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Alphonse Lamartine



Méditations poétiques

 

 

 

 

Ab Jove Principium
Virgile

I
L'isolement

Souvent sur la montagneà l'ombre du vieux chêne
Au coucher du soleiltristement je m'assieds;
Je promène au hasard mes regards sur la plaine
Dont le tableau changeant se déroule à mes pieds.

Ici gronde le fleuve aux vagues écumantes
Il serpenteet s'enfonce en un lointain obscur;
Là le lac immobile étend ses eaux dormantes
Où l'étoile du soir se lève dans l'azur.

Au sommet de ces monts couronnés de bois sombres
Le crépuscule encor jette un dernier rayon
Et le char vaporeux de la reine des ombres
Monteet blanchit déjà les bords de l'horizon.

Cependants'élançant de la flèche gothique
Un son religieux se répand dans les airs
Le voyageur s'arrêteet la cloche rustique
Aux derniers bruits du jour mêle de saints concerts.

Mais à ces doux tableaux mon âme indifférente
N'éprouve devant eux ni charmeni transports
Je contemple la terreainsi qu'une ombre errante :
Le soleil des vivants n'échauffe plus les morts.

De colline en colline en vain portant ma vue
Du sud à l'aquilonde l'aurore au couchant
Je parcours tous les points de l'immense étendue
Et je dis : Nulle part le bonheur ne m'attend.

Que me font ces vallonsces palaisces chaumières
Vains objets dont pour moi le charme est envolé;
Fleuvesrochersforêtssolitudes si chères
Un seul être vous manqueet tout est dépeuplé.

Que le tour du soleil ou commence ou s'achève
D'un oeil indifférent je le suis dans son cours;
En un ciel sombre ou pur qu'il se couche ou se lève
Qu'importe le soleil? je n'attends rien des jours.

Quand je pourrais le suivre en sa vaste carrière
Mes yeux verraient partout le vide et les déserts;
Je ne désire rien de tout ce qu'il éclaire
Je ne demande rien à l'immense univers.

Mais peut-être au-delà des bornes de sa sphère
Lieux où le vrai soleil éclaire d'autres cieux
Si je pouvais laisser ma dépouille à la terre
Ce que j'ai tant rêvé paraîtrait à mes yeux?

Làje m'enivrerais à la source où j'aspire
Làje retrouverais et l'espoir et l'amour
Et ce bien idéal que toute âme désire
Et qui n'a pas de nom au terrestre séjour!

Que ne puis-jeporté sur le char de l'aurore
Vague objet de mes voeuxm'élancer jusqu'à toi
Sur la terre d'exil pourquoi resté-je encore?
Il n'est rien de commun entre la terre et moi.

Quand la feuille des bois tombe dans la prairie
Le vent du soir s'élève et l'arrache aux vallons;
Et moije suis semblable à la feuille flétrie :
Emportez-moi comme elleorageux aquilons!

II
L'Homme
À Lord Byron.

Toidont le monde encore ignore le vrai nom
Esprit mystérieuxmortelangeou démon
Qui que tu soisByronbon ou fatal génie
J'aime de tes concerts la sauvage harmonie
Comme j'aime le bruit de la foudre et des vents
Se mêlant dans l'orage à la voix des torrents!
La nuit est ton séjourl'horreur est ton domaine :
L'aigleroi des désertsdédaigne ainsi la plaine;
Il ne veutcomme toique des rocs escarpés
Que l'hiver a blanchisque la foudre a frappés;
Des rivages couverts des débris du naufrage
Ou des champs tout noircis des restes du carnage.
Ettandis que l'oiseau qui chante ses douleurs
Bâtit au bord des eaux son nid parmi les fleurs
Luides sommets d'Athos franchit l'horrible cime
Suspend aux flancs des monts son aire sur l'abîme
Et làseulentouré de membres palpitants
De rochers d'un sang noir sans cesse dégouttants
Trouvant sa volupté dans les cris de sa proie
Bercé par la tempêteil s'endort dans sa joie.

Et toiByronsemblable à ce brigand des airs
Les cris du désespoir sont tes plus doux concerts.
Le mal est ton spectacleet l'homme est ta victime.
Ton oeilcomme Satana mesuré l'abîme
Et ton âmey plongeant loin du jour et de Dieu
A dit à l'espérance un éternel adieu!
Comme luimaintenantrégnant dans les ténèbres
Ton génie invincible éclate en chants funèbres;
Il triompheet ta voixsur un mode infernal
Chante l'hymne de gloire au sombre dieu du mal.
Mais que sert de lutter contre sa destinée?
Elle n'a comme l'oeil qu'un étroit horizon.
Ne porte pas plus loin tes yeux ni ta raison :
Hors de là tout nous fuittout s'éteinttout s'efface;
Dans ce cercle borné Dieu t'a marqué ta place.
Comment? pourquoi? qui sait? De ses puissantes mains
Il a laissé tomber le monde et les humains
Comme il a dans nos champs répandu la poussière
Ou semé dans les airs la nuit et la lumière;
Il le saitil suffit : l'univers est à lui
Et nous n'avons à nous que le jour d'aujourd'hui!

Notre crime est d'être homme et de vouloir connaître :
Ignorer et servirc'est la loi de notre être.
Byronce mot est dur : longtemps j'en ai douté;
Mais pourquoi reculer devant la vérité?
Ton titre devant Dieu c'est d'être son ouvrage!
De sentird'adorer ton divin esclavage;
Dans l'ordre universelfaible atome emporté
D'unir à tes desseins ta libre volonté
D'avoir été conçu par son intelligence
De le glorifier par ta seule existence!
Voilàvoilà ton sort. Ah! loin de l'accuser
Baise plutôt le joug que tu voudrais briser;
Descends du rang des dieux qu'usurpait ton audace;
Tout est bientout est bontout est grand à sa place;
Aux regards de celui qui fit l'immensité
L'insecte vaut un monde : ils ont autant coûté!

Mais cette loidis-turévolte ta justice;
Elle n'est à tes yeux qu'un bizarre caprice
Un piège où la raison trébuche à chaque pas.
Confessons-laByronet ne la jugeons pas!
Comme toima raison en ténèbres abonde
Et ce n'est pas à moi de t'expliquer le monde.
Que celui qui l'a fait t'explique l'univers!
Plus je sonde l'abîmehélas! plus je m'y perds.
Ici-basla douleur à la douleur s'enchaîne.
Le jour succède au jouret la peine à la peine.
Borné dans sa natureinfini dans ses voeux
L'homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux;
Soit que déshérité de son antique gloire
De ses destins perdus il garde la mémoire;
Soit que de ses désirs l'immense profondeur
Lui présage de loin sa future grandeur :
Imparfait ou déchul'homme est le grand mystère.
Dans la prison des sens enchaîné sur la terre
Esclaveil sent un coeur né pour la liberté;
Malheureuxil aspire à la félicité;
Il veut aimer toujoursce qu'il aime est fragile!
Tout mortel est semblable à l'exilé d'Eden :
Lorsque Dieu l'eut banni du céleste jardin
Mesurant d'un regard les fatales limites
Il s'assit en pleurant aux portes interdites.
Il entendit de loin dans le divin séjour
L'harmonieux soupir de l'éternel amour
Les accents du bonheurles saints concerts des anges
Quidans le sein de Dieucélébraient ses louanges;
Ets'arrachant du ciel dans un pénible effort
Son oeil avec effroi retomba sur son sort.

Malheur à qui du fond de l'exil de la vie
Entendit ces concerts d'un monde qu'il envie!
Du nectar idéal sitôt qu'elle a goûté
La nature répugne à la réalité :
Dans le sein du possible en songe elle s'élance;
Le réel est étroitle possible est immense;
L'âme avec ses désirs s'y bâtit un séjour
Où l'on puise à jamais la science et l'amour;
L'hommealtéré toujourstoujours se désaltère;
Etde songes si beaux enivrants son sommeil
Ne se reconnaît plus au moment du réveil.

Hélas! tel fut ton sorttelle est ma destinée.
J'ai vidé comme toi la coupe empoisonnée;
Mes yeuxcomme les tienssans voir se sont ouverts;
J'ai cherché vainement le mot de l'univers.
J'ai demandé sa cause à toute la nature
J'ai demandé sa fin à toute créature;
Dans l'abîme sans fond mon regard a plongé;
De l'atome au soleilj'ai tout interrogé;
J'ai devancé les tempsj'ai remonté les âges.
Tantôt passant les mers pour écouter les sages
Mais le monde à l'orgueil est un livre fermé!
Tantôtpour deviner le monde inanimé
Fuyant avec mon âme au sein de la nature
J'ai cru trouver un sens à cette langue obscure.
J'étudiai la loi par qui roulent les cieux :
Dans leurs brillants déserts Newton guida mes yeux
Des empires détruits je méditai la cendre :
Dans ses sacrés tombeaux Rome m'a vu descendre;
Des mânes les plus saints troublant le froid repos
J'ai pesé dans mes mains la cendre des héros.
J'allais redemander à leur vaine poussière
Cette immortalité que tout mortel espère!
Que dis-je? suspendu sur le lit des mourants
Mes regards la cherchaient dans des yeux expirants;
Sur ces sommets noircis par d'éternels nuages
Sur ces flots sillonnés par d'éternels orages
J'appelaisje bravais le choc des éléments.
Semblable à la sybille en ses emportements
J'ai cru que la nature en ces rares spectacles
Laissait tomber pour nous quelqu'un de ses oracles;
J'aimais à m'enfoncer dans ces sombres horreurs.
Mais en vain dans son calmeen vain dans ses fureurs
Cherchant ce grand secret sans pouvoir le surprendre
J'ai vu partout un Dieu sans jamais le comprendre!
J'ai vu le bienle malsans choix et sans dessein
Tomber comme au hasardéchappés de son sein;
Mes yeux dans l'univers n'ont vu qu'un grand peut-être
J'ai blasphémé ce Dieune pouvant le connaître;
Et ma voixse brisant contre ce ciel d'airain
N'a pas même eu l'honneur d'arrêter le destin.

Maisun jour queplongé dans ma propre infortune
J'avais lassé le ciel d'une plainte importune
Une clarté d'en haut dans mon sein descendit
Me tenta de bénir ce que j'avais maudit
Etcédant sans combattre au souffle qui m'inspire
L'hymne de la raison s'élança de ma lyre.

- "Gloire à toidans les temps et dans l'éternité!
Eternelle raisonsuprême volonté!
Toidont l'immensité reconnaît la présence!
Toidont chaque matin annonce l'existence!
Ton souffle créateur s'est abaissé sur moi;
Celui qui n'était pas a paru devant toi!
J'ai reconnu ta voix avant de me connaître
Je me suis élancé jusqu'aux portes de l'être :
Me voici! le néant te salue en naissant;
Me voici! mais que suis-je? un atome pensant!
Qui peut entre nous deux mesurer la distance?
Moiqui respire en toi ma rapide existence
A l'insu de moi-même à ton gré façonné
Que me dois-tuSeigneurquand je ne suis pas né?
Rien avantrien après : Gloire à la fin suprême :
Qui tira tout de soi se doit tout à soi-même!
Jouisgrand artisande l'oeuvre de tes mains :
Je suispour accomplir tes ordres souverains
Disposeordonneagis; dans les tempsdans l'espace
Marque-moi pour ta gloire et mon jour et ma place;
Mon êtresans se plaindreet sans t'interroger
De soi-mêmeen silenceaccourra s'y ranger.
Comme ces globes d'or qui dans les champs du vide
Suivent avec amour ton ombre qui les guide
Noyé dans la lumièreou perdu dans la nuit
Je marcherai comme eux où ton doigt me conduit;
Soit choisi par toi pour éclairer les mondes
Réfléchissant sur eux les feux dont tu m'inondes
Je m'élance entouré d'esclaves radieux
Et franchisse d'un pas tout l'abîme des cieux;
Soit queme reléguant loinbien loin de ta vue
Tu ne fasses de moicréature inconnue
Qu'un atome oublié sur les bords du néant
Ou qu'un grain de poussière emporté par le vent
Glorieux de mon sortpuisqu'il est ton ouvrage
J'iraij'irai partout te rendre un même hommage
Etd'un égal amour accomplissant ma loi
Jusqu'aux bords du néant murmurer : Gloire à toi!

- "Ni si hautni si bas! simple enfant de la terre
Mon sort est un problèmeet ma fin un mystère;
Je ressembleSeigneurau globe de la nuit
Quidans la route obscure où ton doigt le conduit
Réfléchit d'un côté les clartés éternelles
Et de l'autre est plongé dans les ombres mortelles.
L'homme est le point fatal où les deux infinis
Par la toute-puissance ont été réunis.
A tout autre degrémoins malheureux peut-être
J'eusse été... Mais je suis ce que je devais être
J'adore sans la voir ta suprême raison
Gloire à toi qui m'as fait! Ce que tu fais est bon!

- "Cependantaccablé sous le poids de ma chaîne
Du néant au tombeau l'adversité m'entraîne;
Je marche dans la nuit par un chemin mauvais
Ignorant d'où je viensincertain où je vais
Et je rappelle en vain ma jeunesse écoulée
Comme l'eau du torrent dans sa source troublée.
Gloire à toi! Le malheur en naissant m'a choisi;
Comme un jouet vivantta droite m'a saisi;
J'ai mangé dans les pleurs le pain de ma misère
Et m'as abreuvé des eaux de ta colère.
Gloire à toi! J'ai criétu n'as pas répondu;
J'ai jeté sur la terre un regard confondu.
J'ai cherché dans le ciel le jour de ta justice;
Il s'est levéSeigneuret c'est pour mon supplice!
Gloire à toi! L'innocence est coupable à tes yeux :
Un seul êtredu moinsme restait sous les cieux;
Toi-même de nos jours avais mêlé la trame
Sa vie était ma vieet son âme mon âme;
Comme un fruit encor vert du rameau détaché
Je l'ai vu de mon sein avant l'âge arraché!
Ce coupque tu voulais me rendre plus terrible
La frappa lentement pour m'être plus sensible;
Dans ses traits expirantsoù je lisais mon sort
J'ai vu lutter ensemble et l'amour et la mort;
J'ai vu dans ses regards la flamme de la vie
Sous la main du trépas par degrés assoupie
Se ranimer encore au souffle de l'amour!
Je disais chaque jour : Soleil! encore un jour!
Semblable au criminel quiplongé dans les ombres
Et descendu vivant dans les demeures sombres
Près du dernier flambeau qui doive l'éclairer
Se penche sur sa lampe et la voit expirer
Je voulais retenir l'âme qui s'évapore;
Dans son dernier regard je la cherchais encore!
Ce soupirô mon Dieu! dans ton sein s'exhala;
Hors du monde avec lui mon espoir s'envola!
Pardonne au désespoir un moment de blasphème
J'osai... Je me repens : Gloire au maître suprême!
Il fit l'eau pour coulerl'aquilon pour courir
Les soleils pour brûleret l'homme pour souffrir!

- "Que j'ai bien accompli cette loi de mon être!
La nature insensible obéit sans connaître;
Moi seulte découvrant sous la nécessité
J'immole avec amour ma propre volonté
Moi seulje t'obéis avec intelligence;
Moi seulje me complais dans cette obéissance;
Je jouis de rempliren tout tempsen tout lieu
La loi de ma nature et l'ordre de mon Dieu;
J'adore en mes destins ta sagesse suprême
J'aime ta volonté dans mes supplices même
Gloire à toi! Gloire à toi! Frappeanéantis-moi!
Tu n'entendras qu'un cri : Gloire à jamais à toi!"
Ainsi ma voix monta vers la voûte céleste :
Je rendis gloire au cielet le ciel fit le reste.

Fais silenceô ma lyre! Et toiqui dans tes mains
Tiens le coeur palpitant des sensibles humains
Byronviens en tirer des torrents d'harmonie :
C'est pour la vérité que Dieu fit le génie.
Jette un cri vers le cielô chantre des enfers!
Le ciel même aux damnés enviera tes concerts!
Peut-être qu'à ta voixde la vivante flamme
Un rayon descendra dans l'ombre de ton âme?
Peut-être que ton coeurému de saints transports
S'apaisera soi-même à tes propres accords
Et qu'un éclair d'en haut perçant ta nuit profonde
Tu verseras sur nous la clarté qui t'inonde?

Ah! si jamais ton luthamolli par tes pleurs
Soupirait sous tes doigts l'hymne de tes douleurs
Ou sidu sein profond des ombres éternelles
Comme un ange tombétu secouais tes ailes
Et prenant vers le jour un lumineux essor
Parmi les choeurs sacrés tu t'asseyais encor;
Jamaisjamais l'écho de la céleste voûte
Jamais ces harpes d'or que Dieu lui-même écoute
Jamais des séraphins les choeurs mélodieux
De plus divins accords n'auront ravi les cieux!
Courage! enfant déchu d'une race divine!
Tu portes sur ton front ta superbe origine!
Tout homme en te voyant reconnaît dans tes yeux
Un rayon éclipsé de la splendeur des cieux!
Roi des chants immortelsreconnais-toi toi-même!
Laisse aux fils de la nuit le doute et le blasphème;
Dédaigne un faux encens qu'on offre de si bas
La gloire ne peut être où la vertu n'est pas.
Viens reprendre ton rang dans ta splendeur première
Parmi ces purs enfants de gloire et de lumière
Que d'un souffle choisi Dieu voulut animer
Et qu'il fit pour chanterpour croire et pour aimer!

