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Nicolas Boileau (dit Boileau-Despréaux) LE LUTRIN  


Poèmehéroï-comique


CHANTPREMIER


Jechante les combatset ce prélat terrible
Qui par seslongs travaux et sa force invincible
Dans une illustre égliseexerçant son grand coeur
Fit placer à la fin unlutrin dans le choeur.
C'est en vain que le chantreabusant d'unfaux titre
Deux fois l'en fit ôter par les mains duchapitre :
Ce prélatsur le banc de son rival altier
Deux fois le reportantl'en couvrit tout entier.

Museredis-mois donc quelle ardeur de vengeance
De ces hommes sacrésrompit l'intelligence
Et troubla si longtemps deux célèbresrivaux.
Tant de fiel entre-t-il dans l'âme des dévots!

Et toifameux hérosdont la sage entremise
De ce schismenaissant débarrassa l'Eglise
Viens d'un regard heureuxanimer mon projet
Et garde-toi de rire en ce grave sujet.

Parisvoyait fleurir son antique chapelle :
Ses chanoines vermeils etbrillants de santé
S'engraissaient d'une longue et sainteoisiveté ;
Sans sortir de leurs lits plus doux que deshermines
Ces pieux fainéants faisaient chanter matines
Veillaient à bien dîneret laissaient en leur lieu
A des chantres gagés le soin de louer Dieu :
Quand laDiscordeencore toute noire de crimes
Sortant des Cordelierspour aller aux Minimes
Avec cet air hideux qui fait frémirla Paix
S'arrêter près d'un arbre au pied de sonpalais
Làd'un oeil attentif contemplant son empire
Al'aspect du tumulte elle-même s'admire.
Elle y voit par lecoche et d'Evreux et du Mans
Accourir à grand flots sesfidèles Normands :
Elle y voit aborder le marquislacomtesse
Le bourgeoisle manantle clergéla noblesse;
Et partout des plaideurs les escadrons épars
Faireautour de Thémis flotter ses étendards.
Mais uneéglise seule à ses yeux immobile
Garde au sein dutumulte une assiette tranquille.
Elle seule la brave ; elle seuleaux procès
De ses paisibles murs veut défendrel'accès.
La Discordeà l'aspect d'un calme quil'offense
Fait siffler ses serpentss'excite à lavengeance
Sa bouche se remplit d'un poison odieux
Et delongs traits de feu lui sortent par les yeux.

Quoi !dit-elle d'un ton qui fit trembler les vitres
J'aurai pujusqu'ici brouiller tous les chapitres
Diviser CordeliersCarmes et Célestins ;
J'aurai fait soutenir un siègeaux Augustins :
Et cette église seuleà mes ordresrebelle
Nourrira dans son sein une paix éternelle !
Suis-je donc la Discorde ? etparmi les mortels
Qui voudradésormais encenser mes autels ?

A cesmotsd'un bonnet couvrant sa tête énorme
Elleprend d'un vieux chantre et la taille et la forme :
Elle peint debourgeons son visage guerrier
Et s'en va de ce pas trouver letrésorier.

Dans leréduit obscur d'une alcôve enfoncée
S'élèveun lit de plume à grand frais amassée :
Quatrerideaux pompeuxpar un double contour
En défendentl'entrée à la clarté du jour.
Làparmi les douceurs d'un tranquille silence
Règne sur leduvet une heureuse indolence :
C'est que le prélatmunid'un déjeuner
Dormant d'un léger sommeattendaitle dîner.
La jeunesse en sa fleur brille sur son visage :
Son menton sur son sein descend à double étage ;
Et son corps ramassé dans sa courte grosseur
Faitgémir les coussins sous sa molle épaisseur.

