui des lapinsle toiton de Poil de Carotteprès de lasource d'eau de vaisselle que j'avais oubliée.

-- C'estbiendit-ilque Poil de Carotte soit sorti de làet qu'il yrevienne.

Tous ceschapeletsces saintes viergesces photographies de premièrescommuniantesqui sont des insultes à la mémoire depapa...

Le préoù Poil de Carotte et son frère mangeaient de laluzerne.

Guitryraconte toujours très bien. Il joue. Il fait les personnages.

Allaisallant au Breuil avec Gandillot qui a une malle. Allais n'a qu'unechemise.

-- Si tuveux la mettre dans ma malle ? dit Gandillot.

-- Quoi ?dit Allais. Est-ce que je t'offre de mettre ta malle dans ma chemisemoi ?

PuisGuitry récite du Léon Bloy.

Sa peur detout insectefût-ce un hanneton.

Je lui dis:

-- Oh !Venise !...

--Allons-y ! dit-il.

Je refuse; maislui qui n'y pensait pasil y va.

Je luidemande d'emmener Marinette avec nous jusqu'à Nevers.

-- Je nesuis pas indiscret ? Vous n'avez personne à prendre en route ?

Bras auciel.

Il a l'aird'un Anglaiset même d'un Anglais grisonnantmais il aimemieux qu'on lui dise qu'il a l'air d'un Américain.

12 juin.

Certificatd'études. Caporalisme bienveillant d'un inspecteur. Ils disent: « Faites-nous des hommes libres »maisdèsqu'un instituteur demande des explications sur une mauvaise noteilreçoit la petite lettre oùavec un étonnementsecon le rappelle à l'esprit de soumission.

LaissonsVictor Hugo tranquille ! Rome remplaçait Spartec'estdu galimatias pour ces petits. L'exercice de la rédaction eststupide.

Apprenez-leurà écrire une phrase ou deux. Telqui ne fait pas defautes d'orthographe dans une dictéene met que des motsbarbares dans sa rédaction.

L'instituteurpeintre et violonisteça se trouve. Il ditavec un petitsourire dédaigneux :

-- Je nefais pas de photographie.

Il méprisela peinture en bâtiment.

Cet autreon me le présente comme un vieux modeste officier d'Académiequi veut finir sa carrière dans sa pauvre école. Ilm'est bientôt insupportable tant il est fier de sa modestie.

Degentilles institutricesmais ça ne va pas jusqu'aux ongles.Elles disent de moi : « Mais ce monsieur fait bien mal leschiffreset il ne sait pas additionner les quarts. »

13 juin.

Il y en aje croisqui ne m'apprécient pas à ma valeurmaisd'autres me croient beaucoup plus malin que je ne suis.

14 juin.

Marinetteinséparable de son aiguille comme la poule de son bec.

15 juin.

Instituteurs.Ils disent encore « M. l'Inspecteur » comme ils diraient« Sire » ou « l'Empereur ».

Philippefauche le foinmais il ne peut pas me dire le nom des herbes. Commele pré est en penteil a un sabot au pied gauche et unesavate au pied droitpour ne pas glisser. A l'entrée du préle giletle marteau et l'enclume pour redresser la faux avant del'aiguiser. Les deux traces des pieds dans l'herbe.

16 juin.

Patriotisme.Le taureau nivernais refuse quelquefois de regarder une petite vachebretonne.

17 juin.

L'oeuvrede Flaubert sent un peu l'ennui.

Fête-Dieu.Il va à la messeles deux mains dans ses pochesmais il n'enperd pas un chariot de foinet ses domestiques suent toute lajournée comme si Dieu n'existait pas.

Socialistemais je deviens propriétaire furieux dès que les gaminsjettent des bâtons dans mes ceriseset je parle tout de suitede prendre mon fusil.

18 juin.

La haie metend ses soucoupes de sureau violemment parfumées. L'oiseau nes'y accroche pas aux épines.

Je marchela tête dans un vol de moucheronset ma tête est pleined'une poussière de pensée.

Meules defoin : un village subit et éphémère de huttesodorantes. Demain soiril n'y paraîtra plus : tout seraengrangé.

Un boeufapplique son nez sur le mur. Ses cornes en points d'interrogationilme regarde. Je le regarde bien en faceet je lui dis :

-- Quandje songe que c'est toi qui passes pour travailler de la tête !
Pourquoi suis-je sur cette routeettoidans ce pré ?Qu'est-ce que nous signifionsmon vieux camarade ? Mais tu n'en saispas plus que moi. Prends-toi les cornes à deux pattesetréfléchis.

La fougère: une pagode chinoise.

J'auraiconnu longtemps le plaisir de m'éteindre.

La vie atoujours été le tuteur de ma littérature : dèsque je m'éloigneje tombe.

19 juin.

Je ne pliepasmais je romps.

AcadémieGoncourt. Je n'aime que les discussions politiques ou religieuses.Les bavardages littéraires m'assomment.

Contorsionsd'une grosse chenille assaillie par des fourmis qui grimpent surellelui mangent la têtele ventreles yeux. Gulliver àLilliput. Ses efforts désespérés : elle se bandeet se détend comme un arc. Dernier spasme ; elle est morte.Les fourmis peureuses accourent. C'est noir et grouillant. Ellesl'entraînent sous un fraisier.

23 juin.

Jaurès: fumée en hautpeut-êtremaisen basla marmitebout.

Il seplaint toujours de n'être pas respecté.

Il a unecinquantaine de francs par moisde quoi nourrir un âneuncochon et deux vaches. On vend du lait aux mariniersmais on estquelquefois obligé de se disputer avec euxdes gars quisortent on ne sait d'oùdes prisonsdes galères.

Un bonpuitsdes lapins et des poules.

Un peuplusil lui dirait : « Et vousvous causez avec nous parceque vous n'êtes pas un mauvais hommeparce que vous avez pitiéd'un pauvre petit éclusier ! »

-- Onvient vous voirlui dis-je.

-- Oh !non. On vient se promener parce que c'est agréableunepromenade sur le canalmais venir me voirun pauvre petit éclusiercomme moi ?... Ah ! bienoui !

J'ai beauavoir mon âge et être maire : quand je vois un gendarmeje ne suis pas tranquille.

La véritéque j'ai tirée de mon puits ne peut pas se dépêtrerde sa chaîne.

25 juin.

Il y a unDieu par système planétaire. Ils ont finidansl'éternitépar se mettre tous d'accord. Quelquefoispourtantils se fâchentet brisent des mondes.

Poètenouveau. Retenez bien ce nomcar on n'en parlera plus.

Assisesimmobiles et lasses de parlerles vieilles sèchent làcomme un tas de fagots.

27 juin.

On neparle plus de moi qu'à propos des autres.

Boeufassez fort pour se passer d'être viril.

30 juin.

Leschevauxsans en perdre une bouchéedisent bonsoirde laqueueau soleil qui se couche.

C'estl'heure où les boeufs vont boire. Nous n'avons pas de lions.

Ah ! pourrecevoir le complimentje suis encore d'une jeunesse !...

1erjuillet.

Nevers.Émotion. Entrée au milieu des jardins. Le « tacot» devient tramway.

La musiquele Dimanche ; un seul applaudissement. Le proviseursouvenirs sousles grands arbres du parc. La pension Millet est encore làsur ses pliants.

Cette cageet cet oiseau étaient là il y a vingt-cinq ans. Je vousjure que ce sont les mêmes. Mais comme la célébritéde Gresset est quelque chose d'injuste ! Son perroquet idiot.

Les élèvessont les mêmes ; un peu moins de sournoiseries peut-être.

La Loireadmirable. S'asseoir comme un duc sur un escabeau et regarder du hautde la tour.

Souvenirs.Les cordes des bains dans le fleuve. Mes impressions d'eau froide.

Légèretéde n'être pas connudépit de ne pas être salué.

Orage :quelques gronderies de tonnerre.

Êtreheureuxc'est être envié. Oril y a toujours quelqu'unqui nous envie. Il s'agit de le connaître.

Paris. Desgens dînent au bord du ruisseau. La poussière vole surles platspuis craque sous la dent. C'est leur dîner àla campagne.

Un fortgarsun paysan de taureau lèche une vache qui a l'air findistingué.

Ceréserviste a relevé les pans de sa capote pour lapatriotique besogne. C'est ce qu'il trouve de martial.

La naturegagne à être connue.

Il n'y aplus que la peur de la mort qui les retienne à la vie.

7 juillet.

Nietzsche.Ce que j'en pense ? C'est qu'il y a bien des lettres inutiles dansson nom.

17juillet.

Un juge depaix. L'air stupidement fermé d'un homme qui craint qu'on nes'aperçoive qu'il juge au petit bonheur.

Petiteville. M. le juge et M. le notaire riaient beaucoup parce que M. lesous-préfet était allé aux champignonscematinpar cette chaleuret quenaturellementil n'en avait pastrouvé un seul.

D'expérienceen expériencej'arrive à la certitude que je ne suisfait pour rien.
20 juillet.
L'oie qui ne peut pas jouer de satrompette sans la casser tout de suite.
Au fondmaman vient icipour me voir. Elle ne me voit paseten partantelle a les larmesaux yeux. Elle remercie Marinette etcomme elle n'a pas eu cequ'elle voulaitlui enfonce ses ongles dans la main.

Avoir unemèreet ne pas savoir de quoi parler avec elle !

24juillet.

Une femmeappétissante et répugnantegrassejeune encoredépeignéela peau blanchesans corsetet les piedsnus dans des savates.

27juillet.

Un petitoiseau qui voulait traverser la route à pied.

Champs deblé tout frais tondus.

L'instituteurse décide à me demander :

--Pourquoi appelez-vous votre livre Bucoliques? Qu'est-ce que çaveut dire ?

Regarde levide ! Tu y trouveras des trésors.

SONNET
_Mon âme est sans secretma vie est sans mystère.
Mon amour banal fut comme un autre conçu.
Le mal estréparé : pourquoi donc vous le taire ?
Celle qui mel'a fait l'a tout de suite su.

Non ! Jen'ai point passé près d'elle inaperçu
Toujoursà ses côtés et jamais solitaire
Et j'auraijusqu'au bout fait mon temps sur la terre
N'ayant rien demandémais ayant tout reçu.

Pour ellequi n'est point très douceni très tendre
Ellesuit son chemin et se fiche d'entendre
Un murmure d'amour élevésous ses pas.

Al'austère devoir constamment infidèle
Sans avoirlu ces vers où je n'ai rien mis d'elle :
« Maisc'est moi ! » dira-t-elleet ne comprendra pas._

28juillet.

Le rebordencore doré par le soleilla lune passe en revue lespeupliers qui ne se sont jamais tenus plus droits.

30juillet.

Lasympathie éclate surtout entre deux vanités qui ne secontrarient pas encore.

Lemannequin se croit la Vénus de Milo parce qu'il n'a pas debras.

31juillet.

Je suisdevenu courttendurétrécià cause descomplimentsdu succès. Ma vraie naturec'est peut-êtred'être abondantlégerspirituel. Je n'écrisbien que des lettres à Marinette.

La lunereine des ombres.

1er août.

Lunenichée dans un arbre comme un gros oeuf clair.

Je suis unhomme sensible que la vie blesse ou réjouit. Je n'ai pas lesang-froid de l'observateur indifférent.

6 août.

Vous voustrompezmonsieur. Vous m'offrez vingt-cinq francs pour une nouvelle? C'est un prix pour homme de génie.

Visite dupoëte Ponge. Le pauvre homme ! Ai-je le droit d'être aussidur ?

Il porte àlui seul le poids de la conversation. Il en sue. Il me parle de samairiede Fantecde la chassedu Comité républicain.Il s'offre à me lire son discours du 14 Juillet et saconférence sur les grands hommes.

-- Je n'aipas le tempsdis-je.

Il medemande des livres pour son petit.

-- Je n'aipas de livres pour gosses.

-- LesGoncourt pour moi.

-- Fantecles lit.

-- Je neveux pas vous empêcher plus longtemps de travailler.

Il selève. Va-t-il revenir ?

Il a l'aird'une mouche quià chaque chiquenauderetombe dans son bolde lait.

Lafatigante horreur du soleil toujours là.

Philippene sait pas encore de quel côté la lune grandit ets'usede quel côté sont tournées les cornesquand elle est au premier quartier. Je lui fais un peu honte de sonignorance. Il répond :

-- Je neregarde jamais la lune.

Ils nerendent rien. Rien ne porte. Ils ne boivent pas un verre d'absinthede moins. On ne fait pas reculer le fumier d'une longueur de paille.

Ils nefont aucun progrès. Ils finissent par nous faire croire quenous en faisons un peu.

Lecatholicisme les a habitués à une espèced'honnêteté formelle qui leur suffit. Du moment oùl'on va à la messeon peut mentir. La République vatomber dans le même travers ; ils flanquent la Vierge auxécuriesmais ils continueront de battre leurs femmes.

Le curévoulait seulement les dominer. Il était satisfait. Il sesouciait peu de leur éducation morale.

Le prêtrelaïc va avoir bien des déceptions.

Si jedonnais au public ce que j'ai de médiocre et d'abondantjeferais fortune.

Ilsdisentces pauvres bougres qui vivent à peine chez euxqu'onn'est pas mal à l'hôpital. On ne fatigue pas. On n'a pasbesoin de manger beaucoup.

Mourirc'est éteindre le monde.
Canal aveugléd'hirondelles.

De ladiscussion jaillit le sang.

La roue dema fortuneà moic'est la lune.

-- Il yavait quarante personnes au baptême de Julesdit maman.

Je n'enaurai pas autant à ma mort.

Elle ditaussi :

-- Ilétait si joli que tout le monde le prenait pour une petitefille.

A M. Royl'instituteurj'explique longuement Sarah Bernhardt.

-- Ah !elle a donc aussi créé des rôles ? dit-il.

-- Ellen'a fait que ça ! dis-jeétonné.

Mais jecomprends ensuite. Pour luicréer signifie écrire.

Ce sontles cabots qui nous ont habitués à croire qu'ils créentles rôles.

7 août.

Connaissez-vousun âne à vendre ?

-- Moi !dit un pauvre homme en pleine détresse.

Et onl'aurait eu pour pas cher.

L'égalitéc'est de l'envie. Ouimais nous la supprimerons en supprimant nosraisons d'orgueil.

Lavitalité du chat qui a l'air si paresseux ! Ses oreilles etses yeux travaillent toujours. Il a toujours en lui des bondspréparés etsous luides griffes prêtes.

Commehommele Christ est admirable. Comme Dieuil laisse dire : «Quoi ! C'est tout ce qu'il a pu faire ? »

9 août.

Dans lesol léger la charrue glisse comme un petit bateau.

Ils sontenvieuxnon pas du châteaumais du voisin qui a réussi.

10 août.

La rêverie: le lierre de la penséequ'il étouffe.

Promenade.Toujours cette nature émouvante et ce mystère de lacréation.

Amitiéde ces deux grands ormes isolés qui se ressemblent.

Eh ! quoi? Nous sommes sur terre pour publier des livres ou faire jouer despièces ?

Et on adit à Marinette quelque chose d'un peu sentimentalettout àcoupon aperçoitde l'autre côté de la haieunpaysan qui a entendu et qui a l'air gêné.

Relu devieilles lettres que j'ai écrites à Marinette. On nechange pas. Migrainesrages de travailparessesgoût devivreet Marinette est toujours au centre.

Ce quim'étonnec'est que je n'aie pas donné plus de détails.Il me semble qu'aujourd'hui l'oeil capterait tout. J'ai un meilleurappareil. Mais on s'aperçoit qu'on a tout de même vécuet qu'il est bien naturel que la vie passe et même finisse parfinir.

Un travailde tuteurde rameur de pois. On soutient la vie des autres : on nevit pas.

Le paysanme salue le premier. Pourquoi ? Ce n'est point parce qu'il est leplus poli.

Rienn'importepuisque avec tout on peut faire de la littérature.

Unefeuille vivante arrachéepar une vague de ventàl'arbre où elle s'accrochait comme à un mât.

11 août.

La Chaludene croit pas à l'âmemais elle croit que notre corpspasseratel quelde ce monde dans un autre où il aurasanssouci et à volontéle mangement et le buvementc'est-à-dire tout le nourrement.

Et voilàque je fais le petit enfant. Je dis à Marinette :

-- Tu asle petit enfant qu'il fallait à la satisfaction de tous tesinstincts maternelsqui demande que d'abord on lui pardonne tout etqu'il ne faut pas qu'on gronde trop fort quand il ne travaille paset qui serait toujours heureux de ne jamais rien faire.

Marinettem'a tout donné. Pourrais-je dire quemoije lui ai toutdonné ? Il me semble bien que mon égoïsme resteintact.

Quand jelui dis : « Sois franche »elle lit très biendans mes yeux jusqu'où il faut aller.

C'est leseul être que je sois sûr d'aimeravec moi. Etencoremoi... Je me fais faire souvent une grimace de dégoût.Ouielleje l'aime beaucoupet jamais je ne la juge mal.

Peut-êtreavait-elle peur de moiet elle s'est dit : « Il n'y a qu'unemanière de me sauver : c'est d'avoir en lui une confianceabsolue. Je ne ferai jamais mal. Si cela m'arrive sans que je lesacheil me préviendraet il me pardonnera. »

Parfoisquand elle regarde ses enfantselle semble si près d'euxqu'on dirait deux de ses branches.

Par sesyeux on voit son coeurun coeur rose. C'est du soleil.

Y a-t-ilau fond de ses yeuxsur la rétineun miroirun petit coinque la tendresse ne voile paset où je ne me reflètepas en beau ?

Ses brasnus ont frais.

J'aiMarinette : je n'ai plus droit à rien.

A côtéd'elleje peux dire : « Mon oeuvre... mes qualités...mon esprit... » etavec un peu d'hésitation«mon talent » : elle trouve cette façon de parler sinaturelle quemoi-mêmeje ne sens aucune gêne !

Je ne suispas sûr qu'elle m'ait rendu meilleurmais j'ai pris de bonnesapparences.

A lapensée qu'elle pourraità cause de moitomber dans lamisèrej'ai un serrement de coeurmais je me dis trop vite :« Comme elle la supporterait bien ! Elle m'aimerait encoredavantage. »

- Jeconnais ma partdit-elleet je ne changerais avec aucune femme.

12 août.

Elle esten progrès. Elle fait bouillir son eau et s'éclaireavec une petite lampe Pigeon. Elle a peur d'être enterréetrop bas et me promet une armoire si je consens à ce qu'on nel'enfonce pas trop.

Elle aappris à faire servir une allumette deux fois.

Elle useun seau d'eau par jour.

15 août.

Saint-Honorémorne village d'eaux. Le déjeuner aux mouchesservi par unvague Laurent Tailhade.

-- Comment! Vous n'avez pas d'eau minérale ?

-- Nousavons donné la dernière bouteille hier. Nous enattendons une caisse.

-- Allezen prendre chez le pharmacien !

-- C'estbien loindisent-ils.

Le veaud'hier avec sauce d'aujourd'huiles pommes rissoléesc'est-à-dire pas cuites. Les bouchées à la reine! Pourquoi faire ?

Et lebreuvage tiède ! Et l'omelette à la farine !

Et levieux quiau dessertla goutte au nezvient tendre la main.Changement de ton dès qu'on avoue qu'on ne restera qu'unejournée.

Au Casino.Le géranthostileune fleur à la boutonnièrevient voir à chaque instant sur le pas de sa porte. Ils nousaperçoitet rentre. Une citronnade. Quelles pailles ramasséesoù et sucées par qui. Dressage d'un petit chasseur quicherche avec détresse la table que le gérant luidésigne du doigt.

Le marquisgénéral d'Espeuilles arrive et se fait porter sur unechaise. Il salue (personne ne lui répond)et entre dans lasalle de jeux. Richards du lieu tout fiers de lui parler.

Une cabanepour les renseignements donnés par le syndicat : toujoursfermée.

Le coupletragique. Portant des boîtes platesils cherchent leur placela table d'où ils feront le plus de poires. Le professeurapparaît en habit. La vénérable vieillebossuebandeaux blancsrobe de soiejupon jaunetire un violon de saboîte. Dans l'autreil y a les accessoires du professeur etles lots de la loterie. Oh ! la pitié qu'excite la vieille !Cet air résigné qui fend le coeur ! Elle n'a donc pasun petit-fils qui lui dirait : « Grand-mèreje t'ensupplie : ne fais plus ça ! Tous les mois je te donnerai 20francs. Tu pourras vivre chez toidans un coinet penser àton salut. » Toute pâleon dirait l'art tombédans la misère.

Laïusdu professeur. Il est déjà trop jovial. Il annonce quemadame va jouer un morceau de sa compositionpuis un air de vielle.Luiil fera des tours nouveauxtrès curieux. Elle joue. Onapplaudit. Elle salue en souveraine déchue qui tout àl'heure aura l'air d'une concierge. L'homme fait ses tours. Loterieet la vieille vénérable va se changer en sorcièregrippe-sou.

16 août.

L'intelligencesans aucune finesse. Il voyage en troisièmemais se venge surle pauvre homme qui met sa valise sur l'ombrelle de sa femme. Sonmépris d'employé de l'État pour les petiteslignes d'intérêt local.

Toutes lesfemmes de mon théâtre se ressemblent ; d'ailleursjen'en ai qu'une.

Premièrereprésentation. Prière de n'envoyer ni couronnes nifleurs.

Meslectures sociales ont détruit mes ambitions personnelles ;elles ne m'ont pas donné le courage de travailler pour lesautres.

Commec'est joli et naturelune fleur de gaieté dans un parterred'ennuis !

Une moucheentre par toutes les fenêtres ouverteset sort sans quepersonne ait compris quelle nouvelle elle a apportée.

Le travailcontinu a quelque chose de bête comme le repos.

Notre rêvese heurte au mystère comme la guêpe à la vitre.Moins pitoyable que l'hommeDieu n'ouvre jamais la croisée.

Donnayunrire qui voudrait être sérieux.

20 août.

Ceux deCombres. Comme ils tiennent à leur coin ! Comme ils sontaccrochés à cette pente qui dévale vers l'Yonne! Les maisons se tiennent. Un mur plus court que l'autre.

Ils ontleur fontaine dont le mur est adossé à une écurie.Une petite rigole de purin coule à côté. Lesauges où barbotent les oies.

Il n'y apersonnemaissi M. le Maire apparaît le dimanche pour faireun bornageils sortent des maisons. Bientôtils sont tous là.Quelques-uns se frottent les yeuxcar ils dormentl'après-mididu dimanche.

Ils aimentà flâner autour de la maison et du jardin. Ils ne vontmême pas voir la fête de Corbignyqui est àquelques centaines de mètreset dont on entend la musique dechevaux de bois. Un peu plus hautet à droiteils auraientjoui d'un magnifique horizonmais c'était leur idée des'installer làà cause de la fontaine. Ils voientencore le Mont-Sabotoù il y a une chapelle et où ondit la messe tous les quinze joursle clocher de Saizyles hauteursde Nuars. Ils savent qu'il y aderrière ce boisun villagequi s'appelle Neuffontainesderrière ce mamelonpar celabouréun village qui s'appelle Vignol. Ils y sont allésqu'une fois ou deuxmais ils gardent le souvenir du chemin qu'ilsont fait une fois et de tout ce qu'ils ont remarqué àdroite et à gauche de la route.

Ilsattendent jusqu'au bout : si des foisM. le Maire entrait àl'auberge et payait à boire ?

Parfoisôsurprise ! à une fenêtreune femme jeune et jolie. Cene peut être qu'une étrangère ? Pourtantelletient un enfant dans ses bras. Mystère !

Unsyndicat de bûcherons. Un vieuxpieds nusdit :

-- J'aisoixante-cinq ans. J'ai été roulé plus desoixante-cinq fois par Delaruele marchand de bois.

-- Nous nevoulons plus marcher dans l'eaudit un jeune.

Un sagequi n'est pas de la communequi a été maire autrefoisà qui ses lunettes donnent un air de savant et malinet quiest là par hasarddit :

-- Vousavez raison de vous syndiquermais il ne faut pas abuser de votreforce.

Leurfontaine ne troublit jamaissauf après les «grosses orages ».

Celapourrait s'appeler : un Coin du Monde.

Vache : untonneau avec deux cornes.

21 août.

Voyage àMont-Sabot par CombresRuagesMoissyretour par le Mont-Buéroute de LormesBaillyReunebourgCorbigny. J'étale mamémoire comme une carte géographiqueet je m'efforcede revoir ce que j'ai vu : perpétuel étonnement.

Deuxchâteaux à tours carrées qui peu à peus'adoucissent et deviennent des fermes.

Chitry-Mont-Sabotavec ses toitures de paille et ses beaux noyers. Il n'en a pas l'airdit le voituriermais c'est un pays riche. Une jeune fille apporteen dot un noyer.

Un chaosde maisonsde jardins et de tas de fumier. Des murs neufs de granitrouge.

Mont-Sabot.Un sabot droitan nez fendu. Des tilleuls dont l'un est foudroyémort. On y enterre encore. L'églisecouverte en pierresplatesest fermée. Vieilles tombesdont les plus vieillessont les mieux ouvragées. Vue magnifique : Montenoisonlechâteau de Vaubanl'immense grange de VézelayLormes.Les morts n'ont qu'à se lever sur un coude pour voir tout ça.

Un paysclairfacile à comprendre : une butteun vallonune butteun vallon. D'une pente à l'autreles paysans se voienttravailler. C'est la première église que j'aie envie devoir : elle est fermée.

Un sentiertourne autour de la butte comme une jarretière au-dessus dugenou.

Puisl'heure rosel'heure tendrel'heure divine arrive. C'est unesurprise que Dieu nous fait chaque soir. Il faudrait se coucher danstous ces présboire à toutes ces fraîcheursvivre làlàmourir partout.

Êtrenélàau pied du Mont-Sabotquelle enfance pour unpoëte 1

Petiteville. Les filles du marchand de fer ne veulent pas frayer avec lafille de la marchande de gâteaux. Le fer est plus noble que lapâtisserieet jamais on ne les voit au magasinelles !

L'oie enéquilibre sur ses deux pattes. Le gros derrière blancest bien lourdmais le cou est assez long pour faire contre-poids.

Queleffrayant bavard que ce relieur ! Je lui dis de s'asseoir sur lachaise qui est dans un coin : il faut qu'il la rapproche de monbureauet toute sa vie y passe. Quelle prodigieuse facilité àraconter des histoires qui s'emmêlent ! Et c'est qu'il n'oubliepas l'histoire commencée 1 Il y revient du bout du monde ; etil tripote tout ce qu'il y a sur la table : papierbuvardlivres.Il met son coude sur une boîte de papier à lettres : illa défonceet ça ne le trouble pas.

Il m'offreune prise. C'est sa belle-mère qui lui a appris àpriser. Il fume aussiet il a une pipe qui date du temps oùil était marin. Histoire d'un livre de bord qu'il a relié.Pierre Loti. « Vous n'êtes pas sans connaîtrePierre Loti. » On ne lui apprend pas à faire desgrimacesparce qu'il est allé chez les singesàBornéo.

-- Vousconnaissez votre géographie ?

-- Ouidis-je. Un peu.

Il passe àun châtelain qui a un beau livre de l'époque d'Henri IV.

-- Quelsièclevous qui êtes homme de lettres ? Quatorzième?

-- Non !Seizième et dix-septième.

-- Ah ! Jecroyais quatorzième.

Dans sonmétieril faut être physionomiste parce que tout lemonde devient polichinelle.

-- Ah !dit-ilsi j'étais à la place de Poincaréj'entrouveraismoides fonds ! Je dirais à Mazetier : «Vous êtes relieur dans la Nièvre. » Mazetierdirait : « Je suis libraire. - Et relieurd'aprèsl'annuaire. Je vous marque une patente de relieur. Allez ! »

Il m'a vuchez un notaire. Il m'a vu aux fêtes de Tillier.

Histoirede Lahaussoisd'un vaguemestred'un amirald'un pèrerépublicain dont le fils s'est fait jésuiteetc. Assez!

Promenadeau petit bois. Renifler l'odeur du blé coupé. Un merlesautille devant moi sur la route comme pour m'inviter à lesuivre.

Des arbresarrêtés sur le coteaucomme des dames quisous leursombrellesregarderaient se coucher le soleil.

24 août.

Promenadeà Montenoison. Admirable vuesurtout au nord. Le Morvan unpeu embrumé.

Les deuxarcs croisés d'une voûte restent intacts. Le promeneurquiau pied du calvairedit un Pater et un Ave adroit à quarante jours d'indulgences. Est-ce que cette vue nesuffit pas comme récompense au terme de notre ascension ?

Sur cettehauteurdes arbresun champ de bléune vacheune chèvre.Et toujours le cimetière plein de petits orgueils : despierres tombales énormes. Ce qu'on se fatigue pour les morts !Deux femmes en deuil viennent s'agenouiller sur une tombe.

L'égliseest fermée. Plaisir peureux à marcher sur les morts.

On monteavec orgueil sur une vieille muraille. Villages au pied : NoisonArthelChamplinet Champallement perché sur un petit abîme.Étonnement de voir de jolies maisons etdans un jardinunmonsieur à gilet blanc.

Aprèsvingt ans de service chez M. PerrinPhilippe a euau Comiceagricole de Lormesune médaille et 40 francs. Il est alléà pied les chercher : 35 kilomètres aller et retour.Les 40 francsil y a beau temps qu'il les a mangéset il nesait pas ce qu'est devenue la médaille.

Lesperdrix se sauvent comme si elles étaient prises en faute.

Qui doncdessine au ciel un bonhomme de nuage ?

A quoi bonvoyager ! Il y a de la naturede la vie et de l'histoire partout.

27 août.

Comice àLormes. Vénérables têtes de réactionnairesqui n'ont plus que l'orgueil d'être les plus riches.

Beautédes chevaux de bois qui font tourner devant nous des têteshumainesd'abord joyeusespuis résignées.

Beautéde Focardpharmacienqui photographie la fête et n'a pasconfianceparce que ça manque de premier plan.

Beautéde M. Cartierqui aurait si bien fait un sénateur. Mais rienne vaut le petit étang au pied de sa forêt.

28 août.

Un chevalla nuitfrappe du pied dans la rivière comme s'il lavait etbattait son linge.

Moi aussij'ai mes brusques changements de temps et mes longues périodesde sécheresse.

29 août.

Le villagedans son clair de lune comme des meubles sous une housse.

L'escargot: vigneron avec sa hotte sur le dosla tête traverséed'aiguilles à tricoter.

30 août.

Je n'aiguère d'autres tristesses que celle que me donne un air depiano.

31 août.

Une mouchequi se frotte les mains.

Quoiqueparalytiqueje juge sévèrement la marche des autres.

Tout ceque je peux fairec'est de raccourcir mes défauts : un accèsd'humeurde rancunede vanitédure moins longtemps.

Mais jecrois que l'égoïsme a toujours la même longueur.

3septembre.

Ah ! labougresse de lune ! Elle en dégageune poësie !

Dieumodesten'ose pas se vanter d'avoir créé le monde.

4septembre.

Philipperetourne à la terre. Elle remonte en lui et lui gagne lecoeur. Il lui reste la parole humainemais à chaque instantle sens échappe.

Le détailde la vie m'a paralysé comme un lierre.

Un pauvrequià sa mortne laissera d'autre héritier que Dieu.

Je suiscomme un chasseur qui ne veut plus tirer qu'à coup sûret qui doute de son adresse.

6septembre.

Réunionméditative d'arbres présidée par la lune.

L'horreurque j'ai du mensonge m'a tué l'imagination.

Le métierdes lettres est tout de même le seul où l'on puissesans ridiculene pas gagner d'argent.

10septembre.

Les heuresoùcomme un poisson dans l'eauje me meus à l'aisedans l'infini.

11septembre.

Faire aveceux du roman social. Mais le paysan n'est pas un héros deroman. On peut écrire sur lui un livreet non un roman. Pourparler de luiil faut renoncer aux anciennes formules. Ne comptezpas que vous lui ferez dire autant de bêtises qu'au bourgeois :il ne le supporterait pas.

12septembre.

« Lestylec'est l'homme. » Buffon a voulu dire qu'il avait unemanière bien à lui d'écrireet que c'est àcela qu'il voudrait être distingué du voisin.

Romancerle paysanc'est presque faire une insulte à sa misère.Le paysan n'a pas d'histoiredu moins pas d'histoires romanesques.

On peuttout faireavec de la volonté ; maisd'abordcomment avoirde la volonté ?

J'ai l'âmeparalysée. Je suis mort à l'intérieur.

Le soirl'homme ramène sur sa brouette un sac de pommes de terre etson gilet.

Dégoûtdu métier littérairede la vie faussée selon larègle écritede la vérité remise aupoint pour le lecteur.

Ces notessont ma prière quotidienne.

Buffon adit : « Le stylec'est l'homme »et il a eu descollaborateurs qui faisaient « le Buffon » mieux que lui.

J'aiappris à des jeunes gens l'art de pêcher à lalignemais ils ne savent pas choisir leur poisson.
14 septembre.

On aquitté le camarade intelligentdistingué même.Dix ans aprèson retrouve l'homme qui ne sait même plusse raser à temps. Prendra-t-il sa retraite àcinquante-cinq ou à soixante-cinq ? Louera-t-il une maison ouva-t-il en faire construire une ?

Et ondevine qu'il n'a plus le sou.

Il a lemeilleur chien : il ne le donnerait pas pour 500 francs. C'est unpetit chien basset qui ne s'amuse qu'avec les souris.

Le vieuxgarçon égoïstequi dit que les enfants «complètent »mais qui s'est bien gardé d'enavoir.

Plaisiramer de se rabaisser à leurs yeuxde dire : « Moijene gagne pas beaucoup d'argent »de s'attendrir et de sentirque l'émotion ne les touche paset qu'ils ont peur de ce tonconfidentiel auquel ils ne sont pas habitués.

Parcequ'il a vu jouerCyrano et qu'il a lu la pièce ensuite(ce qui n'est pas ordinairedit-ilcar on lit plutôt lespiècesd'abord)il se croit quitte avec tout le reste de lalittérature.

A cecontrôleur principalami d'enfanceje suis aussi étrangerqu'Ibsen. Le seul hommage qu'il puisse me rendrec'est de me répéterque Coquelin était épatant dans Cyrano.

Quand ildit : « La morale est chose relative »on sent qu'il estsincère et quepar cette formuleil passe l'épongesur un tas de petites fripouilleries personnelles.

Il dit dePhilippe : « C'est un joyeux viveur. » Pour luitous lesvieux paysans sont des braconniers.

L'hirondelleavec son petit pantalon blanc.

Je regardema photographie piquée au mur avec deux punaisesetplein dedétresseje lui disd'une voix intérieure : «Mon pauvre vieux ! Mon pauvre vieux ! »

Les coïtsde sympathiemaisaprèsc'est l'indifférencel'oubli.

15septembre.

Uneinstitutrice refuse un mari qui a 100 000 francs parce qu'il a l'aird'un ouvrieret parce quedit-elleelle ne veut pas avoir un mariau-dessous d'elle par l'éducation ; etdans la lettre oùelle fait ainsi la mijauréeil y a quatre fautesd'orthographe.

Scène.Il lit la lettre lui-mêmeet se met à rire.

Quand jene suis pas originalje suis bête.

C'est undevoir d'assister au petit coucher du soleil. Le courtisan Molièren'avait que celui du roi-soleil.

Je suisassis sur le banc. Ragottequi va chercher la vachepasse devantmoi. Elle veut dire quelque chose : on ne passe pas devant le mondesans dire un mot.

-- Je vousgarantis que les jours ont bien lâché ! dit-elle.

Unesecondesur un piedelle attend la réponse.

Je neréponds rien. Comme déséquilibréeelles'en va.

Lemonsieur n'a pas répondu : pourquoidiable ?

17septembre.

L'oignongonflé et bedonnant comme les clowns qui ont trente-sixgilets.

Il n'estpas nécessaire de vivremais il l'est de vivre heureux.

Népour bêcher un coinje voudrais remuer toute la terre.

18septembre.

A chaqueinstant je m'éteins et je me rallume. Mon âme est pleinede petits bouts d'allumettes.

Lalittérature a développé en moià mesrisquesune sensibilité douloureuse.

Je ne suispeut-être pas trop mal armé pour donner des coupsmaisje suis mal protégé pour en recevoir. A la premièreinsulteautant par orgueil que par dépitje me tiens coi.

20septembre.

Il y a desrues de mon village où je n'ai point passé depuis mapremière communion.

22septembre.

Lameunière. Elle fait tout. « Petits ! Petits ! »pour les poulets« Bibi ! Bibi ! » pour les dindons«Goulu ! Goulu ! » pour les canards« Tii ! Tii ! Tia !Tia ! » pour les cochons.

Elle faittout. Elle garde pourtant une amabilité rapide et semble dire: « Dépêchez-vous ! Il faut que j'aille àma volaille. »

On entendses sabots dans la cour.

Elle faitelle-mêmece qui est un travail d'hommela pâtéedes cochons.

Prèsd'elleson mari reste invisible. On dirait qu'il dort toute sa vieau son de son moulin.

Pas debonnemais elle en fait trop.

Lafermièreau contrairecommande. Ordrepropretéamabilité de maîtresse de maison. La cuisinièrebrille au point qu'on dirait qu'elle ne s'en sert pas. Elle fait unbeurre excellentqu'on se dispute. Elle est bien habilléepresque toujours avec du deuil. Elle a une fille qui est unedemoiselle. Elle critique. Elle sait que ses écuries sont tropétroites et qu'il n'est pas commode d'y traire les vaches.

Jésus-Christavait beaucoup de talent.

QuandFaguet dit : « Suivez-moi bien »on peut être sûrqu'il va s'égarer.

Bel homme: il ne lui manque que de ne pas avoir la parole.

24septembre.

Le soleilse lève avant moimais je me couche après lui : noussommes quittes.

Coupd'oeilregard. Il devrait y avoir le coup d'oreille.

25septembre.

Automne.Le vent souffle avec une colère nouvelle.
Un soleil glacésur les toits d'ardoise.

Tout bougeau ventsauf le boeuf qui mangele nez solidement attaché àla terre.

La clairefenêtre par où mes yeuxà chaque instantvontse promener.

Unedraperie d'étourneaux s'abat sur une haie.

On a vu unhéron.

La nuits'installe dans les bois ; elle y passera même la journée.

26septembre.

Automne.Cinq heures du soir.

Luttesilencieuse et lente du soleil et de l'ombre.

L'ombregagne. Les arbres en ont jusqu'à la taille ; leur cime restedans la lumière. En haut du préles boeufs éclatentde blancheur.

Ardoisesviolettestuiles roses ou rouges.

Le soleilcède et recule à l'horizon. Tout là-hautuneferme comme incendiée ; l'eau de l'ombre va éteindre lefeu.

Si nousétions un peu plus sévères pour nos amisils nenous paraîtraient pas aussi méprisables quand ilsdeviennent nos ennemis.

27septembre.

Dix heuresdu matinc'est l'heure grave et parfumée où lelaurierle célerile navetle thymle persille poireaula gousse d'aill'oignon et les deux carottes coupées enquatre se réunissentdans le potautour de la tête deveau enveloppée d'un linge blanc.

20septembre.

Gentilshommes.Un titre dans la noblesseun grade dans l'arméeune autoune grue et un prêtreavec ça ils peuvent attendre lachute de la République.

1eroctobre.

Automne.La précoce vieillesse de certains arbres au milieu d'autresqui restent verts et qui semblaient du même âge.

3 octobre.

Promenades.A Châtillonpar Saint-Saulge.

A chaqueinstantpar la moindre buttele Morvan déploie aux regardsdu promeneur ses plus belles lignes.

Sur laroute de Prémeryderrière une pauvre vieille maisonil y a un champ arrondi comme une moitié de pomme. Le blévenait d'être coupé. On ne voit pas : on devine quelquechose d'admirable. Je pousse la barrière et je vais au sommetdu champ. C'est à quelques paset on est ébloui. C'estbeaumouvementéet bruissant comme la mer.

Un commisvoyageur ne se soucie point de ça. Il achète des cartespostales où sont écrites en vers les légendessouvent stupidesde Saint-Saulge. C'est un poëte ou un saintqui devrait habiter cette maison qui tourne le dos à l'horizon: ce n'est qu'une vieille femmequi pense à des chosestristes. Je pourrais dire qu'elle est aveuglemais ce serait uneffet facile.

Il y a unevingtaine de buttes comme celle-là autour de Saint-Saulge.

Marinetteest prête à faire un voyage sac au dos. Deux charmantesfemmes nous dépassent. Une belle femme est encore embellie parun paysage qui lui va bien. Où vont-elles ? A quelque château.Que se passe-t-il en elles ? PourvuO Nature ! qu'elles ne disentpas trop de bêtises !

Ce grandfrisson presque douloureux qui ne fait que nous émouvoirlesmédiocresc'est-à-dire presque tous les hommesmaisqui fait pousser aux hommes de génie leurs plus beaux crislamartiniens.

Étangmiroir où la belle nature aime à se regarder.

Sourire del'hôtelier qui s'incline autant que le lui permet son ventre.

-- Nousvoudrions déjeuner.

-- C'estbien facilemonsieur.

Et legeste large pour indiquer la salle où l'on mange. A la tabled'hôteun commis voyageurun gros monsieursa femme maigrela grande fille et une petite amie : le gros monsieur est paternelpour elle. Il lui offre de toutmais la petiteje ne sais pourquoitrouve très bien de rester insensible.

Sur laplaceun reste de fête. Des bohémiens. Une belle jeunefille se fait attraper par sa mèreet la petite sauvagerépond :

-- Et tapetite soeur ?

Ilfaudrait mille vies pour habiter quelques jours tant de coinscharmants.

Maisonfermée. Un mur. Personnesauf un chien sur le mur. Pourlouers'adresser au chien. II vous recevra.

J'ai laconviction quemoile paresseuxje mourrai très vieux etdans une activité fébrile.

Je suis leLoti cantonal.

Observerla natureouimais il faut garder son calmecomme le chasseur àla nuit. Les choses ont peur. Notre émotion trouble la nature.Le moindre accès de notre humeur l'effraie. Un coup d'oeiltrop curieuxet la vie s'arrête.

Al'horizonla lune sans nacelle dit : « Lâchez tout ! »Elle monte. Tous les fils sont coupés.

Aucunhommepas un arbrepas une branche sèchen'a pu sesuspendre dans ses filets et s'élever par surprise.

Le boisroux brûle sous elle pour la gonfler.

Ellearrive à un nuagesemble prisene bouge plus.

Elledisparut derrière les nuages amoncelés. On ne l'ajamais revuecelle-làdu moins.

4 octobre.

Maigredes jambes d'enfant. Au litavec un anthrax à la fesse. Il adéjà fallu lui en fendre un en quatre et lui enarracher les racines. Il repousse ailleurs.
Elle souffre de lasaleté quand elle reste au lit. C'estsauf notre respectcomme un toit à cochons. Ils mangent et ne débarrassentpas. Pense-t-elle à l'autre monde ? Elle s'en fiche. Elle estmalheureusevoilà tout.

S'il y aun paradiselle n'aura pas la chance d'y aller. Si elle va en enferelle y est habituée.

Jusqu'icion a parlé des paysans pour raconter des histoires comiques.Maintenantfini de rire ! Il faut regarder de plus prèsjusqu'au fond de leur misérable vie où il n'y a plus dequoi faire rire.

Boiteuse.Comme sià chaque instantelle enfonçait dans l'eau.

6 octobre.

Des plusclassiques descriptions nous pouvons dire : « Aujourd'huionfait mieux que ça. »

J'aimepassionnément la langue françaiseje crois tout ce quela grammaire me ditet je savoure les exceptionsles irrégularitésde notre langue.

Trop descrupules pour arriver au juste.

8 octobre.

L'auto vitdes bêtes de la routedes poules surtout. Tous les cinquantekilomètresil lui faut au moins une poule.

Automne.Tous les arbres ont l'air de grosses poules faisanes.

Théâtre.Un succès. Autour de moitout le monde riait. Impassiblej'avais l'air d'un îlot silencieux.

Cettejeune personne a déjà du talent. Elle en aura davantagesi elle devient jolie.

9 octobre.

Au marchéde Corbignyje porte volontiers le filet de Marinetteplein dechouxd'épinards et de saladeparce que je suis chevalier dela Légion d'honneur.

Un vieuxtripote un chou. La marchande l'attrape ; en effetles mains duvieux doivent mettre des limaces au chou.

10octobre.

Capus auratout de même du mal à résister : la postéritéa un faible pour le style.

Envieuxpar instantje n'ai jamais eu la patience d'être ambitieux.

Faussementsinistrecomme un vieux qui allume du feu dans un bois pour faire sasoupe.

On cause.Nous sommes tous là. Ragotte arriveetminaudièremais effroyable avec sa face pâle d'où le sang de la viese retireelle ditavec un sourire qui n'est plus qu'une crevasse :

-- Il nemanque plus que moi !

Une fillepasse sur le canal. De leur bateaules mariniers l'appellent :

-- Venezdonc manger la soupe avec nous !

Ellerépondavec une gaieté tranquillequ'elle n'a pas letemps.

Celalesoirc'est beau comme tout ce qu'arrange la nature avec des arbresde l'eauun temps doux et des voix humaines. C'est d'une infinievolupté.

Anciennenourrice chez une famille Ducrottrès riche : le mari étaiten Chine. La dépêche annonçant la naissance dupetit s'est croisée avec la dépêche qui annonçaitla mort du père.

Elle enparle avec un respect religieux. A cause de la mort du pèrece n'était pas gaimais on était tranquille.

Elle aensouvenirune lettre de faire part de la mort : des tas de nomstousavec des Ordres : Isabelleetc. L'ancienne reine d'Espagne étaitmarraine du petit.

Elle afait encadrer une carte postale de Madame où l'on lit : «Ma chère nounouje vous remercie de vos bons souhaits. »

Oeufscassés : tous ces petits soleils dans la poêle.

Gros hommequi porte son ventre comme un instrument à vent.

13octobre.

Furieuxparce que sa femme est malade et qu'il est obligé de se servirtout seulquand on lui demande de ses nouvelles il n'a pas l'air dela connaître.

14octobre.

Ventepublique. C'est du vivant de la mère qu'il aurait fallu fairela vente et lui donner tous ces sous.

La mèreBostregardant une marmite qu'elle vient d'acheter :

-- Elleest comme les vieillesdit-elle ; elle a le cul défait.

La vieillevivait dans cette écurieavec des poutressans fenêtre.Deux portes faisaient courant d'air. Elle n'aimait pas àrecevoir chez elle.

De sonancien métier d'aubergistece qu'elle avait gardé depotsde tasses à café ! Une vieille lanterne énormepour éclairer les voyageurs.

Ilsachètent pour deux sous tout un lot de vaisselle qui se cassequand ils veulent la prendre.

Il y a levaniteux qui fait toujours monter et qui lâche au bon moment.

Descouetttesdes matelas tachésun lit et son sommier5francs. Une table de nuit : c'est ce qu'il y a de plus propre. Unevieille armoirebonne24 francs.

La beautédu neuftout de mêmec'est d'être propre.

15octobre.

Sociétéscientifique et artistique de Clamecy. Nolin me présente dansle tacot. Le plus vieuxofficier d'Académiejoyeux drilleme dit :

-- Commentva Poil de Carotte ?

Il diratout à l'heure :
-- Puisque nous avons un vaudevillisteun humoristeavec nouson peut rire.

Celui-làa rapporté de Saint-Révérien un morceau de terrecuite. Ils sont tous très forts en archéologie.

Visite àl'église de Corbigny. J'ai dit :

-- Ilparaît qu'il y a d'admirables vitraux.

Orilssont neufs et sans intérêt. Pour me rattraperje dis

-- Voiciune mosaïque qui doit être vieille.

Mais ilsme regardent comme s'ils allaient me dire : « Elle est de cematin. »

On caresseles ailes de bois d'un aigle-lutrin.

Ilsallument des allumettes-bougies pour regarder les sculptures dubanc-d'oeuvre. On baisse les siègeson les relève.

On me dit:

-- Vousavez des restes de galerie romaine dans votre commune.

Je n'en aijamais vu.

A tableces messieursqui connaissent mieux que moi Corbignyme prouventencore qu'ils connaissent mieux Paris. L'un d'eux a vu débuterSarah. Un autre dit :

-- J'aireçula semaine dernièreun mot de Brieux.

On parledécoration. Làje deviens très fortsans riendire : je suis décoré. Je suis d'avis que tout le mondele soitpuisque je le suis. L'un voudrait tout supprimerun autrevoudrait la création d'un nouvel ordre.

17octobre.

