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Charles NodierSmarra




"Lessongesdans la nuit trompeusese jouent de nous à la légèreils font trembler nos âmes en leur inspirant de faussesterreurs."

(CATULLE)[Noter que Nodier attribue cette citation à Catulleenréalité elle vient des ÉlégiesIII4v.7-8de Tibulle. LGS]



"L'îleest remplie de bruitsde sons et de doux airs qui donnent du plaisirsans jamais nuire. Quelquefois des milliers d'instruments tintentconfusément à mon oreille; quelquefois ce sont des voixtelles quesi je m'éveillaisaprès un long sommeilelle me feraient dormir encore; et quelquefois en dormant il m'asemblé voir les nuées s'ouvriret montrer toutessortes de biens qui pleuvaient sur moide façon qu'en meréveillant je pleurais comme un enfant de l'envie de toujoursrêver."

(SHAKESPEARELa Tempêteacte IIIscène 2.)



LEPROLOGUE

Ah! qu'ilest douxma Lisidisquand le dernier tintement de clochequiexpire dans les tours d'Arona vient nommer minuit-- qu'il est douxde venir partager avec toi la couche longtemps solitaire où jete rêvais depuis un an!

Tu es àmoiLisidiset les mauvais génies qui séparaient deton gracieux sommeil le sommeil de Lorenzo ne m'épouvanterontplus de leurs prestiges!

On disaitavec raisonsois-en sûreque ces nocturnes terreurs quiassaillaientqui brisaient mon âme pendant le cours des heuresdestinées au reposn'étaient qu'un résultatnaturel de mes études obstinées sur la merveilleusepoésie des ancienset de l'impression que m'avaient laisséequelques fables fantastiques d'Apuléecar le premier livred'Apulée saisit l'imagination d'une étreinte si vive etsi douloureuseque je ne voudrais pasau prix de mes yeuxqu'iltombât sous les tiens.

Qu'on neme parle plus aujourd'hui d'Apulée et de ses visions; qu'on neme parle plus ni des Latins ni des Grecsni des éblouissantscaprices de leurs génies! N'es-tu pas pour moiLisidisunepoésie plus belle que la poésieet plus riche endivins enchantements que la nature toute entière?

Mais vousdormezenfantet vous ne m'entendez plus! Vous avez dansétrop tard ce soir au bal de l'île Belle!... Vous avez tropdansésurtout quand vous ne dansiez pas avec moiet vousvoilà fatiguée comme une rose que les brises ontbalancée tout le jouret qui attend pour se releverplusvermeille sur sa tige à demi penchéele premier regarddu matin!

Dormezdonc ainsi près de moile front appuyé sur mon épauleet réchauffant mon coeur de la tiédeur parfuméede votre haleine. Le sommeil me gagne aussimais il descend cettefois sur mes paupièrespresque aussi gracieux qu'un de vosbaisers. DormezLisidisdormez.

Il y a unmoment où l'esprit suspendu dans le vague de ses pensées...Paix! la nuit est tout à fait sur la terre. Vous n'entendezplus retentir sur le pavé sonore les pas du citadin qui gagnesa maisonou la sole armée des mules qui arrivent au gîtedu soir. Le bruit du vent qui pleure ou siffle entre les ais maljoints de la croiséevoilà tout ce qui reste desimpressions ordinaires de vos senset au bout de quelques instantsvous imaginez que ce murmure lui-même existe en vous. Ildevient une voix de votre âmel'écho d'une idéeindéfinissablemais fixequi se confond avec les premièresperceptions du sommeil. Vous commencez cette vie nocturne qui sepasse (ô prodige!) dans les mondes toujours nouveauxparmid'innombrables créatures dont le grand Esprit a conçula forme sans daigner l'accompliret qu'il s'est contenté desemervolages et mystérieux fantômesdans l'universillimité des songes.

Lessylphestout étourdis du bruit de la veilléedescendent autour de vous en bourdonnant. Ils frappent du battementmonotone de leurs ailes de phalène vos yeux appesantisetvous voyez longtemps flotter dans l'obscurité profonde lapoussière transparente et bigarrée qui s'en échappecomme un petit nuage lumineux au milieu d'un ciel éteint. Ilsse pressentils s'embrassentils se confondentimpatients derenouer la conversation magique des nuits précédenteset de se raconter des événements inouïs qui seprésentent cependant à votre esprit sous l'aspect d'uneréminiscence merveilleuse. Peu à peu leur voixs'affaiblitou bien elle ne vous parvient que par un organe inconnuqui transforme leurs récits en tableaux vivantset qui vousrend acteur involontaire des scènes qu'ils ont préparées;car l'imagination de l'homme endormidans la puissance de son âmeindépendante et solitaireparticipe en quelque chose àla perfection des esprits.

Elles'élance avec euxetportée par miracle au milieu ducoeur aérien des songeselle vole de surprise en surprisejusqu'à l'instant où le chant d'un oiseau matinalavertit son escorte aventureuse du retour de la lumière.Effrayés du cri précurseurils se rassemblent comme unessaim d'abeilles au premier grondement du tonnerrequand les largesgouttes de pluie font pencher la couronne des fleurs que l'hirondellecaresse sans les toucher. Ils tombentrebondissentremontentsecroisent comme des atomes entraînés par des puissancescontraireset disparaissent en désordre dans un rayon dusoleil.



LERÉCIT

"Ofidèles témoins de mes oeuvresNuit et toiDiane quientoures de silence nos sacrés mystèresvenezmaintenantvenez." (HORACEÉpodesV.)

"Par quel ordre ces esprits irrités viennent-ils m'effrayer deleurs clameurs et de leurs figures de lutins? Qui roule devant moices rayons de feu? Qui me fait perdre mon chemin dans la forêt?Des singes hideux dont les dents grincent et mordentou bien deshérissons qui traversent exprès les sentiers pour setrouver sous mes pas et me blesser de leurs piquants. "(SHAKESPEARELa Tempêteacte IIscène 2.)

Je venaisd'achever mes études à l'école des philosophesd'Athènesetcurieux des beautés de la Grèceje visitais pour la première fois la poétiqueThessalie. Mes esclaves m'attendaient à Larisse dans un palaisdisposé pour me recevoir. J'avais voulu parcourir seuletdans les heures imposantes de la nuitcette forêt fameuse parles prestiges des magiciennesqui étend de longs rideauxd'arbres verts sur les rives du Pénée. Les ombresépaisses qui s'accumulaient sur le dais immense des boislaissaient à peine s'échapper à travers quelquesrameaux plus raresdans une clairière ouverte sans doute parla cognée du bûcheronle rayon tremblant d'une étoilepâle et cernée de brouillards.

Mespaupières appesanties se rabaissaient malgré moi surmes yeux fatigués de chercher la trace blanchâtre dusentier qui s'effaçait dans le tailliset je ne résistaisau sommeil qu'en suivant d'une attention pénible le bruit despieds de mon chevalqui tantôt faisait crier l'arèneet tantôt gémir l'herbe sèche en retombantsymétriquement sur la route.

S'ils'arrêtait quelquefoisréveillé par son reposje le nommais d'une voix forteet je pressais sa marche devenue troplente au gré de ma lassitude et de mon impatience. Étonnéde je ne sais quel obstacle inconnuil s'élançait parbondsroulant dans ses narines des hennissements de feuse cabraitde terreur et reculait plus effrayé par les éclairs queles cailloux brisés faisaient jaillir sous ses pas...

--Phlégon! Phlégonlui dis-je en frappant de ma têteaccablée son cou qui se dressait d'épouvanteômon cher Phlégon! n'est-il pas temps d'arriver àLarisse où attendent les plaisirs et surtout le sommeil sidoux! Un instant de courage encoreet tu dormiras sur une litièrede fleurs choisies; car la paille dorée qu'on recueille pourles boeufs de Cérès n'est pas assez fraîche pourtoi!... -- Tu ne vois pastu ne vois pasdit-il en tressaillant...les torches qu'elles secouent devant nous dévorent la bruyèreet mêlent des vapeurs mortelles à l'air que jerespire... Comment veux-tu que je traverse leurs cercles magiques etleurs danses menaçantesqui feraient reculer jusqu'auxchevaux du soleil?

Etcependant le pas cadencé de mon cheval continuait toujours àraisonner à mon oreilleet le sommeil plus profond suspendaitplus longtemps mes inquiétudes.

Seulementil arrivait d'un instant à l'autre qu'un groupe éclairéde flammes bizarres passait en riant sur ma tête... qu'unesprit difformesous l'apparence d'un mendiant ou d'un blessés'attachait à mon pied et se laissait entraîner àma suite avec une horrible joieou bien qu'un vieillard hideuxquijoignait la laideur honteuse du crime à celle de la caducités'élançait en croupe derrière moi et me liait deses bras décharné comme ceux de la mort.

-- Allons!Phlégon! m'écriais-jeallons le plus beau descoursiers qu'ait nourri le mont Idabrave les pernicieuses terreursqui enchaînent ton courage!

Ces démonsne sont que de vaines apparences. Mon épéetournéeen cercle autour de ta têtedivise leurs formes trompeusesqui se dissipent comme un nuage.

Quand lesvapeurs du matin flottent au-dessous des cimes de nos montagnesetquefrappées par le soleil levantelles les enveloppentd'une ceinture à demi transparentele sommetséparéde la baseparaît suspendu dans les cieux par une maininvisible. C'est ainsi Phlégonque les sorcières deThessalie se divisent sous le tranchant de mon épée.N'entends-tu pas au loin les cris de plaisir qui s'élèventdes murs de Larisse?... Voilàvoilà les tours superbesde la ville de Thessaliesi chère à la volupté;et cette musique qui vole dans l'airc'est le chant de ses jeunesfilles!