La déesseen entrantqui voit la nappe mise
Admire un si bel ordreetreconnaît l'Eglise :
Etmarchant à grand pas versle lieu du repos
Au prélat sommeillant elle adresse cesmots :

Tu dorsPrélattu dorset là haut à ta place
Lechantre aux yeux du choeur étale son audace
Chante lesorémusfait des processions
Et répand àgrands flots les bénédictions.
Tu dors ! Attends-tudonc quesans bulle et sans titre
Il te ravisse encore lerochet et la mitre ?
Sort de ce lit oiseux qui te tient attaché
Et renonce au reposou bien à l'évêché.

Elle ditetdu vent de sa bouche profane
Lui souffle avec ces motsl'ardeur de la chicane.
Le prélat se réveilleetplein d'émotion
Lui donne toutefois la bénédiction.

Tel qu'onvoit un taureau qu'une guêpe en furie
A piqué dansles flancs aux dépens de sa vie ;
Le superbe animalagitéde tourments
Exhale sa douleur en longs mugissements ;
Telle fougueux prélatque ce songe épouvante
Querelleen se levant et laquais et servante ;
Etd'un juste courrouxrallumant sa vigueur
Même avant le dînerparled'aller au choeur.
Le prudent Gilotinson aumônier fidèle
En vain par ses conseils sagement le rappelle ;
Lui montre lepéril ; que midi va sonner ;
Qu'il va faires'il sortrefroidir le dîner.

Quellefureurdit-ilquel aveugle caprice
Quand le dîner estprêtvous appelle à l'office ?
De votre dignitésoutenez mieux l'éclat :
Est-ce pour travailler que vousêtes prélat ?
A quoi bon ce dégoût etce zèle inutile ?
Est-il donc pour jeûnerquatre-temps ou vigile ?
reprenez vos esprits et souvenez-vousbien
Qu'un dîner réchauffé ne valut jamaisrien.

Ainsi ditGilotin ; et ce ministre sage
Sur tableau même instantfit servir le potage.
Le prélat voit la soupeet pleind'un saint respect
Demeure quelque temps muet à cetaspect.
Il cèdedîne enfin : maistoujours plusfarouche
Les morceaux trop hâtés se pressent danssa bouche.
Gilotin en frémitetsortant de fureur
Cheztous ses partisans va semer la terreur.
On voit courir chez luileurs troupes éperdues
Comme l'on voit marcher lesbataillons de grues
Quand le Pygmée altierredoublant sesefforts
De l'Hèbre ou du Styrmon vient d'occuper lesbords.
A l'aspect imprévu de leur foule agréable
Le prélat radouci veut se lever de table :
La couleurlui renaîtsa voix change de ton ;
Il fait par Gilotinrapporter un jambon.
Lui-même le premier pour honorer latroupe
D'un vin pur et vermeil il fait remplir sa coupe ;
Ill'avale d'un trait : et chacun l'imitant
La cruche au largeventre est vide en un instant.
Sitôt que du nectar latroupe est abreuvée
On dessert : et soudainla nappeétant levée
Le prélatd'une voix conformeà son malheur
Leur confie en ces mots sa trop justedouleur :

Illustrescompagnons de mes longues fatigues
Qui m'avez soutenu par vospieuses ligues
Et par quimaître enfin d'un chapitreinsensé
Seul à Magnificat je me vois encensé;
Souffrirez-vous toujours qu'un orgueilleux m'outrage ;
Quele chantre à vos yeux détruise votre ouvrage
Usurpetous mes droitset s'égalant à moi
Donne àvotre lutrin et le ton et la loi ?
Ce matin même encorecen'est point un mensonge
Une divinité me l'a fait voir ensonge :
L'insolent s'emparant du fruit de mes travaux
Aprononcé pour moi le Benedicat vos !
Ouipour mieuxm'égorgeril prend mes propres armes.