La déveineest bien ennuyeusemais la veine a quelque chose d'humiliant.

19octobre.

Lebonheurc'est d'être heureux ; ce n'est pas de faire croireaux autres qu'on l'est.

Renanundes hommes qui ont le plus aimé Dieu. Parfoissa sensualitéde vieux moine très bien élevé m'agace.

Oh ! lesvieilleries ! Vieilles lettresvieux vêtementsvieux objetsdont on ne veut pas se débarrasser. Comme la Nature a biencompris quetous les anselle doit changer de feuillesde fleursde fruits et de légumeset faire du fumier avec les souvenirsde son année !

20octobre.

Un moutonle nez rongé par je ne sais quel chancreles dents dehorsetpourtant l'air doux et pitoyablene cesse de tondre l'herbe que pourse lécher le nezet vous regardeet semble dire : «Vous qui savez toutil n'y a donc rien à faire pour mon nez ?» Le charron vexé qu'on ait l'air de croire qu'il estau-dessous d'un menuisier.

Renanprête du sublime aux âmes simples ; mais ce sont des âmesde brutes où Renan habitele temps d'écrire.

Honorinerevient ! Elle revientla nuitdans sa maison : les vieux n'endoutent pas. Son petit-fils veut faire le fort et dit : « C'estquelques rats » ; mais il tremble de peur.

Renansonstyle à respiration lente et calme.

Nous avonsdonné à Ragotte une vieille guérite de bains demer qui s'abîmait sur le grenier. Elle y peut tenir deboutcomme une sainte dans sa niche.

22octobre.

LePetit Savoyardde Guiraudje croisne serait plus possible.Tout est à rectifier.

Celui-làest tout de même de la Savoiede Saint-Jean-de-Maurienne.Treize ans. Est allé quelquefois à l'écolel'hiver. Gagne 30 francs par mois. Me prend 15 sous par cheminéepas plus cher qu'aux autres. Dit d'abord : « Ce que vousvoudrezvous le savez bien. » Malinprofite de notresensiblerieramone très bien la première cheminéeet ne va pas jusqu'en haut des autres. Il crie quand il est aumilieu.

On le faitdéjeuner. Il bat des mains pour secouer la suiemais il afallu laver la chaise. Il mange un énorme morceau de pain etdeux oeufs sur le platqu'il essuyait comme un miroir. Il emporte laviandeavec un autre morceau de paindans un sac de peau couvert depoils jaunes.

Il n'estjamais tombé.

Dans sonascension il pousse parfois des cris : on ne sait s'il chante ou s'ilappelle au secours.

Il luifaut d'abord une chaise pour s'arc-bouter.

Il prendmoins cher quand il garde la suiecelle de boisqu'ils vendentjecroisaux aciéries.

Il valà-haut dénicher les vieux nids d'hirondelles.

En hautil apparaît comme le grillon.

Il semblevêtu de morceaux brûlés. On voit ses brasson dosmaigre. Quand il redescendiI a les pochesses morceaux de cuirpleins de suie. II en prend des poignées dans sa chemiseàla ceinture.

Il défaitses souliers et les ramoned'énormes souliers lourdsnonpour mieux montermais qui durent plus longtemps.

Lescheminées se rétrécissent. Autrefoison voyaitpar la cheminée.

Son bonnetde coton comme un éteignoir.

Le sourirepuéril des dents blanches et des yeux blancsmais il sait desordures et carotterait la dame la plus sensible.

Il crachenoir comme s'il chiquait. Tout irait biensans la suie qui lui entredans les yeux.

-- Combiença fait-il ? dis-je.

--Quarante-cinq sous.

-- Tiensvoilà 250 F. As-tu de la monnaie ?

-- Non.

-- Commentallons-nous faire ?

Il ritretourne les pièces. Il dit :

-- Vousn'en avez pasvousde monnaie ?

-- Non !

Il ritetn'ose tout de même encore pas mettre les pièces dans sapoche. Ça viendra. Allons ! un petit effort. Ça y est.

23octobre.

Ilfaudrait avoir des fiches sur leur misère. Ils sont touspauvresmais jusqu'à quel point ?

Peupliersen automne : deux ou trois rangs de chandeliers qui ne s'éteignentni jour ni nuit.

28octobre.

Automne.Le gui a fait son nid.

31octobre.

Dèsqu'on ne travaille pason a l'impression de n'avoir jamaistravaillé.

3novembre.

Je suisplus capable d'une bonne action que de bons sentiments.

La maisonde mon pèreje m'en détache : c'est trop peu de chose.Un esprit religieux ne peut pas rester là. Il lui faut lemondeets'il n'abandonne pas son coinil ne voit plus ce coin. Ilregarde très loinil cherche Dieu.

Croire auvillagec'est donner une limite à sa vie ; c'est lui croireun senset elle n'en a pas. C'est un peu sot de s'imaginer que nousavons une raison d'être là plutôt qu'ailleurs.Continuer nos pèrespour quoi faire ? Ils ne savaient pas. Lafeuille a une attache qui lui suffit. Le cerveau est nomade. Pas depetite patrie. Une fuite résignée. Être n'importeoùne jamais consentir à se fixer comme si un pointdans l'univers nous était réservé. N'ayons pasd'orgueil ! Au premier éclair de lucidité nous verrionsque nous sommes dupeset nous serions pleins de pitié pournous-mêmes.

Livrons-nousà l'universelle loi d'éparpillement.

Ne pasêtre un homme qui regarde son village avec une loupe.

Rappelons-nousque ce monde n'a aucun sens.

4novembre.

Philippeest désolé de notre départ. Il comptait «nous garder » jusqu'à la fin du mois.

Plus tardquand je saurai beaucoup de chosestout ce que je peux savoirpasser les quatre ou cinq dernières années de ma viecomme un maître d'écoleà apprendre àceux de mon village ce qu'ils ignorent.

5novembre.

Quedeviennent toutes les larmes qu'on ne verse pas ?

9novembre.

La luneàl'horizoncomme une bête à bon Dieu sur le dos.

Clignementd'ailes d'un corbeau dans l'azur.

Je suispropriétaire d'une belle fenêtre sur la nature.

16novembre.

Baïene veut pas juger les crayons sur la mine.

Quelquesjours avant la mort du petit Joseph ils ont vu une lumière sepromener dans le jardin. Le Paul l'a vue aussimais Philippe a cruque c'était le Pauletle Paulque c'était Philippe.Quand ils ont su que ce n'était ni l'un ni l'autreils ontdit : « C'est notre pauvre petit qui est venu nous annoncer samort. » C'est sans doute Ragotte qui leur a soufflé ça.Ils ne disent pas le contraire.

LaSaint-Martinfête à Combres. On boit du vin doux quin'a pas encore fermentéon mange de la galette aux pruneauxaux ortiesaux poiresà la semoulece qui me vaudra troisjours de migraine. On nous fait passer dans la chambre où il ya un lit.

Leparquetla danse divisée en deux parties ; après lapremièrele musicienavec une cordesépare lesdanseurs du reste du public afin qu'ils ne s'échappent passans payer. A deux heuresil n'y a personne dehors. Comme il faitdéjà froidles portes sont ferméesmaisparla fenêtreon aperçoit les gens autour des nappesblanches.

Elle va semarier.

-- Je nesais pas pourquoi j'ai répondu ouidit-elle ; j'aurais euhonte de répondre non.

Ce n'estpas encore officiel. Elle dit :

-- Je memarierai quand je ne serai plus en deuil de papapour avoir droit àun violoneuxet je veux des souliers blancs. On n'a qu'un jour àêtre belle dans la vie.

Nevers.Émotion. Tous les paysages d'enfance qui reviennent. Petitesrueslongues et larges avenues. Arbre foudroyé autrefois.

Blouse.Petit noeud de cravate paysanpas un cheveu blancl'oreille touterongéecomme au régiment. Est-ce làou aulycéeque je l'ai connu ?

--Qu'est-ce que tu fais ? dit-il. Pharmacien ?

-- Non.

-- Rentier?

-- Non.

-- QuelMérite que tu as là ?

-- LeMérite agricole.

-- Tu esdans les engrais ?

-- Oui.

-- Tu me mens. J'iraivoir. Moij'ai fait un coup de tête. J'ai épouséune fille sans le sou. Mon père m'a déshérité: il a donné tous les bâtiments à ses neveux.
--Tu es heureux ?

-- Ouileplus heureux des hommes.

Il plaidepour un droit de passage qui lui rapporte trois francs par an. Chacunses droits. Il est indépendant : il paie ses impôtsetquand on paie ses impôts... Il va quelquefois à lamesse. Il a trente bêtes à cornesune trentained'hectarestrois chevauxun domestiquelui et sa femme. Il se lèvequand il veutdes fois à quatre heuresdes fois àcinq : il est son maître.

La viepassagèrec'est amusantcomme le théâtre.

Trois ansde Rigaldeux de lycée. Voulait aller à Grignonmaisil ne savait pas l'allemand. Il a bien pu copier la versionmaisquand il a fallu répondre à l'oral...

Baïene sait pas une date d'histoiremais elle sait quele 17 juillet1903l'hippopotame Tako a tué son gardien.

Fantec letaciturne trouve que Nevers est une ville triste.

19novembre.

ThadéeNatanson me dit :

-- Unmonsieur veut mettre en musique quelques-unes de vos Histoiresnaturelles. C'est un musicien d'avant-garde sur lequel on compteet pour qui Debussy est déjà une vieille barbe. Queleffet ça vous fait-il ?

-- Aucun.

-- Çavous touchevoyons !

-- Dutout.

--Qu'est-ce qu'il faut lui dire de votre part ?

-- Ce quevous voudrez. Dites-lui merci.

-- Vous nedésirez pas qu'il vous fasse entendre sa musique ?

-- Ah !nonnon.

Un hommede lettres quichaque annéeplace peut-êtreàLondres50 ou 60 000 francset qui fera avec vousce soirsi vousvoulezun petit acte qui lui rapportera 5 000 francs.

21novembre.

JeanGuitry fait son service à Melun. Il est dragonsans cheval.Peut-être va-t-il à Melun le dimanche.

Guitryl'avait conduit au ministère de la Guerre. Un monsieur graveleur dit :

-- Voilà: on va vous mettre dans les dragons. Vous n'aurez pas de chevalpasde fusil. On vous donnera un sabre.

-- Oh !fait Guitryprends garde de te blesser !

Je ne suispas sincèreet je ne le suis pas même au moment oùje dis que je ne le suis pas.

22novembre.

Tous leshommes ont à peu près vu les mêmes chosesmaisl'artiste seul sait les faire revenir à sa mémoire.

II y aplace au soleil pour tout le mondemais ce n'est pas la place de laConcorde.

Paris.Angoisse à la première sortie. Une boîte auxlettres au ventre d'un bec de gaz : jamais je ne mettrai ma lettrelà. J'en cherche une autre.

Les amisqu'on aime beaucoup et auxquels on ne pense jamais.

Toutlassesauf le rêvequi est la vie immatérielle.

Quand onregarde la petite aiguille d'une montreon ne la voit pas tout desuite bouger.

Fumée: rêverie du feu.

Je ne suispas si pressé de voir la société future : lanôtre est favorable à l'homme de lettres. Par sesridiculesses injusticesses vices et sa bêtiseellealimente l'observation littéraire. Meilleurs deviendront leshommeset plus l'homme s'affadira.

Capusarrive dans une auto aussi large que celle de Guitrysans tenircompte de la différence d'épaisseur des deux hommes. Ilest en habit et va dîner en ville.

-- Je suisdans un vêtement ridiculedit-il. Je vais ôter monpardessus pour vous le montrer tout entier.

-- Chezqui vas-tu dîner encore ?

-- Chez...chez... Je ne me rappelle pas... Chez quelque Houssaye. Il y abridge. C'est pour jouer au bridge.

A Baïequ'il embrasse nous ne savons pourquoiil dit :

-- Oh !comme tu as changé ! Tu as changé en mieux. C'est drôle: les petits défauts de la jeunesse s'accentuent oudisparaissent avec l'âge.

Cet hommele plus spirituel de Francea une tête inexpressiveunlorgnon sur une myopie de plus en plus grave.

Quand ilmentil découvre ses canines : on les voit souvent.

Sa figurepouponne lui permet de mentir autant qu'il veut. Il s'en aperçoitpeut-êtremais il n'a pas à sa disposition de traits dephysionomie pour l'exprimer.

Je cherchedans son bavardage. Quelquefois je devine un mensonge par un autrequi arrive dix phrases plus loinet les dix phrases intermédiairesétaient fausses.

Parfoisil ment avec une telle évidence que je baisse les yeux.

Ces petitshommes sont terribles. Ce n'est pas qu'on se sente petit àcôté d'euxmais ils gênent. On est mal àl'aise. II ne serait pas généreux de les interrompre.

Que lesquelques sous que j'ai me permettent de mépriser les riches etde louer la vertu pauvre ! Je les dépense à me nourriret à dire ce que je veux. Pourrais-je le dire si je n'avaispas ces quelques sousc'est-à-dire l'indépendancenécessaire ? Est-ce que je trafique ? Est-ce que je m'enrichis? Est-ce que j'ajoute un sou à ces quelques sous ? Non. Jedépenserai tout pour la cause que je défends. J'auraipeut-être eu l'air de vivre en riche : tant pis pour moi sivous le croyez ; mais j'aurai parlé contre les riches et pourles pauvres ; j'aurai rendu service à la pauvretéetc'est là l'essentiel.

Lesmoments les plus tristes : ceux où l'on croit bien que lasagesse n'est qu'une duperie.

Parler enpublic. Il n'est pas nécessaire de penser ce qu'on ditmaisil faut penser à ce qu'on dit : c'est plus difficile.

24novembre.

Capusvient un peu me voir dans ma lanternecomme on va en province : pourm'épater.

Uneréunion publique s'accroche à un détailmodifieà la légère un projet mûri par laréflexion de gens qui s'y connaissent : c'est ainsi que toutesles lois sont votées. Il faut ensuite les modifier etpourcelarevenir aux études de la commission.

27novembre.

Une pauvrefemme de l'Odéonl'air d'une pauvre concierge sans placemedit d'abord qu'elle organise une représentation à sonbénéfice et me demande d'insérer un articlequelque part.

--Pourquoi vous adressez-vous à moi ?

-- Parceque j'ai lu des choses de vous.

Elle mentetà mesure qu'elle mentle coeur se durcit.

Elle estdans le septième dessous. Elle va m'offrir des billets. Ellefinit par dire :

--Monsieur Renardje vous dis comme à tous ces messieurs : jecours après une bouchée de pain.

Il fallaitle dire !

Trop tard.Le coeur est complètement dur. Je ne peux rien. Bonjourmadame.

On a toutlumais ils ont lu un livre que vous devriez lirequi leur donneune supérioritéet qui annule toutes vos lectures.

29novembre.

Mes livressont si loin de moi que je suis déjà pour eux une façonde postérité. Voici mon jugement tout net : je ne lesrelirai jamais.

Leconfortableça peut être de manger de bonnes chosesdans une écuelle de bois.

Les doigtsinvisibles du vent rabattent la fumée comme une chevelure surle toit de la maison.

Marinettesera la première de mon livre. Je le lui dis. Elle me répond: « Marinette immortelle »avec un sourire de bonheur.Je crois qu'elle se fiche de la postéritémais non dece que je pense à elle.

1erdécembre.

Lachauve-souris qui vole avec son parapluie.

Ceci estun cahier d'avortements.

Chaquefois que Guitry accueille un nouvel auteurun ami de théâtrec'est-à-dire passagerses vrais amis discrètementrestent chez eux. Leur amitié se repose. C'est pour celaqu'elle dure et que nous espérons qu'elle n'aura pas de fin.

Commevotre visage se referme dès que je vous parle de moi !

2décembre.

Onpourrait dire de Maupassant qu'il est mort de peur. Le néantl'a affolé et tué. Aujourd'huion s'occupe moins dunéant. On s'y habitueet cette évolution dans notrevie est une révolution littéraire.

Pourquoitant jouir ? Ne pas jouir est aussi amusantet ça fatiguemoins.

Homme delettres avant toutdisent ses biographes. Mais non ! Il a voulugagner beaucoup d'argentil s'est mis régulièrement autravail chaque matinsurmenéet il refait souvent la mêmechose. Nous sommes obligésnousde faire le triage.

Le néantne rend rien. Il faut être un grand poète pour le fairesonner.

Il nevoulait pas livrer sa vie : il n'était donc pas assez homme delettrescar sa vie explique son oeuvreet sa folie en est peut-êtrela plus belle page.

Sonéditeur le conseillaitle poussaitle dirigeait. Flaubert seserait méfié.

Ilméprisait la femmemais il n'y a qu'un mépris quivaille avec elle : c'est de ne point la b.... et il ne faisait queça.

Il arefusé la croixen homme qui se sait glorieux et qui n'en apas encore assez. Il a accepté les palmes comme fonctionnairequand son nom ne disait rien à personne.

Tainel'appelait « le taureau triste ». Il l'était sansdoute de se savoir plus taureau que grand poëte.

Il n'a pasregardé d'assez près. Il s'est ennuyé trop vitetrop tôt. Il y avait encore bien des choses amusantes àvoir.

4décembre.

Antoine.Jules César. C'est peut-être la premièrefois que je sens Shakespeare. C'est peut-être aussi parce quej'ai toujours aimé Brutus. Oh ! la mort d'un grand honnêtehomme qui n'a pas réussi ! Une soirée comme celle-làest la récompense de nos études classiques.

A chaqueinstant l'âme se renverseet l'on se sent sur le visage unmasque de muscles contractés. Il faudrait pleurer.
Unempereur qui entre au Sénat par une petite porte. Commetoujoursil a l'air seul : le théâtre ne peut pasdonner l'entourage.

MaisDuquesne-César a quelquefois l'air d'un gros curé.

Auxrépétitionson comptait sur Desjardins : c'est de Maxqui a tout ramasséinjustement d'ailleurscar Desjardins estplus romain. De Max parfois ridiculemais dans le vulgaireetbrusquement digne des hauteurs où le texte le porte.

Lediscours de Marc-Antoine est amusantmais pas très vrai.C'était le public de Cicéron. Il se serait défiéde tout ce cabotinage. Il aurait préféré lediscours de Brutusqui est simplenobleparfait. Deux ou troisfoisil a tort de parler de son « grand coeur »maisson amitié autoritaire pour Cassiusson attitude à lamort de sa femmequelles grandeurs !

L'image deShakespeare est moins littéraire que celle de Hugomais elleest plus humaine. Chez Victor Hugoil arrive qu'on ne voie plus quel'image ; chez Shakespeareon ne cesse pas de voir la véritéles muscles et le sang de la vérité.

Oncroirait parfois écouter du Racine. La traduction est en proserythmée. Pas de rimes : c'est toujours ça de moins.

Il ne fautaimer Shakespeare que très tardquand on est dégoûtéde la perfection.

5décembre.

Fantecpensera bientôt : « Quel gosseque mon papa ! »Une jeune fille lui dit :

-- Je suisallée dimanche soir au Théâtre-Français.On jouait Le Plaisir de rompre et Les Mouettes. C'étaittrès joli.

Il ne m'endit pas plus. Je lui demande :

--Qu'est-ce qui était joli ?

-- Letoutl'ensemble de la soirée.

-- Oùcette jeune fille t'a-t-elle dit cela ?

-- Aurestaurant.

-- Et tune lui as pas dit que tu... connais l'auteur du Plaisir de rompre?

-- Non.

Il fautque je me résigne à aimer mon fils par esprit defamillecar il a un cerveau d'étranger. Non seulement iln'est pas artistemais il travaille -- et trop -- pour des raisonsque je ne devine pas. Il ne me donne même pas l'impressiond'aimer le travail.

Lu hiersoir Jules César. Je l'avais lu et oublié. Aprèsla représentation d'Antoine et cette lectureje m'expliquepourquoi je n'aimais pas Shakespeare. C'est peut-être le grandhomme de théâtre qui a le plus besoin d'être jouépour être compris. Il suffit de lire Victor Hugomais riendeluine m'a pris à la scène comme Jules César.Shakespeare est donc plus homme de théâtre que VictorHugo.

On ne ledécouvre pas : on se découvre soi-même ; onréveille en soi une admiration qui était pour lui etqui dormait.

C'est àavoir un certain goût qu'il ne faut pas se forcercarrien n'est plus facile que de trouver bien ce quiau fondnousdéplaîtetmalce qui nous plaît.

Qui ne sutjamais se borner ne sut jamais admirer.

6décembre.

Petit curéprêchantmoineau au bord d'une gouttière.

7décembre.

MmeRostand. Reineà l'hôtel du Quai-d'Orsayà sixheures elle reçoit sa cour : hommes en habitfemmesdécolletéessans compter ce vieux bonhomme de neiged'Henry Bauër.

MauriceRostandlongs cheveux et culottes longuesfait des grâces. Ilbaise la main des damesfait la cour à sa mèrel'embrasse dans le dosne veut jamais la quitter. Il aimerait mieuxmourir que de la laisser venir seule à Paris.

TrouveJules César mal traduitmal joué et bien monté.A traduit lui-même La Samaritaine en anglais«rare merveille »dit sa mère.

Il aimemoins son papa que ne l'aime son frèrequi est unscientifiquede génie aussi.

8décembre.
Bergerat parle du livre d'Abel Bonnard.

-- Ouidit-ilouic'est du coton. Il y a du coton dans tous les livres devers. Il y en a dans Les Chansons des rues et des bois.

A cesmotsMendès pâlits'affaisse et murmure :

-- Nonnon ! Je ne peux pas entendre ces choses-là ! Je me trouvemal.

-- Vousêtes content de votre livre ?

-- On l'aretiré.

--...

-- Ouidela circulation.

Je ne mesuis pas encore servi du mot « coruscation ».

10décembre.

Un honnêtehomme de talentc'est aussi rare qu'un homme de génie.

Quandj'adressais à Mendèspour Le Journalquelquespages d'une vérité longuementscrupuleusementobservéeau coin du manuscrit qu'il envoyait àl'imprimerie il indiquait : Fantaisie.

Poil deCarotte. Tout de mêmeje n'ai pas osé tout écrire.Je n'ai pas dit ceci : M. Lepic envoyant Poil de Carotte demander àMme Lepic si elle voulait divorceret l'accueil de Mme Lepic. Quellescène !

Il fautêtre discret quand on parle de son bonheuret l'avouer commesi l'on se confessait d'un vol.

Brunetièreétait laidennuyeuxtuberculeux et acharné autravail. Il paraît quetout de mêmeune femme s'esttuée pour lui.

Il ne veutpas de discours sur sa tombe. II connaît l'insincéritédes discours qu'il a prononcés sur la tombe des autres.

Undirecteur de revue vous tiendra une heure pour vous expliquerpourquoi il n'a pas le temps de lire votre manuscrit : il avait aumoins cette heure-là.

Ildécembre.

Une joliefemme peut avoir l'oreille moins délicate que la bouche. Ellepeut entendre des grossièretés : il ne faut pas qu'elleen dise.

12décembre.

Pourraconter nos petites affairesnous sommes capables d'oublier jusqu'ànotre indifférence à celles des autres.

ChezGuitry. Belle robe de chambre rouge foncéénormebouton sur le ventreespèce de calotte empruntée auMalade imaginaire.

Vandéremtéléphone :

-- Guitryje veux vous dire que je manoeuvre pour vous faire déjeuneravec Capus.

-- Plustardrépond Guitry.

-- C'estce que m'a dit aussi Capus ; mais vous voyez quemalgré tousles griefs que j'ai contre vous...

Guitryéclate de rire et revient s'asseoir.

Il faitplus de 6 000 tous les soirs. Il n'aime pas queTristan et moinouslui parlions de nos petites affaires.

-- OuideFéraudy me l'a dit.

-- Que...?

-- Qu'iljouerait Poil de Carotte avec plaisir.

-- Ah ?dit Guitry. Etquand M. Diafoirus s'avance et commence ainsi : «Tout de même que... »etc.

14décembre.

Il y a unejusticemais nous ne la voyons pas toujours. Elle est làdiscrètesourianteà côtéun peu enarrière de l'injustice qui fait gros bruit.

Par laporte du nord grande ouverte les nuages lâchés serépandent sur le monde.

Je passedes journées à ma table comme un lièvre au gîte.Je songeet j'ai peurmoi aussipeur d'écrire.

16décembre.

Élogefunèbre. La moitié de ça lui aurait suffi de sonvivant.

Guitryqui gagne de l'argentsigne des chèques de 10 000 francs.Très en veineil raconte des histoires de comiques anglais.

Le verred'eaula plus jolie.

Un hommese précipite en criant : « Un verre d'eau ! Un verred'eau ! » Tout le monde accourt : bonnesgarçonsmaître d'hôtel. Plusieurs verres tombent et se cassent.Enfinl'homme en a unet il y met un oeillet.

Hommes delettres affolés par la politique.

Aprèsla mort de SyvetonLemaître voulait se tuer.

France ditque Briand veut nous refaire une France de curéset queClémenceauaffolé par l'amitié du roid'Angleterreveut nous jeter dans une guerre avec l'Allemagne.

17décembre.

JulesPrincet. Ennui de ces longues conversations où rien n'avanceoù l'on n'arrive pas assez vite à connaître ledessein de ce monsieur qui se propose de faire des chosesintéressantes « pour gagner de l'argent ».

Etaprèsavoir fait un Bolivar pour l'Amérique (que Lugnéaurait joué moyennant 10 000 francs)ils font un LaMennais en cinq actes pour répandre leurs idées. Etils connaissent des parlementairesplusieursqui veulent biens'intéresser au projet.

Cet hommede lettres de trente-quatre ansqui aime les Bucoliques aupoint de vouloir les mettre en pièce pour son Théâtreaux Champsn'a pas lu Poil de Carotteni la piècenile livre.

A proposde ce théâtreil est arrivé à fairepasser quelques notes dans la presse. Il appelle ça percer.

Il venaitchercher des conseils. Je lui donne le conseil de se décourager.C'est l'homme qui reçoit un seau d'eau à la figure etdit : « Ça rafraîchit »au lieu de crierparce qu'il est tout trempé.

-- LaMennaisdis-jequel sujetà votre âge !

-- Ouidit-il. Je suis jeunemais je le porte depuis dix ans.

J'arrive àl'âge où je peux comprendre à quel pointj'embêtais mes maîtres (Alphonse Daudet)quand j'allaisles voir et que je ne leur parlais jamais d'eux.

19décembre.

Unsocialiste indépendant jusqu'à ne pas craindre le luxe.

ChezGérault-Richard. Ça ! le socialisme ?

Deuxsonnettes à la porte. Sur quel bouton faut-il presser pourentrer ? Un menu au champagneservi par deux bonnesun secrétaireune des plus magnifiques vues de Paris. On sait que ça sepaie.

Un groshomme autoritairejaloux de Jaurèsà qui il préfère
Briand : c'est du côté des ministres. Ne dit pas unmot d'intéressant. Fait un journal pour plaire à toutle monde.

-- Je meproposedis-jede protester contre l'importance que se donne lethéâtre.

-- Oh !nonnon ! On a l'air d'un curieux. Il faut faire de la critique avecvotre grain de sel.

Tous cesgens parlent des pays qu'ils ont vus de telle façon qu'ilsauraient bien mieux fait de rester chez eux. Rien ! Rien ! Et ilsn'écoutent pas. Chacun veut placer son pays.

Ilsfondent un journal et n'ont encore que les bureaux. Comment fairepour avoir un service dans les théâtres ?

-- Il fautenvoyer une lettre-circulairedis-je.

-- Nousn'avons pas de papier à lettresdit Lumettrès douxet très gentil.

-- On vaen acheterdit Gérault avec importance.

Et lefacteur qui monte au cinquième avec un paquet de lettresrecommandées ou chargées !

-- Tiens !Une lettre de ce vieux Légitimus. Qu'est-ce qu'il peut bien medire ? Bah ! Je lirai ça plus tard.

Le facteurest saoul et se dispute avec la bonne.

Mendès.Sa Sainte Thérèse est ce qu'il a fait de mieux.Sans être jamais très beauc'est souvent fort bien.

Lemeilleur élève de Rostand.

L'homme lemoins original qui soitmais il a tant de talent qu'il sait jouer detoutes les originalités des autres.

Sarahcen'est plus une actrice. C'est quelque chose comme la chanson desarbrescomme le bruit monotone d'un instrument. C'est parfaitet ony est habitué.

Il y a del'étonnant et de la beauté dans ce qui paraît leplus simple : tu n'as qu'à extraire.

A unauteur on demande des nouvelles de sa piècedont on se fiche.Maisluiil feint l'étonnement.

-- Quellepièce ? dit-il.

-- Celledu pape.

20décembre.

La fuméeramasse ses plis pour passer sur les toits.

L'annéea une agonie trop longue. On s'attriste le 20 décembreetle31on ne s'aperçoit pas qu'elle meurt.

Chaquefois que je veux me mettre au travailje suis dérangépar la littérature.

Rêverie: la pensée qui se nourrit de rien.

22décembre.

Pingouinle bout de ses ailes dans sa poche de gilet.

Aujourd'huile jour le plus court de l'année. A quatre heureslesmoineaux qui viennent becqueter du pain sur ma fenêtre étaientrentrés chez eux. La nuit s'écartait sur les tuilesetun savoureux désespoir me tenait l'âme immobile.

Marinettequandle soiraprès sa journée bien remplie detravailelle écoute ses enfantsles regarde l'un aprèsl'autre et n'en perd rienelle est belleelle a quelque chose desacré.

Elle lesregardeetd'un seul regardelle enveloppe toute leur viedontelle se rappelle tous les détails.

23décembre.

Pourquoise déplacer ? D'une certaine hauteur de rêveon voittout.

26décembre.

A reliredes vieilles lettresj'éprouve déjà un plaisirde vieux.

27décembre.

J'ai uneidée comme je regarde un oiseau : j'ai toujours peur qu'ellene s'envoleet je n'ose pas y toucher.

Pour avoirdes rêves légersendors-toi les yeux pleins de lune.

-- Elleest souvent dans la lune.

-- Nousavons des chances de nous rencontrer : j'y vais quelquefois.

31décembre.

Neige. Levillage dort sous une nuit blanche.



1907

1erjanvier.

Je veuxêtre bien sagetravailler comme un petit nègreinnocent. A vrai direje sens que ça passeque la fin sedessinelà-basdans le brouillardet qu'il faut profiter dece qui reste. Si tu veux faire quelque choseil est temps.

Ouiouile coeur est comme un jardin. On dit à tous : «Promenez-vous. » Puisbrusquementon les chasse comme desvoleurset on leur jette des bâtons comme à des poules.

Un chevalde fiacre si las qu'il ne voulait plus avancer et qu'il s'asseyaitdans le ruisseaudoucementsans briser ses brancards ; un passantle relevaitmais il allait s'asseoir vingt pas plus loin.

2 janvier.

Un hommede caractère n'a pas bon caractère.

3 janvier.

Je croisqu'Heredia a fait ces deux vers :

Ci-gîtFerdinand Brunetière
Avec son oeuvre tout entière.

4 janvier.

Jerencontre Courteline.

--BonjourRenard. Pas mal. Et vous ?

Il semblen'avoir pas vieilli. Pas de cheveux blancs aux tempesune petitemoustache toujours rousse.

Il ditqu'il ne fait plus rienpar peur. Il écritet il déchire.Hum !

Toutheureux de l'aventure de Willyhier soirau Moulin-Rouge.

Affolélui aussipar la fuite du temps. On croyait celui-là morthieret il l'est depuis trois ans. Et on dit queplus ça vaet plus ça va vite.

-- Alorsdis-jeà quoi bon faire un livre ? Nous serons morts. Et lesautres n'ont pas l'air de s'en apercevoir comme nous : ils vivent etproduisent comme s'ils avaient l'éternité. Il n'y a queles hommes de talentdont vous êtes...

-- Vousêtes bien aimabledit-il. Au revoir.

Ils'éloigne sans me rendre ma monnaie.

Dèsque je travaille un peuje crois que tout m'est dûet lamoindre contrariété me paraît une injustice.

Marinettevoyant avec quelle rapidité je passe de la mauvaise àla bonne humeurme dit :

-- Tu esdeux.

Classiqueça ne veut pas dire qu'on soit parfait ; ça veut direqu'on réussit de belles choses de temps en temps.

8 janvier.

Leurréputation travaille pour ou contre les gens plus vitequ'eux-mêmes.

Expérience: un cadeau utile qui ne sert à rien.

10janvier.

ParcMonceau. Plantes habillées de pailleavec un pot rouge sur latête comme les Turcs.

11janvier.

Il estlunatique.

-- Oui :logique.

Il n'a quedes affaires d'orqui ne rapportent pas un sou.

12janvier.

M. Ravelle musicien des Histoires naturellesnoirriche et fininsiste pour que j'aille écouterce soirses mélodies.

Je lui dismon ignorance et lui demande ce qu'il a pu ajouter aux Histoiresnaturelles.

-- Mondessein n'était pas d'y ajouterdit-ilmais d'interpréter.

-- Maisquel rapport ?

-- Direavec de la musique ce que vous dites avec des mots quand vous êtesdevant un arbrepar exemple. Je pense et je sens en musiqueet jevoudrais penser et sentir les mêmes choses que vous. II y a lamusique instinctivesentimentalela mienne -- bien entenduil fautd'abord connaître le métier --et la musiqueintellectuelle : d'Indy. Il n'y aura guère que des d'Indycesoir. Ils n'admettent pas l'émotionqu'ils ne veulent pasexpliquer. Je pense le contraire ; mais ils trouvent intéressantce que j'ai faitpuisqu'ils m'admettent. C'est très importantpour moicette épreuve. En tout casje suis sûr de moninterprète : elle est admirable.

13janvier.

Blum ditde Briand et de Viviani :

-- Aufondce sont des sceptiquespresque des cyniquesmais ils ontpassé par le socialismeet il leur en restera toujoursquelque chose. Ça vaut mieux que des radicaux.

Jaurèstrès accablé par les soucis que lui a donnésL'Humanité.

14janvier.

Nid àlouer. Eau et soleil à toutes les branches.

16janvier.

Il a bienl'air du tout petit député de provinceplein de bonnevolonté et très étonné : on ne travaillepas. Les anciens veulent tous être des commissions etsurtrenteils n'y viennent pas quatre.

Il doitêtre très emprunté. Il a peur de s'en retournerlà-bas les mains videssans l'impôt sur le revenu.

Il ditcepetit bourgeois :

-- Labourgeoisie devrait être plus généreuse.

L'ennui den'être plus dans sa petite ville de provinceson isolement àParis.

Passe sontemps à écrire à ses électeursmalgréun petit jeune homme qui l'aide.

18janvier.

MauriceRostand dit :

-- J'aimetout ce que mon père n'aime paset je déteste ce qu'ilaime. Je ferai de la littératuremais je veux êtrediplomate ou prêtre. Je passerai mon doctorat en théologiepour avoir le droit de porter l'habit. Sachac'est creux. S'il avaitseize ans comme moi ! Maisà vingt anson doit faire mieux.

20 janvier.

A Messidor. Gérault-Richard dit :

--Personne n'a donné plus que moi dans les conférencesles banquetsles grèves. Etvous voyezje suis obligéde manger du riz.

-- Vousavez une vie agitée ?

-- Oh !

Histoirede quinze jours de prisonque je ne me rappelle pas.

-- Vousles avez faits ?

-- Oui. Oh! je n'étais pas à plaindre.

Il parlede Jaurès et de son incroyable négligence. Mme Jaurèsest belleéléganteet ne s'occupe pas du linge de sonmari.

-- Il aplus de vingt chemises à moidit Gérault.

MmeGérault lui a raccommodé des pantalons. Jaurèsoublie toutparapluiepardessus. Et sa valise ! Il y a de tout : unchapeaumême un chapeau de sa femmedes souliersdu lingesale et du fromage. Et la valise ne ferme pas. Jaurès dit : «J'ai encore oublié de la porter chez le forgeron ! » Etil éclate de rire.

Géraultvoudrait faire un Figaro du soir. Il a une vingtaine de millefrancs par mois pendant un anet un truc pour remplacer lesconcours. Il voudrait aussi donner une montre en or à tous lesabonnés.

Il veutquelque chose pour sa cheminée. Nous allons aux moulages duLouvre. Il choisit un gladiateur. Mais il y a une délicieusetête de jeune filledu musée de Lilleattribuéeà Raphaël. L'ouvrierqui a l'air un peu saoul et semblese moquer de faire des affairesdit :

-- Quinzefrancs ! Quinze francsce chef-d'oeuvre.

Etonnementque tous les riches ne vivent pas au milieu de merveilles d'art.

-- Ah ! leMichel-Ange de Moïse ! dit Gérault.

Il sereprend :

-- Non !le Moïse de Michel-Ange.

Je nem'étais pas aperçu de l'erreur.

Il reçoitdes caisses de merles de la Corsed'autres caisses de la Guadeloupequ'on le charge de porter au petit père Fallières avecdes messages si longs qu'il lui dit : « Vous n'êtes pasobligé de tout lire. »

22janvier.

Métro: on entre dans la gueule populaire.

23janvier.

MmeRostand avec son fils et la mamanHôtel d'Orsay.

Elle étaitau litengourdie par une piqûre. Elle se lèveetletemps de se faire la plus jolie figure de Sada Jacco blondeellearrive. Maurice l'adore. A chaque instantavec elle il parled'amour.

-- Çaennuie Edmonddit-ellemais j'adore ces histoires-là : ellesme passionnent.

--Voyez-vous beaucoup de monde à Cambo ?

-- Nousrecevons beaucoup de visites d'honneur.

En tempsordinaire ils ne voient que le curé et le notairecomme chezTheuriet.

Chanteclerest fini. C'est pour la rentrée. C'est follement bien : rienque des bêtesmais très humaines.

AutrefoisBauër était une puissance. Elle a eu la gaminerieunefoisen sortant du théâtrede le toucher pour conjurersa future critique.

Rostand amis six mois à écrire son discours.

Il s'estrefait un poumon qui n'avait pas de lésionsmais qui étaitdevenu tout plat.

Elle mangedes pâtesdes oeufs crusdes fruits cuits.

Ils nesont pas débineurs. Ils aiment ceux qui ont du talentycompris Gourmont « qui ne peut pas sentir papa ».

Un hommede Tannayinstituteur aujourd'hui à Noisy-le-Sec et présidentde la ligue contre la désertion des campagnes.

Ilorganise une matinée pour faire connaître les auteursinconnus de la Nièvre et de la Bourgogneme demande si jen'ai pas une petite comédie gaie ou une poésie sur ladésertion. Il prend des notes et des adresses tout de traversrougecarrébien nivernais dans son gros gilet de laineavec un gros crayonsur un calepin vêtu de toile vernie.

Qu'est-cequ'un penseur ? Tant qu'il ne m'aura pas donné l'explicationde l'universje dirai que je me fiche de sa pensée.

Il entredans la peau du bonhomme avec une telle violence qu'elle crèvese déchireéclate de tous côtés.Entrez-ymais doucement.

Gourmonthautain et malade.

-- Lescomplimentsdit-ilm'agacent.

Dumurd'une indifférence plus sincèrequi a dû prendreau sérieux certaines idéessérieuses en effetmais qui dans son esprit deviennent lamentablement tristes.

31janvier.

Messidor.Gérault barbotene sait où mettre mon feuilletonenquels caractèreset finit par me diredevant une douzaine dereporters :

-- Nesoyez pas comme ça ! Vous avez l'air timide.

Le premiernuméro annonceà la première pageune nouvellede Rosnyet ne la publie pas.

L'administrateuravec qui j'ai déjeuné hierne me reconnaît pas.

Le garçonde bureau ne sait pas. Point de salle de rédaction. Pasd'électricité. Un monsieur écrit sur une petitetable. Un bicycliste attend. Géraultqui voudrait peut-êtrevoir s'effondrer la boutiquedit :

-- Depuistrois jours je ne dors pas.

6 février.

Il y atrois semaines que je l'ai félicité de sa décoration.Ce soiril m'envoie un télégramme pour me remercier :il a dû apprendre que je suis critique quelque part.

Travaillerà n'importe quoic'est-à-dire faire de la critique.

9 février.

Femme.Elle a l'air en feu comme çamais c'est une mauvaisecheminée. On entend qu'elle ronfleetdès qu'on lèvele tablierla flamme baisse et le bois fume.

Déjeunerchez Léon Blum. Jaurès arrive en avance et faitsur uncoin de tablele plan d'un grand discours qu'il doit prononcer toutà l'heure à la Chambre. Je lui dis que j'ai beaucouppensé à lui cet été et que je l'ai toutluy compris L'Action socialiste. C'est admirable.

-- C'esttoujours la même chosedit-il.

-- Non. Ily a les images renouveléesdes images dignes des plus grandspoètes. Je vous le dis aujourd'hui parce que je vous vois.

-- Vousoffrez vos économies.

-- Ellesne m'épuisent pas.

Il parlede Robespierre qu'il considère comme le grand homme de laRévolutionplaisante Taine qui ne l'a pas compris et quiexpliquait son âme étroite en disant qu'il ne mangeaitque des oranges. Il répète quesi les hommes de laRévolution n'avaient pas été tuésilsseraient morts foustant l'effort les brûlait vite.

Il a unpetit col droit sans boutonun plastron noir usé et desvêtements râpés. Il a les mains sales. Il nesemble pas s'être débarbouillé. Il mange avecappétitdeux fois de chaque plat : il ne parait pas en avoirassez. A chaque instant il se mouche bruyamment et crache dans sonmouchoir.

Je luidemande s'il est sensible aux injures.

-- Nondit-ilquand je ne les lis pas.

Cependantil insiste sur les attaques de Gohier qu'il compare à unoiseau se posant sur un arbre et s'imaginant qu'il a créél'arbre.

Il parlede son patriotisme. Il dit qu'une nation désarmée nepourrait pas vivreparce qu'elle ne serait pas assez clairvoyantepour distinguerchez les nations voisinesla sincéritéde la fausseté. A chaque instant on entendrait : «L'Allemagne ne ferait pas ça si nous étions armés.» Il ne croit pas à la guerre. Il ne croit pasGuillaumeau fondsi belliqueux.

A laChambredu haut de ma galerieje vois ses manchettes.

Rouanetqui répète trois fois le même mot comme unécolier qui écrit avec trois plumes.

Barrèsécartant les pans de sa redingote pour s'asseoir et feindred'écouter Caillaux.

Meslierses métaphores de médecin. Succès de fou rire.Il crieil se fâche. Il crieil se fâche : il n'a pasl'air de se douter qu'on attend Jaurès.

10février.

Dans leslivres dorés sur tranchedit Baïeil y a toujoursquelqu'un qui s'appelle Anselme.

Lacritique est aiséeet le critique dans l'aisance.

Ils necroient pas vivre s'ils ne vivent dans l'affolement.

Jaurès.Près de luij'ai une admiration attendrie. J'ai envie de luidire : « Venez donc avec moi chez Marinette ! Elle voussoignera et prendra soin de votre linge. Un de plusun de moins... »

11février.

Théâtre.Le public rit quand il entend un mari dire à sa femme : «Viens-tuAurore ? »

12février.

La viejela comprends de moins en moinset je l'aime de plus en plus.

Auxjeunes. Je vais vous apprendre une vérité qui vous serapeut-être désagréablecar vous comptez sur dunouveau. Cette véritéc'est qu'on ne vieillit pas.Pour le coeurc'est entendu : on le savaitdu moins en amour. Ehbienpour l'espritc'est la même chose. Il reste toujoursjeune. On ne comprend pas plus la vie à quarante ans qu'àvingtmais on le saitet on l'avoue. C'est çade lajeunesse.

19février.

Voyage àChaumot. Une nature trempée. Ils ont tous des figures rougesle sang à la tête. Ils se chauffent les uns chez lesautres.

Les doigtsde Philippe tremblent quand il touche une feuille de papier. Jevoulais toujours lui parler doucementmais il faut que je lui parlehautparce qu'il devient sourd. J'ai l'air en colère.

Il fait sifroid qu'il ne sent pas mauvais. Il entre un tel froid par lacheminée qu'il a la barbe toute gelée.

Dans lejardinle poireau indomptable ne gèle jamais.

L'eau dupuits est la seule qui ne gèle pas.

L'arbrequi n'a qu'un pied dans la tombe.

Unpeuplier se balance comme une grande perche.

La piecorbeau qui passe en demi-deuil.

On ne saitpas comment ils feraient pour élever leurs enfants si la mortne les aidait pas.

Ils ont dugoût quand on va les voir entre deux trains. Ils sont prèsde la natureaussi près du sol que leurs bêtes. Ils ontune vie silencieuse de poireauxet on s'étonne qu'ils negèlent pas.

28février.

Une femmestérilisée.

J'aime lamusiquetoutes les musiquesla plus simple et la plus compliquéecelle qui nous permet si généreusement de penser àautre chose. Elle me rappelle le balancement des peupliers de monvillagemoins les feuilleset le canal oùau gréd'un vent pas prétentieuxles roseaux se baissent et seredressent comme les archets d'un orchestreavec moins de bruit.

On croitque le prosateur échappe à la musique : il n'en estrienet vous allez voir que sans elle il ne serait plus rien.

Le chefd'orchestre traduit la musique par une pantomime stricte de grandcomédienreçoit les coups dans le creux de l'estomaccueille une notefait « chut ! » un doigt sur leslèvresfoncedanse un pasbarre l'horizon avec son bâtonpiquélaisse tomber ses bras : c'est fini.

Son coeurqu'on croyait à sec au point de l'entendre craquelertout àcoup est une source de larmes qui bouillonne et déborde.

3 mars.

Le mot «grand » n'a pas la même signification au théâtrequ'ailleurs ; ça veut dire : de taille moyenne.

Forainsamine de batracien ahuri.

Capusondirait un petit automne qui passe.

4 mars.

Combiend'acteurs paraissent naturels parce qu'ils n'ont aucun talent !

6 mars.

Colique :le serpent chez soi.

18 mars.

Théâtre.Comédie en vers. L'acteur redouble les je et les mais.Maismonsieurça fait des pieds de plus ! Vous faites desvers qui dépassent.

Veber medit qu'il a prêté La Lanterne sourde à uneAméricaine qui allait partiret qu'elle est restée àParis deux ans de plus.

Théâtre.L'auteur au critique :

-- Vousferiez bien mieux d'écrire de bonnes pièces.

-- Vousaussirépond le critique.

Lacritique est aisée et l'art est difficileet les deux ne sontpas commodes.

Lesouvreuses nous donnent l'impression qu'il nous faut tous les soirsracheter notre pardessus.

ThéâtreLaffitte. J'en veux à tout ce luxe ; il nous rend envieuxetc'est d'une envie bête.

MmeDelarue-Mardrus veut prouver qu'elle sait moins bien dire les versque les faire ; on s'en doutait. C'est du théâtre qui nepasse qu'à cause du thé. On est reçu en haut del'escalier par des hommes presque célèbrestels que M.des Gachons.

Quel monde! Quand on n'y a qu'un chapeau melonon n'est pas tranquille.

ÊEtrecritique dégoûte bientôt de la critiqueet aussidu théâtreet aussi de la vie.

Le bravecritique doit aller à son fauteuil avec des oeillères.Comme un bon cheval se résigneousi vous aimez mieuxcommeun âne.

Sapinsmélancoliques quideux par deuxgrimpent le coteau.

22 mars.

Théâtre.Non seulement ils ne veulent que des complimentsmais encore ilsexigent qu'on ne dise que ce qu'on pense.

Le théâtrene sera renouvelé que par des hommes qui n'y entendent rien.

25 mars.

La mort nenous prend peut-être que tout à fait développés: ma lenteur à croître me rassure.

Commentvoulez-vous qu'une âme basse puisse être immortelle !

Elle estjoyeusetendre et jolieactivelégèreailée.Elle a l'air de l'oiseau qui commence un nid quelque part.

Mauvaisamantmauvais amifripouilleau théâtre il pisse del'eau de rose.

Quellejolie pièce ! Il faut être joliment mufle dans la viepour l'écrire !

Théâtre: « courroux » avec trente-six r.

Concoursagricole. Trop gras. Tout ça ne vaut pas un bon grand boeufmaigremugissantla tête appuyée sur le petit mur depierres sèches.

Un hommetrempe son doigt au flanc d'un boeuf et ditaprès avoirréfléchi : « Il est gras. »

On lit engrosses lettres les noms des acheteurs. Le nom du producteur n'y estpasou y est à peine comme sur les affiches de théâtre.

La poësiedes machines. L'une frotte ses petits poings avant de vous casser lafigureune autre a une grande gueule avec cinq ou six langues qui sebaissent et se lèvent tour à tour.