Qui merendra d'entre voussonges séducteurs qui bercez l'âmeenivrée dans les souvenirs ineffables du plaisirqui merendra le chant des jeunes filles de Thessalie et les nuitsvoluptueuses de Larisse? Entre des colonnes d'un marbre à demitransparentsous douze coupoles brillantes qui réfléchissentdans l'or et le cristal les feux de cent mille flambeauxles jeunesfilles de Thessalieenveloppées de la vapeur coloréequi s'exhale de tous les parfumsn'offrent aux yeux qu'une formeindécise et charmante qui semble prête às'évanouir. Le nuage merveilleux balance autour d'elles oupromène sur leur groupe enchanteur tous les jeux inconstantsde sa lumièreles teintes fraîches de la roselesreflets animés de l'aurorele cliquetis éblouissantdes rayons de l'opale capricieuse. Ce sont quelquefois des pluies deperles qui roulent sur leurs tuniques légèresce sontquelquefois des aigrettes de feu qui jaillissent de tous les noeudsdu lien d'or qui attache leurs cheveux. Ne vous effrayez pas de lesvoir plus pâles que les autres filles de la Grèce. Ellesappartiennent à peine à la terreet semble seréveiller d'une vie passée.

Elles sonttristes aussisoit parce qu'elles viennent d'un monde oùelles ont quitté l'amour d'un Esprit ou d'un Dieusoit parcequ'il y a dans le coeur d'une femme qui commence à aimer unimmense besoin de souffrir.

Écoutezcependant. Voilà les chants des jeunes filles de Thessalielamusique qui montequi monte dans l'airqui émeuten passantcomme une nue harmonieuseles vitraux solitaires des ruines chèresaux poètes. Écoutez!

Ellesembrassent leurs lyres d'ivoireinterrogent les cordes sonores quirépondent une foisvibrent un moments'arrêtentetdevenues immobilesprolongent encore je ne sais quelle harmonie sansfin que l'âme entend par tous les sens: mélodie purecomme la douce pensée d'une âme heureusecomme lepremier baiser de l'amour avant que l'amour se soit compris lui-même;comme le regard d'une mère qui caresse le berceau de l'enfantdont elle a rêvé la mortet qu'on vient de luirapportertranquille et beau dans son sommeil.

Ainsis'évanouitabandonné aux airségarédans les échossuspendu au milieu du silence du lacoumourant avec la vague au pied du rocher insensiblele dernier soupirdu sistre d'une jeune femme qui pleure parce que son amant n'est pasvenu. Elles se regardentse penchentse consolentcroisent leursbras élégantsconfondent leurs chevelures flottantesdansent pour donner de la jalousie aux nympheset font jaillir sousleurs pas une poussière enflammée qui volequiblanchitqui s'éteintqui tombe en cendres d'argent; etl'harmonie de leurs chants coule toujours comme un fleuve de mielcomme le ruisseau gracieux qui embellit de ses murmures si doux desrives aimées du soleil et riche de secrets détoursdebaies fraîches et ombragéesde papillon et de fleurs.Elles chantent...

Une seulepeut-être... grandeimmobiledeboutpensive... Dieux!qu'elle est sombre et affligée derrière ses compagneset que veut-elle de moi? Ah! ne poursuit pas ma penséeapparence imparfaite de la bien-aimée qui n'est plusnetrouble pas le doux charme de mes veillées du reprocheeffrayant de ta vue? Laisse-moicar je t'ai pleurée sept anslaisse-moi oublier les pleurs qui brûlent encore mes joues dansles innocentes délices de la danse des sylphides et de lamusique des fées.

Tu voisbien qu'elles viennenttu vois leurs groupes se liers'arrondir enfestons mobilesinconstantsqui se disputentqui se succèdentqui s'approchentqui fuientqui montent comme la vague apportéepar le fluxet descendent comme elleen roulant sur les ondesfugitives toutes les couleurs de l'écharpe qui embrasse leciel et la mer à la fin des tempêtesquand elle vientbriser en expirant le dernier point de son cercle immense contre laproue du vaisseau.

Et quem'importent à moi les accidents de la mer et les curieusesinquiétudes du voyageurà moi qu'une faveur divinequi fut peut-être dans une ancienne vie un des privilègesde l'hommeaffranchit quand je le veux (bénéficedélicieux du sommeil) de tous les périls qui vousmenacent?

Àpeine mes yeux sont fermésà peine cesse la mélodiequi ravissait mes espritssi le créateur des prestiges de lanuit creuse devant moi quelque abîme profondgouffre inconnuoù expirent toutes les formestous les sons et toutes leslumières de la terre; s'il se jette sur un torrentbouillonnant et avide de morts quelque pont rapideétroitglissantqui ne promet pas d'issue; s'il me lance àl'extrémité d'une planche élastiquetremblantequi domine sur des précipices que l'oeil même craint desonder... paisibleje frappe le sol obéissant d'un piedaccoutumé à lui commander.

Il cèdeil répondje parset content de quitter les hommesje voisfuirsous mon essor facileles rivières bleues descontinentsles sombres déserts de la merle toit variédes forêts que bigarrent le vert naissant du printempslepourpre et l'or de l'automnele bronze mat et le violet terne desfeuilles crispées de l'hiver. Si quelque oiseau étourdifait bruire à mon oreille ses ailes haletantesje m'élanceje monte encorej'aspire à des mondes nouveaux. Le fleuven'est plus qu'un fil qui s'efface dans une verdure sombrelesmontagnes qu'un point vague dont le sommet s'anéantit dans sabasel'Océan qu'une tache obscure dans je ne sais quellemasse égarée au milieu des airsoù elle tourneplus rapidement que l'osselet à six faces que font rouler surson axe pointu les petits enfants d'Athènesle long desgaleries aux larges dalles qui embrassent le Céramique.

Avez-vousjamais vu le long des murs du Céramiquelorsqu'ils sontfrappés dans les premiers jours de l'année par lesrayons du soleil qui régénère le mondeunelongue suite d'hommes hâvesimmobilesaux joues creuséespar le besoinaux regards éteints et stupides: les unsaccroupis comme des brutes; les autres deboutmais appuyéscontre les pilierset réfléchissants à demisous le poids de leur corps exténué?

Lesavez-vous vusla bouche entrouverte pour aspirer encore une fois lespremières influences de l'air vivifiantrecueillir avec unemorne volupté les douces impressions de la tièdechaleur du printemps? Le même spectacle vous aurait frappédans les murailles de Larissecar il y a des malheureux partout:mais ici le malheur porte l'empreinte de la fatalitéparticulière qui est plus dégradante que la misèreplus poignante que la faimplus accablante que le désespoir.

Cesinfortunés s'avancent lentement à la suite les uns desautreset marquent entre tous leurs pas de longues stationscommedes figures fantastiques disposées par un mécanicienhabile sur une roue qui indique les divisions du temps. Douze heuress'écoulent pendant que le cortège silencieux suit lecontour de la place circulairequoique l'étendue en soit sibornée qu'un amant peut lire d'une extrémité àl'autresur la main plus ou moins déployée de samaîtressele nombre des heures de la nuit qui doivent amenerl'heure si désirée du rendez-vous. Ces spectres vivantsn'ont conservé presque rien d'humain. Leur peau ressemble àun parchemin blanc tendu sur des ossements. L'orbite de leurs yeuxn'est pas animé par une seule étincelle de l'âme.

Leurslèvres pâles frémissent d'inquiétude et deterreurouplus hideuse encoreelles roulent un sourire dédaigneuxet farouchecomme la dernière pensée d'un condamnérésolu qui subit son supplice. La plupart sont agitésde convulsions faiblesmais continueset tremblent comme la branchede fer de cet instrument sonore que les enfants font bruire entreleurs dents. Les plus à plaindre de tousvaincus par ladestinée qui les poursuitsont condamnés àeffrayer à jamais les passants de la repoussante difformitéde leurs membres noués et de leurs attitudes inflexibles.Cependantcette période régulière de leur viequi sépare deux sommeils est pour eux celle de la suspensiondes douleurs qu'ils redoutent le plus. Victimes de la vengeance dessorcières de Thessalieils retombent en proie à destourments qu'aucune langue peut exprimerdès que le soleilprosterné sous l'horizontal occidentala cessé de lesprotéger contre les redoutables souveraines des ténèbres.Voilà pourquoi ils suivent son cours trop rapidel'oeiltoujours fixé sur l'espace qu'il embrassedans l'espérancetoujours déçuequ'il oubliera une fois sur son litd'azuret qu'il finira par rester suspendu aux nuages d'or ducouchant.

Àpeine la nuit vient les détromperen développant sesailes de crêpesur lesquelles il ne reste pas même unedes clartés livides qui mourraient tout à l'heure ausommet des arbres; à peine le dernier reflet qui pétillaitencore sur le métal poli au faîte d'un bâtimentélevé achève de s'évanouircomme uncharbon encore ardent dans un brasier éteintqui blanchit peuà peu sous la cendreet ne se distingue bientôt plus aufond de l'âtre abandonnéun murmure formidable s'élèveparmi euxleurs dents se claquent de désespoir et de rageils se pressent et s'évitent de peur de trouver partout dessorcières et des fantômes. Il fait nuit!... et l'enferva se rouvrir!

