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Denis DiderotPensées sur l'interprétation de la natureAUX JEUNES GENS QUI SE DISPOSENT A L'ÉTUDE DE LA PHILOSOPHIE NATURELLE
Jeunehommeprends et lis. Si tu peux aller jusqu'à la fin de cetouvragetu ne seras pas incapable d'en entendre un meilleur. Commeje me suis moins proposé de t'instruire que de t'exercerilm'importe peu que tu adoptes mes idées ou que tu les rejettespourvu qu'elles emploient toute ton attention. Un plus habilet'apprendra à connaître les forces de la nature; il mesuffira de t'avoir fait essayer les tiennes. Adieu.
P.S.Encore un motet je te laisse. Aie toujours présent àl'esprit que la nature n'est pas Dieuqu'un homme n'est pas unemachinequ'une hypothèse n'est pas un fait; et sois assuréque tu ne m'auras point comprispartout où tu croirasapercevoir quelque chose de contraire à ces principes.
«Quae sunt in luce tuemur E tenebris.»
LUCRET.lib. VI.
1. C'estde la nature que je vais écrire. Je laisserai les penséesse succéder sous ma plumedans l'ordre même selonlequel les objets se sont offerts à ma réflexionparcequ'elles n'en représenteront que mieux les mouvements et lamarche de mon esprit. Ce seront ou des vues généralessur l'art expérimentalou des vues particulières surun phénomène qui paraît occuper tous nosphilosopheset les diviser en deux classes. Les uns ontce mesemblebeaucoup d'instruments et peu d'idées; les autres ontbeaucoup d'idées et n'ont point d'instruments. L'intérêtde la vérité demanderait que ceux qui réfléchissentdaignassent enfin s'associer à ceux qui se remuentafin quele spéculatif fût dispensé de se donner dumouvement; que la manoeuvre eût un but dans les mouvementsinfinis qu'il se donne; que tous nos efforts se trouvassent réuniset dirigés en même temps contre la résistance dela nature; et quedans cette espèce de ligue philosophiquechacun fit le rôle qui lui convient.
2. Une desvérités qui aient été annoncées denos jours avec le plus de courage et de forcequ'un bon physicien neperdra point de vueet qui aura certainement les suites les plusavantageusesc'est que la région des mathématiciensest un monde intellectueloù ce que l'on prend pour desvérités rigoureuses perd absolument cet avantage quandon l'apporte sur notre terre. On en a conclu que c'était àla philosophie expérimentale à rectifier les calculs dela géométrieet cette conséquence a étéavouéemême par les géomètres. Mais àquoi bon corriger le calcul géométrique parl'expérience ? N'est-il pas plus court de s'en tenir aurésultat de celle-ci? d'où l'on voit que lesmathématiquestranscendantes surtoutne conduisent àrien de précis sans l'expérience; que c'est une espècede métaphysique générale où les corpssont dépouillés de leurs qualités individuelles;et qu'il resterait au moins à faire un grand ouvrage qu'onpourrait appeler l'Application de l'expérience à lagéométrieou Traité de l'aberration desmesures.
3. Je nesais s'il y a quelque rapport entre l'esprit du jeu et le géniemathématicien; mais il y en a beaucoup entre un jeu et lesmathématiques. Laissant à part ce que le sort metd'incertitude d'un côtéou le comparant avec ce quel'abstraction met d'inexactitude de l'autreune partie de jeu peutêtre considérée comme une suite indéterminéede problèmes à résoudred'après desconditions données. Il n'y a point de questions demathématiques à qui la même définition nepuisse conveniret la chose du mathématicien n'a pasplus d'existence dans la nature que celle du joueur. C'estde partet d'autreune affaire de conventions. Lorsque les géomètresont décrié les métaphysiciensils étaientbien éloignes de penser que toute leur science n'étaitqu'une métaphysique. On demandait un jour: « Qu'est-cequ'un métaphysicien ? » Un géomètrerépondit: « C'est un homme qui ne sait rien ». Leschimistesles physiciensles naturalisteset tous ceux qui selivrent à l'art expérimentalnon moins outrésdans leur jugementme paraissent sur le point de venger lamétaphysique et d'appliquer la même définition augéomètre. Ils disent: « A quoi servent toutes cesprofondes théories des corps célestestous ces énormescalculs de l'astronomie rationnelles'ils ne dispensent pointBradley ou Le Monnier d'observer le ciel ? » Et je dis: heureuxle géomètre en qui une étude consomméedes sciences abstraites n'aura point affaibli le goût desbeaux-artsà qui Horace et Tacite seront aussi familiers queNewtonqui saura découvrir les propriétés d'unecourbe et sentir ]es beautés d'un poètedont l'espritet les ouvrages seront de tous les tempset qui aura le méritede toutes les académies ! Il ne se verra point tomber dansl'obscurité; il n'aura point à craindre de survivre àsa renommée.
4. Noustouchons au moment d'une grande révolution dans les sciences.Au penchant que les esprits me paraissent avoir à la moraleaux belles-lettresà l'histoire de la natureet à laphysique expérimentalej'oserais presque assurer qu'avantqu'il soit cent anson ne comptera pas trois grands géomètresen Europe. Cette science s'arrêtera tout court oùl'auront laissée les Bernoulliles Eulerles MaupertuislesClairautles Fontaine et les d'Alembert. Ils auront posé lescolonnes d'Hercule. On n'ira point au-delà. Leurs ouvragessubsisteront dans les siècles à venircomme cespyramides d'Égypte dont les masses chargéesd'hiéroglyphes réveillent en nous une idéeeffrayante de la puissance et des ressources des hommes qui les ontélevées.
5.Lorsqu'une science commence à naîtreL'extrêmeconsidération qu'on a dans la société pour lesinventeursle désir de connaître par soi-même unechose qui fait beaucoup de bruitL'espérance de s'illustrerpar quelque découverteL'ambition de partager un titre avecdes hommes illustrestournent tous les esprits de ce côté.En un momentelle est cultivée par une infinité depersonnes de caractères différents. Ce sont ou des gensdu mondeà qui leur oisiveté pèseou destransfugesqui s'imaginent acquérir dans la science àla mode une réputation qu'ils ont inutilement cherchéedans d'autres sciencesqu'ils abandonnent pour elle; les uns s'enfont un métier; d'autres y sont entraînés pargoût. Tant d'efforts réunis portent assez rapidement lascience jusqu'où elle peut aller. Mais à mesure que seslimites s'étendentcelles de la considération seresserrent. On n'en a plus que pour ceux qui se distinguent par unegrande supériorité. Alors la foule diminue. On cesse des'embarquer pour une contrée où les fortunes sontdevenues rares et difficiles. Il ne reste à la science que desmercenaires à qui elle donne du painet que quelques hommesde génie qu'elle continue d'illustrer longtemps encore aprèsque le prestige est dissipé et que les yeux se sont ouvertssur l'inutilité de leurs travaux. On regarde toujours cestravaux comme des tours de force qui font honneur àl'humanité. Voilà l'abrégé historique dela géométrieet celui de toutes les sciences quicesseront d'instruire ou de plaire; je n'en excepte pas mêmel'histoire de la nature.
6. Quandon vient à comparer la multitude infinie des phénomènesde la nature avec les bornes de notre entendement et la faiblesse denos organespeut-on jamais attendre autre chose de la lenteur de nostravauxde leurs longues et fréquentes interruptions et de larareté des génies créateursque quelques piècesrompues et séparées de la grande chaîne qui lietoutes choses ?. La philosophie expérimentale travailleraitpendant les siècles des sièclesque les matériauxqu'elle entasseraitdevenus à la fin par leur nombreau-dessus de toute combinaisonseraient encore bien loin d'uneénumération exacte. Combien ne faudrait-il pas devolumes pour renfermer les termes seuls par lesquels nousdésignerions les collections distinctes de phénomènessi les phénomènes étaient connus ? Quand lalangue philosophique sera-t-elle complète ? Quand elle seraitcomplètequi d'entre les hommes pourrait la savoir ? Sil'Éternelpour manifester sa toute-puissance plus évidemmentencore que par les merveilles de la natureeût daignédévelopper le mécanisme universel sur des feuillestracées de sa propre maincroit-on que ce grand livre fûtplus compréhensible pour nous que l'univers même ?Combien de pages en aurait entendu ce philosophe ' quiavec toute laforce de tête qui lui avait été donnéen'était pas sûr d'avoir seulement embrassé lesconséquences par lesquelles un ancien géomètre adéterminé le rapport de la sphère au cylindre ?Nous aurions dans ces feuilles une mesure assez bonne de la portéedes espritset une satire beaucoup meilleure de notre vanité.Nous pourrions dire: Fermat alla jusqu'à telle page; Archimèdeétait allé quelques pages plus loin. Quel est doncnotre but ? L'exécution d'un ouvrage qui ne peut jamais êtrefait et qui serait fort au-dessus de l'intelligence humaines'ilétait achevé. Ne sommes-nous pas plus insensésque les premiers habitants de la plaine de Sennaar ? Nous connaissonsla distance infinie qu'il y a de la terre aux cieuxet nous nelaissons pas que d'élever la tour. Mais est-il àprésumer qu'il ne viendra point un temps où notreorgueil décourage abandonne l'ouvrage ? Quelle apparence quelogé étroitement et mal à son aise ici-basils'opiniâtre à construire un palais inhabitable au-delàde l'atmosphère`? Quand il s'y opiniâtreraitneserait-il pas arrêté par la confusion des langues quin'est déjà que trop sensible et trop incommode dansl'histoire naturelle ? D'ailleurs l'Utile circonscrit tout. Ce seral'Utile qui dans quelques siècles donnera des bornes àla physique expérimentalecomme il est sur le point d'endonner à la géométrie. J'accorde des sièclesà cette étudeparce que la sphère de sonutilité est infiniment plus étendue que celle d'aucunescience abstraiteet qu'elle est sans contredit la base de nosvéritables connaissances.
7. Tantque les choses ne sont que dans notre entendementce sont nosopinions; ce sont des notions qui peuvent être vraies oufaussesaccordées ou contredites. Elles ne prennent de laconsistance qu'en se liant aux êtres extérieurs. Cetteliaison se fait ou par une chaîne ininterrompue d'expériencesou par une chaîne ininterrompue de raisonnements qui tient d'unbout à l'observationet de l'autre à l'expérience;ou par une chaîne d'expériences disperséesd'espace en espaceentre des raisonnementscomme des poids sur lalongueur d'un fil suspendu par ses deux extrémités.Sans ces poidsle fil deviendrait le jouet de la moindre agitationqui se ferait dans l'air.
8. On peutcomparer les notions qui n'ont aucun fondement dans la nature àces forêts du Nord dont les arbres n'ont point de racines. Ilne faut qu'un coup de ventqu'un fait légerpour renversertoute une forêt d'arbres et d'idées.
9. Leshommes en sont à peine à sentir combien les lois del'investigation de la vérité sont sévèreset combien le nombre de nos moyens est borné. Tout se réduità revenir des sens à la réflexionet de laréflexion aux sens: rentrer en soi et en sortir sans cesse.C'est le travail de l'abeille. On a battu bien du terrain en vainsion ne rentre pas dans la ruche chargée de cire. On a fait biendes amas de cire inutilesi on ne sait pas en former des rayons.
10 Maispar malheur il est plus facile et plus court de se consulter soi quela nature. Aussi la raison est-elle portée à demeureren elle-mêmeet l'instinct à se répandreau-dehors. L'instinct va sans cesse regardantgoûtanttouchantécoutant; et il y aurait peut-être plus dephysique expérimentale a apprendre en étudiant lesanimaux qu'en suivant les cours d'un professeur. Il n'y a point decharlatanerie dans leurs procédés. Ils tendent àleur butsans se soucier de ce qui les environne: s'ils noussurprennentce n'est point leur intention. L'étonnement- estle premier effet d'un grand phénomène; c'est àla philosophie à le dissiper. Ce dont il s'agit dans un coursde philosophie expérimentalec'est de renvoyer son auditeurplus instruitet non plus stupéfait. S'enorgueillir desphénomènes de la naturecomme si l'on en étaitsoi-même l'auteurc'est imiter la sottise d'un éditeurdes Essais qui ne pouvait entendre le nom de Montaigne sansrougir. Une grande leçon qu'on a souvent occasion de donnerc'est l'aveu de son insuffisance. Ne vaut-il pas mieux se concilierla confiance des autres par la sincérité d'un jen'en sais rien que de balbutier des mots et se faire pitiéà soi-mêmeen s'efforçant de tout expliquer ?Celui qui confesse librement qu'il ne sait pas ce qu'il ignore medispose à croire ce dont il entreprend de me rendre raison.
11.L'étonnement vient souvent de ce qu'on suppose plusieursprodiges où il n'y en a qu'un; de ce qu'on imagine dans lanature autant d'actes particuliers qu'on nombre de phénomènestandis qu'elle n'a peut-être jamais produit qu'un seul acte. Ilsemble même quesi elle avait été dans lanécessité d'en produire plusieursles différentsrésultats de ces actes seraient isolés; qu'il y auraitdes collections de phénomènes indépendantes lesunes des autres; et que cette chaîne généraledont la philosophie suppose la continuité se romprait enplusieurs endroits. L'indépendance absolue d'un seul fait estincompatible avec l'idée de tout; et sans l'idée detoutplus de philosophie.