Le prélatà ces mots verse un torrent de larmes.
Il veutmaisvainementpoursuivre son discours ;
Ses sanglots redoublésen arrêtent le cours.
Le zélé Gilotinquiprend part à sa gloire
Pour lui rendre la voixfaitrapporter à boire :
Quand Sidraeà qui l'âgeallonge le chemin
Arrive dans la chambreun bâton àla main
Ce vieillard dans le choeur a déjà vuquatre âges ;
Il sait de tous les temps les différentsusages :
Et son rare savoirde simple marguillier
L'élevapar degrés au rang de chevecier.
A l'aspect du prélatqui tombe en défaillance
Il devine son malil se rideil s'avance ;
Et d'un ton paternel réprimant ses douleurs:

Laisse auchantredit-illa tristesse et les pleurs
Prélat ; etpour sauver tes droits et ton empire
Ecoute seulement ce que leciel m'inspire.
Vers cet endroit du choeur où le chantreorgueilleux
Montreassis à ta gaucheun front sisourcilleux
Sur ce rang d'ais serrés qui forment saclôture
Fut jadis un lutrin d'inégale structure
Dont les flancs élargis de leur vaste contour
Ombrageaient pleinement tous les lieux d'alentour.
Derrièrece lutrinainsi qu'au fond d'un antre
A peine sur son banc ondiscernait le chantre :
Tandis qu'à l'autre banc le prélatradieux
Découvert au grand jourattirait tous les yeux.
Mais un démonfatal à cette ample machine
Soitqu'une main la nuit eût hâté sa ruine
Soitqu'ainsi de tout temps l'ordonnât le destin
Fit tomber ànos yeux le pupitre un matin.
J'eus beau prendre le ciel et lechantre à partie
Il fallut l'emporter dans notresacristie
Où depuis trente hiverssans gloire enseveli
Il languit tout poudreux dans un honteux oubli.
Entends-moidoncPrélat. Dès que l'ombre tranquille
Viendrad'un crêpe noir envelopper la ville
Il faut que trois denoussans tumulte et sans bruit
Partentà l a faveur dela naissante nuit
Et du lutrin rompu réunissant la masse
Aillent d'un zèle adroit le remettre en sa place.
Sile chantre demain ose le renverser
Alors de cent arrêts tupeux le terrasser.
Pour soutenir tes droitsque le cielautorise
Abyme tout plutôt : c'est l'esprit de l'Eglise ;
C'est par là qu'un prélat signale sa vigueur.
Neborne pas ta gloire à prier dans un choeur :
Ces vertusdans Aleth peuvent être en usage ;
Mais dans Parisplaidons ; c'est là notre partage.
Tes bénédictionsdans le trouble croissant
Tu pourras les répandre et parvingt et par cent ;
Etpour braver le chantre en son orgueilextrême
Les répandre à ses yeuxet le bénirlui-même.

Cediscours aussitôt frappe tous les esprits ;
Et le prélatcharmé l'approuve par des cris.
Il veut quesur-le-champdans la troupe on choisisse
Les trois que Dieu destine àce pieux office :
Mais chacun prétend part à cetillustre emploi.
Le sortdit le prélatvous servira deloi.
Que l'on tire au billet ceux que l'on doit élire.
Ilditon obéiton se presse d'écrire.
Aussitôttrente nomssur le papier tracés
Sont au fond d'unbonnet par billets entassés.
Pour tirer ces billets avecmoins d'artifice
Guillaumeenfant de choeurprête samain novice :
Son front nouveau tondusymbole de candeur
Rougiten approchantd'une honnête pudeur.
Cependantle prélatl'oeil au ciella main nue
Bénit troisfois les nomset trois fois les remue.
Il tourne le bonnet :l'enfant tire et Brontin
Est le premier des noms qu'apporte ledestin.
Le prélat en conçoit un favorable augure
Et ce nom dans la troupe excite un doux murmure.
On se tait ;et bientôt on voit paraître au jour
Le nomle fameuxnom du perruquier l'Amour.
Ce nouvel Adonisà la blondecrinière
Est l'unique souci d'Anne sa perruquière:
Ils s'adorent l'un l'autre ; et ce couple charmant
S'unitlongtempsdit-onavant le sacrement ;
Maisdepuis troismoissonsà leur saint assemblage
L'official a joint lenom de mariage.
Ce perruquier superbe est l'effroi du quartier
Et son courage est peint sur son visage altier.
Un des nomsreste encore et le prélat par grâce
Une dernièrefois les brouille et les ressasse.
Chacun croit que son nom estle dernier des trois.
Mais que ne dis-tu pointô puissantporte-croix
Boirudesacristaincher appui de ton maître
Lorsqu'aux yeux du prélat tu vis ton nom paraître !
On dit que ton front jauneet ton teint sans couleur
perditen ce moment son antique pâleur ;
Et que ton corpsgoutteuxplein d'une ardeur guerrière
Pour sauter auplancher fit deux pas en arrière.
Chacun bénit touthaut l'arbitre des humains
Qui remet leur bon droit en de sibonnes mains.
Aussitôt on se lève ; et l'assembléeen foule
Avec un bruit confuspar les portes s'écoule.