Il y enavait unentre autresdont toutes les articulations criaient commedes ressorts fatiguéset dont la poitrine exhalait un sonplus rauque et plus sourd que celui de la vis rouillée quitourne avec peine dans son écrou. Mais quelques lambeaux d'uneriche broderie qui pendaient encore à son manteauun regardplein de tristesse et de grâce qui éclaircissait detemps en temps la langueur de ses traits abattusje ne sais quelmélange inconcevable d'abrutissement et de fierté quirappelait le désespoir d'une panthère assujettie aubâillon déchirant du chasseurle faisaient remarquerdans la foule de ses misérables compagnons; et quand ilpassait devant des femmeson n'entendait qu'un soupir. Ses cheveuxblonds roulaient en boucles négligées sur ses épaulesqui s'élevaient blanches et pures comme une étoffe delis au-dessus de sa tunique pourpre.

Cependantson cou portait l'empreinte du sangla cicatrice triangulaire d'unfer de lancela marque de la blessure qui me ravit Polémon ausiège de Corinthequand ce fidèle ami se précipitasur mon coeurau-devant de la rage effrénée du soldatdéjà victorieuxmais jaloux de donner au champ debataille un cadavre de plus. C'était ce Polémon quej'avais si longtemps pleuréet qui revient toujours dans monsommeil me rappeler avec un froid baiser que nous devons nousretrouver dans l'immortelle vie de la mort. C'était Polémonencore vivantmais conservé pour une existence si horribleque les larves et les spectres de l'enfer se consolent entre eux ense racontant ses douleurs; Polémon tombé sous l'empiredes sorcières de Thessalie et des démons qui composentleur cortège dans les solennitésles inexplicablessolennités de leurs fêtes nocturnes.

Ils'arrêtachercha longtemps d'un regard étonné àlier un souvenir à mes traitsse rapprocha de moi àpas inquiets et mesuréstoucha mes mains d'une mainpalpitante qui tremblait de les saisiret après m'avoirenveloppé d'une étreinte subite que je ne ressentis passans effroiaprès avoir fixé sur mes yeux un rayonpâle qui tombait de ses yeux voiléscomme le dernierjet d'un flambeau qui s'éloigne à travers la trapped'un cachot:

-- Lucius!Lucius! s'écria-t-il avec un rire affreux.

--Polémoncher Polémonl'amile sauveur de Lucius!...-- Dans un autre mondedit-il en baissant la voixje m'ensouviens... c'était dans un autre mondedans une vie quin'appartenait pas au sommeil et à ses fantômes?... --Que dis-tu de fantômes?... -- Regarderépondit-il enétendant le doigt dans le crépuscule!... Les voilàqui viennent.

Oh! ne telivre pasjeune infortunéaux inquiétudes desténèbres!

Quand lesombres des montagnes descendent en grandissantrapprochent de toutesparts la pointe et les côtés de leurs pyramidesgigantesqueset finissent par s'embrasser en silence sur la terreobscure; quand les images fantastiques des nuages s'étendentse confondent et rentrent ensemble sous le voile protecteur de lanuitcomme des époux clandestins; quand les oiseaux desfunérailles commencent à crier derrière lesboiset que les reptiles chantent d'une voix cassée quelquesparoles monotones à la lisière des marécages...alorsmon Polémonne livre pas ton imagination tourmentéeaux illusions de l'ombre et de la solitude. Fuis les sentiers cachésoù les spectres se donnent rendez- vous pour former de noiresconjurations contre le repos des hommes; le voisinage des cimetièresoù se rassemble le conseil mystérieux des mortsquandils viennentenveloppés de leurs suairesapparaîtredevant l'aréopage qui siège dans des cercueils: fuis laprairie découverte où l'herbe foulée en rondnoircitstérile et desséchéesous le pascadencé des sorcières. Veux-tu m'en croire Polémon?Quand la lumièreépouvantée à l'approchedes mauvais espritsse retire en pâlissantviens ranimer avecmoi ses prestiges dans les fêtes de l'opulence et dans lesorgies de la volupté. L'or manque-t-il jamais à messouhaits? Les mines les plus précieuses ont-elles une veinecachée qui me refuse ses trésors? Le sable mêmedes ruisseaux se transforme sous ma main en pierres exquises quiferaient l'ornement des rois. Veux-tu m'en croirePolémon?

C'est envain que le jour s'éteindraittant que les feux que sesrayons ont allumés pour l'usage de l'homme pétillentencore dans les illuminations des festinsou dans les clartésplus discrètes qui embellissent les veilléesdélicieuses de l'amour. Les Démonstu le saiscraignent les vapeurs odorantes de la cire et de l'huile embauméequi brillent doucement dans l'albâtreou versent des ténèbresroses à travers la double soie de nos riches tentures. Ilsfrémissent à l'aspect des marbres poliséclairéspar les lustres aux cristaux mobilesqui lancent autour d'eux delongs jets de diamantscomme une cascade frappée du dernierregard d'adieu du soleil horizontal. Jamais une sombre lamieunemante décharnée n'osa étaler la hideuse laideurde ses traits dans les banquets de Thessalie. La lune mêmequ'elles invoquent les effraie souventquand elle laisse tomber surelles un de ces rayons passagers qui donnent aux objets qu'ilseffleurent la blancheur terne de l'étain. Elles s'échappentalors plus rapides que la couleuvre avertie par le bruit du grain desable qui roule sous les pieds du voyageur. Ne crains pas qu'elles tesurprennent au milieu des feux qui étincellent dans monpalaiset qui rayonnent de toutes parts sur l'acier éblouissantdes miroirs.

Voisplutôtmon Polémonavec quelle agilité elles sesont éloignées de nous depuis que nous marchons entreles flambeaux de mes serviteursdans ces galeries décoréesde statueschefs-d'oeuvre inimitables du génie de la Grèce.Quelqu'une de ces images t'aurait-elle révélépar un mouvement menaçant la présence de ces espritsfantastiques qui les animent quelquefoisquand la dernièrelueur qui se détache de la dernière lampe monte ets'éteint dans les airs? L'immobilité de leurs formesla pureté de leurs traitsle calme de leurs attitudes qui nechangeront jamaisrassurerait la frayeur même. Si quelquebruit étrange a frappé ton oreilleô frèrechéri de mon coeur! c'est celui de la nymphe attentive quirépand sur tes membres appesantis par la fatigue les trésorsde son urne de cristalen y mêlant des parfums jusqu'iciinconnus à Larisseun ambre limpide que j'ai recueilli sur lebord des mers qui baignent le berceau du soleil; le suc d'une fleurmille fois plus suave que la rosequi ne croit que dans les épaisombrages de la brune Corcyre; les pleurs d'un arbuste aiméd'Apollon et de son filset qui étale sur les rochersd'Épidaure ses bouquets composés de cymbales de pourpretoutes tremblantes sous le poids de la rosée.

Et commentles charmes des magiciennes troubleraient-ils la pureté deseaux qui bercent autour de toi leurs ondes d'argent? Myrthécette belle Myrthé aux cheveux blondsla plus jeune et laplus chérie de mes esclavescelle que tu as vue se pencher àton passagecar elle aime tout ce que j'aime... elle a desenchantements qui ne sont connus que d'elle et d'un esprit qui leslui confie dans les mystère du sommeil; elle erre maintenantcomme une ombre autour de l'enceinte des bains où s'élèvepeu à peu la surface de l'onde salutaire; elle court enchantant des airs qui chassent les démonset en touchant detemps à autre les cordes d'une harpe errante que des géniesobéissants ne manquent jamais de lui offrir avant que sesdésirs aient le temps de se faire connaître en passantde son âme à ses yeux. Elle marche; elle court; la harpemarche court et chante sous sa main. Écoute le bruit de laharpe qui résonnela voix de la harpe de Myrthé; c'estun son pleingravesolennelqui fait oublier les idées dela terrequi se prolongequi se soutientqui occupe l'âmecomme une pensée sérieuse; et puis il voleil fuitils'évanouitil revient; et les airs de la harpe de Myrthé(enchantements ravissants des nuits!)les airs de la harpe de Myrthéqui volentqui fuientqui s'évanouissentqui reviennentencore -- comme elle chantecomme ils volentles airs de la harpede Myrthéles airs qui chassent le démon!... ÉcoutePolémonles entends-tu?

J'aiéprouvé en vérité toutes les illusionsdes rêveset que serais-je alors devenu sans le secours de laharpe de Myrthésans le secours de sa voixsi attentive àtroubler le repos douloureux et gémissant de mes nuits?...Combien de fois je me suis penché dans mon sommeil sur l'ondelimpide et dormantel'onde trop fidèle à reproduiremes traits altérésmes cheveux hérissésde terreurmon regard fixe et morne comme celui du désespoirqui ne pleure plus!...Combien de fois j'ai frémi en voyant destraces de sang livide courir autour de mes lèvres pâles;en sentant mes dents chancelantes repoussées de leursalvéolesmes ongles détachés de leur racines'ébranler et tomber! Combien de foiseffrayé de manuditéde ma honteuse nuditéje me suis livréinquiet à l'ironie de la foule avec une tunique plus courteplus légèreplus transparente que celle qui enveloppeune courtisane au seuil du lit effronté de la débauche!Oh! combien de fois des rêves plus hideuxdes rêves quePolémon lui-même ne connaît point...

Et queserais-je devenu alorsque serais-je devenu sans le secours de laharpe de Myrthésans le secours de sa voix et de l'harmoniequ'elle enseigne à ses soeursquand elles l'entourentobéissantespour charmer les terreurs du malheureux qui dortpour faire bruire à son oreille des chants venus de loincomme la brise qui court entre peu de voiledes chants qui semarientqui se confondentqui assoupissent les songes orageux ducoeur et qui enchantent leur silence dans une longue mélodie.