III
A Elvire

Ouil'Anio murmure encore
Le doux nom de Cynthie aux rochers de Tibur
Vaucluse a retenu le nom chéri de Laure
Et Ferrare au siècle futur
Murmurera toujours celui d'Eléonore!
Heureuse la beauté que le poète adore!
Heureux le nom qu'il a chanté!
Toiqu'en secret son culte honore
Tu peuxtu peux mourir! dans la postérité
Il lègue à ce qu'il aime une éternelle vie
Et l'amante et l'amant sur l'aile du génie
Montentd'un vol égalà l'immortalité!
Ah! si mon frêle esquifbattu par la tempête
Grâce à des vents plus douxpouvait surgir au port?
Si des soleils plus beaux se levaient sur ma tête?
Si les pleurs d'une amanteattendrissant le sort
Ecartaient de mon front les ombres de la mort?
Peut-être?...ouipardonneô maître de la lyre!
Peut-être j'oseraiset que n'ose un amant?
Egaler mon audace à l'amour qui m'inspire
Etdans des chants rivaux célébrant mon délire
De notre amour aussi laisser un monument!
Ainsi le voyageur qui dans son court passage
Se repose un moment à l'abri du vallon
Sur l'arbre hospitalier dont il goûta l'ombrage
Avant que de partiraime à graver son nom!

Vois-tu comme tout change ou meurt dans la nature?
La terre perd ses fruitsles forêts leur parure;
Le fleuve perd son onde au vaste sein des mers;
Par un souffle des vents la prairie est fanée
Et le char de l'automneau penchant de l'année
Rouledéjà poussé par la main des hivers!
Comme un géant armé d'un glaive inévitable
Atteignant au hasard tous les êtres divers
Le temps avec la mortd'un vol infatigable
Renouvelle en fuyant ce mobile univers!
Dans l'éternel oubli tombe ce qu'il moissonne :
Tel un rapide été voit tomber sa couronne
Dans la corbeille des glaneurs!
Tel un pampre jauni voit la féconde automne
Livrer ses fruits dorés au char des vendangeurs!
Vous tomberez ainsicourtes fleurs de la vie!
Jeunesseamourplaisirfugitive beauté!
Beautéprésent d'un jour que le ciel nous envie
Ainsi vous tomberezsi la main du génie
Ne vous rend l'immortalité!
Vois d'un oeil de pitié la vulgaire jeunesse
Brillante de beautés'enivrant de plaisir!
Quand elle aura tari sa coupe enchanteresse
Que restera-t-il d'elle? à peine un souvenir :
Le tombeau qui l'attend l'engloutit tout entière
Un silence éternel succède à ses amours;
Mais les siècles auront passé sur ta poussière
Elvireet tu vivras toujours!

IV
Le soir

Le soir ramène le silence.
Assis sur ces rochers déserts
Je suis dans le vague des airs
Le char de la nuit qui s'avance.

Vénus se lève à l'horizon;
A mes pieds l'étoile amoureuse
De sa lueur mystérieuse
Blanchit les tapis de gazon.

De ce hêtre au feuillage sombre
J'entends frissonner les rameaux :
On dirait autour des tombeaux
Qu'on entend voltiger une ombre.

Tout à coup détaché des cieux
Un rayon de l'astre nocturne
Glissant sur mon front taciturne
Vient mollement toucher mes yeux.

Doux reflet d'un globe de flamme
Charmant rayonque me veux-tu?
Viens-tu dans mon sein abattu
Porter la lumière à mon âme?

Descends-tu pour me révéler
Des mondes le divin mystère?
Ces secrets cachés dans la sphère
Où le jour va te rappeler?

Une secrète intelligence
T'adresse-t-elle aux malheureux?
Viens-tu la nuit briller sur eux
Comme un rayon de l'espérance?

Viens-tu dévoiler l'avenir
Au coeur fatigué qui t'implore?
Rayon divines-tu l'aurore
Du jour qui ne doit pas finir?

Mon coeur à ta clarté s'enflamme
Je sens des transports inconnus
Je songe à ceux qui ne sont plus :
Douce lumièrees-tu leur âme?

Peut-être ces mânes heureux
Glissent ainsi sur le bocage?
Enveloppé de leur image
Je crois me sentir plus près d'eux!

Ah! si c'est vousombres chéries!
Loin de la foule et loin du bruit
Revenez ainsi chaque nuit
Vous mêler à mes rêveries.

Ramenez la paix et l'amour
Au sein de mon âme épuisée
Comme la nocturne rosée
Qui tombe après les feux du jour.

Venez!... mais des vapeurs funèbres
Montent des bords de l'horizon :
Elles voilent le doux rayon
Et tout rentre dans les ténèbres.

V
L'immortalité

Le soleil de nos jours pâlit dès son aurore
Sur nos fronts languissants à peine il jette encore
Quelques rayons tremblants qui combattent la nuit;
L'ombre croitle jour meurttout s'efface et tout fuit!
Qu'un autre à cet aspect frissonne et s'attendrisse
Qu'il recule en tremblant des bords du précipice
Qu'il ne puisse de loin entendre sans frémir
Le triste chant des morts tout prêt à retentir
Les soupirs étouffés d'une amante ou d'un frère
Suspendus sur les bords de son lit funéraire
Ou l'airain gémissantdont les sons éperdus
Annoncent aux mortels qu'un malheureux n'est plus!
Je te salueô mort ! Libérateur céleste
Tu ne m'apparais point sous cet aspect funeste
Que t'a prêté longtemps l'épouvante ou l'erreur;
Ton bras n'est point armé d'un glaive destructeur
Ton front n'est point cruelton oeil n'est point perfide
Au secours des douleurs un Dieu clément te guide;
Tu n'anéantis pastu délivres! ta main
Céleste messagerporte un flambeau divin;
Quand mon oeil fatigué se ferme à la lumière
Tu viens d'un jour plus pur inonder ma paupière;
Et l'espoir près de toirêvant sur un tombeau
Appuyé sur la foim'ouvre un monde plus beau!
Viens doncviens détacher mes chaînes corporelles
Viensouvre ma prison; viensprête-moi tes ailes;
Que tardes-tu? Parais; que je m'élance enfin
Vers cet être inconnumon principe et ma fin!
Qui m'en a détaché? qui suis-jeet que dois-je être?
Je meurs et ne sais pas ce que c'est que de naître.
Toiqu'en vain j'interrogeesprithôte inconnu
Avant de m'animerquel ciel habitais-tu?
Quel pouvoir t'a jeté sur ce globe fragile?
Quelle main t'enferma dans ta prison d'argile?
Par quels noeuds étonnantspar quels secrets rapports
Le corps tient-il à toi comme tu tiens au corps?
Quel jour séparera l'âme de la matière?
Pour quel nouveau palais quitteras-tu la terre?
As-tu tout oublié? Par-delà le tombeau
Vas-tu renaître encor dans un oubli nouveau?
Vas-tu recommencer une semblable vie?
Ou dans le sein de Dieuta source et ta patrie
Affranchi pour jamais de tes liens mortels
Vas-tu jouir enfin de tes droits éternels?
Ouitel est mon espoirô moitié de ma vie!
C'est par lui que déjà mon âme raffermie
A pu voir sans effroi sur tes traits enchanteurs
Se faner du printemps les brillantes couleurs.
C'est par lui que percé du trait qui me déchire
Jeune encoreen mourant vous me verrez sourire
Et que des pleurs de joie à nos derniers adieux
A ton dernier regardbrilleront dans mes yeux.
Vain espoir!s'écriera le troupeau d'Epicure
Et celui dont la main disséquant la nature
Dans un coin du cerveau nouvellement décrit
Voit penser la matière et végéter l'esprit;
Insensé! diront-ilsque trop d'orgueil abuse
Regarde autour de toi : tout commence et tout s'use
Tout marche vers un termeet tout naît pour mourir;
Dans ces prés jaunissants tu vois la fleur languir;
Tu vois dans ces forêts le cèdre au front superbe
Sous le poids de ses ans tomberramper sous l'herbe;
Dans leurs lits desséchés tu vois les mers tarir;
Les cieux mêmeles cieux commencent à pâlir;
Cet astre dont le temps a caché la naissance
Le soleilcomme nousmarche à sa décadence
Et dans les cieux déserts les mortels éperdus
Le chercheront un jour et ne le verront plus!
Tu vois autour de toi dans la nature entière
Les siècles entasser poussière sur poussière
Et le tempsd'un seul pas confondant ton orgueil
De tout ce qu'il produit devenir le cercueil.
Et l'hommeet l'homme seulô sublime folie!
Au fond de son tombeau croit retrouver la vie
Et dans le tourbillon au néant emporté.
Abattu par le tempsrêve l'éternité!
Qu'un autre vous répondeô sages de la terre!
Laissez-moi mon erreur : j'aimeil faut que j'espère;
Notre faible raison se trouble et se confond.
Ouila raison se tait : mais l'instinct vous répond.
Pour moiquand je verrais dans les célestes plaines
Les astress'écartant de leurs routes certaines
Dans les champs de l'éther l'un par l'autre heurtés
Parcourir au hasard les cieux épouvantés;
Quand j'entendrais gémir et se briser la terre;
Quand je verrais son globe errant et solitaire
Flottant loin des soleilspleurant l'homme détruit
Se perdre dans les champs de l'éternelle nuit;
Et quanddernier témoin de ces scènes funèbres
Entouré du chaosde la mortdes ténèbres
Seul je serais debout : seulmalgré mon effroi
Etre infaillible et bonj'espérerais en toi
Etcertain du retour de l'éternelle aurore
Sur les mondes détruitsje t'attendrais encore!
Souventtu t'en souviensdans cet heureux séjour
Où naquit d'un regard notre immortel amour
Tantôt sur les sommets de ces rochers antiques
Tantôt aux bords déserts des lacs mélancoliques
Sur l'aile du désirloin du monde emportés
Je plongeais avec toi dans ces obscurités.
Les ombres à longs plis descendant des montagnes
Un moment à nos yeux dérobaient les campagnes :
Mais bientôt s'avançant sans éclat et sans bruit
Le choeur mystérieux des astres de la nuit
Nous rendant les objets voilés à notre vue
De ses molles lueurs revêtait l'étendue;
Telleen nos temples saints par le jour éclairés
Quand les rayons du soir pâlissent par degrés
La lamperépandant sa pieuse lumière
D'un jour plus recueilli remplit le sanctuaire.
Dans ton ivresse alors tu ramenais mes yeux
Et des cieux à la terreet de la terre aux cieux;
Dieu cachédisais-tula nature est ton temple!
L'esprit te voit partout quand notre oeil la contemple;
De tes perfectionsqu'il cherche à concevoir
Ce monde est le refletl'imagele miroir;
Le jour est ton regardla beauté ton sourire :
Partout le coeur t'adore et l'âme te respire;
Eternelinfinitout-puissant et tout bon
Ces vastes attributs n'achèvent pas ton nom;
Et l'espritaccablé sous ta sublime essence
Célèbre ta grandeur jusque dans son silence.
Et cependantô Dieu! par sa sublime loi
Cet esprit abattu s'élance encore à toi
Et sentant que l'amour est la fin de son être
Impatient d'aimerbrûle de te connaître.
Tu disais : et nos coeurs unissaient leurs soupirs
Vers cet être inconnu qu'attestaient nos désirs;
A genoux devant luil'aimant dans ses ouvrages
Et l'aurore et le soir lui portaient nos hommages
Et nos yeux enivrés contemplaient tour à tour
La terre notre exilet le ciel son séjour.
Ah! si dans ces instants où l'âme fugitive
S'élance et veut briser le sein qui la captive
Ce Dieudu haut du ciel répondant à nos voeux
D'un trait libérateur nous eût frappés tous deux!
Nos âmesd'un seul bond remontant vers leur source
Ensemble auraient franchi les mondes dans leur course
A travers l'infinisur l'aile de l'amour
Elles auraient monté comme un rayon du jour
Etjusqu'à Dieu lui-même arrivant éperdues
Se seraient dans son sein pour jamais confondues!
Ces voeux nous trompaient-ils? Au néant destinés
Est-ce pour le néant que les êtres sont nés?
Partageant le destin du corps qui la recèle
Dans la nuit du tombeau l'âme s'engloutit-elle?
Tombe-t-elle en poussière? ouprête à s'envoler
Comme un son qui n'est plus va-t-elle s'exhaler?
Après un vain soupiraprès l'adieu suprême
De tout ce qui t'aimaitn'est-il plus rien qui t'aime?
Ah! sur ce grand secret n'interroge que toi!
Vois mourir ce qui t'aimeElvireet réponds-moi!

VI
Le vallon

Mon coeurlassé de toutmême de l'espérance
N'ira plus de ses voeux importuner le sort;
Prêtez-moi seulementvallon de mon enfance
Un asile d'un jour pour attendre la mort.

Voici l'étroit sentier de l'obscure vallée :
Du flanc de ces coteaux pendent des bois épais
Quicourbant sur mon front leur ombre entremêlée
Me couvrent tout entier de silence et de paix.

Làdeux ruisseaux cachés sous des ponts de verdure
Tracent en serpentant les contours du vallon;
Ils mêlent un moment leur onde et leur murmure
Et non loin de leur source ils se perdent sans nom.

La source de mes jours comme eux s'est écoulée
Elle a passé sans bruitsans nom et sans retour :
Mais leur onde est limpideet mon âme troublée
N'aura pas réfléchi les clartés d'un beau jour.

La fraîcheur de leurs litsl'ombre qui les couronne
M'enchaînent tout le jour sur les bords des ruisseaux;
Comme un enfant bercé par un chant monotone
Mon âme s'assoupit au murmure des eaux.

Ah! c'est là qu'entouré d'un rempart de verdure
D'un horizon borné qui suffit à mes yeux
J'aime à fixer mes pasetseul dans la nature
A n'entendre que l'ondeà ne voir que les cieux.

J'ai trop vutrop sentitrop aimé dans ma vie
Je viens chercher vivant le calme du Léthé;
Beaux lieuxsoyez pour moi ces bords où l'on oublie
L'oubli seul désormais est ma félicité.

Mon coeur est en reposmon âme est en silence!
Le bruit lointain du monde expire en arrivant
Comme un son éloigné qu'affaiblit la distance
A l'oreille incertaine apporté par le vent.

D'ici je vois la vieà travers un nuage
S'évanouir pour moi dans l'ombre du passé;
L'amour seul est resté : comme une grande image
Survit seule au réveil dans un songe effacé.

Repose-toimon âmeen ce dernier asile
Ainsi qu'un voyageurquile coeur plein d'espoir
S'assied avant d'entrer aux portes de la ville
Et respire un moment l'air embaumé du soir.

Comme luide nos pieds secouons la poussière;
L'homme par ce chemin ne repasse jamais :
Comme luirespirons au bout de la carrière
Ce calme avant-coureur de l'éternelle paix.

Tes jourssombres et courts comme les jours d'automne
Déclinent comme l'ombre au penchant des coteaux;
L'amitié te trahitla pitié t'abandonne
Et seuletu descends le sentier des tombeaux.

Mais la nature est là qui t'invite et qui t'aime;
Plonge-toi dans son sein qu'elle t'ouvre toujours;
Quand tout change pour toila nature est la même
Et le même soleil se lève sur tes jours.

De lumière et d'ombrage elle t'entoure encore;
Détache ton amour des faux biens que tu perds;
Adore ici l'écho qu'adorait Pythagore
Prête avec lui l'oreille aux célestes concerts.

Suis le jour dans le cielsuis l'ombre sur la terre
Dans les plaines de l'air vole avec l'aquilon
Avec le doux rayon de l'astre du mystère
Glisse à travers les bois dans l'ombre du vallon.

Dieupour le concevoira fait l'intelligence;
Sous la nature enfin découvre son auteur!
Une voix à l'esprit parle dans son silence
Qui n'a pas entendu cette voix dans son coeur?

VII
Le désespoir

Lorsque du Créateur la parole féconde
Dans une heure fataleeut enfanté le monde
Des germes du chaos
De son oeuvre imparfaite il détourna sa face
Et d'un pied dédaigneux le lançant dans l'espace
Rentra dans son repos.

Vadit-ilje te livre à ta propre misère;
Trop indigne à mes yeux d'amour ou de colère
Tu n'es rien devant moi.
Roule au gré du hasard dans les déserts du vide;
Qu'à jamais loin de moi le destin soit ton guide
Et le Malheur ton roi.

