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Jean-Baptiste Molière

 

L'école des femmes

 

 

A Madame[Henriette d'AngleterreDuchesse d'Orléans (1644-1670)]


Madame

Je suis leplus embarrassé homme du mondelorsqu'il me faut dédierun livre ; et je me trouve si peu fait au style d'épîtredédicatoireque je ne sais pas où sortir decelle-ci. Un autre auteurqui serait en ma placetrouveraitd'abord cent belles choses à dire de Votre Altesse Royalesur ce titre de l'Ecole des femmeset l'offre qu'il vous enferait. Maispour moiMadameje vous avoue mon faible. Je nesais point cet art de trouver des rapports entre des choses sipeu proportionnées ; etquelques belles lumièresque mes confrères les auteurs me donnent tous les jourssur de pareils sujetsje ne vois point ce que Votre Altesse Royalepourrait avoir à déméler avec la comédieque je lui présente.

On n'estpas en peinesans doutecomment il faut faire pour vous louer.La matièreMadamene saute que trop aux yeux ; etdequelque côté qu'on vous regardeon rencontre gloiresur gloireet qualités sur qualités. Vous en avezMadamedu côté du rang et de la naissancequi vousfont respecter de toute la terre. Vous en avez du côtédes grâceset de l'esprit et du corpsqui vous fontadmirer de toutes les personnes qui vous voient. Vous en avez ducôté de l'âmequisi l'on ose parler ainsivousfont aimer de tous ceux qui ont l'honneur d'approcher de vous :je veux dire cette douceur pleine de charmesdont vous daigneztempérer la fierté des grands titres que vousportez ; cette bonté tout obligeantecette affabilitégénéreuse que vous faites paraître pour toutle monde ; et ce sont particulièrement ces dernièrespour qui je suiset dont je sens fort bien que je ne me pourraitaire quelque jour. Mais encore une foisMadameje ne saispoint le biais de faire entrer ici des vérités siéclatantes ; et ce sont chosesà mon avisetd'une trop vaste étendue et d'un mérite trop élevépour les vouloir renfermer dans une épître et les mêleravec des bagatelles.

Tout bienconsidéréMadameje ne vois rien à faire icipour moi que de vous dédier simplement ma comédieet de vous assureravec tout le respect qu'il m'est possibleque je suisDe Votre Altesse RoyaleMadameLe trèshumbletrès obéissantet très obligéserviteurJ. B. Molière.

Préface

Bien desgens ont frondé d'abord cette comédie ; mais les rieursont été pour elleet tout le mal qu'on en a pudiren'a pu faire qu'elle n'ait eu un succès dont je mecontente.

Je saisqu'on attend de moi dans cette impression quelque préface quiréponde aux censeurset rende raison de mon ouvrage ; et sansdoute que je suis assez redevable à toutes les personnesqui lui ont donné leur approbationpour me croire obligéde défendre leur jugement contre celui des autresmais ilse trouve qu'une grande partie des choses que j'aurais àdire sur ce sujet est déjà dans une dissertationque j'ai faite en dialogueet dont je ne sais encore ce que jeferai. L'idée de ce dialogueousi l'on veutde cettepetite comédieme vint après les deux ou troispremières représentations de ma pièce.

Je la discette idéedans une maison où je me trouvai un soir ;et d'abord une personne de qualitédont l'esprit estassez connu dans le mondeet qui me fait l'honneur de m'aimertrouva le projet assez à son grénon seulementpour me solliciter d'y mettre la mainmais encore pour l'ymettre lui-mêmeet je fus étonné quedeuxjours aprèsil me montra toute l'affaire exécutéed'une manièreà la véritébeaucoup plusgalante et plus spirituelle que je ne puis fairemais oùje trouvai des choses trop avantageuses pour moi ; et j'eus peurquesi je produisais cet ouvrage sur notre théâtreon ne m'accusât d'avoir mendié les louanges qu'onm'y donnait. Cependant cela m'empêchapar quelqueconsidérationd'achever ce que j'avais commencé.Mais tant de gens me pressent tous les jours de le faireque jene sais ce qui en sera ; et cette incertitude est cause que je nemets point dans cette Préface ce qu'on verra dans laCritiqueen cas que je me résolve à la faireparaître. S'il faut que cela soitje le dis encorecesera seulement pour venger le public du chagrin délicat decertaines gens ; carpour moije m'en tiens assez vengé parla réussite de ma comédie ; et je souhaite quetoutes celles que je pourrai faire soient traitées par euxcomme celle-cipourvu que le reste soit de même.


ActeI



Scène1 - CHRYSALDEARNOLPHE


CHRYSALDE
Vous venezdites-vouspour lui donner la main?

ARNOLPHE
Oui. Je veux terminer la chose dans demain.

CHRYSALDE
Nous sommes ici seulset l'on peutce me semble
Sanscraindre d'être ouïsy discourir ensemble.
Voulez-vousqu'en ami je vous ouvre mon coeur?
Votre desseinpour vousmefait trembler de peur
Etde quelque façon que voustourniez l'affaire
Prendre femme est à vous un coup bientéméraire.

ARNOLPHE
Il est vrainotre ami. Peut-être que chez vous
Voustrouvez des sujets de craindre pour chez nous ;
Et votre frontje croisveut que du mariage
Les cornes soient partoutl'infaillible apanage.

CHRYSALDE
Ce sont coups de hasarddont on n'est point garant ;
Et biensotce me sembleest le soin qu'on en prend.
Maisquand jecrains pour vousc'est cette raillerie
Dont cent pauvres marisont souffert la furie :
Car enfinvous savez qu'il n'est grandsni petits
Que de votre critique on ait vus garantis :
Quevos plus grands plaisirs sontpartout où vous êtes
Defaire cent éclats des intrigues secrètes...

ARNOLPHE
Fort bien. Est-il au monde une autre ville aussi
Oùl'on ait des maris si patients qu'ici?
Est-ce qu'on n'en voit pasde toutes les espèces
Qui sont accommodés chez euxde toutes pièces?
L'un amasse du bien dont sa femme faitpart
A ceux qui prennent soin de le faire cornard ;
L'autreun peu plus heureuxmais non pas moins infâme
Voit fairetous les jours des présents à sa femme
Et d'aucunsoin jaloux n'a l'esprit combattu
Parce qu'elle lui dit que c'estpour sa vertu.
L'un fait beaucoup de bruit qui ne lui sert deguères ;
L'autre en toute douceur laisse aller lesaffaires
Etvoyant arriver chez lui le damoiseau
Prendfort honnêtement ses gants et son manteau.
L'unede songalanten adroite femelle
Fait fausse confidence à sonépoux fidèle
Qui dort en sûreté surun pareil appas
Et le plaintce galantdes soins qu'il ne perdpas ;
L'autrepour se purger de sa magnificence
Dit qu'ellegagne au jeu l'argent qu'elle dépense
Et le mari benêtsans songer à quel jeu
Sur les gains qu'elle fait renddes grâces à Dieu.
Enfince sont partout des sujetsde satire
Etcomme spectateurne puis-je pas en rire?
Puis-jepas de nos sots...

CHRYSALDE
Oui ; mais qui rit d'autrui
Doit craindre qu'en revanche onrie aussi de lui.
J'entends parler le mondeet des gens sedélassent
A venir débiter les choses qui se passent;
Maisquoi que l'on divulgue aux endroits où je suis
Jamais on ne m'a vu triompher de ces bruits.
J'y suis assezmodeste ; et bien qu'aux occurrences
Je puisse condamnercertaines tolérances
Que mon dessein ne soit de souffrirnullement
Ce que quelques maris souffrent paisiblement
Pourtantje n'ai jamais affecté de le dire ;
Car enfin il fautcraindre un revers de satire
Et l'on ne doit jamais jurer sur detels cas
De ce qu'on pourra faireou bien ne faire pas.
Ainsiquand à mon frontpar un sort qui tout mène
Ilserait arrivé quelque disgrâce humaine
Aprèsmon procédéje suis presque certain
Qu'on secontentera de s'en rire sous main ;
Et peut-être qu'encorj'aurai cet avantage
Que quelques bonnes gens diront que c'estdommage.
Mais de vouscher compèreil en est autrement ;
Je vous le dis encorvous risquez diablement.
Comme sur lesmaris accusés de souffrance
De tout temps votre langue adaubé d'importance
Qu'on vous a vu contre eux un diabledéchaîné
Vous devez marcher droitpourn'être point berné ;
Ets'il faut que sur vous onait la moindre prise
Gare qu'aux carrefours on ne voustympanise
Et...

ARNOLPHE
Mon Dieu! notre amine vous tourmentez point :
Bien huppéqui pourra m'attraper sur ce point.
Je sais les tours ruséset les subtiles trames
Dont pour nous en planter savent user lesfemmes.
Et comme on est dupé par leurs dextérités
Contre cet accident j'ai pris mes sûretés ;
Etcelle que j'épouse a toute l'innocence
Qui peut sauver monfront de maligne influence.

CHRYSALDE
Et que prétendez-vous qu'une sotteen un mot...