Etmaintenantvoici les soeurs de Myrthé qui ont préparéle festin. Il y a Théisreconnaissable entre toutes lesfilles de Thessaliequoique la plupart des filles de Thessalie aientdes cheveux noirs qui tombent sur des épaules plus blanchesque l'albâtre; mais il n'y en a point qui aient des cheveux enondes souples et voluptueusescomme les cheveux noirs de Théis.C'est elle qui penche sur la coupe ardente où blanchit un vinbouillant le vase d'une précieuse argileet qui en laissetomber goutte à goutte en topazes liquides le miel le plusexquis qu'ont ait jamais recueilli sur les ormeaux de Sicile.L'abeille privée de son trésor vole inquiète aumilieu des fleurs; elle se pend aux branches solitaires de l'arbreabandonnéen demandant son miel aux zéphyrs. Ellemurmure de douleurparce que ses petits n'auront plus d'asile dansaucun des mille palais à cinq murailles qu'elle leur a bâtisavec une cire légère et transparenteet qu'ils negoûteront pas le miel qu'elle avait récolté poureux sur les buissons parfumés du mont Hybla.

C'estThéis qui répand dans un vin bouillant le miel dérobéaux abeilles de Sicile; et les autres soeurs de Théiscellesqui ont des cheveux noirscar il n'y a que Myrthé qui soitblondeelles courent soumisesempresséescaressantesavecun sourire obéissantautour des apprêts du banquet.Elles sèment des fleurs de grenades ou des feuilles de rosesur le lait écumeux; ou bien elles attisent les fournaisesd'ambre et d'encens qui brûlent sous la coupe ardente oùblanchit un vin bouillantles flammes qui se courbent de loin autourdu rebord circulairequi se penchentqui se rapprochentquil'effleurentqui caressent ses lèvres d'oret finissent parse confondre avec les flammes aux langues blanches et bleues quivolent sur le vin. Les flammes montentdescendents'égarentcomme ce démon fantastique des solitudes qui aime à semirer dans les fontaines. Qui pourra dire combien de fois la coupe acirculé autour de la table du festincombien de fois épuiséeelle a vu ses bords inondés d'un nouveau nectar? Jeunes fillesn'épargnez ni le vin ni l'hydromel.

Le soleilne cesse de gonfler de nouveaux raisinset de verser des rayons deson immortelle splendeur dans la grappe éclatante qui sebalance aux riches festons de nos vignesà travers lesfeuilles rembrunies du pampre arrondi en guirlandes qui court parmiles mûriers de Tempé. Encore cette libation pour chasserles démons de la nuit! Quant à moije ne vois plus icique les esprits joyeux de l'ivresse qui s'échappent enpétillant de la mousse frémissantese poursuivent dansl'air comme des moucherons de feuou viennent éblouir deleurs ailes radieuses mes paupières échauffées;semblables à ces insectes agiles que la nature a ornésde feux innocentset que souventdans la silencieuse fraîcheurd'une courte nuit d'étéon voit jaillir en essaim dumilieu d'une touffe de verdurecomme une gerbe d'étincellessous les coups redoublés du forgeron. Ils flottent emportéspar une légère brise qui passeou appelés parquelque doux parfum dont ils se nourrissent dans le calice des roses.Le nuage lumineux se promènese berce inconstantse reposeou tourne un moment sur lui-mêmeet tombe tout entier sur lesommet d'un jeune pin qu'il illumine comme une pyramide consacréeaux fêtes publiquesou à la branche inférieured'un grand chêne à laquelle il donne l'aspect d'unegirandole préparée pour les veillées de laforêt. Vois comme ils jouent autour de toicomme ilsfrémissent dans les fleurscomme ils rayonnent en reflets defeu sur les vases polis; ce ne sont point des démons ennemis.Ils dansentils se réjouissentils ont l'abandon et leséclats de la folie. S'ils s'exercent quelquefois àtroubler le repos des hommesce n'est jamais que pour satisfairecomme un enfant étourdià de riants caprices.

Ils seroulentmalicieuxdans le lin confus qui court autour du fuseaud'une vieille bergèrecroisentembrouillent les fils égaréset multiplient les noeuds contrariants sous les efforts de sonadresse inutile. Quand un voyageur qui a perdu sa route cherche d'unoeil avide à travers tout l'horizon de la nuit quelque pointlumineux qui promet un asilelongtemps ils le font errer de sentiersen sentiersà la lueur d'un feu infidèleau bruitd'une voix trompeuseou de l'aboiement éloigné d'unchien vigilant qui rôde comme une sentinelle autour de la fermesolitaire; ils abusent ainsi de l'espérance du pauvrevoyageurjusqu'à l'instant oùtouchés de pitiépour sa fatigueils lui présentent tout à coup un gîteinattenduque personne n'avait jamais remarqué dans cedésert; quelquefois mêmeil est étonné detrouver à son arrivée un foyer pétillant dont leseul aspect inspire la gaietédes mets rares et délicatsque le hasard a procurés à la chaumière dupêcheur ou du braconnieret une jeune fillebelle comme lesGrâcesqui le sert en craignant de lever les yeux: car il luia paru que cet étranger était dangereux àregarder. Le lendemainsurpris qu'un si court repos lui ait rendutoutes ses forcesil se lève heureux au chant de l'alouettequi salue un ciel pur: il apprend que son erreur favorable araccourci son chemin de vingt stades et demiet son chevalhennissant d'impatienceles naseaux ouvertsle poil lustréla crinière lisse et brillantefrappe devant lui la terred'un triple signal de départ. Le lutin bondit de la croupe àla tête du cheval du voyageuril passe ses doigts subtils dansla vaste crinièreil la roulela relève en onde; ilregardeil s'applaudit de ce qu'il a faitet il part content pouraller s'égayer du dépit d'un homme endormi qui brûlede soifet qui voit fuirse diminuertarir devant ses lèvresallongées un breuvage rafraîchissant; qui sondeinutilement la coupe du regard; qui aspire inutilement la liqueurabsente; puis se réveilleet trouve le vase rempli d'un vinde Syracuse qu'il n'a pas encore goûtéet que le folleta exprimé de raisins de choixtout en s'amusant desinquiétudes de son sommeil. Icitu peux boireparler oudormir sans terreurcar les follets sont nos amis. Satisfaisseulement à la curiosité impatiente de Théis etde Myrthéà la curiosité plus intéresséede Thélaïrequi n'a pas détourné de toises longs cils brillantsses grands yeux noirs qui roulent comme desastres favorables sur un ciel baigné du plus tendre azur.

Raconte-nousPolémonles extravagantes douleurs que tu as crues éprouversous l'empire des sorcières; car les tourments dont ellespoursuivent notre imagination ne sont que la vaine illusion d'un rêvequi s'évanouit au premier rayon de l'aurore. ThéisThélaïre et Myrthé sont attentives... Ellesécoutent...

Eh bien!parle... racontes-nous tes désespoirstes craintes et lesfolles erreurs de la nuit; et toiThéisverse du vin; et toiThélaïresouris à son récit pour que sonâme se console; et toiMyrthési tu le voissurprisdu souvenir de ses égarementscéder à uneillusion nouvellechante et soulève les cordes de la harpemagique... Demande-lui des sons consolateursdes sons qui renvoientles mauvais esprits... C'est ainsi qu'on affranchit les heuresaustères de la nuit de l'empire tumultueux des songesetqu'on échappe de plaisirs en plaisirs aux sinistresenchantements qui remplissent la terre pendant l'absence du soleil.

L'ÉPISODE

"Cettefemmeje l'ai vu de mes yeux attirer les astres du ciel; elledétourne par ses incantations le cours d'un fleuve rapide; savoix fait s'entrouvrir le solsortir les mânes du tombeaudescendre les ossements du bûcher tiède. Quand elleveutelle dissipe les nuages qui attristent le ciel; quand elleveutelle fait tomber la neige dans un ciel d'été."(CATULLEI2.)

"Compteque cette nuit tu auras des tremblements et des convulsions; lesdémonspendant tout ce temps de nuit profonde où illeur est permis d'agirexerceront sur toi leur cruelle malice. Jet'enverrai des pincements aussi serrés que les cellules de larucheet chacun d'eux sera aussi brûlant que l'aiguillon del'abeille qui la construit." (SHAKESPEARELa Tempêteacte IIsc. 2.)

Qui devous ne connaîtô jeunes filles! les doux caprices desfemmesdit Polémon réjouit. Vous avez aimé sansdouteet vous savez comment le coeur d'une veuve pensive qui égareses souvenirs solitaires sur les rives ombragées du Pénéese laisse surprendre quelquefois par le teint rembruni d'un soldatdont les yeux étincellent du feu de la guerreet dont le seinbrille de l'éclat d'une généreuse cicatrice. Ilmarche fier et tendre parmi les belles comme un lion apprivoiséqui cherche à oublier dans les plaisirs d'une heureuse etfacile servitude le regret de ses déserts.

C'estainsi que le soldat aime à occuper le coeur des femmesquandil n'est plus appelé par le clairon des batailles et que leshasards du combat ne sollicitent plus son ambition impatiente. Ilsourit du regard aux jeunes filleset il semble leur dire:Aimez-moi!...

Vous savezaussipuisque vous êtes Thessaliennesqu'aucune femme n'ajamais égalé en beauté cette noble Méroéquidepuis son veuvagetraîne de longue draperies blanchesbrodées d'argent; Méroéla plus belle desbelles de Thessalievous le savez. Elle est majestueuse comme lesdéesseset cependant il y a dans ses yeux je ne sais quellesflammes mortelles qui enhardissent les prétentions de l'amour.-- Oh! combien de fois je me suis plongé dans l'air qu'elleentraînedans la poussière que ses pieds font volerdans l'ombre fortunée qui la suit!...