Il dit. Comme un vautour qui plonge sur sa proie
Le Malheurà ces motspousseen signe de joie
Un long gémissement;
Et pressant l'univers dans sa serre cruelle
Embrasse pour jamais de sa rage éternelle
L'éternel aliment.

Le mal dès lors régna dans son immense empire;
Dès lors tout ce qui pense et tout ce qui respire
Commença de souffrir;
Et la terreet le cielet l'âmeet la matière
Tout gémit : et la voix de la nature entière
Ne fut qu'un long soupir.

Levez donc vos regards vers les célestes plaines
Cherchez Dieu dans son oeuvreinvoquez dans vos peines
Ce grand consolateur
Malheureux! sa bonté de son oeuvre est absente
Vous cherchez votre appui? l'univers vous présente
Votre persécuteur.

De quel nom te nommerô fatale puissance?
Qu'on t'appelle destinnatureprovidence
Inconcevable loi!
Qu'on tremble sous ta mainou bien qu'on la blasphème
Soumis ou révoltéqu'on te craigne ou qu'on t'aime
Toujoursc'est toujours toi!

Hélas! ainsi que vous j'invoquai l'espérance;
Mon esprit abusé but avec complaisance
Son philtre empoisonneur;
C'est elle quipoussant nos pas dans les abîmes
De festons et de fleurs couronne les victimes
Qu'elle livre au Malheur.

Si du moins au hasard il décimait les hommes
Ou si sa main tombait sur tous tant que nous sommes
Avec d'égales lois?
Mais les siècles ont vu les âmes magnanimes
La beautéle génieou les vertus sublimes
Victimes de son choix.

Telquand des dieux de sang voulaient en sacrifices
Des troupeaux innocents les sanglantes prémices
Dans leurs temples cruels
De cent taureaux choisis on formait l'hécatombe
Et l'agneau sans souillureou la blanche colombe
Engraissaient leurs autels.

CréateurTout-Puissantprincipe de tout être!
Toi pour qui le possible existe avant de naître :
Roi de l'immensité
Tu pouvais cependantau gré de ton envie
Puiser pour tes enfants le bonheur et la vie
Dans ton éternité?

Sans t'épuiser jamaissur toute la nature
Tu pouvais à longs flots répandre sans mesure
Un bonheur absolu.
L'espacele pouvoirle tempsrien ne te coûte.
Ah! ma raison frémit; tu le pouvais sans doute
Tu ne l'as pas voulu.

Quel crime avons-nous fait pour mériter de naître?
L'insensible néant t'a-t-il demandé l'être
Ou l'a-t-il accepté?
Sommes-nousô hasardl'oeuvre de tes caprices?
Ou plutôtDieu cruelfallait-il nos supplices
Pour ta félicité?

Montez donc vers le cielmontezencens qu'il aime
Soupirsgémissementslarmessanglotsblasphème
Plaisirsconcerts divins!
Cris du sangvoix des mortsplaintes inextinguibles
Montezallez frapper les voûtes insensibles
Du palais des destins!

Terreélève ta voix; cieuxrépondez; abîmes
Noirs séjours où la mort entasse ses victimes
Ne formez qu'un soupir.
Qu'une plainte éternelle accuse la nature
Et que la douleur donne à toute créature
Une voix pour gémir.

Du jour où la natureau néant arrachée
S'échappa de tes mains comme une oeuvre ébauchée
Qu'as-tu vu cependant?
Aux désordres du mal la matière asservie
Toute chair gémissanthélas! et toute vie
Jalouse du néant.

Des éléments rivaux les luttes intestines;
Le Tempsqui flétrit toutassis sur les ruines
Qu'entassèrent ses mains
Attendant sur le seuil tes oeuvres éphémères;
Et la mort étouffantdès le sein de leurs mères
Les germes des humains!

La vertu succombant sous l'audace impunie
L'imposture en honneurla vérité bannie;
L'errante liberté
Aux dieux vivants du monde offerte en sacrifice;
Et la forcepartoutfondant de l'injustice
Le règne illimité.

La valeur sans les dieux décidant des batailles!
Un Caton libre encor déchirant ses entrailles
Sur la foi de Platon!
Un Brutus quimourant pour la vertu qu'il aime
Doute au dernier moment de cette vertu même
Et dit : Tu n'es qu'un nom!...

La fortune toujours du parti des grands crimes!
Les forfaits couronnés devenus légitimes!
La gloire au prix du sang!
Les enfants héritant l'iniquité des pères!
Et le siècle qui meurt racontant ses misères
Au siècle renaissant!

Eh quoi! tant de tourmentsde forfaitsde supplices
N'ont-ils pas fait fumer d'assez de sacrifices
Tes lugubres autels?
Ce soleilvieux témoin des malheurs de la terre
Ne fera-t-il pas naître un seul jour qui n'éclaire
L'angoisse des mortels?

Héritiers des douleursvictimes de la vie
Nonnonn'espérez pas que sa rage assouvie
Endorme le Malheur!
Jusqu'à ce que la Mortouvrant son aile immense
Engloutisse à jamais dans l'éternel silence
L'éternelle douleur!

VIII
La providence à l'homme

Quoi! le fils du néant a maudit l'existence!
Quoi! tu peux m'accuser de mes propres bienfaits!
Tu peux fermer tes yeux à la magnificence
Des dons que je t'ai faits!

Tu n'étais pas encorcréature insensée
Déjà de ton bonheur j'enfantais le dessein;
Déjàcomme son fruitl'éternelle pensée
Te portait dans son sein.

Ouiton être futur vivait dans ma mémoire;
Je préparais les temps selon ma volonté.
Enfin ce jour parut; je dis : Nais pour ma gloire
Et ta félicité!

Tu naquis : ma tendresseinvisible et présente
Ne livra pas mon oeuvre aux chances du hasard;
J'échauffai de tes sens la sève languissante
Des feux de mon regard.

D'un lait mystérieux je remplis la mamelle;
Tu t'enivras sans peine à ces sources d'amour.
J'affermis les ressortsj'arrondis la prunelle
Où se peignit le jour.

Ton âmequelque temps par les sens éclipsée
Comme tes yeux au jours'ouvrit à la raison :
Tu pensas; la parole acheva ta pensée
Et j'y gravai mon nom.

En quel éclatant caractère
Ce grand nom s'offrit à tes yeux!
Tu vis ma bonté sur la terre
Tu lus ma grandeur dans les cieux!
L'ordre était mon intelligence;
La naturema providence;
L'espacemon immensité!
Etde mon être ombre altérée
Le temps te peignit ma durée
Et le destinma volonté!

Tu m'adoras dans ma puissance
Tu me bénis dans ton bonheur
Et tu marchas en ma présence
Dans la simplicité du coeur;
Mais aujourd'hui que l'infortune
A couvert d'une ombre importune
Ces vives clartés du réveil
Ta voix m'interroge et me blâme
Le nuage couvre ton âme
Et tu ne crois plus au soleil.

"Nontu n'es plus qu'un grand problème
Que le sort offre à la raison;
Si ce monde était ton emblème
Ce monde serait juste et bon."
Arrêteorgueilleuse pensée;
A la loi que je t'ai tracée
Tu prétends comparer ma loi?
Connais leur différence auguste :
Tu n'as qu'un jour pour être juste
J'ai l'éternité devant moi!

Quand les voiles de ma sagesse
A tes yeux seront abattus
Ces mauxdont gémit ta faiblesse
Seront transformés en vertus
De ces obscurités cessantes
Tu verras sortir triomphantes
Ma justice et ta liberté;
C'est la flamme qui purifie
Le creuset divin où la vie
Se change en immortalité!

Mais ton coeur endurci doute et murmure encore;
Ce jour ne suffit pas à tes yeux révoltés
Et dans la nuit des sens tu voudrais voir éclore
De l'éternelle aurore
Les célestes clartés!

Attends; ce demi-jourmêlé d'une ombre obscure
Suffit pour te guider en ce terrestre lieu :
Regarde qui je suiset marche sans murmure
Comme fait la nature
Sur la foi de son Dieu.

La terre ne sait pas la loi qui la féconde;
L'océanrefoulé sous mon bras tout-puissant
Sait-il comment au gré du nocturne croissant
De sa prison profonde
La mer vomit son onde
Et des bords qu'elle inonde
Recule en mugissant?

Ce soleil éclatantombre de ma lumière
Sait-il où le conduit le signe de ma main?
S'est-il tracé soi-même un glorieux chemin?
Au bout de sa carrière
Quand j'éteins sa lumière
Promet-il à la terre
Le soleil de demain?

Cependant tout subsiste et marche en assurance.
Ma voix chaque matin réveille l'univers!
J'appelle le soleil du fond de ses déserts :
Franchissant la distance
Il monte en ma présence
Me répondet s'élance
Sur le trône des airs!

Et toidont mon souffle est la vie;
Toisur qui mes yeux sont ouverts
Peux-tu craindre que je t'oublie
Hommeroi de cet univers?
Crois-tu que ma vertu sommeille?
Nonmon regard immense veille
Sur tous les mondes à la fois!
La mer qui fuit à ma parole
Ou la poussière qui s'envole
Suivent et comprennent mes lois.

Marche au flambeau de l'espérance
Jusque dans l'ombre du trépas
Assuré que ma providence
Ne tend point de piège à tes pas.
Chaque aurore la justifie
L'univers entier s'y confie
Et l'homme seul en a douté!
Mais ma vengeance paternelle
Confondra ce doute infidèle
Dans l'abîme de ma bonté.

IX
Souvenir

En vain le jour succède au jour
Ils glissent sans laisser de trace;
Dans mon âme rien ne t'efface
Ô dernier songe de l'amour!

Je vois mes rapides années
S'accumuler derrière moi
Comme le chêne autour de soi
Voit tomber ses feuilles fanées.

Mon front est blanchi par le temps;
Mon sang refroidi coule à peine
Semblable à cette onde qu'enchaîne
Le souffle glacé des autans.

Mais ta jeune et brillante image
Que le regret vient embellir
Dans mon sein ne saurait vieillir :
Comme l'âmeelle n'a point d'âge.

Nontu n'as pas quitté mes yeux;
Et quand mon regard solitaire
Cessa de te voir sur la terre
Soudain je te vis dans les cieux.

Làtu m'apparais telle encore
Que tu fus à ce dernier jour
Quand vers ton céleste séjour
Tu t'envolas avec l'aurore.

Ta pure et touchante beauté
Dans les cieux même t'a suivie;
Tes yeuxoù s'éteignait la vie
Rayonnent d'immortalité!

Du zéphyr l'amoureuse haleine
Soulève encor tes longs cheveux;
Sur ton sein leurs flots onduleux
Retombent en tresses d'ébène.

L'ombre de ce voile incertain
Adoucit encor ton image
Comme l'aube qui se dégage
Des derniers voiles du matin.

Du soleil la céleste flamme
Avec les jours revient et fuit;
Mais mon amour n'a pas de nuit
Et tu luis toujours sur mon âme.

C'est toi que j'entendsque je vois
Dans le désertdans le nuage;
L'onde réfléchit ton image;
Le zéphyr m'apporte ta voix.

Tandis que la terre sommeille
Si j'entends le vent soupirer
Je crois t'entendre murmurer
Des mots sacrés à mon oreille.

Si j'admire ces feux épars
Qui des nuits parsèment le voile
Je crois te voir dans chaque étoile
Qui plaît le plus à mes regards.

Et si le souffle du zéphyr
M'enivre du parfum des fleurs
Dans ses plus suaves odeurs
C'est ton souffle que je respire.

C'est ta main qui sèche mes pleurs
Quand je vaistriste et solitaire
Répandre en secret ma prière
Près des autels consolateurs.

Quand je dorstu veilles dans l'ombre;
Tes ailes reposent sur moi;
Tous mes songes viennent de toi
Doux comme le regard d'une ombre.

Pendant mon sommeilsi ta main
De mes jours déliait la trame
Céleste moitié de mon âme
J'irais m'éveiller dans ton sein!

Comme deux rayons de l'aurore
Comme deux soupirs confondus
Nos deux âmes ne forment plus
Qu'une âmeet je soupire encore!

X
Ode
Delicta majorum immeritus lues
HORAT.od. VIlib. III.

Peuple! des crimes de tes pères
Le Ciel punissant tes enfants
De châtiments héréditaires
Accablera leurs descendants!
Jusqu'à ce qu'une main propice
Relève l'auguste édifice
Par qui la terre touche aux cieux
Et que le zèle et la prière
Dissipent l'indigne poussière
Qui couvre l'image des dieux!

Sortez de vos débris antiques
Temples que pleurait Israël;
Relevez-voussacrés portiques;
Lévitesmontez à l'autel!
Aux sons des harpes de Solime
Que la renaissante victime
S'immole sous vos chastes mains!
Et qu'avec les pleurs de la terre
Son sang éteigne le tonnerre
Qui gronde encor sur les humains!

Plein d'une superbe folie
Ce peuple au front audacieux
S'est dit un jour : "Dieu m'humilie;
Soyons à nous-mêmes nos dieux.
Notre intelligence sublime
A sondé le ciel et l'abîme
Pour y chercher ce grand esprit!
Mais ni dans les flancs de la terre
Mais ni dans les feux de la sphère
Son nom pour nous ne fut écrit.

"Déjà nous enseignons au monde
A briser le sceptre des rois;
Déjà notre audace profonde
Se rit du joug usé des lois.
Secouezmalheureux esclaves
Secouez d'indignes entraves.
Rentrez dans votre liberté!
Mortel! du jour où tu respires
Ta loic'est ce que tu désires;
Ton devoirc'est la volupté!

"Ta pensée a franchi l'espace
Tes calculs précèdent les temps
La foudre cède à ton audace
Les cieux roulent tes chars flottants;
Comme un feu que tout alimente
Ta raisonsans cesse croissante
S'étendra sur l'immensité!
Et ta puissancequ'elle assure
N'aura de terme et de mesure
Que l'espace et l'éternité.

"Heureux nos fils! heureux cet âge
Quifécondé par nos leçons
Viendra recueillir l'héritage
Des dogmes que nous lui laissons!
Pourquoi les jalouses années
Bornent-elles nos destinées
A de si rapides instants?
Ô loi trop injuste et trop dure!
Pour triompher de la nature
Que nous a-t-il manqué? le temps."

Eh bien! le temps sur vos poussières
A peine encore a fait un pas!
Sortezô mânes de nos pères
Sortez de la nuit du trépas!
Venez contempler votre ouvrage!
Venez partager de cet âge
La gloire et la félicité!
Ô race en promesses féconde
Paraissez! bienfaiteurs du monde
Voilà votre postérité!

Que vois-je? ils détournent la vue
Etse cachant sous leurs lambeaux
Leur foulede honte éperdue
Fuit et rentre dans les tombeaux!
Nonnonrestezombres coupables;
Auteurs de nos jours déplorables
Restez! ce supplice est trop doux.
Le Cieltrop lent à vous poursuivre
Devait vous condamner à vivre
Dans le siècle enfanté par vous!

Où sont-ilsces jours où la France
A la tête des nations
Se levait comme un astre immense
Inondant tout de ses rayons?
Parmi nos sièclessiècle unique
De quel cortège magnifique
La gloire composait ta cour!
Semblable au dieu qui nous éclaire
Ta grandeur étonnait la terre
Dont tes clartés étaient l'amour!

Toujours les siècles du génie
Sont donc les siècles des vertus!
Toujours les dieux de l'harmonie
Pour les héros sont descendus!
Près du trône qui les inspire
Voyez-les déposer la lyre
Dans de pures et chastes mains
Et les Racine et les Turenne
Enchaîner les grâces d'Athène
Au char triomphant des Romains!

Maisô déclin! quel souffle aride
De notre âge a séché les fleurs?
Eh quoi ! le lourd compas d'Euclide
Etouffe nos arts enchanteurs!
Elans de l'âme et du génie!
Des calculs la froide manie
Chez nos pères vous remplaça :
Ils posèrent sur la nature
Le doigt glacé qui la mesure
Et la nature se glaça!

Et toiprêtresse de la terre
Vierge du Pinde ou de Sion
Tu fuis ce globe de matière
Privé de ton dernier rayon!
Ton souffle divin se retire
De ces coeurs flétrisque la lyre
N'émeut plus de ses sons touchants!
Et pour son Dieu qui le contemple
Sans toi l'univers est un temple
Qui n'a plus ni parfums ni chants!

Pleurons doncenfants de nos pères!
Pleurons! de deuil couvrons nos fronts!
Lavons dans nos larmes amères
Tant d'irréparables affronts!
Comme les fils d'Héliodore
Rassemblons du soir à l'aurore
Les débris du temple abattu!
Et sous ces cendres criminelles
Cherchons encor les étincelles
Du génie et de la vertu!

XI
L'enthousiasme

Ainsiquand l'aigle du tonnerre
Enlevait Ganymède aux cieux
L'enfants'attachant à la terre
Luttait contre l'oiseau des dieux;
Mais entre ses serres rapides
L'aigle pressant ses flancs timides
L'arrachait aux champs paternels;
Etsourd à la voix qui l'implore
Il le jetaittremblant encore
Jusques aux pieds des immortels.