Le prélatresté seul calme un peu son dépit
Et jusques ausouper se couche et s'assoupit.


CHANTSECOND


Cependantcet oiseau qui prône les merveilles
Ce monstre composéde bouches et d'oreilles
Quisans cesse volant de climats enclimats
Dit partout ce qu'il sait et ce qu'il ne sait pas ;
LaRenommée enfincette prompte courrière
Va d'unmortel effroi glacer la perruquière ;
Lui dit que sonépouxd'un faux zèle conduit
Pour placer unlutrin doit veiller cette nuit.

A cetriste récittremblantedésolée
Elleaccourtl'oeil en feula tête échevelée
Ettrop sûre d'un mal qu'on pense lui celer :

Oses-tubien encortraîtredissimuler ?
Dit-elle : et ni la foique ta main m'a donnée
Ni nos embrassements qu'a suivisl'hyménée
Ni ton épouse enfin toute prêteà périr
Ne sauraient donc t'ôter cetteardeur de courir ?
Perfide ! si du moinsà ton devoirfidèle
Tu veillais pour orner quelque tête nouvelle!
L'espoir d'un juste gain consolant ma langueur
Pourrait deton absence adoucir la longueur.
Mais quel zèle indiscretquelle aveugle entreprise
Arme aujourd'hui ton bras en faveurd'une église ?
Où vas-tu cher épouxest-ceque tu me fuis ?
As-tu oublié tant de si douces nuits ?
Quoi ! d'un oeil sans pitié vois-tu couler mes larmes ?
Au nom de nos baisers jadis si plein de charmes
Si moncoeurde tout temps facile à tes désirs
N'ajamais d'un moment différé tes plaisirs ;
Si pourte prodiguer mes plus tendres caresses
Je n'ai point exigéni sermentsni promesses ;
Si toi seul à mon lit enfineus toujours part ;
Diffère au moins d'un jour ce funestedépart .

Enachevant ces mots cette amante enflammée
Sur un placetvoisin tombe demi-pâmée.
Son époux s'enémeutet son coeur éperdu
Entre deux passionsdemeure suspendu ;
Mais enfin rappelant son audace première:

Ma femmelui dit-il d'une voix douce et fière
Je ne veux pointnier les solides bienfaits
Dont ton amour prodigue a comblémes souhaits
Et le Rhin de ses flots ira grossir la Loire
Avantque tes faveurs sortent de ma mémoire ;
Mais ne présumepas qu'en te donnant ma foi
L'hymen m'ait pour jamais asservisous ta loi.
Si le ciel en mes mains eût mis ma destinée
Nous aurions fui tous deux le joug de l'hyménée ;
Etsans nous opposer ces devoirs prétendus
Nousgoûterions encor des plaisirs défendus.
Cesse donc àmes yeux d'étaler un vain titre :
Ne m'ôte pasl'honneur d'élever un pupitre
Et toi-mêmedonnantun frein à tes désirs
Raffermis la vertuqu'ébranlent tes soupirs.
Que te dirai-je enfin ? C'est leciel qui m'appelle
Une égliseun prélat m'engageen sa querelle
Il faut partir : j'y cours. Dissipe tes douleurs
Et ne me trouble plus par ces indignes pleurs.