12. Ilsemble que la nature se soit plu à varier le mêmemécanisme d'une infinité de manièresdifférentes. Elle n'abandonne un genre de productions qu'aprèsen avoir multiplié les individus sous toutes les facespossibles. Quand on considère le règne animalet qu'ons'aperçoit queparmi les quadrupèdesil n'y en a pasun qui n'ait les fonctions et les partiessurtout intérieuresentièrement semblables à un autre quadrupèdenecroirait-on pas volontiers qu'il n'y a jamais eu qu'un premier animalprototype de tous les animauxdont la nature n'a fait qu'allongerraccourcirtransformermultiplieroblitérer certainsorganes ? Imaginez les doigts de la main réuniset la matièredes ongles si abondante quevenant à s'étendre et àse gonflerelle enveloppe et couvre le tout; au lieu de la main d'unhommevous aurez le pied d'un cheval. Quand on voit lesmétamorphoses successives de l'enveloppe du prototypequelqu'il ait étéapprocher un règne d'un autrerègne par des degrés insensibleset peupler lesconfins dès deux règnes (s'il est permis de se servirdu terme de confins où il n'y a aucune divisionréelle)et peuplerdis-jeles confins des deux règnesd'êtres incertainsambigusdépouillés en grandepartie des formesdes qualités et des fonctions de l'unetrevêtus des formesdes qualitésdes fonctions del'autrequi ne se sentirait porté à croire qu'il n'y ajamais eu qu'un premier être prototype de tous les êtres? Mais que cette conjecture philosophique soit admise avec le docteurBaumann comme vraieou rejetée avec M. de Buffon commefausseon ne niera pas qu'il ne faille l'embrasser comme unehypothèse essentielle au progrès de la physiqueexpérimentaleà celui de la philosophie rationnelleàla découverte et à l'explication des phénomènesqui dépendent de l'organisation. Car il est évident quela nature n'a pu conserver tant de ressemblance dans les parties etaffecter tant de variété dans les formessans avoirsouvent rendu sensible dans un être organisé ce qu'ellea dérobé dans un autre. C'est une femme qui aime àse travestiret dont les différents déguisementslaissant échapper tantôt une partietantôt uneautredonnent quelque espérance à ceux qui la suiventavec assiduité de connaître un jour toute sa personne.
13. On adécouvert qu'il y a dans un sexe le même fluide séminalque dans l'autre sexe '. Les parties qui contiennent ce fluide nesont plus inconnues. On s'est aperçu des altérationssingulières qui surviennent dans certains organes de lafemellequand la nature la presse fortement de rechercher le mâle.Dans l'approche des sexesquand on vient à comparer lessymptômes du plaisir de l'un aux symptômes du plaisir del'autreet qu'on s'est assuré que la volupté seconsomme dans tous les deux par des élancements égalementcaractérisésdistincts et battuson ne peut douterqu'il n'y ait aussi des émissions semblables du fluideséminal. Mais où et comment cette émission dansla femme ? que devient le fluide ? quelle route suit-il ? c'est cequ'on ne saura que quand la naturequi n'est pas égalementmystérieuse en tout et partoutse sera dévoiléedans une autre espèce: ce qui arrivera apparemment de l'une deces deux manières; ou les formes seront plus évidentesdans les organes; ou l'émission du fluide se rendra sensible àson origine et sur toute sa routepar son abondance extraordinaire.Ce qu'on a vu distinctement dans un être ne tarde pas àse manifester dans un être semblable. En physiqueexpérimentaleon apprend à apercevoir les petitsphénomènes dans les grands; de même qu'enphysique rationnelleon apprend à connaître les grandscorps dans les petits.
14. Je mereprésente la vaste enceinte des sciencescomme un grandterrain parsemé de places obscures et de places éclairées.Nos travaux doivent avoir pour butou d'étendre les limitesdes places éclairéesou de multiplier sur le terrainles centres de lumières. L'un appartient au génie quicrée; L'autre à la sagacité qui perfectionne.
15. Nousavons trois moyens principaux: L'observation de la naturelaréflexion et l'expérience. L'observation recueille lesfaitsla réflexion les combineL'expérience vérifiele résultat de la combinaison. Il faut que l'observation de lanature soit assidueque la réflexion soit profondeet quel'expérience soit exacte. On voit rarement ces moyens réunis.Aussi les génies créateurs ne sont-ils pas communs.
16. Lephilosophequi n'aperçoit souvent la vérité quecomme le politique maladroit aperçoit l'occasionpar le côtéchauveassure qu'il est impossible de la saisirdans le moment oùla main du manoeuvre est portée par le hasard sur le côtéqui a des cheveux. Il faut cependant avouer que parmi cesmanoeuvriers d'expériencesil y en a de bien malheureux: L'und'eux emploiera toute sa vie à observer des insectes et neverra rien de nouveau 3; un autre jettera sur eux un coup d'oeil enpassant et apercevra le polypeou le puceron hermaphrodite.
17.Sont-ce les hommes de génie qui ont manqué àl'univers ? nullement. Est- ce en eux défaut de méditationet d'étude ? encore moins. L'histoire des sciences fourmillede noms illustres; la surface de la terre est couverte des monumentsde nos travaux. Pourquoi donc possédons-nous si peu deconnaissances certaines ? par quelle fatalité les sciencesont-elles fait si peu de progrès ? sommes-nous destinésà n'être jamais que des enfants ? j'ai déjàannoncé la réponse à ces questions. Les sciencesabstraites ont occupé trop longtemps et avec trop peu de fruitles meilleurs esprits; ou l'on n'a point étudié cequ'il importait de savoirou l'on n'a mis ni choixni vuesniméthode dans ses études; les mots se sont multipliéssans finet la connaissance des choses est restée en arrière.
18. Lavéritable manière de philosopherc'eût étéet ce serait d'appliquer l'entendement à l'entendement;L'entendement et l'expérience aux sens; les sens à lanature; la nature à l'investigation des instruments; lesinstruments à la recherche et à la perfection des artsqu'on jetterait au peuple pour lui apprendre à respecter laphilosophie.
19. Il n'ya qu'un seul moyen de rendre la philosophie vraiment recommandableaux yeux du vulgaire: c'est de la lui montrer accompagnée del'utilité. Le vulgaire demande toujours: à quoi celasert-il ? et il ne faut jamais se trouver dans le cas de luirépondre: à rien: il ne sait pas que ce quiéclaire le philosophe et ce qui sert au vulgaire sont deuxchoses fort différentespuisque l'entendement du philosopheest souvent éclairé par ce qui nuitet obscurci par cequi sert.
20. Lesfaitsde quelque nature qu'ils soientsont la véritablerichesse du philosophe. Mais un des préjugés de laphilosophie rationnellec'est que celui qui ne saura pas nombrer sesécus ne sera guère plus riche que celui qui n'auraqu'un écu. La philosophie rationnelle s'occupe malheureusementbeaucoup plus à rapprocher et à lier les faits qu'ellepossèdequ'à en recueillir de nouveaux.
21.Recueillir et lier les faitsce sont deux occupations bien pénibles;aussi les philosophes les ont-ils partagées entre eux. Les unspassent leur vie à rassembler des matériauxmanoeuvresutiles et laborieux; les autresorgueilleux architectess'empressent à les mettre en oeuvre. Mais le temps a renverséjusqu'aujourd'hui presque tous les édifices de la philosophierationnelle. Le manoeuvre poudreux apporte tôt ou tarddessouterrains où il creuse en aveuglele morceau fatal àcette architecture élevée à force de tête;elle s'écrouleet il ne reste que des matériauxconfondus pêle-mêlejusqu'à ce qu'un autre génietéméraire en entreprenne une combinaison nouvelle.Heureux le philosophe systématique à qui la nature auradonnécomme autrefois à ÉpicureàLucrècea Aristoteà Plantonune imagination forteune grande éloquencel'art de présenter ses idéessous des images frappantes et sublimes ! L'édifice qu'il aconstruit pourra tomber un jour; mais sa statue restera debout aumilieu des ruines; et la pierre qui se détachera de lamontagne ne la brisera pointparce que les pieds n'en sont pasd'argile.
22.L'entendement a ses préjugés; le sensson incertitude;la mémoireses limites; L'imaginationses lueurs; lesinstrumentsleur imperfection. Les phénomènes sontinfinis; les causescachées; les formespeut-êtretransitoires. Nous n'avons contre tant d'obstacles que nous trouvonsen nouset que la nature nous oppose au-dehorsqu'une expériencelentequ'une réflexion bornée. Voilà lesleviers avec lesquels la philosophie s'est proposé de remuerle monde.
23. Nousavons distingué deux sortes de philosophiesL'expérimentaleet la rationnelle. L'une a les yeux bandésmarche toujours entâtonnantsaisit tout ce qui lui tombe sous les mains etrencontre à la fin des choses précieuses. L'autrerecueille ces matières précieuseset tâche des'en former un flambeau: mais ce flambeau prétendu lui ajusqu'à présent moins servi que le tâtonnement àsa rivale; et cela devait être. L'expérience multiplieses mouvements à l'infini; elle est sans cesse en action; ellemet à chercher des phénomènes tout le temps quela raison emploie a chercher des analogies. La philosophieexpérimentale ne sait ni ce qui lui viendrani ce qui ne luiviendra pas de son travail; mais elle travaille sans relâche.Au contrairela philosophie rationnelle pèse lespossibilitésprononce et s'arrête tout court. Elle dithardiment: on ne peut décomposer la lumière; laphilosophie expérimentale l'écouteet se tait devantelle pendant des siècles entiers; puis tout à coup ellemontre le prismeet dit: la lumière se décompose.
24.ESQUISSE DE LA PHYSIQUE EXPÉRIMENTALE. La physiqueexpérimentale s'occupe en général del'existencedes qualitéset de l'emploi.
L'EXISTENCEembrasse l'histoire la description la générationla conservation et la destruction.
L'histoireest des lieuxde l'importationde l'exportationdu prixdespréjugésetc.
Ladescriptionde l'intérieur et de l'extérieurpar toutes les qualités sensibles.
Lagénérationprise depuis la premièreorigine jusqu'à l'état de perfection.
Laconservationde tous les moyens de fixer dans cet état.
Ladestructionprise depuis l'état de perfection jusqu'audernier degré connu de décomposition ou dedépérissement; de dissolution ou de résolution.
LesQUALITÉS sont générales ou particulières.
J'appellegénéralescelles qui sont communes àtous les êtreset qui n'y varient que par la quantité.
J'appelleparticulièrescelles qui constituent l'être tel;ces dernières sont ou de la substance en masseou de lasubstance divisée ou décomposée.
L'EMPLOIs'étend à la comparaison à l'applicationet à la combinaison.
Lacomparaison se fait ou par les ressemblancesou par lesdifférences.
L'applicationdoit être la plus étendue et la plus variée qu'ilest possible.
Lacombinaison est analogue ou bizarre.
25. Je disanalogue ou bizarreparce que tout a son résultat dansla nature; L'expérience la plus extravaganteainsi que laplus raisonnée. La philosophie expérimentalequi ne sepropose rienest toujours contente de ce qui lui vient; laphilosophie rationnelle est toujours instruitelors même quece qu'elle s'est proposé ne lui vient pas.
26. Laphilosophie expérimentale est une étude innocente quine demande presque aucune préparation de l'âme. On n'enpeut pas dire autant des autres parties de la philosophie. La plupartaugmentent en nous la fureur des conjectures. La philosophieexpérimentale la réprime à la longue. Ons'ennuie tôt ou tard de deviner maladroitement.
27. Legoût de l'observation peut être inspiré àtous les hommes; il semble que celui de l'expérience ne doiveêtre inspiré qu'aux hommes riches.
L'observationne demande qu'un usage habituel des sens; L'expérience exigedes dépenses continuelles. Il serait à souhaiter queles grands ajoutassent ce moyen de se ruiner à tant d'autresmoins honorables qu'ils ont imaginés. Tout bien considéréil vaudrait mieux qu'ils fussent appauvris par un chimistequedépouillés par des gens d'affaires; entêtésde la physique expérimentale qui les amuserait quelquefoisqu'agités par l'ombre du plaisir qu'ils poursuivent sans cesseet qui leur échappe toujours. Je dirais volontiers auxphilosophes dont là fortune est bornée et qui sesentent portés à la physique expérimentaleceque je conseillerais à mon amis'il était tentéde la jouissance d'une belle courtisane: Laïdem habetodummodo te Lais non habeat. C'est un conseil que je donneraisencore à ceux qui ont l'esprit assez étendu pourimaginer des systèmeset qui sont assez opulents pour lesvérifier par l'expérience: ayez un systèmej'yconsens; mais ne vous en laissez pas dominer: Laïdem habeto.