Ainsi quand tu fonds sur mon âme
Enthousiasmeaigle vainqueur
Au bruit de tes ailes de flamme
Je frémis d'une sainte horreur;
Je me débats sous ta puissance
Je fuisje crains que ta présence
N'anéantisse un coeur mortel
Comme un feu que la foudre allume
Qui ne s'éteint pluset consume
Le bûcherle temple et l'autel.

Mais à l'essor de la pensée
L'instinct des sens s'oppose en vain;
Sous le dieumon âme oppressée
Bondits'élanceet bat mon sein.
La foudre en mes veines circule :
Etonné du feu qui me brûle
Je l'irrite en le combattant
Et la lave de mon génie
Déborde en torrents d'harmonie
Et me consume en s'échappant.

Musecontemple ta victime!
Ce n'est plus ce front inspiré
Ce n'est plus ce regard sublime
Qui lançait un rayon sacré :
Sous ta dévorante influence
A peine un reste d'existence
A ma jeunesse est échappé.
Mon frontque la pâleur efface
Ne conserve plus que la trace
De la foudre qui m'a frappé.

Heureux le poète insensible!
Son luth n'est point baigné de pleurs
Son enthousiasme paisible
N'a point ces tragiques fureurs.
De sa veine féconde et pure
Coulentavec nombre et mesure
Des ruisseaux de lait et de miel;
Et ce pusillanime Icare
Trahi par l'aile de Pindare
Ne retombe jamais du ciel.

Mais nouspour embraser les âmes
Il faut brûleril faut ravir
Au ciel jaloux ses triples flammes.
Pour tout peindreil faut tout sentir.
Foyers brûlants de la lumière
Nos coeurs de la nature entière
Doivent concentrer les rayons;
Et l'on accuse notre vie!
Mais ce flambeau qu'on nous envie
S'allume au feu des passions.

Nonjamais un sein pacifique
N'enfanta ces divins élans
Ni ce désordre sympathique
Qui soumet le monde à nos chants.
Nonnonquand l'Apollon d'Homère
Pour lancer ses traits sur la terre
Descendait des sommets d'Eryx
Volant aux rives infernales
Il trempait ses armes fatales
Dans les eaux bouillantes du Styx.

Descendez de l'auguste cime
Qu'indignent de lâches transports!
Ce n'est que d'un luth magnanime
Que partent les divins accords.
Le coeur des enfants de la lyre
Ressemble au marbre qui soupire
Sur le sépulcre de Memnon;
Pour lui donner la voix et l'âme
Il faut que de sa chaste flamme
L'oeil du jour lui lance un rayon.

Et tu veux qu'éveillant encore
Des feux sous la cendre couverts
Mon reste d'âme s'évapore
En accents perdus dans les airs!
La gloire est le rêve d'une ombre;
Elle a trop retranché le nombre
Des jours qu'elle devait charmer.
Tu veux que je lui sacrifie
Ce dernier souffle de ma vie!
Je veux le garder pour aimer.

XII
La retraite

A M. de C***

Aux bords de ton lac enchanté
Loin des sots préjugés que l'erreur déifie
Couvert du bouclier de ta philosophie
Le temps n'emporte rien de ta félicité;
Ton matin fut brillant; et ma jeunesse envie
L'azur calme et serein du beau soir de ta vie!

Ce qu'on appelle nos beaux jours
N'est qu'un éclair brillant dans une nuit d'orage
Et rienexcepté nos amours
N'y mérite un regret du sage;
Maisque dis-je? on aime à tout âge :
Ce feu durable et douxdans l'âme renfermé
Donne plus de chaleur en jetant moins de flamme;
C'est le souffle divin dont tout l'homme est formé
Il ne s'éteint qu'avec son âme.

Etendre son espritresserrer ses désirs
C'est là ce grand secret ignoré du vulgaire :
Tu le connaisami; cet heureux coin de terre
Renferme tes amourstes goûts et tes plaisirs;
Tes voeux ne passent point ton champêtre domaine
Mais ton esprit plus vaste étend son horizon
Etdu monde embrassant la scène
Le flambeau de l'étude éclaire ta raison.

Tu vois qu'aux bords du Tibreet du Nil et du Gange
En tous lieuxen tous tempssous des masques divers
L'homme partout est l'hommeet qu'en cet univers
Dans un ordre éternel tout passe et rien ne change;
Tu vois les nations s'éclipser tour à tour
Comme les astres dans l'espace
De mains en mains le sceptre passe
Chaque peuple a son siècleet chaque homme a son jour;
Sujets à cette loi suprême
Empiregloireliberté
Tout est par le temps emporté
Le temps emporta les dieux même
De la crédule antiquité
Et ce que des mortels dans leur orgueil extrême
Osaient nommer la vérité.

Au milieu de ce grand nuage
Réponds-moi : que fera le sage
Toujours entre le doute et l'erreur combattu?
Content du peu de jours qu'il saisit au passage
Il se hâte d'en faire usage
Pour le bonheur et la vertu.

J'ai vu ce sage heureux; dans ses belles demeures
J'ai goûté l'hospitalité
A l'ombre du jardin que ses mains ont planté
Aux doux sons de sa lyre il endormait les heures
En chantant sa félicité.
Soyez touchégrand Dieude sa reconnaissance.
Il ne vous lasse point d'un inutile voeu;
Gardez-lui seulement sa rustique opulence
Donnez tout à celui qui vous demande peu.
Des doux objets de sa tendresse
Qu'à son riant foyer toujours environné
Sa femme et ses enfants couronnent sa vieillesse
Comme de ses fruits mûrs un arbre est couronné.
Que sous l'or des épis ses collines jaunissent;
Qu'au pied de son rocher son lac soit toujours pur;
Que de ses beaux jasmins les ombres s'épaississent;
Que son soleil soit douxque son ciel soit d'azur
Et que pour l'étranger toujours ses vins mûrissent.

Pour moiloin de ce port de la félicité
Hélas! par la jeunesse et l'espoir emporté
Je vais tenter encore et les flots et l'orage;
Maisballotté par l'onde et fatigué du vent
Au pied de ton rocher sauvage
Amije reviendrai souvent
Rattachervers le soirma barque à ton rivage.

XIII
Le lac

Ainsitoujours poussés vers de nouveaux rivages
Dans la nuit éternelle emportés sans retour
Ne pourrons-nous jamais sur l'océan des âges
Jeter l'ancre un seul jour?

O lac! l'année à peine a fini sa carrière
Et près des flots chéris qu'elle devait revoir
Regarde! je viens seul m'asseoir sur cette pierre
Où tu la vis s'asseoir!

Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes;
Ainsi tu te brisais sur leurs flancs déchirés;
Ainsi le vent jetait l'écume de tes ondes
Sur ses pieds adorés.

Un soirt'en souvient-il? nous voguions en silence
On n'entendait au loinsur l'onde et sous les cieux
Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence
Tes flots harmonieux.

Tout à coup des accents inconnus à la terre
Du rivage charmé frappèrent les échos;
Le flot fut attentifet la voix qui m'est chère
Laissa tomber ces mots :

"O tempssuspends ton vol! et vousheures propices
Suspendez votre cours :
Laissez-nous savourer les rapides délices
Des plus beaux de nos jours!

"Assez de malheureux ici-bas vous implorent
Coulezcoulez pour eux;
Prenez avec leurs jours les soins qui les dévorent
Oubliez les heureux.

"Mais je demande en vain quelques moments encore
Le temps m'échappe et fuit;
Je dis à cette nuit : Sois plus lente; et l'aurore
Va dissiper la nuit.

"Aimons doncaimons donc! de l'heure fugitive
Hâtons-nousjouissons!
L'homme n'a point de portle temps n'a point de rive;
Il couleet nous passons!"

Temps jalouxse peut-il que ces moments d'ivresse
Où l'amour à longs flots nous verse le bonheur
S'envolent loin de nous de la même vitesse
Que les jours de malheur?

Eh quoi! n'en pourrons-nous fixer au moins la trace?
Quoi! passés pour jamais? quoi! tout entiers perdus?
Ce temps qui les donnace temps qui les efface
Ne nous les rendra plus?

Éterniténéantpassésombres abîmes
Que faites-vous des jours que vous engloutissez?
Parlez : nous rendrez-vous ces extases sublimes
Que vous nous ravissez?

O lac! rochers muets! grottes! forêt obscure!
Vousque le temps épargne ou qu'il peut rajeunir
Gardez de cette nuitgardezbelle nature
Au moins le souvenir!

Qu'il soit dans ton reposqu'il soit dans tes orages
Beau lacet dans l'aspect de tes riants coteaux
Et dans ces noirs sapinset dans ces rocs sauvages
Qui pendent sur tes eaux.

Qu'il soit dans le zéphyr qui frémit et qui passe
Dans les bruits de tes bords par tes bords répétés
Dans l'astre au front d'argent qui blanchit ta surface
De ses molles clartés.

Que le vent qui gémitle roseau qui soupire
Que les parfums légers de ton air embaumé
Que tout ce qu'on entendl'on voit ou l'on respire
Tout dise : Ils ont aimé!

XIV
La gloire
A un poète exilé

Généreux favoris des filles de mémoire
Deux sentiers différents devant vous vont s'ouvrir :
L'un conduit au bonheurl'autre mène à la gloire;
Mortelsil faut choisir.

Ton sortô Manoelsuivit la loi commune;
La muse t'enivra de précoces faveurs;
Tes jours furent tissus de gloire et d'infortune
Et tu verses des pleurs!

Rougis plutôtrougis d'envier au vulgaire
Le stérile repos dont son coeur est jaloux :
Les dieux ont fait pour lui tous les biens de la terre
Mais la lyre est à nous.

Les siècles sont à toile monde est ta patrie.
Quand nous ne sommes plusnotre ombre a des autels
Où le juste avenir prépare à ton génie
Des honneurs immortels.

Ainsi l'aigle superbe au séjour du tonnerre
S'élance; etsoutenant son vol audacieux
Semble dire aux mortels : Je suis né sur la terre
Mais je vis dans les cieux.

Ouila gloire t'attend; mais arrêteet contemple
A quel prix on pénètre en ses parvis sacrés;
Vois : l'infortuneassise à la porte du temple
En garde les degrés.

Icic'est ce vieillard que l'ingrate Ionie
A vu de mers en mers promener ses malheurs :
Aveugleil mendiait au prix de son génie
Un pain mouillé de pleurs.

Làle Tassebrûlé d'une flamme fatale
Expiant dans les fers sa gloire et son amour
Quand il va recueillir la palme triomphale
Descend au noir séjour.

Partout des malheureuxdes proscritsdes victimes
Luttant contre le sort ou contre les bourreaux;
On dirait que le ciel aux coeurs plus magnanimes
Mesure plus de maux.

Impose donc silence aux plaintes de ta lyre
Des coeurs nés sans vertu l'infortune est l'écueil;
Mais toiroi détrônéque ton malheur t'inspire
Un généreux orgueil!

Que t'importe après tout que cet ordre barbare
T'enchaîne loin des bords qui furent ton berceau?
Que t'importe en quels lieux le destin te prépare
Un glorieux tombeau?

Ni l'exilni les fers de ces tyrans du Tage
N'enchaîneront ta gloire aux bords où tu mourras :
Lisbonne la réclameet voilà l'héritage
Que tu lui laisseras!

Ceux qui l'ont méconnu pleureront le grand homme;
Athène à des proscrits ouvre son Panthéon;
Coriolan expireet les enfants de Rome
Revendiquent son nom.

Aux rivages des morts avant que de descendre
Ovide lève au ciel ses suppliantes mains :
Aux Sarmates grossiers il a légué sa cendre
Et sa gloire aux Romains.

XV
Ode sur la naissance du Duc de Bordeaux

Versez du sang! frappez encore!
Plus vous retranchez ses rameaux
Plus le tronc sacré voit éclore
Ses rejetons toujours nouveaux!
Est-ce un dieu qui trompe le crime ?
Toujours d'une auguste victime
Le sang est fertile en vengeur!
Toujours échappé d'Athalie
Quelque enfant que le fer oublie
Grandit à l'ombre du Seigneur!

Il est né l'enfant du miracle!
Héritier du sang d'un martyr
Il est né d'un tardif oracle
Il est né d'un dernier soupir!
Aux accents du bronze qui tonne
La France s'éveille et s'étonne
Du fruit que la mort a porté!
Jeux du sort! merveilles divines!
Ainsi fleurit sur des ruines
Un lis que l'orage a planté.

Il vientquand les peuples victimes
Du sommeil de leurs conducteurs
Errent aux penchants des abîmes
Comme des troupeaux sans pasteurs!
Entre un passé qui s'évapore
Vers un avenir qu'il ignore
L'homme nage dans un chaos!
Le doute égare sa boussole
Le monde attend une parole
La terre a besoin d'un héros!

Courage ! c'est ainsi qu'ils naissent!
C'est ainsi que dans sa bonté
Un dieu les sème! Ils apparaissent
Sur des jours de stérilité!
Ainsidans une sainte attente
Quand des pasteurs la troupe errante
Parlait d'un Moïse nouveau
De la nuit déchirant le voile
Une mystérieuse étoile
Les conduisit vers un berceau!

Sacré berceau! frêle espérance
Qu'une mère tient dans ses bras!
Déjà tu rassures la France
Les miracles ne trompent pas!
Confiante dans son délire
A ce berceau déjà ma lyre
Ouvre un avenir triomphant;
Etcomme ces rois de l'Aurore
Un instinct que mon âme ignore
Me fait adorer un enfant!

Comme l'orphelin de Pergame
Il verra près de son berceau
Un roides princesune femme
Pleurer aussi sur un tombeau!
Bercé sur le sein de sa mère
S'il vient à demander son père
Il verra se baisser leurs yeux!
Et cette veuve inconsolée
En lui cachant le mausolée
Du doigt lui montrera les cieux!

Jeté sur le déclin des âges
Il verra l'empire sans fin
Sorti de glorieux orages
Frémir encor de son déclin.
Mais son glaive aux champs de victoire
Nous rappellera la mémoire
Des destins promis à Clovis
Tant que le tronçon d'une épée
D'un rayon de gloire frappée
Brillerait aux mains de ses fils!

Sourd aux leçons efféminées
Dont le siècle aime à les nourrir
Il saura que les destinées
Font roipour régner ou mourir;
Que des vieux héros de sa race
Le premier titre fut l'audace
Et le premier trône un pavois;
Et qu'en vain l'humanité crie :
Le sang versé pour la patrie
Est toujours la pourpre des rois!

Tremblant à la voix de l'histoire
Ce juge vivant des humains
Français! il saura que la gloire
Tient deux flambeaux entre ses mains
L'und'une sanglante lumière
Sillonne l'horrible carrière
Des peuples par le crime heureux;
Semblable aux torches des furies
Que jadis les fameux impies
Sur leurs pas traînaient après eux!

L'autredu sombre oubli des âges
Tombeau des peuples et des rois
Ne sauve que les siècles sages
Et les légitimes exploits :
Ses clartés immenses et pures
Traversant les races futures
Vont s'unir au jour éternel;
Pareil à ces feux pacifiques
Ô Vesta! que des mains pudiques
Entretenaient sur ton autel!

Il saura qu'aux jours où nous sommes
Pour vieillir au trône des rois
Il faut montrer aux yeux des hommes
Ses vertus auprès de ses droits;
Qu'assis à ce degré suprême
Il faut s'y défendre soi-même
Comme les dieux sur leurs autels;
Rappeler en tout leur image
Et faire adorer le nuage
Qui les sépare des mortels!

Au pied du trône séculaire
Où s'assied un autre Nestor
De la tempête populaire
Le flot calmé murmure encor!
Ce justeque le ciel contemple
Lui montrera par son exemple
Commentsur les écueils jeté
On élève sur le rivage
Avec les débris du naufrage
Un temple à l'immortalité!

Ainsi s'expliquaient sur ma lyre
Les destins présents à mes yeux;
Et tout secondait mon délire
Et sur la terreet dans les cieux!
Le doux regard de l'espérance
Eclairait le deuil de la France :
Commeaprès une longue nuit
Sortant d'un berceau de ténèbres
L'aube efface les pas funèbres
De l'ombre obscure qui s'enfuit.