La grandepoussière agricole emplit la Galerie des machines. Le prixd'honneur marche sur son écharpe tricolore comme un maire decampagne saoul après la noce.

Descouples d'ouvriers regardent des taureaux et des vaches. Ilscoucheront ce soir.

Unquatrième prixune mention honorable. C'était bien lapeine de passer sa vie à mangerboiredormir et ne rienfaire !

28 mars.

Le vieux.Son domestique lui met son pardessus. Un petit bruit sort des lèvresdu monsieur.

--Monsieur souffre ? demande le domestique.

-- Non !je chanterépond le vieux.

On veutaider Guitry à mettre son pardessus.

-- Laissez! Laissez ! dit-il. C'est mon seul exercice.
Déjeuner auCafé Anglais avec TéryJouvenelMonzie et Tristan. Ils'agit d'une collaboration au Matin. Rien n'est moins tentant.

Jouvenelfigure finemoustaches finesme demande des articles avec des idéesgénérales. Il tombe bien ! Il dirige Le Matinpresque toute la Franceune partie du monde ; c'est trèsdrôle.

--Envoyez-nous ce que vous voudrezdit-ilde la longueur que vousvoudrez. Je ne peux pas êtredans Parisl'homme qui auraitcoupé du Jules Renard.

Térydonne un article par jour. Il en passe quelques-unset on coupeeton coupe !

-- Il nepeut rien nous donnerdit Jouvenelsans nous sortir un jésuite.

Ce jeuneprofesseur doit maintenant connaître les beautés dujournalisme.

Dieu.Encore un qui se croit immortel !

L'oiseaudont on ne voit jamais que les pattes de devant.

1er avril.

Mirbeau.Il doit avoir cinquante-sept ans (cinquante-neuf en février).Sa femme est très maladeet Mirbeau a dit à Thadéequ'il ne lui survivrait pas.

Et ilraconte des histoires qu'il exagère jusqu'à ce qu'ellesportent.

Il a unetrès belle maison qu'il ne peut ni vendreni louernihabiter. Les gens qui viennent la voir disent : « Ce n'est pasune maison : c'est un château ; il faudrait des tourelles. »Quant à y resterc'est impossible : il faudrait toujours yavoir une dizaine d'amis.

Zola s'enrapportait à Alexis pour se documenter sur la vie mondaine.Quand il allait dîner en villeil ne remarquait que la formedes cuillers à potage.

Mme Zolaveut entrer au Panthéon comme Mme Berthelot. Elle est alléetrouver Picquart. Elle a dit :

«Emile n'y entrera pas sans moi. »

Il ditd'une femme :

-- Elleétait toute nuecuissesventre nuscheveux nus.

L'Autoa assez de Barrès. Il va lui écrire : « Votresérie est finie. »

Le moineauest l'ouvrierl'alouette est la paysanne.

Quand ildit : « Cuic ! » le moineau croit tout dire.

2 avril.

La lunereste un instant collée à l'horizon comme un grosescargot.

8 avril.

Femme.Elle mange discrètement au fond de sa bouchecomme le chevalla tête dans son sac.

J'ai unemémoire admirable : j'oublie tout ! C'est d'un commode !...C'est comme si le monde se renouvelait pour moi à chaqueinstant.

Lundi. Lesgens se réveillent. Ce premier jour de la semaine a toujoursun peu l'air d'un jour de naissance.

10 avril.

Se défierdes principes qui rapportent beaucoup d'argent.

16 avril.

Théâtre.C'est insensé ! Vous vous imaginiez donc tousavant que je nefusse critiqueque je vous trouvais du génie ?

Rabelaisest gai : il n'a pas d'esprit.

24 avril.

Ouilesironistes aiment la poësie ; seulementils veulent que ce soittrès beau.

29 avril.

Emotionen traversant les Tuileriesparce que des enfants jouent et que desoiseaux chantent. Attendrissement parce qu'un pied de statue auxdoigts cassés montre ses tiges de fer.

D'Aunaysénateur. Nous causons près d'un bec de gaz. Coups decoudes du public.

Il voulaitd'abord être ambassadeur ; maintenanton pense à luipour un ministère. Il me pousse au conseil d'arrondissementpuis se ravise :

-- Tout demêmece n'est pas digne de vous.

Il connaîtbien la question des chemins de fer de Suisse.

Il dit :

-- LaChambre nous envoie des projets de loi mal faitspour que nous lesrejetions.

Le Sénatc'est l'élite : ils y tiennent tous.

Lesélections sont faites d'avance. Le prochain sénateursera Beaufils.

-- Vous nepourriez pas être un unifiéme dit-il : vous êtestrop indépendant. Enfinvous êtes socialistemais vousn'êtes pas mon ennemi personnel.

Théâtre.Il ne faut pas que l'auteur s'en tire toujours en disant que lecritique ne comprend jamais.

On se faitdes ennemis. Avait-on des amis ?

1er mai.

Ma peurquand je marche derrière une femmequ'elle s'imagine que jela suis.

J'aime lafleur banale et le compliment rare.

7 mai.

On a vu lepublic aller cent fois à la même pièce pour dire: « Ouiouice n'est pas malmais je ne comprends rien augrand succès de cette pièce-là ! »

Palmier :girafe.

Saulebrisé d'avance par la tempête.

Leschampignons sortent avec leur petit parapluietrop tard.

Ellepleuraitimmobilerigide comme une statue après l'orage.

Gérault-Richardme raconte ses griefs contre Jaurès. Aucune sensibilité; à la fois impérieux et lâcheil a toutsupporté de Gohier. Leur brouille date de la fondation deL'Humanité. Gérault devait être rédacteuren chef. Il avait trouvé 200 000 francsJaurèsunecentaine de millefournis par des petits Juifsqui demandaient 5000 francs d'appointements. Ils ont obligé Jaurès àécarter Gérault.

-- Simpleouvrierdit-ilj'ai pu devenir journaliste. Je ne serai jamais quejournaliste.

Il brûled'envie d'être ministre.

Tous lesmatinsMendès rapporte des vers de Saint-Germain.

-- Il mefaut cinq heures devant moidit-ilpour que je me mette au travail.Je ne parle pas de mes articles.

Il se lèvetous les matins à 7 heureset se promène quatre oucinq heures. Il écrit avec une plume d'oie àSaint-Germainau Journal avec une plume de fer.

Fils de lapluie coupés en deux par les martinets.

23 mai.

Un jeunequi n'a pas de talentc'est un vieux.

1er juin.

A Chaumot.A l'écoletous les gosses se lèvent à monentréesauf un : c'est le gréviste. Il reste assislatête sur son coude.

-- Voilàdisait Hugo. J'irai entre les deux camps. J'offrirai ma poitrine auxballes. Je serai tuéet le siège sera fini...

-- Pourvousdit Scholl.

2 juin.

L'éditeurd'artun monsieur qui ne donne jamais d'argent.

3 juin.

M. Roymon instituteurn'a jamais eu de récompenses. Toujours enretard (ce n'est même pas par injustice : c'est la faute descirconstances) pour passer d'une classe à une autre. Il n'aobtenu qu'une lettre de félicitationsgrâce àmoi. Il ne sait pas qu'être officier d'Académie et avoirles palmes c'est la même chose. Je le fais rougir en lui disantque je lui ferai obtenir les palmes dès que ses chefs luiauront fait obtenir les récompenses qui précèdent: médaille de bronzeje crois.

Samodestie fait honte à la mienne. Je lui dis trop : « Jedéjeunais l'autre jour avec Barthou... Je causais avecBarthou... »

Trèssincèrement peiné par l'attitude des jeunesfonctionnaires qui ne savent pas rester dans leur rôle.

Elle vaavoir un petitsa fille aussi. Sur la routeelle promène sesmoutons et son ventre. Elle est la plus grosse des brebis.

Je demandeà un petit gars :

-- Quelssont vos devoirs envers vos parents ?

M. Roy mepousse du coude et me dit à l'oreille :

--Celui-là n'en a pas.

-- Quoi ?De devoirs ?

-- Deparents. Il est orphelin.

L'hirondellequi a quelquefois l'air de s'arrêter.

La caillejoue avec des petits cailloux et croit qu'elle chante.

Glorieuxcomme un pavot unique dans un champ de luzerne.

13 juin.

Je lui dis:

--Qu'est-ce qui vous ferait plaisir ?

-- Oh ! ilne s'agit pas de me faire plaisir.

--Voulez-vous cent sous ?

-- Oh !non. Pas besoin.

-- Prenezdonc !

Je leschercheetjustementje ne les trouve pas dans mon porte-monnaie.

-- Non !Non ! dit-il obliquement. Je ne veux pas être à votrecharge.

-- Noussommes tous frères !

-- Enfinquand vous voudrez... Ah ! si on pouvait avoir quelque secours de cesfonctionnaires ! J'ai toujours bien voté.

Il negagne pas vingt sous par jour à la Vauvelle. Il arrive troptard et part trop tôt.

-- Quelâge avez-vous donc ?

-- Le mêmeâge que vous.

-- Vouscroyez donc que j'ai soixante ans ?

-- Nonmais je sais bien que vous en avez quarante-trois.

-- Et vousaussi ?

-- Ouimonsieur.

Philippel'a toujours connu aussi vieuxmême au moulin il y a vingtans. Il y était bienmais déjà il n'en faisaitqu'à sa tête.

-- Çaira comme ça jusqu'au boutdit-iljusqu'à ce que jeprenne le sac.

-- Si vousavez besoin de quelque chose...

-- Detoutrépond-il.

Lesinstituteurs ne veulent pas saluer les premiers.

A LormesM. Dumasancien instituteurquatre-vingt-sept ans. Chasse encore.Toutes ses facultéssauf l'ouïe. Tous ses cheveuxtoutes ses dents. Possède un petit tableau qu'il a achetéautrefois pour dix sous et dont on lui a offert 200 francs. Devantses élèves en cercleun ancien maître d'écoley fouette un petit gars qui lui mord la culotte.

Cevieillardchose étrangeexhale une odeur fine de fruit bienconservé.

Au jardinje baisse les yeux pour ne pas faire peurquand je passeàl'oiseau qui est sur son nid.

18 juin.

Lemaréchal posetout seulune barrière à unnouveau pré du comte. Il dit que le métier se perdparce qu'aujourd'hui on fabrique toutmême les fers àcheval. Il n'y a plus que la pose qui occupe le maréchal.

Fier depouvoir travailler en plein airla poitrine nue. Il rit comme unnègre. Sa femme lui apporte dans un panier la soupe du soir.Les journées sont si longues qu'il peut travailler à sabarrière jusqu'à huit heures.

Ils sontmariés depuis peu. Ils forment un couple vigoureux. Pourtantelle a déjà l'air triste.

-- C'estagréabledis-jed'avoir une petite femme qui vient vous voircomme ça pendant votre travail.

--N'est-ce pasmonsieur Renard ?

-- Vousavez bien fait de la prendre. Bonsoirles amoureux.

Jem'imagine qu'ils vont se coucher làdans l'herbeet secaresser après la soupe.

Jem'éloignemaiscomme je marche lentementune femme medépasse : c'est la jeune mariée. Elle n'est pas restéeprès de lui. Elle a laissé le panier. On dit que sesparents l'ont forcée à ce mariage et qu'elle auraitmieux aimé en épouser un autre.

La vachese donne doucement le fouet avec sa queue.

Une rose.

Superbeelle a voulu vivre à votre corsage :
Elle meurt de dépitsous un trop beau visage.

Un hommede lettres est un homme qui n'a jamais aucune raison de se plaindremais il faut qu'il sache se passer de presque tout.

Chardonneret: le bijou des oiseaux.

Philippes'embête tous les dimanches. Il le ditet il bâillemais il ne brûlerait pas un nid de chenilles.

Pour leurfaire à déjeunerRagotte jette un pot d'eau dans dubouillon d'hier ; puis elle va s'asseoir et penser au pied de lavieille croix.

19 juin.

L'ortiedroiteélégante et finedédaigneuse.

Admirablenature ! Le pays où je passe est mon pays natal.

Paysnatalpays mortel.

20 juin.

Maigre etplate comme la cosse avant le petit pois.

24 juin.

Ragottedemande :

--Lave-t-on aujourd'huiMadame ?

-- Maisoui ! C'est lundi.

-- Oh ! jene dis pas ça pour moi. Moiça m'est égalmaisc'est la Saint-Jean.

-- Ah ? Ehbien !...

-- Lesdomestiques loués entrent chez les maîtres.

-- Ah ?

--Personnepas une femme ne va au canalce jour-là.

-- Bonbon. Vous ferez la lessive demain.

-- Oh ! sivous avez quelque chose à me faire laver...

-- Demaindemain.

-- Si vousavez quelque chose qui presse...

-- Oh ! cen'est pas pour moi.

-- Cen'est pas pour moi non plusRagotte.

Et elles'habille en noir. Elle ne fera rien. Elle sortira sur la routetricotant une chaussette.

On peuttravailler dans son bureaufenêtre ouvertejusqu'àhuit heures. On peut.

25 juin.

Noussommes ici-bas pour rire.

Nous ne lepourrons plus au purgatoire ou en enfer.

Etauparadisce ne serait pas convenable.

L'âmeblanche des lits transparaît.

Ilm'apporte des cailloux tirés près du Bouquin.

-- Ah !dis-jej'en ai déjà.

-- Cen'est peut-être pas les mêmes.

Il me lesmontre et m'explique comment on les a trouvéspar quel coupde pioche ou de mine. Il me raconte qu'un camarade a trouvéprès du pont du Guétinune table de marbre. Ils l'ontcachéepuis ils ont creusé en dessous. Ils ont trouvéune « estatue » de bronzepuis une marmite pleine depièces d'or carrées « en latin ». Ils lesont envoyées à la Monnaie pour les faire frapper. Ilsne les ont pas revuesmaisdepuistous les ansau premier jour del'anils reçoivent 100 francs d'étrennes.

Queveut-il ? Que je lui achète ses cailloux ? Ils me prennentpour un savant. Ils n'en ont pas trente-six modèles : unsavant est un monsieur qui sait tout. Je dis que je ne m'y connaispas et que je les montrerai à quelqu'un qui pourra me dires'il y a quelque chose à faire. Il va « remonter du côtéde la soupe ».

-- Je vaisles ranger dans mon tiroirdit-il. Au revoir. Merci.

-- Oh ! derien.

Le peuplecrie la faimet la soif.

La forcequotidienne qu'on n'utilise pas.
Une couturière quihabillait la troupe.

Un vieilange.

Lespapillons que le vent fait avec les roses.

Ils sontencore chrétiens parce qu'ils croient que leur religion excusetout.

26 juin.

La mortest l'état normal. On compte pour trop la vie.

2 juillet.

A Tannay.Certificat d'études. Tannayvieille ville de vignerons. Descaves magnifiques et mystérieusesde vieilles maisons avecdes fenêtres en ogiveet une rue qui ouvre sur un horizon detoute beauté.

Des ruesbien lavées par les pluies qui dégringolent.

Ilsrécoltent leur vin et le boivent eux-mêmes. Quinzefeuillettes par an ne font pas peur à un honnête pèrede famille.

6 juillet.

Lesépreuves que Dieu lui envoie ! On dirait qu'elle parle d'unphotographe.

9 juillet.

La vigneaux bras de vieille.

10juillet.

Nuages :lentes ébauches d'animaux.

Personnene souffre d'être moins intelligent que le voisin.

Le mondeserait heureux s'il était renversé.

12juillet.

Le méprisd'un lis pour un petit pois.

Promenade.Les cuisses frôlées par les moustaches du champ d'orge.

Le miracleserait pour moi qu'un petit oiseau s'approchât pour me direquelques mots.

17juillet.

Acertaines de leurs parolesje me sens un coeur de chien d'arrêt.

Il estplus difficile d'être un honnête homme huit jours qu'unhéros un quart d'heure.

Je ramassetout ce que les hommes de lettres laissent perdre de la vieet çafait de la beauté.

19juillet.

Mamanappelle sa maison « le cottage ».

Migraine.Ce doit être ce que le Christ appelait sa couronne d'épines.

M. Roytellement respectueux quesi par hypocrisie je dis du mal de moiilne me contredit pas.

J'ai prisune pomme sauvage : j'ai mis un sou au tronc de l'arbredans unefente d'écorce.

20juillet.

Les petitsoiseaux discrets qui ne se montrent à personnequi passentsans être vusd'un buisson à l'autreet qui ne doiventmême pas avoir de noms.

Promenade.La fraîcheur se lève des buissons. La nuit rôde aupied des arbres.

Les blésoù les perdrix ont leurs petites rues.

Marinetteà la fois angélique et infernale au milieu de sesbassines de confitures.

Luisafaux sur le dosfait des phrases sur les rougeurs du soleilcouchant. Sa femme courbe le dos comme une pauvre femme de lettresqui en entend de toutes les couleurs.

Et deuxénormes vachessales de partout. Comment un fromage peut-ilsortir blanc de cette masse de fumier ? La rouge s'appelle Grisette.Elle porte au couau bout d'une chaîneun gros morceau debois qui traîne et qui l'empêche de se sauver. C'estpeut-être honorablemais c'est bien incommode.

Un hommequi aurait absolument nette la vision du néant setuerait tout de suite.

23juillet.

Un lièvrequi vit dans un champ d'avoine traverse la haiese trouve dans unpré tout nuécoute. J'ai beau retenir mon vent sur laroute : il finit par m'entendre ou par me voir ; il rentre au pays del'avoine.

Noussommes tous un peu ratés par quelque endroit.

Ilsobservent des fourmis pendant trois volumeset ils s'étonnentque je regarde de si près mes paysans.

Grossejument : le chariot en a plein les timons.

Une oiequi nage a l'air noble.

Philippelaisse son gilet un peu partout.

Le giletest le corset du travailleur.

La vieillegarde ses oies avec ses lunettes.

Elle aentendu dire que les savants lisent le latin. Alorselle lit dulatin à haute voixpour n'avoir pas l'air si bête. Elles'assied sur notre banc. Elle y a tout à fait l'air d'unevieille savante.

Ellecueille des orties pour ses oies.

-- Vousn'avez donc pas peur de vous piquer ?

-- Ma foielles piquent bien ! Il y en a qui ne piquent pasmais elles ont desdents.

Elle nevoudrait pas tomber.

- Il doity avoir des serpents làdit-elle. Ce n'est pas sans ça.

Elle piqueson bâton au bord du fossés'appuie dessuset son grosderrière soulève son jupon. Elle a les pieds dans deschaussonset les jambes nues. On voit ses molletset c'est encoretrès blanc.

Araignéesau vol captif.

24juillet.

Il vientme tend une lettre. Il y a sur l'enveloppe : « M. et MmeRenardmaire de Chitry. »
-- De la part de qui venez-vous?

Je ne veuxpas prendre l'habitude de ne pas recevoir durement un pauvre.

-- De lapart de M. Perrin.

Je déchirel'enveloppe. Une lettre où je lis : « Ancien gendarme...Perdu la vue... » et des choses que je lis sans comprendrecarje ne songe qu'à ce que je vais bien pouvoir direet deux outrois papiers jaunesnoirciscomme brûlés par unincendieou par la misère.

-- Maisdis-jemonsieur Perrinc'est vous. Vous dites que vous venez de sapart.

-- Ouidit-ilsouriant. Je viens de ma part.

Il ditcela comme un homme qui est seul au monde.

Il est surla route avec sa femme et ses trois enfants. Il va à Mâcon.Il est trop tard pour qu'il aille à Corbigny : la mairieserait fermée. On ne lui donnerait pas à coucher. Ilréclame un secours.

--Qu'est-ce que vous faites ?

-- Depuisque j'ai perdu la vue...

-- Maisles petites communes n'ont pas de fonds pour vous secourir.

-- Je saisbien.

Il a l'aird'un bandit et d'un pauvre bougre. Je lui donne vingt sous.

-- Je peuxlui donner du painme dit Marinette tout bas.

Il aentendu. Il attend.

-- Il aassezdis-je.

Je distout cela durementcomme un bourgeois qu'on dérange. Et iIm'a parlé nu-têteet je n'ai même pas touchéle bord de mon chapeau. Pourquoi ? Pourquoi ?

EtcommePhilippe allait au villageje lui ai dit de voir si l'homme n'ybuvait pas. Est-ce que ça me regarde ?

Il étaitparti.

Le triste: « C'est tout » du facteur qui dépose sur latable un prospectus.

Elle litla Bibliothèque Rose.

-- Jeretombe en enfancedit-ellemais c'est bien écrit.

25juillet.

Je necherche la vie que dans la vie. Elle me donne de l'excellentmaiselle le mesure.

29juillet.

Un coup detonnerredit Ragottepeut tuer un petit poulet dans l'oeuf.

-- Ouis'il tombe sur l'oeuf.

Lachouette annonce l'orage aux grenouilles. Elle traverse l'air. Ilfait déjà trop nuit pour qu'on la voiemais on entendson cri qui se déplace.

Orage.C'est fini. La foudre ne nous a pas vus.

30juillet.

Femme.Diamants aux oreilles et aux yeux.

Marinette.Le plus beau cadeau qu'on puisse lui fairec'est un dé àcoudreen or.

Je n'aipas la foimais j'ai des petites fois qui me soutiennent.

Un coucherde soleil stupide : une espèce de roue de voiture trempéedans la confiture.

2 août.

Ce que jetrouve de plus difficilece sont mes rédactions de maire. Jene sais jamais par quoi il ne faut pas commencer.

Parfoisen une nuitun gros champignon a poussé sur la butte : c'estle peintre Pail et son parasol.

Ils ontpeur que je les « mette » dans les journaux ; maistantque ce n'est pas dans L'Echo de Clamecyça leur estégal.

Ons'habitue à n'être jamais malade.

-- Oh !vous portez un panier ! dit-elle à Marinette.

Elle veutbien aller au marchémais pas sans sa bonne.

La femmedu notaire n'y va qu'en voilette.

Tellejeune fille y va en robe brodéene touche qu'à peineaux chosestrès vite effarouchéeetlevant le pied :« Oh ! des poules ! Oh ! des oies ! »

Unefermièrequi a fait des sacrifices pour que son fils soitmédecinne dédaigne pas de venir vendre une livre debeurre. Elle est en toiletteavec bijoux. Quand on lui demande : «Combien la livremadame ? » c'est un vrai derrière depoule pincée qui vous répond :

-- Trentesousmadame.

3 août.

Aconsidérer les appétits bourgeoisje me sens capablede me passer de tout.

4 août.

Le chat setient et dort au pied du cep de vigne. En hautil y a un nid defauvette et trois petits quis'ils ne se tiennent pas plustranquillesfiniront par tomber.

Le chatattend.

Cettearaignée avait tendu sa toile sous une fleur. Elle n'attrapaitque des pétales. Elle est bien vite morteajoutantàsa réputation de cruellecelle d'imbécile.

Elletraite son mari en tout petit garçon.

-- Tu m'ascassé un bouton de chrysanthème ! lui crie-t-elle.

Elle lepunit par le tabac. Il n'a jamais un sou. Quand il a étébien sage toute la semaineelle lui donne un paquet de dix sousetil peut aller pêcher.

Quand iItonnela nuitelle se lève et va chez les voisinscoifféecomme une vieille coquette avec un pimpant bonnet et des bigoudis.Elle apporte avec elle son sac plein de valeurs. Quant à luiil reste seul. Sans douteil pourrait la suivremais il aime mieuxprofiter de ce moment de libertéet être tout seul avecl'orage.

Elleécoute tout ce qu'on dit. Elle ne se gêne pas poursortir et venir coller son oreille à la porte des voisins.

C'est uneancienne cuisinièreluiun ancien valet de chambrepuisconcierges. Aujourd'huipauvres petits rentiers geignards.

5 août.

La vieilleprend l'habitude de venir s'asseoir sur le banc. Encore une qui va secoucher de tout son long dans un de mes livres !

Je devienscapable de fairesinon une bonne actiondu moins une corvéesans espoir de gratitude.

Prix. Unesoixantaine d'enfants. Les filles se tiennent mal et n'écoutentpas. Elles sont mal élevées. On finira par dire quec'est parce qu'elles nous fréquentent.

Je porteplus que Victor Hugoparce que je suis plus près d'eux. Lesgrands poëtes s'égarent. Il s'agit bien de la République! Il s'agit d'apprendre à ces gens-là à êtrede braves genshonnêtesfrancs et véridiques.

Un petitboit à ma santépuis les autres. Les filles sortentsans même dire merci. Les hommes valent mieux que les femmes.

Hier soirdimanchetout le monde s'était mis en fêteles unspour un enterrementles autres pour une distribution de prix.

A huitheures et demieil grimpe le petit sentier qui longe le jardin.Vraimentdans le crépusculeson bras gauche inerteil al'air de grimper sur trois pattesl'airaussid'un singe quiaurait volé un petit chaudron. Il fait peurmais je leconnais. Je l'ai reconnu de loinà son pas qui traîne.

-- D'oùdonc venez-vous si tard ?

-- Detravaillermonsieur Renard.

Il sembleque sa voix a quelque chose de dur. Quoique étonné parmon apostropheil ne s'arrête pas.

-- Detravailler ?

-- Ouimonsieur Renard.

--Qu'avez-vous donc fait ? Planté quelque chose sur les pâtis?

-- J'aicassé de la pierre à la Vauvelle.

Et ilpasse.

Son petitchaudronil y emporte son « goûter ».

Nousvenons de bourrer de brioches et de sucres d'orge des petits au nezsale. Pourquoi (ouiqu'est-ce qui me retient ?) ne pas lui donner 20francs en lui disant : « Tenez ! C'est un secours que j'ai reçupour vous de la préfecture » ?

7 août.

Il fautque je laisse aux choses le temps de se placer sur ma mémoirecomme des objets d'art sur un meuble bien d'aplomb.

9 août.

J'entendssonner dans l'ombre les cornes des châtrons qui se heurtent enjouant.

10 août.

La nuitun premier coup de tonnerre. Philippe va chercher l'âne dans lepréetmoiBaïe dans son lit.

Promenade.Revu le champ où mon parrain se courbait dans sa vigne. Monavoine ! Mes pommes de terre !

-- Commetu es riche ! me dit Marinette.

Et voilàque deux perdrixen couranttraversent ma propriété !

Le paysnatalc'est cela : une minute d'émotion de temps en tempsmais pas tout le temps.

Ma plumebrûlait le papier comme un insecte de feu.

La plusvieille après Honorine.

Elle avaitdu pain de la commune et recevait 5 francs par mois de chacun de sesenfants.

Ellelaisse douze chemises neuvesdes tabliersquarante jupons de toilede cotonnade et de laine. Beaucoup sont neufs. Et des provisions !Cafésucre.

Sa fillefait des visites à toutes les personnes qui assistaient àl'enterrement. Elle dit :

-- Allez !Il ne lui manquait rienet elle se plaignait souvent à tort.Nous ne la laissions manquer de rien. Nous avons distribué sesjupons. Tout le monde en a eu.

De sonvivantelle n'a voulu donner à personne la clef de sonarmoire. Elle avait peut-être le remords de voler la commune.

11 août.

Un oiseauqui reviendrait voir la place de son lit natal.

Je voistrès bien mon buste sur la place de l'ancien cimetièreavec cette inscription :

A JULESRENARD
ses compatriotes indifférents.

14 août.

Gérault-Richard.Une bague compliquée et lourdemais en orau petit doigt.

Il neparle que de millionsaffirme que son Messidor est le journaldu soir qui se vend le mieux. Rochefort est fichu. Mais Messidorn'a pas besoin de la province. Il dit :

--Clemenceau ne sait pas ce qu'il veut. Il ne veut rienque faire desboutades. Tous ses discoursil les prend chez moidans mesarticles.

« Ala Guadeloupej'ai crevé dix-neuf gendarmes. Ils n'enpouvaient plus. Je faisais vingt discours par jour. J'ai gardémes souliers de la Guadeloupe : les voilà.

«Vous avez 3 % des lecteurs de Messidormoi15 %lescourses30 %les sportsla même proportionles crimes100%. Oh ! ce que je dis là ne signifie rien.

«Vous ne faites jamais rien de mauvais. Donnez-nous donc des histoiresde bêtes. Vous les réussissez si bien !

« Iln'y a pas de réformes sociales à faire ; elles sontimpossibles. Le paysan veut être dégrevél'ouvrier veut des retraites. Oron ne pourrait pas établirles retraites sans grever le paysan. Alors ? »

-- On ditque vous êtes le soutien du ministère.

Il ne ditpas non.

Enarrivant il s'écrie :

-- Oùest Ragotte ?

-- Chut !lui dis-je. Elle est làderrière vous.

Il ne veutpas se laver les mains avant déjeuner pour faire croire àla propreté de son auto. Il se les lave après.

-- Quandtravaillez-vous ? me demande-t-il.

-- Lematinle soir ; quelquefoisni le matin ni le soir.

-- Vousêtesme dit-ilcomme ce personnage de La Vie de Bohèmedont on attendait toujours le chef-d'oeuvreet qui répondait: « Il y a des années où l'on n'est pas en train.»

16 août.

Rien pourvousdit le facteur.

-- Oh ! jen'attendais pas de lettre.

Comme sion protestait contre une fausse accusation.

19 août.

Promenadeà Montenoisonle 17. Le cocher gai :

-- J'y suis venulundi dernier pour amener un mort. Hi ! hi !

Les présde Champlin. Des prés immenses qui valent entre 100 et 150 000francs. Tout ça appartient à de riches régisseursqui ont fini par manger leurs propriétaires.

Présachetés autrefois aux communescomme chaumes : ont-ilsseulement été payés ?

Lavoitureune caisse trop noire qui doit être le corbillard deMontenoison ; maisquand on ne le sait pas...

Oh ! avoirsur cette butte un vieil oncle que je viendrais voir de temps entemps !

Un hommejeunequi nous prête sa lorgnettenous dit :

-- Je suisdu payset j'ai attendu trente-cinq ans avant de venir voir ça.

Il lerépète comme un titre.

Auberge.Hierelle avait à déjeuner un ingénieur en chefde Paris.

A l'affûtsous les noisetiersje surprends leur vie quand elle palpite.

Cielimmense. Jamais les nuages ne peuvent le garnir.

Il ne fautpas faire attention à la vérité ; alorsellevous saute au cou.

20 août.

La comèted'août 1907. On la voit très vite à l'estsansdoute à partir de 2 heures du matin. On dirait une pâleétoile filante arrêtée comme elle tombait sur lebois Narteau et aussi une queue de billard jetée au ciel.

Avec malanternema robe de chambre rougemon fichu de laineet macasquette sur mon bonnet de cotonn'ai-je pas l'air d'un vieilastrologue sans lunette ?

Heureusementun nuage la recouvre. Rien de plus monotone que ces merveilles.

Tout celane prouve pas le diable.

Al'horizonun peu avant le soleilSaturne ou Jupiter se lève.Et ça vaut bien une comète.

Les jouesde Ragottede la vraie peau de chagrin. Elle a tant pleuré !

SaLucienne est bien réduite : le mariage l'a métamorphosée.Quand elle vient voir Ragotteelle trouve tout bien. De Pariscettefoiselle lui a apporté du sucre fin. Ragotte en offre àMarinetteheureuse de pouvoir enfin lui donner quelque chose.

-- Vousavez bonne minelui dis-je.

-- Oh !moije me porte bien.

-- Vousêtes grasse.

-- Il fautça.

--Avez-vous vu la comète ?

-- Non.

-- Vousn'avez qu'à ouvrir votre fenêtre. La comète estsur le bois Narteau.

-- Ah !bon. Si je me réveilleje regarderai.

-- Mercipour la comète.

22 août.

Il fautécrire comme on parlesi on parle bien.

Auvergne.Voyage de cinq jours.

29 août.

L'autol'ennui vertigineux.

Ils vousdemandent tout de suite combien de chevaux. Disons 1 500 et n'enparlons plus.

Il y a desminutes oùen voyage aux frais des plus généreuxdes hommeson se sent tout à coup le colis.

Guitrysalue un vénérable prêtrequi répondsurpris et flatté.

-- Il fautque je lui donne quarante sousdit Guitry qui court à luietqui lui dit : « Mon pèreje vous prie d'accepter cetteobole. Ce n'est rienmais cela peut toujours soulager un de vospauvres. »

Nousrionset les gens nous regardent et ne savent que pensertant c'estbien fait. Tout autre que Guitry raterait ces petites scènes.C'est un homme de lettres qui joue au lieu d'écrire. Seshistoires les plus banales sont admirablement jouéesdans lemouvement et dans le ton.

4septembre.

Jerapproche les gens afin qu'ils puissent se battre de plus près.

Auvergne.Ouice sont de beaux paysmais le nôtre a l'air plus plein.Il a l'air tout occupéet bien occupé.

Ragotteregarde battre le blé avec mélancolie. C'est toute sajeunesse de forte fille de moisson qui bourdonne à sesoreilles.

Ellecommence quelques-uns de ses récits par ces mots : « Autemps où je faisais moisson... »

Arles.Maisons colléesà peine séparées par depetites rues où le soleil ne pénètre pas.

La belleArlésienne fait les objets trente-cinq sous. Vingt sousetelle les augmente tous de dix sous sur la facture. Sa vieille mèreest làqui surveille ce petit vol.

Portraitoeuvres de Mistral.

Le soleilme fait chanter.

Mendiantspittoresquesmais mendiants. Ils vivent des restes de l'hôtel.

Lepharmacien me demande mon avis sur les cachets Faivre qu'il me vend.

-- On aimebien se renseignerdit-il.

Manqued'écriteaux du côté de Marseille.

-- Vousallez voir la plus belle route du mondedit Mariusle chauffeur.Pas un arbre.

Torrentsde cailloux blancs.

Grâceà la vitesseon n'a pas trop chaud. Dès qu'ons'arrêtele soleil fusille.

Mariusdonne la même sécurité que les rails d'une voieferrée.

Le Puy.Ils sont un peu honteux de leur vierge dorée et prétendentqu'on s'y fait.

Marseille.Hôtel-Palace Roubion. On sert les pains ronds avec une louche.Le garçon prend les pommes frites entre une fourchette et unecuiller qu'il tient d'une seule main. Le monsieur distinguéqui mange seul.

Je veuxfaire les choses bienet je désire que quelqu'unn'importequis'en aperçoive.

Je netiens pas plus à la qualité qu'à la quantitédes lecteurs.

Le longbaiser de l'araignée à la mouche.

Déroulementdes montagnes.

Figuecitron vertcigales. Un aigle plonge.

Du beurrequi sent déjà l'huile.

C'estencore Guitry que dévisagent les grues de Marseille.

6septembre.

Le cochonjette ses oreilles en avant et les poursuit.

Jamais jene me suis dit : « Je vais prendre une note. » C'estensuite qu'elle me vient.

Il fautêtreou se sentiroutout au moinsse croire un peu maladedevant un beau paysage d'automne.

Rongéde modestie.

7septembre.

Boeufs. Onest déjà obligé de leur porter la paille au préetquand ils voient le domestique et sa botteils accourent commesi c'était du gâteau. Ils ne rentrent à l'écuriepour entonner leur foinqu'à la Saint-Martinc'est-à-direle 11 novembre.

Lestravailleusesil y en a. Les femmes ne font pas toutes rien.

Celle-cifaisait à son homme l'économie d'une servante et d'undomestique. Elle était toujours de mauvaise humeur parcequ'elle n'arrivait jamais à faire ce qu'elle voulait.

Elle enest morte.

Celle-làharasséeassisepresque couchée sur le talus. C'estfini ! Elle n'a plus de forces. Elle dit :

-- Lepaysan est trop malheureux. Pourquoi donc qu'il y en a ?

Elle a lafigure résignéepresque mauvaise. Luiempileurilgagne de bonnes journées. Elle aurait pu être heureusechez ellemais il boit et il la bat. Elle ne voit rien de ce qu'ilgagne. Elle se rend.

Tout demêmeà la quatrième page d'un journalelle a luune annonce qui lui rendra peut-être des forces. Elle vaprendre des pilules Pink. C'est son dernier espoir. Comment le luiôter ?

Cetteautreje la voisde mon bancdans son jardin. Elle arrache d'aborddes pommes de terre avec une piochecomme un homme. Puiselleattrape une faux et coupe de la luzerne. Elle la ramasse et emplitson tablierpuisun panier de pommes de terre à la maingaucheles cornes de son tablier à la droiteelle se sauveet ramèneen courantune vache qui était au préprès du jardin.

Elle aplus de deux cent cinquante poulescent canardsdes dindonsdescochons. Avec un bâtonelle va traire ses vaches et tape surle mufle du taureau qui n'a peur que d'elle.

Levéela premièrecouchée la dernièresi elles'asseyait dans la journéeelle ne pourrait pas se relever.

Elle nebavarde jamais. On lui parleelle répondmais elle ne lâchepas son ouvrage. Toujours se dépêchant comme àl'approche de l'orageelle a l'air de jouer aux quatre coins dans lagrande cour.

-- Quandvous aurez mon âgeme dit Guitryvous aimerez comme moi lespays durs du Midi.

Je ne saisjamais rienet j'ai toujours le plaisir d'apprendre n'importe quoi.

8septembre.

Moncerveau devient comme une toile d'araignée : la vie n'y peutplus passer sans se faire prendre.

Philippe ades vertiges. Il reste assis sur son litle fusil à la main.

A lachasseil sent qu'il va toujours à droite. Régime :salade et cornichons.

Le lièvrese blottit dans la haieregarde les chiens dépistésettout à coupsent que quelque chose le serre à lagorge : le collet.

La véritéde l'araignéec'est le moucheron.

9septembre.

Nous avonschacun nos admirateurs.

-- Et cesont quelquefois les mêmes.

-- Hélas!

Politique.Il faut bien qu'ils aient l'air de suivre une petite ligne droitesous peine de s'égarer ; mais la vérité est unpeu partout.

On vavolontiers au secourson ne tient pas beaucoup à sauver.

10septembre.

Sully-Prudhommed'une profondeur toujours égale. On s'y baigne sans vertige etjamais on ne perd pied.

Unerésignation à ressorts.

Soiréede septembre. Le léger bruit du moulin. Une lanterne court.Les bateaux s'éteignent.

Et un cribrusque qui part on ne sait d'où. On n'assassine pourtantpersonne. Un cri naturelpeut-êtrec'est-à-dire de laNature.

Critiquedramatique. Plus de méchanceté : la justice dansl'indifférence.

AcadémieGoncourt : pas de candidature hypocrite.

Indifférentcomme un boeuf qui n'a pas pu se vendre à la foire.

11septembre.

Leurmaison : une caisse de bois blanc sur deux roues et quide loinsemble pleine de petits. L'homme poussela femme suitnu-têteet pieds nus.

Comme il ya des canards sur le canalla femme s'arrête et dit aux petits:

-- Combiensont-ils ?

Ilsdressent la tête comme des oiseaux au bord du nid.

Et l'hommeditd'une voix douce et gaie :

-- Regardeles bébêtes !

Et lamaman fait ch ! ch ! pour faire nager les canards qui battentde l'aile et amusent les petits.

Commes'ils ne feraient pas mieux de les attraper et de leur tordre le coupour les faire cuire ! La misère s'oublie et s'amuse.

A quatreheuresRagotte se bourre de pain. Debout dans la courelle tientune salière d'une main et y trempe un cornichon.

-- Monpain était trop vieuxdit-elle. Il ne me donnait pas appétit.Le cornichon au sel le pousse.

Ils ne seregardent pas vivre. Ils ne se reconnaîtraient pas dans LesFrères farouches. Ils diraient : « Oh ! pardié! Ça arrive des fois à tout le monde. »

Jeunefille. Une rougeur s'étale sur sa joue comme la buéesur un vase d'eau fraîche.

Soir deSeptembre. Une âme erre ; on entend sa clochette.

12septembre.

Ragotte :soixante-deux ansmais tout son appétit. Elle donne àPhilippe sa soupe et un morceau de pain « au derrière ».

Sacoquetteriec'est de faire croire qu'une femme mange moins qu'unhomme. A midi elle mange moins que Philippemais elle ne dit pasqu'à dix heuresdans la courelle mangeait une tartine defromage de quatre centimètres d'épaisseur. Avec sonpetit couteau elle en coupait des « quartiers » qui luitenaient toute la bouche.

Ledimancheelle fait à Philippe des tout petits « goûters»parce qu'il ne travaille pas.

Les hommesnaissent égaux. Dès le lendemainils ne le sont plus.

Autos surla routechasseurs dans les champsla terre devient inhabitable.

Jeannetterevient du préet elle agite sa queue comme un drapeauderrière son pis plein.

6septembre.

Ce seraitbeaul'honnêteté d'un avocat qui demanderait lacondamnation de son client.

Poëte.Comme la cigale : une seule note indéfiniment répétée.

17septembre.

Je mepromène. Une auto derrière moicelle du comtejecrois. Il faut que j'aie l'air d'un sageet je prends dans ma pocheun journal que je tiens derrière mon dosmais j'ai prisLeMatin et non L'Humanité. Pourquoi ?

18septembre.

Boeufsimmobiles au précomme encore sous le joug.

Ce que lesétrangers admirent le plus dans mon paysce n'est pas moi :c'est la blancheur de nos boeufs.

20septembre.

La lunesans sexe.

Un chevaléclate de rire dans la nuit.

21septembre.

Notessonores des bûches de bois qu'on empile.

Huysmans :c'est de la couleuroui ! C'est des mots éclatants un peuécrabouillés.

Figurerapidement vieillie par le malheur comme l'eau ridée par levent.

Unpapillon d'automne qui s'oubliait à vivre.

25septembre.

Rentréeà Paris.

26septembre.

Beaunierau Figaro. Il y a des dames qui l'appellent le roi deshumanistes. Cela explique bien des choses.

Dansl'alléela chenille se joue un petit air d'accordéonqu'on n'entend pas. Aucun son ne sort.

27septembre.

Fortunebonheur des pauvres d'esprit.

29septembre.

AcadémieGoncourt. Il y a plus de trente candidats. Ces manoeuvres fontcomprendre celles qu'il y a autour de l'Académie française.

L'écrivainqu'il faut relire le plus souvent pour se corriger de ses défautsc'est soi-même.

30septembre.

VoyantPhilippe rentrer saoul :

-- C'estdu joli ! dit Ragotte. Je voudrais que le monsieur t'appelle.

Etjustementje l'appelle.

-- Oh !mon Dieu ! s'écrie Ragottequi pâlit.

Arrivisme! Pourquoi passimplement« arrivage » ?

3 octobre.

Critiquedramatique.

-- Quelleindulgence !

-- Laissezdonc ! Le mérites'il y en areste le même. Il estaussi difficile de faire des compliments faux que de la critiquesincère.

Jevoudrais bienmoi aussime mettre à la mode et dédaignerl'esprit : je n'y arrive pas.

Je necrois pas au théâtre : c'est le secret de monindulgence.

4 octobre.

Critique.Sans les vains adjectifs qu'il faut chercher pour les artistesce neserait pas embêtant.

Théâtre.Quand je pense que Dieuqui voit toutest obligé de voir ça!

A quoi bondire la vérité à propos d'un art qui n'encomporte aucune !

Il va desoi que des personnages faux peuvent dire des choses vraies.

6 octobre.

Lapolitique devrait être la plus belle chose du monde : uncitoyen au service de son pays. C'est la plus basse.

7 octobre.

Théâtrede Capus : libellules qui dansent sur un grand lac de tristesse.

ParcMonceau. Je le retrouve. Je passe où je passais l'an dernieroù je repasserai l'année prochaine : et pourquoi pas ?Rien n'a changé pendant les vacancesrien ne changera.

J'ail'impression d'être immortel. Non ! Je ne mourrai pas de sitôt!

-- Ouieneffetdit Capus : Antoine m'a demandé une conférencepour le 31 octobre. Je lui ai répondu que je la ferai si jepasse à l'Odéon ce jour-làmais que je n'yviendrai certainement pas exprès.

Il a plusque de l'esprit : il n'a plus de coeur.

Il a perdula délicieuse défiance de la jeunesse.

--Penses-tu à l'Académie ? lui dis-je.

-- Je n'airien à faire : c'est le travail des autres. ClaretieHervieuLemaîtreme disent que ça va bien. La premièreplace d'auteur dramatique sera pour moi. Il faut être del'Académie parce que cela met à l'abri des coups. Toiaussitu en serasdans deux ou trois ansquand ceux de lagénération qui précède seront installés.Ta place tout à coup sera prête. Tes Frèresfarouchesouiun bon titre. Le mot est de La Bruyère. Oh! c'est très bien. C'est mieux que tout ce que tu as fait.C'est... c'est plus profond.

Je sensqu'il n'en a pas lu une ligne.

10octobre.

Comme jelui dis d'aller chercher mon calepin et mon crayon :

-- J'ycoursdit Baïe. Tiens bien ton idéepapa !

Chaquejourje suis enfanthomme et vieillard.

Un serinqui ne saitchanter que dans une cage dorée.

14octobre.

M.François-Guillaume de Maigret vient de la part de Messidor.Il me demande si je lis Messidor et si je suis candidat àl'Académie Goncourt.

-- Pour nepas répéter « Jules Renard »dit-iljevais mettre : « L'auteur de... ». Quel est celui de voslivres que vous préférez ?

-- Onm'appelle surtout « l'auteur de Poil de Carotte ».

-- Il n'yen a pas un autre que vous aimeriez ?

-- Mettez: Histoires naturelles.

-- Oh !non. Il me faut le titre d'un de vos livresd'un livre que vousaimiez plus que les autres.

20octobre.

Ledirecteur de théâtre ne mesure pas la valeur d'uncritique au tirage de son journal. Il les place par ordre de talent.A l'homme de génieune loge ; à l'homme de talentdeux fauteuils aux premiers rangs. D'ailleursil ne les juge pas unefois pour toutes : il les surveille. Pour un bon articleon peutavancer de deux rangspour un mauvaisreculer derrièrequelques chapeaux de dames connues et n'avoir qu'une place. On nesupprime jamais tout à fait le service : le critique nesouffrirait plus.

Ledirecteur ne se trompe jamais. Si cela lui arrivec'est parce quetout le monde se trompe. Personnellementil reste infaillible.

Il n'y apas de justice : il y a notre goût et notre humeur. Il s'agitpour un critiquede se former le goût et de surveiller sonhumeur.

Je n'aijamais cru aux amis et j'ai toujours bêtement compté sureuxjusqu'à croire qu'à mon insutout seulsilsferaient mes petites affaires.

Il y a desjours où l'estomac rebuté du public rejette mêmeles plus plates concessions.

23octobre.

Uneinondationmon cher ! dit Capus. Les bêtes hennissent.

Ma femmese réveille. Quelque chose vient : c'est la Loire. De la gareon prend le bateau pour aller chez soi. C'est charmant !

«Les ennuis ne m'ennuient pas. Ce qui m'embêtec'est la vieplane.

« Jedonnais à ma femme l'argent que je gagnaiset elle le mettaitde côtémais je faisais des dettes pour payer mesfolieset il faut maintenant que je gagne de l'argent pour payer mesdettes. Oh ! je le dirai à ma femme. Ce sera la seconde fois ;elle finira par s'en apercevoir. Jusqu'icielle n'a que de lacertitude ; elle aura des soupçons. La certitude me rassure :je ne suis inquiet qu'aux soupçons.

«J'écris encore pour arranger mes affaires privées.

« Jesuis las de faire des pièces. Je voudrais écrire unroman. A force de faire dialoguer des genson s'aperçoitqu'ils n'existent pas.

«Cela ne m'empêche pas d'être heureuxde voyager.J'emmène ma femme en auto. Je lui fais voir des montagnes. Desmontagnesça cache bien des choses. Elle croit que je la mènesur les montagnes : je la fais passer par derrière. Oui ! Enarrivant en Italiej'ai tout à coup eu la sensation qu'il yavait les Alpes entre moi et mon inconduite.

«J'exagère. Je n'ai pas d'inconduite. Il s'agit de chosesinnocentes que vous pourriezMarinetteraconter à ma femme ;etsi vous le faisiezvous seriez la dernière des dernières.

«Encore trois ans d'inconduiteet je resterai tranquille.

«Dans dix ansj'en aurai cinquante-neuf. A cet âge-làon s'aperçoit qu'on n'est pas vieux et qu'on a encore vingtans à vivre. Il y a des gens qui ont quatre-vingt-quinze anset qui ne s'en doutent même pas.

« Ilm'a paru que Léon Daudet ne serait pas éloignéde voter pour toi au second tour. Sa femme est délicieusemais royaliste. »

Hier soiren rentrant à six heuresje trouve dans mon cabinet Mirbeauet Thadée.

-- Votreélection est sûreme dit Mirbeau. Nous avons vos cinqvoix.

-- Puis-jedire que je suis très content ?