Il laquitte à ces mots. Son amante effarée
Demeure leteint pâleet la vue égarée :
La forcel'abandonne ; et sa bouchetrois fois
Voulant le rappelernetrouve plus de voix.
Elle fuitet de pleurs inondant son visage
Seule pour s'enfermer vole au cinquième étage.
Mais d'un bouge prochain accourant à ce bruit
Saservante Alizon la rattrape et la suit.

Les ombrescependantsur la ville épandues
Du faîte desmaisons descendent dans les rues .
Le souper hors du coeur chasseles chapelains
Et de chantres buvant les cabarets sont pleins.
Le redouté Brontinque son devoir éveille
Sortà l'instantchargé d'une triple bouteille
D'unvin dont Gilotinqui savait tout prévoir
Au sortir duconseil eut soin de le pourvoir.
L'odeur d'un jus si doux luirend la faim moins rude.
Il est bientôt suivi du sacristainBoirude ;
Et tous deuxde ce pass'en vont avec chaleur
Dutrop lent perruquier réveiller la valeur.
Partonslui ditBrontin : déjà le jour plus sombre
Dans les eauxs'éteignantva faire place à l'ombre.
D'oùvient ce noir chagrin que je lis dans tes yeux ?
Quoi ? le pardonsonnant te retrouve en ces lieux !
Où donc est ce grandcoeur dont tantôt l'allégresse
Semblait du jour troplong accuser la paresse ?
Marcheet suis nous du moins oùl'honneur nous attend.

Leperruquier honteux rougit en l'écoutant.
Aussitôt delongs clous il prend une poignée :
Sur son épauleil charge une lourde cognée ;
Et derrière son dosqui tremble sous le poids
Il attache une scie en forme decarquois :
Il sort au même instantil se met à leurtête.
A suivre ce grand chef l'un et l'autre s'apprête:
Leur coeur semble allumé d'un zèle tout nouveau ;
Brontin tient un maillet ; et Boirude un marteau.
La lunequi du ciel voit leur démarche altière
Retire enleur faveur sa paisible lumière.
La Discorde en souritetles suivant des yeux
De joieen les voyantpousse un cridans les cieux.
L'airqui gémit du cri de l'horribledéesse
Va jusque dans Citeaux réveiller laMollesse.
C'est là qu'en un dortoir elle fait son séjour:
Les Plaisirs nonchalants folâtrent à l'entour ;
L'un pétrit dans un coin l'embonpoint des chanoines ;
L'autre broie en riant le vermillon des moines :
La Voluptéla sert avec des yeux dévots
Et toujours le Sommeil luiverse des pavots.
Ce soirplus que jamaisen vain il lesredouble.
La Mollesse à ce bruit se réveillesetrouble :
Quand la Nuitqui déjà va toutenvelopper
D'un funeste récit vient encor la frapper ;
Lui conte du prélat l'entreprise nouvelle :
Aux piedsdes murs sacrés d'une sainte chapelle
Elle a vu troisguerriersennemis de la paix
Marcher à la faveur de sesvoiles épais.
La Discorde en ces lieux menace des'accroître :
Demain avec l'aurore un lutrin va paraître
Qui doit y soulever un peuple de mutins :
Ainsi le ciell'écrit au livre des destins.