ARNOLPHE
Epouser une sotte est pour n'être point sot.
Je croisen bon chrétienvotre moitié fort sage ;
Mais unefemme habile est un mauvais présage ;
Et je sais ce qu'ilcoûte à de certaines gens
Pour avoir pris les leursavec trop de talents.
Moij'irais me charger d'une spirituelle
Qui ne parlerait rien que cercle et que ruelle ;
Qui de proseet de vers ferait de doux écrits
Et que visiteraientmarquis et beaux esprits
Tandis quesous le nom du mari demadame
Je serais comme un saint que pas un ne réclame?
Nonnonje ne veux point d'un esprit qui soit haut ;
Etfemme qui compose en sait plus qu'il ne faut.
Je prétendsque la mienneen clartés peu sublime
Même ne sachepas ce que c'est qu'une rime :
Ets'il faut qu'avec elle on joueau corbillon
Et qu'on vienne à lui dire à son tour: "Qu'y met-on"?
Je veux qu'elle réponde : "Unetarte à la crème" ;
En un motqu'elle soitd'une ignorance extrême :
Et c'est assez pour elleàvous en bien parler
De savoir prier Dieum'aimercoudreetfiler.

CHRYSALDE
Une femme stupide est donc votre marotte?

ARNOLPHE
Tantque j'aimerais mieux une laide bien sotte
Qu'une femmefort belle avec beaucoup d'esprit.

CHRYSALDE
L'esprit et la beauté...

ARNOLPHE
L'honnêteté suffit.

CHRYSALDE
Mais comment voulez-vousaprès toutqu'une bête
Puisse jamais savoir ce que c'est qu'être honnête?
Outre qu'il est assez ennuyeuxque je croi
D'avoir toute savie une bête avec soi
Pensez-vous le bien prendreet quesur votre idée
La sûreté d'un front puisseêtre bien fondée?
Une femme d'esprit peut trahir sondevoir ;
Mais il faut pour le moinsqu'elle ose le vouloir ;
Etla stupide au sien peut manquer d'ordinaire
Sans en avoirl'envie et sans penser le faire.

ARNOLPHE
A ce bel argumentà ce discours profond
Ce quePantagruel à Panurge répond :
Pressez-moi de mejoindre à femme autre que sotte
Prêchezpatrocinezjusqu'à la Pentecôte ;
Vous serez ébahiquand vous serez au bout
Que vous ne m'aurez rien persuadédu tout.

CHRYSALDE
Je ne vous dis plus mot.

ARNOLPHE
Chacun a sa méthode
En femmecomme en toutje veuxsuivre ma mode :
Je me vois riche assez pour pouvoirque jecroi
Choisir une moitié qui tienne tout de moi
Et dequi la soumise et pleine dépendance
N'ait à mereprocher aucun bien ni naissance.
Un air doux et poséparmi d'autres enfants
M'inspira de l'amour pour elle dèsquatre ans.
Sa mère se trouvant de pauvretépressée
De la lui demander il me vint en pensée ;
Et la bonne paysanneapprenant mon désir
A s'ôtercette charge eut beaucoup de plaisir.
Dans un petit couventloinde toute pratique
Je la fis élever selon ma politique ;
C'est-à-direordonnant quels soins on emploierait
Pourla rendre idiote autant qu'il se pourrait.
Dieu mercile succèsa suivi mon attente ;
Etgrandeje l'ai vue à tel pointinnocente
Que j'ai béni le ciel d'avoir trouvé monfait
Pour me faire une femme au gré de mon souhait.
Jel'ai donc retiréeet comme ma demeure
A cent sortes degens est ouverte à toute heure
Je l'ai mise àl'écartcomme il faut tout prévoir
Dans cetteautre maison où nul ne me vient voir ;
Etpour ne pointgâter sa bonté naturelle
Je n'y tiens que des genstout aussi simples qu'elle.
Vous me direz : "Pourquoi cettenarration"?
C'est pour vous rendre instruit de maprécaution.
Le résultat de tout est qu'en amifidèle
Ce soir je vous invite à souper avec elle ;
Je veux que vous puissiez un peu l'examiner
Et voir si demon choix on me doit condamner.

CHRYSALDE
J'y consens.

ARNOLPHE
Vous pourrezdans cette conférence
Juger de sapersonne et de son innocence.

CHRYSALDE
Pour cet article-làce que vous m'avez dit
Ne peut...

ARNOLPHE
La vérité passe encor mon récit.
Dansses simplicités à tous coups je l'admire
Etparfois elle en dit dont je pâme de rire.
L'autre jour(pourrait-on se le persuader ?)
Elle était fort en peineet me vint demander
Avec une innocence à nulle autrepareille
Si les enfants qu'on fait se faisaient par l'oreille.

CHRYSALDE
Je me réjouis fortseigneur Arnolphe...

ARNOLPHE
Bon!
Me voulez-vous toujours appeler de ce nom?

CHRYSALDE
Ah! malgré que j'en aieil me vient à la bouche
Et jamais je ne songe à monsieur de la Souche.
Quidiable vous a fait aussi vous aviser
A quarante-deux ansdevous débaptiser
Et d'un vieux tronc pourri de votremétairie
Vous faire dans le monde un nom de seigneurie?

ARNOLPHE
Outre que la maison par ce nom se connaît
La Soucheplus qu'Arnolphe à mes oreilles plaît.

CHRYSALDE
Quel abus de quitter le vrai nom de ses pères
Pour envouloir prendre un bâti sur des chimères!
De laplupart des gens c'est la démangeaison ;
Etsans vousembrasser dans la comparaison
Je sais un paysan qu'on appelaitGros-Pierre
Quin'ayant pour tout bien qu'un seul quartier deterre
Y fit tout alentour faire un fossé bourbeux
Etde monsieur de l'Isle en prit le nom pompeux.

ARNOLPHE
Vous pourriez vous passer d'exemples de la sorte.
Mais enfinde la Souche est le nom que je porte :
J'y vois de la raisonj'ytrouve des appas ;
Et m'appeler de l'autre est ne m'obliger pas.

CHRYSALDE
Cependant la plupart ont peine à s'y soumettre
Et jevois même encor des adresses de lettre...

ARNOLPHE
Je le souffre aisément de qui n'est pas instruit ;
Maisvous...

CHRYSALDE
Soit : là-dessus nous n'aurons point de bruit ;
Et jeprendrai le soin d'accoutumer ma bouche
A ne plus vous nommer quemonsieur de la Souche.

ARNOLPHE
Adieu. Je frappe ici pour donner le bonjour
Et direseulement que je suis de retour.

CHRYSALDEs'en allant.
Ma foije le tiens fou de toutes les manières.

ARNOLPHEseul.
I1 est un peu blessé sur certaines matières.
Chose étrangede voir comme avec passion
Un chacunest chaussé de son opinion!

(Il frappeà sa porte.)

Holà!


Scène2 : ALAINGEORGETTEARNOLPHE


ALAIN
Qui heurte?

ARNOLPHE
Ouvrez.

(A part.)

On auraque je pense
Grande joie à me voir après dix joursd'absence.

ALAIN
Quiva là ?

ARNOLPHE
Moi.

ALAIN
Georgette !

GEORGETTE
Eh bien ?

ALAIN
Ouvre là-bas.

GEORGETTE
Vas-ytoi.

ALAIN
Vas-ytoi.

GEORGETTE
Ma foije n'irai pas.

ALAIN
Jen'irai pas aussi.

ARNOLPHE
Belle cérémonie
Pour me laisser dehors! Holà!ho! je vous prie.

GEORGETTE
Qui frappe?

ARNOLPHE
Votre maître.

GEORGETTE
Alain!

ALAIN
Quoi?

GEORGETTE
C'est monsieur.
Ouvre vite.

ALAIN
Ouvretoi.

GEORGETTE
Je souffle notre feu.

ALAIN
J'empêchepeur du chatque mon moineau ne sorte.

ARNOLPHE
Quiconque de vous deux n'ouvrira pas la porte
N'aura point àmanger de plus de quatre jours.
Ah!

GEORGETTE
Par quelle raison y venirquand j'y cours?

ALAIN
Pourquoi plutôt que moi? Le plaisant stratagème!

GEORGETTE
Ote-toi donc de là!

ALAIN
Nonôte-toi toi-même.

GEORGETTE
Je veux ouvrir la porte.

ALAIN
Etje veux l'ouvrirmoi.

GEORGETTE
Tu ne l'ouvriras pas.

ALAIN
Nitoi non plus.

GEORGETTE
Ni toi.

ARNOLPHE
I1 faut que j'aie ici l'âme bien patiente!

ALAINenentrant.
Au moinsc'est moimonsieur.

GEORGETTEen entrant.
Je suis votre servante
C'est moi.

ALAIN
Sans le respect de monsieur que voilà
Je te...

ARNOLPHErecevant un coup d'Alain.
Peste!

ALAIN
Pardon.

ARNOLPHE
Voyez ce lourdaud-là!

ALAIN
Mais elle aussimonsieur...

ARNOLPHE
Que tous deux on se taise.
Songez à me répondreet laissons la fadaise.
Eh bienAlaincomment se porte-t-onici?

ALAIN
Monsieurnous nous... Monsieurnous nous por...
Dieu merciNous nous...

(Arnolpheôtant le chapeau d'Alain pour la troisième foiset le
jetant par terre.)

ARNOLPHE
Qui vous apprendimpertinente bête
A parler devantmoi le chapeau sur la tête?

ALAIN
Vous faites bienj'ai tort.