-- Non.Mais il y a une formalité indispensable : il faut poser votrecandidature. Ce sont les statuts du Conseil d'Etat. Hennique me priede vous demander un mot : il votera pour vous. Mme Daudet lui a ditque Léon votera pour vous. Sûrementau second tourvous aurez vos cinq voix.

Descaves adit à Hennique : « S'il y a 150 toursje voterai 150fois pour Renard. »

-- Maisdis-jej'ai dit du mal des Goncourt. On va vous tirer ça.

-- Moirépond Mirbeauj'ai écrit que je ne les lisais plus.

Toute lajournéeinquiet. Tout à coupgrosse envie de pleurercomme un homme heureux et sans courage contre le bonheur.

Etàchaque instantdes posesdes mots de théâtre.

24octobre.

Mal dormi.A partir de cinq heuresj'attends. Rience matin. Pas une lettrepas un journal agréable.

Marinetteest gaie. Je l'étonne un peu. Vraimentje suis stupide et jem'en veux.

Au fondje m'en passerais bienmais toute la surface nerveuse est agitée.Aurais-je la certitudeque mes nerfs ne se calmeraient pas encore.

Sansl'orgueilla vie serait lamentable.

Messidor.Gérault-Richard espère tenir encore un an. Il songe àposer des questions aux dames : « Quelle est la plus jolieactrice ? » avec des prixdes primesdes bibelots.

Lecritique musical est payé 100 francs et vient le matin. Albertle normaliens'en va. Il arrive avec un croissant. Malproprelecritique musical se coupe les ongles avec des ciseaux énormes.

C'est bienle journal que méprisent les directeurs de théâtre.

26octobre.

Nuit du 24au 25 passée à me promenerà regarder mamontrepuis par la fenêtre. L'aventure finit par n'avoir aucunsens. Il ne reste qu'à se coucheretma foi ! abrutijem'endors tout de suite.

Réveilléde bonne heurele matin. Sitout de mêmej'étais élu? Le premierLe Figaro m'apprend qu'il n'y a eu aucunrésultat :

«Malgré les efforts de MM. Descaves et Mirbeau pour M. JulesRenard... » etc.etles autres journauxque VictorMargueritte a eu quatre voixCéardtroismoi deux.

Je n'enconclus rien. Je ne pense à rien. Je cherche à mereposerquand arrive Paul Margueritte. C'est le deuxièmeacadémicien que j'aurai reçu.

Il croitqu'Hennique a deux voix en cas de partage.

-- Si vouspartezdit-ilje ne sais pas dans quel sens Descaves et Mirbeauferont l'élection. Si vous restezvous aurez quatre voix :DescavesMirbeaules Rosnyet Céard quatre : BourgesDaudetGeffroyHennique. Je voterai blancetla voix d'Henniquecomptant double...

Ilm'affirme qu'il a eu le coeur déchiré de voter contremoimais il est lié à son frère.

-- Je nem'incline pas devant votre frèrelui dis-je. Il a une façonde comprendre la vie qui n'est pas la mienne. Décoré enmême temps que moiofficier tout de suiteprésident dela Société des Gens de Lettresbientôt sénateurquoi encore ? Qu'est-ce que tout cela a de commun avec l'AcadémieGoncourt ?

Nous nousquittons bons amis. Je lui souhaite... ce qu'il désire.

Télégrammede Mirbeauqu'il confirmele soirpar une visite avec Thadée.Aux premiers tours on déblaieet Hennique avait annoncéla candidature de Céardqu'on ne croyait pas candidat. Céardtrois voix ; Marguerittetrois ; Camille de Sainte-Croixune (cellede Bourges) ; moideux. Aux tours suivants : Céardtrois ;Marguerittequatre ; moideux. Ça devient émouvant.Justin Rosny déclare :

-- Monfrère et moinous sommes prêts à aller du côtéde Renardmais il lui faut une cinquième voix.

Silence.EnfinHennique dit :

-- Je medévoue.

-- Alorsdit Justin Rosnyil faut que Renard ait l'unanimité. Il fautbien accueillir un artiste tel que lui.

Mais LéonDaudetà Hennique qui avait pris sa plume :

-- Comment! Vous nous lâchez ?

Et --minute suprême ! -- on voit Hennique hésiter. Lui aussiil a le coeur déchiré. Tout à coupil dit :

-- Nonnon ! Trente ans d'amitié... Je ne peux pas. Je garde ma voixà Céard.

Toutrevient au même point. On s'ajourne.

Et tout lemonde me couvre de fleurs. Léon Daudet lui-même ne ditrien contre moi.

-- MaisCéard fait partie d'un tripot ! dit Mirbeau.

-- Nous nenous occupons pas de la vie privéerépond Daudet.

-- Si oncherchait quelqu'un pour nous mettre d'accord ? dit Bourges. Unpoëtepar exemple.

-- Qui ?demande Mirbeau.

Bourgesn'en trouve pas.

Descavesme fait dire par sa femme de patienter encore huit jours.

Non ! Jene veux pas avoir l'air du monsieur qui s'entête ou qui sesacrifie. Et puisvrai ! vainqueur honoraire de cette soiréeayant la voix des Rosnyauxquels je tenaisje me reprendsetvrailàbien à fondça m'est égal.

Et puisavouons : la réclame de cette histoire m'amuse.

L'AcadémieGoncourt me paraît malade : ça a l'air d'une maison deretraite pour vieux amis. La littérature s'en désintéressera.

28octobre.

Si nouspouvionsje ne dis pas : fixermais prolonger les minutes d'émotionque nous vaut la musiquenous serions plus que des hommes.

Aimer lamusiquec'est se garantir un quart de son bonheur.

Jem'arrêtais en plein champ comme un homme qui entend tout àcoup une belle musique grave.

Nous vousle déclarons : si l'Académie Goncourt n'est pas lerefuge du talentelle ne sera rien.

Je promets50 francs à Fantec après son examen.

--Qu'est-ce que tu vas t'acheter ?

-- Unetête de mortdit-il.

29octobre.

Mirbeau etDescaves viennent de bluffer Geffroyà déjeuneravecune telle violence que Geffroy a dû se révolter. A lafinil se cabrene se décide paset les quitte en disant :« Bonjour à Renard. »

Je dis àMirbeau et à Descaves que je veux me retirer. DescavesprotesteMirbeau moins.

VictorMargueritte aurait dit : « Renard s'efface devant moi. »

Lecomteécrivant : « Vous allez vous mettre d'accord sur monnom. »

Henniques'est enfoui dans ses couvertures.

Guitry nelit pas nos articleset mon histoire académique nel'intéresse pas. C'est quand même agréable dereprendre contact avec lui. On l'oubliait. On l'aimait moins ; maisil est comme les auteurs classiques dont il suffit de lire une pagepour les retrouver supérieurs.

Le grosAjalbert intrigueintrigue...

1ernovembre.

Rentrantaprès avoir dîné chez Brandèsnoustrouvonsà minuitchez la concierge qui se lèvecette carte : « Cette foisvous l'êtes ! LucienDescavesOctave MirbeauJ.-H. Rosny. »

Jeproposerai une augmentation de traitement.

Ilfaudrait maintenant acquérir une juste obscurité.

12novembre.

Ce soirpremier dîner Goncourt.

Ce fut ungros chagrin pour moi lorsque mes parrains m'interdirent de prononcerun discours. Vous voyez : je n'ai rien préparé. Je n'aiapporté que ma gratitude profonde et toute chaude. Je vousprie de l'accepter comme je vous l'offre.

Je suisfier d'être un des héritiers de Goncourt. Je pense ques'il me voyait il ne me donnerait pas sa malédiction.

Je suismoins tranquille en ce qui concerne Huysmans. Je sens tout le poidsde cette lourde succession. J'imagine la figure géométriquepointue pour de bonque feraient les traits de son visage. Il meregarderaitcertesavec bienveillancemais aussi avec son sourireénigmatique.

Je pensaisà l'Académie : tout le monde y pensemais jen'espérais pas être élu.

Je suisallé dans mon village pour mettre les choses au point.Marguerittepresque candidatme doit le plus noble sourire.

Je donnebeaucoup de ma vie à la rêverieà la paressesivous le voulez. Il faudra que je me surveille un peu. Il me sembleque j'ai à travailler pour deux personnes : pour moid'abordet pour cette autre personne qui subitement me devient chère :l'Académie Goncourt. Je travaillerai pour rattraper un peu dela distance qui me sépare de Huysmansau risque del'augmenter. Je travaillerai pour que vous n'ayez pas àregretter mon élection. Publier prochainement quelque livre oùj'aurai mis le moins mauvais de moi-mêmece sera ma façonde vous remercier.

Visionfunèbre de Bourges payant son fiacre. Puis Geffroytout pâlecomme s'il avait envie de vomir. Justin Rosnyqui m'appelle «le nouveau ». Puis Hennique : « Vous êtes chezvous. » Puis Rosny aîné qui me prend les mains :

-- Nous nefaisons pas de discoursmais je tiens à vous dire que noussommes heureux de vous compter parmi nous... Talent... Caractère...Honnête homme...

-- Je suistrès touchédis-jeen prenant les deux mains deRosny.

C'est toutde suite un peu moins froid. Oh ! c'était froid. Il me fallaitparler à Geffroy de sa pièce qu'on répèteà l'Odéon. Ça puedans ce cabinet. Je n'osemême pas ouvrir une fenêtre.

Lesgarçons ne m'ont pas offert un bouquet de fleurs.

Oncommande le dîner. Descaves s'agite comme un petit sergent desemaine. Pour la semaine prochaine Mirbeau commande des choux rougesun gigot aux haricots rouges. Un gros garçon prend note.

Ils nedoivent pas nous prendre au sérieux.

ManquentPaul Margueritte et Léon Daudet ; l'un a fuil'autre fait uneconférence en province. Dois-je avoir l'air vexé ? Jene le remarque même pas.

On mangedes horreurs. Pourquoi dînons-nous comme des snobs ? Quoi !Elémir Bourgesce petit homme maigreboutonnépauvreva manger pour 16 francset 40 sous de pourboireetpeut-être fumer un cigare qui coûtera plus de vingt sous?

JustinRosny est aimable et ressemble à Maeterlinck.

On parledes livres pour le prix. On cite Terre ensorceléedeVignaudTerres lorraines de ? et Les Circonstances de lavie de ?

J'expliqueLabiche à Justin.

-- Ouidit-il. Le réalisme avait voulu se passer d'esprit et depoésie. Il le paie cher.

Mirbeauraconte la guerre de 70. Très abattu parce qu'il supprimedeson livrela mort de Balzac à cause de la fille de MmeHanskaune femme de quatre-vingts ansmon cher ! Cet hommede sensclair quand il écrita toujours en parlant quelque chose defou. De l'autoritéd'ailleurs. Il fait rire.

Je merends compte : ce sont des héritiers. Ils se tutoient presquetous. Il s'agissait d'admettre à la succession tel ou telparent. Ma venue a quelque chose de neuf. Il ne faudra plus s'occuperque de littérature.

Rosny aînéa une tête à chiffres. C'est lui qui règlequitrouve les cigares trop cherset qui sait par coeur ce que nousavons en réserve.

Sixdînersun par moispendant six mois. L'académicien quine vient pas paie ses 20 francs. On forme une caisse de secours.

-- Cen'est pas statutairedit Henniquemais il faut que vous soyez aucourant. Ne le dites pas : nous serions débordés.

Sil'Académie Goncourtfondée contre l'Académiefrançaisefaisait une faute grave au point d'êtredissouteson capital irait à l'Académie française.Rosny prévoit que nous serons expropriés par lessocialistes.

14novembre.

Enervéepar le pianoBaïe a son visage brun.

-- Tu neris pas.

-- Je n'airien à riredit-elle.

Il faut dutemps pour lire un livre ; il en faut moins pour le juger.

Reçula visite de Max Anélyauteur des Immémoriaux.Pas trente ansje crois. Médecin de marine. A fait déjàson tour du monde. L'air jeunesouffreteuxpâlerongétrop friséla bouche pleine d'or qu'il aurait rapportéde là-bas avec la tuberculose. Situation médiocre etsuffisante. Voudrait le prix Goncourtnon pour l'argentmais pourécrire un autre livre.

1erdécembre.

Je suisindiscretmais je ne vois personne.

Bourges.Descaves l'appelle « le loup malade ».

Mon esprit: un ciel sombre avec de rapides séries d'éclairs.

4décembre.

PrixGoncourt. Je n'ai jamais eu de prix. Si l'on m'en avait offert unçam'aurait fait plaisir.

Un hommede vrai talent ne s'en préoccupera jamais. S'il y pensetantmieux : c'est qu'il n'a pas de talent.

Ils tirenttrois cents pages d'une petite idée : c'est de l'escamotagepénible.

Quand jepense que M. Moselly se dit peut-être : « Pourvu qu'on neme trouve pas trop court ! »

Mariettene veut plus laver la vaisselle ni cirer les chaussures. Ellevoudrait être demoiselle de magasin. C'est une idée quil'occupequi pousse toute seule. Elle espère que Marinettel'aidera.

Elle nesait d'ailleurs pas faire une multiplication.

-- Maisdit-elleon arrive à tout ce qu'on veut.

C'est toutce qu'elle a appris en classe.

Elle ne seplaint pas ici. Elle sait qu'ailleurs elle ne gagnera pas plusmaison ne sent chez elle aucun regretaucune tendresse pour nous qui latraitions comme une petite fille de la maison.

Cordons desouliers. Il y en a toujours un qui grandit plus vite que l'autre.

6décembre.

Deuxièmedîner Goncourtdu 5 décembre. Daudet arrive en retardet me serre la main des deux mains. Tout de suite on l'appelle autéléphone. Il est énorme de santé. Ilboit du vin rouge sans eau et mange de tout. Froidd'abord ; regardsrapidespuis ça s'anime.

Les fameuxchoux rouges commandés par Mirbeau la dernière foisn'ont pas grand succès. Descaves se forcepuis les laissedans son assiette.

Mirbeau adit toutes les côtes qui ne résistent pas à sonauto. Il va encore raconter cette guerre de 70 où tous lesFrançais foutaient le camp et où les Prussiens étaientmagnanimes ; mais on parle du Prix.

Quelqu'unnous a dit tout à l'heure que Paul Margueritte venait detoucher 15 000 francs sur un roman vendu au Petit Parisien parl'intermédiaire de Vignaudsecrétaire de Dupuy. EtMirbeau a reçu une lettre de Poincaréune autre deClemenceaupour le même Vignaud. Léon Hennique aussimais ce président timide a trouvé une formule : «Votre protégé est mon candidat jusqu'à présent.»

Mirbeaupropose Blum.

-- Çava bien vous étonnerdit-il. Je serai peut-être seul.

Il saitbien que non. Daudet ne marche paset Justin Rosny dit que Blum nemarcherait pas.

On faittourner la feuille de vote. On s'amuse. Ramuz a trois voixVignaudtroisMoselly trois et l'auteur de La Petite Lotteunefemmeune.

PourquoiMargueritte peut-il voter par correspondance ? S'il était làne pourrions-nous le faire changer d'avis ?

SeulRosny aîné acomme moiun papierdes notes. Il n'apas été gai pendant le dîneret Descaves leblaguemais Rosny reste calme. Il cite quelques nomsentre autrescelui de Bachelinmais Justin le fera tout à l'heure voterpour Vignaud.

Et Rosnyaînépour suspendre la séancesort des comptes.Je comprends que nous avons plus d'un million et demi et que notrerente ne changera pas avant neuf ans. Léon Daudet le plusacharnéon décide de faire une démarche auprèsde Clemenceau pour obtenir un accroissement progressif. Nossuccesseurs auront les 6 000 plus tardvoilà tout. C'estassez juste.

Derniertour sans enthousiasme. Mirbeau hésite. Je le pousse àMoselly. Aussitôtles regretsles remords. Si on revotaitMoselly ne l'aurait pas. Il l'a parce que nous étions six àne pas vouloir le donner à Vignaud.

Geffroy etmoinous insistons pour quel'année prochainele vote sefasse en deux séances. Léon Hennique me dit :

-- C'estun vote honorablequi sauvegarde le petit côté «peuple » de notre Académie.

Ils netrouvent pas de bonne viande à Paris. Léon Daudet faitvenir la sienne de Touraineet Mirbeauses moutonsd'un paysétranger dont je ne me rappelle pas le nom.

Bourgesterriblement nul. Geffroy malade et peupleexténuéd'admiration pour Clemenceauqui ne la lui rend pas.

Reçuce matin la visite d'un jeune candidat qui me demande s'il a deschances.

-- C'estbien possible. Comment vous appelez-vous ?

C'estl'auteur des Magots d'Occident.

10décembre.

ChezGuitrydimanche soir. Entre la matinée et la soiréeil ne se démaquille pas. Il garde sa perruque à tablecontent qu'on la lui laisse toute la journée.

Il pariede l'insolence de Dumas fils.

-- Il fautêtre terribledit Bernstein.

Habilléà la modeil a des petites chaussettes bleues. Il montre sablessure : on voit au bras une petite tache rougeâtre. Ilcommence à trouver que la presse ne fait rien à unepiècepas même le succès.

Guitryprodigieux. Il semble toujours créer son texte. Il a de lamaîtrise dans le bafouillage. Il peuten mangeantparler netsans postillonneravec ses petites croûtes de pain dans labouche.

Je ne saisoùà Florenceil va voir tout seul un tableauuneCène.

Elle lerejointregarde longuement. « Est-ce complaisance ? » sedit Guitry. « Ou se laisse-t-elle prendre à la beauté? » Enfinelle s'éloigne et lui dit :

-- Tu asvu le chat ?

Il y aeneffetun chat assis par terre à côté de Jésus.

Le matinla sonnerie des bouteilles à lait.

L'amourqui n'a qu'un petit coin dans la vietient toute la place authéâtre.

11décembre.

La piècen'a pas réussi à Parismais elle marche en province :elle change de ville tous les jours.

Un défautde la vitreet le moineau est un aigle sur le toit.

Noussommes tous antijuifs. Quelques-uns parmi nous ont le courage ou lacoquetterie de ne pas le laisser voir.

14décembre.

Crises desolitude.

Sur unfond d'hostilitétous les détails prennent du relief.

Elle acréé sa maison de couture sans savoir ; les premierstempselle regardait comment s'y prenaient ses ouvrières.

17décembre.

Faire unlivre oùdans la forme de L'Ecornifleurj'en finiraiavec la famille : papamamanla soeurle frèrela femme etles enfants.

23décembre.

Authéâtrela préoccupation de Baïec'est dese rappeler si on est en matinée ou en soirée et desavoir sien sortanton va dîner ou se coucher.

La colèreuse. Si l'on n'y prenait gardeles mufles nous tueraient vite.

Desgrangeragera toujours d'avoir été vélocipédisted'avoir tourné sur une piste.

Aprèsle long discours d'une vieille dame qui ne dit plus rien et resteassise :

--Voulez-vous quarante sous pour votre déjeuner ?

-- Oh !monsieur !... Avec çaje déjeunerais dix fois.

Elles'assiedparle longtempsse mouchepleure ; maisce qu'elle faitde plus fortc'est de ne plus rien dire et de ne pas s'en aller.Alorson y va de ses quarante sous.

Romagnolun petit Italien noir. Ils veulent tous perdre de l'argentpourfaire croire qu'ils sont artistes.

ParcMonceau. Les pigeons haut perchés au sixième del'arbre.

Promenades.Le corps marcheet l'esprit voltige à l'entour comme unoiseau.

Quand lavieille femme descend de sa calèchec'est comme si on ouvraitun cercueil.

26décembre.

Desgrange.Sa culture m'ayant vite paru exclusivement physique...

Je touchele fond. Je ne peux plus que remonter.

Pour êtreclairil faut d'abord avoir besoin soi-même de clarté.

Voicil'année 1908. Tout va encore recommencer.

27décembre.

Ouijem'ennuiemais l'ennui ne fait pas mal comme tel autre sentiment :colèreorgueildésiretc.

Projets.Ecrire une lettre par jour à l'amie imaginaireet créerpeu à peu cette amieun peu plus à chaque lettreetqu'à la fin elle soit plus vivante que l'auteur lui-même.

Théâtre.La véritéc'est mon impression. Pourquoi y enaurait-il une autre ?

28décembre.

Un tempsgrissans soleilcomme si on habitait sous la mer.



1908

2 janvier.

Noussommes trop pressés. Que dirions-nous du semeur qui voudraitvoir tout de suite lever son blé ?

3 janvier.

Sanglierspuces de la forêt.

Heures oùl'homme le moins modeste s'étonne d'être quelque chose.

Une seuleexpérience se fortifie en moi : tout dépend du travail.On lui doit toutet c'est le grand régulateur de la vie.

-- Vousn'aimez pas les femmes ?

-- Je lesaime toutes. Je fais des folies pour elles. Je me ruine en rêves.

Unefenêtre sur la rue vaut un théâtre.

4 janvier.

Le 1erjanvierMme Capus n'avait pas un sou. C'est le domestique qui aavancé l'argent du déjeuner et du dînerun destrois domestiquescar il en faut un exprès pour lestélégrammes : Capus n'écrit plus de lettresetil continue de s'acheter tout ce qu'il désire. Il est allédemander une avance à la Société des Auteursetles notes vont tomber.

Iln'écoute pas sa femme.

-- Jepaierai avec ma prochaine piècedit-il.

-- Et sielle n'a pas de succès ?

-- J'enferai une autre. Je travaillerai toujours.

-- Et situ tombes malade ?

-- Oh ! oh! naturellement ! Dis tout de suite que je vais devenir gâteux!

Et lechauffage au bois continue : 100 francs par mois.

Elle-mêmeavoue qu'il a eu de la chanceune chance qui ne reviendra pas.

Ellevoudrait avoir un petit chienmais elle paie bien cher un loyer dansune maison où il est défendu d'avoir poêlessalamandreschienschatsoiseaux.

7 janvier.

A_L'Apprentie_. Céardtout gristout rond etgentilhommevient à moietchapeau très basme ditqu'il est bien content de ce qui m'est arrivéet ques'ilavait été en mesure de le faireil aurait votépour moi. Très cordialtrès sincèreet chicavec une grande dame chic.

Je demandeà Claude Anetqui pense à un papier pour le GilBlas :

-- Faut-iltout prendre ?

-- Prenezprenez.

-- Mais iltient un cercle ? C'est plutôt mal vu.

-- Plutôtoui.

Rosny aînévient peu au théâtre. A chaque instantil se lèvecomme s'il allait improviser un discours.

-- C'estmauvais_L'Apprentie_hein ?

--Pourquoi me dites-vous ça à moi ? Ce n'est pas unepièce collective.

Jevoudrais voir quelqu'un de plus triste que moiles bêtes duJardin d'Acclimatationpar exemple.

Je suisromanesque quelques minutes par jour ; aucune femme n'en profite.

8 janvier.-

Migraines.Je me réveillele matinavec des têtes énormes.

-- Il estdrôle.

-- OuiC'est un drôle.

Si meslivres ennuient autant les peintres que leurs peintures m'embêtentje leur pardonne.

Quand jesuis devant un tableauil parle mieux que moi.

Goncourt.Chez le notaire. Le caissier me dit :

-- Vousm'avez bien fait rireil n'y a pas longtemps. J'ai lu vos livres__Poil de Carotte__...

-- Ah ?

-- Un amiqui l'avait me l'a prêté après votre élection.

-- Vousvoyez : ça sert à quelque chose. Sans cette occasion...

-- On nepeut pas tout lire.

-- Ah !non.

Je n'aipas eu les félicitations du notaire en personne.

C'est toutde même drôleque je sois héritier de Goncourtque je touchece soirchez un notaire500 francs de Goncourt. Etça ne m'a pas frappé sur le moment. J'ai touchéça sans savoirsans me demander pourquoi.

Huysmans.Stockson éditeurme dit Descaveslui devait 20 000 francsquand il est mort.

LéopoldLacour vient me demander un livre pour une « Collection desFemmes illustres ». Quel petit homme actiforateursavantintelligent et débrouillard pour rien ! Comme il a failli êtremon professeur à Neversil m'intimide.

-- Ouidit-ilj'ai refusé d'être décoré. Brianddisait à Geffroy : « Je l'aime bougrementce Lacour !Je le décorerai en juillet. » J'ai répondu : «Non ! qu'on me donne d'abord une chaire de professeur à laSorbonne ! On me décorera ensuitesi on y tient. Je ne veuxpas être décoré comme homme de lettres. Lesartistes n'ont pas besoin de ça. Qu'on les laisse tranquilles! Oh ! les fonctionnairesles professeurs... »

Geffroy adit à Briand :

-- Il fautnommer Hennique officier. C'est le président de l'AcadémieGoncourt. Je ne suis que vice-présidentet ça suffit.

Il vitavec sa mère qui le fait marcher comme un gosse. Il est leseul qui n'ait rien demandé à Clemenceauquid'ailleurs l'oublie ; et il continue d'être l'admirateurfidèle. On donne les places à Ajalbert. Il parait queD.R... a une recette de 4 000 francs. Ça continue. Ils ne sontmême pas capables de distribuer avec justice un paquet de tabac!

9 janvier.

Il m'estencore plus difficile de régler mon humeur que mes comptes.

Lacourconfond énergie et vivacité. Il danse sur les mains etne sait pas marcher.

Ecrirepour quelqu'unc'est comme écrire à quelqu'un : on secroit tout de suite obligé de mentir.

La poësiem'a sauvé de l'infecte maladie de la rosserie.

Il y aaussi l'originalité prévuecelle qu'on attendquidevient banaleet qui nous laisse froids

Il fautvivre pour écrireet non pas écrire pour vivre.

Je medompte en détail ; ça repousse toujours.

Ernest-Charlesa un peu le langage redoublé et puéril dont on se sertavec les petits chiens.

10janvier.

Hiver. Letoit frissonne dans un cache-nez de fumée.

Voltaireétait un admirable homme d'affairesce qui explique que lepoëte qu'il croyait être ne soit pas resté.

L'ombre nevit qu'à la lumière.

Un nuagefile comme s'il savait où il va.

11janvier.

BanquetGustave Kahn. Je croyais Mendès orateur : ce n'est mêmepas un liseur. Il se tient debout par quelque prodige poétique.

LéonDierx me reconnaît et me félicite de mon élection.Avec lui on est tranquille : rien de neuf. Il sera prince des poëtesjusqu'à sa mort.

MmeDanvillecette gracieuse femmeveut avoir des idéesgénéralesfume et rend la fumée par le nez.Avec elle un mari pourrait sans danger tromper sa femme. Celle-cidirait au mari : « Oh ! que tu sens le tabac ! » Elleverrait bien qu'il a passé la soirée avec des amis.

L'énormeet inutile Bonnefon. Il aurait fait un si beau moine !

Carrèreque je n'avais pas vu depuis le banquet Moréas. Il n'a paschangé. Il n'a même pas vieilli.

LesLegrand-Chabriertimidestimides. Ils tournent longtemps autour demoi avant de se poser. L'un d'eux parle seulet d'ailleurs bégaie.

LesFischer : le perroquet double.

Mlle Kahn: un papillonmais qui n'est pas triste.

Kahntermine par un discours parléamusantspirituel. C'estl'ironie qui sauve le monde. Un improvisateur très savammentspirituel.

Lugné-Poene sait pas l'italience qui lui permet de parler avec plus d'aplombà l'acteur sicilien Grasso.

AbelBonnard : un Rodenbach corse.

Une femmeMme Vera Starkoffremercie Kahnavec émotionau nom desUniversités populaires. Mais où est le peupleici ?Nous mangeons à 10 francs. Il y a de quoi nourrir huit joursune famille d'ouvriers. Nous ne savons pas encore dîner «humanitairement ».

Le jeuneToucas-Massillon parle trop au nom des jeunes. Les jeunes ? Maisc'est encore nousLe MercureRachildeVallette qui acinquante ans.

Le peuplene nous comprend pas. Nous le comprenons encore bien moins.

L'acteurGrasso offre des fleurs à Kahn et improvise un salut italien.On est d'abord narquoispuis la noblesse du geste fait toutcomprendre.

Tristan meprésente -- pour quoi faire ! -- à M. Alfred Mortierpoëteparaît-il ; mais Mme Mortier l'est plus encore.Elle me dit :

-- Je vousvois souvent aux premièreset je cherche à deviner ceque vous pensez.

Quelqu'unm'appelle « l'homme des banquets ».

-- Moidit Tristanje n'assiste qu'aux banquets de Kahn.

Jules Case: Christ enfumé.

Brahm :Christ ébouillanté.

Courtelinenon plus ne vieillit pas. Il recommence peut-être. Il n'a plusil n'a pas encore de dents.

Roinardencore drapé dans ses cheveux.

13janvier.

GrassoGiovanni. Un loup. Coupe son pain d'une manière terribleplante le couteau dans la tablese jette vraiment aux pieds de samaîtresse et pleuretranche à coups de dents la gorgedu seigneur et emporte la femme dans ses bras.

Çales gênede trop parler. Alorsils s'asseoient.

Toushommes et femmesfont le geste de se gratter la tête.Cherchent-ils des idées ou des poux ?

Acteursils agissent.

-- Ilssont jaloux les uns des autresdit Lugnécomme des tigres

Ilspoussent cette jalousie jusqu'au cabotinageetquand ils reviennentsaluer le publicGrasso repousse vers la toile du fond le seigneurqui vient de lui donner le fouet et des giflesce qui étaitassez pénible. Je vois Guitry recevant toutes ces calottes. Ilréclamerait à l'auteur un petit changement.

Mesbonheursje les ai presque toujours eus par maladresse.

Le dangerdu succèsc'est qu'il nous fait oublier l'effroyableinjustice du monde.

Quand nousavions dix-huit ansil était le plus jeunele plus riche etle plus heureux. Je viens de le rencontrer dans la rue. Les yeux sereconnaissent et se détournent. Il n'est plus jeune. La figuren'a plus de finessele vêtementplus d'élégance.Ce qu'il regarde dans cette glacece doit être non samoustachemais les boutons de sa figure.

Sans sehâteril va à son bureau du Crédit Lyonnais.

Ilsemblait né pour ne rien faire. Que lui est-il arrivé ?Que sont devenus son père et sa mèrecette grande damequi tenait un café en personne qui n'en a pas besoin ? Mais ilfaut bien s'occuperdans la vie !

LaVeinede Capus. Reprise au Vaudeville. C'est devenu tout petittout petit. Et Guitry cachait la muflerie de Bréard. Cen'était alors que du charmant égoïsme :aujourd'huile public murmure.

Ah ! LaVeine est bien une veine. Elle pouvait très bien êtrejouée comme ça le premier jour ; alorsc'étaientcinquante représentationset Capus ne devenait point Capuset Guitry en lançait peut-être un autre. Peut-êtreque nous aurions eu l'école de la Déveinevingt ans dethéâtre noir et sinistre.

Ce quimanque à Capusc'est le goût de la poësie. Il necomprend pas ce que ça veut dire.

Le goûtmûrit aux dépens du bonheur.

Il ne fautpas croire que la paresse soit inféconde. On y vitintensémentcomme un lièvre qui écoute.

On y nagecomme dans l'eaumais on y sent le frôlement des herbes duremords.

16janvier.

Armoire enbambou avec un nègre dedans.

--Marinettepas de mauvaise humeur ! Tu dois être toujours sansnuage. Sur ta netteté une ombre ferait tache.

-- Mais jesuis fatiguéed'abordpuis énervée.

Si tu esfatiguéerepose-toi. La fatigue te vanon l'énervement.

La moindrehumeur de toi m'est intolérable. Si tu faisun instanttapetite prunelle de boisça gâte tout. Je ne peux tevoir que gaiedouce et propreen bonne santé. Efforce-toi dene jamais cesser d'être tout cela.

Ainsiàforce d'égoïsmej'arriverai à faire de toi unefemme incomparable.

17janvier.

Sur letrottoir Donnay improvise une théorie contre les scrupules del'écrivain. Aucun mot n'est juste. Nous voulons dire avec desmots ce que les mots ne peuvent pas exprimer. Incarner l'idéedans des syllabespuisque c'est impossiblepuisque le mot vrain'existe pasallons de l'avant ! Moins de scrupules. Ecrivons nosà-peu-près.

-- Oun'écrivons riendis-je.

-- Mais lavie ?

-- Ouiilfaut vivre. Il n'y a que des raisons de profits qui puissent nouspousser à écrire.

19janvier.

CapusLesDeux Hommesune pièce mal faitefinissant logiquementmais courtavec des morceaux très émouvants.

Ceux quiont de la noblesse n'ont pas de volontéet ceux qui ont de lavolonté n'ont pas de scrupules. C'est un beau sujet. Mais oùa-t-il pris cette admirable honnête femme de province ? PlutôtLes Deux Femmes que Les Deux Hommes.

On croyaitau triomphe : ce n'est que le succèset encore le publicquiavait fait une ovation à Bartetest-il terrible à lafin parce que ça ne se termine pas selon la méthodeCapus.

-- Lepublic de répétition générale esttoujours rosse pour Alfreddit Mme Capus.

Etlui-même :

-- Ilsm'ont aidé à mes débuts ; maintenantilsvoudraient tout reprendre.

Je vais levoir ce matin. Il paraît aussi surpris que touché. Je mesens un peu hypocrite. J'en dis plus que je ne voudraiset je letrouve en plein optimisme. Peu de monde. Le domestique a l'air de «la connaître ». Mme Capus est déjà habilléepour recevoir. Arrivent un vague acheteurune femme. Acker téléphonepour avoir des places.

Capus medemande s'il peutsans se déshonorerdonner son nompour del'argentà un M. Ruef qui lui offre la direction artistiqued'une publication de pièces. Je lui réponds qu'il n'aplus rien à perdre.

-- J'aimebeaucoup Guitrydit-il. Jamais je ne l'ai tant aimémais jen'éprouve ni le désirni le besoin de le revoir.

Au milieudu salonsur la tablela mandoline de Mme Capus.

Oh ! dunouveau ! Quelque chose de neuffût-ce ma mort !

Capusfrileux dans sa robe de chambrel'air d'un petit curé quivient de coucher avec sa bonne d'âge canonique.

Lesnaturalistescomme Maupassantobservaient un peu de vie etcomplétaient. L'imaginationl'art achevaient la chose vue.

Nousnousn'osons plus rien arranger. Nous comptons sur la vie pour compléterla vie ; si elle ne se presse pasnous attendons.

Pour euxelle n'était pas assez littéraire. Pour nouselle estassez belle.

20janvier.

Plussusceptible que sensible.

23janvier.

Troisièmedîner Goncourt. DescavesDaudetHenniqueGeffroyMirbeauRosny et moitrois invités : Poincaréle notaireetun homme d'une cinquantaine d'annéequi a étéle conseil de l'Académiequ'on dit délicieuxet quin'a soufflé hier que peu de mots.

Pas deMargueritte ni de Bourgesmais je ne m'en suis aperçu qu'unefois sorti.

C'estagréable si l'on met Rosny sur la scienceDescaves sur laCommuneMirbeau sur BourgetGeffroy sur sa pièceL'Apprentieet Hennique sur rien.

Poincaréun peu raideun peu pion et un peu inutile comme un monsieur quin'est même plus ministre. On a toujours peine à croireque ce genre d'homme soit supérieur.

Un peu parforceMirbeau ne voulant pas prendre la placeje m'assieds àsa droiteà distance. Nous avons l'air fâché. Onne nous a d'ailleurs pas présentés. Je le croyais plusfin. Je me sens hargneux. Je dis des choses qui ne portent pas. Cemonsieur n'est pas aimablemoi non plus. Tout ce que je trouve àlui direc'est :

-- Ladernière et l'unique fois que nous avons dînéensemblec'était au banquet Goncourt.

-- Ouidit-ilen 95.

Il a aumoins de la mémoire. D'ailleursil se trompe peut-être.

On apprenddes choses.

L'existencede Mme Cruppi m'est révélée. Femme de ministreelle écrit des romansdes pièces. Elle en a une chezGémier. Elle est musiciennechante admirablement. Elle seraittout à fait en vue si Cruppi avait l'Instruction publiquemais Briand s'y est formellement opposé. Pourquoi ? Poincaréne le dit pas. Ce doit être un secret d'Etat.

Mme deNoailles a une bonne presse parlée. C'est une femme de génie.

-- C'estla seule femme qui ne copie pas l'hommedit Rosny.

-- Et laseuledis-jequi n'ait pas peur du ridicule.

Daudet esttrès gentil. Il n'a pas du tout l'air de tenir au Daudet de LaLibre Parole. Comme il dit que Jaurès faisait battreGérault à sa placeMirbeau fait l'éloge deJaurèsmoi aussi. Daudet abandonne tout.

-- Ouidit-ilje le crois très gentil.

L'élogede Jaurès semble gêner Poincaré.

Il ditqu'il ignore la vérité même sur les événementsauxquels il a été mêlé. Un discours est undocumentmais un discours peut être partial. Un historien doitêtre partial pour être lu. Qu'il ne fausse pas lesdocumentsbonmais qui sait leur valeur !

-- J'ai lutout ce qu'on a écrit sur Thermidordit Daudet ; je ne saispas ce que c'est que Thermidor.

Y a-t-ilprogrès moral ? Le sentiment qui nous pousse àsacrifier notre intérêt personnel à l'intérêtgénéral est-il plus fort chez nous que chez nos pères?

-- Nondit Poincaré.

-- Il n'yaurait pas de morale ? Alors que faire ? dit-on.

-- Riendis-je.

-- Ouirépond Poincaréet je n'ai jamais rien faitje n'aijamais oséje ne fais rienparce que je ne sais pas au nomde quoi il faut agir.

Il affirmequ'une certaine quantité d'hommes de lettres touchent despensions assez fortes. Il ne cite que des morts : Leconte de LisleVerlaine.

Mais Rosnyse lèveet un quart d'heure durantil parle du progrèsscientifiquede ce qui nous rend supérieurs à nospèresde la substancede la force d'inertiela vraiematière étant le videet ce qu'on appelait autrefoisla matière n'étant que l'interruption du vide. Il citeBergson. Il a l'air d'un très brave hommetrès fort.Son cerveau impressionne.

-- Ensommedit-ilnos idées générales sur le mondesont plus complexes que celles de nos pères.

-- On asimplement trouvé d'autres rapports de sensationsditPoincarémais qu'est-ce que la sensation si rien n'existe ?

-- Et onoubliedit Daudet. On a oublié. Nous ne savons pas ce quepensaient les Grecs. On a tout perdu. Ils se servaient peut-êtred'instruments plus parfaits que les nôtres. Le monde est faitd'oubli.

-- EtRosnydis-jeparle depuis un quart d'heure. Il n'a pas prononcéune fois le mot « morale » : c'est toute la question.C'était notre point de départ.

- L'hommen'est pas meilleur.

-- Si onallait voirdit Poincarési nous avons progressé ensommeil ?

On sesépare.

-- Ungouvernement est légitime quand il existedit Daudet.

-- Quandil est accepté par les puissances européennesditPoincaré.

Scrupulesvermine de la volonté.

25janvier.

Regarderles choses d'un oeil frais.

27janvier.

ChezCapus. Inquiétudedélabrement. Il vient de lire «un mauvais Faguet » et « un Brisson tiède ».Il reçoit des lettres d'insultesdit-il.

-- Mais tuas eu une excellente presse !

-- Ah !

--Certainement.

--J'exagère peut-être mon pessimismedit-il.

Je mens.Je tâche de lui dire des choses très agréablesmaisau fondje trouve cela juste.

Ilsomnolait devant un feu de bois.

Une bellebibliothèque qui fait le coin. L'édition des GrandsEcrivainsla seule chose que je lui enviepas découpée.

-- Tuentreras demain à l'Académielui dis-je.

-- Tucrois ? Tu crois ?

Un hommelas qui parle de passer toute l'année à la campagnequand il en aura fini avec son bail rue de Châteaudunc'est-à-dire dans six ans.

On mangemal. Une soupe qui se croit aux haricots parce qu'il y en a undedansdu beurre rance. Capus s'en aperçoit et le dit. MmeCapuspas trop gênéerépond qu'il faudra écrireà la ferme. Et cette ferme ne leur donne peut-être pasun oeuf frais ! Cette annéeils ont fait quinze piècesde vin dans leur vigne. Ils l'ont mis en bouteilleset pas une n'estbuvable.

Et pasd'enfantspeu d'amisle succès qui se dérobepeut-être plus d'argent : c'est sinistre.

L'airendormi et dégoûté de Capus quand il mange.

Il al'impression que tout le monde est contre lui.

-- Donnayn'a jamais connu çadit-il.

Il a faitde grands voyages en autoet il n'a rien vuétant myope.

Il adépensé toute sa fortune pour une femmeet il n'y aque la sienne qui l'aime.

--Claretie est-il convenable ?

-- Je vaisvoir ça bientôtrépond Capusquand il faudraqu'il soutienne mes Deux Hommes.

La bellecheminée où il y a toutexcepté du feu ; on sechauffe avec une lampe.

Il vientde s'acheter une grammairele cours supérieur de Larousse.

Ce qu'il ya de mieux chez luic'est quelques bons fauteuils.

28janvier.

Je necrois guère qu'à la justice littérairequi faitdire quemalgré toutBarrès et Lemaître sontdes hommes de grand talentet je le leur prouverais à chaqueoccasionun votepar exemple.

LeDivorcede Bourgetau Vaudeville. Un théorème quiprouve le contraire de ce qu'il voudrait. Une famille réforméepar Le Divorce ne vaut pas mieuxmais pas moinsque lapremière. Partout il y a des conflitsmême religieuxet ils ne tiennent pas au divorce.

Je n'aimepas à aller dans le monde. J'y arrive toujours trop tôtet ça me vexe.

Un petitjeune homme noirflorissantgras et mouqui peut bien avoirdix-huit ansvient me voir. Il m'avait prévenu par lettrequ'il viendrait me demander la genèse de _Poil de Carotte_.

Il a l'airbêteje ne vois pas ce qu'il veut faireje n'ai pas lemoindre désir qu'il fasse quelque choseni de le revoiretje lui dis touttout ! Et je suis animéet je lui racontedes choses très bien. Je lui jette pour rienà safigure d'inconnuune de mes plus jolies pages.

Ah ! non :je ne suis pas de ceux qui ont besoin d'aller à Venise pours'émouvoir.

TrèsattaquéDieu se défend par le méprisen nerépondant pas.

29janvier.

Bernsteinà Forain :

-- Maisvotre Jésus-Christ était Juif !

-- Parhumilitérépond Forain.

Pièceà idéespièce où ce sont les idéesqui parlentet non des êtres humains. Maisaprès toutces idées peuvent nous intéresser plus que despersonnes.

Je donnel'impression d'avoir une vie harmonieuseet je n'ai presque rienfait de ce que je voulais faire.

30janvier.

Ilvaudrait mieux se taire toujours. On ne dit rien quand on parle. Oules mots dépassent la penséeou ils la diminuent. Qued'aplomb chez les uns ! Que de restrictions de scrupules chez lesautres !

31janvier.

Un hommequi ne croit à rien peut faire le plus bel honnêtehomme.

J'aime àparlerpourvu que je contredise.

1erfévrier.

Tristandit :

-- Jesonge à faire une pièce où des fils de familleruineraient des usuriers par une foule d'actes qui ne tombent ni sousles rigueurs de la loini sous le mépris publicmais quin'en seraient pas moins des fripouilleries. Seull'usurier seraithonnête.

Il joue aubridge avec son père et son fils : le bridge des troisgénérations.

-- Je suiscapable de faire une bonne affairedit-ilmais je ne pense pastoujours à être très adroit. Le véritablehomme d'affaires y pense toujours.

3 février.

A quelqueskilomètres de la terreon doit encore entendre le murmure detoutes nos plaintes.

Chaquematinau réveiltu devrais dire : « Je voisj'entendsje remueje ne souffre pas. Merci ! La vie est belle. »

La vie estce que notre caractère veut qu'elle soit. Nous la façonnonscomme l'escargot sa coquille.

Un hommepeut dire : « Je ne ferai jamais fortuneparce qu'il n'est pasdans mon caractère d'être riche. »

4 février.

Collectivisme! Le talent ne peut être qu'individuel.

7 février.

Jepourrais faire un volume de toutes les lettres que j'ai écriteset que je n'ai pas envoyées.

9 février.

Lacroyance au travail est peut-être encore une religion inutile.On n'est heureux que par hasard.

11février.

Boxesalle Wagram. Pas très intéressant. De l'escrimegrossière avec des corps à corps et des coups de poingsournois au flanc gauchequi coupent la respiration.

Les petitsairs mystérieux du connaisseur Tristan.

L'émouvantc'est de voir à terre un homme qui ne se relève pas etqui attend que l'arbitre ait compté jusqu'à dix.

L'amusantc'estau cri de « Halte ! » les deux boxeurs allants'asseoir chacun sur sa chaise et se faisant éventer par desserviettes comme des princes indiens.

Essuyermasseréponger.

AbelHermant est làtout réduitet ce petit homme férocen'a pas l'air dangereuxdans ce milieu.

Ils sontlaidsla figure écrasée. Tristan admire les épaulestombantes : il admirerait le cou rentré dans les épaules.Il donne la main à des tas de gens rasés et qui sententl'écurie. Darzens a un bandeau noir sur l'oeil gauche. Ilparait qu'il s'est crevé l'oeil avec la pédale d'unebicyclette qu'il faisait tourner et regardait de trop près. Ah! ces hommes de sport !

Les deuxpetits gars qui commencent sont les meilleurs. Ils se donnent desgifles avec une agréable petite rage.

Ah ! latribune de la pressede la critique ! J'ai vu de ces gueules auxrépétitions généralesà celles deBernsteinsans doute.

Uneestrade comme pour les escrimeursmais dont les poteaux rembourréssont réunis par trois cordes.

Pâlecomme la lune en plein jour.

Il estplus facile d'être généreux que de ne pas leregretter.

A laFacultéle garçon dit :

-- Ah !moisi on veut que je sois gentilil faut me graisser la patte.

Et ilajoute :

-- Çane se répète pasce que je viens de dire là.

Fantecdonne quarante sous. Sinonle garçon fournit àdisséquer des cadavres trop gras ; et on lui donne aussi pources cadavres : cent sousje crois.

Il fautpayer un placardle blanchissage des blousesdeux fois plus cherque dans sa famille.

12février.

Nous avonstous quelqu'un que notre mort « arrangerait ».

Pendant laguerreun homme se résigne à manger son chienregardeles os qu'il laisseet dit :

-- PauvreMédor ! Comme il se serait régalé !

18février.

Voyage àChaumot du 14 au 17.

Les ruchescoiffées d'écuelles.

Les routessous la pluie sont comme des canaux.

Il n'y aplus que la verdure du sapin et du lierre.

Ils ontdeux espèces de maladies : le sang et les douleurs. C'est lesang qui monte à la têtequi s'arrête à lagorgeou qui travaille les reins. Elles parlent de leur retour d'âgeà partir de trente ans ; le sang les travaille.

Ragotte.Son bonnet sur l'édredon.

On diraitqu'ils sont morts et qu'ils se réveillent un peu.

Leursodeurs piquantes se croisent dans le courant d'air de la cheminéeà la porte. En me promenant de long en largechaque fois jepasse dans le sillage du Paulcoupant celui de Philippe.

Philippetout fier de connaître une source que personne ne « sait»et il ne le dit pas.

Soupçonneuxquand on lui supprime des contributionsil croit que c'est pourl'empêcher d'être électeur.

Ils nesavent pas jusqu'à quel âge peut vivre une vache. Dèsqu'ils la trouvent vieilleils l'engraissent et la vendent auboucher.

-- Oh !qu'il faisait froid la semaine dernière ! dit Ragotte. Je medisais : « Si les monsieurs étaient venusils nepourraient pas durer. » Et Philippe me disait : « Quoidonc que tu as à te faire toujours du souci pour les autres ?» Et je répondais : « C'est plus fort que moi. »

20février.

Nousprenions du tilleul. On avait donné au Paul et àPhilippe deux petits verres de marcet un petit verre de cassis àRagotte ; maissans doute pour nous faire plaisir et pour paraîtremoins gourmandeelle dit :

-- Moiaussij'aime bien le tilleul.

-- Tu n'enbois pas souventdit Philippe.

-- Si jen'en bois pasc'est que je n'en ai pas.

-- Tu nesais pas si tu l'aimespuisque tu n'en as jamais bu.

-- Je n'aipeut-être jamais bu de tisane ! s'écrie Ragotte.

-- Dutilleulce n'est pas de la tisane.

-- Enfinmoije dis que j'aime bien le goût et que j'en boirais.

-- Je vousen offrirai demaindit Marinette.

-- Oh !mercimadame.