28. Laphysique expérimentale peut être comparée dansses bons effets au conseil de ce père qui dit à sesenfantsen mourantqu'il y avait un trésor caché dansson champmais qu'il ne savait point en quel endroit. Ses enfants semirent à bêcher le champ; ils ne trouvèrent pasle trésor qu'ils cherchaient; mais ils firent dans la saisonune récolte abondante à laquelle ils ne s'attendaientpas.
29.L'année suivanteun des enfants dit à ses frères:« J'ai soigneusement examiné le terrain que notre pèrenous a laisséet je pense avoir découvert l'endroit dutrésor. Écoutezvoici comment j'ai raisonné. Sile trésor est caché dans le champil doit y avoir dansson enceinte quelques signes qui marquent l'endroit; or j'ai aperçudes traces singulières vers l'angle qui regarde l'orient; lesol y paraît avoir été remué. Nous noussommes assurés par notre travail de l'année passéeque le trésor n'est point à la surface de la terre; ilfaut donc qu'il soit caché dans ses entrailles: prenonsincessamment la bêcheet creusons jusqu'à ce que noussoyons parvenus au souterrain de l'avarice. » Tous les frèresentraînés moins par la force de la raison que par ledésir de la richessese mirent à l'ouvrage. Ilsavaient déjà creusé profondément sansrien trouver; L'espérance commençait à lesabandonner et le murmure à se faire entendrelorsqu'und'entre eux s'imagina reconnaître la présence d'unemineà quelques particules brillantes. C'en était eneffet une de plomb qu'on avait anciennement exploitéequ'ilstravaillèrent et qui leur produisit beaucoup. Telle estquelquefois la suite des expériences suggéréespar les observations et les idées systématiques de laphilosophie rationnelle. C'est ainsi que les chimistes et lesgéomètresen s'opiniâtrant à la solutionde problèmes peut-être impossiblessont parvenus àdes découvertes plus importantes que cette solution.
30. Lagrande habitude de faire des expériences donne auxmanoeuvriers d'opérations les plus grossiers un pressentimentqui a le caractère de l'inspiration. Il ne tiendrait qu'àeux de s'y tromper comme Socrateet de l'appeler un démonfamilier. Socrate avait une si prodigieuse habitude de considérerles hommes et de peser les circonstancesque dans les occasions lesplus délicatesil s'exécutait secrètement enlui une combinaison prompte et justesuivie d'un pronostic dontl'événement ne s'écartait guère. Iljugeait des hommes comme les gens de goût jugent des ouvragesd'espritpar sentiment. Il en est de même en physiqueexpérimentale de l'instinct de nos grands manoeuvriers. Ilsont vu si souvent et de si près la nature dans ses opérationsqu'ils devinent avec assez de précision le cours qu'ellepourra suivre dans les cas où il leur prend envie de laprovoquer par les essais les plus bizarres. Ainsi le service le plusimportant qu'ils aient à rendre à ceux qu'ils initientà la philosophie expérimentalec'est bien moins de lesinstruire du procédé et du résultatque defaire passer en eux cet esprit de divination par lequel on subodorepour ainsi diredes procédés inconnusdes expériencesnouvellesdes résultats ignorés.
31.Comment cet esprit se communique-t-il ? Il faudrait que celui qui enest possédé descendît en lui-même pourreconnaître distinctement ce que c'estsubstituer au démonfamilier des notions intelligibles et claireset les développeraux autres. S'il trouvaitpar exempleque c'est une facilitéde supposer ou d'apercevoir des oppositions ou des analogiesqui asa source dans une connaissance pratique des qualitésphysiques des êtres considérés solitairementoude leurs effets réciproquesquand on les considère encombinaisonil étendrait cette idée; ill'appuierait d'une infinité de faits qui se présenteraienta sa mémoire; ce serait une histoire fidèle de toutesles extravagances apparentes qui lui ont passe par la tête. Jedis extravagances: car quel autre nom donner à cetenchaînement de conjectures fondées sur des oppositionsou des ressemblances si éloignéessi imperceptiblesque les rêves d'un malade ne paraissent ni plus bizarresniplus décousus ? Il n'y a quelquefois pas une proposition quine puisse être contreditesoit en elle-mêmesoit danssa liaison avec celle qui la précède ou qui la suit.C'est un tout si précaire et dans les suppositions et dans lesconséquencesqu'on a souvent dédaigné de faireou les observations ou les expériences qu'on en concluait.
EXEMPLES
32.PREMIÈRES CONJECTURES 1. Il est un corps que l'on appellemôle. Ce corps singulier s'engendre dans la femmeetselon quelques-unssans le concours de l'homme. De quelque manièreque le mystère de la génération s'accomplisseil est certain que les deux sexes y coopèrent. La môlene serait-elle point un assemblageou de tous les élémentsqui émanent de la femme dans la production de l'hommeou detous les éléments qui émanent de l'homme dansses différentes approches de la femme ? Ces élémentsqui sont tranquilles dans l'hommerépandus et retenus danscertaines femmes d'un tempérament ardentd'une imaginationfortene pourraient-ils pas s'y échauffers'y exalteret yprendre de l'activité ? Ces éléments qui sonttranquilles dans la femme ne pourraient-ils pas y être mis enactionsoit par une présence sèche et stérileet des mouvements inféconds et purement voluptueux de l'hommesoit par la violence et la contrainte des désirs provoquésde la femme; sortir de leurs réservoirs se porter dans lamatrices'y arrêteret s'y combiner d'eux-mêmes ? Lamôle ne serait-elle point le résultat de cettecombinaison solitaire ou des éléments émanes dela femmeou des éléments fournis par l'homme ? Mais sila môle est le résultat d'une combinaison telle que jela supposecette combinaison aura ses lois aussi invariables quecelles de la génération. La môle aura donc uneorganisation constante. Prenons le scalpelouvrons des môleset voyons; peut-être même découvrirons-nous desmôles distinguées par quelques vestiges relatifs àla différence des sexes. Voilà ce que l'on peut appelerl'art de procéder de ce qu'on ne connaît point àce qu'on connaît moins encore. C'est cette habitude de déraisonque possèdent dans un degré surprenant ceux qui ontacquis ou qui tiennent de la nature le génie de la physiqueexpérimentale; c'est à ces sortes de rêves qu'ondoit plusieurs découvertes. Voilà l'espèce dedivination qu'il faut apprendre aux élèvessitoutefois cela s'apprend.
2. Mais sil'on vient à découvrir avec le temps que la môlene s'engendre jamais dans la femme sans la coopération del'hommevoici quelques conjectures nouvellesbeaucoup plusvraisemblables que les précédentesqu'on pourra formersur ce corps extraordinaire. Ce tissu de vaisseaux sanguins qu'onappelle le placenta estcomme on saitune calotte sphériqueune espèce de champignon qui adhère par sa partieconvexe à la matricependant tout le temps de la grossesse;auquel le cordon ombilical sert comme de tige; qui se détachede la matrice dans les douleurs de l'enfantement; et dont la surfaceest égalequand une femme est saine et que son accouchementest heureux. Les êtres n'étant jamais ni dans leurgénérationni dans leur conformationni dans leurusageque ce que les résistancesles lois du mouvement etl'ordre universel les déterminent à êtres'ilarrivait que cette calotte sphérique qui ne paraît tenirà la matrice que par application et contact s'en détachâtpeu à peu par ses bordsdes le commencement de la grossesseen sorte que les progrès de la séparation suivissentexactement ceux de l'accroissement du volumej'ai pensé queces bordslibres de toute attacheiraient toujours en s'approchantet en affectant la forme sphérique; que le cordon ombilicaltiré par deux forces contrairesL'une des bords séparéset convexes de la calotte qui tendrait à le raccourciretl'autre du poids du fétusqui tendrait à l'allongerserait beaucoup plus court que dans les cas ordinaires; qu'ilviendrait un moment où ces bords coïncideraients'uniraient entièrement et formeraient une espèced'oeufau centre duquel on trouverait un fétus bizarre dansson organisationcomme il l'a été dans sa productionoblitérécontraintétouffé; et que cetoeuf se nourrirait jusqu'à ce que sa pesanteur achevâtde détacher la petite partie de sa surface qui resteraitadhérentequ'il tombât isolé dans la matrice etqu'il en fût expulsé par une sorte de pontecommel'oeuf de la pouleavec lequel il a quelque analogie du moins par saforme. Si ces conjectures se vérifiaient dans une môleet qu'il fût cependant démontré que cette môles'est engendrée dans la femme sans aucune approche de l'hommeil s'ensuivrait évidemment que le fétus est tout formédans la femme et que l'action de l'homme ne concourt qu'audéveloppement.
33.SECONDES CONJECTURES. Supposé que la terre ait un noyau solidede verreainsi qu'un de nos plus grands philosophes le prétendet que ce noyau soit revêtu de poussière; on peutassurer qu'en conséquence des lois de la force centrifugequitend à approcher les corps libres de l'équateuret àdonner à la terre la forme d'un sphéroïde aplatiles couches de cette poussière doivent être moinsépaisses aux pôles que sous aucun autre parallèle;que peut-être le noyau est à nu aux deux extrémitésde l'axeet que c'est à cette particularité qu'il fautattribuer la direction de l'aiguille aimantéeet les auroresboréales qui ne sont probablement que des courants de matièreélectrique.
Il y agrande apparence que le magnétisme et l'électricitédépendent des mêmes causes. Pourquoi ne seraient-ce pasdes effets du mouvement de rotation du globe et de l'énergiedes matières dont il est composécombinée avecl'action de la lune ? Le flux et refluxles courantsles ventslalumièrele mouvement des particules libres du globepeut-être même celui de toute sa croûte entièresur son noyauetc.opèrent d'une infinité de manièresun frottement continuel; !'effet des causes qui agissent sensiblementet sans cesse forme à la suite des siècles un produitconsidérable; le noyau du globe est une masse de verre; sasurface n'est couverte que de détriments de verrede sableset de matières vitrifiables; le verre est de toutes lessubstances celle qui donne le plus d'électricité par lefrottement: pourquoi la masse totale de l'électricitéterrestre ne serait-elle pas le résultat de tous lesfrottements opéréssoit à la surface de laterresoit à celle de son noyau ? Mais de cette causegénéraleil est à présumer qu'ondéduirapar quelques tentativesune cause particulièrequi constituera entre deux grands phénomènesje veuxdire la position de l'aurore boréale et la direction del'aiguille aimantéeune liaison semblable à celle donton a constaté l'existence entre le magnétisme etl'électricitéen aimantant des aiguillessans aimantet par le seul moyen de l'électricité. On peut avouerou contredire ces notionsparce qu'elles n'ont encore de réalitéque dans mon entendement. C'est aux expériences à leurdonner plus de soliditéet c'est au physicien à enimaginer qui séparent les phénomènesou quiachèvent de les identifier.
34.TROISIÈMES CONJECTURES. La matière électriquerépand dans les lieux où l'on électrise uneodeur sulfureuse sensible; sur cette qualitéles chimistesn'étaient-ils pas autorisés à s'en emparer ?Pourquoi n'ont-ils pas essayépar tous les moyens qu'ils onten maindes fluides chargés de la plus grande quantitépossible de matière électrique ? On ne sait seulementpas encore si l'eau électrisée dissout plus ou moinspromptement le sucre que l'eau simple Le feu de nos fourneauxaugmente considérablement le poids de certaines matièrestelles que le plomb calciné; si le feu de l'électricitéconstamment appliqué sur ce métal en calcinationaugmentait encore cet effetn'en résulterait-il pas unenouvelle analogie entre le feu électrique et le feu commun ?On a essayé si ce feu extraordinaire ne porterait pointquelque vertu dans les remèdeset ne rendrait point unesubstance plus efficaceun topique plus actif; mais n'a-t-on pasabandonné trop tôt ces essais ? Pourquoi l'électriciténe modifierait-elle pas la formation des cristaux et leurspropriétés? Combien de conjectures à formerd'imaginationet à confirmer ou détruire parl'expérience! Voyez l'article suivant.
35.QUATRIÈMES CONJECTURES. La plupart des météoresles feux folletsles exhalaisonsles étoiles tombanteslesphosphores naturels et artificielsles bois pourris et lumineuxont-ils d'autres causes que
L'électricité? Pourquoi ne fait-on pas sur ces phosphores les expériencesnécessaires pour s'en assurer ? Pourquoi ne pense-t-on pas àreconnaître si l'aircomme le verren'est pas un corpsélectrique par lui-mêmec'est-à- dire un corpsqui n'a besoin que d'être frotté et battu pours'électriser ? Qui sait si l'air chargé de matièresulfureuse ne se trouverait pas plus ou moins électrique quel'air pur ? Si l'on fait tourner avec une grande rapiditédans l'airune verge de métal qui lui oppose beaucoup desurfaceon découvrira si l'air est électriqueet ceque la verge en aura reçu d'électricité. Sipendant l'expérienceon brûle du soufre et d'autresmatièreson reconnaîtra celles qui augmenteront etcelles qui diminueront la qualité électrique de l'air.Peut-être l'air froid des pôles est-il plus susceptibled'électricité que l'air chaud de l'équateur; etcomme la glace est électrique et que l'eau ne l'est pointquisait si ce n'est pas à l'énorme quantité de cesglaces éternellesamassées vers les pôlesetpeut-être mues sur le noyau de verre plus découvert auxpôles qu'ailleursqu'il faut attribuer les phénomènesde la direction de l'aiguille et de l'apparition des aurores boréalesqui semblent dépendre également de l'électricitécomme nous l'avons insinué dans nos conjectures secondes ?L'observation a rencontré un des ressorts les plus générauxet les plus puissants de la nature; c'est à l'expérienceà en découvrir les effets.