XVI
La prière

Le roi brillant du jourse couchant dans sa gloire
Descend avec lenteur de son char de victoire.
Le nuage éclatant qui le cache à nos yeux
Conserve en sillons d'or sa trace dans les cieux
Et d'un reflet de pourpre inonde l'étendue.
Comme une lampe d'ordans l'azur suspendue
La lune se balance aux bords de l'horizon;
Ses rayons affaiblis dorment sur le gazon
Et le voile des nuits sur les monts se déplie :
C'est l'heure où la natureun moment recueillie
Entre la nuit qui tombe et le jour qui s'enfuit
S'élève au Créateur du jour et de la nuit
Et semble offrir à Dieudans son brillant langage
De la création le magnifique hommage.
Voilà le sacrifice immenseuniversel!
L'univers est le templeet la terre est l'autel;
Les cieux en sont le dôme : et ces astres sans nombre
Ces feux demi-voiléspâle ornement de l'ombre
Dans la voûte d'azur avec ordre semés
Sont les sacrés flambeaux pour ce temple allumés :
Et ces nuages purs qu'un jour mourant colore
Et qu'un souffle légerdu couchant à l'aurore
Dans les plaines de l'airrepliant mollement
Roule en flocons de pourpre aux bords du firmament
Sont les flots de l'encens qui monte et s'évapore
Jusqu'au trône du Dieu que la nature adore.
Mais ce temple est sans voix. Où sont les saints concerts ?
D'où s'élèvera l'hymne au roi de l'univers?
Tout se tait : mon coeur seul parle dans ce silence.
La voix de l'universc'est mon intelligence.
Sur les rayons du soirsur les ailes du vent
Elle s'élève à Dieu comme un parfum vivant;
Etdonnant un langage à toute créature
Prête pour l'adorer mon âme à la nature.
Seulinvoquant ici son regard paternel
Je remplis le désert du nom de l'Eternel;
Et celui quidu sein de sa gloire infinie
Des sphères qu'il ordonne écoute l'harmonie
Ecoute aussi la voix de mon humble raison
Qui contemple sa gloire et murmure son nom.
Salutprincipe et fin de toi-même et du monde
Toi qui rends d'un regard l'immensité féconde;
Ame de l'universDieupèrecréateur
Sous tous ces noms divers je crois en toiSeigneur;
Etsans avoir besoin d'entendre ta parole
Je lis au front des cieux mon glorieux symbole.
L'étendue à mes yeux révèle ta grandeur
La terre ta bontéles astres ta splendeur.
Tu t'es produit toi-même en ton brillant ouvrage;
L'univers tout entier réfléchit ton image
Et mon âme à son tour réfléchit l'univers.
Ma penséeembrassant tes attributs divers
Partout autour de soi te découvre et t'adore
Se contemple soi-même et t'y découvre encore :
Ainsi l'astre du jour éclate dans les cieux
Se réfléchit dans l'onde et se peint à mes yeux.
C'est peu de croire en toibontébeauté suprême;
Je te cherche partoutj'aspire à toije t'aime;
Mon âme est un rayon de lumière et d'amour
Quidu foyer divindétaché pour un jour
De désirs dévorants loin de toi consumée
Brûle de remonter à sa source enflammée.
Je respireje sensje pensej'aime en toi.
Ce monde qui te cache est transparent pour moi;
C'est toi que je découvre au fond de la nature
C'est toi que je bénis dans toute créature.
Pour m'approcher de toij'ai fui dans ces déserts;
Làquand l'aubeagitant son voile dans les airs
Entr'ouvre l'horizon qu'un jour naissant colore
Et sème sur les monts les perles de l'aurore
Pour moi c'est ton regard quidu divin séjour
S'entr'ouvre sur le monde et lui répand le jour :
Quand l'astre à son midisuspendant sa carrière
M'inonde de chaleurde vie et de lumière
Dans ses puissants rayonsqui raniment mes sens
Seigneurc'est ta vertuton souffle que je sens;
Et quand la nuitguidant son cortège d'étoiles
Sur le monde endormi jette ses sombres voiles
Seulau sein du désert et de l'obscurité
Méditant de la nuit la douce majesté
Enveloppé de calmeet d'ombreet de silence
Mon âmede plus prèsadore ta présence;
D'un jour intérieur je me sens éclairer
Et j'entends une voix qui me dit d'espérer.
Ouij'espèreSeigneuren ta magnificence :
Partout à pleines mains prodiguant l'existence
Tu n'auras pas borné le nombre de mes jours
A ces jours d'ici-bassi troublés et si courts.
Je te vois en tous lieux conserver et produire;
Celui qui peut créer dédaigne de détruire.
Témoin de ta puissance et sûr de ta bonté
J'attends le jour sans fin de l'immortalité.
La mort m'entoure en vain de ses ombres funèbres
Ma raison voit le jour à travers ces ténèbres.
C'est le dernier degré qui m'approche de toi
C'est le voile qui tombe entre ta face et moi.
Hâte pour moiSeigneurce moment que j'implore;
Ousi dans tes secrets tu le retiens encore
Entends du haut du ciel le cri de mes besoins;
L'atome et l'univers sont l'objet de tes soins
Des dons de ta bonté soutiens mon indigence
Nourris mon corps de painmon âme d'espérance;
Réchauffe d'un regard de tes yeux tout-puissants
Mon esprit éclipsé par l'ombre de mes sens
Etcomme le soleil aspire la rosée
Dans ton seinà jamaisabsorbe ma pensée.

XVII
Invocation

O toi qui m'apparus dans ce désert du monde
Habitante du cielpassagère en ces lieux!
O toi qui fis briller dans cette nuit profonde
Un rayon d'amour à mes yeux;

A mes yeux étonnés montre-toi tout entière
Dis-moi quel est ton nomton payston destin.
Ton berceau fut-il sur la terre?
Ou n'es-tu qu'un souffle divin?

Vas-tu revoir demain l'éternelle lumière?
Ou dans ce lieu d'exilde deuilet de misère
Dois-tu poursuivre encor ton pénible chemin?
Ah! quel que soit ton nomton destinta patrie
Ou fille de la terreou du divin séjour
Ah! laisse-moitoute ma vie
T'offrir mon culte ou mon amour.

Si tu doiscomme nousachever ta carrière
Sois mon appuimon guideet souffre qu'en tous lieux
De tes pas adorés je baise la poussière.
Mais si tu prends ton volet siloin de nos yeux
Soeur des angesbientôt tu remontes près d'eux
Après m'avoir aimé quelques jours sur la terre
Souviens-toi de moi dans les cieux.

XVIII
La Foi

O néant! ô seul Dieu que je puisse comprendre!
Silencieux abîme où je vais redescendre
Pourquoi laissas-tu l'homme échapper de ta main?
De quel sommeil profond je dormais dans ton sein!
Dans l'éternel oubli j'y dormirais encore;
Mes yeux n'auraient pas vu ce faux jour que j'abhorre
Et dans ta longue nuitmon paisible sommeil
N'aurait jamais connu ni songesni réveil.
- Mais puisque je naquissans doute il fallait naître.
Si l'on m'eût consultéj'aurais refusé l'être.
Vains regrets! le destin me condamnait au jour
Et je vinsô soleilte maudire à mon tour.
- Cependantil est vraicette première aurore
Ce réveil incertain d'un être qui s'ignore
Cet espace infini s'ouvrant devant ses yeux
Ce long regard de l'homme interrogeant les cieux
Ce vague enchantementces torrents d'espérance
Eblouissent les yeux au seuil de l'existence.
Salutnouveau séjour où le temps m'a jeté
Globetémoin futur de ma félicité!
Salutsacré flambeau qui nourris la nature!
Soleilpremier amour de toute créature!
Vastes cieuxqui cachez le Dieu qui vous a faits!
Terreberceau de l'hommeadmirable palais!
Hommesemblable à moimon compagnonmon frère!
Toi plus belle à mes yeuxà mon âme plus chère!
Salutobjetstémoinsinstruments du bonheur!
Remplissez vos destinsje vous apporte un coeur...
- Que ce rêve est brillant! maishélas! c'est un rêve.
Il commençait alors; maintenant il s'achève.
La douleur lentement m'entr'ouvre le tombeau :
Salutmon dernier jour! sois mon jour le plus beau!
J'ai vécu; j'ai passé ce désert de la vie
Où toujours sous mes pas chaque fleur s'est flétrie;
Où toujours l'espéranceabusant ma raison
Me montrait le bonheur dans un vague horizon.
Où du vent de la mort les brûlantes haleines
Sous mes lèvres toujours tarissaient les fontaines.
Qu'un autres'exhalant en regrets superflus
Redemande au passé ses jours qui ne sont plus
Pleure de son printemps l'aurore évanouie
Et consente à revivre une seconde vie :
Pour moiquand le destin m'offrirait à mon choix
Le sceptre du génieou le trône des rois
La gloirela beautéles trésorsla sagesse
Et joindrait à ses dons l'éternelle jeunesse
J'en jure par la mort; dans un monde pareil
Nonje ne voudrais pas rajeunir d'un soleil.
Je ne veux pas d'un monde où tout changeoù tout passe;
Oùjusqu'au souvenirtout s'use et tout s'efface;
Où tout est fugitifpérissableincertain;
Où le jour du bonheur n'a pas de lendemain!
- Combien de fois ainsitrompé par l'existence
De mon sein pour jamais j'ai banni l'espérance!
Combien de fois ainsi mon esprit abattu
A cru s'envelopper d'une froide vertu
Etrêvant de Zénon la trompeuse sagesse
Sous un manteau stoïque a caché sa faiblesse!
Dans son indifférence un jour enseveli
Pour trouver le repos il invoquait l'oubli.
Vain repos! faux sommeil! - Tel qu'au pied des collines
Où Rome sort du sein de ses propres ruines
L'oeil voit dans ce chaosconfusément épars
D'antiques monumentsde modernes remparts
Des théâtres croulantsdont les frontons superbes
Dorment dans la poussière ou rampent sous les herbes
Les palais des héros par les ronces couverts
Des dieux couchés au seuil de leurs temples déserts
L'obélisque éternel ombrageant la chaumière
La colonne portant une image étrangère
L'herbe dans le forumles fleurs dans les tombeaux
Et ces vieux panthéons peuplés de dieux nouveaux;
Tandis ques'élevant de distance en distance
Un faible bruit de vie interrompt ce silence :
Telle est notre âmeaprès ces longs ébranlements;
Secouant la raison jusqu'en ses fondements
Le malheur n'en fait plus qu'une immense ruine
Où comme un grand débris le désespoir domine!
De sentiments éteints silencieux chaos
Eléments opposéssans vie et sans repos
Restes de passions par le temps effacées
Combat désordonné de voeux et de pensées
Souvenirs expirantsregretsdégoûtsremords.
Si du moins ces débris nous attestaient sa mort!
Mais sous ce vaste deuil l'âme encore est vivante;
Ce feu sans aliment soi-même s'alimente;
Il renaît de sa cendreet ce fatal flambeau
Craint de brûler encore au-delà du tombeau.
Ame! qui donc es-tu? flamme qui me dévore
Dois-tu vivre après moi? dois-tu souffrir encore?
Hôte mystérieuxque vas-tu devenir?
Au grand flambeau du jour vas-tu te réunir?
Peut-être de ce feu tu n'es qu'une étincelle
Qu'un rayon égaréque cet astre rappelle.
Peut-être quemourant lorsque l'homme est détruit
Tu n'es qu'un suc plus pur que la terre a produit
Une fange animéeune argile pensante...
Mais que vois-je? à ce mottu frémis d'épouvante :
Redoutant le néantet lasse de souffrir
Hélas! tu crains de vivre et trembles de mourir.
- Qui te révéleraredoutable mystère?
J'écoute en vain la voix des sages de la terre :
Le doute égare aussi ces sublimes esprits
Et de la même argile ils ont été pétris.
Rassemblant les rayons de l'antique sagesse
Socrate te cherchait aux beaux jours de la Grèce;
Platon à Sunium te cherchait après lui;
Deux mille ans sont passésje te cherche aujourd'hui;
Deux mille ans passerontet les enfants des hommes
S'agiteront encor dans la nuit où nous sommes.
La vérité rebelle échappe à nos regards
Et Dieu seul réunit tous ses rayons épars.
- Ainsiprêt à fermer mes yeux à la lumière
Nul espoir ne viendra consoler ma paupière :
Mon âme aura passésans guide et sans flambeau
De la nuit d'ici-bas dans la nuit du tombeau
Et j'emporte au hasardau monde où je m'élance
Ma vertu sans espoirmes maux sans récompense.
Réponds-moiDieu cruel! S'il est vrai que tu sois
J'ai donc le droit fatal de maudire tes lois!
Après le poids du jourdu moins le mercenaire
Le soir s'assied à l'ombreet reçoit son salaire :
Et moiquand je fléchis sous le fardeau du sort
Quand mon jour est finimon salaire est la mort.
.....................................................
.....................................................
- Maistandis qu'exhalant le doute et le blasphème
Les yeux sur mon tombeauje pleure sur moi-même
La foise réveillantcomme un doux souvenir
Jette un rayon d'espoir sur mon pâle avenir
Sous l'ombre de la mort me ranime et m'enflamme
Et rend à mes vieux jours la jeunesse de l'âme.
Je remonte aux lueurs de ce flambeau divin
Du couchant de ma vie à son riant matin;
J'embrasse d'un regard la destinée humaine;
A mes yeux satisfaits tout s'ordonne et s'enchaîne;
Je lis dans l'avenir la raison du présent;
L'espoir ferme après moi les portes du néant
Et rouvrant l'horizon à mon âme ravie
M'explique par la mort l'énigme de la vie.
Cette foi qui m'attend au bord de mon tombeau
Hélas! il m'en souvientplana sur mon berceau.
De la terre promise immortel héritage
Les pères à leurs fils l'ont transmis d'âge en âge.
Notre esprit la reçoit à son premier réveil
Comme les dons d'en hautla vie et le soleil;
Comme le lait de l'âmeen ouvrant la paupière
Elle a coulé pour nous des lèvres d'une mère;
Elle a pénétré l'homme en sa tendre saison;
Son flambeau dans les coeurs précéda la raison.
L'enfanten essayant sa première parole
Balbutie au berceau son sublime symbole
Etsous l'oeil maternel germant à son insu
Il la sent dans son coeur croître avec la vertu.
Ah! si la vérité fut faite pour la terre
Sans doute elle a reçu ce simple caractère;
Sans doute dès l'enfance offerte à nos regards
Dans l'esprit par les sens entrant de toutes parts
Comme les purs rayons de la céleste flamme
Elle a dû dès l'aurore environner notre âme
De l'esprit par l'amour descendre dans les coeurs
S'unir au souvenirse fondre dans les moeurs;
Ainsi qu'un grain fécond que l'hiver couvre encore
Dans notre sein longtemps germer avant d'éclore
Etquand l'homme a passé son orageux été
Donner son fruit divin pour l'immortalité.
Soleil mystérieux! flambeau d'une autre sphère
Prête à mes yeux mourants ta mystique lumière
Pars du sein du Très-Hautrayon consolateur.
Astre vivifiantlève-toi dans mon coeur!
Hélas! je n'ai que toi; dans mes heures funèbres
Ma raison qui pâlit m'abandonne aux ténèbres;
Cette raison superbeinsuffisant flambeau
S'éteint comme la vie aux portes du tombeau;
Viens donc la remplacerô céleste lumière!
Viens d'un jour sans nuage inonder ma paupière;
Tiens-moi lieu du soleil que je ne dois plus voir
Et brille à l'horizon comme l'astre du soir.

XIX
Le Génie

A M. de Bonald

Impavidum ferient ruinae

Ainsiquand parmi les tempêtes
Au sommet brûlant du Sina
Jadis le plus grand des prophètes
Gravait les tables de Juda;
Pendant cet entretien sublime
Un nuage couvrait la cime
Du mont inaccessible aux yeux
Ettremblant aux coups du tonnerre
Judacouché dans la poussière
Vit ses lois descendre des cieux.

Ainsi des sophistes célèbres
Dissipant les fausses clartés
Tu tires du sein des ténèbres
D'éblouissantes vérités.
Ce voile qui des lois premières
Couvrait les augustes mystères
Se déchire et tombe à ta voix;
Et tu suis ta route assurée
Jusqu'à cette source sacrée
Où le monde a puisé ses lois.

Assis sur la base immuable
De l'éternelle vérité
Tu vois d'un oeil inaltérable
Les phases de l'humanité.
Secoués de leurs gonds antiques
Les empiresles républiques
S'écroulent en débris épars;
Tu ris des terreurs où nous sommes :
Partout où nous voyons les hommes
Un Dieu se montre à tes regards!

En vain par quelque faux système
Un système faux est détruit;
Par le désordre à l'ordre même
L'univers moral est conduit.
Et comme autour d'un astre unique
La terredans sa route oblique
Décrit sa route dans les airs;
Ainsipar une loi plus belle
Ainsi la justice éternelle
Est le pivot de l'univers!

Mais quoi! tandis que le génie
Te ravit si loin de nos yeux
Les lâches clameurs de l'envie
Te suivent jusque dans les cieux!
Crois-moidédaigne d'en descendre;
Ne t'abaisse pas pour entendre
Ces bourdonnements détracteurs.
Poursuis ta sublime carrière
Poursuis; le mépris du vulgaire
Est l'apanage des grands coeurs.

Objet de ses amours frivoles
Ne l'as-tu pas vu tour à tour
Se forger de frêles idoles
Qu'il adore et brise en un jour?
N'as-tu pas vu son inconstance
De l'héréditaire croyance
Eteindre les sacrés flambeaux?
Brûler ce qu'adoraient ses pères
Et donner le nom de lumières
A l'épaisse nuit des tombeaux?