-- Elleaime mieux le cassisdit Philippe.

-- Tu n'ensais rientoi !

Lelendemainelle a sa tasse de tilleulet Philippenarquoislaregarde boire.

-- C'estune potion de damedit-il.

-- C'estbondit Ragotte.

-- Tu faisla grimace.

-- Non !C'est un petit peu chaudvoilà.

-- Elle neboira pas tout ! dit Philippe.

-- Si ! Jeboirai tout.

-- Parceque tu te forces.

-- Oh !mon Dieu !...

Ellevoudrait bien en être débarrassée ! Elle a mal aucoeur. Ne te casse donc pas la tête !

Et Ragottea tout bu. Nous n'osions pas la regarderet Philippela figurecolorée par le marcriait des bons coups à chaquegorgée qu'avalait Ragotte.

Taservanteô Molière ! devait tout de même bâillerau Misanthrope.

Quand lepompier écouteça prouveô Dumas ! que ta pièceest une bonne pièce pour pompierrien de plus. Si Margotpleurebienmais si je ne pleure pasmoien concluras-tu que meslarmes ne valent pas celles de Margot ?

Tout çac'est des excuses. Plais-moid'abord ; le reste du public ne compteque pour sa qualité. Il n'est pas sûr que le beau doiveêtre compris par d'autres que l'artiste qui le crée.

21février.

Demainj'aurai quarante-quatre ans. Ce n'est pas un âge. Aquarante-cinq seulement il faut réfléchir ;quarante-quatrec'est une année sur le velours.

L'annéedernièreaucune note sur mes quarante-trois ans ; çane m'a pas fait peur.

22février.

Il saittout faire. Il y a peut-être en lui une corporation d'ouvrierset il n'arrive pas à donner l'impression d'un hommeintelligent.

Quarante-quatreansc'est l'âge où l'on commence à ne pluspouvoir espérer vivre le double.

Je me sensvieuxet je ne voudrais pas rajeunir de cinq minutes.

24février.

Ce vieuxpoëte voudrait publier un sonnet dans Je sais tout pouréblouir une dame qui ne croit pas encore à son talent.

25février.

Rostand.Le génie lui revient avec la santé. Ils seront àParis le 1er septembreet nous verrons Chantecler. Nousespérons tous un fourmais il n'est pas possible. Seulementle triomphe fera à peine plaisir à Rostandetl'insuccès le tuera.

Tous ceuxqui ont entendu Chantecleret c'est presque tout le mondeendisent merveille. On peut croire qu'ils s'excitent « pour enêtre ». Ça peut être un succèsprodigieux de curiosité. Tout l'univers voudra voir mêmecomme c'est mauvais.

Monignorance et l'aveu de mon ignorancevoilà le plus clair demon originalité.

26février.

L'ironiedoit faire court. La sincérité peut s'étendre.

27février.

Quatrièmedîner Goncourt. Cinq seulementMargueritte boude toujours etMirbeau est malade.

Discussionavec Geffroy à propos de Clemenceau et de Jaurès.

-- Le fondde Clemenceaudit-ilc'est la gravité. il ne tient pas àson espritencore moins à la dictature.

Ils sonttous antisémitesdu moins en ce qui concerne une électionfuture à l'Académie : pas de Juifs ! C'est une autrerace. Mendès disait à Schwob : « Nous ne pouvonspas avoir de génie parce que nous sommes des vaincusdesdispersés. » Et c'est vrai. Mendès ne peut pasavoir de génie ; il a pourtant bien essayé !

Rosny neprend pas toujours part à la conversation. Alorsil chanteou siffleou va chercher son pardessus pour le mettre sur sesépaulesous'il entend un motil part :

-- LesGaulois étaient blonds. Nous sommes presque tous bruns. Monfilsqui revient de Poméranieme disait : « On voitpeu de blonds. C'est parce que... » etc.etc.

-- Ce sontdes phrases ! dit Bourges à propos de mon impatience de voirune révolution.

-- Pardonmonsieur Bourges : c'est un sentiment.

Il regarded'un autre côté. C'est un pauvre homme qui sait des verset qui a l'air d'avoir vécu dans une cave. La poësie mêmene le vivifie pas. Il croit à des tas de choses fielleusement: homme d'Etatfamille. Le loup châtré.

EtBarbusse ? Geffroy n'aime pas çaBourges reconnaît quec'est un livre de talentmais il a eu de la peine à le finirHennique ne comprend pas. Descaves n'en est encore qu'au « trou» ; il fait la grimace.

On parled'affaires. Il faut demander 1 000 francs de plus au Conseil d'Etat.Nous avons 15 000 francs de rentes. Poincaré n'y voit aucunempêchement.

Je demandequ'on fasse recopier le testament de Goncourt. Ça paraîttrop vulgaire. On va le faire imprimer à partcomme unmorceau de littérature.

Dans huitou neuf ansil faudra regarder Le Journal des Goncourt quiest à la Bibliothèque nationale. Il faudra choisir etpublier. Goncourt disait tout.

Monélection a brouillé Hennique et Céard.

On blagueBrunetière qui corrigeait Manon Lescaut et dont lescatholiques veulent faire un grand hommeet Daudet qui écritun article contre le divorcepar repentir.

L'âgede Mirbeausoixante ansétonneet Bourges se réjouitde n'être pas le plus vieux.

28février.

Jaurès.A déjeuner chez Léon Blum. Quand j'arriveil demandesur les assurancesdes renseignements à Léon Blumquiles lui donne très précis.

Il a lacertitude que l'impôt sur le revenu sera voté par laChambre et finira par l'être au Sénatmalgré lesajournements. Le Sénatqui est élu par les campagnesne pourrait pas résister.

C'est àpleurer de voir cet homme. Toujours la même jaquette d'unepropreté douteusela même cravate et le même coldes souliers mous comme des chaussons. Il vit tout seulouvre saporte lui-même et ne peut même pas manger chez lui.

Il resteindifférent à toute la collection variée de sesennemis parce qu'ils disent des choses tellement bêtes ! Etpuisdit-ille fait est làla force des choses. Il doitaller à deux heures continuer son discours. Il n'a pas l'aird'y pensermais il a besoin de marcher pour aller à laChambrequi manque d'airet il s'en vapar une pluie !... et sansdoute sans parapluie.

29février.

Ramuntcho.Odéon. Une niaiserie. Antoine va au désastre. Il esttrop napoléonien pour qu'on s'apitoieet puisil a peut-êtrefini. La veilleil faisait appel à ses actionnaires.

C'estprodigieux d'ennui ! La musique de Pierné ? Mais toutes lesmusiques se ressemblent. D'ailleursje les aime toutes.

Pourquoiun orage ? Pour souligner l'insignifiance des paroles.

-- Jem'embêtedis-je à Haraucourt.

-- Nedites pas ça ! répond le candidat de demain àl'Académie française. Vous feriez de la peine àJudith.

Cettevieille outre noiremauvaise et fielleusecouronnée de rosescomme une vache de concours.

1er mars.

Rosnyaînétrès antisémitepas jusqu'àl'injusticepourtantfait le portrait du Juif dont le nez fabriquede l'huile et qui se fourre partout en criant : « Vive laliberté ! A bas l'intolérance ! »

Il dit deSchwob : « Ce n'était qu'un imitateur. »

-- Je suisle seul en Francedit-ilqui ait donnéavec Les Xipéhuzun fantastique nouveauc'est-à-dire en dehors de l'humanité.

Il necollabore pas avec son frère : ils se juxtaposent. Son frèreachèverait un livre commencé par son aînéet réciproquement.

-- C'est àbase de fraternitédis-je.

-- Nonmais de concordance. Mon frère a moins de mots que moi àsa dispositionmais nous pensons la même chose.

«J'ai l'oreille dureune oreilleparce que mon tympan s'est épaissi.J'entends tout de mêmemais moins vite. Il faut me parlernonpas fortmais clairet ne pas prononcer plus de cinq syllabes parseconde.

« Ceque je n'arrive pas à comprendrec'est qu'un homme puisseêtre célèbrecomme vous et moisans qu'il y aitvingt-cinq mille lecteurs capables d'acheter ses livreset que ceslecteurs se trouvent doubléstripléspour les Bazinles Bourgetetc.

« Ceque j'aime dans un auteurc'est surtout la part d'originalitéqu'il apporte aux lettres. En dehors de l'écrivainc'est ceque j'ai aimé en vous.

«Ouije sais fabriquer une nouvelle. Je ne découpe pas unromanni des impressionsen nouvelle ; je sais la faire dans lecadre qui lui est propre.

«Gourmont est un homme intelligentmais il est comme embarrassépar son intelligenceet ce qu'il écrit ne satisfait pas.

« Jene suis pas méchantet je change de chemise quand ma femme leveutmais je suis grognon.

« Jene connais pas le découragement prolongémais je suisun tristeet tous les soirs je pense à la mort. Je suis unamoureux de la vieet je me dis que la mort approche. D'ailleursjene la crains pas et je sais qu'elle finit toutmais je déplorequ'il faille mourirc'est-à-dire d'abord vieillir.

« Lesoirje fais de la gymnastique suédoise dans mon lit : têtedroitetête gauchesalutstorsions de cou. La premièrefoisma femme a cru que je devenais fou.

« Jevoudrais être directeur de l'Odéon. Mon programme serait: le minimum de décors et de fraiset le maximum de talentdans ma jeune troupe.

«Racineouimais ça manque de beaux verset notre pèreHugo en est plein.

«Mes meilleurs livresje les ai faits seuls sans mon frère.

«Ceux qui nous paient ont la haine de notre littérature. Ils nepeuvent pas nous traiter en employésen ouvriersendomestiques ; ils ne peuvent pas nous parler haut : ils ont peur dedire des bêtises. Ils nous haïssent.

« Lematinje fais le travail sérieux de 9 ou 10 heures audéjeunerle soirles articles. »

2 mars.

JulesRomainsauteur du Bourg régénéréproseet de La Vie unanimepoëme. Visite. Licenciéès sciences et ès lettres. Donne des leçons. Afait paraître ses livres à ses frais. Cherche àplacer un livre de prose. Fasquelle ne veut pas le regarder. Vallettea dit : « Vous seriez aimable de m'épargner l'ennui d'unrefus. »

Il ditjustement qu'un livre de vers aplus qu'un livre de prosela chanced'être remarqué. Des vers idiotsça se voit toutde suite. La critique parle des bons verselle sait ce qu'ilsvalentmais elle ne distingue pas une prose d'une autreetpour nes'engager à rienelle n'en parle pas.

Il dit dePaul Adam :

-- C'estun homme déçuqui ne comprend pas l'indifférencedu public.

6 mars.

Envied'aller en Italieà Naples surtoutvoir le Vésuve.J'ai de temps en tempsmoi aussima petite éruption.

12 mars.

Ecriretoujours écrire ! Mais la nature ne produit pas toujours. Elledonne des fleurs et des fruits dans la belle saisonpuis elle serepose au moins six mois. C'est d'ailleurs ma mesure.

Théâtre.Nous avons applaudi. Quels battements de mains ! Notre logeretentissait comme un lavoir.

21 mars.

Sociétédes Gens de Lettres. Tant de gens dont je n'ai pas lu une lettre !Toutes ces femmes laides qui disent : « Vous croyez que c'estun avantaged'être femme ? »

Le pauvredéléguétoujours attaquése défendpar des grognements timidescomme un chien qui tient à sachaîne. Pierre Sales : de la facilité au débutpeu de fond.

JulesBoisen habittraite tout cela de ragots de portière etajoute : « C'est le bon sens qui parle. »

Personnene répond. C'est le Comité muetet pourtant il y a unefemmeMme Lesueur.

Et tousces pauvres hommes qui viennent à la petite heure déclarerqu'ils sont assidusdévouéscompétentsqu'ilsrendront des servicestout cet étalage de vertus médiocres! Vibert seul dit qu'il en est écoeuré. Aussi y a-t-ilvingt-trois ans qu'il se présente inutilement.

Une femmese décide à parler. Personne ne l'écoute plus.

23 mars.

Réuniondu dimanche 22. C'est tout de même agréabled'entendreun avocatmême ordinaire. Ça parle bien. Un homme delettres devrait au moins savoir parler comme eux.

Rachildegaminerieuseparle toujours malgré quelqu'un. Entendantdire que Richebourg est mortelle s'écrie : « C'estbien fait ! » L'avocat dit gravement :

-- Je nevois pas qu'il y ait lieu de se réjouir de la mort deRichebourg.

Un hommequi parle se ferait remarquer tout de suite s'il renonçait auxbanalités courantes qui lui donnent l'air d'un homme de bonsens. Hélas ! c'est sa force.

On faitl'éloge de Theuriet et de Sully-Prudhomme. On veut bienaprèsleur mortne pas tenir compte de la différence des chiffresde leurs reproductions.

La Sociétédes Gens de Lettres n'est pas une société d'artistes :c'est une société d'affaires. Oh ! ne vous méprenezpas sur mes sentiments. Personnellementje me fiche du Panthéoncomme de l'Académie françaisemaispuisque Zolahomme de lettres et ancien président de la Sociétéest au Panthéonle rapporteur doit le mentionner comme ilenregistre la nomination de Durand au titre de commandeur en je nesais quel petit pays perdu. Vous n'avez ni à louerni àblâmer : vous devez le dire. Il ne s'agit pas de prouver quevous êtes dreyfusards ou antidreyfusardsmais que nous sommesindépendants et même bien élevés. Çafait plaisir à Zolaou plutôt à ses héritierset à ses amis qui le représentent.

La Sociétédes Gens de Lettres n'est même pas capable de me renseigner surun monsieur qui me demande à traduire mes livres.

27 mars.

J'aimeassez à me créer moi-même mes ennuis.

Du doigtquelqu'un me toucha le bras. Je me retournaifrissonnant : c'étaitune ronce.

Maman nepense qu'à se soigner et à vivre encore cinquante ans.

Philippe.Il ne faudrait pasà la fins'attendrir. Il faudrait montrerque tout ce que j'ai pu diredepuis douze ansà cet hommeet rienc'est la même choseouplutôtqu'il estcapable d'une certaine affectionmais qu'il ne l'est d'aucunecompréhension. Je le retrouve avec le même esprit deservitudeau point qu'il ne se révolte pas pour l'honneur desa fille.

Aprèsavoir lu un article odieux de Léon Daudet sur ZolaLeGrand Fécalirai-je tout de même dîner cesoir avec Léon Daudet chez

Goncourt ?Est-ce que je ne devrais pas envoyer toute cette Académie àla balançoire ? Ouisi j'étais riche.

Ce quiexcuse Léon Daudetc'est son amour pour le roy et pourSyveton.

Le peupleest bêtepue et crache partout. « L'art et le peuple ».quelle formule !

Le peuplec'est l'enfant bien sage qui fait la grimace dès qu'on a ledos tourné.

Relire desvers qu'autrefois on savait par coeur.

28 mars.

DînerGoncourt du 27. HenniqueBourgesRosnyDescavesMirbeauGeffroyet moi.

On faitquelques plaisanteries sur L'Action Française et le royde Léon Daudetmais Geffroy dit qu'il ne faut pas parlerpolitique

LéonHennique sans ressort : « Comme me le disait mon vieil amiGoncourt... »

Il sembleque Bourgesle loup maigres'apprivoise.

Descavesdemande un secours pour une vieille femme de lettresquatre-vingtsans. On lui donne tout de suite 100 francs.

Mirbeauparle du Foyer de Thadéequi lui apporte 6 000 francsde L'Illustration. Il est toujours agréable del'entendre mentir avec violence. Claretie lui dit d'abord :

-- Je mevois dans ma loge à la première !

Puis il setraîne aux genoux de Mirbeau :

-- Je suispauvrej'ai un fils ! (Et il pleure.) Respectez l'Académie.

Brisson aécrit : « Nous n'avons plus de roi. Il nous reste lareine. Je loue M. Claretie de la défendre : c'est l'Académie.»

Et Mirbeauprenait sur la table de Claretie le tas des journaux où l'ondiffamait sa pièceet il en faisait un chiffon qu'il jetaitdans le panier de Claretie.

-- Ah !disait Mirbeauah ! il n'y a pas d'académiciens malhonnêtes?

Et Vogüéqui touche 60 000 francs d'un cercle ! Et Lemaître avec Mme deLoynes ! Et vous !

Descavescroit qu'il y a de l'envie chez Claretiede l'envie d'homme delettres.

-- Barteta été très biendit Mirbeau. Elle a étécomme une lionne.

31 mars.

Je mepromène dans la chambresur le tapisde la fenêtre àla porte ; maisd'abordje mets un petit chapeau melon.

1er avril.

Mes yeuxpaissent la nature.

2 avril.

Guitry sefait vraiment bâtir un hôtel. Il y aura une chambre etdes tas de salles à manger.

UbuRoiune pièce d'enfant.

Les mots :la monnaie d'une phrase. Il ne faut pas que ça encombre. On atoujours trop de monnaie.

4 avril.

Zolaimmoral ! Mais il pue la morale ! Coupeau est puniNana est punietous les méchants de Zola sont punis.

6 avril.

Ilsfondent une revue pour avoir un permis sur le P.-L.-M.

14 avril.

Toute unetempête pour rebrousser les plumes d'un moineau.

15 avril.

Je neconnais qu'une vérité : le travail seul fait lebonheur. Je ne suis sur que de celle-làet je l'oublie toutle temps.

16 avril.

Henniqueaurait dit à des Gachons : « Victor Margueritte ne nousajoutait rien. Renardc'est une note nouvelle. » L'a-t-il ditavant ou après l'élection ?

Légeret dur comme une aile sculptée dans la pierre.

Le vold'un pigeon qui se pose sur une branche trop faible. De l'aileilaide la branche.

-- J'aiune envie de partirpar ce soleild'aller n'importe oùtiensà Barfleur. Demain matinje file. Fais-moi monbaluchonhein ? dis !

--Marinettefais-moi mon baluchon.

-- Si tuveux.

-- Commetu dis ça !

-- Oh ! jesais que tu ne partiras pas.

-- Raisonde plus ! Tu ne risquais rien à dire mieux : « Si tuveux. »

Oh ! lamauvaise humeur qui cristallise ! Penser à être demauvaise humeurc'est la créer. Ce doit être avec cefluide-là que les derviches fontà vue d'oeilpousserles fleurs.

Relu cematin les mots de « Berthe » dans les Bucoliques ;sauf deux ou troisje les ai trouvés délicieux.

20 avril.

Philippem'écrit que La Gloriette est presque vendue à deuxvieux garçons. Mon destinun peu efflanquéchangeencore une fois de chevaux.

Si je neme rectifiais pas en écrivantje serais vraiment un pauvrehomme.

21 avril.

J'ai unemoralemais elle est assez tortueuse. J'arrive au bien par un cheminde traverse.

SeuleMarinette en a réalisé quelque chose.

2 mai.

A Chaumot.Les auteurs ne répondent pas assez aux critiques par lemépris.

Aujourd'huivisité le presbytère. C'est bien la maison qu'il faut àun curé ou à un homme qui pense librement. Des fenêtressur la rivièreune citerne. Le jardin embaume la giroflée.Remiseécurieplacards. Un toit presque vertical. Des coinspour charmilles. Mais le clocher pose presque son gros pied dessus.

-- Lefrère de Mariette est si douxdit Ragotteque sa femme est «polcas » (n'est pas dans le casn'a pas la possibilité)d'aller pisser dehorsla nuit.

Quand iltravaille au loinil l'oblige à aller coucher tous les soirsavec ses deux enfantschez sa mèreà La Chaise. Quandil empile sur le porton lui crie tout à coup :

-- Ah !j'en vois une bonne bande !

-- Oùdonc ?

-- Devantta portepardié !

Il bonditcomme un chat sur une pileregardene voit rienet saute àbas sans rien direle coeur plein de rage.

RagotteMarinette lui a dit quesi elle vient à perdre son «principal »elle aura toujours 15 francs par mois. Avec dixsous par jouron vit.

-- Combienque ça fait donc par an ?

-- 180francsdit Marinette.

-- Oh ! çafait une grosse somme ! Si on vit !... Les deux premiers moisondépenserait peut-être tout : il faut du savondu filmais le troisième moismarchez ! On aurait de l'avance.

Autruchepoussin géant.

Une oieblanche qui s'est fait un tour de cou avec ses plumes.

Avec sabêche Philippe fait dans la terre des trous qu'il rebouche. Ily met bien des pommes de terremais ça n'a pas d'importance.

Aprèsson mariage manquéil dansait en bonnet de coton devant uneglacesa porte fermée.

Un vieilarbre en fleurspresque en cheveux blancs.

Silence.J'entends mon oreille.

7 mai.

N'êtrebon que pour se faire bien voirc'est se sentirau fondincurable.

Un petitveau qui couraitpendu à sa queue toute droite.

Elle étaitfolle. L'hiver de 70-71elle passait la nuit dehors. Elle mettaittous ses papiers sous un toit de quelques fagots. Le matinellechantait au soleil levant.

Cethiver-làPhilippe portait de la paille aux bestiaux. Il avaitchaud sous la paille et revenait gelé.

-- C'estde l'eau qu'on a dans la têtedit Ragotte. J'ai eu ça.Entre mon bonnet et mes cheveux je mettais des feuilles de bouillonblanc que j'avais fait chauffer. Ça faisait suer mon eau. Jeressemblais le diable !

Que dechoses trop longues ! Que de joies qui s'éteignent malquicharbonnent à la fin !

Moncerveau est plus inconsistant qu'un royaume de nuages.

J'ai passéquatre ans à rienpas même à user mon orgueil.

La parolefait tourner la girouettel'action l'immobilise.

Je m'amusequelquefois à regarder dans le vagueet j'en extraisj'enexprimeavec des motstout ce qu'il contient de précis.

Rentréà Paris le 11 mai.

14 mai.

Je veuxtoujours avoir raisonmais une raisonmême la meilleureneme suffit pas : il me les faut toutes.

Enpolitiquela sincérité a l'air d'une manoeuvrecompliquée et sournoised'une fourberie savante.

Guitrydans deux actes de La Femme nue. Pas beau sur la scèneet bien vieux dans sa loge. Est-ce qu'il baisserait ?

Badylaveille de la répétition généraleluiaurait dit : « C'est 50 francs de plus par soiren tout 200francs. Sinonje ne joue pas. » Guitry aurait répondu :« Bien. » Maisavec luion rembourse toujoursetaujourd'hui il refuse de pousser la pièce à lacentième. Il l'arrête après quatre-vingtsreprésentationset il va à... Constantinople.

Tristan etmoinous avons l'impression de ne plus être chez nous. Lafantaisie de Guitry n'est plus de notre âge.

16 mai.

Lesuffrage universel est tellement bête qu'il ne faut pas êtremodeste avec lui.

Ce quigâte le Bois de Boulognec'est le riche. Et ces cavaliers quise plaisent à faire crier le cuir de leur selle ! Et lespauvres vieux qui font un peu de bicyclette avec de mourir !

Lesgouvernantes qui lisentsur un bancdes livres impriméstoujours très fin. Elles s'abîment les yeux.

Le Boisqui sur le moment me ferait pleurer de joieme laisse l'envied'aller à la campagneet non de revenir le voir.

Combienpeu de gens savent regarder une belle chose sans la préoccupationspontanée de pouvoir dire : « J'ai vu quelque chose debeau » !

La naturefrissonne d'être peinte par une jeune fille.

Chez ledentiste. La mère et le fils entrent et se précipitentsur La Vie Parisiennecomme s'ils n'avaient pas lu depuis laguerre.

Une damegémit et se tient la joue afin quepar charitéon laprie de passer la première. Ça ne prend pas.

Unmonsieur fait arrêter le tramway pour descendreetun peuhonteuxse met à courir sur le trottoirpour se réhabiliter.

17 mai.

Le jeunehomme qui monte sur le toits'assied entre des tuyaux de cheminéesfeint de regarder le paysagese couche et a l'air de dormir. Enmanches de chemiseespadrille. Mains sur les hanches. Se passe lamain dans les cheveux. Glisse sur les tuilespasse d'une cheminéeà l'autre non sans souplesse. Finit par agacer les voisinsqui se révoltent contre ce petit imbécile qui ne peutpas se promener comme tout le monde.

Regarde auloinà ses piedspar les cheminées. Se penche sur unelucarne. Qu'est-ce qu'il fait doncqu'il ne tombe pas ?

Tend sonderrièreet disparaît sans avoir rien fait.

19 mai.

Le RuyBlas m'arrive ouvert à la page où il est dit quetrois membres seulement de l'Académie Goncourt assistaient aubout de l'an de Huysmans. C'est Stockparaît-ilqui a de cespetites délicates attentions.

20 mai.

Sociétédes auteurs. Assemblée orageuse et confuse. Trarieuxleporte-parole du syndicat professionnel. Un visage mornedeshésitations qui ne sont pas toutes calculées et quiressemblent parfois à des bégaiements. Un peu plusetce serait l'orateur. Il vaudrait par la clartéjusqu'àce qu'il parût ennuyeux.

Bernsteinétait déjà violent : il devient méprisant.Tristan rentre un discours. Veber dit les deux raisons pourlesquelles il ne votera pas le rapport.

Longsapplaudissements pour Richepinde l'Académie française.Oh ! je vois qu'il y a tout de même une différence avecl'Académie Goncourt. Aucune allusion à mon élection.

Capusagite sa petite sonnette. C'est le manque d'autorité même.Il se rattrape au vote et ne lit pas mal les bulletins.

Aucunordreaucune logique : l'ignorance.

Je votepour Hervieumais je ne l'applaudis pas. Donnay passe avec ma voix.Il fallait 95 voix : il en a 96.

Et touspleurentdepuis Sardou jusqu'à Gavaultmaisluiil doitpleurer au nom de quelqu'un. Mirbeau a un petit chapeau platcommeun homme bien décidé à ne plus avoir peur deClaretie.

21 mai.

Sommeil.Une fée joue au jeu de tonneau avec les bouches ouvertes.

23 mai.

Rostand.Hertz lui embrassait les pieds après la lecture de Chantecler.Ils ont acheté la pièce pour le monde entieret ilspaient un à-valoir de 400 000 francs.

Coppée.Nonnon ! La mort n'est pas une excuse. Ce fut un pauvre homme. Onn'ouvre pas un livre de poëte pour s'y renseigner sur leshumbles. On ne rouvrira pas Coppée. Qu'est-ce qu'un poëtedont la lecture ne nous augmente pas ?

Cet hommequi méprise les discours (pourquoi ? il en a vécu !) etqui réclame les honneurs militairesoù est la modestie? Qu'est-ce que son âme pourra comprendre à un maniementd'armesl'âme de cet homme qui ne fut pas soldat ? Si encoreelle disait : « J'en suis indigne !... » Mais non : elleveut des honneurset pas ceux qui conviennent à une âmed'homme de lettres. Vieux snob ! Poëte pour un roi qui l'auraitnommé historiographe !

Claudeldit de Jammes que c'est le plus grand poëte de tous les tempset Jammes le dit aussi de Claudel.

25 mai.

Quand unhomme a prouvé qu'il a du talentil lui reste àprouver qu'il sait s'en servir.

J'écoutaishier soirune petite pièce de Dieudonné qui rappelleLe Pain de Ménage. Dire des choses intimes et les diresi malc'est de l'impudeur. Dès qu'un monsieur et une dameparlent sur la scèneje suis gêné s'ils parlentmal.

Je n'osepas encore m'asseoir sur une chaise aux Tuileries. J'ai toujours peurqu'un monsieur vienne me dire qu'elle est prise.

Supérioritédu vers au théâtre : allez donc vous fâcher contreune sottise qui rime bien !

26 mai.

Goncourt.Dîner supplémentaire. Augmentation de 1 000 francs : ilfaut saisir le préfet de la Seineles ministres del'Instruction publiquede l'Intérieurle Conseil d'Etat.Mais nous ne savons pas rédiger une demande. Poincaréqui est si gentils'en chargera.

Rosnyoffre à Daudet une étude sur les syndicats.

-- Je vaisy penserdit Daudet.

Toujoursgêné de me trouver en présence de cet homme quin'a pas voté pour moimais sa jeunesse et son entrain me sontagréablesets'il m'y provoquait un peupour lui faireplaisirje crierais : « Vive le roi ! »

Coppéeest mort d'un cancer à la gorgecomme Huysmans.

On parleAcadémies. Descaves dit que l'élection de Capus estsûre.

Daudetmange beaucoup. Mirbeau ne mange pas le soir. Il a un bobo au doigt.Descaves lui offre son beau-frère. Mirbeau me vante Thadée« homme exquis et de talent »et prépare un autrecoup contre Claretie : vous verrez !

On parledu Prix Goncourt. Bourgesqui a l'air d'avoir une cour de petitsjeunes genstrouve que L'Enfer est un livre ratéàmoins que ce ne soit Hennique. Daudet fait des calemboursd'ailleursspirituelset Descaves s'agite.

- Il n'y aque Rubens qui résiste à Velasquezdit Geffroy.

Quelqu'undit qu'au Quartier latin une petite femme criait : « ViveBarrès ! Je l'aimemoice vieux-là ! Mon pèrem'a dit qu'il a été fait prisonnier sous l'Empire. »Elle confondait avec Barbès.

Vellédade Magreà l'Odéon. Une défroque pleine devieux beaux verset le même Magre publie dans Le Matind'aujourd'hui un article intitulé : « Assez de vieillespièces ! Assez de vieux sujets ! Vive l'histoire de France ! »Et il a accouché de Velléda.

Une sallebien faite. Enthousiasme glacé des poëtes àl'oeuvre d'un poëte. Antoine a le courage de son Cahier desCharges.

La petitefemme qui se laisse approcher par le vieux. Quand elle le voit sivieuxelle hâte le pas et se sauve.

Mon nomimprimé dans un journal m'attire comme une odeur.

31 mai.

J'aivisité l'abbaye de Valoires et la chartreuse de Neuville.C'est tout ce que je peux faire pour Huysmans.

AAbbevillesur le pont :

--Qu'est-ce que c'est que ça ? dis-je.

-- Del'eaurépond Descaves.

On meprésente un peintreun sculpteurun architectedontlessaluts échangésje ne sais déjà plus lesnoms.

Descavesme montre une dictée de son fils. C'est du Jules Renard : LaLouée. Le petit Descaves dit : « Oh ! du JulesRenardce n'est pas difficile : personne ne fait de fautes. »

Abbevillele matin : un joli jardin autour du muséeune place qui doitêtre terrible par une après-midi d'aoûtdescloches qui exagèrent et qui ont l'air de jouer une polka. Cesmessieurs parlent des vieilles maisons en connaisseurs.

Il y atoujours quelque chose de simiesque dans les gestes d'un peintre quiparle peinture. Lefèvre (je crois) amuse avec des anecdotessur la vanité de Raffaëlli qui invite des professeurs etleur dit : « Parlez-moi mathématiques. » En troisheuresil en savait autant qu'eux.

Le mêmepeintre me dità propos de la Somme :

- Oh !votre goujon qui saute sur l'eau !... Je ne me rappelle pas...

Moi nonplus.

L'architecteme dit qu'il aime beaucoup les voyages parce que ça dédouble.

Rue : uneéglise heureusement fermée.

L'abbayede Valoires introuvable sur la carte. Une jolie ruine. Des boiseriesune chapelle dont la grille vaut beaucoup d'argent. Au plafondunemorille rappelant qu'il y en avait une là où l'on abâti la chapelle. Et la nature recouvre tout. Jardins enfleursarbres de toute beauté. Ces moines ont compris la vie: être inutiles.

Comme moicomme tous les hommes de lettresDescaves a horreur des «curieux mélanges de styles ».

Le peintre: Le Sidaner ; l'architecte : Plumet ; le graveur Lepère ; lesculpteur : Pierre Roche.

Quatreautos à la recherche de Valoires. On ne trouve d'abord qu'unmoulin. Valoires dans la verdure. Une grande cour pour un chat. Levieux concierge dans des chambres dont les boiseries valent plus de60 000 francs. Une photographie sur une immense cheminée.

Apéritifà Campagne-lès-Hesdin. L'adjointpetit homme court etventru avec des grosses moustaches frisées comme des queues decerises.

En routepour Montreuil. On voit des pêcheurs à la ligne.

Mur dumonastère. Une plaque où Clemenceau a inauguréun monastère vide. Déjeuner dans la salle àmanger de Monseigneur. Vue sur des arbres magnifiques. Visite dumonastère. Tous les pavillonstoutes les cellules marquésde grosses lettressauf la lettre Q.

6 juin.

A Chaumot.

-- Et voschouxPhilippe ?

-- Oh ! cen'est pas une année de choux.

--Pourquoi ?

-- Lespucerons et les boeufs les ont mangés.

-- On faitla chasse aux boeufs et aux pucerons.

-- Ilsreviennent. Ce n'est pas une année de choux. Personne n'en a.

-- Arrosez!

-- Quandon a arrosé une foisil faut continuer. On n'en finirait pas.

--Qu'est-ce qu'a donc la vache ?

-- Ellebreuille.

--J'entends bien. Mais pourquoi ?

-- Elles'ennuie. J'ai vendu son veau hier.

-- Que dechenillesPhilippe !

-- Jamaisje n'en ai tant vu.

-- Vousles épargnez pour les oiseaux ?

-- Ma foij'ai souvent vu deux oiseaux entrer là et en sortir. Je n'aipas encore pu trouver leur nid.

-- Ilsvont se régaler de vos chenilles. Regardez donc ! Votre clou afait éclater le plâtre.

-- Cen'est rien. Nousnous le voyons parce que nous le savonsmais ceuxqui ne sont pas prévenus...

-- Yaura-t-il des prunescette année ?

-- Il yavait bien des fleursmais je n'ai pas regardé si elles ontdonné du fruit.

Hierunorage tel qu'on se croyait dans l'eau et dans le feu. J'allais d'uneporte à l'autresuivi de Marinette. A un coup de foudre quiéclateje sens comme un choc aux pommettes. On fait le grosdos. Philippe affecte de ne s'occuper que du vent et de l'eau quitombeou de la grêle qui fait bien du mal. Il ne parle pas dela foudre qui tuequi a tué un hommehieràMorachesdans une auberge où ils s'étaient réfugiésune douzaine. Il semble dire : « Ce n'est rien »pour lacalmer.

Coppéea dit exactement ce qu'il voyaitmais il ne voyait pas.

Orage.Cette maison n'a pas été frappée depuis qu'elleexistedepuis plus de cent ans. Pourquoi le serait-elle ? Eh ! ouimais la réponse peut être un coup de foudre.

8 juin.

Les hommesde talent qui font ce que les hommes originaux ne veulent pas faire.

Style. Lesgrosses syllabes lourdes qui assourdissent et empêchentd'entendre la phrase.

9 juin.

LeParadisc'est un château en Espagne.

La véritécréatrice d'illusionsc'est la seule que j'aime.

Elle secroyait la belle blonde de Chitry. Elle va à Parisvoit lesjolies filles du trottoirse regarde aux miroirs des magasins et setrouve moins bien. De retour à Chitryelle l'avoue naïvement.

-- Je suismoins belle à Paris qu'icidit-ellemais je crois que çavient des glaces.

Mamauvaise humeur inaltérable.

Elle faitsensation. C'est une grueune vraie grue de Paris. Elle fait tousles jours la noce pour vivred'abord débauchée par unmonsieur qui a quelque argent. Elle porte un corsage en dentelled'Irlande.

-- Il y adessustout comme des « essculptures »dit sa mère.

On croitmême qu'elle est en cartequ'elle s'est fait faire des cartesde visite à la préfecture.

Orgueil dela grue qui reparaît dans son villagequi fait son entréeau bal. Toutes les petites fillessous la présidence du mairequi fait des études de moeursla lorgnent avec envie.

-- Ce quiprouve que le vertu n'est pas récompenséedit Baïe.

-- Dans cemétier-làma filleil ne faut pas qu'elle le soit.

Si j'étaistoujours littérateur avec euxce serait toujours drôlemais parfois je ne suis qu'un hommeet c'est pénible.

Je necherche pas à situer les paysans. Ils sont tous les mêmes.Leur cerveau a l'air de fonctionner plus lentementautrement que lenôtrevoilà tout. Ils ont un orgueilune bêtisespéciale. Je note. Maisà mon goûtleur mauvaislangage est leur moindre originalité.

C'est lepatois de leur pensée qui m'amuseet non celui de leurlangage ; c'est leur âmeet non leur signalement extérieur.

Dans tousles paysils ignorent de la même façon.

Jepressure ce paysmais il me mange.

Mariettese gâte. Elle a dit à des jeunes filles qui l'ont répété:

-- J'ai unamoureux. Il est tellement bien qu'il ne veut pas dire son nom defamille. Il s'appelle Henride son prénom. Il est dans lesautos ; le dimancheil me promène en bateau sur la Seine.

Et elle ypense. En faisant sa malle elle a oublié des tas de choses.Elle n'est pas de mauvaise humeurmais elle semble préoccupée.Elle ne vient plus travaillercomme naguèreprès de «Madame » et de « Mademoiselle ».

Voilàoù l'ont menée le théâtre et les lectures.Chaque fois qu'elle revient du théâtreelle voudraitêtre actrice. Elle dit à Baïe :

-- Vousavez bien tortvous qui le pouvez.

Et elle aluces temps derniersQuand on aimede Decourcelleet LeCapitanL'Héroïnede Michel Zévaco.Elle est perdue. Il faut la sauver.

Fil de laVierge : rayon de lune gelé.

L'hirondelleet son petit air de curé.

Nuit. Toutà coupon croit entendre le son d'un tambour.

Un cerclede chats blancs couchés à l'horizon.

Un boeufénorme avait une marguerite à la bouche.

La luneest encore toute seule dans le ciel bleu sombresans étoiles.Vénus elle-même hésite.

Que luidire ? Je ne peux pourtant pas aboyer.

Celle-cine veut se marier qu'avec un monsieur qui ait un chapeau qui reluit.

A unevieille fille : « Je vous appelle mademoiselleet vous avezpeut-être une douzaine d'enfants. »

Toutemédaille a son reversexcepté la lunepeut-être.

17 juin.

Les hommesont toujours peur de Dieuqui ne sait pas les apprivoiser.

La gloirec'est la fumée sans feu dont on parle tant.

18 juin.

Je dis àPhilippe :

-- Noussommes les seuls à n'avoir pas de petits pois.

-- C'estle blanc qui s'est mis dessus.

-- Leblanc ? Qu'est-ce que c'est que ça ?

-- Unemaladie.

-- Et iln'y a rien à faire ?

-- Pasgrand-chose.

-- Et lesframboises ! On ne vit pas de framboisesmais c'est un bon dessert.Elles sont mangées par les liserons.

-- Si onveut les soigneril faut les déplacerdit Philippe.

-- Quivous empêche ? Vous ne soignez que vos cornichons. C'est bonun cornichonmais on en a vite assez.

--Commandez-moi.

-- Ilfaudrait être tout le temps sur votre dos. Votre jardin n'ajamais été aussi sale.

Il baissele nez et attend la suitemais je me sens si mal à l'aisequ'elle n'ose pas venir.

Lesmoutons toussent comme des vieux.

21 juin.

La phrasene peut être que le filtre de la pensée.

C'estpeut-être aux cabinets que j'ai prispar ennuimes meilleuresnotes.

22 juin.

Regardezle menuisier planter un cloule maréchal en arracher unetdites-moi par quel miracle ces mauvais ouvriers ont pu tout de mêmegagner leur pain sec.

Del'ancienne cuvette des cabinets :

-- Çava nous faire une belle terrinedit Philippe. Elle n'est pas sale :vous l'avez lavée assez souvent !

Lemaréchal. Vulcain. Au premier coup de marteau qu'il donnesachemise s'entrouvre et le poil de sa poitrine se hérisse.

-- Oh !nousdit Mme P...nous ne voyons aucun artiste.

Maintenantc'est le mouton qu'on demande à P.... Il ne fait que desmoutons. On ne veut plus que des moutons. L'Amérique crie : «Des moutons ! Surtoutdonnez-nous des moutons ! »

-- Je suiscroyantedit-ellemais pas pratiquante... Vous savezluiun curésavantun de ces curés qui ne s'occupent pas de politique...

-- Ni dereligiondis-je.

Elle faitcopier ses chapeaux sur ceux de Mlle Diéterle.

26 juin.

Dans cecoin du monde qu'est un villageil y a à peu prèstoute l'humanité.

L'idéeque tu es morte me donne tout de suite envie de mourir. Un jourtrèsbien vivantetu me trouveras mort.

Si je tetrompais avec une autre femmeje regarderais tout le temps de toncôté.

Je t'aiaimée comme la natureje t'ai regardée comme un belarbreje t'ai respirée comme une haie en fleursje t'aisavourée comme la prune ou la cerise.

Tu esheureuse quandsur ton beau visagetombe une grosse pluie orageusede baisers.

On luiporte une paire de souliers à ressemeler.

-- Bienmadamedit-il. Je vais y mettre tout de suite mes ouvriers.

Le pauvrehomme est seul.

29 juin.

Orage. Onn'aime pas ceux qui disent : « Je n'ai pas peur. »Pourquoi n'auraient-ils pas peur comme tout le monde ? Et on cherchedans ses souvenirsde quoi les inquiéter.

Petitbénéfice de la peur : essayer de donner du courage auxautres.

Le lis estblanc même la nuit.

Le beaumatin. Levé ce matin à 4 h 1/2. Une névralgiefaciale m'empêchait de dormir. Voici exactement ce que j'ainoté.

D'abordpar crainte du ridiculeje dis à Marinette que j'allais auxcabinets.

Le soleil: un point. Le coq enroué. Le petit lapin. Ceux qui se lèvent.

Pris debâillementje faisais à la nature de grandes bouchesrondes comme le trou du petit lapin. De sorte qu'à huit heuresj'étais au litcomme toujours.

Les nuagesse dressent en cercle comme des caniches blancs démesurés.

Se levermatinouic'est assez drôleune foissi ce matin-làon se recouche.

J'aipositivement vu s'ouvrir les lèvres d'un lis où perlaitla sueur.

Ma fenêtredéjà ouverte ! Philippe va croire aux voleurs.

Légerfroid aux pieds. Nuage accroché au clocher. Déjàles chevaux et les boeufs mangent.

La piedans le préle loriotle coucou. Pendant la nuitils sontredevenus plus familiers. Ils croyaient l'homme disparu.

Lebouillon blanc a brûlé toute la nuit et ne s'éteintpas. Feuilles fripées.

De sontempsau XVIIIe siècleRousseauje ne dis pas. Aujourd'huile soleil ne se lève plus comme ça.

1erjuillet.

Petiteville. Très bigotecette dame a toujours toutes ses clefsdans sa poche. Tapisserie : une belle Sainte Vierge écrasantun serpent. Quelle gênesi sa bonne va au même Paradisqu'elle !

Une piepropriétaire de tout un pré.

Orage.Eclair à cinq branches.

Pourquoin'avoue-t-on pas sa peur de l'orage ?

De petitsnuages éclatent sous de gros et font de la fumée commedes cartouches.

Marinettepeut lire du Rosnyetde temps en tempselle lève un oeildu côté de ma peur.

Impossibilitéde rester en place sous cette calotte qui se resserre.

5 juillet.

Levéritable égoïste accepte même que lesautres soient heureuxs'ils le sont à cause de lui.

7 juillet.

Elle esttrès malheureuse : le comte ne la salue pas.

Elleguette son arrivée à la messeet on l'entend dire : «Presse-toiEugène ! Le voilà. » Et elle se placebien en vuetirant ses gantsmais le comte ne la voit pas.

Elle sortavant lui de l'église et l'attendmais le comte ne la saluepas.

La tendrelumière du matin où toutes les couleurs paraissent àleur avantage.

Labergeronnette avec ses petites pattes en fil de laiton.

Critique.Marinette dit :

-- Jen'aime pas beaucoup Bourget ni Abel Hermant. Pourquoi ? Je ne saispas.

-- EtBarrès ?

-- Je nele connais pas. Je m'imagine qu'il doit être difficile àlire. Les Rosny sont dursmais ils m'intéressent. LesMargueritte : trop longs : J'aime Maupassant : c'est simple et clair.

La vanitéest le sel de la vie.

8 juillet.

Visite dupetit vicaire de Corbignygraspâle et bafouilleur.

-- J'ai luLa Loidit-il. Nous n'étions pas des fonctionnaires.On nous a volés.

Ce sontdes êtres qui donnent tout de suite envie de les flanquer àla porte. D'ailleursil parle si vite que je ne comprends pas un motde ce qu'il dit. Que ne lui ai-je pas dit : « Monsieuron netraite pas avec des voleurs. Ça ne me regarde pas ! »

-- Alorsqu'êtes-vous venu faire ici ?

-- Je nesais pas comment ça s'arrangera.

-- Trèssimplementcomme la loi l'ordonnedis-je.

-- On peutlouer le presbytère comme on veut.

-- Nonmonsieur. Il y a le préfet.

-- Il nepeut rien.

-- Alorssoyez maire de la commune.

Ils nesavent ni parlerni écouter.

On letient à l'oeil : il cherche les femmes.

Vaincus etfiers comme des paons. Il faut avoir la défaite modeste.

ASaint-Honoré-les-Bainsdu 15 au 18 juillet.

Marietteveut s'en aller. Je lui demande :

--Êtes-vous mécontente de quelqu'unici ?

-- Non. Jeveux m'en aller !

Elletrépigne et frappe du poing sur le buffet.

Longuescène fatigante. Je parle en papa.

--Embrassez madame.

-- Je veuxbienet lui demander pardonmais je m'en irai. Simonsieur ! Simonsieur !

-- Vousréfléchirez cette nuit. Si vous laissez madame ainsivous vous conduirez comme une ingrate et malhonnête petitefille.

Lelendemainelle répond au bonjour de Marinette par un : «Je pars aujourd'hui. Que madame visite ma malle ! »

Elle estcolère et tête de bois. La nuit n'a fait que du mal.Elle ne s'occupe de rienne touche pas au ménage. Je me fâche:

-- Nesoyez pas insolente. Fichez-nous la paix avec votre malle ! Tout cequ'il y a dedansvous le tenez de madame. Je vais chercher votrepère.

-- Cen'est pas lui qui m'empêchera de m'en aller !

Je coursle chercher. C'est la mère qui vient.

-- Cen'est pas gentilçama filledit-elle. Tu vas demanderpardon et tendre la main.

-- Je veuxbienmais je m'en irai.

Çarecommence ! Cette petitesi doucea une figure de révoltéepresque tragique.

--Regardez-la ! dis-je. Je sais ce qu'elle veutmoi. Je la retrouveraià Paris. Elle sera (j'allais dire : grue ; je dis) dans lamisère.

-- Çase peutdit-elle.

Elledevient effrayante. On la tuerait. Sa mère ne comprend plus.

-- Non !dit-elle. Elle n'ira pas à Paris.

-- Elle sesauvera.

-- Et lesgendarmes ! Nonelle ira à la fermesous mes yeux.

-- Tu vasvoir ! murmure Marietteles lèvres serrées.

-- Envoilà assezdis-je. Marinettepaie-lui son mois.

-- On neme doit pas mon mois.

-- Elleresteradit sa mère. Ne lui payez rien.

Quelquesinstants aprèselle s'en va avec sa mère. Nous partonspour Saint-Honoré.

-- Quellefessée je lui donneraisdis-jesi j'étais son père

-- Nousavons eu quelques parolesdit Philippemais c'est encore moi quireste le plus longtemps chez vous.

Saint-Honoré.Le monsieur qui connaît le directeur de la Compagnie del'Ouest.

Lareligieuse qui sue tellement des pieds qu'en se levant de table ellelaisse une trace humide sur le parquet.

La vieillequi n'arrive pas à lier conversation. Le vieux qui lit LaCroixmange comme un lapin et n'en perd pas une bouchée.

Rentréeà Chaumot le 23 juillet.

24juillet.

Marinettesur ton doigt de ménagère agile la bague est comme unchardonneret au bout d'une branche.

27juillet.

A sapremière messele nouveau curé a promis d'êtrebon comme Jésus-Christ.

Mariette.Sa mère dit maintenant

-- On lajalouseet non seulement les filles du paysmais les gens de lahauteparce qu'elle s'habille bien et qu'elle est belle.

Ellesviennent avec une charrette.

-- Nousvenons chercher la malle.

-- Et sonpère qui m'avait dit qu'elle rentrerait ?

-- Oh !elle veut bienmais il a dit que vous poseriez des conditions. Onveut savoir. J'ai réfléchi. On change.

Elles sontde mèche.

--Mariettevous voulez rentrer chez nous pour qu'on vous ramèneà Paris. Ensuite vous filerez.

-- Oh !nonmonsieur.