A cetriste discoursqu'un long soupir achève
La Mollesseenpleurantsur un bras se relève
Ouvre un oeillanguissantetd'un faible voix
Laisse tomber ces mots qu'elleinterrompt vingt fois :
O Nuit ! que m'as-tu dit ? quel démonsur la terre
Souffle dans tous les coeurs la fatigue et la guerre?
Hélas ! qu'est devenu ce tempscet heureux temps
Oùles rois s'honoraient du nom de fainéants
S'endormaientsur le trôneet me servant sans honte
Laissaient leursceptre aux mains d'un maire ou d'un comte !
Aucun soinn'approchait de leur paisible cour :
On reposait la nuitondormait tout le jour.
Seulement au printempsquand Flore dansles plaines
Faisait taire des vents les bruyantes haleines
Quatre boeufs attelésd'un pas tranquille et lent
Promenaient dans Paris le monarque indolent.
Ce doux sièclen'est plus. Le ciel impitoyable
A placé sur le trôneun prince infatigable.
Il brave mes douceursil est sourd àma voix :
Tous les jours il m'éveille du bruit de sesexploits.
Rien ne peut arrêter sa vigilante audace :
L'étén'a point de feuxl'hiver n'a point de glace.
J'entends àson seul nom tous mes sujets frémir
En vain deux fois lapaix a voulu l'endormir ;
Loin de moi son courageentraînépar la gloire
Ne se plaît qu'à courir de victoireen victoire.
Je me fatiguerais de te tracer le cours
Desoutrages cruels qu'il me fait tous les jours.
Je croyaisloindes lieux où ce prince m'exile
Que l'Eglise du moinsm'assurait un asile.
Mais qu'en vain j'espérais y régnersans effroi :
Moinesabbés prieurstout s'arme contremoi.
Par mon exil honteux la Trappe est ennoblie ;
J'ai vudans Saint Denys la réforme établie ;
La CarmeleFeuillants'endurcit aux travaux ;
Et la règle déjàse remet dans Clairvaux.
Citeaux dormait encoret la sainteChapelle
Conservait du vieux temps l'oisiveté fidèle:
Et voici qu'un lutrinprêt à tout renverser
D'un séjour si chéri vient encor me chasser !
Otoide mon reposcompagne aimable et sombre
A de si noirsforfaits prêteras-tu ton ombre ?
Ah ! Nuitsi tant defoisdans les bras de l'amour
Je t'admis aux plaisirs que jecachais au jour
Du moins ne permets pas... La Mollesse oppressée
Dans sa bouche à ce mot sent sa langue glacée ;
Etlasse de parlersuccombant sous l'effort
Soupireétendles brasferme l'oeil et s'endort.


CHANTTROISIEME
-


Maisla nuit aussitôt de ses ailes affreuses
Couvre desBourguignons les campagnes vineuses
Revole vers Parisethâtant son retour
Déjà de Mont-Lhérivoit la fameuse tour.
Ses mursdont le sommet se dérobe àla vue
Sur la cime d'un roc s'allongent dans la nue
Etprésentant de loin leur objet ennuyeux
Du passant qui lefuit semblent le suivre des yeux.
Mille oiseaux effrayantsmillecorbeaux funèbres
De ces murs désertéshabitent les ténèbres.
Làdepuis trentehiversun hibou retiré
Trouvait contre le jour un refugeassuré.
Des désastres fameux ce messager fidèle
Sait toujours des malheurs la première nouvelle
Ettout prêt d'en semer le présage odieux
Il attendaitla nuit dans ces sauvages lieux.
Aux cris qu'à son abordvers le ciel il envoie
Il rend tous ses voisins attristésde sa joie.
La plaintive Prognée de douleur en frémit;
Etdans les bois prochainsPhilomène en gémit.
Suis-moilui dit la Nuit. L'oiseau plein d'allégresse
Reconnaît à ce ton la voix de sa maîtresse.
Il la suit : et tous deuxd'un cours précipité
De Paris à l'instant ils abordent la cité ;
Làs'élançant d'un vol que le vent favorise
Ilsmontent au sommet de la fatale église.
La Nuit baisse lavueetdu haut du clocher
Observe les guerriersles regardemarcher.
Elle voit le barbier quid'une main légère
Tient un verre de vin qui rit dans la fougère ;
Etchacuntour à tour s'inondant de ce jus
Célébreren riantGilotin et Bacchus.
Ils triomphentdit-elleet leurâme abusée
Se promet dans mon ombre une victoireaisée :
Mais allons ; il est temps qu'il connaissent laNuit.
A ces motsregardant le hibou qui la suit
Elle perceles murs de la voûte sacrée ;
Jusqu'à lasacristie elle s'ouvre une entrée
Etdans le ventre creuxdu pupitre fatal
Va placer de ce pas le sinistre animal.