Secouant ses antiques rênes
Mais par d'autres tyrans flatté
Tout meurtri du poids de ses chaînes
L'entends-tu crier : Liberté?
Dans ses sacrilèges caprices
Le vois-tudonnant à ses vices
Les noms de toutes les vertus;
Traîner Socrate aux gémonies
Pour faireen des temples impies
L'apothéose d'Anitus?

Si pour caresser sa faiblesse
Sous tes pinceaux adulateurs
Tu parais du nom de sagesse
Les leçons de ses corrupteurs
Tu verrais ses mains avilies
Arrachant des palmes flétries
De quelque front déshonoré
Les répandre sur ton passage.
Etchangeant la gloire en outrage
T'offrir un triomphe abhorré!

Mais loin d'abandonner la lice
Où ta jeunesse a combattu
Tu sais que l'estime du vice
Est un outrage à la vertu!
Tu t'honores de tant de haine
Tu plains ces faibles coeurs qu'entraîne
Le cours de leur siècle égaré;
Et seul contre le flot rapide
Tu marches d'un pas intrépide
Au but que la gloire a montré!

Tel un torrentfils de l'orage
En roulant du sommet des monts
S'il rencontre sur son passage
Un chênel'orgueil des vallons;
Il s'irriteil écumeil gronde
Il presse des plis de son onde
L'arbre vainement menacé;
Mais debout parmi les ruines
Le chêne aux profondes racines
Demeure; et le fleuve a passé!

Toi doncdes mépris de ton âge
Sans être jamais rebuté
Retrempe ton mâle courage
Dans les flots de l'adversité!
Pour cette lutte qui s'achève
Que la vérité soit ton glaive
La justice ton bouclier.
Va! dédaigne d'autres armures;
Et si tu reçois des blessures
Nous les couvrirons de laurier!

Vois-tu dans la carrière antique
Autour des coursiers et des chars
Jaillir la poussière olympique
Qui les dérobe à nos regards?
Dans sa course ainsi le génie
Par les nuages de l'envie
Marche longtemps environné;
Mais au terme de la carrière
Des flots de l'indigne poussière
Il sort vainqueur et couronné.

XX
Philosophie


Au Marquis de L.M.F.

Oh! qui m'emportera vers les tièdes rivages
Où l'Arno couronné de ses pâles ombrages
Aux murs des Médicis en sa course arrêté
Réfléchit le palais par un sage habité
Et sembleau bruit flatteur de son onde plus lente
Murmurer les grands noms de Pétrarque et du Dante?
Ou plutôtque ne puis-jeau doux tomber du jour
Quand le front soulagé du fardeau de la cour
Tu vas sous tes bosquets chercher ton Égérie
Suivreen rêvanttes pas de prairie en prairie;
Jusqu'au modeste toit par tes mains embelli
Où tu cours adorer le silence et l'oubli!
J'adore aussi ces dieux : depuis que la sagesse
Aux rayons du malheur a mûri ma jeunesse
Pour nourrir ma raison des seuls fruits immortels
J'y cherche en soupirant l'ombre de leurs autels;
Ets'il est au sommet de la verte colline
S'il est sur le penchant du coteau qui s'incline
S'il est aux bords déserts du torrent ignoré
Quelque rustique abride verdure entouré
Dont le pampre arrondi sur le seuil domestique
Dessine en serpentant le flexible portique;
Semblable à la colombe errante sur les eaux
Quides cèdres d'Arar découvrant les rameaux
Vola sur leur sommet poser ses pieds de rose
Soudain mon âme errante y vole et s'y repose!
Aussipendant qu'admis dans les conseils des rois
Représentant d'un maître honoré par son choix
Tu tiens un des grands fils de la trame du monde;
Moiparmi les pasteursassis aux bords de l'onde
Je suis d'un oeil rêveur les barques sur les eaux;
J'écoute les soupirs du vent dans les roseaux;
Nonchalamment couché près du lit des fontaines
Je suis l'ombre qui tourne autour du tronc des chênes
Ou je grave un vain nom sur l'écorce des bois
Ou je parle à l'écho qui répond à ma voix
Ou dans le vague azur contemplant les nuages
Je laisse errer comme eux mes flottantes images;
La nuit tombeet le Tempsde son doigt redouté
Me marque un jour de plus que je n'ai pas compté!

Quelquefois seulement quand mon âme oppressée
Sent en rythmes nombreux déborder ma pensée;
Au souffle inspirateur du soir dans les déserts
Ma lyre abandonnée exhale encor des vers!
J'aime à sentir ces fruits d'une sève plus mûre
Tombersans qu'on les cueilleau gré de la nature
Comme le sauvageon secoué par les vents
Sur les gazons flétrisde ses rameaux mouvants
Laisse tomber ces fruits que la branche abandonne
Et qui meurent au pied de l'arbre qui les donne!
Il fut un tempspeut-êtreoù mes jours mieux remplis
Par la gloire éclairéspar l'amour embellis
Et fuyant loin de moi sur des ailes rapides
Dans la nuit du passé ne tombaient pas si vides.
Aux douteuses clartés de l'humaine raison
Egaré dans les cieux sur les pas de Platon
Par ma propre vertu je cherchais à connaître
Si l'âme est en effet un souffle du grand être;
Si ce rayon diversdans l'argile enfermé
Doit être par la mort éteint ou rallumé;
S'il doit après mille ans revivre sur la terre;
Ou sichangeant sept fois de destins et de sphère
Et montant d'astre en astre à son centre divin
D'un but qui fuit toujours il s'approche sans fin?
Si dans ces changements nos souvenirs survivent?
Si nos soinsnos amourssi nos vertus nous suivent?
S'il est un juge assis aux portes des enfers
Qui sépare à jamais les justes des pervers?
S'il est de saintes lois quidu ciel émanées
Des empires mortels prolongent les années
Jettent un frein au peuple indocile à leur voix
Et placent l'équité sous la garde des rois?
Ou si d'un dieu qui dort l'aveugle nonchalance
Laisse au gré du destin trébucher sa balance
Et livreen détournant ses yeux indifférents
La nature au hasardet la terre aux tyrans?
Mais ainsi que des cieuxoù son vol se déploie
L'aigle souvent trompé redescend sans sa proie
Dans ces vastes hauteurs où mon oeil s'est porté
Je n'ai rien découvert que doute et vanité!
Et las d'errer sans fin dans des champs sans limite
Au seul jour où je visau seul bord que j'habite
J'ai borné désormais ma pensée et mes soins :
Pourvu qu'un dieu caché fournisse à mes besoins!
Pourvu que dans les bras d'une épouse chérie
Je goûte obscurément les doux fruits de ma vie!
Que le rustique enclos par mes pères planté
Me donne un toit l'hiveret de l'ombre l'été;
Et que d'heureux enfants ma table couronnée
D'un convive de plus se peuple chaque année!
Ami! je n'irai plus ravir si loin de moi
Dans les secrets de Dieu ces commentces pourquoi
Ni du risible effort de mon faible génie
Aider péniblement la sagesse infinie!
Vivre est assez pour nous; un plus sage l'a dit :
Le soin de chaque jour à chaque jour suffit.
Humbleet du saint des saints respectant les mystères
J'héritai l'innocence et le dieu de mes pères;
En inclinant mon front j'élève à lui mes bras
Car la terre l'adore et ne le comprend pas :
Semblable à l'Alcyonque la mer dorme ou gronde
Qui dans son nid flottant s'endort en paix sur l'onde
Me reposant sur Dieu du soin de me guider
A ce port invisible où tout doit aborder
Je laisse mon espritlibre d'inquiétude
D'un facile bonheur faisant sa seule étude
Et prêtant sans orgueil la voile à tous les vents
Les yeux tournés vers luisuivre le cours du temps.

Toiqui longtemps battu des vents et de l'orage
Jouissant aujourd'hui de ce ciel sans nuage
Du sein de ton repos contemples du même oeil
Nos revers sans dédainnos erreurs sans orgueil;
Dont la raison facileet chaste sans rudesse
Des sages de ton temps n'a pris que la sagesse
Et qui reçus d'en haut ce don mystérieux
De parler aux mortels dans la langue des dieux;
De ces bords enchanteurs où ta voix me convie
Où s'écoule à flots purs l'automne de ta vie
Où les eaux et les fleurset l'ombreet l'amitié
De tes jours nonchalants usurpent la moitié
Dans ces vers inégaux que ta muse entrelace
Dis-nouscomme autrefois nous l'aurait dit Horace
Si l'homme doit combattre ou suivre son destin?
Si je me suis trompé de but ou de chemin?
S'il est vers la sagesse une autre route à suivre?
Et si l'art d'être heureux n'est pas tout l'art de vivre.

XXI
Le golfe de Baya
près de Naples

Vois-tu comme le flot paisible
Sur le rivage vient mourir!
Vois-tu le volage zéphyr
Riderd'une haleine insensible
L'onde qu'il aime à parcourir!
Montons sur la barque légère
Que ma main guide sans efforts
Et de ce golfe solitaire
Rasons timidement les bords.

Loin de nous déjà fuit la rive.
Tandis que d'une main craintive
Tu tiens le docile aviron
Courbé sur la rame bruyante
Au sein de l'onde frémissante
Je trace un rapide sillon.

Dieu! quelle fraîcheur on respire!
Plongé dans le sein de Thétis
Le soleil a cédé l'empire
A la pâle reine des nuits.
Le sein des fleurs demi-fermées
S'ouvreet de vapeurs embaumées
En ce moment remplit les airs;
Et du soir la brise légère
Des plus doux parfums de la terre
A son tour embaume les mers.

Quels chants sur ces flots retentissent?
Quels chants éclatent sur ces bords?
De ces deux concerts qui s'unissent
L'écho prolonge les accords.
N'osant se fier aux étoiles
Le pêcheurrepliant ses voiles
Salueen chantantson séjour.
Tandis qu'une folle jeunesse
Pousse au ciel des cris d'allégresse
Et fête son heureux retour.

Mais déjà l'ombre plus épaisse
Tombeet brunit les vastes mers;
Le bord s'effacele bruit cesse
Le silence occupe les airs.
C'est l'heure où la mélancolie
S'assoit pensive et recueillie
Aux bords silencieux des mers
Etméditant sur les ruines
Contemple au penchant des collines
Ce palaisces temples déserts.

O de la liberté vieille et sainte patrie!
Terre autrefois féconde en sublimes vertus!
Sous d'indignes Césars maintenant asservie
Ton empire est tombé! tes héros ne sont plus!
Mais dans ton sein l'âme agrandie
Croit sur leurs monuments respirer leur génie
Comme on respire encor dans un temple aboli
La majesté du dieu dont il était rempli.
Mais n'interrogeons pas vos cendres généreuses
Vieux Romains! fiers Catons! mânes des deux Brutus!
Allons redemander à ces murs abattus
Des souvenirs plus douxdes ombres plus heureuses

Horacedans ce frais séjour
Dans une retraite embellie
Par le plaisir et le génie
Fuyait les pompes de la cour;
Properce y visitait Cinthie
Et sous les regards de Délie
Tibulle y modulait les soupirs de l'amour.
Plus loinvoici l'asile où vint chanter le Tasse
Quandvictime à la fois du génie et du sort
Errant dans l'universsans refuge et sans port
La pitié recueillit son illustre disgrâce.
Non loin des mêmes bordsplus tard il vint mourir;
La gloire l'appelaitil arriveil succombe :
La palme qui l'attend devant lui semble fuir
Et son laurier tardif n'ombrage que sa tombe.

Colline de Baya! poétique séjour!
Voluptueux vallon qu'habita tour à tour
Tout ce qui fut grand dans le monde
Tu ne retentis plus de gloire ni d'amour.
Pas une voix qui me réponde
Que le bruit plaintif de cette onde
Ou l'écho réveillé des débris d'alentour!

Ainsi tout changeainsi tout passe;
Ainsi nous-mêmes nous passons
Hélas! sans laisser plus de trace
Que cette barque où nous glissons
Sur cette mer où tout s'efface.

XXII
Le Temple

Qu'il est douxquand du soir l'étoile solitaire
Précédant de la nuit le char silencieux
S'élève lentement dans la voûte des cieux
Et que l'ombre et le jour se disputent la terre
Qu'il est doux de porter ses pas religieux
Dans le fond du vallonvers ce temple rustique
Dont la mousse a couvert le modeste portique
Mais où le ciel encor parle à des coeurs pieux!

Salutbois consacré! Salutchamp funéraire
Des tombeaux du village humble dépositaire;
Je bénis en passant tes simples monuments.
Malheur à qui des morts profane la poussière!
J'ai fléchi le genou devant leur humble pierre
Et la nef a reçu mes pas retentissants.
Quelle nuit! quel silence! au fond du sanctuaire
A peine on aperçoit la tremblante lumière
De la lampe qui brûle auprès des saints autels.
Seule elle luit encorquand l'univers sommeille :
Emblème consolant de la bonté qui veille
Pour recueillir ici les soupirs des mortels.
Avançons. Aucun bruit n'a frappé mon oreille;
Le parvis frémit seul sous mes pas mesurés;
Du sanctuaire enfin j'ai franchi les degrés.
Murs sacréssaints autels! je suis seulet mon âme
Peut verser devant vous ses douleurs et sa flamme
Et confier au ciel des accents ignorés
Que lui seul connaîtraque vous seuls entendrez.
Mais quoi! de ces autels j'ose approcher sans crainte!
J'ose apportergrand Dieudans cette auguste enceinte
Un coeur encor brûlant de douleur et d'amour!
Et je ne tremble pas que ta majesté sainte
Ne venge le respect qu'on doit à son séjour!
Non : je ne rougis plus du feu qui me consume :
L'amour est innocent quand la vertu l'allume.
Aussi pur que l'objet à qui je l'ai juré
Le mien brûle mon coeurmais c'est d'un feu sacré;
La constance l'honore et le malheur l'épure.
Je l'ai dit à la terreà toute la nature;
Devant tes saints autels je l'ai dit sans effroi :
J'oseraisDieu puissantla nommer devant toi.
Ouimalgré la terreur que ton temple m'inspire
Ma bouche a murmuré tout bas le nom d'Elvire;
Et ce nom répété de tombeaux en tombeaux
Comme l'accent plaintif d'une ombre qui soupire
De l'enceinte funèbre a troublé le repos.

Adieufroids monuments! adieusaintes demeures!
Deux fois l'écho nocturne a répété les heures
Depuis que devant vous mes larmes ont coulé :
Le ciel a vu ces pleurset je sors consolé.

Peut-être au même instantsur un autre rivage
Elvire veille ainsiseule avec mon image
Et dans un temple obscurles yeux baignés de pleurs
Vient aux autels déserts confier ses douleurs.

XXIII
Chants lyriques de Saül
Imitation des psaumes de David

Je répandrai mon âme au seuil du sanctuaire!
Seigneurdans ton nom seul je mettrai mon espoir;
Mes cris t'éveillerontet mon humble prière
S'élèvera vers toicomme l'encens du soir!

Dans quel abaissement ma gloire s'est perdue!
J'erre sur la montagne ainsi qu'un passereau;
Et par tant de rigueurs mon âme confondue
Mon âme est devant toicomme un désert sans eau.

Pour mes fiers ennemis ce deuil est une fête.
Ils se montrentSeigneurton Christ humilié.
Le voilàdisent-ils : ses dieux l'ont oublié;
Et Moloch en passant a secoué la tête
Et souri de pitié!
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Seigneurtendez votre arc; levez-vousjugez-moi!
Remplissez mon carquois de vos flèches brûlantes!
Que des hauteurs du ciel vos foudres dévorantes
Portent sur eux la mort qu'ils appelaient sur moi!

Dieu se lèveil s'élanceil abaisse la voûte
De ces cieux éternels ébranlés sous ses pas;
Le soleil et la foudre ont éclairé sa route;
Ses anges devant lui font voler le trépas.

Le feu de son courroux fait monter la fumée
Son éclat a fendu les nuages des cieux;
La terre est consumée
D'un regard de ses yeux.

Il parle; sa voix foudroyante
A fait chanceler d'épouvante
Les cèdres du Libanles rochers des déserts;
Le Jourdain montre à nu sa source reculée;
De la terre ébranlée
Les os sont découverts.

Le Seigneur m'a livré la race criminelle
Des superbes enfants d'Ammon.
Levez-vousô Saül! et que l'ombre éternelle
Engloutisse jusqu'à leur nom!
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Que vois-je? vous tremblezorgueilleux oppresseurs!
Le héros prend sa lance
Il l'agiteil s'élance;
A sa seule présence
La terreur de ses yeux a passé dans vos coeurs!

Fuyez!... il est trop tard! sa redoutable épée
Décrit autour de vous un cercle menaçant
En tout lieu vous poursuiten tout lieu vous attend
Et déjà mille fois dans votre sang trempée
S'enivre encor de votre sang.