Combien defois je me suis jeté au devant de sa marche pour déroberun rayon à ses regardsun souffle à sa boucheunatome au tourbillon qui flattequi caresse ses mouvements; combiende fois (Thélaïreme le pardonneras-tu?)j'épiaisla volupté brûlante de sentir un des plis de sa robefrémir contre ma tunique ou de pouvoir ramasser d'une lèvreavide une des paillettes de ses broderies dans les allées desjardins de Larisse! Quand elle passaitvois-tutous les nuagesrougissaient comme à l'approche de la tempête; mesoreilles sifflaientmes prunelles s'obscurcissaient dans leurorbite égaréemon coeur était près des'anéantir sous le poids d'une intolérable joie. Elleétait là! je saluais les ombres qui avaient flottésur ellej'aspirais l'air qui l'avait touchée; je disais àtous les arbres des rivages: Avez-vous vu Méroé? Sielle s'était couchée sur un banc de fleursavec quelamour jaloux je recueillais les fleurs que son corps avait froisséesles blancs pétales imbibés de carmin qui décorentle front penché de l'anémoneles flècheséblouissantes qui jaillissent du disque d'or de la margueritele voile d'un chaste gaze qui se roule autour d'un jeune lis avantqu'il ait souri au soleil; et si j'osais presser d'un embrassementsacrilège tout ce lit de fraîche verdureellem'incendiait d'un feu plus subtil que celui dont la mort a tisséles vêtements nocturne d'un fiévreux. Méroéne pouvait pas manquer de me remarquer. J'étais partout. Unjourà l'approche du crépusculeje trouvai sonregard; il souriait; elle m'avait devancéson pas seralentit. J'étais seul derrière elleet je la vis sedétourner. L'air était calmeil ne troublait pas sescheveuxet sa main soulevée s'en rapprochait comme pourréparer leur désordre. Je la suivisLuciusjusqu'aupalaisjusqu'au temple de la princesse de Thessalieet la nuitdescendit sur nousnuit de délices et de terreur!...Puisse-t-elle avoir été la dernière de ma vie etavoir fini plus tôt!

Je ne saissi tu as jamais supporté avec une résignation mêléed'impatience et de tendresse le poids du corps d'une maîtresseendormie qui s'abandonne au repos sur ton bras étendu sanss'imaginer que tu souffres; si tu as essayé de lutter contrele frisson qui saisit peu à peu ton sangcontrel'engourdissement qui enchaîne tes muscles soumis; de t'opposerà la conquête de la mort qui menace de s'étendrejusqu'à ton âme! C'est ainsiLuciusqu'un frémissementdouloureux parcourait rapidement mes nerfsen les ébranlantde tremblements inattendus comme le crochet aigu du plectrum qui faitdissoner toutes les cordes de la lyresous les doigts d'un musicienhabile. Ma chair se tourmentait comme une membrane sècheapprochée du feu.

Mapoitrine soulevée était près de rompreenéclatantles liens de fer qui l'enveloppaientquand Méroétout à coup assise à mes côtésarrêtasur mes yeux un regard profondétendit sa main sur mon coeurpour s'assurer que le mouvement en était suspendul'y reposalongtempspesante et froideet s'enfuit loin de moi de toute lavitesse d'une flèche que la corde de l'arbalèterepousse en frémissant. Elle courait sur les marbres dupalaisen répétant les airs des vieilles bergèresde Syracuse qui enchantent la lune dans ses nuages de nacre etd'argenttournait dans les profondeurs de la salle immenseetcriait de temps à autreavec les éclats d'une gaietéhorriblepour rappeler je ne sais quels amis qu'elle ne m'avait pasencore nommés.

Pendantque je regardais plein de terreuret que je voyais descendre le longdes muraillesse presser sous les portiquesse balancer sous lesvoûtesune foule innombrable de vapeurs distinctes les unesdes autresmais qui n'avait de la vie que des apparences de formesune voix faible comme le bruit de l'étang le plus calme dansune nuit silencieuseune couleur indécise empruntéeaux objets devant lesquels flottaient leurs figures transparentes...la flamme azurée et pétillante jaillit tout àcoup de tous les trépiedset Méroé formidablevolait de l'un à l'autre en murmurant des paroles confuses:

"Icide la verveine en fleur... làtrois brins de sauge cueillis àminuit dans le cimetière de ceux qui sont morts par l'épée...icile voile de la bien-aimée sous lequel le bien-aimécacha sa pâleur et sa désolation après avoirégorgé l'époux endormi pour jouir de sesamours... ici encoreles larmes d'une tigresse excédéepar la faimqui ne se console pas d'avoir dévoré un deses petits!"

Et sestraits renversés exprimaient tant de souffrance et d'horreurqu'elle me fit presque pitié.

Inquiètede voir ses conjurations suspendues par quelque obstacle imprévuelle bondit de rages'éloignarevint armée de deuxlongues baguettes d'ivoireliées à leur extrémitépar un lacet composé de treize crinsdétachésdu cou d'une superbe cavale blanche par le voleur même quiavait tué son maîtreet sur la tresse flexible elle fitvoler le rhombus d'ébèneaux globes vides et sonoresqui bruit et hurla dans l'air et revint en roulant avec un grondementsourdet roula encore en grondantet puis se ralentit et tomba. Lesflammes des trépieds se dressaient comme des langues decouleuvres; et les ombres étaient contentes. "Venezvenezcriait Méroéil faut que les démons dela nuit s'apaisent et que les morts se réjouissent.Apportez-moi de la verveine en fleurde la sauge cueillie àminuitet du trèfle à quatre feuilles; donnez desmoissons de jolis bouquets à Saga et aux démons de lanuit." Puis tournant un oeil étonné sur l'aspicd'or dont les replis s'arrondissaient autour de son bras nu; sur lebracelet précieuxouvrage du plus habile artiste de Thessaliequi n'y avait épargné ni le choix des métauxnila perfection du travail-- l'argent y était incrustéen écailles délicateset il n'y avait pas une dont lablancheur ne fût relevée par l'éclat d'un rubisou par la transparence si douce au regard d'un saphir plus bleu quele ciel. -- Elle le détacheelle méditeelle rêveelle appelle le serpent en murmurant des paroles secrètes; etle serpent animé se déroule et fuit avec un sifflementde joie comme un esclave délivré. Et le rhombus rouleencore; il roule toujours en grondantil roule comme la foudreéloignée qui se plaint dans des nuages emportéspar le ventet qui s'éteint en gémissant dans un oragefini. Cependanttoutes les voûtes s'ouvrenttous les espacesdu ciel se déploienttous les astres descendenttous lesnuages s'aplanissent et baignent le seuil comme des parvis deténèbres. La lunetachée de sangressemble aubouclier de fer sur lequel on vient de rapporter le corps d'un jeuneSpartiate égorgé par l'ennemi. Elle roule et appesantitsur moi son disque lividequ'obscurcit encore la fumée destrépieds éteints. Méroé continue àcourir en frappant de ses doigtsd'où jaillissent de longséclairsles innombrables colonnes du palaiset chaquecolonne qui se divise sous les doigts de Méroé découvreune colonnade immense qui est peuplée de fantômesetchacun des fantômes frappe comme elle une colonne qui ouvre descolonnades nouvelles; et il n'y a pas une colonne qui ne soit témoindu sacrifice d'un enfant nouveau-né arraché auxcaresses de sa mère. Pitié! pitié! m'écriai-jepour la mère infortunée qui dispute son enfant àla mort. -- Mais cette prière étoufféen'arrivait à mes lèvres qu'avec la force du souffled'un agonisant qui dit: Adieu! Elle expirait en sons inarticuléssur ma bouche balbutiante.

Ellemourait comme le cri d'un homme qui se noieet qui cherche en vain àconfier aux eaux muettes le dernier appel du désespoir. L'eauinsensible étouffe sa voix; elle le recouvremorne et froide;elle dévore sa plainte; elle ne le portera jamais jusqu'aurivage.

Tandis queje me débattais contre la terreur dont j'étais accabléet que j'essayais d'arracher de mon sein quelque malédictionqui réveillât dans le ciel la vengeance des dieux:Misérable! s'écria Méroésois puni àjamais de ton insolente curiosité!... Ah! tu oses violer lesenchantements du sommeil... Tu parlestu cris et tu vois... Eh bien!tu ne parleras plus que pour te plaindretu ne crieras plus que pourimplorer en vain la sourde pitié des absentstu ne verrasplus que des scènes d'horreur qui glaceront ton âme...Et en s'exprimant ainsiavec une voix plus grêle et plusdéchirante que celle d'une hyène égorgéequi menace encore les chasseurselle détachait de son doigtla turquoise chatoyante qui étincelait de flammes variéescomme les couleurs de l'arc-en-cielou comme la vague qui bondit àla marée montanteet réfléchit en se roulantsur elle-même les feux du soleil levant. Elle presse du doigtun ressort inconnu qui soulève la pierre merveilleuse sur sacharnière invisibleet découvre dans un écrind'or je ne sais quel monstre sans couleur et sans formequi bondithurles'élanceet tombe accroupi sur le sein de lamagicienne.‹ Te voilàdit-ellemon cher Smarralebien-aimél'unique favori de mes pensées amoureusestoi que la haine du ciel a choisi dans tous ses trésors pourle désespoir des enfants de l'homme. Vaje te l'ordonnespectre flatteurou décevant ou terribleva tourmenter lavictime que je t'ai livrée; fais-lui des supplices aussivariés que les épouvantements de l'enfer qui t'a conçuaussi cruelsaussi implacables que ma colère. Va te rassasierdes angoisses de son coeur palpitantcompter les battementsconvulsifs de son pouls qui se précipitequi s'arrête...contempler sa douloureuse agonie et la suspendre pour larecommencer... À ce prixfidèle esclave de l'amourtupourras au départ des songes redescendre sur l'oreillerembaumé de ta maîtresseet presser dans tes brascaressants la reine des terreurs nocturnes... ‹ Elle dit et lemonstre jaillit de sa main brûlante comme le palet arrondi dudiscoboleil tourne dans l'air avec la rapidité de ces feuxartificiels qu'on lance sur les naviresétend des ailesbizarrement festonnéesmontedescendgranditse rapetisseetnain difforme et joyeuxdont les mains sont arméesd'ongles d'un métal plus fin que l'acierqui pénètrentla chair sans la déchireret boivent le sang à lamanière de la pompe insidieuse des sangsuesil s'attache surmon coeurse développesoulève sa tête énormeet rit. En vain mon oeilfixe d'effroicherche dans l'espace qu'ilpeut embrasser un objet qui le rassure: les mille démons de lanuit escortent l'affreux démon de la turquoise. Des femmesrabougries au regard ivre; des serpents rouges et violets dont labouche jette du feu; des lézards qui élèventau-dessus d'un lac de boue et de sang un visage pareil à celuide l'homme; des têtes nouvellement détachées dutronc par la hache du soldatmais qui me regarde avec des yeuxvivantset s'enfuient en sautillant sur des pieds de reptiles...