-- Je suisplus vieux que vous. Je me connais en physionomies. La vôtren'est pas bonne. Ce n'est pas la tête d'une qui se repent.

Elle nerépond pas.

-- Alors ?

-- On ferace que monsieur voudramais je veux bien rester.

-- Vousreprendrez votre service sans arrière-pensée ?

-- Ouimonsieur.

--Pourquoi avez-vous amené la charrette ?

-- Monhomme nous avait dit de venir chercher la mallerépond lamère.

-- Il adit çaet vous dites que Mariette restera ? Il faudraitd'abord vous entendre. Lequel des deux est le maître ?

-- Oh ! jefais ce que je veuxmais c'est lui le maître.

Je protègeMarinettemais c'est à elle de décider.

--Emportez votre malledit-elle. Ça recommencerait. La figurede Mariette ne me fait pas bon effet. La vie serait insupportable.

Elles fonttrois voyages. Il y a une malle et quatre ou cinq cartons.

Elles sonttout de même un peu émueset les yeux se piquent derouge.

-- Nousvous regretteronsMariette.

-- Moiaussimonsieur.

--J'espère que vous n'aurez pas trop à nous regretter.Enfin !... Vous savez que je peux des choses. Si jamais vous avezbesoin de moi...

Une fuméecourait sur le pré comme une troupe de petits veaux.

28juillet.

L'oie : ceque nous avons de mieux en fait d'autruche.

-- Moninternedit Fantecs'est aperçu que je suis ton fils. Il estallé au Théâtre-Français. Il a vu LePlaisir de rompre. Il m'a demandé : « Est-ce quevous n'êtes pas vaguement parent avec ce Jules Renard ? »J'ai répondu : « Vaguement. »

-- Sivaguement qu'il a dû croire que tu te vantais.

30juillet.

Premièreapparition d'Augustine qui va se mêler à notre vie.L'aspect d'une bonne fille de ferme. Elle est venue « de sonpied ». On s'étonne qu'elle n'ait pas amené savache. Elle était chez des cafetiers de Corbigny. Ils refusentde lui donner un certificat. La femmequi a des ennuisboit le vinblanc.

Ellesdisent toutes : « On peut me dire ce qu'on veut. »

Augustineajoute :

-- Moid'abordquand on me « jure »je pleure.

Sa figurede grosse fille pas dégourdie s'éclaire quand elle dit:

-- Jevoudrais voir Paris.

Elle a lesourire.

-- Jevoudrais voir ce que c'est que cette villeoh ! pas pour y restertout le tempset je reviendrais à la campagne.

-- Yconnaissez-vous quelqu'un ?

-- J'ai uncousin qui travaille rue de Sèvres.

-- Cen'est pas près de chez nous.

-- Oh ! çane fait rien.

Ragottedit d'elle :

-- Ellen'a pas le « parlement » vifmais elle est plaisante.

Augustinedit encore :

-- Je mesuis dépêchée parce que je sais qu'il vientbeaucoup de bonnes se présenter chez vouset que celle quiest sortie voudrait bien y rentrer. Vous pouvez demander à quivous voudrez. II n'y a rien à dire sur mon compte.

Justeassez d'instruction pour faire une bonne illettrée dans troisou quatre ansdès qu'elle aura oublié ce qu'elle saitc'est-à-dire presque rien.

La figuregrumeleusebien débarbouillée au savon de Marseille.

Elle vaentrer chez nous avec son petit baluchondans une maison oùnous sommes quatre inconnussans compter Philippe et Ragotte quipeuvent être des ennemiset c'est nous qui prenons desprécautions contre elle ! A nous la crainte et les défiances!

-- Jel'aime mieux que l'autredit Ragotte. L'autre avait trop defalbalas.

Jetravaillais à Saint-Honoré à cause de lagaleriequi pourtant ne me connaissait pas. Je veux que la gloirepaie tout de suite. J'aurais été un grand homme sij'avais aimé la reine.

Les livresn'ont pas de saveur. Ils ne m'apprennent plus rien. C'est comme si onoffrait à un peintre de copier un tableau. O nature ! Il ne mereste que toi.

Livres. Ilsuffit de lire les cinquante premières pages et de découperle reste.

31juillet.

Papillonfleur vagabonde.

Lent commeun chariot vide qui n'a rien à rentrer.

Le brasque je voudrais tendre vers mon manuscrit est comme paralysé.

Rien ne medégoûte plus que mes ébauches de manuscrits : desoeufs écrasés avant d'être pondus.

1er août.

Augustinen'aurait pas voulu entrer hiervendredimauvais jour. Trèsétonnée parce que Baïe la prie de tirer un seaud'eau et lui dit merci.

Elle selave les pieds une fois par semaine. Elle se les lavera plus souventsi on veut.

Elle adix-sept ans. Elle est en place depuis cinq ans. A treize anselletirait vingt vaches dans une ferme.

Son rêve: avoir un livret de Caisse d'épargne. Sa premièrecourse à Paris sera pour aller en chercher un. Jusqu'àprésentelle n'a pas pu. Elle envoyait tout à son pèrequià quarante-quatre ansest malade d'un cancer.

Pas demalleun baluchon. Rien à se mettre.

Faire unecommune idéaleoui ; mais avec quoi ?

L'angoissequi se nourrit de rien.

J'avoueque parfois la nature m'embête. C'est une saveur de plus que jelui dois : celle de l'ennui.

Lune verted'un soir glacé.

3 août.

Unpeupliertoutes ses feuilles retroussées au ventvatraverser le canal.

Des heureslourdes où la visite du poëte Ponge lui-même seraitune distraction.

4 août.

Le seullivre parfaitc'est moi qui l'écriraissi je pouvais.

A douzeansAugustine gagnait 40 francs par andans une ferme. Une placedont une fille sort « embarrassée »dit-ellec'est-à-dire enceinte.

Attiréeet inquiétée par Paris. Elle a peur d'êtreassassinée.

Ce qu'ellegagnait dans ses premières placeselle le dépensait ensouliers et en espadrilles.

-- Ya-t-il un grenier pour faire sécher le linge ? On ne peut pasle faire sécher dehorsdans la mauvaise saison.

-- Nidehorsni dans un grenier. C'est la blanchisseuse qui le rapportetout secrepasséplié.

-- Alorsdit-ellequoi donc qu'on faitnousles bonnesà Paris ?

Elle aquatre chemises. Elle va s'en acheter six sur son prochain mois.

Elledemande sià Parisnous avons une vache.

-- Parisdit-elleça doit être si jolile dimanche !

-- Commeles autres jours.

-- Est-cequele dimancheils ne sont pas en fête ?

-- Pasplus qu'en semaine.

5 août.

Cinéma.Sur un bateau. La famille mange. Le petit a envie de sier. Lefrère aîné le mène parmi les troncsd'arbresle déculottelui relève la chemisesesauve(la chemise retombe)la relèvese sauve. Le petits'accroupitchange de place plusieurs foisregarde par en dessousse déplace encoreenjambe les poutresse pose un peuicicrie enfin : « Ça y est ! » etchemise rabattueculotte maintenuerevientdansant sur la planche qui branlerapporte son derrière à sa famille et reprend sa placeau déjeuner.

Philippe al'air de pouvoir dormir en piochantà petits coupssesoignons.

Augustinerugueuseboutonneusecomme une forte fille qui jusqu'àprésent ne s'est nourrie que de salé.

Elle mangetrop. Après le déjeuner elle est « gonfle »un peu ahurieet elle bâille.

Elle nelira pas les journaux : elle a trop peur.

Commentva-t-on au troisième par l'escalier sans passer par lelogement des autres ?

-- Depuisque je suis icidit-elletous les jours je mange quelque chose queje ne connaissais pas. Si je courais depuis la dernière foisque j'ai mangé du poulet rôtije serais loin !

A Parisc'est surtout des « masques de Carnaval » qu'elle aurapeur. Il parait qu'il y en aqu'il y en a !...

Six heuresdu soir. Les ombres ont l'air de chameaux.

C'est àl'école qu'ils devraient fairetous les deux ansvingt-huitjours.

En étécertains soirs ont des sonorités d'hiver. La nature se trompe.

11 août.

Notremétier est durmais il est encore plus facile d'y gagner del'argent que d'écrire un beau livre.

12 août.

Philippe aeu froid cette nuitayant laissé la porte ouverte. Quand ils'est réveilléses dents claquaientou plutôtcomme il ditles dents lui « remuaient dans la gueule toutcomme des joncs ».

-- Cen'est pas étonnantdit Ragotte. Il a tout le temps les jambesen l'airet il rejette l'édredon et les couvertures sur moi.

Lachauve-souris a toujours l'air de voler entre quatre murs.

Une note àprendre ! Mais on ne trouve pas un crayon dans la nature.

Il seraccommode lui-même : il fait un noeud à sa culotte avecde la ficelle.

Quand lebaromètre est au beauje n'y touche pas.

23 août.

La mèred'Augustine conseille bien à Marinette de ne la laisser sortirque pour les commissions. Elle ne connaît personne ; elle n'apas besoin de sortir le dimanche.

-- Si elledésobéitrenvoyez-la-nousdit-elle.

26 août.

Je n'aijamais pu me retenir de sauver une mouche prise dans une toiled'araignée.

Ragotteélégante comme un oeuf sur son gros bout.

Philippedéboutonné comme le prince de Gallesmais plus bas.

Augustinequi s'est levée trop tardarrange tout en retardant l'horlogede trois quarts d'heure.

Dijon.Quand je pense que j'essaie de prouver au cocher que tous ces ducs deBourgogne ne m'em... bêtent pas !

Il n'y aqu'un endroit où ça m'agace qu'on me demande mon nom :le bureau d'un hôtel.

Je n'airegardé que le tilleul qui a quarante mètres de tour.Quinzec'est assez.

On va aupied du monument. On lit sur le guide ce qui le concernemais on neregarde pas le monument.

L'ouvriera l'air de vivresi on le compare au paysan mort.

Bussangsa beauté. L'herbe y est toute l'année comme chez nousau printemps. L'Allemagne à deux pas. Un traitet c'est unautre peuple. On dirait du Pascal.

Des vachescomme cramponnées à la montagne.

Regardsobliques des ouvrières « aux pièces » auxoisifs qui leur font des visites.

28 août.

Je nesuisde ma natureni observateurni ironiste. Je vois malet j'aila réplique vraiec'est-à-dire pauvre. Ce n'estqu'après que tout s'arrange.

Philipperegarde toujours le chien comme un chien ; moije le prendspeut-être trop pour un homme.

Nonseulement je ne suis pas observateurmais j'ai peur d'observeretje passe exprès à côté d'admirables notesà prendre dans ma famille. Je refuse de regarderj'aime mieuxrompre.

Je n'aiqu'une ironie de ruminant. Je ne m'amuse qu'au souvenir des choses.

Orage. Leséclairs dardent leurs langues dans la maison jusqu'àmon visage.

LaBruyèrele seul dont dix lignes lues au hasard ne déçoiventjamais.

Je ne mesens qu'au bord de la vérité.

Je netrouve aucune saveur à ce que j'imagine.

Je laissepousser l'herbe dans mon jardin.

Desétrangers qui viennent dire aux gens de mon pays qu'ils ne meconnaissent pas.

Lapromenade fait de la tête un panier à idées qu'onsecoue.

« Unbrin de fille »ce devrait être une fille maigre.

Ragottequi s'ennuie aujourd'huine sait pas « où fourrer sesviandes ».

29 août.

Voilàmaintenant que je voudrais avoirdans un coin de mon cabinet detravailune toute petite couchette de fercomme un grand capitaine.

Pour faireun tout petit peu de bienil faudrait être un grand saint.

3septembre.

Quand jepense quece matinje suis entré à la mairie sousprétexte de prendre un papieren réalité pourfaire voir à ces officiers que je suis décoré !

Mais il yavait un colonel qui portait une belle croix nature : c'est bien fait!

Invitéun capitaine et un lieutenant à prendre le café. Jesuis allé les chercher jusque dans la rue !

Causerieoùà peine assison sent le froid. Un légereffort pour devenir militaristeetde leur côtépourdevenir libérauxouverts à toutes les idées. Onparle de tout : du paysdu filtre Pasteurdes illettrésdela guerre. Chacun pousse en avant sa petite personnalité. Lecapitaine a voyagé ; il a une femme et un enfant. Lelieutenant parle d'une conférence qu'il a faitede « saconférence ».

Moijerisque un bout d'oreille de monsieur au courant des dessous dujournalisme. Tout cela ne rend rien. Ils en savent autant que moi.Ils n'ont pas la curiosité de savoir. Le lieutenant surtoutest froid. J'entends :

--Monsieur le mairepermettez-nous de nous retirer.

Monsieurle maire ! Mais ils savent que le propriétaire du châteauest un capitaineet son nomet qu'il est très riche.

Monsieurle maire ! Je n'ose même pas leur tendre la main.

--Qu'est-ce que cette lettre personnelleAugustine ?

-- C'estune lettre d'un ami de mon cousin.

-- C'estla même écriture qu'il y avait sur des cartes postalessur une photographie. Vous mentez.

-- Il en aenvoyé une à ma mèreà mon père.

-- Votremère ne sait pas que ce jeune homme vous écrit.

Elleavoue.

--Qu'est-ce que vous voulez faire ? Est-ce votre fiancé ?

-- Oh !nonmadame.

-- Vousvoulez donc être sa bonne amie ?

-- Oh !nonmadame. Il m'a vue voilà deux ans. Il se met àm'écrire. Je lui dirai de ne plus m'écrire.

-- Ilviendra à Paris.

-- Oh !nonmadameje l'en empêcherai bien.

-- Vousavez avancé l'horloge.

-- Ouimadame.

-- Vousavez menti pour les cartes postalespour la photographiepour lalettre.

-- Ouimadame.

-- Je n'aiplus confiance en vous. Il vaut mieux que vous vous en alliez.

-- Nonmadame. Je ne veux pas m'en aller. Où est-ce que j'irais ?Maman ne me recevrait pas. Ah ! bienje vais lui écrire de melaisser tranquille.

Elle est bienici. Elle aime cetouvrage-là : on en voit le bout.

4septembre.

L'hirondelleque la pluie ne touche pas.

Il ne saitpas si Rostand est mort.

-- Çan'est pas laiddit-il de Cyrano.

Il liraitbienmais ça l'endort.

-- Il nejoue pas malce type-làdit-il de Coquelin.

Il neconnaît Guitry que par moic'est-à-dire mal.

-- C'estcomme Monsieur Vernetdit-il. Il faut en avoirune têtepour monter ces machines-là !

11septembre.

Ragottegagnait 15 francs chez sa vieille dame. On l'avait mise là deconfiance. Elle était bien nourrieeten gardant lescochonssauf votre respectelle mangeait des bons quartiers de paindans les fossés.

Philippene lui donne jamais un sou. Il achète le painmais pas leslendemains de lessive : Ragotte a dû recevoir des sous de ladame.

Le petitgazouillement d'une oie qui s'endort. Elle se laisse tomber sur leventredonne encore quelques coups de bec à l'herbesefrotte le dos avec son cou qui reste sous l'ailese puce du bec ets'endort. Au moindre mouvement elle s'inquiète.

Doubleoeillet dans le nez. Boutons de bottine dans la tête.

12septembre.

Chevalhirsutecoiffé en souteneur.

21septembre.

Rentréà Paris le 18. Société des Auteurs. De Flers etCaillavet s'arrondissent de plus en plus ; ils montent àl'assaut en roulant.

PaulHervieu me tend la main.

-- Je vousremercie d'être venudit-ilet de ne m'avoir pas faitd'opposition.

-- Je n'yai rien comprisdis-je. Je ne vous ferai jamais d'opposition sur desquestions que je ne comprends pas.

Gérault-Richardne voulant pas me payer 400 francsfeint d'être lié parsa parole à Gignoux et cherche à me persuader que je nepourrais pas suivre les premières.

--Donnez-nous ce que vous voudrezdit-illes crottes de votre esprit.

-- Je n'aique des perles.

-- Desperles si vous voulez. Ça nous est égal.

Relu hiersoir du Taine et du Gautier. Combien Gautier est supérieur !Il a le mot exact de la couleur qu'il faut. Il a les mots de toutesles couleurset il sait les choisir. D'ailleursil ne suggèrepas : il peint directement. Taine s'applique. C'est vraiment un forten thème latinmais la postérité n'aime pasbeaucoup ça.

C'est trèsthéâtrec'est-à-dire très faux.

L'art estun enseignement : il fait voir au lecteur.

-- Tu n'aspas peur ?

-- De quoi?

-- Detout.

Rien quedes succèspas une oeuvre.

De bonservicela Chalude s'offre à passer la nuitmais avecquelqu'un pour causer. Une fois dans le fauteuille café làelle abrutit le malade de ses paroles. Le matinelle retourne àson ouvrage ; elle en est quitte pour bâiller deux ou troisfois de plus dans la journée.

Le coqlui-même dormait. Seulj'étais éveillédans la nuit. Ombres qui ne disent rien et qui m'en veulent. Filet delumière. Reflet de neige. Gens que je ne connais pas. Cettemain qui s'agite au bord du volet.

A cemoment le coq chante. La lumière. La main est une feuille devigne.

Le coqavait chanté aux parois sonores de mon coeuret je merendormis en paix.

Larêveriec'est mon engrais.

L'art :pousser un peu du doigt la vérité.

Je n'aipas de grands malheursmais c'est ma façon de les sentir quiest importante.

Femmeauteur abondante : elle donne le bon à traire.

-- Oh ! jecomprends bien que Madame se méfiedit Augustinemais je neserais pas voleuse pour un pantalon. Madame peut regarder : je n'enmets pas.

« Jecroyais que j'allais être embarrassée à Parismais pas du tout : je m'y plais bien. Ce n'est pas si laid que ça! »

22septembre.

Paris.Beauté du Luxembourg. Fleurs sur les murs. Musique. Toutes cesfemmes assises ont au coeur quelque chose d'agréableunsouvenirune attente.

« Jesuis arrivé à un âgedit Tristanoù l'onne compte plus sur ses projets.

« Jesuis allé à Belle-Isle voir Sarah. Elle n'y étaitpasmais j'ai vu des prisonniers. Ils ont créé unemusiquevont aux concours des villes voisines et gagnent des prix.

«Les pierres de Carnacça ne donne même pas l'impressionde l'encombrement. »

Tainevoulait avoir des impressions de voyage. Gautier les avait.

Loti estun artisteBourgetun intelligent.

Uncritiquec'est un peu un soldat qui tire sur son régimentouqui passe du côté de l'ennemile public.

25septembre.

Cet hommesinistre travaille tout le temps et croit qu'il fait quelque chose.

Unpréjugéc'est une vérité qu'on affirmetrop. Il y a des vérités partoutmais il ne faut pastrop y croireni surtout y tenir.

Guitryaufondest un réactionnaire. Il aime les marquis de Bourgetces beaux pantins qui peuvent avoir raison pendant cinq actes sansdire un mot de vrai.

Il faut seprêter de bonne foi à toutes les expériences. Ilfaut admirer une cérémonie religieuse si elle estbelleet non pas l'aimer ou la détester parce qu'elle estreligieuse.

Nous avonsfait notre éducationformé notre goûtavec deslivres dont la première page était déchirée.On n'en saurait dire ni le titreni l'auteur. C'est le vieux romandépenailléqu'on a lu quarante fois en cachettequi aeu le plus d'influence sur nous.

26septembre.

Peindreles hommes ! Qu'est-ce que ça veut dire ? Il faudrait peindrele fondmais on ne le voit pas. Nous n'observons que l'extérieur.Oril n'est pas d'hommemême de grande valeurquipar sesparolesses attitudes et ses gestesne soit un peu ridicule. Nousne retenons que ses ridicules. Impitoyablel'art ne respecte aucunevertuetle résumé de toutes les expressions d'artc'est que la vie semble surtout comique.

Uneréflexion de paysan qui éclaire un homme jusqu'àl'âmecomme si son corps s'entrouvrait.

Je nedevrais écrire qu'après avoir entendu un air demusique. Des manchettes ne me mettraient pas en étatd'inspiration.

Nosadmirations dont nous ne sommes pas bien sûrs. Un simple «vraimentvous aimez ça ? »du premier venunoustrouble. Nous sentons que nous nous sommes peut-être trompés.De là à lâcher notre admirationil n'y a qu'unjeu d'enfant.

Ah !sauter sur le dos d'un lièvre et filer vers l'horizon

-- Nousallions dans le monde avec Lavedandit Guicheset nous récitionsdes monologues. Il y avait un orchestre composé de troismusiciens et d'un colonelcomme chefqui battait ainsi la mesure :« Undeuxtroisfeu ! »

Mirbeauest un réaliste qui traite la vérité sans tactavec des procédés tout romantiques.

Il ne fautpoint passer plus de temps à parler d'une pièce quel'auteur n'en a mis à l'écrire.

Je ne suisaimable avec les gens que si je suis bien sûr de leur êtresupérieur.

Tel quiveut se griser d'air purs'enivrer sur les hauteursn'arrive qu'às'enrhumer.

29septembre.

Je voyageincognitotrop.

Nous nouscroyons encore jeunes parce qu'on a déjà du respectpour nous.

1er au 10octobre.

Je connaisaussi l'art de me faire dire des choses désagréables enles disant d'abord moi-même : on dit comme moi.

Voyage àBayonne. Un pays presque noir à force de soleil. Trop depoussière sur les feuilles ; les haies en sont blancheset cen'est pas d'aubépine.

J'aime lesLandes entre Bordeaux et Dax. Fougères rousses et bruyèresrougesclairières entre les pins. C'est triste et chaud aucoeur.

Arbresnusavec un bouquet séché au boutplantés dansles villages. Sée ne peut pas me dire leur nom.

Course detaureaux : tristenoir et dégoûtant. Sée s'entire en me disant que c'est une mauvaise course. On le voit bien !

Le matadorlanced'un coup de têtesa calotte en arrière avant defrapper le taureau au bon endroit. Moment dangereux pour le public.D'un coup d'épaule le taureau rejette l'épée malenfoncéequi retombe où elle peut.

EdmondRostand assistait à la dernière course. Il s'étaitcaché au fond de sa logedans la peur de n'être pasreconnu. Je ne suis pas allé le voir à Cambo. Ilm'aurait peut-être lu Chantecler. ÊEtre seul àconnaître cette piècequelle responsabilité !

Le jeu depelote violentmonotone et triste.

12octobre.

Il estbien difficile de résister à Guitrymaisgrâceà Bourgeton y arrive. Il ne reçoit plus que lesacadémiciens et les futurs académiciens.

L'Emigrévraiment une très pauvre chosed'un romancier qui ne comprendrien au théâtre nihélas ! au progrèshumain.

Un vieuxspectateur applaudit à tout ce que disent les officiers. Toutce que dit un officier est bien.

Dèsqu'on le complimenteGuitry se met à raconter de petiteshistoiresavec des temps d'arrêt pour que le reste ducompliment puisse se placer.

Une femmedort à l'Emigré. Allons ! il y a encore deshonnêtes femmes.

Lesderniers marquis ne veulent pas désavouer tout à faitBourget : ils envoient leurs larbins à L'Emigré.

--L'Egypte ? dit Guitry. Des gens qui depuis quatre mille ans sefoutent de nous.

-- On vousaimeme dit Mellot. Beaucoup de gens vous aiment et vous ne le savezpas. Ils sont gênés pour vous le dire.

-- Ouijesais. Ce qu'ils aiment en moic'est surtout le talentet çane peut pas être toujours réciproque.

Séen'a jamais regardé la lune. Au bord de la mer j'improvise unpetit cours d'astronomie avec ce vague qui est ma manière.

-- Je suiscontentdit-il. Quand je verrai Picardje lui dirai : « Lalune est un astre mort. »

-- Renardme dit-ilécrivez donc une lettre au libraire de Bayonne pourlui dire qui je suis.

On leprend là-bas pour un gros fils de famille qui n'est propre àrien.

Biarritzune carte postale. Ils affectent d'admirer la couleur grise desrochersla nuance de ce coin. Quant à ce qui est vraimentbeauils le laissent aux profanes.

Qu'est-ceque ça peut me faire que vous soyez patriotessi vous êtesde malhonnêtes gens ?

-- Lepatriotisme avant tout !

-- Maisnon : avec le reste. Sans le restece n'est rien.

Paul Ackerlui-même reçoit des livres avec « hommagerespectueux ».

-- Çame fait riredit-il.

Mais il nelit que ceux-là.

AParis-Journal il y a un nègre qui refuse votre carte envous disant : « Le garçon va venir. » Ce nègreest quelqu'un.

--Vraimentvous trouvez bien ce que je fais ? me dit Mauclair.

--Infiniment intelligent.

-- Ah ! jene sais plus. Il me semble que je recule. Jamais je n'ai tant doutéde moi.

-- Vousn'êtes pas le seul.

-- Je vouslaisse le livre à 3 francs parce que c'est vousme dit lelibraire de Bayonne.

Beauxhôtelsbelles rangées de tables bien préparéesbeaux domestiques. Il serait dommage qu'un client vînt dérangertout ça.

Basquesdemi-nus tirant du sable de la plage. Boeufs recouverts d'un drapune peau de mouton entre les cornes.

Capus seprésente à l'Académie un peu comme leréactionnairece qui justifierait Hervieu de soutenir Brieux.

D'êtreJuifà notre époquec'est déjà un peude célébrité.

13octobre.

Israëlla pièce la plus intéressante de Bernsteinla moinsbien faite pour le succès.

Une sallepleine de Juifs qui ne se révoltent pasau contrairequandon les abîme sur la scène. Que Thibaultl'ardentantisémitesoit fils de la duchesse de Crancy et d'un Juifc'est possiblemais ça complique tout de même un peutrop la question juivequi n'avait pas besoin de ça. Undeuxième acte à la manière du deuxième duVoleur. On dirait l'accouchement au forceps d'une mèrequi s'aide de son mieuxse prête avec complaisance aux désirsgradués des docteurs. Un dernier cri magnifiquement jetépar Réjane et l'aveu vient. C'est de l'art intelligentcen'est pas de la vie.

Letroisième acte est d'une belle tenue. Je ne me lasse pas desprêtres sur la scène. Je compte sur ce qu'ils vont dire.Le Juif dit des choses pas mal.

Comme lethéâtre rapetisse ! Comme le Cercle de la rue Royale m'aparu fade ! C'est pour ça que la noblesse se trémousse?

Ce queBeaumarchais a fait de mal à la vérité authéâtre ! Boucheur de coinsmonologuespaysan fadasse.

Israëlune pièce d'antisémite un peu lâche parce qu'ilest de la maison.

Antisémitede raceje refuse de l'être en faitparce que je ne trouvepas ça très chic. Les Juifs font tout ce qu'ilsveulentexcepté des chefs-d'oeuvre : çac'est notrespécialité.

Les éclatsde voix de de Max sur un fond de monotonie qui éreinte.

Ce ratéle voilà maintenant royaliste. Il lit L'Action Françaiseet admire Léon Daudet. Il compte sur le roi pour toucher leprix de sa fainéantise. Le roi va veniret les derniersseront les premiers. Il dit qu'il est le plus humble des hommesmaisque personne n'est au-dessus de lui.

-- Quandje n'étais que mauvaisdit-iltout le monde m'aimait.Aujourd'hui que je suis un homme supérieurtout le monde sedétourne de moi.

Il dit àsa femme :

-- Je veuxbien quitter cette maisonmais alorsnous divorcerons. Je ne veuxpas te laisser mon nomdont tu continuerais de te servir.

Son nomc'est celui d'un couturieret c'est sa femme qui l'a fait.

Il boudesouvents'isolemais est toujours exact à l'heure du repaset se met à table sans qu'on l'y invite.

Le paysanc'est un enfant « noué ». Sa jeunesse s'estimmobilisée.

L'homme sedépeint par quelques mots qu'il laisse échapper. Dèsqu'il fait une phrase entièreil ment.

Il y aaussi l'admiration de l'escalier. Une fois dehorson peut trèsbien admirer une pièce qui tout à l'heure vous gênait.Un auteur dramatique est toujours un adversaire. Pendant lareprésentation on se bat avec luion résisteontricheon n'est pas beau joueur ; le rideau baisséonrevient peu à peu à la bonne foi : l'auteur a disparuavec son succès. On est en face de l'oeuvrenette dans lamémoiredégagée de la salledes voisinsdesodieuses toilettesdes odeursdes couloirs. Si elle est vraimentbelleelle s'impose. C'est ce qui m'arrive pour Israël.De mon fauteuilje ne l'ai pas beaucoup aiméemais elle merevient. C'est une oeuvre. Je suis à peu près sûrque c'est ce que Bernstein a fait de mieux. Oui ! C'est non seulementtrès fort : c'est aussi très bien.

15octobre.

AnatoleFrance n'estau fondque le premier des amateurs.

C'estsurtout en amitié que l'hypocrisie peut durer longtemps. Enamouril ne suffit pas de parler : il faut agir. L'amitiépeut se passer longtemps de preuves.

Il y aàNeversune rue qui s'appelle rue du Renard. C'est un commencement.Après ma morton s'y trompera peut-être.

18octobre.

Rouchéle directeur de La Grande Revuevient me transmettre lescompliments de ses lecteurs pour Ragotte et me faire desoffres. Il m'achèterait un droit de première vue sur macopie ; il me paierait ça 1 800 francs par an. Je le sensroublardhésitantavareetmoije me sens stupided'indécision et de modestieet je le sais.

Et puisil me demande si j'ai jamais fait de la critique.

Nulle partmieux qu'à Chantilly je ne sens que j'étais népoëte et quesi je n'avais pas eu à vingt ans lephylloxera du versj'aurais flanqué une tripotée àMme de Noailles elle-même.

Nous fûmesreçus avec tant d'allégresse que Marcel Boulenger avaitd'avance payé le cocheret qu'à l'arrivée dutrain ce cocher avait disparu.

MmeBoulenger va bien à cet admirable pays.

Il y a surla pelouse des corbeaux qui semblent apprivoiséset deuxalouettes qui semblent chez ellessur leur tapis.

Beauxcygnesle dos trop rondle gouvernail de la queue un peu épaiset lourdmais blancs et gracieux tout de mêmepurssauf aubec rouge et aux pattes gantées de noir comme les brasd'Yvette Guilbert. Les carpes frôlent le ventre des canards etsoulèvent l'eau d'une faible houle.

Un paonconscient et bien dressése perche sur l'appui d'une fenêtrebeau sans le faire exprès.

Larivièrela Nonettea des rives tirées au cordeaumais elle coule. C'est la nature arrangée ; ce n'est plus laforêt impénétrable. Faut-il s'en plaindre ? Nefaut-il pas admirer cette longue allée sous cette voûted'arbres ? Etlà-basau bout de l'alléele soleilqui est déjà à fleur d'horizon. Làen unmois j'écrirais un chef-d'oeuvre. Làj'aurais beaucoupplus de talentsi je ne mourais pas d'ennui.

C'est beaucomme Versailleset plus varié.

Grandesécuries videshautes et fraîches comme une cathédrale.

L'eaulimitée par ses bords comme le miroir par sa bordure.

Combat descoqs de Marcel Boulenger. Ils se jettent l'un sur l'autre avec lamollesse d'un dialogue sans verve.

Perspectivesqui finissent toutes au même horizon lointain.

Canards auvol aigu et rapideporteurs de dépêches aux roseaux.

On voit deces décors au théâtremais c'est en carton etfacile à faire. Icic'est en arbresl'oeuvre des siècles.

Ackerunhomme charmant dont on dit : « Quel dommage qu'il fasse deslivres si ennuyeux ! »

N'écoutantque son couragequi ne lui disait rienil se garda d'intervenir.

20octobre.

Capusdéfinit le succès : « La valeur personnellemultipliée par les circonstances. » Il y vient.

L'Iledes Pingouinsquelques pages du meilleur Anatole France àtravers le plus mauvais et le plus ennuyeux Anatole France.

23octobre.

Ellem'apporte son livre. Une petite femme vieillotteaméricainebavardeet pourtant timidecar sa voix tremble. ElémirBourges lui a bien recommandé de m'apporter un exemplairecorrigé. Elle souffre d'une faute d'impression. Elle n'espèrepas avoir le Prix cette annéemais plus tard. Elle aimait etadmirait tant Goncourt ! Elle voudrait être couronnée unpeu par lui à travers nous. Dans sa dédicace ellem'offre avec crainte du rêvedes pleursdu sang. Pauvrepetite jeune vieille !

Mirbeautrès frappé par ses crachements de sang noir. Il nesouffre pas. Il mange bienil doit bien dormirmaiscomme lesmédecins lui disent qu'il faut prendre des précautionscet hiveril s'inquiète.

Cet étéil était à Contrexéville avec Jaurès etun Russe immensément riche. Jaurès très gentiltoujours aussi mal vêtumaisdit Mirbeauil souffre de soninélégance. Le vrai socialiste peut connaîtretoutes les joies artistiques. Si Jaurès avait suil auraitappris l'art de choisir ses cravates.

Mirbeaul'a promené en auto. Jaurès aime beaucoup ça. Ill'a emmené voirà Epinalun Rembrandtmerveilleuxmon cher ! Et personne ne le connaît ! C'est admirable !

Jaurèsest très bien avec le Russequi dit :

-- Je paie1 500 000 francs au parti révolutionnaire russe pour qu'il melaisse la viela vie seulement. Mes biensdame ! ne sont pasgarantis. Grâce à cette sommeje dors à peu prèstranquillemais je cours le risque d'être pendu par le tsarparce que je soutiens le parti révolutionnaire. Les mines depétrole rapportent 800 % : elles ne peuvent pas rapportermoins.

Il vaacheter une partie du Caucase. Il invite Jaurès àdéjeuneret il a la délicatesse de lui offrir unmodeste repas que Jaurès puisse lui rendre.

Quand onpeut voir si nettement les défauts des autresc'est qu'on lesa.

26octobre.

On esttoujours étonné de voir un homme et une femme restercôte à côtesilencieux et froids. On oubliequ'ils couchent peut-être ensemble.

28octobre.

L'imageestdans le styleun germe de corruption.

Lecompliment est agréable comme un petit vent du nordmais ilne fait pas marcher à la voile.

30octobre.

Je mesouviens quelquefois d'avoir été homme de lettres.

31octobre.

Il y a desmoments où tout réussit. Il ne faut pas s'effrayer : çapasse.

2novembre.

Il fautqu'une note en dise plus qu'une page ; sinonelle est inutile.

3novembre.

Qu'est-cequ'un beau livre que personne n'a remarqué ?

4novembre.

DînerGoncourt. Paul Margueritte ne vient toujours pas. C'estànotre Académiece que nous avons de mieux comme AnatoleFrance.

HenniqueRosny aînéBourgesDescavesGeffroyDaudet et moi.

Bourgesune pauvre vieillerie en art et en politique. Ses yeux brillent quandil parle avec Léon Daudet de L'Action Française.

-- Ensommedit-ilc'est le seul journal vivant.

Des deuxc'est lui le plus réactionnaire et le plus déplaisant.Léon Daudet a toujours quelque chose de gamin. Dreyfus fait unprocès à son journal et lui réclame 200 000francs. Daudet ne cédera pas. Il est plus antisémiteque Drumont parce qu'il est plus jeune. Il bousculerait Meyer et sonGaulois.

Quelqu'undit :

-- Dreyfusvous fait un procès ! Il ne veut donc pas se tenir tranquille? Il n'a donc pas assez de Gregori ?

Geffroyseul proteste.

-- Ah !nondit-il. Il a bien le droit. A sa placej'en ferais autant.

-- Moiaussirépond Daudet.

C'est unmilieu oùsi l'on ne se surveillait pason lâcheraittrès vite ses amis juifs et les idées auxquelles ondoit tenir.

Meyer adit à Richepin élu académicien :

--Maintenantvous pouvez m'appeler Meyer.

On parlede livres.

-- Cen'est riendit Bourges de L'Enfer.

Henniquene l'a pas achevé. Daudet déteste le voyeurqui nel'excite pasmais il trouve du talent à l'auteur. On faitmeilleur accueil à M. V...mais on les considèreBarbusse et luicomme des hommes connus. Hennique prétend queBarbusse gagne 18 000 francs à Femina. Mme Bodèven'aura pas une voix cette année. Bourges parle de Miomandre.

Descavesparle de L'Immoléet de La Blessure dontl'auteur est venu le voir : un gentil petit garçon.

Hennique :

-- Je vaisvous dire ce que pensait Goncourt... Je vais vous dire commentfaisait Maupassant.

Et tous seplaignent : Geffroy a eu un pointHennique suffoque le matinDaudetcroit vieillir.

Rosnyn'est pas vieuxmais il a déjà l'air vénérable.On l'interroge sur ses livres. Il s'étonne avec nous de sevendre si peumais il n'a pas l'air d'en souffriret il a une hauteconscience de sa valeur.

Bourges secroit un peu méconnucomme Barbey d'Aurevilly.

LéonDaudet est allé dînerun soirau Café de Parisen bas où l'on mange très mal. Pour être mieuxserviil a fait allusion à l'Académie Goncourtmaison ne la connaît qu'en haut.

ChezGuitryà l'EmigréCapus est de toute beauté.

-- Nondit-ilHervieu ne votera pas pour moi. Il est engagé avecBrieux parce qu'il a fait avec lui un four qu'il n'aurait peut-êtrepas fait tout seul.

Il selance avec ces vieux messieurs de l'Académieest incomparableettout à coups'arrêtese sentant seulparce qu'ilsn'y comprennent rien.

11novembre.

Tristan medit :

-- Capusdemandait à Vandérem : « A quoi Hervieu doit-ildonc sa haute situation morale ? » Vandérem lui arépondu : « Moitié à son caractèreet moitié au vôtre. »

«Capus a dû nous nuire auprès de Guitry etsinon luiparler de nous avec méprisdu moins insinuer que nous nesommes pas assez importants ni sérieux. Je n'ai plus aucunplaisir à soumettre à l'opinion de Guitry ce que jefais.

-- C'estpeut-êtredis-jeque Guitry n'est pas ce que nous avons cruun homme de goût très épuré.

-- Ouic'est un homme qui se tenait bien grâce à nous. Il fautle mettre en selle. »

Tristantrouve délicieux Le Cousin de Roseet aussi les Motsd'Ecrit. Je devrais étoffer certaines répliques duCousinun peu trop rapides.

Hier soirune lettre m'informe que La Gloriette est presque vendue. Changementde direction. La Gloriette meurt. Espérons que le livre vavivre ! Il est temps de faire retraite à la maison paternelle.Je laisse La Gloriette. Est-ce pour habiter la gloire ?

LéonDaudet ne s'intéresse plus du tout à la littérature.Qu'est-ce que c'est que ça ! Il ne jure que par MaurrasceTalleyrandet installe son roi sur le trône. Tant pis si on enfait tuer quelques-uns !

Un hommede lettres ne doit être qu'homme de lettres. Tout le reste estlittérature.

18novembre.

C'est lapremière fois que je viens au Matin apporter un articledemandé. Quel magasin ! Je demande :

--Monsieur Jouvenel.

--Monsieur de Jouvenelrectifient les garçons.

Unmonsieur que je connaiset dont je ne sais pas le nomme salue. Iln'attend rien. Il vient dans cette antichambre pour son plaisircauser avec quelqu'un de rencontre.

M. deJouveneltrès cordiallit l'article et le trouve àson goût. Il me demande des contes. Le public y revientabesoin d'en liren'importe quoiou n'importe qui.

-- Lescontes ne sont pas bonsdit-il. La jeunesse est sèche. Pasd'émotion. Vousvous savez.

19novembre.

Odéon.Conférence de Tailhade. Quelle stupeur ! M. Thiers s'avancemet ses lunetteslit un discours sans une nuancedéclameavec des gestes de vieux curé et des sourires de cabot. Jen'écoute pas. Le public adore ce qu'il ne comprend passi çalui paraît harmonieux. Une pièce insignifiante deCalderon.

20novembre.

Augustinedit :

-- Vousenvoyez la lettremadame ?

-- Ouimafille.

-- Je nem'en irai pas chez nous. Ma mère ne veut pas de moi. Pourvuque je gagne ma vieelle se fiche bien de moi. Elle me calotterait.Je ne veux pas m'en aller.

-- Je vousmettrai dans le train.

-- Jedescendrai à la première gare. Je reviendrai àParis chercher une place.

-- Mais sivous n'en trouvez pas ? Vous ne savez rien faire.

-- Je neveux pas m'en aller. J'aime mieux être mendiante.

-- Vousvous ferez ramasser par les sergents de ville.

-- Alorsj'aime mieux me détruire.

-- Vousdites des bêtises. Ecoutezj'ai pitié de vous. Votremère vous a confiée à ma garde. Cette lettrejene la déchire pas. Je la garde. A la première bêtiseque vous ferezje l'envoie à votre mèresans vousprévenir. Elle fera ce qu'elle voudramais vous ne resterezpas un jour ici.

-- Oh !madameje vais bien travailler. Je ne mentirai plus. Je n'écriraiplus de lettres à mon amoureux. D'abordje ne lui ai écritque deux fois. Je ne mangerai plus d'aile de poulet que vous mettezde côté pour monsieur. Je ferai bien attention àla poussière.

-- OuiAugustine. Vous n'êtes pas mauvaise : vous êtes tropjeune. Nous avons tort de prendre des bonnes aussi jeunes que vous.Icivous pourriez vous faire une vie doucemettre de l'argent decôté. Vous n'avez qu'à écouter ce que jevous dis. Vous avez bien compris ?

-- Ouimadame. Ah ! que j'ai eu chaud ! Je vais boire un coup d'eau àla carafe. Madame ne me chasse pas ?

-- Nonpas tout de suite.

-- Jereste ?

-- Ouiprovisoirement.

-- Ah !madame va voir ! Madame va voir !

21novembre.

Oh ! lesgens abominables qui nous écrivent un mot avant d'avoir lunotre livre !

Ragotte.Ça ne part pas comme du painmais ça s'enlèvetout de mêmeselon Vezierle commis de Floury.

-- Est-ceque vos personnages ne sont pas du Cher ? dit-il.

-- Non. DuCentre.

-- Parcequemoije connais en Normandie une vieille femme qui parlait aussid'un « caraco victorieux ».

22novembre.

Le succèsmatériel n'a pas l'air de vouloir correspondre au succèslittéraire.

24novembre.

ChezBrandès. Les livres de Barbey beaux comme des toréadorsdédicacés avec du sang rouge et du sang bleuet desflèches.

A quatorzeans elle se tordait de rire et était obligée des'asseoir sur l'escalier quand elle le voyait arriver avec une peaude chèvreun chapeau à larges bords doublés develoursdes bottines à sous-pieds qui lui étranglaientles piedsun pantalon blancdes gants blancs avec baguettes d'or.Peu à peul'adoration de ce vieillard comique toucha la jeunefille. Aux débuts de Marthe il ne voulut pas entrer authéâtre. Il resta au café procheoù onlui apportait des nouvelles aux entr'actes. Le jour de sa mortill'appela par lettre ; mais la lettre futparaît-ilinterceptée.

Et sabibliothèque a été dérangée parson domestique. Elle se précipite. Ce qu'elle va passer unesoirée là-dedansdemain ! Ah ! ils vont voirleslivres qui se sauventles livres qui se couchent ! Et elle me confieque Capus n'est pas relié. Quelqu'un a dit que ses reliuressont une confession. Mais elle a goûté Emile Pouvillonet le premier René Bazin !

-- Je suisfièredit-ellequ'un homme comme vous ait remarquéque je ne suis pas si inintelligente que ça. Puisque vousvenez chez noushein ? pas ? c'est que vous ne me trouvez pas tropbête.

Et quellevariété de tons ! De phrase en phrase elle imiteLavallièreou Sarahou Porelou la petite fille qui causeavec le petit garçon. Quelle grâce ! Quelle élégance! Quelle sobriété de toilette et de taille ! C'estvraiment une belle créature.

Ah ! quej'écrirais de belles choses dans un journal qui n'aurait pasun lecteur !

26novembre.

Honnêtehomme pour me singulariser.

DînerGoncourt. D'abordtout va bien pour Viollis. Puis on passe àMiomandrele candidat de Bourges.

SeulHennique me parle de Ragottequ'il aime. Les autres ont reçule livre.

On demande:

--Pourquoi Margueritte ne revient-il pas ?

-- Il ahontedit Bourges.

Je demandes'il faut être discretet jusqu'à quel pointàpropos de l'Académie Goncourt. SeulLéon Daudet me ditqu'il faut tout dire. Il n'y a que la vérité quicompte.

Rosny aînéa seul le courage de trouver bien Barbusse.

Geffroy etDaudet voudraient lire mes notes.

-- Vousavez trop de pudeurdit Geffroy.

On parleantimilitaristes. Mon avis est que tout le monde l'est en temps depaixet qu'en temps de guerre personneou presquene le serait.

27novembre.

Ce quim'étonne surtoutc'est ce coeur qui marche toujours.

28novembre.

Séailles.Je me fais re-présenter à lui chez Floury. Intimidédevant l'ancien maîtreje me tiens avec mon petit chapeau àla main. Aussitôtil improvise une théorie pour meprouver que Fantec fait sa médecine par réactionmaisqu'il me reviendra. Il n'a pas dû cesser de parler depuisvingt-six ans que je ne l'ai vu. C'est bien grâce à luique je ne sais pas un mot de philosophie.

30novembre.

Géraultavoue que son journal perd une trentaine de mille francs par mois.Comme je lui reproche de ne payer les contes que 25 francsil m'enmontre une pile sur sa table. Il en reçoit en moyenne troispar jour. Il pourrait ne les payer que 10 francs : il en recevraitautant.

Il necroit pas plus à la morale qu'à Dieu. Il me reproched'être un moraliste amerpas gai. Il se reproche d'avoirsouvent été ridicule de bonté. Il admet tout. Ilne juge personne.

4décembre.

ChezBoylesve. Et je ne reconnaissais pas sa femme aux jeudis de l'Odéon! Elle avait l'air d'une fillette avec son papa. Avec son mariellea à peine l'air d'une femme.

Hôteldomestiques qui se foutent de nous. Les dames dînent enchapeau. Jet d'eau dans une courmais Boylesve n'ose plus le fairemarcher. Il le cache même derrière des rideaux.

Boylesveun homme qui souffre physiquementje croiset dans son coeurlittéraire. On a dû le traiter d'amateur. Il souffrepeut-être aussi du succès (?) d'un Henry Bordeaux.

DînerGoncourt. Je vois tout de suite que nous serons quatre pour V... :Léon DaudetMirbeau qui vote par lettreau premier tourpour un riche amateuretau secondpour V...Geffroy et moi. SiRosny jeune votait au second tour pour V... comme me l'avait affirméLéon Blumil déterminerait sans doute son frère; mais il vote pour Miomandreet c'est son frère qui vote audeuxième tour pour V... et revient d'ailleursau troisièmeà Miomandre.

-- V...dit Bourgesa eu l'audace de me faire communiquer son budgetrecettes et dépenses. Je ne comprends pas qu'on s'attendrissesur lui. Il est riche. Il a son loyer et 6 000 francs.

-- Quatremilledis-je.

Enréalitéil en a cinqmais je ne le savais pas.

Jeproteste parce qu'en cas d'égalité le présidenta deux voix.

-- On atoujours fait ainsidit Descaves. Je vous montrerai lesprocès-verbaux.

-- Je nel'admets pasdis-je.

-- C'estdans les statuts. Goncourt l'a vouludit Henniquegêné.Maismoije veux bien qu'on recommence.

Et onrecommencemais pour la forme. Rosnyconsidérant le votecomme acquisvote pour Miomandrequi a six voix contre quatre àV.... Je proteste aussi contre le vote par lettre. Hennique n'a pasmontré celle de Margueritte. Et comment convaincre un monsieurqui ne vient jamais ?

Sur mapropositionils décident d'inviter à dîner lecandidat heureux.

Au Foyer.Mirbeau n'aime pas que je préfère Les Affaires...

- Moidit-ilun peu piquéj'aime mieux Le Foyer.

Etpourtantmalgré la belle scène du troisièmeactej'ai raisonet la répétition généralel'a prouvé.

Dans laloge de Féraudy. On commence par des complimentshyperboliques. Tout à coupl'un de nous ayant dit : «La seule chose que je n'aime pasle seul reproche que je fasse... »ça devient dangereux.

Visite deViollis. Il affecte l'indifférence.

-- Neparlons plus de çadit-il.

Il lit ence moment les Mots d'Ecritqui me complètent. Il ditquedans mon oeuvreil n'y a pas de graphique de fièvre.

Trèsintéressant lorsqu'il parle de la Chambre.

-- Jaurèsdit-ilest un grand hommemais ce n'est pas un individu sensible.Il ne rend rien en sympathie. Cet homme merveilleux ne cache aucunetendresse. Est-ce une force de plus ou une lacune ?