Son coursier superbe
Foule comme l'herbe
Les corps des mourants;
Le héros l'excite
Et le précipite
A travers les rangs;
Les feux l'environnent
Les casques résonnent
Sous ses pieds sanglants :
Devant sa carrière
Cette foule altière
Tombe tout entière
Sous ses traits brûlants
Comme la poussière
Qu'emportent les vents.

Où sont ces fiers Ismaélites
Ces enfants de Moabcette race d'Edom?
Iduméensguerriers d'Ammon;
Et voussuperbes fils de Tyr et de Sidon
Et vouscruels Amalécites?

Les voilà devant moi comme un fleuve tari
Et leur mémoire même a péri!
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Que de biens le Seigneur m'apprête!
Qu'il couronne d'honneurs la vieilesse du roi!
EphraïmManasséGalaadsont à moi;
Jacobmon bouclierest l'appui de ma tête.
Que de biens le Seigneur m'apprête!
Qu'il couronne d'honneurs la vieillesse du roi!

Des bords où l'aurore se lève
Aux bords où le soleil s'achève
Son cours tracé par l'Eternel
L'opulente Sabala grasse Ethiopie
La riche mer de Tyrles déserts d'Arabie
Adorent le roi d'Israël.

Peuplesfrappez des mainsle roi des rois s'avance
Il monteil s'est assis sur son trône éclatant;
Il pose de Sion l'éternel fondement;
La montagne frémit de joie et d'espérance.
Peuplesfrappez des mainsle roi des rois s'avance
Il pose de Sion l'éternel fondement.

De sa main pleine de justice
Il verse aux nations l'abondance et la paix.
Réjouis-toiSionsous ton ombre propice
Ainsi que le palmier qui parfume Cadès
La paix et l'équité fleurissent à jamais.
De sa main pleine de justice
Il verse aux nations l'abondance et la paix.

Dieu chérit de Sion les sacrés tabernacles
Plus que les tentes d'Israël;
Il y fait sa demeureil y rend ses oracles
Il y fait éclater sa gloire et ses miracles;
Sionainsi que lui ton nom est immortel.
Dieu chérit de Sion les sacrés tabernacles
Plus que les tentes d'Israël.

C'est là qu'un jour vaut mieux que mille;
C'est là qu'environné de la troupe docile
De ses nombreux enfantssa gloire et son appui
Le roi vieillitsemblable à l'olivier fertile
Qui voit ses rejetons fleurir autour de lui.

XXIV
Hymne au soleil

Vous avez pris pitié de sa longue douleur!
Vous me rendez le jourDieu que l'amour implore!
Déjà mon front couvert d'une molle pâleur
Des teintes de la vie à ses yeux se colore;
Déjà dans tout mon être une douce chaleur
Circule avec mon sangremonte dans mon coeur :
Je renais pour aimer encore!

Mais la nature aussi se réveille en ce jour!
Au doux soleil de mai nous la voyons renaître;
Les oiseaux de Vénus autour de ma fenêtre
Du plus chéri des mois proclament le retour!
Guidez mes premiers pas dans nos vertes campagnes!
Conduis-moichère Elvireet soutiens ton amant :
Je veux voir le soleil s'élever lentement
Précipiter son char du haut de nos montagnes
Jusqu'à l'heure où dans l'onde il ira s'engloutir
Et cédera les airs au nocturne zéphyr!
Viens! Que crains-tu pour moi? Le ciel est sans nuage!
Ce plus beau de nos jours passera sans orage;
Et c'est l'heure où déjà sur les gazons en fleurs
Dorment près des troupeaux les paisibles pasteurs!

Dieu! que les airs sont doux! Que la lumière est pure!
Tu règnes en vainqueur sur toute la nature
O soleil! et des cieuxoù ton char est porté
Tu lui verses la vie et la fécondité!
Le jour oùséparant la nuit de la lumière
L'éternel te lança dans ta vaste carrière
L'univers tout entier te reconnut pour roi;
Et l'hommeen t'adorants'inclina devant toi!
De ce jourpoursuivant ta carrière enflammée
Tu décris sans repos ta route accoutumée;
L'éclat de tes rayons ne s'est point affaibli
Et sous la main des temps ton front n'a point pâli!

Quand la voix du matin vient réveiller l'aurore
L'Indienprosternéte bénit et t'adore!
Et moiquand le midi de ses feux bienfaisants
Ranime par degrés mes membres languissants
Il me semble qu'un Dieudans tes rayons de flamme
En échauffant mon seinpénètre dans mon âme!
Et je sens de ses fers mon esprit détaché
Comme si du Très-Haut le bras m'avait touché!
Mais ton sublime auteur défend-il de le croire?
N'es-tu pointô soleil! un rayon de sa gloire?
Quand tu vas mesurant l'immensité des cieux
O soleil! n'es-tu point un regard de ses yeux?

Ah! si j'ai quelquefoisaux jours de l'infortune
Blasphémé du soleil la lumière importune;
Si j'ai maudit les dons que j'ai reçus de toi
Dieuqui lis dans les coeursô Dieu! pardonne-moi!
Je n'avais pas goûté la volupté suprême
De revoir la nature auprès de ce que j'aime
De sentir dans mon coeuraux rayons d'un beau jour
Redescendre à la fois et la vie et l'amour!
Insensé! j'ignorais tout le prix de la vie!
Mais ce jour me l'apprendet je te glorifie!

XXV
Adieu

Ouij'ai quitté ce port tranquille
Ce port si longtemps appelé
Où loin des ennuis de la ville
Dans un loisir doux et facile
Sans bruit mes jours auraient coulé.
J'ai quitté l'obscure vallée
Le toit champêtre d'un ami;
Loin des bocages de Bissy
Ma museà regret exilée
S'éloigne triste et désolée
Du séjour qu'elle avait choisi.
Nous n'irons plus dans les prairies
Au premier rayon du matin
Egarerd'un pas incertain
Nos poétiques rêveries.
Nous ne verrons plus le soleil
Du haut des cimes d'Italie
Précipitant son char vermeil
Semblable au père de la vie
Rendre à la nature assoupie
Le premier éclat du réveil.
Nous ne goûterons plus votre ombre
Vieux pinsl'honneur de ces forêts
Vous n'entendrez plus nos secrets;
Sous cette grotte humide et sombre
Nous ne chercherons plus le frais
Et le soirau temple rustique
Quand la cloche mélancolique
Appellera tout le hameau
Nous n'irons plusà la prière
Nous courber sur la simple pierre
Qui couvre un rustique tombeau.
Adieuvallons; adieubocages;
Lac azurérochers sauvages
Bois touffustranquille séjour
Séjour des heureux et des sages
Je vous ai quittés sans retour.

Déjà ma barque fugitive
Au souffle des zéphyrs trompeurs
S'éloigne à regret de la rive
Que m'offraient des dieux protecteurs.
J'affronte de nouveaux orages;
Sans doute à de nouveaux naufrages
Mon frêle esquif est dévoué;
Et pourtant à la fleur de l'âge
Sur quels écueilssur quels rivages
N'ai-je déjà pas échoué?
Mais d'une plainte téméraire
Pourquoi fatiguer le destin?
A peine au milieu du chemin
Faut-il regarder en arrière?
Mes lèvres à peine ont goûté
Le calice amer de la vie
Loin de moi je l'ai rejeté;
Mais l'arrêt cruel est porté
Il faut boire jusqu'à la lie!
Lorsque mes pas auront franchi
Les deux tiers de notre carrière
Sous le poids d'une vie entière
Quand mes cheveux auront blanchi
Je reviendrai du vieux Bissy
Visiter le toit solitaire
Où le ciel me garde un ami.
Dans quelque retraite profonde
Sous les arbres par lui plantés
Nous verrons couler comme l'onde
La fin de nos jours agités.
Làsans crainte et sans espérance
Sur notre orageuse existence
Ramenés par le souvenir
Jetant nos regards en arrière
Nous mesurerons la carrière
Qu'il aura fallu parcourir.

Tel un pilote octogénaire
Du haut d'un rocher solitaire
Le soirtranquillement assis
Laisse au loin égarer sa vue
Et contemple encor l'étendue
Des mers qu'il sillonna jadis.

XXVI
La semaine Sainte à la Roche-Guyon

Ici viennent mourir les derniers bruits du monde :
Nautoniers sans étoileabordez! c'est le port :
Ici l'âme se plonge en une paix profonde
Et cette paix n'est pas la mort.

Ici jamais le ciel n'est orageux ni sombre;
Un jour égal et pur y repose les yeux.
C'est ce vivant soleildont le soleil est l'ombre
Qui le répand du haut des cieux.

Comme un homme éveillé longtemps avant l'aurore
Jeunesnous avons fui dans cet heureux séjour
Notre rêve est finile vôtre dure encore;
Eveillez-vous! voilà le jour.

Coeurs tendresapprochez! Ici l'on aime encore;
Mais l'amourépurés'allume sur l'autel.
Tout ce qu'il a d'humainà ce feu s'évapore;
Tout ce qui reste est immortel!

La prière qui veille en ces saintes demeures
De l'astre matinal nous annonce le cours;
Etconduisant pour nous le char pieux des heures
Remplit et mesure nos jours.

L'airain religieux s'éveille avec l'aurore;
Il mêle notre hommage à la voix des zéphyrs
Et les airsébranlés sous le marteau sonore
Prennent l'accent de nos soupirs.

Dans le creux du rochersous une voûte obscure
S'élève un simple autel : roi du cielest-ce toi?
Ouicontraint par l'amourle Dieu de la nature
Y descendvisible à la foi.

Que ma raison se taiseet que mon coeur adore!
La croix à mes regards révèle un nouveau jour;
Aux pieds d'un Dieu mourantpuis-je douter encore?
Nonl'amour m'explique l'amour!

Tous ces fronts prosternésce feu qui les embrase
Ces parfumsces soupirs s'exhalant du saint lieu
Ces élans enflammésces larmes de l'extase
Tout me répond que c'est un Dieu.

Favoris du Seigneursouffrez qu'à votre exemple
Ainsi qu'un mendiant aux portes d'un palais
J'adore aussi de loinsur le seuil de son temple
Le Dieu qui vous donne la paix.

Ah! laissez-moi mêler mon hymne à vos louanges!
Que mon encens souillé monte avec votre encens.
Jadis les fils de l'homme aux saints concerts des anges
Ne mêlaient-ils pas leurs accents!

Du nombre des vivants chaque aurore m'efface
Je suis rempli de joursde douleursde remords.
Sous le portique obscur venez marquer ma place
Iciprès du séjour des morts!

Souffrez qu'un étranger veille auprès de leur cendre
Brûlant sur un cercueil comme ces saints flambeaux;
La mort m'a tout ravila mort doit tout me rendre;
J'attends le réveil des tombeaux!

Ah! puissé-je près d'euxau gré de mon envie
A l'ombre de l'autelet non loin de ce port
Seulachever ainsi les restes de ma vie
Entre l'espérance et la mort!

XXVII
Le Chrétien mourant

Qu'entends-je? autour de moi l'airain sacré résonne!
Quelle foule pieuse en pleurant m'environne?
Pour qui ce chant funèbre et ce pâle flambeau?
O mortest-ce ta voix qui frappe mon oreille
Pour la dernière fois? eh quoi! je me réveille
Sur le bord du tombeau!

O toi! d'un feu divin précieuse étincelle
De ce corps périssable habitante immortelle
Dissipe ces terreurs : la mort vient t'affranchir!
Prends ton volô mon âme! et dépouille tes chaînes.
Déposer le fardeau des misères humaines
Est-ce donc là mourir?

Ouile temps a cessé de mesurer mes heures.
Messagers rayonnants des célestes demeures
Dans quels palais nouveaux allez-vous me ravir?
Déjàdéjà je nage en des flots de lumière;
L'espace devant moi s'agranditet la terre
Sous mes pieds semble fuir!

Mais qu'entends-je? au moment où mon âme s'éveille
Des soupirsdes sanglots ont frappé mon oreille?
Compagnons de l'exilquoi! vous pleurez ma mort?
Vous pleurez? et déjà dans la coupe sacrée
J'ai bu l'oubli des mauxet mon âme enivrée
Entre au céleste port!

XXVIII
Dieu

A M. de la Mennais.

Ouimon âme se plaît à secouer ses chaînes :
Déposant le fardeau des misères humaines
Laissant errer mes sens dans ce monde des corps
Au monde des esprits je monte sans efforts.
Làfoulant à mes pieds cet univers visible
Je plane en liberté dans les champs du possible
Mon âme est à l'étroit dans sa vaste prison :
Il me faut un séjour qui n'ait pas d'horizon.
Comme une goutte d'eau dans l'Océan versée
L'infini dans son sein absorbe ma pensée;
Làreine de l'espace et de l'éternité
Elle ose mesurer le tempsl'immensité
Aborder le néantparcourir l'existence
Et concevoir de Dieu l'inconcevable essence.
Mais sitôt que je veux peindre ce que je sens
Toute parole expire en efforts impuissants.
Mon âme croit parlerma langue embarrassée
Frappe l'air de vingt sonsombre de ma pensée.
Dieu fit pour les esprits deux langages divers :
En sons articulés l'un vole dans les airs;
Ce langage borné s'apprend parmi les hommes
Il suffit aux besoins de l'exil où nous sommes
Etsuivant des mortels les destins inconstants
Change avec les climats ou passe avec les temps.
L'autreéternelsublimeuniverselimmense
Est le langage inné de toute intelligence :
Ce n'est point un son mort dans les airs répandu
C'est un verbe vivant dans le coeur entendu;
On l'entendon l'expliqueon le parle avec l'âme;
Ce langage senti toucheillumineenflamme;
De ce que l'âme éprouve interprètes brûlants
Il n'a que des soupirsdes ardeursdes élans;
C'est la langue du ciel que parle la prière
Et que le tendre amour comprend seul sur la terre.
Aux pures régions où j'aime à m'envoler
L'enthousiasme aussi vient me la révéler;
Lui seul est mon flambeau dans cette nuit profonde
Et mieux que la raison il m'explique le monde.
Viens donc! il est mon guideet je veux t'en servir.
A ses ailes de feuvienslaisse-toi ravir!
Déjà l'ombre du monde à nos regards s'efface
Nous échappons au tempsnous franchissons l'espace
Et dans l'ordre éternel de la réalité
Nous voilà face à face avec la vérité!
Cet astre universelsans déclinsans aurore
C'est Dieuc'est ce grand toutqui soi-même s'adore!
Il est; tout est en lui : l'immensitéles temps
De son être infini sont les purs éléments;
L'espace est son séjourl'éternité son âge;
Le jour est son regardle monde est son image;
Tout l'univers subsiste à l'ombre de sa main;
L'être à flots éternels découlant de son sein
Comme un fleuve nourri par cette source immense
S'en échappeet revient finir où tout commence.
Sans bornes comme lui ses ouvrages parfaits
Bénissent en naissant la main qui les a faits!
Il peuple l'infini chaque fois qu'il respire;
Pour luivouloir c'est faireexister c'est produire!
Tirant tout de soi seulrapportant tout à soi
Sa volonté suprême est sa suprême loi!
Mais cette volontésans ombre et sans faiblesse
Est à la fois puissanceordreéquitésagesse.
Sur tout ce qui peut être il l'exerce à son gré;
Le néant jusqu'à lui s'élève par degré :
Intelligenceamourforcebeautéjeunesse
Sans s'épuiser jamaisil peut donner sans cesse
Et comblant le néant de ses dons précieux
Des derniers rangs de l'être il peut tirer des dieux!
Mais ces dieux de sa mainces fils de sa puissance
Mesurent d'eux à lui l'éternelle distance
Tendant par leur nature à l'être qui les fit;
Il est leur fin à touset lui seul se suffit!
Voilàvoilà le Dieu que tout esprit adore
Qu'Abraham a servique rêvait Pythagore
Que Socrate annonçaitqu'entrevoyait Platon;
Ce Dieu que l'univers révèle à la raison
Que la justice attendque l'infortune espère
Et que le Christ enfin vint montrer à la terre!
Ce n'est plus là ce Dieu par l'homme fabriqué
Ce Dieu par l'imposture à l'erreur expliqué
Ce Dieu défiguré par la main des faux prêtres
Qu'adoraient en tremblant nos crédules ancêtres.
Il est seulil est unil est justeil est bon;
La terre voit son oeuvreet le ciel sait son nom!
Heureux qui le connaît! plus heureux qui l'adore!
Quitandis que le monde ou l'outrage ou l'ignore
Seulaux rayons pieux des lampes de la nuit
S'élève au sanctuaire où la foi l'introduit
Etconsumé d'amour et de reconnaissance
Brûle comme l'encens son âme en sa présence!
Mais pour monter à lui notre esprit abattu
Doit emprunter d'en haut sa force et sa vertu.
Il faut voler au ciel sur des ailes de flamme :
Le désir et l'amour sont les ailes de l'âme.
Ah! que ne suis-je né dans l'âge où les humains
Jeunesà peine encore échappés de ses mains
Près de Dieu par le tempsplus près par l'innocence
Conversaient avec luimarchaient en sa présence?
Que n'ai-je vu le monde à son premier soleil?
Que n'ai-je entendu l'homme à son premier réveil?
Tout lui parlait de toitu lui parlais toi-même;
L'univers respirait ta majesté suprême;
La naturesortant des mains du Créateur
Etalait en tous sens le nom de son auteur;
Ce nomcaché depuis sous la rouille des âges
En traits plus éclatants brillait sur tes ouvrages;
L'homme dans le passé ne remontait qu'à toi;
Il invoquait son pèreet tu disais : C'est moi.
Longtemps comme un enfant ta voix daigna l'instruire
Et par la main longtemps tu voulus le conduire.
Que de fois dans ta gloire à lui tu t'es montré
Aux vallons de Sennaraux chênes de Membré
Dans le buisson d'Horebou sur l'auguste cime
Où Moïse aux Hébreux dictait sa loi sublime!
Ces enfants de Jacobpremiers-nés des humains
Reçurent quarante ans la manne de tes mains :
Tu frappais leur esprit par tes vivants oracles!
Tu parlais à leurs yeux par la voix des miracles!
Et lorsqu'ils t'oubliaienttes anges descendus
Rappelaient ta mémoire à leurs coeurs éperdus!
Mais enfincomme un fleuve éloigné de sa source
Ce souvenir si pur s'altéra dans sa course!
De cet astre vieilli la sombre nuit des temps
Eclipsa par degrés les rayons éclatants;
Tu cessas de parler; l'oublila main des âges
Usèrent ce grand nom empreint dans tes ouvrages;
Les siècles en passant firent pâlir la foi;
L'homme plaça le doute entre le monde et toi.
Ouice mondeSeigneurest vieilli pour ta gloire;
Il a perdu ton nomta trace et ta mémoire
Et pour les retrouver il nous fautdans son cours
Remonter flots à flots le long fleuve des jours!
Nature! firmament! l'oeil en vain vous contemple;
Hélas! sans voir le Dieul'homme admire le temple
Il voitil suit en vaindans les déserts des cieux
De leurs mille soleils le cours mystérieux!
Il ne reconnaît plus la main qui les dirige!
Un prodige éternel cesse d'être un prodige!
Comme ils brillaient hierils brilleront demain!
Qui sait où commença leur glorieux chemin?
Qui sait si ce flambeauqui luit et qui féconde
Une première fois s'est levé sur le monde?
Nos pères n'ont point vu briller son premier tour
Et les jours éternels n'ont point de premier jour.
Sur le monde moralen vain ta providence
Dans ces grands changements révèle ta présence!
C'est en vain qu'en tes jeux l'empire des humains
Passe d'un sceptre à l'autreerrant de mains en mains;
Nos yeux accoutumés à sa vicissitude
Se sont fait de ta gloire une froide habitude;
Les siècles ont tant vu de ces grands coups du sort :
Le spectacle est usél'homme engourdi s'endort.
Réveille-nousgrand Dieu! parle et change le monde;
Fais entendre au néant ta parole féconde.
Il est temps! lève-toi! sors de ce long repos;
Tire un autre univers de cet autre chaos.
A nos yeux assoupis il faut d'autres spectacles!
A nos esprits flottants il faut d'autres miracles!
Change l'ordre des cieux qui ne nous parle plus!
Lance un nouveau soleil à nos yeux éperdus!
Détruis ce vieux palaisindigne de ta gloire;
Viens! montre-toi toi-même et force-nous de croire!
Mais peut-êtreavant l'heure où dans les cieux déserts
Le soleil cessera d'éclairer l'univers
De ce soleil moral la lumière éclipsée
Cessera par degrés d'éclairer la pensée;
Et le jour qui verra ce grand flambeau détruit
Plongera l'univers dans l'éternelle nuit.
Alors tu briseras ton inutile ouvrage :
Ses débris foudroyés rediront d'âge en âge :
Seul je suis! hors de moi rien ne peut subsister!
L'homme cessa de croireil cessa d'exister!