ARNOLPHEA Alain.
Faites descendre Agnès.
(A Georgette.)
Lorsque je m'en allaifut-elle triste après?

GEORGETTE
Triste? Non.

ARNOLPHE
Non?

GEORGETTE
Si fait.

ARNOLPHE
Pourquoi donc?...

GEORGETTE
Ouije meure
Elle vous croyait voir de retour àtoute heure ;
Et nous n'oyions jamais passer devant chez nous
Chevalâne ou muletqu'elle ne prit pour vous.


Scène3 : AGNESALAINGEORGETTEARNOLPHE


ARNOLPHE
La besogne à la main! c'est un bon témoignage.
EhbienAgnèsje suis de retour du voyage :
En êtes-vousbien aise?

AGNES
OuimonsieurDieu merci.

ARNOLPHE
Et moide vous revoir je suis bien aise aussi.
Vous vousêtes toujourscomme on voitbien portée?

AGNES
Hors les pucesqui m'ont la nuit inquiétée.

ARNOLPHE
Ah! vous aurez dans peu quelqu'un pour les chasser.

AGNES
Vous me ferez plaisir.

ARNOLPHE
Je le puis bien penser. Que faites-vous donc là?

AGNES
Jeme fais des cornettes.
Vos chemises de nuit et vos coiffes sontfaites.

ARNOLPHE
Ah! voilà qui va bien. Allezmontez là-haut.
Nevous ennuyez pointje reviendrai tantôt
Et je vousparlerai d'affaires importantes.
(Tous étant rentrés.)
Héroïnes du tempsmesdames les savantes
Pousseusesde tendresse et de beaux sentiments
Je défie à lafois tous vos versvos romans
Vos lettresbillets douxtoutevotre science
De valoir cette honnête et pudiqueignorance.
Ce n'est point par le bien qu'il faut êtreébloui ;
Et pourvu que l'honneur soit...


Scène4 : HORACEARNOLPHE


ARNOLPHE
Que vois-je ? Est-ce... Oui.
Je me trompe... Nenni. Si fait.Nonc'est lui-même
Hor...

HORACE
Seigneur Ar...

ARNOLPHE
Horace.

HORACE
Arnolphe.

ARNOLPHE
Ah! joie extrême! Et depuis quand ici?

HORACE
Depuis neuf jours.

ARNOLPHE
Vraiment?

HORACE
Jefus d'abord chez vousmais inutilement.

ARNOLPHE
J'étais à la campagne.

HORACE
Ouidepuis dix journées.

ARNOLPHE
Oh! comme les enfants croissent en peu d'années!
J'admirede le voir au point où le voilà
Après queje l'ai vu pas plus grand que cela.

HORACE
Vous voyez.

ARNOLPHE
Maisde grâceOronte votre père
Mon bon etcher ami que j'estime et révère
Que fait-il àprésent? Est-il toujours gaillard?
A tout ce qui le toucheil sait que je prends part :
Nous ne nous sommes vus depuisquatre ans ensemble
Niqui plus estécrit l'un àl'autreme semble.

HORACE
Ilestseigneur Arnolpheencor plus gai que nous
Et j'avais de sapart une lettre pour vous ;
Mais depuispar une autreilm'apprend sa venue
Et la raison encor ne m'en est pas connue.
Savez-vous qui peut être un de vos citoyens
Quiretourne en ces lieux avec beaucoup de biens
Qu'il s'est enquatorze ans acquis dans l'Amérique?

ARNOLPHE
Non. Mais vous a-t-on dit comme on le nomme?

HORACE
Enrique.

ARNOLPHE
Non.

HORACE
Mon père m'en parleet qu'il est revenu
Comme s'ildevait m'être entièrement connu
Et m'écritqu'en chemin ensemble ils se vont mettre
Pour un fait importantque ne dit point sa lettre.

(Horaceremet la lettre d'Oronte à Arnolphe.)

ARNOLPHE
J'aurai certainement grande joie à le voir
Et pour lerégaler je ferai mon pouvoir.
(Après avoir lu lalettre.)
Il faut pour des amis des lettres moins civiles
Ettous ces compliments sont choses inutiles.
Sans qu'il prîtle souci de m'en écrire rien
Vous pouvez librementdisposer de mon bien.

HORACE
Jesuis homme à saisir les gens par leurs paroles
Et j'aiprésentement besoin de cent pistoles.

ARNOLPHE
Ma foic'est m'obliger que d'en user ainsi ;
Et je meréjouis de les avoir ici.
Gardez aussi la bourse.

HORACE
Ilfaut...

ARNOLPHE
Laissons ce style.
Eh biencomment encor trouvez-vous cetteville?

HORACE
Nombreuse en citoyenssuperbe en bâtiments
Et j'encrois merveilleux les divertissements.

ARNOLPHE
Chacun a ses plaisirs qu'il se fait à sa guise ;
Maispour ceux que du nom de galants on baptise
Ils ont en ce pays dequoi se contenter
Car les femmes y sont faites à coqueter:
On trouve d'humeur douce et la brune et la blonde
Et lesmaris aussi les plus bénins du monde.
C'est un plaisir deprinceet des tours que je voi
Je me donne souvent la comédieà moi.
Peut-être en avez-vous déjàféru quelqu'une.
Vous est-il point encore arrivé defortune?
Les gens faits comme vous font plus que les écus
Et vous êtes de taille à faire des cocus.

HORACE
Ane vous rien cacher de la vérité pure
J'ai d'amouren ces lieux eu certaine aventure ;
Et l'amitié m'oblige àvous en faire part.

ARNOLPHEà part.
Bon! voici de nouveau quelque conte gaillard ;
Etce sera de quoi mettre sur mes tablettes.

HORACE
Maisde grâcequ'au moins ces choses soient secrètes.

ARNOLPHE
Oh!

HORACE
Vous n'ignorez pas qu'en ces occasions
Un secret éventérompt nos prétentions.
Je vous avouerai donc avec pleinefranchise
Qu'ici d'une beauté mon âme s'est éprise.
Mes petits soins d'abord ont eu tant de succès
Que jeme suis chez elle ouvert un doux accès ;
Etsans trop mevanterni lui faire une injure
Mes affaires y sont en fortbonne posture.

ARNOLPHEriant
Et c'est...?

HORACElui montrant le logis d'Agnès.
Un jeune objet qui loge ence logis
Dont vous voyez d'ici que les murs sont rougis :
Simpleà la véritépar l'erreur sansseconde
D'un homme qui la cache au commerce du monde
Maisquidans l'ignorance où l'on veut l'asservir
Faitbriller des attraits capables de ravir ;
Un air tout engageantje ne sais quoi de tendre
Dont il n'est point de coeur qui sepuisse défendre.
Mais peut-être il n'est pas quevous n'ayez bien vu
Ce jeune astre d'amourde tant d'attraitspourvu :
C'est Agnès qu'on l'appelle.

ARNOLPHEà part.
Ah! je crève!

HORACE
Pour l'homme
C'estje croisde la Zousseou Sourcequ'onle nomme ;
Je ne me suis pas fort arrêté sur le nom:
Richeà ce qu'on m'a ditmais des plus sensésnon ;
Et l'on m'en a parlé comme d'un ridicule.
Leconnaissez-vous point?

ARNOLPHEà part.
La fâcheuse pilule!

HORACE
Eh! vous ne dites mot?

ARNOLPHE
Eh! ouije le connais.

HORACE
C'est un foun'est-ce pas?

ARNOLPHE
Eh...

HORACE
Qu'en dites-vous? Quoi!
Eh! c'est-à-direoui. Jalouxà faire rire?
Sot? Je vois qu'il en est ce que l'on m'a pudire.
Enfin l'aimable Agnès a su m'assujettir.
C'estun joli bijoupour ne vous point mentir ;
Et ce serait péchéqu'une beauté si rare
Fût laissée au pouvoirde cet homme bizarre.
Pour moitous mes effortstous mes voeuxles plus doux
Vont à m'en rendre maître en dépitdu jaloux ;
Et l'argent que de vous j'emprunte avec franchise
N'est que pour mettre à bout cette juste entreprise.
Voussavez mieux que moiquels que soient nos efforts
Que l'argentest la clef de tous les grands ressorts
Et que ce doux métalqui frappe tant de têtes
En amourcomme en guerreavanceles conquêtes.
Vous me semblez chagrin! Serait-ce qu'eneffet
Vous désapprouveriez le dessein que j'ai fait?

ARNOLPHE
Non ; c'est que je songeais...

HORACE
Cet entretien vous lasse.
Adieu. J'irai chez vous tantôtvous rendre grâce.

ARNOLPHEse croyant seul.
Ah! faut-il...

HORACErevenant.
Derechefveuillez être discret ;
Et n'allezpasde grâceéventer mon secret.

ARNOLPHEse croyant seul.
Que je sens dans mon âme...

HORACErevenant
Et surtout à mon père
Qui s'en feraitpeut-être un sujet de colère.