36.CINQUIÈMES CONJECTURES. 1. Si une corde d'instrument esttendueet qu'un obstacle léger la divise en deux partiesinégalesde manière qu'il n'empêche point lacommunication des vibrations de l'une des parties à l'autreon sait que cet obstacle détermine la plus grande à sediviser en portions vibrantestelles que les deux parties de lacorde rendent un unissonet que les portions vibrantes de la plusgrande sont comprises chacune entre deux points immobiles. Larésonance du corps n'étant point la cause de ladivision de la plus grandemais l'unisson des deux parties étantseulement un effet de cette divisionj'ai pensé quesi onsubstituait à la corde d'instrument une verge de métalet qu'on la frappât violemmentil se formerait sur sa longueurdes ventres et des noeuds; qu'il en serait de même de toutcorps élastique sonore ou non; que ce phénomènequ'on croit particulier aux cordes vibrantesa lieu d'une manièreplus ou moins forte dans toute percussion; qu'il tient aux loisgénérales de la communication du mouvement; qu'il y adans les corps choquésdes parties oscillantes infinimentpetiteset des noeuds ou points immobiles infiniment proches; queces parties oscillantes et ces noeuds sont les causes du frémissementque nous éprouvons par la sensation du toucher dans les corpsaprès le choctantôt sans qu'il y ait de translationlocaletantôt après que la translation locale a cessé;que cette supposition est conforme à la nature du frémissementqui n'est pas de toute la surface touchée à toute lasurface de la partie sensible qui touchemais d'une infinitéde points répandus sur la surface du corps touchévibrant confusément entre une infinité de pointsimmobiles; qu'apparemment dans les corps continus élastiquesla force d'inertie distribuée uniformément dans lamasse fait en un point quelconque la fonction d'un petit obstaclerelativement à un autre point; qu'en supposant la partiefrappée d'une corde vibrante infiniment petiteetconséquemment les ventres infiniment petitset les noeudsinfiniment prèson a selon une direction et pour ainsi diresur une seule ligne une image de ce qui s'exécute en tout sensdans un solide choqué par un autre; quepuisque la longueurde la partie interceptée de la corde vibrante étantdonnéeil n'y a aucune cause qui puisse multiplier surl'autre partie le nombre des points immobiles; quepuisque ce nombreest le mêmequelle que soit la force du coup; et quepuisqu'il n'y a que la vitesse des oscillations qui varie dans lechoc des corpsle frémissement sera plus ou moins violentmais que le rapport en nombre des points vibrants aux pointsimmobiles sera le même; et que la quantité de matièreen repos dans ces corps sera constantequelles que soient la forcedu chocla densité du corpsla cohésion des parties.Le géomètre n'a donc plus qu'à étendre lecalcul de la corde vibrante au prismeà la sphèreaucylindrepour trouver la loi générale de ladistribution du mouvement dans un corps choqué; loi qu'onétait bien éloigne de rechercher jusqu'àprésentpuisqu'on ne pensait pas même àl'existence du phénomèneet qu'on supposait aucontraire la distribution du mouvement uniforme dans toute la massequoiquedans le chocle frémissement indiquâtpar lavoie de la sensationla réalité de points vibrantsrépandus entre des points immobiles; je dis dans le choccar il est vraisemblable quedans les communications de mouvement oùle choc n'a aucun lieuun corps est lancé comme le serait lamolécule la plus petiteet que le mouvement est uniformémentde toute la masse à la fois. Aussi le frémissementest-il nul dans tous ces cas; ce qui achève d'en distinguer lecas du choc.
2. Par leprincipe de la décomposition des forceson peut toujoursréduire à une seule force toutes celles qui agissentsur un corps: si la quantité et la direction de la force quiagit sur le corps sont donnéeset qu'on cherche àdéterminer le mouvement qui en résulteon trouve quele corps va en avantcomme si la force passait par le centre degravitéet qu'il tourne de plus autour du centre de gravitécomme si ce centre était fixe et que la force agîtautour de ce centre comme
autourd'un point d'appui. Doncsi deux molécules s'attirentréciproquementelles se disposeront l'une par rapport àl'autreselon les lois de leurs attractionsleurs figuresetc. Sice système de deux molécules en attire une troisièmedont il soit réciproquement attiréces trois moléculesse disposeront les unes par rapport aux autresselon les lois deleurs attractionsleurs figuresetc.et ainsi de suite des autressystèmes et des autres molécules. Elles formeronttoutes un système Adans lequelsoit qu'elles se touchent ounonsoit qu'elles se meuvent ou soient en reposelles résisterontà une force qui tendrait à troubler leur coordinationet tendront toujourssoit à se restituer dans leur premierordresi la force perturbatrice vient à cessersoit àse coordonner relativement aux lois de leurs attractionsàleurs figuresetc.et à l'action de la force perturbatricesi elle continue d'agir. Ce système A est ce que j'appelle uncorps élastique. En ce sens général et abstraitle système planétaireL'univers n'est qu'un corpsélastique: le chaos est une impossibilité; car il estun ordre essentiellement conséquent aux qualitésprimitives de la matière.
3. Si l'onconsidère le système A dans le videil seraindestructibleimperturbableéternel; si l'on en suppose lesparties dispersées dans l'immensité de l'espacecommeles qualitéstelles que l'attractionse propagent àl'infinilorsque rien ne resserre la sphère de leur actionces parties dont les figures n'auront point variéet quiseront animées des mêmes forcesse coordonnerontderechef comme elles étaient coordonnéesetreformeront dans quelque point de l'espace et dans quelque instant dela durée un corps élastique.
4. Il n'ensera pas ainsisi l'on suppose le système A dans l'univers;les effets n'y sont pas moins nécessairesmais une action descausesdéterminément telley est quelquefoisimpossibleet le nombre de celles qui se combinent est toujours sigrand dans le système général ou corps élastiqueuniverselqu'on ne sait ce qu'étaient originairement lessystèmes ou corps élastiques particuliersni ce qu'ilsdeviendront. Sans prétendre donc que l'attraction constituedans le plein la dureté et l'élasticitétellesque nous les y remarquonsn'est-il pas évident que cettepropriété de la matière suffit seule pour lesconstituer dans le videet donner lieu a la raréfactionàla condensation et à tous les phénomènes qui endépendent ? Pourquoi donc ne serait-elle pas la cause premièrede ces phénomènes dans notre système généraloù une infinité de causes qui la modifieraient feraientvarier à l'infini la quantité de ces phénomènesdans les systèmes ou corps élastiques particuliers ?Ainsi un corps élastique plié ne se rompra que quand lacause qui en rapproche les parties en un sens les aura tellementécartées dans le sens contrairequ'elles n'auront plusd'action sensible les unes sur les autres par leurs attractionsréciproques; un corps élastique choqué nes'éclatera que quand plusieurs de ses moléculesvibrantes auront été portéesdans leur premièreoscillationà une distance des molécules immobilesentre lesquelles elles sont répandues telle qu'elles n'aurontplus d'action sensible les unes sur les autres par leurs attractionsréciproques. Si la violence du choc était assez grandepour que les molécules vibrantes fussent toutes portéesau-delà de la sphère de leur attraction sensiblelecorps serait réduit dans ses éléments. Maisentre cette collision la plus forte qu'un corps puisse éprouveret la collision qui n'occasionnerait que le frémissement leplus faibleil y en a uneou réelle ou intelligibleparlaquelle tous les éléments du corps séparéscesseraient de se toucher sans que leur système fûtdétruitet sans que leur coordination cessât. Nousabandonnerons au lecteur l'application des mêmes principes àla condensationà la raréfactionetc. Nous feronsseulement encore observer ici la différence de lacommunication du mouvement par le chocet de la communication dumouvement sans le choc. La translation d'un corps sans le choc étantuniformément de toutes ses parties à la foisquelleque soit la quantité du mouvement communiquée par cettevoiefût-elle infiniele corps ne sera point détruit;il restera entier jusqu'à ce qu'un chocfaisant oscillerquelques-unes de ses parties entre d'autres qui demeurent immobilesle ventre des premières oscillations ait une telle amplitudeque les parties oscillantes ne puissent plus revenir à leurplaceni rentrer dans la coordination systématique.
5. Tout cequi précède ne concerne proprement que les corpsélastiques simplesou les systèmes de particules demême matièrede même figureanimées d'unemême quantité et mues selon une même loid'attraction. Mais si toutes ces qualités sont variablesilen résultera une infinité de corps élastiquesmixtes. J'entends par un corps élastique mixteun systèmecomposé de deux ou plusieurs systèmes de matièresdifférentesde différentes figuresanimées dedifférentes quantités et peut-être mêmemues selon des lois différentes d'attractiondont lesparticules sont coordonnées les unes entre les autrespar uneloi qui est commune à touteset qu'on peut regarder comme leproduit de leurs actions réciproques. Si l'on parvient parquelques opérations à simplifier le systèmecomposéen en chassant toutes les particules d'une espècede matière coordonnéeou à le composerdavantageen y introduisant une matière nouvelle dont lesparticules se coordonnent entre celles du système et changentla loi commune à toutes; la duretéL'élasticitéla compressibilitéla rarescibilité et les autresaffections qui dépendentdans le système composéde la différente coordination des particulesaugmenteront oudiminuerontetc. Le plomb qui n'a presque point de dureté nid'élasticité diminue encore en dureté etaugmente en élasticitési on le met en fusionc'est-à-diresi on coordonne entre le système composédes molécules qui le constituent plomb un autre systèmecomposé de molécules d'airde feuetc.qui leconstituent plomb fondu.
6. Ilserait très aisé d'appliquer ces idées àune infinité d'autres phénomènes semblablesetd'en composer un traité fort étendu. Le point le plusdifficile à découvrirce serait par quel mécanismeles parties d'un systèmequand elles se coordonnent entre lesparties d'un autre systèmele simplifient quelquefoisen enchassant un système d'autres parties coordonnéescommeil arrive dans certaines opérations chimiques. Des attractionsselon des lois différentes ne paraissent pas suffire pour cephénomène; et il est dur d'admettre des qualitésrépulsives. Voici comment on pourrait s'en passer. Soit unsystème A composé des systèmes B et C dont lesmolécules sont coordonnées les unes entre les autresselon quelque loi commune à toutes. Si l'on introduit dans lesystème composé A un autre système Dilarrivera de deux choses l'une: ou que les particules du systèmeD se coordonneront entre les parties du système A sans qu'il yait de choc; etdans ce casle système A sera composédes systèmes BCD; ou que la coordination des particules dusystème D entre les particules du système A seraaccompagnée de choc. Si le choc est tel que les particuleschoquées ne soient point portées dans leur premièreoscillation au-delà de la sphère infiniment petite deleur attractionil y auradans le premier momenttrouble oumultitude infinie de petites oscillations. Mais ce trouble cesserabientôt; les particules se coordonnerontet il résulterade leur coordination un système A composé des systèmesBCD. Si les parties du système Bou celles du systèmeCou les unes et les autres sont choquées dans le premierinstant de la coordinationet portées au-delà de lasphère de leur attraction par les parties du système Delles seront séparées de la coordination systématiquepour n'y plus reveniret le système A sera un systèmecomposé des systèmes B et Dou des systèmes Cet D; ou ce sera un système simple des seules particulescoordonnées du système D; et ces phénomèness'exécuteront avec des circonstances qui ajouteront beaucoup ala vraisemblance de ces idéesou qui peut-être ladétruiront entièrement. Au restej'y suisarrivé en partant du frémissement d'un corpsélastique choqué. La séparation ne serajamais spontanée où il y aura coordination; ellepourra l'être où il n'y aura que composition. Lacoordination est encore un principe d'uniformitémême dans un tout hétérogène.