Mais lestrois championspleins de vin et d'audace
Du palais cependantpassent la grande place ;
Etsuivant de Bacchus les auspicessacrés
De l'auguste chapelle ils montent les degrés.
Ils atteignaient déjà le superbe portique
OùRibou le libraireau fond de sa boutique
Sous vingt fidèlesclefsgarde et tient en dépôt
L'amas toujoursentier des écrits de Haynaut :
Quand Boirudequi voit quele péril approche
Les arrêteettirant un fusilde sa poche
Des veines d'un caillouqu'il frappe au mêmeinstant
Il fait jaillir un feu qui pétille en sortant ;
Et bientôtau brasier d'une mèche enflammée
Montreà l'aide du soufreune cire allumée.
Cetastre tremblotantdont le jour les conduit
Est pour eux unsoleil au milieu de la nuit.
Le temple à sa faveur estouvert par Boirude :
Ils passent de la nef la vaste solitude
Etdans la sacristie entrantnon sans terreur
En percent jusqu'aufond la ténébreuse horreur.

C'est làque du lutrin gît la machine énorme :
La troupequelque temps en admire la forme.
Mais le barbierqui tient lesmoments précieux :
Ce spectacle n'est pas pour amuser nosyeux
Dit-il : ce temps est cherportons-le dans le temple :
C'est là qu'il faut demain qu'un prélat lecontemple.
Et d'un brasà ces motsqui peut toutébranler
Lui-mêmese courbants'apprête àle rouler.
Mais à peine il y toucheô prodigeincroyable !
Que du pupitre sort une voix effroyable.
Brontinen est émule sacristain pâlit ;
Le perruquiercommence à regretter son lit.
Dans son hardi projettoutefois il s'obstine ;
Lorsque des flanc poudreux de la vastemachine
L'oiseau sort en courrouxetd'un cri menaçant
Achève d'étonner le barbier frémissant :
Deses ailes dans l'air secouant la poussière
Dans la mainde Boirude il éteint la lumière.
Les guerriers àce coup demeurent confondus ;
Ils regagnent la nefde frayeuréperdus :
Sous leurs corps tremblotants leurs genouxs'affaiblissent
D'une subite horreur leurs cheveux se hérissent;
Et bientôtau travers des ombres de la nuit
Letimide escadron se dissipe et s'enfuit.

Ainsilorsqu'en un coinqui leur tient lieu d'asile
D'écolierslibertins une troupe indocile
Loin des yeux d'un préfetau travail assidu
Va tenir quelquefois un brelan défendu :
Si du vaillant Argas la figure effrayante
Dans l'ardeur duplaisir à leurs yeux se présente
Le jeu cesse àl'instantl'asile est déserté
Et tout fuit àgrand pas le tyran redouté.

LaDiscordequi voit leur honteuse disgrâce
Dans les airscependant tonneéclatemenace
Etmalgré lafrayeur dont leurs coeurs sont glacés
S'apprête àréunir ses soldats dispersés.
Aussitôt deSidrac elle emprunte l'image :
Elle ride son frontallonge sonvisage
Sur un bâton noueux laisse courber son corps
Dontla chicane semble animer les ressorts ;
Prend un cierge en samainet d'une voix cassée
Vient ainsi gourmander latroupe terrassée.