ARNOLPHEcroyant qu'Horace revient encore.
Oh!...
(Seul.)
Oh! quej'ai souffert durant cet entretien!
Jamais trouble d'esprit nefut égal au mien.
Avec quelle imprudence et quelle hâteextrême
Il m'est venu conter cette affaire àmoi-même :
Bien que mon autre nom le tienne dans l'erreur
Etourdi montra-t-il jamais tant de fureur?
Maisayant tantsouffertje devais me contraindre
Jusques à m'éclaircirde ce que je dois craindre
A pousser jusqu'au bout son caquetindiscret
Et savoir pleinement leur commerce secret.
Tâchonsà le rejoindre ; il n'est pas loinje pense :
Tirons-ende ce fait l'entière confidence.
Je tremble du malheur quim'en peut arriver
Et l'on cherche souvent plus qu'on ne veuttrouver.


ActeII



Scène1 : ARNOLPHE.


Ilm'estlorsque j'y penseavantageux sans doute
D'avoir perdu mespaset pu manquer sa route :
Car enfin de mon coeur le troubleimpérieux
N'eût pu se renfermer tout entier àses yeux ;
Il eût fait éclater l'ennui qui medévore
Et je ne voudrais pas qu'il sût ce qu'ilignore.
Mais je ne suis pas homme à gober le morceau
Etlaisser un champ libre aux voeux du damoiseau.
J'en veux romprele coursetsans tarderapprendre
Jusqu'oùl'intelligence entre eux a pu s'étendre :
J'y prends pourmon honneur un notable intérêt ;
Je la regarde enfemmeaux termes qu'elle en est ;
Elle n'a pu faillir sans mecouvrir de honte
Et tout ce qu'elle fait enfin est sur moncompte.
Eloignement fatal! voyage malheureux!

(Frappantà sa porte.)


Scène2 : ALAINGEORGETTEARNOLPHE


ALAIN
Ah! monsieurcette fois...

ARNOLPHE
Paix! Venez çà tous deux.
Passez làpassez là. Venez làvenezdis-je.

GEORGETTE
Ah! vous me faites peuret tout mon sang se fige.

ARNOLPHE
C'est donc ainsi qu'absent vous m'avez obéi?
Et tousdeuxde concertvous m'avez donc trahi?

GEORGETTEtombant aux genoux d'Arnolphe.
Eh! ne me mangez pasmonsieurjevous conjure.

ALAINàpart.
Quelque chien enragé l'a morduje m'assure.

ARNOLPHEà part.
Ouf! je ne puis parlertant je suis prévenu;
Je suffoqueet voudrais me pouvoir mettre nu.

(A Alainet à Georgette.)

Vous avezdonc souffertô canaille maudite!
Qu'un homme soit venu...

(A Alainqui veut s'enfuir.)

Tu veuxprendre la fuite!
Il faut que sur-le-champ...

(AGeorgette.)

St tubouges... Je veux
Que vous me disiez... Euh! ouije veux quetous deux...

(Alain etGeorgette se lèventet veulent encore s'enfuir.)

Quiconqueremuerapar la mort! je l'assomme.
Comme est-ce que chez mois'est introduit cet homme?
Eh! parlez. Dépêchezvitepromptementtôt
Sans rêver. Veut-on dire?

ALAIN ETGEORGETTE
Ah! Ah!

GEORGETTEretombant aux genoux d'Arnolphe.
Le coeur me faut!

ALAINretombant aux genoux d'Arnolphe.
Je meurs!

ARNOLPHEà part.
Je suis en eau : prenons un peu d'haleine ;
Ilfaut que je m'évente et que je me promène.
Aurais-jedevinéquand je l'ai vu petit
Qu'il croîtrait pourcela? Ciel! que mon coeur pâtit!
Je pense qu'il vaut mieuxque de sa propre bouche
Je tire avec douceur l'affaire qui metouche.
Tâchons à modérer notre ressentiment.
Patiencemon coeurdoucementdoucement.

(A Alainet à Georgette.)

Levez-vousetrentrantfaites qu'Agnès descende.
Arrêtez.

(A part.)

Sasurprise en deviendrait moins grande :
Du chagrin qui me troubleils iraient l'avertir
Et moi-même je veux l'aller fairesortir.

(A Alainet à Georgette.)

Que l'onm'attende ici.


Scène3 : ALAINGEORGETTE


GEORGETTE
Mon Dieuqu'il est terrible!
Ses regards m'ont fait peurmais une peur horrible
Et jamais je ne vis un plus hideuxchrétien.

ALAIN
Cemonsieur l'a fâché ; je te le disais bien.

GEORGETTE
Mais que diantre est-ce làqu'avec tant de rudesse
Ilnous fait au logis garder notre maîtresse?
D'oùvient qu'à tout le monde il veut tant la cacher
Et qu'ilne saurait voir personne en approcher?

ALAIN
C'est que cette action le met en jalousie.

GEORGETTE
Mais d'où vient qu'il est pris de cette fantaisie?

ALAIN
Cela vient... Cela vient de ce qu'il est jaloux.

GEORGETTE
Oui ; mais pourquoi l'est-il? et pourquoi ce courroux?

ALAIN
C'est que la jalousie... entends-tu bienGeorgette
Est unechose... là... qui fait qu'on s'inquiète...
Et quichasse les gens d'autour d'une maison.
Je m'en vais te baillerune comparaison
Afin de concevoir la chose davantage.
Dis-moin'est-il pas vraiquand tu tiens ton potage
Que si quelqueaffamé venait pour en manger
Tu serais en colèreet voudrais le charger?

GEORGETTE
Ouije comprends cela.

ALAIN
C'est justement tout comme.
La femme est en effet le potagede l'homme ;
Etquand un homme voit d'autres hommes parfois
Quiveulent dans sa soupe aller tremper leurs doigts
Il en montreaussitôt une colère extrême.

GEORGETTE
Oui ; mais pourquoi chacun n'en fait-il pas de même
Etque nous en voyons qui paraissent joyeux
Lorsque leurs femmessont avec les biaux monsieux?

ALAIN
C'est que chacun n'a pas cette amitié goulue
Qui n'enveut que pour soi.

GEORGETTE
Si je n'ai la berlue
Je le vois qui revient.

ALAIN
Tesyeux sont bonsc'est lui.

GEORGETTE
Vois comme il est chagrin.

ALAIN
C'est qu'il a de l'ennui.


Scène4 : ARNOLPHEAGNESALAINGEORGETTE


ARNOLPHEà part.
Un certain Grec disait à l'empereurAuguste
Comme une instruction utile autant que juste
Quelorsqu'une aventure en colère nous met
Nous devonsavanttoutdire notre alphabet
Afin que dans ce temps la bile setempère
Et qu'on ne fasse rien que l'on ne doive faire
J'ai suivi sa leçon sur le sujet d'Agnès
Et jela fis venir dans ce lieu tout exprès
Sous prétexted'y faire un tour de promenade
Afin que les soupçons demon esprit malade
Puissent sur le discours la mettre adroitement
Etlui sondant le coeurs'éclaircir doucement.
VenezAgnès.

(A Alainet à Georgette.)

Rentrez.


Scène5 : ARNOLPHEAGNES


ARNOLPHE
La promenade est belle.

AGNES
Fort belle.

ARNOLPHE
Le beau jour!

AGNES
Fort beau.

ARNOLPHE
Quelle nouvelle?

AGNES
Lepetit chat est mort.

ARNOLPHE
C'est dommage ; mais quoi!
Nous sommes tous mortelsetchacun est pour soi.
Lorsque j'étais aux champsn'a-t-ilpoint fait de pluie?

AGNES
Non.

ARNOLPHE
Vous ennuyait-il?

AGNES
Jamais je ne m'ennuie.

ARNOLPHE
Qu'avez-vous fait encor ces neuf ou dix jours-ci?

AGNES
Sixchemisesje penseet six coiffes aussi.

ARNOLPHEayant un peu rêvé.
Le mondechère Agnèsest une étrange chose!
Voyez la médisanceet commechacun cause!
Quelques voisins m'ont dit qu'un jeune hommeinconnu
Etaiten mon absenceà la maison venu ;
Quevous aviez souffert sa vue et ses harangues.
Mais je n'ai pointpris foi sur ces méchantes langues
Et j'ai voulu gagerque c'était faussement...

AGNES
MonDieu! ne gagez pasvous perdriez vraiment.

ARNOLPHE
Quoi! c'est la vérité qu'un homme...

AGNES
Chose sûre
Il n'a presque bougé de chez nousje vous jure.

ARNOLPHEbas à part.
Cet aveu qu'elle fait avec sincérité
Me marque pour le moins son ingénuité.

(Haut.)

Mais il mesembleAgnèssi ma mémoire est bonne
Que j'avaisdéfendu que vous vissiez personne.

AGNES
Oui; mais quand je l'ai vuvous ignoriez pourquoi ;
Et vous enauriez faitsans douteautant que moi.

ARNOLPHE
Peut-être. Mais enfin contez-moi cette histoire.

AGNES
Elle est fort étonnanteet difficile à croire.
J'étais sur le balcon à travailler au frais
Lorsque je vis passer sous les arbres d'auprès
Unjeune homme bien faitquirencontrant ma vue
D'une humblerévérence aussitôt me salue :
Moipour nepoint manquer à la civilité
Je fis la révérenceaussi de mon côté.
Soudain il me refait une autrerévérence ;
Moij'en refais de même uneautre en diligence ;
Et lui d'une troisième aussitôtrepartant
D'une troisième aussi j'y repars àl'instant.
Il passevientrepasseet toujours de plus belle
Me fait à chaque fois révérence nouvelle ;
Et moiqui tous ces tours fixement regardais
Nouvellerévérence aussi je lui rendais :
Tant quesi surce point la nuit ne fût venue
Toujours comme cela je meserais tenue
Ne voulant point céderni recevoir l'ennui
Qu'il me pût estimer moins civile que lui.