37.SIXIÈMES CONJECTURES. Les productions de I art serontcommunesimparfaites et faiblestant qu'on ne se proposera pas uneimitation plus rigoureuse de la nature. La nature est opiniâtreet lente dans ses opérations. S'agit-il d'éloignerderapprocherd'unirde diviserd'amollirde condenserde durcirde liquéfierde dissoudred'assimilerelle s'avance àson but par les degrés les plus insensibles. L'art aucontraire se hâtese fatigue et se relâche. La natureemploie des siècles à préparer grossièrementles métaux; L'art se propose de les perfectionner en un jour.La nature emploie des siècles à former les pierresprécieuses; L'art prétend les contrefaire en un moment.Quand on posséderait le véritable moyence ne seraitpas assez; il faudrait encore savoir l'appliquer. On est dansl'erreursi l'on s'imagine quele produit de l'intensité del'action multipliée par le temps de l'application étantle mêmele résultat sera le même. Il n'y a qu'uneapplication graduéelente et continuequi transforme. Touteautre application n'est que destructive. Que ne tirerions-nous pas dumélange de certaines substances dont nous n'obtenons que descomposés très imparfaitssi nous procédionsd'une manière analogue à celle de la nature. Mais onest toujours pressé de jouir; on veut voir la fin de ce qu'ona commencé. De là tant de tentatives infructueuses;tant de dépenses et de peines perdues; tant de travaux que lanature suggère et que l'art n'entreprendra jamaisparce quele succès en paraît éloigné. Qui est-cequi est sorti des grottes d'Arcysans être convaincu par lavitesse avec laquelle les stalactites s'y forment et s'y réparentque ces grottes se rempliront un jour et ne formeront plus qu'unsolide immense ? Où est le naturaliste qui réfléchissantsur ce phénomène n'ait pas conjecturé qu'endéterminant des eaux à se filtrer peu à peu àtravers des terres et des rochersdont les stillations seraientreçues dans des cavernes spacieuseson ne parvînt avecle temps à en former des carrières artificiellesd'albâtrede marbre et d'autres pierres dont les qualitésvarieraient selon la nature des terresdes eaux et des rochers ?Mais à quoi servent ces vues sans le couragela patienceletravailles dépensesle tempset surtout ce goûtantique pour les grandes entreprises dont il subsiste encore tant demonuments qui n'obtiennent de nous qu'une admiration froide etstérile ?
38.SEPTIÈMES CONJECTURES. On a tenté tant de fois sanssuccès de convertir nos fers en un acier qui égalâtcelui d'Angleterre et d'Allemagne et qu'on pût employer àla fabrication des ouvrages délicats. J'ignore quels procédéson a suivis; mais il m'a semblé qu'on eût étéconduit à cette découverte importante par l'imitationet la perfection d'une manoeuvre très commune dans lesateliers des ouvriers en fer. On l'appelle trempe en paquet.Pour tremper en paqueton prend de la suie la plus dure; on la pile;on la délaie avec de l'urine; on y ajoute de l'ail broyéde la savate déchiquetée et du sel commun; on a uneboîte de fer; on en couvre le fond d'un lit de ce mélange;on place sur ce lit un lit de différentes piècesd'ouvrages en fer; sur ce litun lit de mélange; et ainsi desuitejusqu'à ce que la boîte soit pleine; on la fermede son couvercle; on l'enduit exactement à l'extérieurd'un mélange de terre grasse bien battuede bourre et defiente de cheval; on la place au centre d'un tas de charbonproportionné à son volume; on allume le charbon; onlaisse aller le feuon l'entretient seulement; on a un vaisseauplein d'eau fraîche; trois ou quatre heures après qu'ona mis la boîte au feuon l'en tire; on l'ouvre; on fait tomberles pièces qu'elle renferme dans l'eau fraîche qu'onremue à mesure que les pièces tombent. Ces piècessont trempées en paquet; et si l'on en casse quelques-unesonen trouvera la surface convertie en un acier très dur et d'ungrain très finà une petite profondeur. Cette surfaceen prend un poli plus éclatant et en garde mieux les formesqu'on lui a données à la lime. N'est-il pas àprésumer quesi l'on exposaitstratum super stratumà l'action du feu et des matières employées dansla trempe en paquetdu fer bien choisibien travailléréduit en feuilles mincestelles que celles de la tôleou en verges très menueset précipite au sortir dufourneau d'aciérage dans un courant d'eaux propres àcette opérationil se convertirait en acier ? si surtout onconfiait le soin des premières expériences à deshommes quiaccoutumés depuis longtemps à employer leferà connaître ses qualités et àremédier à ses défautsne manqueraient pas desimplifier les manoeuvreset de trouver des matières pluspropres à l'opération.
39. Cequ'on montre de physique expérimentale dans des leçonspubliques suffit-il pour procurer cette espèce de délirephilosophique ? je n'en crois rien. Nos faiseurs de coursd'expériences ressemblent un peu à celui qui penseraitavoir donné un grand repas parce qu'il aurait eu beaucoup demonde à sa table. Il faudrait donc s'attacher principalement airriter l'appétitafin que plusieursemportés par ledésir de le satisfairepassassent de la condition dedisciples à celle d'amateurset de celle-ci à laprofession de philosophes. Loin de tout homme public ces réservessi opposées aux progrès des sciences ! Il faut révéleret la chose et le moyen. Que je trouve les premiers hommes quidécouvrirent les nouveaux calculsgrands dans leur invention! que je les trouve petits dans le mystère qu'ils en firent !Si Newton se fût hâté de parlercomme l'intérêtde sa gloire et de la vérité le demandaitLeibniz nepartagerait pas avec lui le nom d'inventeur. L'Allemand imaginaitl'instrumenttandis que l'Anglais se complaisait à étonnerles savants par les applications surprenantes qu'il en faisait. Enmathématiquesen physiquele plus sûr est d'entrerd'abord en possessionen produisant ses titres au public. Au restequand je demande la révélation du moyenj'entends decelui par lequel on a réussi; on ne peut être tropsuccinct sur ceux qui n'ont point eu de succès.
40. Cen'est pas assez de révéler; il faut encore que larévélation soit entière et claire. Il est unesorte d'obscurité que l'on pourrait définirl'affectation des grands maîtres. C'est un voile qu'ilsse plaisent à tirer entre le peuple et la nature. Sans lerespect qu'on doit aux noms célèbresje dirais quetelle est l'obscurité qui règne dans quelques ouvragesde Stahl et dans les Principes mathématiques de Newton.Ces livres ne demandaient qu'à être entendus pour êtreestimés ce qu'ils valentet il n'en eût pas coûtéplus d'un mois à leurs auteurs pour les rendre clairs; ce moiseût épargné trois ans de travail et d'épuisementà mille bons esprits. Voila donc à peu prèstrois mille ans de perdus pour autre chose. Hâtons-nous derendre la philosophie populaire. Si nous voulons que les philosophesmarchent en avantapprochons le peuple du point où en sontles philosophes. Diront-ils qu'il est des ouvrages qu'on ne mettrajamais à la portée du commun des esprits ? S'ils ledisentils montreront seulement qu'ils ignorent ce que peuvent labonne méthode et la longue habitude.
S'il étaitpermis à quelques auteurs d'être obscursdût-onm'accuser de faire ici mon apologiej'oserais dire que c'est auxseuls métaphysiciens proprement dits. Les grandes abstractionsne comportent qu'une lueur sombre. L'acte de la généralisationtend à dépouiller les concepts de tout ce qu'ils ont desensible. A mesure que cet acte s'avanceles spectres corporelss'évanouissent; les notions se retirent peu à peu del'imagination vers l'entendement; et les idées deviennentpurement intellectuelles. Alors le philosophe spéculatifressemble à celui qui regarde du haut de ces montagnes dontles sommets se perdent dans les nues: les objets de la plaine ontdisparu devant lui; il ne lui reste plus que le spectacle de sespenséeset que la conscience de la hauteur à laquelleil s'est élevéet où il n'est peut-êtrepas donné à tous de le suivre et de respirer.
41. Lanature n'a-t-elle pas assez de son voilesans le doubler encore decelui du mystère ? n'est-ce pas assez des difficultésde l'art ? Ouvrez l'ouvrage de Franklin; feuilletez les livres deschimisteset vous verrez combien l'art expérimental exige devuesd'imaginationde sagacitéde ressources: lisez-lesattentivementparce que s'il est possible d'apprendre en combien demanières une expérience se retournec'est làque vous l'apprendrez. Siau défaut de génievousavez besoin d'un moyen technique qui vous dirigeayez sous les yeuxune table des qualités qu'on a reconnues jusqu'àprésent dans la matière; voyez entre ces qualitéscelles qui peuvent convenir à la substance que vous voulezmettre en expérienceassurez-vous qu'elles y sont; tâchezensuite d'en connaître la quantité; cette quantitése mesurera presque toujours par un instrument oùl'application uniforme d'une partie analogue à la substancepourra se fairesans interruption et sans restejusqu'àl'entière exhaustion de la qualité. Quant àl'existenceelle ne se constatera que par des moyens qui ne sesuggèrent pas. Mais si l'on n'apprend point comment il fautchercherc'est quelque chose du moins que de savoir ce qu'oncherche. Au reste ceux qui seront forcés de s'avouer àeux-mêmes leur stérilitésoit par uneimpossibilité bien éprouvée de rien découvrirsoit par une envie secrète qu'ils porteront aux découvertesdes autresle chagrin involontaire qu'ils en ressentirontet lespetites manoeuvres qu'ils mettraient volontiers en usage pour enpartager l'honneurceux-là feront bien d'abandonner unescience qu'ils cultivent sans avantage pour elleet sans gloire poureux.
42. Quandon a formé dans sa tête un de ces systèmes quidemandent à être vérifiés parl'expérienceil ne faut ni s'y attacher opiniâtrementni l'abandonner avec légèreté. On pensequelquefois de ses conjectures qu'elles sont faussesquand on n'apas pris les mesures convenables pour les trouver vraies.L'opiniâtreté a même ici moins d'inconvénientque l'excès opposé. A force de multiplier les essaissi l'on ne rencontre pas ce que l'on chercheil peut arriver qu'onrencontre mieux. Jamais le temps qu'on emploie à interroger lanature n'est entièrement perdu. Il faut mesurer sa constancesur le degré de l'analogie. Les idées absolumentbizarres ne méritent qu'un premier essai. Il faut accorderquelque chose de plus à celles qui ont de la vraisemblanceetne renoncer que quand on est épuisé à celles quipromettent une découverte importante. Il semble qu'on n'aitguère besoin de préceptes là- dessus. Ons'attache naturellement aux recherches à proportion del'intérêt qu'on y prend.
43. Commeles systèmes dont il s'agit ne sont appuyés que sur desidées vaguesdes soupçons légersdes analogiestrompeuseset mêmepuisqu'il faut le diresur des chimèresque l'esprit échauffé prend facilement pour des vuesil n'en faut abandonner aucun sans auparavant l'avoir fait passer parl'épreuve de l'inversion. En philosophie purementrationnellela vérité est assez souvent l'extrêmeopposé de l'erreur; de même en philosophieexpérimentalece ne sera pas l'expérience qu'on auratentéece sera son contraire qui produira le phénomènequ'on attendait. Il faut regarder principalement aux deux pointsdiamétralement opposés. Ainsi dans la seconde de nosrêveriesaprès avoir couvert l'équateur du globeélectrique et découvert les pôlesil faudracouvrir les pôles et laisser l'équateur àdécouvert; et comme il importe de mettre le plus deressemblance qu'il est possible entre le globe expérimental etle globe naturel qu'il représentele choix de la matièredont on couvrira les pôles ne sera pas indifférent.Peut- être faudrait-il y pratiquer des amas d'un fluidece quin'a rien d'impossible dans l'exécutionet ce qui pourraitdonner dans l'expérience quelque nouveau phénomèneextraordinaireet différent de celui qu'on se proposed'imiter.
44. Lesexpériences doivent être répétéespour le détail des circonstances et pour la connaissance deslimites. Il faut les transporter à des objets différentsles compliquerles combiner de toutes les manières possibles.Tant que les expériences sont éparsesisoléessans liaisonirréductiblesil est démontrépar l'irréduction mêmequ'il en reste encore àfaire. Alors il faut s'attacher uniquement à son objetet letourmenterpour ainsi direjusqu'à ce qu'on ait tellementenchaîné les phénomènesqu'un d'eux étantdonnétous les autres le soient: travaillons d'abord àla réduction des effets; nous songerons après àla réduction des causes. Or les effets ne se réduirontjamais qu'à force de les multiplier. Le grand art dans lesmoyens qu'on emploie pour exprimer d'une cause tout ce qu'elle peutdonnerc'est de bien discerner ceux dont on est en droit d'attendreun phénomène nouveaude ceux qui ne produiront qu'unphénomène travesti. S'occuper sans fin de cesmétamorphosesc'est se fatiguer beaucoup et ne point avancer.Toute expérience qui n'étend pas la loi àquelque cas nouveauou qui ne la restreint pas par quelqueexceptionne signifie rien. Le moyen le plus court de connaîtrela valeur de son essaic'est d'en faire l'antécédentd'un enthymèmeet d'examiner le conséquent. Laconséquence est-elle exactement la même que celle quel'on a déjà tirée d'un autre essai ? on n'a riendécouverton a tout au plus confirmé une découverte.Il y a peu de gros livres de physique expérimentale que cetterègle si simple ne réduisît à un petitnombre de pages; et il est un grand nombre de petits livres qu'elleréduirait à rien.