Depuiscette nuit funesteô Luciusil n'est plus de nuits paisiblespour moi. La couche parfumée des jeunes filles qui n'estouverte qu'aux songes voluptueux; la tente infidèle duvoyageur qui se déploie tous les soirs sous de nouveauxombrages; le sanctuaire même des temples est un asileimpuissant contre les démons de la nuit.

Àpeine mes paupièresfatiguées de lutter contre lesommeil si redoutése ferment d'accablementtous lesmonstres sont làcomme à l'instant où je les aivus s'échapper avec Smarra de la bague magique de Méroé.Ils courent en cercle autour de moim'étourdissent de leurscrism'effaraient de leurs plaisirs et souillent mes lèvresfrémissantes de leurs caresses de harpies. Méroéles conduit et plane au-dessus d'eux en secouant sa longue chevelured'où s'échappent des éclairs d'un bleu livide.Hier encore... elle était bien plus grande que je ne l'ai vueautrefois... c'était les mêmes formes et les mêmestraitsmais sous leur apparence séduisante je discernais aveceffroicomme au travers d'une gaze subtile et légèrele teint plombé de la magicienne et ses membres couleur desouffre: ses yeux fixes et creux étaient tout noyés desangdes larmes de sang sillonnaient ses joues profondeset sa maindéployée dans l'espacelaissait imprimée surl'air même la trace d'une main de sang...

-- Viensme dit-elle en m'effleurant d'un signe du doigt qui m'aurait anéantis'il m'avait touchéviens visiter l'empire que je donne àmon épouxcar je veux que tu connaisses tous les domaines dela terreur et du désespoir...--Et en parlant ainsi elle volaitdevant moiles pieds à peine détachés du solet s'approchant ou s'éloignant alternativement de la terrecomme la flamme qui danse au-dessus d'une torche prête às'éteindre. Oh! que l'aspect du chemin que nous dévorionsen courant était affreux à tous les sens! Que lamagicienne elle-même paraissait impatiente d'en trouver la fin!Imagine-toi le caveau funèbre où elle entasse lesdébris de toutes les innocentes victimes de leurs sacrificesetparmi les plus imparfaits de ces restes mutiléspas unlambeau qui n'ait conservé une voixdes gémissementset des pleurs!

Imagine-toides murailles mobilesmobiles et animéesqui se resserrentde part et d'autre au-devant de tes paset qui embrassent peu àpeu tous tes membres de l'enceinte d'une prison étroite etglacée... Ton sein oppressé qui se soulèvequitressaillequi bondit pour aspirer l'air de la vie à traversla poussière des ruinesla fumée des flambeauxl'humidité des catacombesle souffle empoisonné desmorts... et tous les démons de la nuit qui crientquisifflenthurlent ou rugissent à ton oreille épouvantée:Tu ne respireras plus!

Et pendantque je marchaisun insecte mille fois plus petit que celui quiattaque d'une dent impuissante le tissu délicat des feuillesde rose; un atome disgracié qui passe mille ans àimposer un de ses pas sur la sphère universelle des cieux dontla matière est mille fois plus dure que le diamant... Ilmarchaitil marchait aussi; et la trace obstinée de ses piedsparesseux avait divisé ce globe impérissable jusqu'àson axe.

Aprèsavoir parcouru ainsitant notre élan était rapideunedistance pour laquelle les langages de l'homme n'ont point de termede comparaisonje vis jaillir de la bouche d'un soupirailvoisincomme la plus éloignée des étoilesquelquestraits d'une blanche clarté. Pleine d'espéranceMéroés'élançaje la suivisentraîné par unepuissance invincible; et d'ailleurs le chemin du retoureffacécomme le néantinfini comme l'éternitévenaitde se fermer derrière moi d'une manière impénétrableau courage et à la patience de l'homme. Il y avait déjàentre Larisse et nous tous les débris des mondes innombrablesqui ont précédé celui-ci dans les essais de lacréationdepuis le commencement des tempset dont le plusgrand nombre ne le surpassent pas moins en immensité qu'iln'excède lui-même de son étendue prodigieuselenid invisible du moucheron. La porte sépulcrale qui nous reçutou plutôt qui nous aspira au sortir de ce gouffre s'ouvrait surun champ sans horizonqui n'avait jamais rien produit. On ydistinguait à peine un coin reculé du ciel le contourindécis d'un astre immobile et obscurplus immobile quel'airplus obscur que les ténèbres qui règnedans ce séjour de désolation. C'était le cadavredu plus ancien des soleilscouché sur le fond ténébreuxdu firmamentcomme un bateau submergé sur un lac grossi parla fonte des neiges. La lueur pâle qui venait de frapper mesyeux ne provenait point de lui. On aurait dit qu'elle n'avait aucuneorigine et qu'elle n'était qu'une couleur particulièrede la nuità moins qu'elle ne résultat de l'incendiede quelque monde éloigné dont la cendre brûlaitencore.

Alors lecroiras-tu? elles vinrent toutesles sorcières de Thessalieescortées de ces nains de la terre qui travaillent dans lesminesqui ont un visage comme le cuivre et des cheveux bleus commel'argent dans la fournaise; de ces salamandres aux longs brasàla queue aplatie en rameaux couleurs inconnuesqui descendentvivantes et agiles du milieu des flammescomme des lézardsnoirs à travers une poussière de feu; elles vinrentsuivies des Aspioles qui ont le corps si frêlesi élancésurmonté d'une tête difformemais rianteet qui sebalancent sur les ossements de leurs jambes vides et grêlessemblable à un chaume stérile agité par le vent;des Achrones qui n'ont point de membrespoint de voixpoint defigurespoint d'âgeet qui bondissent en pleurant sur laterre gémissantecomme des outres gonflées d'air; desPsylles qui sucent un venin cruelet quiavides de poisonsdansenten rond en poussant des sifflements aigus pour éveiller lesserpentspour les réveiller dans l'asile cachédansle trou sinueux des serpents. Il y avait là jusqu'auxMorphoses que vous avez tant aiméqui sont belles commePsychéqui jouent comme les Grâcesqui ont des concertcomme les Museset dont le regard séducteurplus pénétrantplus envenimé que la dent de la vipèreva incendiervotre sang et faire bouillir la moelle dans vos os calcinés.Tu les aurais vuesenveloppées dans leurs linceuls depourprepromener autour d'elles des nuages plus brillants quel'Orientplus parfumés que l'encens d'Arabieplus harmonieuxque le premier soupir d'une vierge attendrie par l'amouret dont lavapeur enivrante fascinait pour la tuer. Tantôt leurs yeuxroulent une flamme humide qui charme et qui dévore; tantôtelles penchent la tête avec une grâce qui n'appartientqu'à ellesen sollicitant votre confiance créduled'un sourire caressantdu sourire d'un masque perfide et animéqui cache la joie du crime et la laideur de la mort. Que tedirais-je? Entraîné par le tourbillon des esprits quiflottait comme un nuage; comme la fumée d'un rouge sanglantqui descend d'une ville incendiée; comme la lave liquide quirépandcroiseentrelace des ruisseaux ardents sur unecampagne de cendres... j'arrivai... j'arrivai... Tous les sépulcresétaient ouverts... tous les morts étaient exhumés...toutes les goulespâlesimpatientesaffaméesétaientprésentes; elles brisaient les ais des cercueilsdéchiraientles vêtements sacrésles derniers vêtements ducadavre; se partageaient d'affreux débris avec une plusaffreuse voluptéetd'une main irrésistiblecarj'étais hélas! faible et captif comme un enfant auberceauelles me forçaient à m'associer... ôterreur... à leur exécrable festin!...

Enachevant ces parolesPolémon se souleva sur son litettremblantéperdules cheveux hérissésleregard fixe et terribleil nous appela d'une voix qui n'avait riend'humain.

-- Maisles airs de la harpe de Myrthé volaient déjàdans les airs; les démons étaient apaiséslesilence était calme comme la pensée de l'innocent quis'endort la veille de son jugement. Polémon dormait paisibleaux doux sons de la harpe de Myrthé.

L'ÉPODE

"Icidonc le châtiment les éprouveet elles expient par dessupplices leurs anciens crimes. Les unessuspendues dans les airssont le jouet des vents; les autresplongées dans un vastegouffres'y lavent de leurs souillures criminellesou s'épurentdans le feu." (VIRGILEÉnéïdech. VI739-742.)

"C'estla coutume de dormir après ses repaset le moment estfavorable pour lui briser le crâne avec un marteaului ouvrirle ventre avec un pieuou lui couper la gorge avec un poignard."(SHAKESPEARELa Tempêteacte IIscène 2.)