ARNOLPHE
Fort bien.

AGNES
Lelendemainétant sur notre porte
Une vieille m'abordeenparlant de la sorte :
"Mon enfantle bon Dieu puisse-t-ilvous bénir
Et dans tous vos attraits longtemps vousmaintenir!
Il ne vous a pas fait une belle personne
Afin demal user des choses qu'il vous donne ;
Et vous devez savoir quevous avez blessé
Un coeur qui de s'en plaindre estaujourd'hui forcé."

ARNOLPHEà part.
Ah! suppôt de Satan! exécrabledamnée!

AGNES
Moij'ai blessé quelqu'un? fis-je tout étonnée.
"Ouidit-elleblessémais blessé tout debon ;
Et c'est l'homme qu'hier vous vîtes du balcon."
Hélas! qui pourraitdis-jeen avoir étécause?
Sur luisans y penserfis-je choir quelque chose?
"Nondit-elle ; vos yeux ont fait ce coup fatal
Et c'est de leursregards qu'est venu tout son mal."
Ehmon Dieu! ma surpriseestfis-jesans seconde ;
Mes yeux ont-ils du malpour endonner au monde?
"Ouifit-ellevos yeuxpour causer letrépas
Ma filleont un venin que vous ne savez pas
Enun motil languitle pauvre misérable ;
Et s'il fautpoursuivit la vieille charitable
Que votre cruauté luirefuse un secours
C'est un homme à porter en terre dansdeux jours."
Mon Dieu! j'en auraisdis-jeune douleur biengrande.
Mais pour le secourir qu'est-ce qu'il me demande?
"Monenfantme dit-elleil ne veut obtenir
Que le bien de vous voiret vous entretenir ;
Vos yeux peuvent eux seuls empêcher saruine
Et du mal qu'ils ont fait être la médecine."
Hélas ! volontiersdis-je ; etpuisqu'il est ainsi
Ilpeuttant qu'il voudrame venir voir ici.

ARNOLPHEà part.
Ah! sorcière mauditeempoisonneuse d'âmes
Puisse l'enfer payer tes charitables trames!

AGNES
Voilà comme il me vitet reçut guérison.
Vous-mêmeà votre avisn'aije pas eu raison?
Et pouvais-jeaprès toutavoir la conscience
De lelaisser mourir faute d'une assistance?
Moi qui compatis tant auxgens qu'on fait souffrir
Et ne puissans pleurervoir unpoulet mourir.

ARNOLPHEbasà part.
Tout cela n'est parti que d'une âmeinnocente
Et j'en dois accuser mon absence imprudente
Quisans guide a laissé cette bonté de moeurs
Exposéeaux aguets des rusés séducteurs.
Je crains que lependarddans ses voeux téméraires
Un peu plushaut que jeu n'ait poussé les affaires.

AGNES
Qu'avez-vous? Vous grondezce me sembleun petit.
Est-ceque c'est mal fait ce que je vous ai dit?

ARNOLPHE
Non. Mais de cette vue apprenez-moi les suites
Et comme lejeune homme a passé ses visites.

AGNES
Hélas! si vous saviez comme il était ravi
Commeil perdit son mal sitôt que je le vi
Le présentqu'il m'a fait d'une belle cassette
Et l'argent qu'en ont eunotre Alain et Georgette
Vous l'aimeriez sans douteet diriezcomme nous...

ARNOLPHE
Ouimais que faisait-il étant seul avec vous?

AGNES
Ildisait qu'il m'aimait d'une amour sans seconde
Et me disait desmots les plus gentils du monde
Des choses que jamais rien nepeut égaler
Et donttoutes les fois que je l'entendsparler
La douceur me chatouilleet là dedans remue
Certain je ne sais quoi dont je suis tout émue.

ARNOLPHEbasà part.
O fâcheux examen d'un mystèrefatal
Où l'examinateur souffre seul tout le mal!

(Haut.)

Outre tousces discourstoutes ces gentillesses
Ne vous faisait-il pointaussi quelques caresses?

AGNES
Oh!tant! il me prenait et les mains et les bras
Et de me les baiseril n'était jamais las.

ARNOLPHE
Ne vous a-t-il point prisAgnèsquelque autre chose?

(La voyantinterdite.)

Ouf!

AGNES
Eh!il m'a...

ARNOLPHE
Quoi?

AGNES
Pris...

ARNOLPHE
Euh?

AGNES
Le...

ARNOLPHE
Plaît-il?

AGNES
Jen'ose
Et vous vous fâcherez peut-être contre moi.

ARNOLPHE
Non.

AGNES
Sifait.

ARNOLPHE
Mon Dieu! non.

AGNES
Jurez donc votre foi.

ARNOLPHE
Ma foisoit.

AGNES
Ilm'a pris... Vous serez en colère.

ARNOLPHE
Non.

AGNES
Si.

ARNOLPHE
Nonnonnonnon. Diantre! que de mystère!
Qu'est-cequ'il vous a pris?

AGNES
Il...

ARNOLPHEà part.
Je souffre en damné.

AGNES
Ilm'a pris le ruban que vous m'aviez donné.
A vous dire levraije n'ai pu m'en défendre.

ARNOLPHEreprenant haleine.
Passe pour le ruban. Mais je voulais apprendre
S'il ne vous a rien fait que vous baiser les bras.

AGNES
Comment! est-ce qu'on fait d'autres choses?

ARNOLPHE
Non pas.
Maispour guérir du mal qu'il dit qui lepossède
N'a-t-il point exigé de vous d'autreremède?

AGNES
Non. Vous pouvez jugers'il en eût demandé
Quepour le secourir j'aurais tout accordé.

ARNOLPHEbasà part.
Grâce aux bontés du cielj'ensuis quitte à bon compte :
Si j'y retombe plusje veuxbien qu'on m'affronte.
Chut.

(Haut.)

De votreinnocenceAgnèsc'est un effet ;
Je ne vous en dis mot.Ce qui s'est fait est fait.
Je sais qu'en vous flattant le galantne désire
Que de vous abuseret puis après s'enrire.

AGNES
Oh!point! Il me l'a dit plus de vingt fois à moi.

ARNOLPHE
Ah! vous ne savez pas ce que c'est que sa foi.
Mais enfinapprenez qu'accepter des cassettes
Et de ces beaux blondinsécouter les sornettes
Que se laisser par euxàforce de langueur
Baiser ainsi les mains et chatouiller lecoeur
Est un péché mortel des plus gros qu'il sefasse.

AGNES
Unpéchédites-vous? Et la raisonde grâce?

ARNOLPHE
La raison? La raison est l'arrêt prononcé
Quepar ces actions le ciel est courroucé.

AGNES
Courroucé! Mais pourquoi faut-il qu'il s'en courrouce?
C'est une chosehélas! si plaisante et si douce!
J'admire quelle joie on goûte à tout cela ;
Etje ne savais point encor ces choses-là.

ARNOLPHE
Ouic'est un grand plaisir que toutes ces tendresses
Cespropos si gentilset ces douces caresses ;
Mais il faut legoûter en toute honnêteté
Et qu'en se mariantle calme en soit ôté.

AGNES
N'est-ce plus un péché lorsque l'on se marie?

ARNOLPHE
Non.

AGNES
Mariez-moi donc promptementje vous prie.

ARNOLPHE
Si vous le souhaitezje le souhaite aussi ;
Et pour vousmarier on me revoit ici.

AGNES
Est-ll possible?

ARNOLPHE
Oui.

AGNES
Quevous me ferez aise!

ARNOLPHE
Ouije ne doute point que l'hymen ne vous plaise.

AGNES
Vous nous vouleznous deux...

ARNOLPHE
Rien de plus assuré.

AGNES
Que. si cela se faitje vous caresserai!

ARNOLPHE
Eh! la chose sera de ma part réciproque.

AGNES
Jene reconnais pointpour moiquand on se moque.
Parlez-vous toutde bon?

ARNOLPHE
Ouivous le pourrez voir.

AGNES
Nous serons mariés?

ARNOLPHE
Oui.

AGNES
Mais quand?

ARNOLPHE
Dès ce soir.

AGNESriant.
Dès ce soir?

ARNOLPHE
Dès ce soir. Cela vous fait donc rire?

AGNES
Oui.

ARNOLPHE
Vous voir bien contente est ce que je désire.

AGNES
Hélas! que je vous ai grande obligationEt qu'avec luij'aurai de
satisfaction!

ARNOLPHE
Avec qui?

AGNES
Avec.... Là...

ARNOLPHE
Là... Là n'est pas mon compte
A choisir unmari vous êtes un peu prompte.
C'est un autreen un motque je vous tiens tout prêt
Et quant au monsieur làje prétendss'il vous plaît
Dût le mettre autombeau le mal dont il vous berce
Qu'avec lui désormaisvous rompiez tout commerce ;
Quevenant au logispour votrecompliment
Vous lui fermiez au nez la porte honnêtement :
Et lui jetants'il heurteun grès par la fenêtre
L'obligiez tout de bon à ne plus y paraître.
M'entendez-vousAgnès? Moicaché dans un coin
De votre procédé je serai le témoin.