45. Demême qu'en mathématiquesen examinant toutes lespropriétés d'une courbeon trouve que ce n'est que lamême propriété présentée sous desfaces différentesdans la natureon reconnaîtralorsque la physique expérimentale sera plus avancéeque tous les phénomènesou de la pesanteurou del'élasticitéou de l'attractionou du magnétismeou de l'électriciténe sont que des faces différentesde la même affection. Mais entre les phénomènesconnus que l'on rapporte à l'une de ces causescombien ya-t-il de phénomènes intermédiaires a trouverpour former les liaisonsremplir les vides et démontrerl'identité ? c'est ce qui ne peut se déterminer. Il y apeut-être un phénomène central qui jetterait desrayons non seulement à ceux qu'on amais encore à tousceux que le temps ferait découvrirqui les unirait et qui enformerait un système. Mais au défaut de ce centre decorrespondance communeils demeureront isolés; toutes lesdécouvertes de la physique expérimentale ne feront queles rapprocher en s'interposantsans jamais les réunir; etquand elles parviendraient à les réunirelles enformeraient un cercle continu de phénomènes oùl'on ne pourrait discerner quel serait le premier et quel serait ledernier. Ce cas singulier où la physique expérimentaleà force de travailaurait formé un labyrinthe danslequel la physique rationnelleégarée et perduetournerait sans cessen'est pas impossible dans la naturecomme ill'est en mathématiques. On trouve toujours en mathématiquesou par la synthèse ou par l'analyseles propositionsintermédiaires qui séparent la propriétéfondamentale d'une courbe de sa propriété la pluséloignée.
46. Il y ades phénomènes trompeurs qui semblentau premier coupd'oeilrenverser un systèmeet quimieux connusachèveraient de le confirmer. Ces phénomènesdeviennent le supplice du philosophesurtout lorsqu'il a lepressentiment que la nature lui en impose et qu'elle se dérobeà ses conjectures par quelque mécanisme extraordinaireet secret. Ce cas embarrassant aura lieu toutes les fois qu'unphénomène sera le résultat de plusieurs causesconspirantes ou opposées. Si elles conspirenton trouvera laquantité du phénomène trop grande pourl'hypothèse qu'on aura faite; si elles sont opposéescette quantité sera trop petite. Quelquefois même elledeviendra nulleet le phénomène disparaîtrasans qu'on sache à quoi attribuer ce silence capricieux de lanature. Vient-on à en soupçonner la raison ? on n'enest guère plus avancé. Il faut travailler à laséparation des causesdécomposer le résultat deleurs actions et réduire un phénomène trèscompliqué à un phénomène simple; ou dumoins manifester la complication des causesleur concours ou leuroppositionpar quelque expérience nouvelle; opérationsouvent délicatequelquefois impossible. Alors le systèmechancelle; les philosophes se partagent; les uns lui demeurentattachés; les autres sont entraînés parl'expérience qui paraît le contredire; et l'on disputejusqu'à ce que la sagacitéou le hasardqui ne serepose jamaisplus fécond que la sagacitélèvela contradiction et remette en honneur des idées qu'on avaitpresque abandonnées.
47. Ilfaut laisser l'expérience à sa liberté; c'est latenir captive que de n'en montrer que le côte qui prouve et qued'en voiler le côté qui contredit. C'est l'inconvénientqu'il y anon pas à avoir des idéesmais às'en laisser aveuglerlorsqu'on tente une expérience. Onn'est sévère dans son examenque quand le résultatest contraire au système Alors on n'oublie rien de ce qui peutfaire changer de face au phénomèneou de langage àla nature. Dans le cas opposéL'observateur est indulgent; ilglisse sur les circonstances; il ne songe guère àproposer des objections à la nature; il l'en croit sur sonpremier mot; il n'y soupçonne point d'équivoqueet ilmériterait qu'on lui dît: « Ton métier estd'interroger la natureet tu la fais mentirou tu crains de lafaire expliquer. »
48. Quandon suit une mauvaise routeplus on marche viteplus on s'égare;et le moyen de revenir sur ses pasquand on a parcouru un espaceimmense ? L'épuisement des forces ne le permet pas; la vanités'y oppose sans qu'on s'en aperçoive; L'entêtement desprincipes répand sur tout ce qui environne un prestige quidéfigure les objets. On ne les voit plus comme ils sontmaiscomme il conviendrait qu'ils fussent. Au lieu de réformer sesnotions sur les êtresil semble qu'on prenne à tâchede modeler les êtres sur ses notions. Entre tous lesphilosophesil n'y en a point en qui cette fureur domine plusévidemment que dans les méthodistes. Aussitôtqu'un méthodiste a mis dans son système l'homme àla tête des quadrupèdesil ne l'aperçoit plusdans la nature que comme un animal à quatre pieds. C'est envain que la raison sublime dont il est doué se récriecontre la dénomination d'animal et que sonorganisation contredit celle de quadrupède; c'est envain que la nature a tourné ses regards vers le ciel: laprévention systématique lui courbe le corps vers laterre. La raison n'estsuivant ellequ'un instinct plus parfait;elle croit sérieusement que ce n'est que par défautd'habitude que l'homme perd l'usage de ses jambesquand il s'avisede transformer ses mains en deux pieds.
49. Maisc'est une chose trop singulière que la dialectique de quelquesméthodistespour n'en pas donner un échantillon.L'hommedit Linnaeus (Fauna Suecica préf.)n'est niune pierreni une plante; c'est donc un animal. Il n'a pas un seulpied; ce n'est donc pas un ver. Ce n'est pas un insectepuisqu'iln'a point d'antennes. Il n'a point de nageoires; ce n'est donc pas unpoisson. Ce n'est pas un oiseaupuisqu'il n'a point de plumes.Qu'est-ce donc que l'homme ? il a la bouche du quadrupède. Ila quatre pieds; les deux de devant lui servent àl'attouchementles deux de derrière au marcher. C'est donc unquadrupède. « Il est vrai; continue le méthodistequ'en conséquence de mes principes d'histoire naturellejen'ai jamais su distinguer l'homme du singe; car il y a certainssinges qui ont moins de poils que certains hommes; ces singesmarchent sur deux piedset ils se servent de leurs pieds et de leursmains comme les hommes. D'ailleurs la parole n'est point pour moi uncaractère distinctif; je n'admetsselon ma méthodeque des caractères qui dépendent du nombrede lafigurede la proportion et de la situation. » Donc votreméthode est mauvaisedit la logique. « Donc l'homme estun animal à quatre pieds »dit le naturaliste.
50. Pourébranler une hypothèseil ne faut quelquefois que lapousser aussi loin qu'elle peut aller. Nous allons faire l'essai dece moyen sur celle du docteur d'Erlangdont l'ouvrageremplid'idées singulières et neuvesdonnera bien de latorture à nos philosophes. Son objet est le plus grand quel'intelligence humaine puisse se proposer; c'est le systèmeuniversel de la nature. L'auteur commence par exposer rapidement lessentiments de ceux qui l'ont précédéetl'insuffisance de leurs principes pour le développementgénéral des phénomènes. Les uns n'ontdemandé que l'étendue et le mouvement. D'autresont cru devoir ajouter à l'étendue l'impénétrabilitéla mobilité et l'inertie. L'observation des corpscélestesou plus généralement la physique desgrands corpsa démontré la nécessitéd'une force par laquelle toutes les parties tendissent ou pesassentles unes vers les autres selon une certaine loi; et l'on a admisl'attraction en raison simple de la masseet en raisonréciproque du carré de la distance. Les opérationsles plus simples de la chimieou la physique élémentairedes petits corps a fait recourir à des attractions quisuivent d'autres lois; et l'impossibilité d'expliquer laformation d'une plante ou d'un animalavec les attractionsL'inertiela mobilitéL'impénétrabilitéle mouvementla matière ou l'étenduea conduit lephilosophe Baumann à supposer encore d'autres propriétésdans la nature. Mécontent des natures plastiques àqui l'on fait exécuter toutes les merveilles de la nature sansmatière et sans intelligence; des substances intelligentessubalternes qui agissent sur la matière d'une manièreinintelligible; de la simultanéité de la créationet de la formation des substancesquicontenues les unes dansles autresse développent dans le temps par la continuationd'un premier miracle; et de l'extemporanéité de leurproduction qui n'est qu'un enchaînement de miraclesréitérés à chaque instant de la durée;il a pensé que tous ces systèmes peu philosophiquesn'auraient point eu lieusans la crainte mal fondéed'attribuer des modifications très connues a un êtredont l'essence nous étant inconnuepeut être par cetteraison même et malgré notre préjugé trèscompatible avec ces modifications. Mais quel est cet être ?quelles sont ces modifications ? Le dirai-je ? Sans douterépondle docteur Baumann. L'être corporel est cet être; cesmodifications sont le désirl'aversionla mémoireet l'intelligence; en un mottoutes les qualités que nousreconnaissons dans les animauxque les Anciens comprenaient sous lenom d'âme sensitive et que le docteur Baumann admetproportion gardée des formes et des massesdans la particulela plus petite de matière comme dans le plus gros animal. S'ily avaitdit-ildu péril à accorder aux moléculesde la matière quelques degrés d'intelligencece périlserait aussi grand à les supposer dans un éléphantou dans un singequ'à les reconnaître dans un grain desable. Ici le philosophe de l'académie d'Erlang emploie lesderniers efforts pour écarter de lui tout soupçond'athéisme; et il est évident qu'il ne soutient sonhypothèse avec quelque chaleur que parce qu'elle lui paraîtsatisfaire aux phénomènes les plus difficilessans quele matérialisme en soit une conséquence. Il faut lireson ouvrage pour apprendre à concilier les idéesphilosophiques les plus hardies avec le plus profond respect pour lareligion. Dieu a créé le mondedit le docteur Baumann;et c'est à nous à trouvers'il est possibleles loispar lesquelles il a voulu qu'il se conservâtet les moyensqu'il a destinés à la reproduction des individus. Nousavons le champ libre de ce côté; nous pouvons proposernos idées; et voici les principales idées du docteur.
L'élémentséminal extrait d'une partie semblable à celle qu'ildoit former dans l'animalsentant et pensantaura quelque mémoirede sa situation première; de làla conservation desespèceset la ressemblance des parents.
Il peutarriver que le fluide séminal surabonde ou manque de certainsélémentsque ces éléments ne puissents'unir par oubliou qu'il se fasse des réunions bizarresd'éléments surnuméraires. De làoul'impossibilité de la générationou toutes lesgénérations monstrueuses possibles.
Certainséléments auront pris nécessairement une facilitéprodigieuse à s'unir constamment de la même manière;de làs'ils sont différentsune formation d'animauxmicroscopiques variée à l'infini; de làs'ilssont semblablesles polypesqu'on peut comparer à une grapped'abeilles infiniment petites ' quin'ayant la mémoire viveque d'une seule situations'accrocheraient et demeureraientaccrochées selon cette situation qui leur serait la plusfamilière.
Quandl'impression d'une situation présente balancera ou éteindrala mémoire d'une situation passéeen sorte qu'il y aitindifférence à toute situationil y aura stérilité:de làla stérilité des mulets.
Quiempêchera des parties élémentaires intelligenteset sensibles de s'écarter à l'infini de l'ordre quiconstitue l'espèce ? de làune infinitéd'espèces d'animaux sortis d'un premier animal; une infinitéd'êtres émanes d'un premier être; un seul actedans la nature.
Maischaque élément perdra-t-ilen s'accumulant et en secombinantson petit degré de sentiment et de perception ?nullementdit le docteur Baumann. Ces qualités lui sontessentielles. Qu'arrivera-t-il donc ? le voici. De ces perceptionsd'éléments rassemblés et combinésil enrésultera une perception uniqueproportionnée àla masse et à la disposition; et ce système deperceptions dans lequel chaque élément aura perdu lamémoire du soi et concourra a former la conscience du toutsera l'âme de l'animal. Omnes elementorum perceptionesconspirareet in unam fortiorem et magis perfectam perceptionemcoalescere videntur. Haec forte ad unamquamque ex aliisperceptionibus se habet in eadem ratione qua corpus organisatum adelementum. Elementum quodvispost suam cum aliis copulationemcumsuam perceptionem illarum perceptionibus confuditet SUICONSCIENTIAM perdiditprimi elementorum status memoria nullasuperestet nostra nobis origo omnino abdita manet.