9décembre.

L'Oiseaublessé. Un premier acte éblouissantet puisonaime moins le deuxièmemoins le troisièmemoins lequatrième. Fâcheuse progression ! Le sujet est graveetle fond reste légeretdeux femmes dans Eve Lavallièrec'est beaucoup. Quand l'une fait place à l'autrela femmelégère à la femme gravecelle-ci garde les ticsde l'autreet le public ne marche plusun peu étonnépar ce changement subit. Au troisième acteEve l'a sentietsa grande scène n'a pas porté. Guitry est énervé.Capus l'optimiste s'obstine à dire qu'il est trèscontentavec des clins d'yeux assez inquiets aux amis. La vie l'atrop habitué à la légèreté : il nepeut pas aller au fond d'un sujet. Sa pièce manque de poids.Ses personnages vivent à peine. Leurs aventuresqui enaccableraientles égratignent tout juste. Ils tombent sansfaçons et se relèvent sans effort.

Je croisqu'il n'a pas une vie assez solide pour écrire des choses quidurent.

Mme Capusn'applaudit pasmais elle s'arc-boute à sa baignoire et tapedu piedsoulevant un nuage de poussière. Elle est vexéeparce que La Jeunesse est en veston.

Ilsappellent caricature le relief qu'ils ne voient pas.

Augustinesouffle sur le tison jusqu'à ce qu'il s'éteigneetelle croit que c'est elle qui l'a éteint.

-- Icidit-elletous les jours on mange mieux que les jours de fête.

Sa soeurva bientôt se marier : elle a 120 francs et son lit.

-- Je nesuis pas meilleure qu'une autredit-ellemais je sais bien faire unoeuf sur le plat.

«Quand je saurai me tailler une chemiseje ne serai pas bête. »

Un de cesdimancheselle va se laver la tête hardiment.

Le jour del'anelle enverra à son père du pain et des oranges :c'est assez.

Sa mèrel'a placée à onze ans pour « foiner »pourécosser des haricots. Elle gagnait deux sous de l'heurequ'elle donnait à sa mère.

-- Lesvoisines me disaient : « Et ta soeuron ne la met donc pas enplace ? » Ma mère répondait : « Oh ! sasoeur s'occupe à la maison. Elle aide bien ! » Cen'était pas vrai. Elle s'en foutaitma soeurde la maison.Elle jouait à la poupée avec les autres gamines.

12décembre.

J'attendsun article de Boylesve au Gauloiset chaque matin j'achètepour mes trois sous de déception.

Un bouchonà la fenêtre qui tâchaità cause du ventde s'agripper au mur.

13décembre.

On ditd'un mot qu'il est profond quand il n'est pas spirituel.

--Qu'est-ce que Dieu ?

-- Vousm'en demandez trop.

22décembre.

Je ne suisque broussailleet il fautchaque foisque je buissonne pourtrouver la perdrix.

Dans nosamitiés et dans nos amoursil y a aussi une vache enragéequi se promène.

Capus faitses visites. Il va voir des Ollivierdes Massondes Vogüé.Celui-ci votera pour Brieuxce Tolstoï de France. Hervieu n'estpas irréductible. Donnay est le voisin de campagne de Brieux.Richepin a poussé des cris de paon. Comment donc ! Est-ce queça se demande ? Pour qui ? Ouipour qui ? Mais pour Capusvoyons ! Lemaître est le parrainavec Bourget. Loti a écritune lettre très gentille. Barrèsoh ! une de ceslettres comme il sait les écrire.

Je suis ungros confiant et un gros défiantselon Marinette. Madéfianceje la connais. Ma confiancec'est de croire queTristan s'occupe de moide ma piècede mon livred'unarticle sur mon livremais il s'occupe de lui. Il travaille beaucoupet se repose au poker.

Maconfiancec'est de croire que Capus lit Ragotte et l'admire ;mais il ne l'a pas lu. Il s'occupe de l'Académieet il est unpeu surpris de n'avoir pas reçu un mot de moi au lendemain deL'Oiseau blesséquand j'en attendais un de lui surRagotte. Et Mme Capusqui fait une visite à Marinettene parle que de la pièce et des visites académiques.

23décembre.

Il fautsavoir négliger son style pour paraître plus souple.

On se metau travail. Longtempsrien. On ne cherche même pas. Tout àcoupà je ne sais quel souffle qui passele feu prend.

Je suis àma table de travail comme l'âne dans le box. Je lis et jeparesse. Mon esprit mange et rumine.

Augustinequand elle voit arriver le chou-fleur au gratin :

-- Hé! làdit-ellequ'on va bien vivre !

Elle mangetropdigère mal et bâille des coups !... Sauf le gigotet la viande pas assez cuite. Elle est obligée d'ôterson corset pour laver sa cuisine.

Le soirelle s'endort comme une souchemais elle a des cauchemarscriechante et flanque tout par terre.

24décembre.

Paysans.Ils viventl'hiverendormisbouchés comme des escargots.

Dieu. «Aux petits des oiseaux il donne la pâture »et il leslaisseensuitel'hivercrever de faim.

Pourl'oeil qui sait voiril n'y a pas une grande différence entreun bel horizon et une vieille cheminée.

Je me suiscomporté avec les paysans comme avec la natureles bêtesl'eaules arbres.

Ce que jedis d'un arbre s'applique à tous les autresmais c'est en enregardant unet non tel autreque j'ai trouvé cette imagequi transmet au lecteur l'impression communicable.

Athis medit :

-- Il y ades femmes qui disenten regardant votre livre : « Moij'avoue que je ne peux pas m'intéresser à des histoiresde petites gens. »

25décembre.

Nousn'avons de respect que pour le solennel.

26décembre.

La viegraved'abordheureusesi possible.

Soudain jeme dis : « Il ne faut rien négliger. » Pendanttrois jours je réponds aux lettres les plus insignifiantes.Puistrois mois d'indifférence.

Un motpeut échapper aussi à la plume.

28décembre.

La vieillefille dévouée et son chien.

-- Votrechien puemademoisellelui dit un monsieur.

-- Nonmonsieur : c'est moi.

29décembre.

Il y a deséloges qui sont des critiques. Presque toutes les critiquessont des éloges.

Qu'est-ceque le printempscomparé à la neige !

30décembre.

Paysans.Ils se couchent à cinq heuresdorment jusqu'à uneheure du matinse réveillentet s'ennuient jusqu'à cequ'il fasse jour.

Est-ce queje vais m'endormir tout à fait ? Découragementtorpeur.

Puis unelettre avec un compliment me donne un peu de vie passagère.



1909

1erjanvier.

La lunedéesse du silence.

-- Hé! que je vas bien travailler ! dit Augustine. Ah ! j'en aidesjolies étrennes ! Une montreune chaîne ! Hé !làMadameque je vous aime.

«Jamais je n'ai été étrennée commeaujourd'hui. »

Jepourrais recommencer tous mes livres en desserrant.

2 janvier.

Je faisdes voeux pour vousmais je souhaite qu'ils ne se réalisentpas.

5 janvier.

L'homme degoût s'entraîne à mépriser les grandshommes.

Je ne medéciderai jamais à ne plus aimer Jules Lemaître.L'idée même qu'il me fera fusiller quelque jour nemodifie pas mes sentiments. Presque tous les hommes de ma générationfurent ses obligésje veux dire : de sa critiquebienveillante.

De tout lepassé qu'il vanteje ne regrette que lui. Je sais ce que vautcertaine critique d'aujourd'huila critique d'idées générales: c'est le prolongement de l'affaire Dreyfus. Je n'aurais jamaispensé qu'il y eût tant de mérite à êtredreyfusard incorrigible. J'ignore si je serai royaliste. On m'a ditque le duc d'Orléans aimait L'Ecornifleur. Il n'enfaudrait pas plus à un véritable homme de lettres pourqu'il changeât d'opinion politiquemais je resterai dreyfusardavec ceux qui croientde parti prisà l'innocencecontreceux qui affirmentde parti prisla culpabilité.

Lemaîtrenous tendait la main en pleine gloire. Ce n'était ni un hommeaigrini un homme qui veut se faire connaîtreni un penseuraveuglesourdet maigrement nourri d'idées généralesvides. Je l'ai traité durement : je me le reproche. C'étaitmaldans un journal où l'on ne signait pas. C'étaitpis : c'était un crime passionnel. La tête sous lecouteauje ne recommencerais pas.

6 janvier.

Il ne fautpas blaguer les amis : c'est encore ce qu'on a de mieux.

10janvier.

Marinetteet sa figure illuminée quand elle allume une omelette au rhum.

19janvier.

Pour bienlire ce qu'on a écrit il fauten le lisantle repenser.

Je trouveirrespectueux d'appeler La Fontaine « le bonhomme ».

Le coeurbat comme un fléau dans une grange.

23janvier.

Douéd'une heureuse mémoire qui me permet d'oublier instantanémentn'importe quelle lecture.

J'arrive àme défier de ma défiance.

27janvier.

DînerGoncourt. Francis de Miomandre en est. Très jeunevingt-septansun petit mousquetaireun gosse avec de l'aplombbien décidéà ne pas avoir l'air gauchequoi qu'il arrive.

Mirbeau nevient pasà cause de Léon Daudet dont le journal a étéodieux à propos du Foyer. Daudet dit qu'il ne peut pasretenir ses rédacteurs.

De noshommes d'affairespas un n'est venu. On dit que Poincaré nese soucie pas de dîner chez Goncourt depuis qu'il dîne àla Comédie-Française.

Rosnyparle des cinq ou six livres qu'il mène de front. Geffroysemble malade. La figure du loup Bourges prend des teintes de bois.

1erfévrier.

Augustinefrileusefait les chambresfenêtres ferméeset secoueson torchon au-dessus du tapis.

Elle mangetellement qu'elle n'ose plus dire qu'elle a mai à l'estomac.

Motsd'Ecrit. Je viens de les relire. Le naturelc'est l'amour de lavérité. L'imagination esten toutune odieusecorruptrice.

8 février.

A Chaumot.Philippe pas « ébuffé » par la vente de LaGloriette. Il servirait bien avec mon successeur. Il estcomme unchatplus attaché à la maison qu'à moi.

Comme jedis et répète : « Votre pain sera assuré»Ragottequi avait tant de plaisir quand « madameJules » venaitrépond :

-- Nousvous remercions bien.

MaisPhilippe ne dit riencomme s'il n'y croyait pasou que cela luisoit dû.

-- Jeferai votre jardin là-hautdit-ilet je travailleraiailleurs.

-- Oùdonc ?

-- Oh ! jene suis pas en peine.

-- Vousn'êtes plus jeune.

-- On peuttravailler jusqu'au bout.

--D'ailleursje serai toujours làdis-je. Vous ne manquerezpas du nécessaire.

Il sedécide à dire :

-- Je saisbien que monsieur ne me laissera pas dans l'embarras.

Mamangémissante au creux d'un fauteuilmais bien vite elle renaîtdevient grigneles yeux mauvais parce que Marinette ne marche pas.

-- Quelsuccèsle livre de Jules ! dit-elle. Tout vous réussità vous. Elle l'a acheté parce qu'Amélie lui aécrit qu'elle n'en trouve pas à Saint-Etienne. Elle amême été étonnée de ne le payer que27 sous. Elle croyait que tous les livres coûtent 3 francs.

-- Il afait un froidcet hiver ! dit-elle.

-- Vousaviez du bois pour vous chauffer.

-- Ouidubois à 45 francs la corde ! Personne à voirici.L'autre jourje voulais aller à La Gloriettemais j'ai étéprise sur le pont du canal dans un tourbillon de vent. Je n'ai pas pualler jusqu'au bout. Ça m'a désoléeparce queRagotte m'avait fait dire qu'elle serait si heureuse de me voir !

9 février.

Hiermortde Mendès écrasé par un train. Lui qui étaitun homme d'espritil détestait l'ironie. Il n'admettait quecelle de Courtelinece quid'ailleursnous suffit.

Pourquoisa mort m'attristerait-elle ? Je lui fus toujours indifférent.il reprochait à Rostand ses négligences.

--Dites-lui donc çame conseillait-ilvous qui le connaissez.

Producteurpeut-être ; travailleurnon.

Une vanitési prodigieuse qu'il n'aurait pas pu la mettre en vers. A côtéde luion se sentait médiocre ; à quelques pasonétait bien tranquille.

Un hommepour qui le monde extérieur n'existait pas.

Saconversation était comme ses duels : il battait l'air dephrasesil se découvrait. On n'osait pasd'une répliquele dégonfler.

Ce poëteavait quelque chose de bourgeois. Comme les bourgeois arrivésil méprisait les petites gens.

Il croyaitau peuplequ'il n'avait jamais regardé.

On a ditqu'il était beau comme un dieu. Personne n'a osé direqu'il fût beau comme un homme.

Inclinez-vousmais au moins dites : « Parce qu'il est mort. »

Illustre àforce d'abondance.

Province.Le retraité qui ne peut plus boire et qui ne va au caféque pour payer sa soucoupe 025 F. Tout bénéfice pourle cafetier.

Deuxtisons qui croisent leurs petits moignons.

Maman vaoffrir une croix sur ruban au curé de Corbigny parce qu'il abien voulu venir à Chitry faire les offices pendant que Chitryn'avait pas de curé.

Mendès.Une pleine rue de monde à son enterrement. Chacun y traite sesaffaires. On se demande déjà : « Vous avezquelque chose en préparation ? » Richepin parle au nomde la poësie. Capus me demande si j'ai une idée de ce queje serai quand j'en serai là.

On sautesur les tombes. Le garde crie de descendre.

-- Vousdevriez comprendre... lui dit quelqu'un.

-- Jecomprends qu'il ne faut pas marcher sur les tombes. Il y en a quidevraient le comprendre mieux que moi.

On semontre le fils de Verlainegros gars robustechef de je ne saisquelle gare du métro.

-- J'aitrop travaillé pour les autresdit Capus. Je vais me retirerà la campagne sept mois sur douze et travailler pour moi.

C'estl'heure où sur le toit les cheminées prennent desformes humaines.

Mendèsétait tout ce que je n'aime pastout ce que j'enviepeut-être.

Capus meconfesse le plaisir qu'il a à lire des grammaires. Il esttemps !

Augustinen'a pas d'économies. Elle dépensait tout son argent às'acheter des sucres d'orge et des livraisons illustrées. Elles'ennuyait ici. Elle veut retourner au payschercher une place dansune fermeet danser tous les dimanches.

Assembléedes auteurs. Un monsieur se fait présenterM. BlochduGauloispour me dire que Ragotte est un chef-d'oeuvre.Je ne trouve encore rien à répondreque cette pauvreté:

-- Oh !alorsça vous a plu. Je vous remercie.

CoolusAthisd'autresme disent qu'on parle de moi pour prendre lasuccession de Mendès au Journal. Nozière auraitdit : « Ce serait un excellent choix. » Je ne dis rienpour jouir plus longtemps de propos qui me flattent ; au fondjesuis bien décidé à ne pas tenter l'aventure.D'ailleursje ne vois pas Letellier songeant à moi. A quoiservirait la modestiemême fausse ?

16février.

ChezAntoine. Lecture de La Bigote. Antoine en retardj'ai letemps d'aller dans la salle voir un peu d'Andromaque.

Des logeset des loges vides. Des spectateurs arrachéstrous defauteuils. Pauvre théâtre ! Immense carrésinistre quand les libraires ont fermé boutique. S'il n'yavait pas les pissotièresquelles raisons aurait-on d'allerlà ?

Antoines'excusetrès gentilpresque affectueux.

Je luidemande :

-- Commentça va-t-illàsérieusement ?

Etavecune éloquence cocassepleine de vanité et decontradictionsil me dit où il en est : 400 000 francs dedettesla certitude de n'en jamais sortir. Rien ne fait rien. Lethéâtre est mortle public s'en fout. Il ne veut pascéder : il mourra là. Plus d'une fois il s'est dit : «Oh ! si je mourais donc d'une attaque foudroyantedans un incendie!... » Il ne veut pas aller sur le boulevard : ça nel'amuserait pasà moins d'emporter l'Odéon avec lui.Cette idée séduit Clemenceau et Briand. On ferait del'immeuble une boîte à musique bi ou trihebdomadaireeton porterait l'Odéon à la Gaîtéparexemple.

Mais s'ils'en va sur le boulevard sans l'Odéon sur son dosc'est touteson oeuvre perdue. On dira : « Ce n'était rien. Çan'a pas réussi. Ça n'a pas pu devenir officiel. »

Il en a vude toutes les couleursmais il est encore plein de vie. Il veut sevengerles mangerles dévorer.

-- J'aiagi comme un idiot ! dit-il. J'ai monté de belles chosesçan'a pas fait le sou : c'est injusteet des ordures pour gagner del'argentça ne fait pas un clou : c'est bien fait !

Il adépensé 20 000 francs pour Tartuffe : on l'ajoué quatre fois. Andromaque ne lui coûte rienparce que Sarah lui a tout prêtémais avec n'importequoidans ce théâtreon perd de l'argent. JulesCésarce qu'il a le mieux réussifait dix sallespleinespuis ça tombe à rien. Excepté Trarieuxpersonne ne sait qu'il avait 300 000 francs de dettes en quittant leboulevard de Strasbourg. Il a voulu fondre cette dette avec l'Odéonet tout sauverou crever.

Il estentouré de salaudsmais Briand et Clemenceau ont étéadmirables. Un jouril avait besoin d'un bout de ruban pour avoir100 000 francs. Clemenceau le lui a donnésans même luidemander pour qui c'était.

Descréanciers se sont intéressés à lui etlui ont fait un rempart contre le papier timbré qui lesubmergeait.

-- Je nevis plusdit-il. Je ne bouge plus. Je reste làdans la boîtequi sombre.

-- Vousêtes un personnage de Balzaclui dis-je.

-- Ah !Balzac ! dit Antoine. Je relisais César Birotteau sousle flot des protêts. C'est un bougre épatant !

Il fumefumeet dit :

-- Jecrois à la justiceà la réussite des honnêtesgens.

On frappe.C'est un secrétaire qui vient dire :

--Monsieur Antoineça sent le brûlé. On ne trouverien. Les pompiers cherchent et s'affolent. On vous réclame.

-- Voilàle dénouementdis-je. Brûlons ! Je reste.

-- On mefoutrait en prisondit Antoine qui sort.

Je regardesi les fenêtres ne sont pas trop hautes. Il rentre et dit :

-- C'estle feu qui avait pris dans la loge de Grétillat. Tout de mêmeils ont pris La Parisienne à la Comédie-Française: çac'est ma victoire. Ça me rembourse de tout.J'aurai donc fait çaau moins. Tous les directeurs de théâtrese ruinent. Carré a deux millions de dettes. Votre Guitryvivote. Si je prends l'AmbiguGémier est foutu. J'ai fait icides recettes comme on n'en avait jamais vumais il faudrait 300 000francs de subvention au lieu de 100 000.

«Pour vivreil faudrait diriger l'Odéon et faire autre choseécrirecomme Ginisty. Brieuxun brave homme qui dit qu'iln'y a d'honnêtes que les auteurs dramatiques. NozièreBlum me reprochent de monter des vaudevilles. Ils devraient dire quej'ai raison pour gagner quelques souset ils devraient rendre comptede ces vaudevilles en trois lignes.

« Ah! vous m'apportez une pièce ?

-- Non !Je m'en vais. Qu'est-ce que je viens faire ici avec mon lever derideau ?

-- Ah !non. Lisez ! Que je m'amuseau moins ! Je n'ai que ça. Que jemonte une chose qui me plaise !

-- Vous levoulez.

-- Allez !Voilà votre bouteille d'Evian. C'est ça que vous buvezje crois ? »

Je listrès mal. Tout de suiteil s'amuse. Quand j'ai fini :

-- C'estplein de médailles frappéesdit-il. Ça vautPoil de Carotte.

-- Vousallez le jouer ?

-- Tout desuite. Vous aurez beaucoup de succèsvous verrez. Et je nerétrécirai pas mon cadre : tout portera.

Il meparle de mon livrede l'Académie Goncourtet encore del'Odéon :

-- Hein ?Quel théâtre ! Des bureaux de ministère. Rien quele personnel nous ruine. Est-ce beau ! Je voudrais une chute del'Opéra en même temps que celle de l'Odéon.L'Etat se déciderait à le déplacer. Je travailleles députés et les sénateurs. Après toutj'aurai vécu ! Je ne crains rien. Ils ne peuvent plus que memettre en faillite. J'irai jouer la comédie ailleurs.

Un hommetragique et de bonne humeuravec des minutes de rage.

On peutparler naturellement et faux.

Nouvellebonne. Marie. Elle croit au treize et ne travaille pas le dimanche. Atrente-huit anselle n'est pas plus avancée qu'àtreize. Mariée une foiselle trouve que c'est assez.

Elle n'agardé le souvenir que d'une bonne place chez l'ambassadeurd'Espagne.

Elle a vudes maisons où l'on pèse le caféoù ellene dînait que d'un oeuf dur quand les maîtresrichesdînaient en ville.

Elle mangeles croûtes de la veille. Elle n'a pas eu de pain frais depuisun an. Timideaccent alsacien et zézaiementelle demandepardon chaque fois qu'elle passe devant un fauteuil.

Unecopiste. Vie ratée et besogneuse.

-- Ah ! mavie ! dit-elle. Quelquefois j'en écris cinquante pageset jeles déchire. Je me dis : « Non ! Ce n'est pas la peine !» J'ai un mari intelligentmais inconscient. Il reste làet je me remue. Il faut que je fasse tout. Quelquefois je lui disetça le met en colère : « Il me semble que je mebats avec un édredon. »

Barrèsun grand écrivainun de ceux qui connaissent le mieux lalangue françaisemais qu'est-ce qu'il veut dire ? On comprendchaque phrase l'une après l'autreet de toutes ses clartésne monte qu'une fumée. Il faut rester chez soi près deses mortsbien. Il faut répandre au dehors ses énergiesbien. Il faut mêler les deux rythmesoh ! zut !

25février.

MmeRostand vient nous voir avec son fils. Cette jolie fleur ne sedécidera jamais à se faner. Edmond l'aime plus quejamais. Il ne travaille pas quand elle a du chagrin.

Elle croitqueseulGuitry jouerait bien _Chantecler_mais il ne ferapas le premier pasni Edmondet Hertz et Coquelin n'iront paschercher un acteur qui coûte trop cher. Alorsj'écris àGuitry :

«Mon frère polonais

« Sivous ne dites pas : « C'est moi qui jouerai Chantecler»quand vous n'avez qu'à le prendrec'est que noussommes tous des c... »

JeanRostand est d'une intelligence merveilleusemais il n'est pas douécomme Mauricequi fait des vers sublimes. Très émuilnous en récite de beaux sur la mort d'un amipuis il va joueravec les jeunes filles : BaïeJuliette et la pauvre petiteMichel. Elles entendent :

« Jesuis laidmais j'ai des dents magnifiqueset je suis trèsintelligent. Est-ce que vous flirtez ? Avez-vous un tennis àChitry ? Voulez-vous faire un tour de valse ? Je goûte six foispar joursix tasses de thé. Vous ne jouez pas au golf ?Qu'est-ce que vous faitesalors ? D'ailleursvous êtes toutesles trois jolies. Voulez-vous que je vous cherche un mari ? Brunblond ? De quelle couleur ? Vous connaissez Ragotte. Est-ce qu'ellese teint ? Lucienne est-elle belle ? Son mari est-il beau ? »

MmeRostand dit :

« --Edmond est modestegentilbongénéreux. Il n'a qu'untort : il n'écrit pas. Chantecler est admirable. C'estplus beau que tout ce qu'il a fait. Si ça réussitçapeut renouveler le théâtre. Ses autres piècesc'était encore du théâtre : Chantecler estun poëme de sentiments opposés sous des formes d'oiseaux.C'est merveilleux ! Il y a tout. Vous voyezje vous dis toutcommeautrefois. »

26février.

Antoine medit :

-- Il y adeux choses dont je suis fier : la dédicace de Poil deCarotteet le portrait de lui que Goncourt m'a apportéun jouravec une dédicace. Je vous aimais beaucoupmaisj'étais jaloux de Guitryet vous m'avez fait souffrir. Curelaussimais il a été moins cruel que vous. J'avais desamis qui me conseillaient de me brûler la cervelle.

«Quand on a prononcé votre nom à propos de l'AcadémieGoncourtj'ai dit à Ajalbert : « Ah ! il faut s'effacerdevant lui. C'est l'homme qu'il fautl'homme même de Goncourt.» J'ai dit à tous mes amis de s'effaceret je ne vousai pas envoyé de félicitations. J'ai étéheureux quand nous nous sommes réconciliés.

«Hervieu est parfois un homme très bienmais je n'aime pas sonthéâtre. Guitry est un grand acteur. Je suis alléle lui dire un soiraprès Samson : il n'a pas comprisce que je voulais lui dire. »

Antoine acinquante et un ans. Il ne perdra que 80 000 francs cette annéemais il les perdra.

-- J'aisigné pour plus de dix millions de chèquesdit-iletj'ai 400 000 francs de dettes.

Il croittoujours aux décorsmoins à l'acteur-étoilemais beaucoup à la petite troupe de mauvais acteurs biendirigés.

Pariséclairé en plein jour par un temps de neige.

Une folleparcourt les couloirs de l'Odéonréclame on ne saitquoiet dit qu'elle est l'auteur de Pour la Couronne !

28février.

Lalittérature est un métier où il faut sans cesserecommencer la preuve qu'on a du talent pour des gens qui n'en ontaucun.

Le goûtça peut être la peur de la vie et de la beauté.

4 mars.

DînerGoncourt. BourgesHenniqueGeffroyRosny et moi.

Rosnyquitraite Hugo de crétin de géniede monumental imbéciletâche de m'expliquer ce que c'est qu'un penseurla valeur d'unjeu de pensée : KantBergsonPoincaré. Mais jepersiste à lui dire quedans un beau vers de Victor Hugoily a plus de pensées que dans tel livre de métaphysique.

10 mars.

Guitryuncaractère qu'on ne fait passer que sur un pont d'or. Rostandet Guitry se réconcilient.

Il y a lafausse modestiemais il n'y a pas de faux orgueil.

12 mars.

Il nemanque peut-être à Rostand que d'être pauvre etméconnu.

Hierconférence à l'Odéon sur Le Mariage deFigaro. Bruit de mer qui déferle derrière la toile.On ne voit rien. Si les regards s'attachent à un visagec'estque le visage ne bronche pas.

Il fautbien saluer ! Ce rideau qui se lèveça fait un jourénorme. Je salue quatre fois et je mets presque la main surmon coeur.

-- On m'aapplaudie comme Sarah Bernhardtdit Mme Level.

Antoine atout avalé et me remercie. J'entends dans la sacristie : «C'est la plus jolie conférence que j'aie entendue. » Lecontrôleur vient nous dire que ma conférence a plu àtout le monde. J'ai fait recette comme les Donnay et les Capus.

Trarieuxun peu envieuxPottecher morneLéon Blum qui me trouvepeut-être trop léger.

Avec sesgantsRagotte ne peut pas prendre son mouchoir. Le Paul lui a faitcuire une pouleetmarchez ! elle était bien rôtiepeau et plumes. Elle aime mieux monter à pied que de prendrel'ascenseur.

Elle dit àLuciennesa fille :

-- Tu n'aspas lu le livre du monsieur ? Oh ! moije le connais. Ça m'abien fait rire ! Il faut l'acheter.

Toujourspeur que les voitures entrent l'une dans l'autre.

Sa filleet son gendre se soignent bien. Elle ne sait pas si c'est pour eux oupour elle.

Elle a vule Jardin des Plantes : ça doit sentir mauvais en été.

Les grospoissons : les otaries.

Le cinémaoù l'on croit toujours que c'est vrailes petits bancs qui serelèventles gamins endormis qui avaient l'air de comprendremieux qu'elle.

20 mars.

_Beethoven_est un succèset Antoine feint de mépriser ça.Trarieuxqui décidément me plaît de moins enmoinsinsinue qu'on ne jouera pas ma pièce et qu'Antoinequittera l'Odéon à la fin de la saison.

Blumtoujours très intelligent et précisdéfendPorto-Riche.

Fauchoiss'obstine à dire qu'il est très content du succèsde Beethoven pour Antoine.

-- LesJuifs vous aiment beaucoupme dit Trarieux.

-- Eneffet. Ils ne me disent rien de désagréable.

-- Ilsn'osent pasinsinue Trarieux.

Antoinetoujours gêné au milieu d'hommes d'esprit. Quand il veutdire quelque choseil fait un effort désespéréet ses petits yeux se rapprochent de son nez.

Donnaydéclare qu'il a voté pour Brieux. Il n'aurait jamais eule courage de voter pour Capus. Avoir un homme d'esprit à côtéde lui.

Il déclareque Porto-Richequiau dire de Blumrestait indifférentafait marcher des vieilles Rothschild quidepuis dix ansnebougeaient plus de leur appartement.

On nedevrait rien direparce que tout blesse.

Une pluiemêlée de gouttes de piano.

Commequand on se touche un mal blanc et que ça fait mal au coeur.

25 mars.

Et voilàqu'on analyse des petites bouteilles de mon urineet j'ai del'albumine. Etavec un petit appareil qui tient de la boussole et duchronomètreRenault prend la pression de mes artèreset l'aiguille marque vingt. C'est trop. Mes artèresquoiquetrès souplesbattent trop fort. Il va falloir prendre desnotes sur ma vieillesse.

Antoine enveut encore pour vingt ans. Dit qu'il se porte bienveut mourird'une angine de poitrine à soixante-douze ans. Il ne boit quede l'eauet deux ou trois gouttes par jour.

Henniquefurieux contre Antoinequi « ne veut pas de l'amitié deses égaux » et ne se plaît que dans la compagniedes hommes qui lui sont inférieurs.

Il meparle de sa fille qui a vingt-deux ans et qui ne craint rien. Il luia appris à faire des vers réguliers ; maintenantellepeut faire ce qu'elle veut.

-- Ne meparlez pas de voyager quand on ne sait riendit Ragotte. C'estsurtout en voyage qu'on se trouve bête.

6 avril.

Le visagede Marinette à qui on vient de passer une pièce enplomb vaut bien cent sous.

7 avril.

ParcMonceau. Ce silence enveloppé de bruit.

Un pigeonne peut pas supporter un voisin sur sa branche.

Le soleilse cache derrière un tronc d'arbre.

Lespigeons perchés les coudes au bord du ciel.

Paysans.Ils ne mangent jamais d'oeufs. Siquand ils sont petits et qu'ilsvont à l'école ; mais ils s'en dégoûtentdès qu'ils sont grands. Et puisdes oeufsça se vendça fait des sous.

Le fricotde Ragotte. Dans une casserole en terre cuitedeux ou trois morceauxde lard qu'on laisse fondre et qu'on retire (il ne faut pas leslaisser trop longtemps : le lardétant vieuxsurtout quandon ne tue qu'un cochon par andonnerait le goût de rance)puis on mince de l'oignonde l'ailde l'échalotedescarottesdes pommes de terreon verse dessus une potéed'eauon jette une poignée de selon met le couvercleet envoilà pour jusqu'à midi.

Lescarottes ne cuisent pas aussi vite que les pommes de terre. Ellessont encore dures quand on sert le fricot sur la table.

Rostandest déjà au désespoir parce que c'est Guitry quijouera Chantecler.

-- Quandun admirateur vous invite à dînerdit Tristanmieuxvaut n'y pas aller. Il vous admire tant qu'on ne pourrait qu'yperdre.

Envied'aller à Barfleur. Certitude que je ne ferai plus rien.

J'ai depauvres idées comme une troupe d'oies dispersées.

Et c'estle cerveau qui vieillit.

Pourm'userje n'ai pas eu besoin de commettre d'excès.

Est-ce queça va se prolonger longtempscette vie-là ?

J'auraispu faire une demi-douzaine de livres de pluspas un de mieux. Il mesemble que j'ai passé ma vie à dormir.

Déjàma plume devient paresseuse à écrire. Est-ce que moncerveau n'a pas de peine à achever une pensée ?

Parfairec'est peut-être rejeter de son oeuvre ce qu'elle a de plusbeau.

Jedeviendrai vieux. Je ne tiendrai plus que par des cordages.

Ilfaudrait faire un livre qui serait souvent lu par des jeunes hommespensifset non pas le livre qui fait passer deux heures délicieuses.

16 avril.

Capus medit :

-- Je suisallé voir Rostandpuisqu'il est à Paris. Il a étévague et distrait. J'ai été plus vague et plus distraitencore. C'est un Boulanger sans chevalun Boulanger avant le 14Juillet.

«Blum nous fait bien rire quand il nous dit qu'Amoureuse a eude l'influence sur nous. C'est une pièce que nous avons àpeine vue et pas même lue. Seulementc'est une pièce deJuif. Ils se serrent autour d'elle comme des Juifs.

--Qu'est-ce qui les attire ?

-- Je nesais pas. Une odeur...

«J'ai des vaches bretonnes. Je les ai achetées en Bretagne. Çaparaît moins cherparce que je suis allé les chercheren auto.

«J'ai fait du sucremais du vraidu sucre naturelque jen'assimilais pas.

«Toute une journée j'ai conjugué le verbe « rire »comme le verbe « aimer » Je disais : il ria.

« Jepense à deux piècesl'unetrès drôleque tu aimeras beaucoupà fond tragiquequi sera trèscomique... Tu ne comprends pas. Non ! tu ne comprends pas...

« Onne se débarrasse de ses dettes que si on les paie d'un seulcoup. Autrementon ne les paie jamais. »

ParcMonceau. Des fleurs qui ont bien l'air de n'y être pas nées.

-- Au pas! dit le garde.

Le fiacrepart au trotet le garde timide n'ose pas répétercomme s'il avait peur du son de sa voix.

19 avril.

Ecrire aujour le jourmais pas forcément tous les jours.

Sacheminée fumeet elle laisse sa porte ouverte même enhiver.

Deuxpauvres tisonscomme une pipe de vieux s'allume à la pipe duvoisin.

-- Je memets dans le feudit-elle. Pour me réchaufferje mets surmon lit tout ce que j'ai dans la maison.

Unevieille toute blanchequi ne se nourrit que de pain trempédans du lait.

Raconte taviemais qu'elle soit propre !

20 avril.

Maman aencore beaucoup de vieune espèce de vie ligneuse. Elle vafaire une nouvelle Honorine.

Quel beautemps ! Dire qu'il y a eu des morts aujourd'hui !

PaulAcker. La vanité va bien avec la littératurepas avecle patriotisme. Ackeravec son livreveut être sincèremais un bon article littéraire d'un antimilitariste lecomblerait de joie. Mon admiration pour Jaurès l'étonne.

-- Moidit-ilje reviens d'Allemagne. Je ne suis pas pour la guerre.Personne n'aime la guerre.

-- Entendu! Mais vous voulez arriver à la renommée littérairepar les vieux généraux. Qu'est-ce qu'un officier feraitde ces sentiments de poëte pour une oeuvre de sang ? Qu'est-cequ'il ferait dans l'armée ? Il n'y resterait pas. Si vousvoulez être les plus fortsil vous faut une armée debrutes. On ne purifie pas la guerre. Au fondvous parlez comme sivous ne deviez jamais vous battre. Vous mettez des poëtes dansl'armée. Vous oubliez que la guerre sera toujours uneboucherie. C'est un état d'esprit qu'on a au régiment.On s'imagine que ce sont d'autres hommes qui se battraient.

Vision dela guerre. Imagination trop faible pour en créer l'imageexacte.

Pudeur defaire le soldat quand on n'est qu'un homme de lettres. Lesdreyfusards n'ont rien gagné. Presque tous les journaux quiont de l'argent sont réactionnaires. La bravoure à boncompte.

-- Vousavez vudis-jeque ça n'allait pas vite. Vous avez passéde l'autre côté. Vous n'êtes pas le seul. Vousêtes élève de Jules Lemaîtreécrivaindistinguémais affolé par le désir de passerpour un homme qui croit à quelque chose. Ce n'est pas en luiqu'il prend sa forcemais dans les badauds.

Batailleveut être poëte un peu comme on veut être drôleà propos de rien.

Commej'écris mon article sur luile poëte Ponge me faitdemander par la concierge si je peux le recevoir. Petit chapeau ronddécoration énormedes vêtements qui n'ont pasvoulu grandir avec lui.

Il meparle du curé qui « établit des comédies »pour amuser les gens de Marigny. Il est venu acheter une jumentréformée qui a quelque chose dans la pattemais quisera bien assez bonne pour un pauvre petit cultivateur.

Je lereçois froidement. Je ne sais pas ce qu'il faut lui dire.Bonne minemains cuites et ligneuses.

Il estdéjà venu à Parisquand il était aurégiment.

Mafidélité de marichose comiqueconsolide maréputation littéraire.

2627avril.

Barfleur.Une femme décoiffée par la mer.

Unealouette chante sur l'immense mer.

Lapremière chose que j'apprendsc'est que l'Ecornifleura été apporté ici par un voyageur qui l'avait luen Chine.

Désillusion.Mme A...une vieille sans intérêtme regarde avec despetits yeux de défiance. Elle tient à nous montrer lamaison où nous habitions voilà vingt ans. Elle étaitmieux. Elle sentait le sapin : aujourd'huielle sent le tapis. Elles'est embourgeoisée. Album de cartes postalesportraits dupapeun dessin à la plume : « Dieu protège monfiancé. » De la jeune filleon a voulu faire une dame :pianoviolonmandoline du mariet des tapis et des tentures !...Tout ça dans l'obscurité. Mme A... cherche qu'on luidise qu'elle n'a pas vieilli.

Ilscontinuent le commerce de poisson comme en cachette. Ils voudraientbien dire qu'ils ont fait fortuneet pas trop qu'on le croie : c'estmauvais pour ce qu'il reste de commerce.

Christspartout. Rien pour moi. J'entends seulement : « Vous avez montéen grade »quand je dis que je suis maire.

Elle parlede son coeur.

-- Mondéfautc'est que j'ai trop bon coeur. Je donne tout ce quej'ai.

Bienétonnée d'avoir si bon coeurtout en étant sisûre d'être avare.

Le beaujeune hommebourgeois dans le commercepas assez imprudent pour sefaire marin. Il chasse avec un hammerless. Il a fait un faux rocherdans son jardinune tonnelle pour dînerl'été.

Lui aussiil a eu une mauvaise mère.

-- Il ades tantes partout ! dit Mme A.... Il en a ! Il en a...

Leur nocela plus belle dont ils se souviennent ; on n'a pas revu ça àl'église. Ils expédient des chiens de mer.

On ne peutmême pas trouver la tombe d'A....

Barfleurne prend plus de poisson ; toutes les pieuvres le détruisent.Ils ne gagnent pas de quoi payer leur tabac. Ils cultivaient déjàla pomme de terre ; ils se sont mis au chou et au chou-fleur.D'ailleursA... étant mortil n'y a plus de pêcheurcomme lui.

Nouveauchrist dans le cimetière.

Phare deGatteville. Impression. Quand on le regarde du piedon a toute cettehauteur sur l'estomac. Mur de pierre d'une terrible épaisseur.Six ménages environtrente personnes. Ils ont tous desenfantsqui vont à l'école à Gatteville.

-- Quandon manque de paindit le gardienon se jette sur la viande.

Il adébuté à 45 francs ; 500 de retraite. Il touchemaintenantavec la retenue pour la retraite67 francs. Ils vontchercher deux sous de sel à Barfleur. L'hiverils souffrentdu froid. En 1893les poissons échouaient sur la côteles yeux gelés.

AGatteville mêmeune épicière nous donne àgoûter : cidrepainchocolat. Elle parle comme uneParisiennene s'ennuie pas. Ses calendriers sont encore au 14. Petitport de pauvres. Toujours du vent. Des fenêtres donnent sur lavaste mer. Ce sont des pays pour hommes de lettres.

Hôtel.Bar sauce câpresc'est du chien de mer. Cabinets au bout dumonde. Pas de sonnettesauf au café. Dérangé lanuit par un chatpar les éclairs du pharepar la luneparles buveurspar les clients qu'on réveille.

Arbrescourbés vers la terre par le vent. Rideau de pluie trèsloin sur la mer.

Murs deplâtre où l'on écrase les araignées.

Habitants.Ce que ça leur est égald'avoir une fenêtre surla mer !

Phare deGatteville. Ils sont toute l'année dans l'eau jusqu'au couetils ne connaissent pas le poisson. Ils vivent du gibier qui vienttournoyer et se briser à la lanterne du phare.

On n'a pasle droit de prendre de l'eau dans la merà cause du sel.C'est voler l'Etat.

Supérioritéde la conversation du commis voyageur qui travaille sur celle del'automobiliste qui ne fait rien et ne parle que de pannes.

On crevaitde faimmais l'automobiliste disait :

--Délicieuxce poisson et cette sauce ! Ah ! comme on fait dubon painici ! Jamais je n'ai mangé d'aussi bon veau.

Pot decrème à la gélatinedeux ou trois pruneauxreste de confitures.

Quand MmeA...marchande de poissona marié sa filleune tempêtes'est déchaînéequi a duré quinze jours.Elle a dû faire venir ses homards de Parisson turbot deRouenses crevettes du Havreetc.etc. Elle a dit à songendre :

--Voulez-vous pas poser votre casquette sur la table où on mange!

Un peupenaudil l'enlèveet me ditcomme pour s'excuserque MmeA... est une femme supérieure.

Chapelierqui ne lève pas ses stores parce qu'il n'a pas de chapeaux àmettre à sa devanture.

Mme V...est éparse dans le village. Tout à l'heure une femmeest descendue d'automobile. Je la voyais de dos : j'ai cru quec'était elle. Vue de faceelle lui ressemblait encore.

3 mai.

Souvenirsde Barfleur.

Comme ilest difficile d'expliquer ce qu'on fait !

-- Alorsvous écrivez ?

-- Tout letemps.

Le plusdurc'est de faire comprendre pourquoi les choses les plus soignéesles meilleuresen sommese vendent moins que les autres.

-- Alorsvous n'êtes pas obligé d'être à Paris pourvotre travail ?

-- Nonaucontraire.

-- Vousgagnez beaucoup d'argent !

Commentdire le contraire sans me déshonorer ?

-- Ainsivousvous êtes marchande de poissonn'est-ce pas ?

A latroisième réplique on est en sueur. Pour en finirondit qu'on a un métier très agréablequi vouslaisse libreet même qu'on gagne beaucoup d'argent. On ajoutequ'on est décorémembre d'une académie.

Ladécorationils l'avaient bien vuemaisne se l'expliquantpasils aimaient mieux n'en point parler. Ils se décident :

-- Oh ! jevois que vous avez fait votre chemin.

L'Académiene les touche pasmême si l'on dit qu'elle rapporte 3 000francs.

-- AinsiRostanddont vous avez certainement entendu parler...

De latêteils font signe que ouimais je lis dans leurs yeuxfroids qu'ils l'ignorent absolument. On passe une minute agréabledans ce pays.

-- Onmange mieuxdit Mme A...mais on a plus de misère àdigérer.

Maladeelle ne demande au bon Dieu que la santé.

A proposde l'Ecornifleur :

-- Oh !mon Dieu ! C'est-il possible ! Faire des rapports sur notre maison !

Ils nel'ont pas lu. L'ami qui était en Chine devait l'envoyeretpuisça ne s'est pas trouvé.

Ils leliront peut-être maintenant. Si j'y retourneils me recevrontà coups de pied au cul.

Présimmenses d'un vert trop vertpas un arbre. Par un petit canalpromenade en gondolele vacher va tirer ses vaches au milieu du pré.

Valognesville qui se meurt. Le pâtissier en est tout triste. La grandeplace ne se rétrécira point. C'est beauune églisequ'on abandonne.

Les gensqui dormaient et qui se réveillent ont toujours un peud'angoisse dans le regardcomme s'ils étaient réveilléspar une catastrophe.

La merinquiétante. Ne vous y fiez pas ! Les poissons se fâchent.

Orgueilleusescathédralesclochers pointus sur des sommets. La religion duChrist n'a pas encore cherché à passer inaperçue.

Tout demêmele curé monte en troisième. Le paysan quiriait ne rit plus. Le curé l'impressionneet il rectifie laposition comme un soldat devant son capitaine.

4 mai.

DînerGoncourt. Le Conseil d'Etat va statuer. Il est presque sûr quenous aurons nos 4 000 francs.

Bourgesn'est pas làDaudet non plus. Mirbeau se fait excuser par safemme. Je ne suis pas fichu de retrouver le nom de l'autre quimanque. Ah ! Margueritte. On est sévère pour sonattitude. Rosny jeune donne comme excuse une vieille maladie decoeur.

Idéede Descaves et de Geffroy de publieren volumedes choses inéditesde Vallès avec ce sous-titre : « Editions de l'AcadémieGoncourt. » Ce ne serait certainement pas une mauvaise affaire.Adopté.

Idéede nous présenter tous en bloc au prix Nobelchacun avecnotre meilleur livre. C'est l'Académie française quipropose les candidats : pourquoi pas nous ?

Idéede demander à Barthou le demi-tarif pour les membres del'Académie Goncourt. On voudrait me déléguer ;je me dérobe à cause de mon caractère officielde maire.

Les deuxRosny savent leur géographie. L'aînémedemandant où se trouve mon paysajoute qu'il est sur un canalqui passe un peu plus loin sous des tunnels. Il est homéopatheme conseille de boire de l'eau chaude le matin. Lui-même enboit quelques gorgées à tous ses repas.

Soiréecharmante. Ils admirent Hugomais tout autant Balzacou DickensouMichelet.

Lesimparfaits du subjonctif. C'est affaire de mesure. La beautédu style est dans sa discrétion. Il n'est pas plus ridicule dese servir de l'imparfait du subjonctif que de dire : « Jefus... Je fis... Nous partîmes... » Mais il ne faut pasabuser ; le passé défini nous lasse vite. De beauxparleurs ne cessent pas de s'en servir.

Toutlasse. L'image mêmequi est d'un si grand secoursfinit parfatiguer. Un style presque sans images serait supérieurmaison n'y arrive qu'après des détours et des excès.

C'est cequ'ignorent les professeursqui commencent par vous éteindre.Il ne faudrait s'éteindre que sûr de retrouver del'éclat au moment voulu.

Le beaustyle ne devrait pas se voir.

Micheletne fait que ça : c'est éreintant. De làlasupériorité de Voltaire ou de La Fontaine. La Bruyèreest trop vouluMolièretrop négligé.

Il y a desgens qui n'arrivent à la concision qu'avec une gomme àeffacer : ils suppriment des mots nécessaires.

On devraitécrire comme on respire. Un souffle harmonieuxavec seslenteurs et ses rythmes précipitéstoujours naturelvoilà le symbole du beau style.

On ne doitau lecteur que la clarté. Il faut qu'il accepte l'originalitél'ironiela violencemême si elles lui déplaisent. Iln'a pas le droit de les juger. On peut dire que ça ne leregarde pas.

« Jem'en rappellede ces matinées que j'ai passées... »En apparencec'est presque une double faute. Il faut évitercette apparence.

Swinburne.Essayé de lire quelques-uns de ses poëmes. Décidémentd'une fadeur !... Je ne trouve ça ni fortni ingénieux.Je trouve que c'est fade. Ça m'ennuie.

5 mai.

Je nepense à autrui qu'aux heures de paresse ; mais je suisparesseux.

-- Vousn'avez pas la situation matérielle que vous méritezmedit l'éditeur Pelletan.

Puisilme demande les Mots d'écrit pour rien.

Chez Alix.Dans une cagepar terreun oiseau tout déplumé :c'était le père de tous ceux qui volaient dans la cageune vingtaine. Luiil ne pouvait plus voleret il étaitcouvert des crottes de ses enfantsde vrais enfants.

LeLuxembourg n'est qu'une voûte de feuilles où des gensrêvent.

Femmesdécolletées dont la poitrine fraîche et chauderemue comme un potage printanier.

Souriresdes grues. C'est charmant. Ça naît et s'efface avec unerapidité !... Des éclairs de chaleur.

7 mai.

L'artistene compte que sur l'imprévu.

Le parcMonceau : un immense parasol en feuilles.

8 mai.

Village.Des quartiers sont infectés par l'orgueilla méchancetél'enviel'avarice. Il n'y a que la mort qui puisse les assainir.

L'azurcouvre les toits de son léger tulle bleu.

Il fautavoir été vingt ans de suite à la campagne poursavoir ce que vaut celle de Paris.

Journaux.Quoi qu'on leur offreils appellent ça « un papier ».

Il fautl'avouer : je ne connais que la difficulté de me mettre autravailmais je la connais tous les jours.