AGNES
Las! il est si bien fait! C'est...

ARNOLPHE
Ah! que de langage!

AGNES
Jen'aurai pas le coeur...

ARNOLPHE
Point de bruit davantage. Montez là-haut.

AGNES
Mais quoi! voulez-vous...

ARNOLPHE
C'est assez.
Je suis maîtreje parle ; allezobéissez.


ActeIII


Scène1 : ARNOLPHEAGNESALAINGEORGETTE


ARNOLPHE
Ouitout a bien étéma joie est sans pareille :
Vous avez là suivi mes ordres à merveille
Confondu de tout point le blondin séducteur ;
Et voilàde quoi sert un sage directeur.
Votre innocenceAgnèsavait été surprise :
Voyezsans y penseroùvous vous étiez mise.
Vous enfiliez tout droitsans moninstruction
Le grand chemin d'enfer et de perdition.
De tousces damoiseaux on sait trop les coutumes :
Ils ont de beauxcanonsforce rubans et plumes
Grands cheveuxbelles dentsetdes propos fort doux ;
Maiscomme je vous disla griffe estlà-dessous ;
Et ce sont vrais satansdont la gueulealtérée
De l'honneur féminin cherche àfaire curée.
Maisencore une foisgrâce au soinapporté
Vous en êtes sortie avec honnêteté.
L'air dont je vous ai vu lui jeter cette pierre
Qui de tousses desseins a mis l'espoir par terre
Me confirme encor mieux àne point différer
Les noces où je dis qu'il vousfaut préparer.
Maisavant toute choseil est bon de vousfaire
Quelque petit discours qui vous soit salutaire.
Unsiège au frais ici.

(AGeorgette et à Alain.)

Voussijamais en rien...

GEORGETTE
De toutes vos leçons nous nous souviendrons bien
Cetautre monsieur-là nous en faisait accroire ;
Mais...

ALAIN
S'il entre jamaisje veux jamais ne boire.
Aussi bien est-ceun sot ; il nous al'autre fois
Donné deux écusd'or qui n'étaient pas de poids.

ARNOLPHE
Ayez donc pour souper tout ce que je désire ;
Et pournotre contratcomme je viens de dire
Faites venir icil'un oul'autreau retour
Le notaire qui loge au coin de ce carfour.


Scène2 : ARNOLPHEAGNES


ARNOLPHEassis.
Agnèspour m'écouterlaissez làvotre ouvrage :
Levez un peu la têteet tournez le visage:

(Mettantle doigt sur son front.)

Làregardez-moi là durant cet entretien ;
Etjusqu'aumoindre motimprimez-le-vous bien.
Je vous épouseAgnès; etcent fois la journée
Vous devez bénir l'heurde votre destinée
Contempler la bassesse où vousavez été
Et dans le même temps admirer mabonté
Quide ce vil état de pauvre villageoise
Vous fait monter au rang d'honorable bourgeoise
Et jouir dela couche et des embrassements
D'un homme qui fuyait tous cesengagements
Et dont à vingt partisfort capables deplaire
Le coeur a refusé l'honneur qu'il veut vous faire.
Vous devez toujoursdis-jeavoir devant les yeux
Le peu quevous étiez sans ce noeud glorieux
Afin que cet objetd'autant mieux vous instruise
A mériter l'état oùje vous aurai mise
A toujours vous connaîtreet fairequ'à jamais
Je puisse me louer de l'acte que je fais.
LemariageAgnèsn'est pas un badinage :
A d'austèresdevoirs le rang de femme engage ;
Et vous n'y montez pasàce que je prétends
Pour être libertine et prendredu bon temps.
Votre sexe n'est là que pour la dépendance:
Du côté de la barbe est la toute-puissance.
Bienqu'on soit deux moitiés de la société
Cesdeux moitiés pourtant n'ont point d'égalité ;
L'une est moitié suprêmeet l'autre subalterne ;
L'une en tout est soumise à l'autrequi gouverne ;
Etce que le soldatdans son devoir instruit
Montre d'obéissanceau chef qui le conduit
Le valet à son maîtreunenfant à son père
A son supérieur lemoindre petit frère
N'approche point encor de ladocilité
Et de l'obéissanceet de l'humilité
Et du profond respect où la femme doit être
Pourson marison chefson seigneur et son maître.
Lorsqu'iljette sur elle un regard sérieux
Son devoir aussitôtest de baisser les yeux
Et de n'oser jamais le regarder en face
Que quand d'un doux regard il lui veut faire grâce.
C'estce qu'entendent mal les femmes d'aujourd'hui ;
Mais ne vous gâtezpas sur l'exemple d'autrui.
Gardez-vous d'imiter ces coquettesvilaines
Dont par toute la ville on chante les fredaines
Etde vous laisser prendre aux assauts du malin
C'est-à-dired'ouïr aucun jeune blondin.
Songez qu'en vous faisant moitiéde ma personne
C'est mon honneurAgnèsque je vousabandonne
Que cet honneur est tendre et se blesse de peu
Quesur un tel sujet il ne faut point de jeu ;
Et qu'il est auxenfers des chaudières bouillantes
Où l'on plonge àjamais les femmes mal vivantes.
Ce que je vous dis là nesont point des chansons ;
Et vous devez du coeur dévorerces leçons.
Si votre âme les suit et fuit d'êtrecoquette
Elle sera toujourscomme un lisblanche et nette ;
Maiss'il faut qu'à l'honneur elle fasse un faux bond
Elle deviendra lors noire comme un charbon ;
Vous paraîtrezà tous un objet effroyable
Et vous irez un jourvraipartage du diable
Bouillir dans les enfers à touteéternité
Dont veuille vous garder la célestebonté!
Faites la révérence. Ainsi qu'unenovice
Par coeur dans le couvent doit savoir son office
Entrantau mariage il en faut faire autant ;
Et voici dans ma poche unécrit important
Qui vous enseignera l'office de la femme.
J'en ignore l'auteur : mais c'est quelque bonne âme ;
Etje veux que ce soit votre unique entretien.
Tenez.

(Il selève.)

Voyons unpeu si vous le lirez bien.

(AGNESlit.)

«LES MAXIMES DU MARIAGE
OU LES DEVOIRS DE LA FEMME MARIEE
AVECSON EXERCICE JOURNALIER

PREMIEREMAXIME
Celle qu'un lien honnête
Fait entrer au litd'autrui
Doit se mettre dans la tête
Malgré letrain d'aujourd'hui
Que l'homme qui la prend ne la prend quepour lui.»

ARNOLPHE
Je vous expliquerai ce que cela veut dire ;
Mais pour l'heureprésenteil ne faut rien que lire.

(AGNESpoursuit.)

«DEUXIEME MAXIME
Elle ne se doit parer
Qu'autant que peutdésirer
Le mari qui la possède :
C'est lui quitouche seul le soin de sa beauté ;
Et pour rien doit êtrecompté
Que les autres la trouvent laide.

TROISIEMEMAXIME
Loin ces études d'oeillades
Ces eauxcesblancsces pommades
Et mille ingrédients qui font desteints fleuris :
A l'honneurtous les joursce sont droguesmortelles ;
Et les soins de paraître belles
Se prennentpeu pour les maris.

QUATRIEMEMAXIME
Sous sa coiffeen sortantcomme l'honneur l'ordonne
Ilfaut que de ses yeux elle étouffe les coups ;
Carpourbien plaire à son époux
Elle ne doit plaire àpersonne.

CINQUIEMEMAXIME
Hors ceux dont au mari la visite se rend
La bonnerègle défend
De recevoir aucune âme :
Ceuxqui de galante humeur
N'ont affaire qu'à madame
N'accommodent pas monsieur.

SIXIEMEMAXIME
Il faut des présents des hommes
Qu'elle sedéfende bien ;
Cardans le siècle où noussommes
On ne donne rien pour rien.

SEPTIEMEMAXIME
Dans ses meublesdût-elle en avoir de l'ennui
Ilne faut écritoireencrepapierni plumes :
Le maridoitdans les bonnes coutumes
Ecrire tout ce qui s'écritchez lui.

HUITIEMEMAXIME
Ces sociétés déréglées
Qu'on nomme belles assemblées
Des femmes tous lesjours corrompent les esprits.
En bonne politique on les doitinterdire ;
Car c'est là que l'on conspire
Contre lespauvres maris.

NEUVIEMEMAXIME
Toute femme qui veut à l'honneur se vouer
Doitse défendre de jouer
Comme d'une chose funeste ;
Carle jeufort décevant
Pousse une femme souvent
Ajouer de tout son reste.

DIXIEMEMAXIME
Des promenades du temps
Ou repas qu'on donne auxchamps
Il ne faut point qu'elle essaye ;
Selon les prudentscerveaux
Le maridans ces cadeaux
Est toujours celui quipaye.

ONZIEMEMAXIME...»

ARNOLPHE
Vous achèverez seule ; etpas à pastantôt
Je vous expliquerai ces choses comme il faut.
Je me suissouvenu d'une petite affaire :
Je n'ai qu'un mot à dire etne tarderai guère ;
Rentrezet conservez ce livrechèrement ;
Si le notaire vientqu'il m'attende unmoment.