C'est icique nous sommes surpris que l'auteur ou n'ait pas aperçu lesterribles conséquences de son hypothèseou ques'il aaperçu les conséquencesil n'ait pas abandonnél'hypothèse. C'est maintenant qu'il faut appliquer notreméthode à l'examen de ses principes. Je lui demanderaidonc si l'univers ou la collection générale de toutesles molécules sensibles et pensantes forme un toutou non.S'il me répond qu'elle ne forme point un toutil ébranlerad'un seul mot l'existence de Dieuen introduisant le désordredans la natureet il détruira la base de la philosophieenrompant la chaîne qui lie tous les êtres. S'il convientque c'est un tout où les éléments ne sont pasmoins ordonnés que les portionsou réellementdistinctesou seulement intelligibles le sont dans un élémentet les éléments dans un animalil faudra qu'il avouequ'en conséquence de cette copulation universellele mondesemblable à un grand animala une âme; quele mondepouvant être infinicette âme du mondeje ne dis pasestmais peut être un système infini de perceptionsetque le monde peut être Dieu '. Qu'il proteste tant qu'il voudracontre ces conséquenceselles n'en seront pas moins vraies;et quelque lumière que ses sublimes idées puissentjeter dans les profondeurs de la natureces idées n'en serontpas moins effrayantes. Il ne s'agissait que de les généraliserpour s'en apercevoir. L'acte de la généralisation estpour les hypothèses du métaphysicien ce que lesobservations et les expériences réitéréessont pour les conjectures du physicien. Les conjectures sont-ellesjustes ? plus on fait d'expériencesplus les conjectures sevérifient. Les hypothèses sont-elles vraies ? plus onétend les conséquencesplus elles embrassent devéritésplus elles acquièrent d'évidenceet de force. Au contrairesi les conjectures et les hypothèsessont frêles et mal fondéesou l'on découvre unfaitou l'on aboutit à une vérité contrelaquelle elles échouent. L'hypothèse du docteur Baumanndévelopperasi l'on veutle mystère le plusincompréhensible de la naturela formation des animauxouplus généralementcelle de tous les corps organisés;la collection universelle des phénomènes et l'existencede Dieu seront ses écueils. Mais quoique nous rejetions lesidées du docteur d'Erlangnous aurions bien mal conçul'obscurité des phénomènes qu'il s'étaitproposé d'expliquerla fécondité de sonhypothèseles conséquences surprenantes qu'on en peuttirerle mérite des conjectures nouvelles sur un sujet dontse sont occupés les premiers hommes dans tous les siècleset la difficulté de combattre les siennes avec succèssi nous ne les regardions pas comme le fruit d'une méditationprofondeune entreprise hardie sur le système universel de lanatureet la tentative d'un grand philosophe.
51. DEL'IMPULSION D'UNE SENSATION. Si le docteur Baumann eût renferméson système dans de justes borneset n'eût appliquéses idées qu'à la formation des animauxsans lesétendre à la nature de l'âmed'où jecrois avoir démontré contre lui qu'on pouvait lesporter jusqu'à l'existence de Dieuil ne se serait pointprécipité dans l'espèce de matérialismela plus séduisanteen attribuant aux moléculesorganiques le désirL'aversionle sentiment et la pensée.Il fallait se contenter d'y supposer une sensibilité millefois moindre que celle que le Tout-Puissant a accordée auxanimaux les plus stupides et les plus voisins de la matièremorte. En conséquence de cette sensibilité sourde et dela différence des configurationsil n'y aurait eu pour unemolécule organique quelconque qu'une situation la plus commodede toutesqu'elle aurait sans cesse cherchée par uneinquiétude automatecomme il arrive aux animaux de s'agiterdans le sommeillorsque l'usage de presque toutes leurs facultésest suspendujusqu'à ce qu'ils aient trouvé ladisposition la plus convenable au repos. Ce seul principe eûtsatisfait d'une manière assez simple et sans aucuneconséquence dangereuse aux phénomènes qu'il seproposait d'expliqueret à ces merveilles sans nombre quitiennent si stupéfaits tous nos observateurs d'insectes; et ileût défini l'animal en généralun systèmede différentes molécules organiques quiparl'impulsion d'une sensation semblable à un toucher obtus etsourd que celui qui a créé la matière en généralleur a donnése sont combinées jusqu'à ce quechacune ait rencontré la place la plus convenable à safigure et à son repos.
52. DESINSTRUMENTS ET DES MESURES. Nous avons observé ailleurs quepuisque les sens étaient la source de toutes nosconnaissancesil importait beaucoup de savoir jusqu'où nouspouvions compter sur leur témoignage: ajoutons ici quel'examen des suppléments de nos sens ou des instrumentsn'estpas moins nécessaire. Nouvelle application de l'expérience;autre source d'observations longuespénibles et difficiles.Il y aurait un moyen d'abréger le travail; ce serait de fermerl'oreille à une sorte de scrupules de la philosophierationnelle (car la philosophie rationnelle a ses scrupules) et debien connaître dans toutes les quantités jusqu'oùla précision des mesures est nécessaire. Combiend'industriede travail et de temps perdus à mesurerqu'oneût bien employés à découvrir !
53. Ilestsoit dans l'inventionsoit dans la perfection des instrumentsune circonspection qu'on ne peut trop recommander au physicien: c'estde se méfier des analogies; de ne jamais conclure ni du plusou moinsni du moins ou plus; de porter son examen sur toutes lesqualités physiques des substances qu'il emploie. Il neréussira jamaiss'il se néglige là-dessus; etquand il aura bien pris toutes ses mesurescombien de foisn'arrivera-t-il pas encore qu'un petit obstacle qu'il n'aura pointprévu ou qu'il aura méprisé sera la limite de lanatureet le forcera d'abandonner son ouvragelorsqu'il le croyaitachevé ?
54. DE LADISTINCTION DES OBJETS. Puisque l'esprit ne peut tout comprendreL'imagination tout prévoirle sens tout observer et lamémoire tout retenir; puisque les grands hommes naissent àdes intervalles de temps si éloignéset que lesprogrès des sciences Sont tellement suspendus par lesrévolutionsque des siècles d'étude se passentà recouvrer les connaissances des siècles écoulésc'est manquer au genre humain que de tout observer indistinctement.Les hommes extraordinaires par leurs talents se doivent respectereux-mêmes et la postérité dans l'emploi de leurtemps. Que penserait-elle de noussi nous n'avions à luitransmettre qu'une insectologie complètequ'une histoireimmense d'animaux microscopiques ? Aux grands génieslesgrands objets; les petits objetsaux petits génies. Il vautautant que ceux-ci s'en occupentque de ne rien faire.
55. DESOBSTACLES. Et puisqu'il ne suffit pasde vouloir une chosequ'ilfaut en même temps acquiescer à tout ce qui est presqueinséparablement attaché à la chose qu'on veutcelui qui aura résolu de s'appliquer à l'étudede la philosophie s'attendra non seulement aux obstacles physiquesqui sont de la nature de son objetmais encore à la multitudedes obstacles moraux qui doivent se présenter à luicomme ils se sont offerts à tous les philosophes qui l'ontprécédé. Lors donc qu'il lui arrivera d'êtretraversémal entenducalomnié compromisdéchiréqu'il sache se dire à lui-même: « N'est-ce quedans mon sièclen'est-ce que pour moi qu'il y a eu des hommesremplis d'ignorance et de fieldes âmes rongées parl'enviedes têtes troublées par la superstition ? »S'il croit quelquefois avoir à se plaindre de ses concitoyensqu'il sache se parler ainsi:« Je me plains de mes concitoyens:mais s'il était possible de les interroger touset dedemander à chacun d'eux lequel il voudrait être del'auteur des Nouvelles ecclésiastiques ou deMontesquieu; de l'auteur des Lettres américaines ou deBuffon; en est-il un seul qui eût un peu de discernementetqui pût balancer sur le choix ? Je suis donc certain d'obtenirun jour les seuls applaudissements dont je fasse quelque cassi j'aiété assez heureux pour les mériter. »
Et vousqui prenez le titre de philosophes ou de beaux espritset qui nerougissez point de ressembler à ces insectes importuns quipassent les instants de leur existence éphémèreà troubler l'homme dans ses travaux et dans son reposquelest votre but ? espérez vous de votre acharnement ? Quand vousaurez découragé ce qui reste à la nationd'auteurs célèbres et d'excellents géniesqueferez-vous en revanche pour elle ? quelles sont les productionsmerveilleuses par lesquelles vous dédommagerez le genre humainde celles qu'il en aurait obtenues ?...Malgré vousles nomsdes Duclosdes d'Alembert et des Rousseau; des de VoltairedesMaupertuis et des Montesquieu; des de Buffon et des Daubenton seronten honneur parmi nous et chez nos neveux: et si quelqu'un se souvientun jour des vôtres« ils sont étédira-t-illes persécuteurs des premiers hommes de leur temps;et si nous possédons la préface de l'EncyclopédieL'Histoire du siècle de Louis XIV l'Esprit des loisetl'Histoire de la naturec'est qu'heureusement il n'étaitpas au pouvoir de ces gens-là de nous en priver.»
56. DESCAUSES -- 1 A ne consulter que les vaines conjectures de laphilosophie et la faible lumière de notre raisonon croiraitque la chaîne des causes n'a point eu de commencementet quecelle des effets n'aura point de fin. Supposez une moléculedéplacéeelle ne s'est point déplacéed'elle- même; la cause de son déplacement a une autrecause; celle-ciune autreet ainsi de suitesans qu'on puissetrouver de limites naturelles aux causes dans la duréequi a précédé. Supposez une moléculedéplacéece déplacement aura un effet; ceteffetun autre effetet ainsi de suitesans qu'on puisse trouverde limites naturelles aux effets dans la durée quisuivra. L'esprit épouvanté de ces progrès àl'infini des causes les plus faibles et des effets les plus légersne se refuse à cette supposition et à quelques autresde la même espèce que par le préjugé qu'ilne se passe rien au-delà de la portée de nos sensetque tout cesse où nous ne voyons plus: mais une desprincipales différences de l'observateur de la nature et deson interprètec'est que celui-ci part du point où lessens et les instruments abandonnent l'autre; il conjecturepar cequi estce qui doit être encore; il tire de l'ordre des chosesdes conclusions abstraites et généralesqui ont pourlui toute l'évidence des vérités sensibles etparticulières; il s'élève à l'essencemême de l'ordre; il voit que la coexistence pure et simpled'un être sensible et pensantavec un enchaînementquelconque de causes et d'effetsne lui suffit pas pour en porter unjugement absolu; il s'arrête là; s'il faisait un pas deplusil sortirait de la nature.
DES CAUSESFINALES -- 2. Qui sommes-nous pour expliquer les fins de la nature ?Ne nous apercevrons-nous point que c'est presque toujours aux dépensde sa puissance que nous préconisons sa sagesseet que nousôtons à ses ressources plus que nous ne pouvons jamaisaccorder à ses vues ? Cette manière de l'interpréterest mauvaisemême en théologie naturelle. C'estsubstituer la conjecture de l'homme à l'ouvrage de Dieu; c'estattacher la plus importante des vérités au sort d'unehypothèse. Mais le phénomène le plus communsuffira pour montrer combien la recherche de ces causes est contraireà la véritable science. Je suppose qu'un physicieninterrogé sur la nature du laitréponde que c'est unaliment qui commence à se préparer dans la femellequand elle a conçuet que la nature destine à lanourriture de l'animal qui doit naître; que cette définitionm'apprendra-t-elle sur la formation du lait ? que puis-je penser dela destination prétendue de ce fluideet des autres idéesphysiologiques qui l'accompagnentlorsque je sais qu'il y a eu deshommes qui ont fait jaillir le lait de leurs mamelles; quel'anastomose des artères épigastriques et mammaires medémontre que c'est le lait qui cause le gonflement de la gorgedont les filles mêmes sont quelquefois incommodées àl'approche de l'évacuation périodique; qu'il n'y apresque aucune fille qui ne devînt nourricesi elle se faisaittéter; et que j'ai sous les yeux une femelle d'une espècesi petitequ'il ne s'est point trouvé de mâle qui luiconvîntqui n'a point été couvertequi n'ajamais portéet dont les tettes se sont gonflées delait au point qu'il a fallu recourir aux moyens ordinaires pour lasoulager ? Combien n'est-il pas ridicule d'entendre des anatomistesattribuer sérieusement à la pudeur de la nature uneombre qu'elle a également répandue sur des endroits denotre corps où il n'y a rien de déshonnête àcouvrir ? L'usage que lui supposent d'autres anatomistes fait un peumoins d'honneur à la pudeur de la naturemais n'en fait pasdavantage à leur sagacité. Le physicien dont laprofession est d'instruire et non d'édifier abandonnera doncle pourquoiet ne s'occupera que du comment. Lecomment se tire des êtres; le pourquoide notreentendement; il tient à nos systèmes; il dépenddu progrès de nos connaissances. Combien d'idéesabsurdesde suppositions faussesde notions chimériques dansces hymnes que quelques défenseurs témérairesdes causes finales ont osé composer à l'honneur duCréateur ? Au lieu de partager les transports de l'admirationdu prophète et de s'écrier pendant la nuità lavue des étoiles sans nombre dont les cieux sont éclairésCaeli enarrant gloriam Deiils se sont abandonnés àla superstition de leurs conjectures. Au lieu d'adorer leTout-Puissant dans les êtres mêmes de la natureils sesont prosternés devant les fantômes de leur imagination.Si quelqu'unretenu par le préjugédoute de lasolidité de mon reprocheje l'invite à comparer letraité que Galien a écrit de l'usage des parties ducorps humain avec la physiologie de Boërhaaveet la physiologiede Boërhaave avec celle de Haller; j'invite la postéritéà comparer ce que ce dernier ouvrage contient de vuessystématiques et passagères avec ce que la physiologiedeviendra dans les siècles suivants. L'homme fait un méritea l'Éternel de ses petites vues; et l'Éternel quil'entend du haut de son trôneet qui connaît sonintentionaccepte sa louange imbécile et sourit de sa vanité.