XXIX
L'automne

Salut! bois couronnés d'un reste de verdure!
Feuillages jaunissants sur les gazons épars!
Salutderniers beaux jours! Le deuil de la nature
Convient à la douleur et plaît à mes regards!

Je suis d'un pas rêveur le sentier solitaire
J'aime à revoir encorpour la dernière fois
Ce soleil pâlissantdont la faible lumière
Perce à peine à mes pieds l'obscurité des bois!

Ouidans ces jours d'automne où la nature expire
A ses regards voilésje trouve plus d'attraits
C'est l'adieu d'un amic'est le dernier sourire
Des lèvres que la mort va fermer pour jamais!

Ainsiprêt à quitter l'horizon de la vie
Pleurant de mes longs jours l'espoir évanoui
Je me retourne encoreet d'un regard d'envie
Je contemple ses biens dont je n'ai pas joui!

Terresoleilvallonsbelle et douce nature
Je vous dois une larme aux bords de mon tombeau;
L'air est si parfumé! la lumière est si pure!
Aux regards d'un mourant le soleil est si beau!

Je voudrais maintenant vider jusqu'à la lie
Ce calice mêlé de nectar et de fiel!
Au fond de cette coupe où je buvais la vie
Peut-être restait-il une goutte de miel?

Peut-être l'avenir me gardait-il encore
Un retour de bonheur dont l'espoir est perdu?
Peut-être dans la fouleune âme que j'ignore
Aurait compris mon âmeet m'aurait répondu?...

La fleur tombe en livrant ses parfums au zéphire;
A la vieau soleilce sont là ses adieux;
Moije meurs; et mon âmeau moment qu'elle expire
S'exhale comme un son triste et mélodieux.

XXX
La Poésie sacrée
Dithyrambe
A M. Eugène de Genoude.

Son front est couronné de palmes et d'étoiles;
Son regard immortelque rien ne peut ternir
Traversant tous les tempssoulevant tous les voiles
Réveille le passéplonge dans l'avenir!
Du monde sous ses yeux ses fastes se déroulent
Les siècles à ses pieds comme un torrent s'écoulent;
A son gré descendant ou remontant leurs cours
Elle sonne aux tombeaux l'heurel'heure fatale
Ou sur sa lyre virginale
Chante au monde vieilli ce jourpère des jours!
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Ecoutez! - Jéhova s'élance
Du sein de son éternité.
Le chaos endormi s'éveille en sa présence
Sa vertu le fécondeet sa toute-puissance
Repose sur l'immensité!

Dieu ditet le jour fut; Dieu ditet les étoiles
De la nuit éternelle éclaircirent les voiles;
Tous les éléments divers
A sa voix se séparèrent;
Les eaux soudain s'écoulèrent
Dans le lit creusé des mers;
Les montagnes s'élevèrent
Et les aquilons volèrent
Dans les libres champs des airs!

Sept fois de Jéhova la parole féconde
Se fit entendre au monde
Et sept fois le néant à sa voix répondit;
Et Dieu dit : Faisons l'homme à ma vivante image.
Il ditl'homme naquit; à ce dernier ouvrage
Le Verbe créateur s'arrête et s'apllaudit!
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Mais ce n'est plus un Dieu! - C'est l'homme qui soupire
Eden a fui!... voilà le travail et la mort!
Dans les larmes sa voix expire;
La corde du bonheur se brise sur sa lyre
Et Job en tire un son triste comme le sort.
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Ah! périsse à jamais le jour qui m'a vu naître!
Ah! périsse à jamais la nuit qui m'a conçu!
Et le sein qui m'a donné l'être
Et les genoux qui m'ont reçu!

Que du nombre des jours Dieu pour jamais l'efface;
Quetoujours obscurci des ombres du trépas
Ce jour parmi les jours ne trouve plus sa place
Qu'il soit comme s'il n'était pas!

Maintenant dans l'oubli je dormirais encore
Et j'achèverais mon sommeil
Dans cette longue nuit qui n'aura point d'aurore
Avec ces conquérants que la terre dévore
Avec le fruit conçu qui meurt avant d'éclore
Et qui n'a pas vu le soleil.

Mes jours déclinent comme l'ombre;
Je voudrais les précipiter.
O mon Dieu! retranchez le nombre
Des soleils que je dois compter!
L'aspect de ma longue infortune
Eloignerepousseimportune
Mes frères lassés de mes maux;
En vain je m'adresse à leur foule
Leur pitié m'échappe et s'écoule
Comme l'onde au flanc des coteaux.

Ainsi qu'un nuage qui passe
Mon printemps s'est évanoui;
Mes yeux ne verront plus la trace
De tous ces biens dont j'ai joui.
Par le souffle de la colère
Hélas! arraché à la terre
Je vais d'où l'on ne revient pas!
Mes vallonsma propre demeure
Et cet oeil même qui me pleure
Ne reverront jamais mes pas!

L'homme vit un jour sur la terre
Entre la mort et la douleur;
Rassasié de sa misère
Il tombe enfin comme la fleur;
Il tombe! Au moins par la rosée
Des fleurs la racine arrosée
Peut-elle un moment refleurir!
Mais l'hommehélas!après la vie
C'est un lac dont l'eau s'est enfuie :
On le chercheil vient de tarir.

Mes jours fondent comme la neige
Au souffle du courroux divin;
Mon espérancequ'il abrège
S'enfuit comme l'eau de ma main;
Ouvrez-moi mon dernier asile;
Làj'ai dans l'ombre un lit tranquille
Lit préparé pour mes douleurs!
O tombeau! vous êtes mon père!
Et je dis aux vers de la terre :
Vous êtes ma mère et mes soeurs!

Mais les jours heureux de l'impie
Ne s'éclipsent pas au matin;
Tranquilleil prolonge sa vie
Avec le sang de l'orphelin!
Il étend au loin ses racines;
Comme un troupeau sur les collines
Sa famille couvre Ségor;
Puis dans un riche mausolée
Il est couché dans la vallée
Et l'on dirait qu'il vit encor.

C'est le secret de Dieuje me tais et l'adore!
C'est sa main qui traça les sentiers de l'aurore
Qui pesa l'Océanqui suspendit les cieux!
Pour luil'abîme est nul'enfer même est sans voiles!
Il a fondé la terre et semé les étoiles!
Et qui suis-je à ses yeux?
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Mais la harpe a frémi sous les doigts d'Isaïe;
De son sein bouillonnant la menace à longs flots
S'échappe; un Dieu l'appelleil s'élanceil s'écrie :
Cieux et terreécoutez! silence au fils d'Amos!
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Osias n'était plus : Dieu m'apparut; je vis
Adonaï vêtu de gloire et d'épouvante!
Les bords éblouissants de sa robe flottante
Remplissaient le sacré parvis!

Des séraphins debout sur des marches d'ivoire
Se voilaient devant lui de six ailes de feux;
Volant de l'un à l'autreils se disaient entre eux :
Saintsaintsaintle Seigneurle Dieule roi des dieux!
Toute la terre est pleine de sa gloire!

Du temple à ces accents la voûte s'ébranla
Adonaï s'enfuit sous la nue enflammée :
Le saint lieu fut rempli de torrents de fumée.
La terre sous mes pieds trembla!

Et moi! je resterais dans un lâche silence!
Moi qui t'ai vuSeigneurje n'oserais parler!
A ce peuple impur qui t'offense
Je craindrais de te révéler!

Qui marchera pour nous? dit le Dieu des armées.
Qui parlera pour moi? dit Dieu : Qui? moiSeigneur!
Touche mes lèvres enflammées!
Me voilà! je suis prêt!... malheur!

Malheur à vous qui dès l'aurore
Respirez les parfums du vin!
Et que le soir retrouve encore
Chancelants aux bords du festin!
Malheur à vous qui par l'usure
Etendez sans fin ni mesure
La borne immense de vos champs!
Voulez-vous doncmortels avides
Habiter dans vos champs arides
Seulssur la terre des vivants?

Malheur à vousrace insensée!
Enfants d'un siècle audacieux
Qui dites dans votre pensée :
Nous sommes sages à nos yeux :
Vous changez ma nuit en lumière
Et le jour en ombre grossière
Où se cachent vos voluptés!
Maiscomme un taureau dans la plaine
Vous traînez après vous la chaîne
Des vos longues iniquités!

Malheur à vousfilles de l'onde!
Iles de Sydon et de Tyr!
Tyrans! qui trafiquez du monde
Avec la pourpre et l'or d'Ophyr!
Malheur à vous! votre heure sonne!
En vain l'Océan vous couronne
Malheur à toireine des eaux
A toi quisur des mers nouvelles
Fais retentir comme des ailes
Les voiles de mille vaisseaux!

Ils sont enfin venus les jours de ma justice;
Ma colèredit Dieuse déborde sur vous!
Plus d'encensplus de sacrifice
Qui puisse éteindre mon courroux!

Je livrerai ce peuple à la mortau carnage;
Le fer moissonnera comme l'herbe sauvage
Ses bataillons entiers!
- Seigneur! épargnez-nous! Seigneur! - Nonpoint de trêve
Et je ferai sur lui ruisseler de mon glaive
Le sang de ses guerriers!

Ses torrents sécheront sous ma brûlante haleine;
Ma main nivelleracomme une vaste plaine
Ses murs et ses palais;
Le feu les brûlera comme il brûle le chaume.
Làplus de nationde villede royaume;
Le silence à jamais!

Ses murs se couvriront de ronces et d'épines;
L'hyène et le serpent peupleront ses ruines;
Les hibouxles vautours
L'un l'autre s'appelant durant la nuit obscure
Viendront à leurs petits porter la nourriture
Au sommet de ses tours!
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Mais Dieu ferme à ces mots les lèvres d'Isaïe;
Le sombre Ezéchiel
Sur le tronc desséché de l'ingrat Israël
Fait descendre à son tour la parole de vie.
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L'Eternel emporta mon esprit au désert :
D'ossements desséchés le sol était couvert;
J'approche en frissonnant; mais Jéhova me crie :
Si je parle à ces osreprendront-ils la vie?
- Eterneltu le sais! - Eh bien! dit le Seigneur
Ecoute mes accents! retiens-les et dis-leur :
Ossements desséchés! insensible poussière!
Levez-vous! recevez l'esprit et la lumière!
Que vos membres épars s'assemblent à ma voix!
Que l'esprit vous anime une seconde fois!
Qu'entre vos os flétris vos muscles se replacent!
Que votre sang circule et vos nerfs s'entrelacent!
Levez-vous et vivezet voyez qui je suis!
J'écoutai le Seigneurj'obéis et je dis :
Espritssoufflez sur eux du couchantde l'aurore;
Soufflez de l'aquilonsoufflez!... Pressés d'éclore
Ces restes du tombeauréveillés par mes cris
Entrechoquent soudain leurs ossements flétris;
Aux clartés du soleil leur paupière se rouvre
Leurs os sont rassembléset la chair les recouvre!
Et ce champ de la mort tout entier se leva
Redevint un grand peupleet connut Jéhova!
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Mais Dieu de ses enfants a perdu la mémoire;
La fille de Sionméditant ses malheurs
S'assied en soupirantetveuve de sa gloire
Ecoute Jérémieet retrouve des pleurs.
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Le seigneurm'accablant du poids de sa colère
Retire tour à tour et ramène sa main;
Vous qui passez par le chemin
Est-il une misère égale à ma misère?

En vain ma voix s'élèveil n'entend plus ma voix;
Il m'a choisi pour but de ses flèches de flamme
Et tout le jour contre mon âme
Sa fureur a lancé les fils de son carquois!

Sur mes os consumés ma peau s'est desséchée;
Les enfants m'ont chanté dans leurs dérisions;
Seulau milieu des nations
Le Seigneur m'a jeté comme une herbe arrachée.

Il s'est enveloppé de son divin courroux;
Il a fermé ma routeil a troublé ma voie;
Mon sein n'a plus connu la joie
Et j'ai dit au Seigneur : Seigneursouvenez-vous
Souvenez-vousSeigneurde ces jours de colère;
Souvenez-vous du fiel dont vous m'avez nourri;
Nonvotre amour n'est point tari :
Vous me frappezSeigneuret c'est pourquoi j'espère.

Je repasse en pleurant ces misérables jours;
J'ai connu le Seigneur dès ma plus tendre aurore :
Quand il punitil aime encore;
Il ne s'est pasmon âmeéloigné pour toujours.

Heureux qui le connaît! heureux qui dès l'enfance
Porta le joug d'un Dieuclément dans sa rigueur!
Il croit au salut du Seigneur
S'assied au bord du fleuve et l'attend en silence.

Il sent peser sur lui ce joug de votre amour;
Il répand dans la nuit ses pleurs et sa prière
Et la bouche dans la poussière
Il invoqueil espèreil attend votre jour.
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Silenceô lyre! et vous silence
Prophètesvoix de l'avenir!
Tout l'univers se tait d'avance
Devant celui qui doit venir!
Fermez-vouslèvres inspirées;
Reposez-vousharpes sacrées
Jusqu'au jour où sur les hauts lieux
Une voix au monde inconnue
Fera retentir dans la nue :

PAIX A LA TERREET GLOIRE AUX CIEUX!