Scène3 : ARNOLPHEseul


Je nepuis faire mieux que d'en faire ma femme.
Ainsi que je voudrai jetournerai cette âme ;
Comme un morceau de cire entre mesmains elle est.
Et je lui puis donner la forme qui me plaît.
Il s'en est peu fallu quedurant mon absence
On ne m'aitattrapé par son trop d'innocence
Mais il vaut beaucoupmieuxà dire vérité
Que la femme qu'on apèche de ce côté.
De ces sortes d'erreurs leremède est facile.
Toute personne simple aux leçonsest docile ;
Etsi du bon chemin on l'a fait écarter
Deux mots incontinent l'y peuvent rejeter.
Mais une femmehabile est bien une autre bête
Notre sort ne dépendque de sa seule tête
De ce qu'elle s'y met rien ne la faitgauchir
Et nos enseignements ne font là que blanchir ;
Son bel esprit lui sert à railler nos maximes
A sefaire souvent des vertus de ses crimes
Et trouver pour venir àses coupables fins
Des détours à duper l'adressedes plus fins.
Pour se parer du coup en vain on se fatigue ;
Unefemme d'esprit est un diable en intrigue ;
Etdès que soncaprice a prononcé tout bas
L'arrêt de notrehonneuril faut passer le pas :
Beaucoup d'honnêtes gensen pourraient bien que dire
Enfin mon étourdi n'aura paslieu d'en rire ;
Par son trop de caquet il a ce qu'il lui faut.
Voilà de nos Français l'ordinaire défaut :
Dans la possession d'une bonne fortune
Le secret esttoujours ce qui les importune
Et la vanité sotte a poureux tant d'appas
Qu'ils se perdraient plutôt que de necauser pas.
Oh! que les femmes sont du diable bien tentées
Lorsqu'elles vont choisir ces têtes éventées!
Et que... Mais le voici... Cachons-nous toujours bien
Etdécouvrons un peu quel chagrin est le sien.


Scène4 : HORACEARNOLPHE


HORACE
Je reviens de chez vouset le destin me montre
Qu'il n'a pasrésolu que je vous y rencontre
Mais j'irai tant de foisqu'enfin quelque moment...

ARNOLPHE
Ehmon Dieu! n'entrons point dans ce vain compliment :
Rienne me fâche tant que ces cérémonies ;
Etsil'on m'en croyaitelles seraient bannies.
C'est un maudit usageet la plupart des gens
Y perdent sottement les deux tiers de leurtemps.
Mettons donc sans façons.

(Il secouvre.)

Eh bien!vos amourettes?
Puis-jeseigneur Horaceapprendre oùvous en êtes?
J'étais tantôt distrait parquelque vision ;
Mais depuis là-dessus j'ai faitréflexion.
De vos premiers progrès j'admire lavitesse
Et dans l'événement mon âmes'intéresse.

HORACE
Mafoidepuis qu'à vous s'est découvert mon coeur
Ilest à mon amour arrivé du malheur.

ARNOLPHE
Oh! oh! comment cela?

HORACE
Lafortune cruelle
A ramené des champs le patron de la belle.

ARNOLPHE
Quel malheur!

HORACE
Etde plusà mon très grand regret
Il a su de nousdeux le commerce secret.

ARNOLPHE
D'où diantre a-t-il sitôt appris cette aventure?

HORACE
Jene sais! mais enfin c'est une chose sûre.
Je pensais allerrendreà mon heure à peu près
Ma petitevisite à ses jeunes attraits
Lorsquechangeant pour moide ton et de visage
Et servante et valet m'ont bouché lepassage
Et d'un "Retirez-vous ; vous nous importunez"
M'ont assez rudement fermé la porte au nez.

ARNOLPHE
La porte au nez!

HORACE
Aunez.

ARNOLPHE
La chose est un peu forte.

HORACE
J'ai voulu leur parler au travers de la porte ;
Mais àtous mes propos ce qu'ils ont répondu
C'est : "Vousn'entrerez point ; monsieur l'a défendu".

ARNOLPHE
Ils n'ont donc point ouvert?

HORACE
Non. Et de la fenêtre
Agnès m'a confirméle retour de ce maître.
En me chassant de là d'unton plein de fierté
Accompagné d'un grèsque sa main a jeté.

ARNOLPHE
Comment! d'un grès?

HORACE
D'un grès de taille non petite
Dont on a par sesmains régalé ma visite.

ARNOLPHE
Diantre! ce ne sont pas des prunes que cela!
Et je trouvefâcheux l'état où vous voilà.

HORACE
Ilest vraije suis mal par ce retour funeste.

ARNOLPHE
Certesj'en suis fâché pour vousje vous proteste.

HORACE
Cet homme me rompt tout.

ARNOLPHE
Oui ; mais cela n'est rien
Et de vous raccrocher voustrouverez moyen.

HORACE
Ilfaut bien essayerpar quelque intelligence
De vaincre du jalouxl'exacte vigilance.

ARNOLPHE
Cela vous est facile ; et la filleaprès tout
Vousaime?

HORACE
Assurément.

ARNOLPHE
Vous en viendrez à bout.

HORACE
Jel'espère.

ARNOLPHE
Le grès vous a mis en déroute ;
Mais cela nedoit pas vous étonner.

HORACE
Sans doute ;
Et j'ai compris d'abord que mon homme étaitlà
Quisans se faire voirconduisait tout cela.
Maisce qui m'a surpriset qui va vous surprendre
C'est un autreincident que vous allez entendre ;
Un trait hardi qu'a fait cettejeune beauté
Et qu'on n'attendrait point de sasimplicité.
Il le faut avouerl'Amour est un grand maître;
Ce qu'on ne fut jamaisil nous enseigne à l'être
Et souvent de nos moeurs l'absolu changement
Devient par sesleçons l'ouvrage d'un moment.
De la nature en nous ilforce les obstacles
Et ses effets soudains ont de l'air desmiracles.
D'un avare à l'instant il fait un libéral
Un vaillant d'un poltronun civil d'un brutal ;
Il rendagile à tout l'âme la plus pesante
Et donne del'esprit à la plus innocente.
Ouice dernier miracleéclate dans Agnès
Cartranchant avec moi par cestermes exprès :
"Retirez-vousmon âme auxvisites renonce
Je sais tous vos discourset voilà maréponse".
Cette pierre ou ce grès dont vousvous étonnez
Avec un mot de lettre est tombée àmes pieds ;
Et j'admire de voir cette lettre ajustée
Avecle sens des mots et la pierre jetée.
D'une telle actionn'êtes-vous pas surpris?
L'Amour sait-il pas l'artd'aiguiser les esprits?
Et peut-on me nier que ses flammespuissantes
Ne fassent dans un coeur des choses étonnantes?
Que dites-vous du tour et de ce mot d'écrit?
Euh!n'admirez-vous point cette adresse d'esprit?
Trouvez-vous pasplaisant de voir quel personnage
A joué mon jaloux danstout ce badinage?
Dites.

ARNOLPHE
Ouifort plaisant.

HORACE
Riez-en donc un peu.

(Arnolpherit d'un ris forcé.)

Cet hommegendarmé d'abord contre mon feu
Qui chez lui se retrancheet de grès fait parade
Comme si j'y voulais entrer parescalade ;
Quipour me repousserdans son bizarre effroi
Anime du dedans tous ses gens contre moi
Et qu'abuse àses yeuxpar sa machine même
Celle qu'il veut tenir dansl'ignorance extrême!
Pour moije vous l'avoueencor queson retour
En un grand embarras jette ici mon amour
Je tienscela plaisant autant qu'on saurait dire :
Je ne puis y songersans de bon coeur en rire ;
Et vous n'en riez pas assezàmon avis.

ARNOLPHEavec un ris forcé.
Pardonnez-moij'en ris tout autant queje puis.

HORACE
Mais il faut qu'en ami je vous montre sa lettre.
Tout ce queson coeur sentsa main a su l'y mettre
Mais en termes touchantset tout pleins de bonté
De tendresse innocente etd'ingénuité
De la manière enfin que la purenature
Exprime de l'amour la première blessure.

ARNOLPHEbasà part.
Voilàfriponneà quoil'écriture te sert ;
Etcontre mon desseinl'art t'enfut découvert.

HORACElit.
« Je veux vous écrireet je suis bien plus enpeine par où je m'y
prendrai. J'ai des pensées queje désirerais que vous sussiez ;
mais je ne sais commentfaire pour vous les direet je me défie
de mes paroles.Comme je commence à connaître qu'on m'a toujours
tenuedans l'ignorancej'ai peur de mettre quelque chose qui ne
soitpas bienet d'en dire plus que je ne devrais. En véritéje
sais ce que vous m'avez faitmais je sens que je suis fâchéeà
mourir de ce qu'on me fait faire contre vouset j'auraitoutes
les peines du monde à me passer de vous. Peut-êtrequ'il y a du
mal à dire cela ; mais enfin je ne puism'empêcher de le direet
je voudrais que cela se pûtfaire sans qu'il y en eût. On me dit
fort que tous lesjeunes hommes sont des trompeursqu'il ne les
faut pointécouteret que tout ce que vous me dites n'est que
pourm'abuser ; mais je vous assure que je n'ai pu encore me
figurercela de vouset je suis si touchée de vos parolesque je
nesaurais croire qu'elles soient menteuses. Dites-moi franchement
cequ'il en est : car enfincomme je suis sans malicevous auriez
leplus grand tort du monde si vous me trompiez ; et je sens que
j'enmourrais de déplaisir.»