Lesvapeurs du plaisir et du vin avaient étourdi mes espritsetje voyais malgré moi les fantômes de l'imagination dePolémon se poursuivre dans les recoins les moins éclairésde la salle du festin. Déjà il s'était endormid'un sommeil profond sur le lit semé de fleursà côtéde sa coupe renverséeet mes jeunes esclaves surprises par unabattement plus douxavaient laissé tomber leur têteappesantie contre la harpe qu'elles tenaient embrassée.

Lescheveux d'or de Myrthé descendaient comme un long voile surson visage entre les fils d'or qui pâlissent auprèsd'euxet l'haleine de son doux sommeilerrant sur les cordesharmonieusesen tirait encore je ne sais quel son voluptueux quivenait mourir à mon oreille. Cependant les fantômesn'étaient pas partis; ils dansaient toujours dans les ombresdes colonnes et dans la fumée des flambeaux. Impatient de ceprestige imposteur de l'ivresseje ramenai sur ma tête lesfrais rameaux du lierre préservateuret je fermai avec forcemes yeux tourmentés par les illusions de la lumière.J'entendis alors une étrange rumeuroù je distinguaisdes voix tour à tour graves et menaçantesouinjurieuses et ironiques.

Uned'elles me répétait avec une fastidieuse monotoniequelques vers d'une scène d'Eschyle; une autre les dernièresleçons que m'avait adressées mon aïeul mourant; detemps en temps comme une bouffée de vent qui court en sifflantparmi les branches mortes et les feuilles desséchéesdans les intervalles de la tempêteune figure dont je sentaisle souffle éclatait de rire contre ma joueet s'éloignaiten riant encore. Des illusions bizarres et horribles succédèrentà cette illusion. Je croyais voirà travers un nuagede sangtous les objets sur lesquels mes regards venaient des'éteindre: ils flottaient devant moi et me poursuivaientd'attitudes horribles et de gémissements accusateurs. Polémontoujours couché auprès de sa coupe videMyrthétoujours appuyée sur sa harpe immobilepoussaient contre moides imprécations furieuseset me demandaient compte de je nesais quel assassinat. Au moment où je me soulevais pour leurrépondreet où j'étendais mes bras sur lacouche rafraîchie par d'amples libations de liqueurs et deparfumsquelque chose de froid saisit les articulations de mes mainsfrémissantes: c'était un noeud de ferqui au mêmeinstant tomba sur mes pieds engourdiset je me trouvai debout entredeux haies de soldats lividesétroitement serrésdontles lances terminées par un fer éblouissantreprésentaient une longue suite de candélabres. Alorsje me mis à marcheren cherchant du regarddans le ciellevol de la colombe voyageusepour confier au moins à sessoupirsavant le moment horrible que je commençais àprévoirle secret d'un amour caché qu'elle pourraitraconter un jour en planant près de la baie de Corcyreau-dessus d'une jolie maison blanche; mais la colombe pleurait surson nidparce que l'autour venait de lui enlever le plus cher desoiseaux de sa couvéeet je m'avançais d'un pas pénibleet mal assuré vers le but de ce convoi tragiqueau milieud'un murmure d'affreuse joie qui courait à travers la fouleet qui appelait impatiemment mon passage; le murmure du peuple àla bouche béanteà la vue altérée dedouleur dont la sanglante curiosité boit du plus loin possibletoutes les larmes de la victime que le bourreau va lui jeter. Levoilàcriaient-ils tousle voilà... -- Je l'ai vu surun champ de batailledisait un vieux soldatmais il n'étaitpas alors blême comme un spectreet il paraissait brave àla guerre. --Qu'il est petitce Lucius dont on faisait un Achille etun Hercule ! reprenait un nain que je n'avais pas remarquéparmi eux. C'est la terreursans doute qui anéanti sa forceet qui fléchit ses genoux.

--Est-onbien sûr que tant de férocité ait pu trouverplace dans le coeur d'un homme ? dit un vieillard aux cheveux blancsdont le doute glaça mon coeur. Il ressemblait à monpère. -- Lui ! repartit la voix d'une femmedont laphysionomie exprimait tant de douceur...

Lui !répéta-t-elle en s'enveloppant de son voile pour éviterl'horreur de mon aspect... le meurtrier de Polémon et de labelle Myrthé !... -- Je crois que le monstre me regardeditune femme du peuple. Ferme-toioeil de basilicâme de vipèreque le ciel te maudisse !

-- Pendantce temps-là les toursles ruesla ville entièrefuyaient derrière moi comme le port abandonné par unvaisseau aventureux qui va tenter les destins de la mer. Il nerestait qu'une place nouvellement bâtievasterégulièresuperbecouverte d'édifices majestueuxinondée d'unefoule de citoyens de tous les étatsqui renonçaient àleurs devoirs pour obéir à l'attrait d'un plaisirpiquant. Les croisées étaient garnies de curieuxavidesentre lesquels on voyait des jeunes gens disputer l'étroiteembrasure à leur mère ou à leur maîtresse.L'obélisque élevé au-dessus des fontainesl'échafaudage tremblant du maçonles tréteauxnomades du baladinportaient des spectateurs. Des hommes haletantsd'impatience et de volupté pendaient aux corniches des palaiset embrassant de leurs genoux les arêtes de la murailleilsrépétaient avec une joie immodérée :Levoilà ! Une petite fille dont les yeux hagards annonçaientla folieet qui avait une tunique bleue toute froissée et descheveux blonds poudrés de pailletteschantait l'histoire demon supplice. Elle disait les paroles de ma mort et la confession demes forfaitset sa complainte cruelle révélait àmon âme épouvantée des mystères du crimeimpossibles à concevoir pour le crime même. L'objet detout ce spectaclec'était moiun autre homme quim'accompagnaitet quelques planches exhaussées sur quelquespieuxau-dessus desquelles le charpentier avait fixé un siègegrossier et un bloc de bois mal équarri qui le dépassaitd'une demi-brasse. Je montai quatorze degrés ; je m'assis ; jepromenai mes yeux sur la foule ; je désirai de reconnaîtredes traits amisde trouver dans le regard circonspect d'un adieuhonteuxdes lueurs d'espérance ou de regret ; je ne vis queMyrthé qui se réveillait contre sa harpeet qui latouchait en riant ; que Polémon qui relevait sa coupe videetquià demi étourdi par les fumées de sonbreuvagela remplissait encore d'une main égarée. Plustranquilleje livrai ma tête au sabre si tranchant et si glacéde l'officier de la mort. Jamais un frisson plus pénétrantn'a couru entre les vertèbres de l'homme ; il étaitsaisissant comme le dernier baiser que la fièvre imprime aucou d'un moribondaigu comme l'acier raffinédévorantcomme le plomb fondu.

Je ne fustiré de cette angoisse que par une commotion terrible : matête était tombée... elle avait roulérebondi sur le hideux parvis de l'échafaudetprête àdescendre toute meurtrie entre les mains des enfantsdes jolisenfants de Larissequi se jouent avec des têtes de mortselles'était rattachée à une planche saillante en lamordant avec ces dents de fer que la rage prête àl'agonie. De là je tournais mes yeux vers l'assembléequi se retirait silencieuse mais satisfaite. Un homme venait demourir devant le peuple. Tout s'écoula en exprimant unsentiment d'admiration pour celui qui ne m'avait pas manquéet un sentiment d'horreur contre l'assassin de Polémon et dela belle Myrthé. -- Myrthé ! Myrthé !m'écriai-je en rugissantmais sans quitter la planchesalutaire. -- Lucius ! Lucius ! répondit-elle en sommeillant àdemitu ne dormiras donc jamais tranquille quand tu as vidéune coupe de trop ! Que les dieux infernaux te pardonnentet nedérange plus mon repos. J'aimerais mieux coucher au bruit dumarteau de mon pèredans l'atelier où il tourmente lecuivreque parmi les terreurs nocturnes de ton palais.

Et pendantqu'elle me parlaitje mordaisobstinéle bois humectéde mon sang fraîchement répanduet je me félicitaisde sentir croître les sombres ailes de la mort qui sedéployaient lentement au-dessous de mon cou mutilé.Toutes les chauves-souris du crépuscule m'effleuraientcaressanteen me disant : Prends des ailes !... et je commençaisà battre avec effort je ne sais quels lambeaux qui mesoutenaient à peine. Cependant tout à coup j'éprouvaiune illusion rassurante. Dix fois je frappai les lambris funèbresdu mouvement de cette membrane presque inanimée que jetraînais autour de moi comme les pieds flexibles du reptile quise roule dans le sable des fontaines ; dix fois je rebondis enm'essayant peu à peu dans l'humide brouillard. Qu'il étaitnoir et glacé ! et que les déserts de ténèbressont tristes ! Je remontai enfin jusqu'à la hauteur desbâtiments les plus élevéset je planai en rondautour du socle solitaireque ma bouche mourante venait d'effleurerd'un sourire et d'un baiser d'adieu. Tous les spectateurs avaientdisparutous les bruits avaient cessétous les astresétaient cachéstoutes les lumières évanouies.L'air était immobilele ciel glauqueternefroid comme unetôle mate. Il ne restait rien de ce que j'avais vude ce quej'avais imaginé sur la terreet mon âme épouvantéed'être vivante fuyait avec horreur une solitude plus immenseune obscurité plus profonde que la solitude et l'obscuritédu néant. Mais cet asile que je cherchaisje ne le trouvaispas. Je m'élevais comme le papillon de nuit qui a nouvellementbrisé ses langes mystérieux pour déployer leluxe inutile de sa parure pourpred'azur et d'or.