11 mai.

GaleriesDurand-Ruel. Les Nymphéassérie de paysagesd'eaupar Claude Monet.

Je netrouve rien à dire. Evidemmentc'est jolimais je ne peuxpourtant pas dire : « C'est jolisurtout dans les cadresovales. » Il y a un abîme entre notre art et celui-là.

Un jeunehomme assisd'aspect pauvreregarde fixement et ferme àmoitié les yeux. Je voudrais bien voir ce qu'il voit.

C'est dela peinture pour femmes. Elles ne peuvent pas la contester. C'esttrop joli : la nature ne donne pas ça.

Uneterrible envie de sortircomme de revenir de voyagepour dire : «Je suis allé là. »

Appeler lamaison de Chitry « la Maison des livres ». Y réunirtous mes livres et affecter un crédit pour l'entretien par lemaître d'école. En l'absence de la familleprêtsgratuits.

Je ne peuxplus faire la promenade des Tuileries d'un bout à l'autre. Jesuis obligé de m'asseoir et de donner deux sous aux vieillesfemmes qui vendent du muguet.

-- Un demes amisdis-je à Gandillota trouvé dans votre piècedes choses remarquables.

Le mot nelui paraît pas suffisantet il tourne le dos.

Philippenous écrit que maman n'a plus toutes ses idées. EtAntoine m'écrit qu'il se propose de mettre La Bigote enrépétition.

La viecontinue. La plume a un petit cri funèbre.

Il n'y arien qu'on déteste plus que l'originalité. Uneassemblée d'auditeurs originaux ne supporterait qu'un discoursbanal.

15 au 19maià Chaumot.

Maman. Samaladieses mises en scène dans le fauteuil. Elle se couchequand elle entend le pas de Marinette.

Sesmoments de lucidité. C'est alors qu'elle joue le mieux lacomédie.

Elletremblese frotte les mainsclaque des dentsetles yeux un peuhagards :

--Qu'est-ce que je vais encore faire ! dit-elle. Oh ! je vais m'ymettre.

« Jevais travailler. Quand on travaille... »

Elle faitune reprise à son bas.

Bellevieille encorefigure de sorcière aux traits netsou devieille femme de roulotteavec ses cheveux blancs ondulés.

Lesasperges qu'on lui offreelle les donne aux lapins.

Les femmesviennent la voir comme des voleuses. Elle n'a plus une chemiseni undrap : elle a tout donné.

Ellefinissait par dire : « Je n'ai plus besoin d'argent. »

Parfoisje la crois de trente ans plus jeuneaux prisespar la ruseavecPoil de Carotte. Mais elle ditavec une douceur feinte :

-- Tu megrondes ? Eh bienc'est raidece que tu me dis là !

Elle fermela porte au nez de Ragottemais Ragotte dit :

-- C'estle monsieur qui m'envoie.

La portes'ouvre.

Troisétats : luciditéamollissementvraie souffrance. Enluciditéelle est bien toujours Mme Lepic.

Elleenvoie Philippe nous dire :

-- Nepartez pas ! Je sens bien que je suis perdue.

Dans sesfaçons de vous tenir les mains et de les serreril y apresque des intentions de faire mal.

Ce qu'onentend en voyage.

--Dix-neuf heuresmadamecomme des boîtes à sardinesdans une boîte !

-- A Niceau lieu d'un champ de blévous voyez un champ de fleurs.

-- C'estparce qu'on stationne qu'il fait chaud. Si ça marchait...

Projet.Isoler la maison en coupant le toit qui la réunit de l'écurieà la grange des Justin. Faireà gauche de la cour enentrantla maisonnette des Philippe. Supprimer les toitons et garderun mur tel quede la fenêtre de la cuisineon ne voie pas lesvoisins. Garder les deux pignons et renoncer à faire unetoiture à quatre pans de combles.

Cuisinesalle à manger. Pas de changements. Poutre et solivespeinture noire ou brune avec fond rouge. Boucher simplement le troude la « bassie ». Peindre le reste. Livres àdroite de la fenêtre.

Chambre àcoucher. Deux lits jumeaux à gauche de la porte.

Chambre dela cave : en faire la cuisine. Place de l'escalier du grenier àtrouver.

22 mai.

Lebonheurc'est de le chercher.

-- Al'entrée de l'hiverdit-ilj'ai envie de me marier. Il faitfroidle restaurant est loin. J'ai besoin de me créer unfoyer. Au printempsça passe.

24 mai.

Je ne voisdans la vie que des raisons de ne pas écrire un roman.

Jeunesgens : ils ont presque tous la fièvre.

Promenadeà Chatou. Un bras de la Seinejaunevaseuse. Quelque chosede noyéon ne sait quoi : bouchonchien ou homme.

Dansl'herbeune petite femme qui se suffit à elle-même.Elle est venue de loinà bicycletteavec un caniche noir.Elle arrange un bouquet de fleurs jaunes. Le caniche la garde. Quandelle a finielle s'en va. Le bonheur dans l'activité et dansl'indifférence.

Plus loinun homme riche a installé sa maisonen bois verniqu'ildéplace le long de la Seine selon ses caprices. Son auto suit.Il se promène sur le rivageécoutant les réflexionsdes passants étonnés. Dans la maison de bois un chienattaché s'embêteune femme aussiet lui aussi sur laroutepauvre homme qui a imaginé ce rêve et n'a pas pului résister.

Il fautvenir à Chatou pour payer un passage de pont : un sou parpersonne. Va-t-on dans l'îleon paie aussi en revenant.

J'ai vu lebonheurhier. C'étaitaprès une journée dechaleur brûlanteune corbeille de rosiers qui recevaient lejet continu d'une pomme d'arrosoir. « Ouioui ! C'est bon »disaient-ils de toutes leurs feuilles.

Sur unepetite place qui surplombe la Seineon pendait. Il y a encore lestrous où étaient plantées les potences. Onpouvait voir de loin le pendu.

Maisonsl'une sur l'autre. Il faut quelque temps pour apprendre distinguer leson de sa sonnette.

Une femmedu peuple s'est bien amusée. Dans son grand panier vide ellerapporte quelques brins d'herbe.

Ce sontles « belles » descriptions qui m'ont donné legoût des descriptions en trois mots.

Dans LeScandalede Batailleil y a une femme qui fait je ne sais quoide chic « pour l'honneur de sa faute ». Rien ne m'agaceplus que ce faux romantisme.

J'ai lacertitude qu'une humanité chaste serait infiniment supérieure.

Dînerchez Edmond Sée. VandéremMirbeau et Mme Mirbeau. Lapolitique et la littérature passent une mauvaise soirée.

--Clemenceau ne sait pasdit Mirbeau. Il ne pense à rienne sepréoccupe que d'humilier les préfets. Il gouverne enachetant. Il a acheté Pataud. Pour avoir je ne sais quiilautorise une loterie d'un million. Briand est le plus intelligent detousmais ils ont tous besoin de luxe. Un homme comme Viviani estmédusé par les assiettes plates. Vols à laMarinepillages à la Guerrefripouilleriescrapuleriespartout. Nous vivons avec des hommes de cauchemar. Il n'y a donc pascinq ou six hommes honnêtes là-dedans ? Pas un seul !

Las depolitiqueon passe à la littérature. Quel monde !Moins d'argentd'affaires véreusesmais plus de bassesse etd'ignominie. Hervieuqui était un jeune homme charmantestdevenu un organisateur odieux. Il a une loge de police d'où onsurveille toutes les loges. Naturellementplus de talent.

Mirbeau nesait pas que nous avons 1 000 francs de plus. Hennique ne l'a pasaverti. Puis il nous litse faisant un peu prierun chapitre de sonprochain livre : son chien Dingo en visite chez Claretie.

Je ne peuxque sourire sans bruitdes lèvrescomme le chien. Mais Sées'exclame : « Quelle verve ! C'est admirable ! » Mirbeaume fait l'effet d'un timide enfantd'un enfant terrible avec uncoeur de mouton.

29 mai.

Théâtre.Parce qu'ils ne montrent pas les hommes politiques tels qu'ilspeuvent êtreil ne faut pas croire qu'ils les montrent telsqu'ils sont.

Ils fontleurs pièces tout près d'un magasin d'habillement.

31 mai.

Le bonheurest aussi fait de sacrifice. Quand vous sacrifiez-vous ?

On feraitd'assez bonne critique si on ne se préoccupait pas toujours dedire plus de bien qu'on n'en penseou plus de mal.

C'estétonnant que ce cocher ne se trompe pas quelquefois au pointde s'atteler à la place du cheval.

Hommesgénéreuxils ont des sous en liberté dans leurpoche de giletet ils n'ont pas plus de mal à les dépenserqu'à les perdre. Moiil faut que je tire ça du fond demon porte-monnaie prudemment fermé.

2 juin.

Dégoût: faiblesse de l'intelligence obscurcie.

Unbalayeur est fier de causer avec le cocher d'une voiture de maître.

Charles-LouisPhilippe donne l'impression qu'il nous trompeet que l'humaniténe l'attendrit pas à ce point.

Je neconnais pas un homme plus heureux que vousme dit Picard. Je détestel'inintelligence de Mirbeau. Sée périt de ne paspouvoir faire sa pièce. Votre femme est la seule qui soitbonne. Je voudrais faire la guerre avec Tristan : je mourrais moitiéde peuret moitié de plaisir. Je commence une piècequi est très belle.

Ce qu'onpourrait appeler la mauvaise humeur de l'esprit de justice toujoursen éveil.

5 juin.

Oh ! queje voudrais être intelligent comme
M. Souday

5 juin.

Si lachasteté n'est pas une vertuc'est sûrement une force.

Séeregarde volontiers dans les tiroirsrègle un cocher par lafenêtrefait tournoyer sa canne au pied du lit d'un maladeparle haut et déplace un air considérable.

Alléce matin chez Potin chercher deux fricandeaux à l'oseille.Seul au milieu d'un tas de bonnes à tout faire. Elles avaienttout de même plus d'aisance que moi.

Comme ceserait facile de simplifier la vie ! Après deux ou troismatinées d'expérience on se dirait : « Maissinous reprenons une bonnequ'est-ce qu'elle fera ? Qu'est-ce que nouslui laisserons faire ? »

Ce qui estexact ne peut être que fin.

11 au 16juinà Chaumot.

Maman veutaller voir des feuilles qui remuent dans le puitss'asseoir sur letuyau. Dans le placardelle a quelque chose qu'elle regarde de tempsen temps. Oeil hagardelle se lève tout à coup de sonfauteuil et va dans le jardin.

Ses jambesvariqueuses font mal à voir. La tête reste belle avecles cheveux ondulésdont quelques-uns à peine sontblancs.

Un livrequ'on voudrait aussitôt avoir essayé de vivre.

Je montesur une chaiseetquand je vois un vieux livre tout déchiréc'est celui-là que je prends.

17 juin.

La vie nepeut même pas réaliser un petit livre de vers médiocres.

29 juin.

Chambredes députés. Entrée toujours impressionnante.C'est dehors que les députés peuvent êtreméprisés par le public. Ah ! quelqu'un : Jaurès.Et puisvoilà Gérault-Richard : personne.

On devraitprendre une photographie de la salle : presque personne àdroite.

Familiaritésavec les huissiers.

Brissonvraiment plus terne que sa renommée.

Le publicentre. Le mariou l'amantdit à la jeune femme qu'ilsoutient par la taille : « Tu vois ? Çac'est lessocialistesles révolutionnaires. »

Picquartaffirme que tout va bien. M. Siegfried parle d'une voix qui vaut desmillions. Le teint de Jaurès écarlate au milieu detoutes ces faces pâles.

Briandpantalonjaquette de bon faiseur.

Lasiesparlant du Sénat : « Ils ne font riences enfants ! »

Public quipue des pieds.

DehorsVeber qui travaille pour le New York Herald. Souliers trèsremarquésdécoration d'une modestie incroyable. Me ditqu'il craint mes Mémoires.

Famille.Reconstituer le grand-père et la grand-mère d'aprèsles on-dit. Celui-ci me dit : « Elle était maligne. »Cet autre : « Oh ! je l'ai bien connue ! » Un autre : «Oh ! je n'ai plus de mémoire. » Impossibilité dedonner à la chaîne des anneaux solides : il faut mettredes anneaux d'imagination.

15juillet.

Chaumot.Aujourd'huion veut trop « faire émouvant ».

-- Pardon! Pardon ! me dit maman.

Elle metend les bras et m'attire à elle.

Elle tombeaux pieds de Marinette qu'elle a méconnueelle se jette auxpieds d'Amélieses deux filles.

Aux «Pardon ! Pardon ! » je ne trouve à répondre que «je reviendrai demain ».

Ensuiteelle se donnait de violents coups de poing à la tête.

Lesprofesseurs d'enseignement secondaire ne frayent pas avec lepersonnel d'enseignement secondaire.

Ayant reçuses deux sousle pauvre allume sa cigarette.

Ilstraînent la vie.

Août.

Le 5mortde maman enterrée le 7. Visite de Capus. Il a eu un accidentd'auto à Lormes. Il arrive tout fier de son accidentaumilieu du nôtre.

-- Icimedit-iltu es sous l'influence du plateau central.

Nousvoulons le collectivisme pour le château d'en facepas pournotre petite maison de campagne. Nous la plaçons dans la zoneneutre.

Je suisbien décidé à ne plus trouver que je vieillis :c'est une question de vie ou de mort.

-- Je meperfectionnec'est difficiledit Amélie. Je lis tonMaeterlinck : c'est sublime. On a pensé à tout çaon n'a pas pu l'exprimer. De quel pays est-il donccet homme-là?

Dernièresparoles entendues de ma mère :

--Reviendras-tu bientôt me voir ? Merci de ta visite.

Mme RobinJuliettevenaient de partir. BaïeMarinette et moinousvenions de la laisser sur le banc du jardin. Amélie nous avaitsuivis. Je venais de recevoir la dépêche de Capus nousannonçant son arrivée. Elledu bancse retournait àchaque instant de mon côté pour deviner ce que c'étaitque cette dépêche.

Je necrois pas qu'elle se soit jetée dans le puits. Elle est allées'asseoir sur la margelle après avoir dit quelques mots àquelqu'un qui passait. Elle a noué la chaîne ; puisl'embolie. Elle est tombée en arrière. Un petit garsqui était sur un chariottout prèsl'a vue. La bonned'Amélie a entendu « Floc ! » Elle l'a vuedit-elledans le puitssur le doset elle a crié.

Je coursavec des jambes de plomb. Je dépasse des gens qui courent. Jejette mon chapeau et ma canne Rostand. Et je me penche sur le puits.

Des jupesà fleur d'eauun léger remous comme quand on a noyéun animal. Pas de figure humaine.

Je veuxdescendre tout naturellement dans un seau au bout de la chaîne.La chaîne est enroulée. Mes bottines sont ridiculementtrop longues et sont comme des poissons qui plient au fond d'un seau.

Des cris :« Ne descendez pas ! » Une voix : « Il n'y a pas dedanger ! »

Enfinonapporte une échelle. Je peux à peine dégager mespieds du seau. L'échelle ne touche pas à l'eau. D'unemainj'essaie de prendre cette chose morte qui ne remue plus. Latête est sous l'eau. La robe se déchire. Je remonte. Jen'ai fait que me mouiller un pied. Quelle gueule avais-je en sortantdu puits ?

Deuxhommes descendent. Ils peuvent la prendre et la ramener.

Figure unpeu effrayante qui sort du puits.

On laporte sur son lit. Marinette toujours là.

Pas unelarme. Le machinal de ce que je ferais si je ne me retenais.

Passéla nuit près du corpscomme pour papa. Pourquoi ? Mêmeimpression.

Morte paraccident ou par suicidequelle différencedu point de vuereligieux ? Dans le premier casc'est elle qui a tortmaisdans lesecondc'est Dieu.

Voilàla fosse bénite. Qui l'emporterade la bigote ou desfrancs-maçons ?

Il y a unepantoufle qu'on n'a pas retrouvée.

Quereste-t-il ? Travailler.

La pluspetite contrariété me bouleverse. Ce qui est matérielun accidentla mortne m'émeut pas. J'aimerais mieux êtreému.

«Douleurdouleur atroce. » Mais non ! Ça ne se forme pasinstantanément comme la douleur physique.

Il y a ladouleur quiaprès le coupmet longtemps à pénétrerà s'installer.

Letonnerre au bord d'un lourd nuage m'impressionne.

Nous nesommes même pas responsables de nos chagrins.

Que Dieusoit incompréhensibleest-ce donc la plus forte raison pourqu'il existe ?

Notreembarras avec la douleurc'est notre plus forte marque d'hommes delettres.

Il suffitd'un rien pour la déclencherla dépêche d'unétranger qui « y prend part ».

Ellefaisait des plaisanteriesse penchait sur la margelle pour voir lesherbes humides qui brillents'agenouillait pour inquiéterAméliejetait un cri et levait les bras en l'air pour faireaccourir la bonneet disait que c'était pour chasser unepoule du jardin. La mère d'un ironiste ne doit pas plaisanter.

Noncen'était pas du cabotinagemais je pensai le premier que çaen avait tout l'air.

Poil deCarotte :

-- Dame !Tu me demandes la vérité : je te la dis.

-- Ah ! tume la dis bien. C'est intéressant.

Lu leslettres que papa lui adressait. Tendres. Il dit d'ailleurs : «Je prie Dieu pour que... ». Le mensonge n'est jamais éternel.

La mortn'est pas artiste.

Accidentimpénétrable.

Le jeulent de la lune sur le drap.

Pas uneégratignure. Il a fallu qu'elle tombe comme un poids mort.

Un dégoûtmais un dégoût de quoi ? Je ne saurais pas le dire.

Un grospetit monsieur rond qui n'est vêtu que de tachesun peintre.

16 août.

Il n'y apas de chefs-d'oeuvre qui résistent à certainslecteurs.

Je merappelle Barrès me disant que le deuil des autres le faittoujours rire.

C'est unefaçon bien compliquée de me faire orphelin.

Je vousassure que la bêtise a une espèce d'odeur qui sortd'elle-même. L'homme n'a pas besoin de parler.

22 août.

Deuil : lemensonge noir.

Pourvu quele monde reste ridicule !

La véritédésenchante toujours. L'art est là pour la falsifier.

La vieilletricote dans le fosséderrière ses vaches. Elle selève.

--Monsieur Julesdit-elleje vas vous enseigner une belle compagniede perdrix.

-- Oùdonc ?

-- Làdans l'étaule. Elles sont parties devant moides grosses.

-- Je nechasse plusma brave femme.

-- Vous nechassez plus ?

-- Non. Jelaisse ça aux jeunes.

-- Oh !vous n'êtes pas encore bien vieux.

-- Dame !ça commence. Chacun son tour.

-- C'estdommage. Oh ! les belles ! Jamais je n'en avais vu de si belles !

Que faire? Offrir de l'argent ? Ça ne suffit pasde la remercier.

-- Je nechasse plusdis-jemais je chasserai l'année prochaine.

-- Maisvous serez encore plus vieux !

Ons'embrouille. Elle se rassieddéçue.

-- Mercibien tout de même.

-- Oh ! derien.

Sur larouteun homme me prend la main.

-- Vous neme reconnaissez pas ? Girard. Nous étions ensemble aurégiment.

Il conduitune voiture de sacs de ciment. Il est à Germenay. Il n'a paschangé. Il s'est maintenu en pauvre homme.

Le débutest cordialpuistout de suiteil est embarrassé. Il sentqu'on n'est plus au régiment. Pourquoi ?

A dix ansje ne faisais pas de rêvesouplutôtje voulais êtreheureux n'importe commentau jour le jour. Je ne cache pas quedepuis vingt ansj'ai la meilleure des femmes. Je n'ai jamaisréalisé mes autres rêves. Il ne faut sans doutepas le diremais c'est grâce à elle que j'ai cruréaliserà peu prèsde temps en tempsmesautres rêves.

La vien'est ni longueni courte : elle a des longueurs.

25septembre.

Retour àParis. Odéon. Après la lettre d'Antoinel'accueilindifférent de Mellot. Arrivée au théâtre.On répète. Du haut de l'escalierj'écouteHonorine et Jacquelou. Premier acte : rien ne sort. Acteurs grippés.Le secondpiteux.

28septembre.

Deuxièmerépétition. Averse de compliments au foyer. Hirschquia écouté le second actetrouve ça définitifet dit que ce sera une bataille. Il est très fier de passeravec moi.

Ilfaudrait une horloge qu'on ne verrait que de dos.

Antoine medit quedepuis Les Corbeauxil n'a rien vu d'aussi bien quele second acte. J'ai réussi ce que tant d'autres ont essayéavec les pièces à prêtre. Il m'a tendu la main endisant :

-- L'oeilde M. Lepic ! Je reconnais l'oeil de M. Lepic !

Répétitionassez pauvre. La scène d'Honorine est lourdepresque inutile.Faire des coupures.

29septembre.

Répétitionavec Antoine en scène. C'est du bon travail. Je les laissearranger leurs petits accessoires. Le côté du théâtrene m'intéresse vraiment pas.

Le soirau théâtreGémierBlumThadéeGignouxme demandent d'assister à une répétition. Ilfaut voir deux fois une pièce de Renarddisent-ils.

Envie detout changer. Athis me dit que la scène entre les deux hommesest aussi émouvante que celle de Poil de Carotteetplus large.

4 octobre.

Antoinedonne une répétition du premier actede la scènefinalesurtout. Il fait recommencer plus de dix fois et obtient cequ'il veut.

Quand ildit : « C'est du gâchis »il faut revoir sontexte.

Athisn'aime pas la dernière scène ; le publicdit-ilnesera pas avec moi contre Henriette. Il n'aimecomme Athisque lacomédie spirituelle agréable.

Encostumes. Antoine voit toujours laid. Le joli l'ennuie. Il veutfournir les toilettesmais il les prend dans un grenier. Il n'y aque l'habilleuse qui lui tienne tête.

Jacquelouvient en bras de chemise chez les Lepicavec des sabots. C'est del'opéra-comique. Et Honorine a des bas rouges. Elle serétrécit comme une vieille femme qui porte desthermomètres sous le bras.

La véritén'est que dans l'imagination. Le choix dans la véritéest dans l'observation. Un poëtec'est un observateur quirecrée tout de suite. La preuvec'est quelorsque ensuite ilregarde les gensil ne les reconnaît pas.

Gaillardme dit que les gens qui ont écouté hier sontenthousiasmés. Moitoujours pas. On répètemollementsans Antoine.

C'est unepièce qui finira par me dégoûter tout àfait avant qu'elle ne soit jouée. Il n'en sort rien. Elle fondaux répétitions. Pas un instant je n'aurai euconfiance.

Noussommes deux qui ne croyons pas à la pièce : Mellot etmoi.

12octobre.

LaBigote paraissant prêteon répète LesEmigrants.

Décorrouge au premier tableau. C'est ce qu'on appelle de la couleurmaisle moindre cabaret de Montmartre nous donne cette Venise. Antoines'énerve. Il demande du texte à Hirschqui ne trouvepas. Il paraît que Ventura va faire cuire Desjardins dans unfour. C'est trois décors pour un petit acte. On essaie demonter le 3mais on en reste à de vagues tuyaux de vidangesous la chaufferie d'un bateau. Ça me donne envie aussi dejeter mon curé dans la chaudière.

Bernardest un réactionnaire : patrietraditionmais c'est un bongros garçon tout prêt à aimer Jaurès. Ildit que La Bigote est un chef-d'oeuvreet il demande unepièce en trois actes.

Répétitionau foyer en attendant que Hirsch soit prêt et que Bernard n'aitplus de point de côté.

La fin neme satisfait pas. Je songe que je n'aurais pas dû faireparaître le curé. Le rideau tomberait sur son départet il ne ferait qu'apparaître.

On apprendque Ferrer vient d'être fusillé. Quel succèssiLa Bigote passait ce soir ! Ces choses-là ne m'arriventjamaiset je n'y tiens pas.

Athistrouve encore la fin un peu longue. M. Lepic dit plusieurs mots de lafinet le rideau ne tombe pas. On répète aussi tropsouvent le mot « curé ».

Ilm'emmène à l'ambassade d'Espagne. Rencontre de Sachaqui s'en fout et dit queLa Bigotec'est merveilleux. Oh !un four pour le détromper.

Ferrer.Anatole France n'est pas plus indigné que moi. Je lui porte undéfi d'indignation.

Quatreballes au front d'un homme intelligent

20octobre.

Répétitiondes couturiers.

-- C'estun chef-d'oeuvredit Antoine. Je le dirai à qui l'on voudra.

«Dans soixante ans on vous jouera ça. »

Picard :

-- Mesexcuses pour tout ce que je vous ai dit.

21octobre.

Répétitiongénérale très bonne. Trois rappels au premieractetrois au second. Succès énormedit Antoine.

22octobre.

Premièreplus belle encore. Trois rappels au premier actequatre au second.Acclamations. Amis jamais aussi émus.

Trèsbonne presseun peu mêlée de mépris clérical.On m'appelle Homais et mufle.

Chaquefoisj'ai écouté derrière la toile sansémotion.

MauriceRostand m'embrasse. Mme Rostand vient voir : explicationsmalentendu.

Ledimanche3 000 de recettepuis baisse subite à 1 300.

Antoine neveut pas que je publie La Bigote à _Comoedia : çava tout tuer. Rouché veut la publierpuis il se fâcheparce que je ne romps pas assez vite avec Comoedia_.

Pas demanifestations. Une femme quitte le balcon.

Lesmachinistes regardent et rient. Courtelinevexétrouve çaignoble. Calmette navré : pièce anticléricale.

Il fautéconomiser son coeur pour fortifier son jugement.

Le théâtrevu par le grillage du pompier : le point de vue le plusimpressionnant.

Commel'ironie m'embête chez les autres

Tristanjette une mie de pain dans la loge de Rostand.

-- PourChanteclerdit-il.

29octobre.

Ouij'écrirai un livre sur la vieille maisonet cette penséeme ranime.

23novembre.

DînerGoncourt. Ils sont à tableMirbeau près de Daudetréconciliés. Descaves voudrait donner le prix àLéon Bloy. Hennique s'oppose à ce couronnement del'insulteurà Léautaud.

Bourgesdéclare son livre infect.

On parlede la pourriture du monde. C'est peut-être la seule qualitéde l'Académie Goncourtd'être honnête.

Daudetraconte quedans un salonune dame avait un cordon qui passait sousses jupes. On a tiré : c'était un ténia. Cettehistoire affole Bourges.

Mirbeaudit :

-- Lesouvriersmon cher ? Je m'en suis servi cet été : ilssont stupides.

Daudet esttout fier de les mater en réunion publique.

-- Renardme dit Rosny aînéon vous imite beaucoup pour le Prix.

C'est lafamille des renardeaux.

Crise.Souffle précipitédégoût universel. Lamort peut venir dans une heure ou dans dix ans. Dire que j'aime mieuxdix ans !

Encore unefois perdu l'équilibre. Je touche le fond. Tout à coupguérisonsi je travaillais.

La mortprocheon sent le poisson.

27novembre.

Leromantismec'est de faire parler les bêtes et de leur fairedire ce qu'on veut. Le réalismec'est de se soumettre àleur naturequi est de ne pas parler.

Pourquoipeut-on être admis à faire la critique sans mêmeavoir passé un examen d'orthographe ?

A partird'aujourd'huitoutes mes pensées ont une teinte de mort.

L'effortqu'on fait pour résister à une émotionpoignanteparce qu'on sait qu'elle est fausse.

L'hommesans coeurqui n'a eu que des émotions littéraires.

L'eaugèlera avant cette nuitcomme une blessure qui se cicatrise.

Ilfaudrait au romantique un grand vent qui jette toutes nos maisons culpar-dessus tête.

-- Cequ'André Gide déteste le plus dans La Bigotedit Boylesvece sont les trépignements du public.

4décembre.

HierGérault-Richard me fait venir. Il va encore créerquelque choseune espèce de journal littéraire. Ilm'augmenteet me paiera chaque article 100 francs.

-- Briandqui déjeunait chez moi hierdit-ilest un brave hommemaisil ne se sacrifierait pas sur l'autel. Vous ressemblez de plus enplus à Rochefort.

Il fautsavoir s'embêterpour que la vie ne paraisse pas trop courte.

5décembre.

RevuRostandaprès neuf ans. Je l'embrasse sur la joue. Ilembrasse comme les curéset j'ai l'impression de quelquechose de rond comme un fromage de Hollande. Il est méconnaissable.Il a l'air d'un gros bonhomme gentil. L'homme qui s'abandonne autorrent et qui donne des poignées de main sur la rive.Migraineux. On sent que le mal de tête est inutile. Myopes'approche et regarde si vous avez vieilli.

-- Ah !dit-il. Vous avez de l'appétit deux fois par jour ? Moije neconnais pas ce plaisir-là. Quand Rosemonde voit un saucissonsur la tableelle le reniflepleine de vie. Venez. Nous mangeronsdes oeufs à la coque.

-- A votrehôtel ?

-- Nousles ferons venir d'Astoria.

-- C'estbien loin !

Pas tropde morgue. On a l'air de parler comme jadis.

-- Hervieuest rancunierdit-il. Je ne l'aime pas. Guitry vous séduit.Il n'est plus bien que dans le fortquand il faut crier.

-- Ouinos domestiques ! Il nous est arrivé des choses...

-- Vousn'avez pas vieilli. »

-- La vieà quoi ça rime ? dis-je.

--Chantecler va être un fourdit-il. C'est un bluff. Jene comprends plus rien au premier acte.

A sa femme:

-- Tu distoujours : « C'est merveilleux ! » Je change. Tu disencore : « C'est merveilleux ! »

Il aparfois un petit clignement d'oeil. On ne sait pas si c'est un tic ouun signe à sa femme pour qu'elle ne parle pas tropun signed'entente.

Le portierproportionné à l'hôtel.

--J'assistais hierdit Rostandau mariage de Mlle Fasquelle. Nousavons vu plus de deux mille personnes.

Dans lesalon à côtéon entend les fils qui grandissentau milieu d'admirateurs.

Il n'a passa rosette. Il m'attend pour la mettre.

-- Ah ! setraîner de chaise en chaise pendant six mois ! Je connais ça.

Il a gagnéune espèce d'indifférence pour tous les autres.

Lelyrismemême d'après Richepinc'est l'exagérationle grossissement. Le réalisme a réagi. Ce n'esttoujours qu'action et réaction.

Leromantisme a aboli les règles de tempsde lieu : pas decaractères. Le réalisme rejette toutes les unités.

Leromantisme voulait introduire le lyrisme au théâtre. Leréalisme aussimais un lyrisme concentréjuste.

Le mot nevit que par la place qu'on lui donne. Le lyrisme se contente un peutrop de l'à-peu-près ; de làtant de froidslyriques.

Balzac pasromantique !

Flaubertpas romantique ! Mais Mme Bovary l'embêtait.

Lesconquêtes du réalisme ne sont que dans le détail.

Tous lessujets et toute la vie.

L'ouvrierest lyriquesans doutele bourgeois aussi. Il faut choisir. Il nes'agit pas de gueuler : il faut la mesurela passion régléepar l'artle goût françaispuisque nous sommes enFrance.

Jereproche à Shakespeare de ne pas savoir le français.Tant mieux ! Ça fait deux belles langueset cela donne enviede les apprendre.

Zolaromantique. Son livre le plus beauc'est son acte. On peut dire quece jour-làil a enfin trouvé sa voie.

Le goûtde l'image justemathématiqueVictor Hugo l'avait déjà.

Encertains casil faut venirau théâtreà l'étatpoétique.

VictorHugo réalisted'accord. C'est lui qui saisira le mieux lavérité. Clarté nécessaire.

La laideurdomineparce que la vie n'est pas belle. Le public ne se connaîtni en beauni en joli. Il aime les versouiquand ils sortent dela bouche d'une jolie actrice ou d'un de ses acteurs préférésce qui est la même choseou quand il y a de la musique àl'entour.

Tous ontvoulu plaire au publicou l'irriterce qui est encore la mêmechose.

Lesconventions : en ce sensle théâtre est plus grand quela vie.

C'est lavraisemblance que le public confond avec la vérité.

Il fautqu'il y ait du réalisme dans le plus haut lyrisme.

Si lepublic avait le goût de la vieil ne supporterait pas lethéâtre. Je suis prêt à dire qu'au théâtreil n'y a pas de véritéou ques'il imite les véritésc'est les plus grossesnon celles des nuances

En toutil faut faire oeuvre d'artqui échappe au publicmais qu'ilsubit.

Leromantique regarde une armoire à glace et croit que c'est lamer. Le réaliste regarde la mer et croit que c'est une armoireà glace. Mais l'homme qui a l'esprit juste ditdevant laglace : « C'est une armoire à glace »etdevantla mer : « C'est la mer. »

10décembre.

DînerGoncourt. Jamais Prix n'a été décernédans plus de quolibets. Daudet venait de partir. Mirbeau parle decertains bourgognes que lui seul veut connaître. On ne veut pasvoter pour Giraudoux parce qu'on ne veut pas voter pour Jules Renard.Les Leblond n'auront jamais de succès de public. Il fautmettre ce souvenir dans leur vie.

Aprèsla répétition générale d'Un angeavant la premièreajournée.

-- C'estma meilleure piècedit Capus. Brasseur y a mis du sien. Il nefaut pas être antisémitemais antijuif.

-- Je vaisfaire du roman et me retirer à la campagne.

--Préparer d'abord une belle première. Tous sonttraîtres.

-- Tuvoisj'allais te faire un article appelé L'Antibigote

Il memontre quelques feuillets.

LéonDaudetdit-ilc'est un homme qui se met en colère parcequ'on ne donne pas aux mots le sens nouveau qui est de lui. Chevassuest un homme de lettresnon un critique dramatique. Il aurait bienfait la critique dramatique autrefoispas celle d'aujourd'hui.

Pinshérissés comme des épingles sur la pelote.

Dînerchez Rostand. Au premier salon le portrait de Mme Rostand. Leprofesseur de philosophie qui sait tout etheureusementne ditrien. Jean est muet.

On boit del'eau tiède et on mange un potage au carmin.

Rostands'ennuie et voudrait aller à Cambo. II n'assistera mêmepas à la répétition générale.

Au fondil n'a pas l'indulgence de sa gloire. Il n'aime pas Capus ni Donnayreproche à Bonnard de lui avoir chipé son coq.

A proposde CapusMme Rostand dit :

-- Lathéorie de la Veine est ignoble. Il faut se donner énormémentde mal pour arriver à ce qu'on veut. On n'arrive que par leméritel'effortle travail.

Elle ditqu'elle ne tient pas à la perfectionet qu'on a le droit dedire ce qu'on veut à la condition que ce soit merveilleux.

Je luireproche son « flambeau » inexact des Annales.Elle me répond qu'un flambeau n'est pas une bougie.

Exceptéle professeurils blaguent La Fontaine.

On merenvoie l'ascenseurmais je reçois la porte dans le dos.

Je vantela perfection et blague le génie qui se lâche.

-- Çane me trouble pasce que vous dites làrépond MmeRostand. Ça troublerait Edmondpas moi. Je suis sûre.

Pas devinmais Rostandà la finréclame son petit verred'eau-de-vie.

Tout demêmeon épargne Maeterlinck.

Rostand :quelques cheveux grisdes joues qui ne se tiennent pas bien. Unesorte d'indécision à parlerpeur de se compromettre.

Latimidité de Jeanune vertu de plus dans la famille.

-- J'aimele lyrisme parti de la réalitédit Rostand.

-- Moiaussidis-je.

Il regardemon petit ruban du bout de sa rosette.

On leurprête la gloire radieuse et sereine qu'on voudrait avoir. Ilsne l'ont pas.

Dîner.Entre Mme Mirbeau et Mme Girette. Rosny en veston. Mirbeau secontente de donner la parole aux autres.

MmeTinayre prononce une allocution comme une petite fille qui n'a paspeurLecomteun discours. Rosny fait une remarque que j'ai faitevoilà longtemps. La recherche constante du mot nous rendimpropres à l'improvisation. Nous ne savons pas parlerparceque nous savons écrireet l'orateur ne fait aucune attentionaux mots qu'il dit.

Monincapacité au travail devient de l'exaspération.

Le stylelâchec'est le charme.

Bataillelisant une pièce à Tarride et s'évanouissantparce qu'il s'aperçoit qu'elle ne porte pas.

Fils d'unpaysan de mon village qui poussait la charruej'ai encore de laterre aux racines.

Le soleiltricote des nuages roses avec ses rayons.

Quelquechose de plus déplaisant que l'arrivismec'est l'étalagede la modestie.

Dèsqu'on l'envisage bienla mort est douce à comprendre.

Maladejevoudrais dire des mots profondsun peu historiquesque mes amis serépéteraientmais je m'énerve trop.

Ce n'estpas un geste de Dieu que je demande. Si seulement je voyais leshommes agir comme ils parlentje serais vite troublé.

Etremalade toute une année pour en savourer la longueur.

Avant demourirje voudrais faire le tour de la terrealler làpuislà. Ouimaislà-basj'aurai une de mes migrainesetce sera la même chose.

Un grosmot de femmec'est une limace aux lèvres d'une rose.

Un âgeoù la mort des autres n'étonne plus.

-- Il a dûêtre bienmonsieurquand il était jeunedit la bonne.

L'hiverun long couloir comme une cheminée.

Perdrel'appétit de lire.

On nes'étonnera même pas de ma mort : elle ne viendra qu'àson heure.

Je saisbien que vous êtes bon. Oh ! vous êtes gentilmais vousn'êtes pas bête.

Maladeàchaque phrase j'ajoute : « Si je vis. »

Et lesfemmes qui ont leur robe prête disent : « Pourvu queChantecler passe avant que ma robe soit défraîchie! »

Une roseet tous ses corsages.

L'heuren'émet que des sons mouillés. Les jours se traînentdans la boue.

J'ai écritLa Bigote non pour faire une oeuvre de combatmais pour monplaisir. Elle est écrite. Elle rendra ce qu'elle pourra.

J'ai unemaladie à observer en moi. Ça vaut presque un crimedans la famille.

Le coeurfait l'effet d'un pendule d'ouate quiparfoischoquerait légèrementles parois de l'horloge.

Le cerveauqui s'en vaimpossible de le retenir. C'est comme si un pissenlitvoulait rattraper ses poils.

Déjàje prends appétit à me promener dans les cimetières.

Le mystèrede la mort suffit. Tout ce reste qu'on y rattachec'est des ficellesde théâtre.

Il estadmirable que quelques-uns des vivants qui conduisent un mort aucimetière n'éprouvent pas le besoinpendant qu'ilssont làde se coucherpar lassitudedans la tombe.

Une visiteà la tombe des Goncourt. Ces fiers hommes de lettres n'ont pasosé dire qu'ils étaient hommes de lettres. Deux nomsdeux datesils trouvent que c'est assez. Hé ! Hé ! ilne faut pas s'y fier.

Maladejesens dans ma gorge comme un escargot qui bout.

Ah ! cepassant aussi a l'air malade ! C'est le contraire de la décoration.Je disais : « Comment ! Celui-là aussi ? »



1910

22janvier.

Mirbeau medit :

-- Lecorps est trop étroit. Dieu a mal fait ça. Des caillouxdoivent y passer dans un vaisseau gros comme un cheveu. Et le coeur !Est-ce mal fichule coeur !

«Villiers de l'Isle-Adam était un mauvais conteurmais ilavait un talent d'orateur !... Je l'ai entendu raconter une histoiredu journal Le Temps : c'est prodigieux ! Maiscommeconteur...»

Mon coeurbat comme un mineur enseveli quipar des coups irréguliersdonnerait encore des signes de vie.

Ledétestable plaisirpresque un remèded'exercer surles autres sa mauvaise humeur.

Tous leschênes sont historiquesmais quelques-uns ne s'en vantent pas.

Promenadeau Bois. Un canard venait au-devant de moi avec son air de vieuxcopain ressemblant à Dieudonné.

Lesvieilles femmes qu'on voit au fond des voitures.

Un vieuxmarchait à petits pas de paralytique au bras d'une femmepresque jeunes'arrêtait après quelques pas sans doutebien comptésetsoufflantregardait à droite et àgauche avec un air de défi.

Les beauxcygnes vêtus de leur seule neige.

Mon nomest sur tous les murs : affiches de Paris-Journaletdans letramwaypersonne ne me connaît.

La neigetombe d'un nuage noir.

Athis medit des calembours de Chantecler qui me paraissent un peuforts. Marthe n'a pas la curiosité d'écouter cettepièce. Et Maurice Rostand a une pièce chez SarahBernhardt : il n'était que temps !

Guitryaura un succès prodigieux en gros coq.

25janvier.

Inondation.Elle est toujours moindre que ma petite imagination ne l'imagine.

Raynaudcommissaire libredit qu'il n'y a pas d'apachesvoudrait voter deslois somptuaires ; socialisteau fondconsidère la premièrecommunion de sa fille comme une chose insignifiante.

-- Tu asraison ! Tu as raison ! répète-t-il.

Mais il abesoin d'un reste de symboled'une cérémonie. C'est cequ'on appelle un catholique.

26janvier.

La neigesur l'eau : le silence sur le silence.

27janvier.

Mirbeauvient me voir hier. Toute infiltration lui paraît un torrent.Consterné :

-- Il fautacheter des provisionsdit-ildu pétroledu charbon.

Il atoujours l'oeil inquiet.

Il pense àune pièce sur les métallurgistes.

-- Faitesdonc ça ! lui dis-je.

Mais ilsemble accablétant ce sera beau.

Jepersiste à le croire très timide. De là sesviolences contre Claretiecet autre faible.

Il meprévient que Claretie ne me pardonnera pas mes motset queRostand ne m'enverra pas une place pour Chantecler.

Il veutabsolument être inondé et cherche son chemin de touscôtésloin de la Seine.

Le pasd'une repasseuse sur sa table.

Inondation.Le plus péniblec'est encore la gare Saint-Lazare.

Il y a àredouter le manque d'eaude pétroleet les rats.

L'Odéonavait trente personnes. Au Théâtre Micheloù leplancher est humideles gens levaient les pieds et s'amusaientautant. Mais tous les théâtres ont reçu unegifle.

Le côté« Venise » de l'inondation a disparu. Déjàelle embête.

Monsoufflet est comme cassé.

A quoi bonces cahiers ? Personne ne dit la véritépas mêmecelui qui les écrit.

Ils medisent : « Oh ! vous avez bonne mine. » Mais ils medirontla prochaine fois qu'ils me verront : « Oh ! vous avezbien meilleure mine que la dernière fois ! » Le monden'est pas prêt.

1erfévrier.

Chantecler.131 et 133dans un petit coin. A Cyrano et à L'Aiglonpour la répétition générale et pour lapremièrenous avions des places au premier rang. C'estl'échelle de la gloire.

Rostandest surtout un indifférent littéraire. Nous sommes toutau moins ses confrères : il ne nous lit pas.

L'artificiellui suffit au point qu'il se passionne pour lui comme si c'étaitla vérité.

Il nerecherche pasmais il accepte.

Est-ilplus tranquille ? Touche-t-il la gloire ? Ne souffre-t-il pas dumoindre succès d'un autre ?

Il peutmarcher tout le temps sur un tapismais il est obligé devivre la bouche dans l'airà tous les miasmes.

Servitude.Etre l'obligé d'un homme qui se conduit comme une fripouille.

Certainsmenteurs ont un tel besoin de mentir qu'on a pitié d'eux etqu'on les aide.

-- Jeconnais quelques vers de Chanteclerdit Capus. Ils sont beauxet stupides : beaux quand Guitry me les ditstupides quand je lesécoute.

8 février.

Contractionsde Mirbeau quand je dis qu'il y a des choses bien dans Chantecler.

Athis medit que la première a été mouvementée.Enthousiasme aux deux premiers actes. On criait bis. C'étaitfou ! Silence au troisième. Sifflements nourris au quatrièmeà la bave des crapauds. Guitry n'a pas voulu dire le nom del'auteur : c'est Coquelin qui l'a jeté.

Rostandn'est pas venu. Mme Rostand disait : « Tant mieuxqu'on siffle! Ça amuse. » Il faudra supprimer où c'estdangereuxmais Rostandparaît-ilne veut rien entendre.

Etparces salles comblesMellot a déjà un service.

Beaucoupde presse mauvaise. Les nationalistes ne marchent pas. Ils n'ont paspardonné à Rostand d'avoir étédreyfusard.

Pottecherarrive et trouve médiocres les vers qu'il a lus. On s'accordegénéralement à trouver Guitry mauvais.

16février.

Rêveurcomme un chat qui regarde au plafond le rais lumineux d'une lampe.

Maladejene peux plus mettre du premier coup la clef dans la serrure. Çame rappelle un de mes contes.

- J'ai duchagrindit Marinette. J'ai trop de chagrin. Je voudrais crever.

Dans monthéâtreje suis parti de ce principe que les femmes netrompent jamais les hommeset réciproquement.

C'esteffrayant comme on a de la peinequand on est en bonne santéà s'intéresser au mal des autres !

Je ne peuxpas me décider à me débarrasserau moyen deDieude toute difficulté.

HierDescaves fait monter le Dr Crepelqui me tâtem'auscultegentimentme prendavec l'appareil enregistreur dont s'est déjàservi Renaultla tension de mes artères. Il trouve 16 1/2 :ce n'est pas l'hypertension. Rien au coeurrien au foie. Trouve àpeu près comme Renaultmais m'engage à me soumettrechez lui aux courants de haute fréquence.

Capus estasthmatique depuis quarante ansdepuis l'âge de quatre ans.

22février.

Le médecinde Mirbeau lui dit que je n'ai que de la gastralgie.

SelonMirbeauB.... commis voyageurrecherche les manuscrits où ily a une faute. Claretie le fait reculer. Clemenceaubutéamusant. La peau du crapaud est belle comme certaines étoffesorientales. Rodin est intelligent. Monet est intelligent.

Il nevient me voir que pour vérifier si je suis aussi méchantet aussi terrible humoriste qu'on le dit.

Aujourd'huiquarante-six ans. Jusqu'où irai-je ? Jusqu'à l'automne?

23février.

Marinettepleure pour nous deuxetmoije l'y aide un peu.

J'entredans les mauvaises nuitsen attendant la nuit.

Humour :pudeurjeu d'esprit. C'est la propreté morale et quotidiennede l'esprit. Je me fais une haute idée morale et littérairede l'humour.

L'imaginationégare. La sensibilité affadit.

L'humourc'esten sommela raison. L'homme régularisé.

Aucunedéfinition ne m'a suffi.

D'ailleursil y a de tout dans l'humour.

Est-ceparce que je suis entré le dernier à l'AcadémieGoncourt que j'en sortirai le premier ? Singulier équilibre !

HierFantec m'a ausculté. Nous avons ri comme des fous quand il m'apromené ses oreilles dans le dos. Il a dû recommencerdeux ou trois fois. Rien aux poumons. Le coeur est trop gros. Ilentend le galop des valvules. Ça me coupe le rire. Le filscondamne-t-il son père ?

Entre moncerveau et moi il reste toujours une couche que je ne peux paspénétrer.

Vivre ens'amusant avec la mort.

Peut-êtrene verrai-je pas la vieille maison. Etrange punition !

Un hommeordinaire ne se connaît pas. Il peut mourir sans rien savoir deson coeur. Je parle du vrai - carpour l'autre... -de celui quibat dans sa poitrine.

L'hommeest indifférent comme une montre.

Et puisj'ai écrit La Bigote. Mme Lepic attend. Mais pourquoim'a-t-il laissé écrire La Bigote ?

27février.

D'ailleursj'ai fini. Je pourrais recommenceret ce serait mieuxmais on nes'en apercevrait pas.

Il vautmieux mettre fin.

6 mars.

Je necomprends rien à la viemais je ne dis pas qu'il soitimpossible que Dieu y comprenne quelque chose.

La vieapparentel'air docile et résigné d'une girouette.

Mirbeau selève triste et se couche furieux.

6 mars.

Qui n'apoint la maladie du scrupule ne doit même pas songer àêtre honnête.

Tout demêmepour mépriser Rostandil faut l'éplucher ;alorsça ne compte pas.

31 mars.

Mort deMoréas. Est-ce mon tour ?

C'étaitun poëte qui trahit sa patriefit quelques beaux verset metraita d'imbécile.

6 avril.

Je veux melevercette nuit. Lourdeur. Une jambe pend dehors. Puis un filetcoule le long de ma jambe. Il faut qu'il arrive au talon pour que jeme décide. Ça séchera dans les drapscommequand j'étais Poil de Carotte.

A cettedate s'arrête le Journal de Jules Renardqui est mort le 22mai 1910.