57. DEQUELQUES PRÉJUGÉS Il n'y a rien ni dans les faits de lanature ni dans les circonstances de la vie qui ne soit un piègetendu à notre précipitation. J'en atteste la plupart deces axiomes généraux qu'on regarde comme le bon sensdes nations. On ditil ne se passe rien de nouveau sous le ciel;et cela est vrai pour celui qui s'en tient aux apparences grossières.Mais qu'est-ce que cette sentence pour le philosophe dontl'occupation journalière est de saisir les différencesles plus insensibles ? Qu'en devait penser celui qui assura que surtout un arbre il n'y aurait pas deux feuilles sensiblement dumême vert? Qu'en penserait celui quiréfléchissantsur le grand nombre des causesmême connuesqui doiventconcourir à la production d'une nuance de couleur précisémenttelleprétendraitsans croire outrer l'opinion de Leibnizqu'il est démontré par la différence des pointsde l'espace ou les corps sont placéscombinée avec cenombre prodigieux de causesqu'il n'y a peut-être jamais euet qu'il n'y aura peut-être jamais dans la nature deux brinsd'herbe absolument du même vert ? Si les êtress'altèrent successivement en passant par les nuances les plusimperceptiblesle tempsqui ne s'arrête pointdoit mettre àla longue entre les formes qui ont existé trèsanciennementcelles qui existent aujourd'huicelles qui existerontdans les siècles reculésla différence la plusgrande; et le Nil sub sole novum n'est qu'un préjugéfondé sur la faiblesse de nos organesL'imperfection de nosinstrumentset la brièveté de notre vie. On dit enmoralequot capita tot sensus; c'est le contraire qui estvrai: rien n'est si commun que des têteset si rare que desavis. On dit en littératureil ne faut point disputer desgoûts: si l'on entend qu'il ne faut point disputer àun homme que tel est son goûtc'est une puérilité.Si l'on entend qu'il n'y a ni bon ni mauvais dans le goûtc'est une fausseté. Le philosophe examinera sévèrementtous ces axiomes de la sagesse populaire.
58QUESTIONS. Il n'y a qu'une manière possible d'êtrehomogène Il y a une infinité de manièresdifférentes possibles d'être hétérogèneIl me paraît aussi impossible que tous les êtres de lanature aient été produits avec une matièreparfaitement homogènequ'il le serait de les représenteravec une seule et même couleur. Je crois même entrevoirque la diversité des phénomènes ne peut êtrele résultat d'une hétérogénéitéquelconque. J'appellerai donc éléments lesdifférentes matières hétérogènesnécessaires pour la production générale desphénomènes de la nature; et j'appellerai la naturele résultat général actuelou les résultatsgénéraux successifs de la combinaison des éléments.Les éléments doivent avoir des différencesessentielles; sans quoi tout aurait pu naître de l'homogénéitépuisque tout y pourrait retourner. Il estil a étéouil sera une combinaison naturelle ou une combinaison artificielledans laquelle un élément esta été ousera porté à sa plus grande division possible. Lamolécule d'un élément dans cet état dedivision dernière est indivisible d'une indivisibilitéabsoluepuisqu'une division ultérieure de cette moléculeétant hors des lois de la nature et au-delà des forcesde l'artn'est plus qu'intelligible. L'état de divisiondernière possible dans la nature ou par l'art n'étantpas le mêmeselon toute apparencepour des matièresessentiellement hétérogènesil s'ensuit qu'il ya des molécules essentiellement différentes en masse ettoutefois absolument indivisibles en elles-mêmes. Combien ya-t-il de matières absolument hétérogènesou élémentaires ? nous l'ignorons. Quelles sont lesdifférences essentielles des matières que nousregardons comme absolument hétérogènes ouélémentaires ? nous l'ignorons. Jusqu'où ladivision d'une matière élémentaire est-elleportéesoit dans les productions de l'artsoit dans lesouvrages de la nature ? nous l'ignorons. Etc.etc.etc. J'ai jointles combinaisons de l'art à celles de la natureparcequ'entre une infinité de faits que nous ignoronset que nousne saurons jamaisil en est un qui nous est encore caché:savoir si la division d'une matière élémentairen'a point étén'est point ou ne sera pas portéeplus loin dans quelque opération de l'art qu'elle ne l'a éténe l'estet ne le sera dans aucune combinaison de la natureabandonnée à elle-même. Et l'on va voir par lapremière des questions suivantes pourquoi j'ai fait entrerdans quelques-unes de mes propositions les notions du passédu présent et de l'avenir; et pourquoi j'ai insérél'idée de succession dans la définition que j'ai donnéede la nature.
1. Si lesphénomènes ne sont pas enchaînés les unsaux autresil n'y a point de philosophie. Les phénomènesseraient tous enchaînés que l'état de chacund'eux pourrait être sans permanence. Mais si l'état desêtres est dans une vicissitude perpétuelle; si la natureest encore à l'ouvrage; malgré la chaîne qui lieles phénomènesil n'y a point de philosophie. Toutenotre science naturelle devient aussi transitoire que les mots. Ceque nous prenons pour l'histoire de la nature n'est que l'histoiretrès incomplète d'un instant Je demande donc si lesmétaux ont toujours été et seront toujours telsqu'ils sont; si les plantes ont toujours été et seronttoujours telles qu'elles sont; si les animaux ont toujours étéet seront toujours tels qu'ils sontetc. Après avoir méditéprofondément sur certains phénomènesun doutequ'On vous pardonnerait peut-êtreô sceptiquesce n'estpas que le monde ait été créémais qu'ilsoit tel qu'il a été et qu'il sera.
2. De mêmeque dans les règnes animal et végétalunindividu commencepour ainsi dires'accroîtduredépéritet passe; n'en serait-il pas de même des espècesentières ? Si la foi ne nous apprenait que les animaux sontsortis des mains du Créateur tels que nous les voyons; et s'ilétait permis d'avoir la moindre incertitude sur leurcommencement et sur leur finle philosophe abandonné àses conjectures ne pourrait-il pas soupçonner que l'animalitéavait de toute éternité ses élémentsparticuliersépars et confondus dans la masse de la matière;qu'il est arrivé à ces éléments de seréunirparce qu'il était possible que cela se fit; quel'embryon formé de ces éléments a passépar une infinité d'organisations et de développements;qu'il a eupar successiondu mouvementde la sensationdes idéesde la penséede la réflexionde la consciencedessentimentsdes passionsdes signesdes gestesdes sonsdes sonsarticulésune languedes loisdes scienceset des arts;qu'il s'est écoulé des millions d'années entrechacun de ces développements; qu'il a peut-être encored'autres développements à subiret d'autresaccroissements à prendrequi nous sont inconnus; qu'il a euou qu'il aura un état stationnaire; qu'il s'éloigneouqu'il s'éloignera de cet état par un dépérissementéternelpendant lequel ses facultés sortiront de luicomme elles y étaient entrées; qu'il disparaîtrapour jamais de la natureou plutôt qu'il continuera d'yexistermais sous une formeet avec des facultés tout autresque celles qu'on lui remarque dans cet instant de la durée ?La religion nous épargne bien des écarts et bien destravaux. Si elle ne nous eût point éclairés surl'origine du monde et sur le système universel des êtrescombien d'hypothèses différentes que nous aurions ététentés de prendre pour le secret de la nature ? Ceshypothèsesétant toutes également faussesnousauraient paru toutes à peu près égalementvraisemblables. La questionpourquoi il existe quelque choseest la plus embarrassante que la philosophie pût se proposeret il n'y a que la révélation qui y réponde.
3. Si l'onjette les yeux sur les animaux et sur la terre brute qu'ils foulentaux pieds; sur les molécules organiques et sur le fluide danslequel elles se meuvent; sur les insectes microscopiqueset sur lamatière qui les produit et qui les environneil est évidentque la matière en général est divisée enmatière morte et en matière vivante. Mais comment sepeut-il faire que la matière ne soit pas uneou toutevivanteou toute morte ? La matière vivante est-elle toujoursvivante ? Et la matière morte est-elle toujours et réellementmorte ? La matière vivante ne meurt-elle point ? La matièremorte ne commence-t-elle jamais à vivre ?
4. Ya-t-il quelque autre différence assignable entre la matièremorte et la matière vivanteque l'organisationet que laspontanéité réelle ou apparente du mouvement ?
5. Cequ'on appelle matière vivantene serait-ce pas seulement unematière qui se meut par elle-même ? Et ce qu'on appelleune matière mortene serait- ce pas une matière mobilepar une autre matière ?
6. Si lamatière vivante est une matière qui se meut parelle-même comment peut-elle cesser de se mouvoir sans mourir ?
7. S'il ya une matière vivante et une matière morte parelles-mêmesces deux principes suffisent-ils pour laproduction générale de toutes les formes et de tous lesphénomènes ?
8. Engéométrieune quantité réelle jointe àune quantité imaginaire donne un tout imaginaire; dans lanaturesi une molécule de matière vivante s'applique àune molécule de matière mortele tout sera-t-ilvivantou sera- t-il mort ?
9. Sil'agrégat peut être ou vivant ou mortquand et pourquoisera-t-il vivant ? quand et pourquoi sera-t-il mort ?
10. Mortou vivantil existe sous une forme. Sous quelque forme qu'il existequel en est le principe ?
11. Lesmoules sont-ils principes des formes ? Qu'est-ce qu'un moule ? Est-ceun être réel et préexistant ? ou n'est-ce que leslimites intelligibles de l'énergie d'une moléculevivante unie à de la matière morte ou vivante; limitesdéterminées par le rapport de l'énergie en toutsensaux résistances en tout sens ? Si c'est un êtreréel et préexistantcomment s'est-il formé ?
12.L'énergie d'une molécule vivante varie-t-elle parelle-même ? ou ne varie-t-elle que selon la quantitélaqualitéles formes de la matière morte ou vivante àlaquelle elle s'unit ?
13. Ya-t-il des matières vivantes spécifiquement différentesde matières vivantes ? ou toute matière vivanteest-elle essentiellement une et propre à tout ? J'en demandeautant des matières mortes.
14. Lamatière vivante se combine-t-elle avec de la matièrevivante ?
Comment sefait cette combinaison ? Quel en est le résultat ? J'endemande autant de la matière morte.
15. Sil'on pouvait supposer toute la matière vivanteou toute lamatière mortey aurait-il jamais autre chose que de lamatière morteou que de la matière vivante ? ou lesmolécules vivantes ne pourraient elles pas reprendre la vieaprès l'avoir perduepour la reperdre encore; et ainsi desuiteà l'infini ?
Quandje tourne mes regards sur les travaux des hommeset que je vois desvilles bâties de toutes partstous les élémentsemployésdes langues fixéesdes peuples policésdes ports construitsles mers traverséesla terre et lescieux mesurésle monde me paraît bien vieux. Lorsque jetrouve les hommes incertains sur les premiers principes de lamédecine et de l'agriculturesur les propriétésdes substances les plus communessur la connaissance des maladiesdont ils sont affligéssur la taille des arbressur la formede la charruela terre ne me paraît habitée que d'hier.et si les hommes étaient sagesils se livreraient enfin àdes recherches relatives à leur bien-êtreet nerépondraient à mes questions futiles que dans mille ansau plus tôt; ou peut-être mêmeconsidérantsans cesse le peu d'étendue qu'ils occupent dans l'espace etdans la duréeils ne daigneraient jamais y répondre.
OBSERVATION
Je t'aiditjeune hommeque les qualitéstelles quel'attractionse propageaient à l'infinilorsque rien nelimitait la sphère de leur action. On t'objectera «que j'aurais même pu dire qu'elles se propageaientuniformément. On ajoutera peut-être qu'on ne conçoitguère comment une qualité s'exerce àdistancesans aucun intermède; mais qu'il n'y a pointd'absurdités et qu'il n'y en eut jamaisou que c'en est unede prétendre qu'elle s'exerce dans le vide diversementàdifférentes distances; qu'alors on n'aperçoit rien soitau-dedans soit au-dehors d'une portion de matièrequi soitcapable de faire varier son action; que DescartesNewtonlesphilosophes anciens et modernes ont tous supposé qu'un corpsanimé dans le vide de la quantité de mouvement la pluspetite irait à l'infiniuniformémenten ligne droiteque la distance n'est donc par elle-même ni un obstacle ni unvéhicule; que toute qualité dont l'action varie selonune raison quelconque inverse ou directe de la distance ramènenécessairement au plein et à la philosophiecorpusculaire; et que la supposition du vide et celle de lavariabilité de l'action d'une cause sont deux suppositionscontradictoires. » Si l'on te propose ces difficultésje te conseille d'en aller chercher la réponse chez quelquenewtonien; car je t'avoue que j'ignore comment on les résout.