S'ilaperçoit de loin la croisée du sage qui veille enécrivant à la lueur d'une lampe de peu de valeuroud'une jeune épouse dont le mari s'est oublié àla chasseil monteil cherche à se fixerbat le vitrage enfrémissants'éloigneroulebourdonneet tombe enchargeant la talc transparent de toute la poussière de sesailes fragiles.

C'estainsi que je battais des mornes ailes que le trépas m'avaitdonné les voûtes d'un ciel d'airainqui ne me répondaitque par un sourd retentissementet je redescendais en planant enrond autour du socle solitairedu socle que ma bouche mourantevenait d'effleurer d'un sourire et d'un baiser d'adieu. Le soclen'était plus vide. Un autre homme venait d'y appuyer sa têtesa tête renversée en arrièreet son cou montraità mes yeux la trace de la blessurela cicatrice triangulairedu fer de lance qui me ravit Polémon au siège deCorinthe. Ses cheveux ondoyants roulaient leurs boucles doréesautour du bloc sanglant : mais Polémontranquille et lespaupières abattuesparaissait dormir d'un sommeil heureux.Quelque sourire qui n'était pas celui de la terreur volait surses lèvres épanouieset appelait de nouveaux chants deMyrthéou de nouvelles caresses de Thélaïre. Auxtraits du jour pâle qui commençait à se répandredans l'enceinte de mon palaisje reconnaissais à des formesencore un peu indécises toutes les colonnes et tous lesvestibulesparmi lesquels j'avais vu se former pendant la nuit lesdanses funèbres des mauvais esprits. Je cherchais Myrthé; mais elle avait quitté sa harpeetimmobile entre Thélaïreet Théiselle arrêtait un regard morne et cruel sur leguerrier endormi. Tout à coup au milieu d'elles s'élançaMéroé : l'aspic d'or qu'elle avait détachéde son bras sifflait en glissant sous les voûtes ; le rhombusretentissant roulait et grondait dans l'air ; Smarra convoquépour le départ des songes du matinvenait réclamer larécompense promise par la reine des terreurs nocturnesetpalpitait auprès d'elle d'un hideux amour en faisantbourdonner ses ailes avec tant de rapiditéqu'ellen'obscurcissaient pas du moindre nuage la transparence de l'air.

-- Théiset Thélaïreet Myrthé dansaient écheveléeset poussaient des hurlements de joie. Près de moi d'horriblesenfants aux cheveux blancsau front ridéà l'oeiléteints'amusaient à m'enchaîner sur mon lit desplus fragiles réseaux de l'araignée qui jette son filetperfide à l'angle de deux murailles contiguës pour ysurprendre un pauvre papillon égaré. Quelques-unsrecueillaient ces fils d'un blanc soyeux dont les flocons légerséchappent au fuseau miraculeux des féeset ils leslaissaient tomber de tout le poids d'une chaîne de plomb surmes membres excédés de douleur.

--Lève-toime disaient-ils avec des rires insolentset ils brisaient mon seinoppressé en le frappant d'un chalumeau de paillerompu enforme de fléauqu'ils avaient dérobé àla gerbe d'une glaneuse. Cependant j'essayais de dégager desfrêles liens qui les captivaient mes mains redoutables àl'ennemiet dont le poids s'est fait sentir souvent aux Thessaliensdans les jeux cruels du ceste et du pugilat ; et mes mainsredoutablesmes mains exercées à soulever un ceste defer qui donne la mortmollissaient sur la poitrine désarméedu nain fantastiquecomme l'éponge battue par la tempêteau pied d'un vieux rocher que la mer attaque sans l'ébranlerdepuis le commencement des siècles. Ainsi s'évanouitsans laisser de tracesavant même d'effleurer l'obstacle dontle rapproche un souffle jalouxce globe aux mille couleursjouetéblouissant et fugitif des enfants.

Lacicatrice de Polémon versait du sanget Méroéivre de voluptéélevait au-dessus du groupe avide deses compagnes le coeur déchiré du soldat qu'elle venaitd'arracher de sa poitrine. Elle en refusaitelle en disputait leslambeaux aux filles de Larisse altérées de sang. Smarraprotégeait de son vol rapide et de ses sifflements menaçantl'effroyable conquête de la reine des terreurs nocturnes. Àpeine il caressait lui-même de l'extrémité de satrompedont la longue spirale se déroulait comme un ressortle coeur sanglant de Polémonpour tromper un momentl'impatience de sa soif ; et Méroéla belle Méroésouriait à sa vigilance et à son amour.

Les liensqui me retenaient avaient enfin cédé ; et je tombaisdeboutéveillé au pied du lit de Polémontandis que loin de moi fuyaient tous les démonset toutes lessorcièreset toutes les illusions de la nuit. Mon palaismêmeet les jeunes esclaves qui en faisaient l'ornementfortune passagère des songesavaient fait place à latente d'un guerrier blessé sous les murailles de Corintheetau cortège lugubre des officiers de la mort. Les flambeaux dudeuil commençaient à retentir sous les voûtessouterraines du tombeau. Et Polémon... ô désespoir! ma main tremblante demandait en vain une faible ondulation àsa poitrine. --Son coeur ne battait plus. -- Son sein étaitvide.

L'ÉPILOGUE

"Icil'on entend les gémissements lamentables des âmes quivolent avec un sifflement légerles paysans voient passer lesspectres blêmes et les fantômes des morts."(CLAUDIEN)

"Jamais je ne pourrai ajouter foi à ces vieilles fablesni àces jeux de féerie.Les amantsles fous et les poètesont des cerveaux brûlantsune imagination qui ne conçoitque des fantômeset dont les conceptionsroulant dans unbrûlant délires'égarent toutes au-delàdes limites de la raison. " (SHAKESPEARELe Songe d'unenuit d'étéacte Vscène 1.)

Ah ! quiviendra briser leurs poignardsqui pourra étancher le sang demon frère et le rappeler à la vie ! Oh ! que suis-jevenu chercher ici ! Éternelle douleur ! LarisseThessalieTempéflots du Pénée que j'abhorre ! ôPolémoncher Polémon !...

" Quedis-tuau nom de notre bon angeque dis-tu de poignards et de sang? Qui te fait balbutier depuis si longtemps des paroles qui n'ontpoint d'ordreou gémir d'une voix étoufféecomme un voyageur qu'on assassine au milieu de son sommeilet quiest réveillé par la mort ?... Lorenzomon cherLorenzo... "

LisidisLisidisest-ce toi qui m'a parlé ? en véritéj'ai cru reconnaître ta voixet j'ai pensé que lesombres s'en allaient. Pourquoi m'as-tu quitté pendant que jerecevais dans mon palais de Larisse les derniers soupirs de Polémonau milieu des sorcières qui dansent de joie ? Voiscommeelles dansent de joie...

"..Hélas ! je ne connais ni Polémonni Larisseni lajoie formidable des sorcières de Thessalie. Je ne connais queLorenzo. C'était hier -- as-tu pu l'oublier si vite ? -- querevenait pour la première fois le jour qui a vu consacrernotre mariage ; c'était hier le huitième jour de notremariage... regarderegarde le jourregarde Aronale lac et le cielde Lombardie... "

Les ombresvont et reviennentelles me menacentelles parlent avec colèreelles parlent de Lisidisd'une jolie petite maison au bord des eauxet d'un rêve que j'ai fait sur une terre éloignée...elles grandissentelles me menacentelles crient...

" Dequel nouveau reproche veux-tu me tourmentercoeur ingrat et jaloux ?Ah ! je sais bien que tu te joues de ma douleuret que tu necherches qu'à excuser quelque infidélitéou àcouvrir d'un prétexte bizarre une rupture préparéed'avance... Je ne te parlerai plus. "

Oùest Théisoù est Myrthéoù sont lesharpes de Thessalie ? LisidisLisidissi je ne me suis pas trompéen entendant ta voixta douce voixtu dois être làprès de moi... toi seule peux me délivrer des prestigeset des vengeances de Méroé... Délivre-moi deThéisde Myrthéde Thélaïre elle-même...

"C'est toicruelqui porte trop loin la vengeanceet qui veux mepunir d'avoir dansé hier trop longtemps avec un autre que toiau bal de l'île Belle ; mais s'il avait osé me parlerd'amours'il m'avait parlé d'amour... "

Par saintCharles d'Aronaque Dieu l'en préserve à jamais...Serait-il vrai en effetma Lisidisque nous sommes revenus de l'îleBelle au doux bruit de ta guitarejusqu'à notre jolie maisond'Arona-- de Larissede Thessalieau doux bruit de ta harpe etdes eaux du Pénée ?

"Laisse la Thessalie. Lorenzoréveille-toi... vois les rayonsdu soleil levant qui frappe la tête colossale de saint Charles.Écoute le bruit du lac qui vient mourir au pied de notre joliemaison d'Arona. Respire les brises du matin qui portent sur leursailes si fraîches tous les parfums des jardins et des îlestous les murmures du jour naissant. Le Pénée coule bienloin d'ici. "

Tu necomprendras jamais ce que j'ai souffert cette nuit sur ses rivages.Que ce fleuve soit maudit de la natureet maudite aussi la maladiefuneste qui a égaré mon âme pendant des heuresplus longues que la vie dans des scènes de fausses déliceset de cruelles terreurs ! elle a imposé sur mes cheveux lepoids de dix ans de vieillesse !

" Jete jure qu'ils n'ont pas blanchi... mais une autre fois plusattentiveje lierais une de mes mains à ta mainje glisserail'autre dans les boucles de tes cheveuxje respirerai toute la nuitle souffle de tes lèvreset je me défendrai d'unsommeil profond pour pouvoir te réveiller toujours avant quele mal qui te tourmente soit parvenu jusqu'à ton coeur...Dors-tu ? "