ARNOLPHEà part.
Ho! chienne!

HORACE
Qu'avez-vous ?

ARNOLPHE
Moi? rien. C'est que je tousse.

HORACE
Avez-vous jamais vu d'expression plus douce?
Malgréles soins maudits d'un injuste pouvoir
Un plus beau naturel sepeut-il faire voir?
Et n'est-ce pas sans doute un crimepunissable
De gâter méchamment ce fond d'âmeadmirable ;
D'avoir dans l'ignorance et la stupidité
Voulu de cet esprit étouffer la clarté?
L'amoura commencé d'en déchirer le voile ;
Et sipar lafaveur de quelque bonne étoile
Je puiscomme j'espèreà ce franc animal
Ce traîtrece bourreaucefaquince brutal...

ARNOLPHE
Adieu.

HORACE
Comment! si vite!

ARNOLPHE
Il m'est dans la pensée
Venu tout maintenant uneaffaire pressée.

HORACE
Mais ne sauriez-vous pointcomme on la tient de près
Quidans cette maison pourrait avoir accès?
J'en use sansscrupuleet ce n'est pas merveille
Qu'on se puisseentre amisservir à la pareille.
Je n'ai plus là dedans quegens pour m'observer ;
Et servante et valetque je viens detrouver
N'ont jamaisde quelque air que je m'y sois pu prendre
Adouci leur rudesse à me vouloir entendre.
J'avaispour de tels coups certaine vieille en main
D'un génieàvrai direau-dessus de l'humain :
Elle m'a dans l'abord servi debonne sorte
Maisdepuis quatre joursla pauvre femme est morte.
Ne me pourriezvous point ouvrir quelque moyen?

ARNOLPHE
Non vraiment ; et sans moi vous en trouverez bien.

HORACE
Adieu donc. Vous voyez ce que je vous confie.


Scène5 : ARNOLPHEseul


Commeil faut devant lui que je me mortifie!
Quelle peine àcacher mon déplaisir cuisant!
Quoi! pour une innocente unesprit si présent!
Elle a feint d'être telle àmes yeuxla traîtresse
Ou le diable à son âmea soufflé cette adresse.
Enfinme voilà mort parce funeste écrit.
Je vois qu'il ale traîtreembaumé son esprit
Qu'à ma suppression il s'estancré chez elle ;
Et c'est mon désespoir et mapeine mortelle.
Je souffre doublement dans le vol de son coeur ;
Et l'amour y pâtit aussi bien que l'honneur.
J'enragede trouver cette place usurpée
Et j'enrage de voir maprudence trompée.
Je sais quepour punir son amourlibertin
Je n'ai qu'à laisser faire à son mauvaisdestin
Que je serai vengé d'elle par elle-même :
Mais il est bien fâcheux de perdre ce qu'on aime.
Ciel!puisque pour un choix j'ai tant philosophé
Faut-il de sesappas m'être si fort coiffé?
Elle n'a ni parentsnisupportni richesse ;
Elle trahit mes soinsmes bontésma tendresse :
Et cependant je l'aimeaprès ce lâchetour
Jusqu'à ne me pouvoir passer de cette amour
Sotn'as-tu point de honte? Ah! je crèvej'enrage.
Et jesouffletterais mille fois mon visage!
Je veux entrer un peumaisseulement pour voir
Quelle est sa contenance après untrait si noir
Ciel! faites que mon front soit exempt de disgrâce;
Ou biens'il est écrit qu'il faille que j'y passe
Donnez-moi tout au moinspour de tels accidents
Laconstance qu'on voit à de certaines gens!


ActeIV



Scène1 - ARNOLPHE


J'aipeineje l'avoueà demeurer en place
Et de mille soucismon esprit s'embarrasse
Pour pouvoir mettre un ordre et dedanset dehors
Qui du godelureau rompe tous les efforts.
De queloeil la traîtresse a soutenu ma vue!
De tout ce qu'elle afait elle n'est point émue ;
Etbien qu'elle me mette àdeux doigts du trépas
On diraità la voirqu'elle n'y touche pas.
Plusen la regardantje la voyaistranquille
Plus je sentais en moi s'échauffer une bile ;
Et ces bouillants transports dont s'enflammait mon coeur
Ysemblaient redouter mon amoureuse ardeur.
J'étais aigrifâchédésespéré contre elle ;
Etcependant jamais je ne la vis si belle
Jamais ses yeux aux miensn'ont paru si perçants
Jamais je n'eus pour eux desdésirs si pressants ;
Et je sens là dedans qu'ilfaudra que je crève
Si de mon triste sort la disgrâces'achève.
Quoi! j'aurai dirigé son éducation
Avec tant de tendresse et de précaution ;
Je l'auraifait passer chez moi dès son enfance
Et j'en aurai chérila plus tendre espérance ;
Mon coeur aura bâti surses attraits naissants
Et cru la mitonner pour moi durant treizeans
Afin qu'un jeune fou dont elle s'amourache
Me la vienneenlever jusque sur la moustache
Lorsqu'elle est avec moi mariéeà demi!
Nonparbleu! nonparbleu! Petit sotmon ami
Vous aurez beau tournerou j'y perdrai mes peines
Ou jerendraima foivos espérances vaines
Et de moi tout àfait vous ne vous rirez point.


Scène2 - LE NOTAIREARNOLPHE


LENOTAIRE
Ah! le voilà! Bonjour. Me voici tout àpoint
Pour dresser le contrat que vous souhaitez faire.

ARNOLPHEsans le voir.
Comment faire?

LE NOTAIRE
Il le faut dans la forme ordinaire.

ARNOLPHEsans le voir.
A mes précautions je veux songer de près.

LE NOTAIRE
Je ne passerai rien contre vos intérêts.

ARNOLPHEsans le voir.
Il se faut garantir de toutes les surprises.

LE NOTAIRE
Suffit qu'entre mes mains vos affaires soient mises.
Il nevous faudra pointde peur d'être déçu
Quittancer le contrat que vous n'ayez reçu.

ARNOLPHEsans le voir.
J'ai peursi je vais faire éclater quelquechose
Que de cet incident par la ville on ne cause.

LE NOTAIRE
Eh bienil est aisé d'empêcher cet éclat
Et l'on peut en secret faire votre contrat.

ARNOLPHEsans le voir.
Mais comment faudra-t-il qu'avec elle j'en sorte?

LE NOTAIRE
Le douaire se règle au bien qu'on vous apporte.

ARNOLPHEsans le voir.
Je l'aimeet cet amour est mon grand embarras.

LE NOTAIRE
On peut avantager une femme en ce cas.

ARNOLPHEsans le voir.
Quel traitement lui faire en pareille aventure?

LE NOTAIRE
L'ordre est que le futur doit douer la future
Du tiers du dotqu'elle a ; mais cet ordre n'est rien
Et l'on va plus avantlorsque l'on le veut bien.

ARNOLPHEsans le voir.
Si...

LENOTAIREArnolphe l'apercevant.
Pour le préciputil lesregarde ensemble.
Je dis que le futur peutcomme bon lui semble
Douer la future.

ARNOLPHEl'ayant aperçu.
Hé?

LE NOTAIRE
Il peut l'avantager
Lorsqu'il l'aime beaucoup et qu'il veutl'obliger ;
Et cela par douaireou préfix qu'on appelle
Qui demeure perdu par le trépas d'icelle ;
Ou sansretourqui va de ladite à ses hoirs ;
Ou coutumierselonles différents vouloirs ;
Ou par donation dans le contratformelle
Qu'on fait ou pure ou simpleou qu'on fait mutuelle.
Pourquoi hausser le dos? Est-ce qu'on parle en fat
Et quel'on ne sait pas les formes d'un contrat?
Qui me les apprendra?personneje présume.
Sais-je pas qu'étant jointson est par la coutume
Communs en meublesbiensimmeubles etconquêts
A moins que par un acte on n'y renonce exprès?
Sais-je pas que le tiers du bien de la future
Entre encommunauté pour...

ARNOLPHE
Ouic'est chose sûre
Vous savez tout cela ; mais quivous en dit mot?

LE NOTAIRE
Vousqui me prétendez faire passer pour sot
En mehaussant l'épaule et faisant la grimace.

ARNOLPHE
La peste soit fait l'hommeet sa chienne de face!
Adieu.C'est le moyen de vous faire finir.

LE NOTAIRE
Pour dresser un contrat m'a-t-on pas fait venir?

ARNOLPHE
Ouije vous ai mandé ; mais la chose est remise
Etl'on vous mandera quand l'heure sera prise.
Voyez quel diabled'homme avec son entretien!

LENOTAIREseul.
Je pense qu'il en tient ; et je crois penser bien.


Scène3 - LE NOTAIREALAINGEORGETTE


LENOTAIREallant au-devant d'Alain et de Georgette.
M'êtes-vouspas venu querir pour votre maître ;

ALAIN
Oui.

LE NOTAIRE
J'ignore pour qui vous le pouvez connaître
Mais allezde ma part lui dire de ce pas
Que c'est un fou fieffé.

GEORGETTE
Nous n'y manquerons pas.