Lâchesoù fuyez-vous ? quelle peur vous abat ?
Aux cris du viloiseau vous cédez sans combat ?
Où sont ces beauxdiscours jadis si pleins d'audace ?
Craignez-vous d'un hiboul'impuissante grimace ?
Que feriez-voushélassi quelqueexploit nouveau
Chaque jourcomme moivous traînait aubarreau ;
S'il fallaitsans amisbriguant une audience
D'unmagistrat glacé soutenir la présence
Oud'unnouveau procèshardi solliciteur
Aborder sans argent unclerc de rapporteur ?
Croyez-moimes enfantsje vous parle àbon titre :
J'ai moi seul autrefois plaidé tout unchapitre ;
Et le barreau n'a point de monstres si hagards
Dontmon oeil n'ait cent fois soutenu les regards.
Tous les jours sanstrembler j'assiégeais leurs passages.
L'Eglise étaitalors fertile en grands courages :
Le moindre d'entre noussansargentsans appui
Eût plaidé le prélatetle chantre avec lui.
Le mondede qui l'âge avance lesruines
Ne peut plus enfanter de ces âmes divines :
Maisque vos coeursdu moinsimitant leurs vertus
De l'aspect d'unhibou ne soient pas abattus.
Songez quel déshonneur vasouiller votre gloire
Quand le chantre demain entendra savictoire.
Vous verrez tous les jours le chanoine insolent
Auseul mot de hibouvous sourire en parlant.
Votre âmeàce penserde colère murmure :
Allez donc de ce pas enprévenir l'injure ;
Méritez les lauriers qui voussont réservés
Et ressouvenez-vous quel prélatvous servez.
Mais déjà la fureur dans vos yeuxétincelle.
Marchezcourezvolez où l'honneur vousappelle.
Que le prélatsurpris d'un changement si prompt
Apprenne la vengeance aussitôt que l'affront.

Enachevant ces motsla déesse guerrière
De son piedtrace en l'air un sillon de lumière ;
rend aux troischampions leur intrépidité
Et les laisse toutpleins de sa divinité.

C'estainsigrand Condéqu'en ce combat célèbre
Oùton bras fit trembler le Rhinl'Escaut et l'Ebre
Lorsqu'auxplaines de Lens nos bataillons poussés
Furent presque àtes yeux ouverts ou renversés
Ta valeurarrêtantles troupes fugitives
Rallia d'un regard leurs cohortescraintives ;
Répandit dans leurs rangs ton espritbelliqueux
Et força la victoire à te suivre aveceux.

La colèreà l'instant succédant à la crainte
Ilsrallument le feu de leur bougie éteinte :
Ils rentrent ;l'oiseau sort : l'escadron raffermi
Rit du honteux départd'un si faible ennemi.
Aussitôt dans le choeur la machineemportée
Est sur le banc du chantre à grand bruitremontée.
Ses ais demi-pourrisque l'âge arelâchés
Sont à coups de maillet unis etrapprochés.
Sous les coups redoublés tous les bancsretentissent
Les murs en sont émusles voûtes enmugissent.
Et l'orgue même en pousse un long gémissement.

Quefais-tuchantrehélas ! dans ce triste moment ?
Tu dorsd'un profond sommeet ton coeur sans alarmes
Ne sait pas qu'onbâtit l'instrument de tes larmes !
Oh ! que si quelquebruitpar un heureux réveil
T'annonçait du lutrinle funeste appareil ;
Avant que de souffrir qu'on en posâtla masse
Tu viendrais en apôtre expirer dans ta place ;
Etmartyr glorieux d'un point d'honneur nouveau
Offrir toncorps aux clous et ta tête au marteau.

Mais déjàsur ton banc la machine enclavée
Estdurant ton sommeilà ta honte élevée.
Le sacristain achèveen deux coups de rabot ;
Et le pupitre enfin tourne sur sonpivot.


CHANTQUATRIEME
-

Lesclochesdans les airsde leurs voix argentines
Appelaient àgrand bruit les chantres à matines ;
Quand leur chefagité d'un sommeil effrayant
Encor tout en sueur seréveille en criant.
Aux élans redoublés desa voix douloureuse
Tous ses valets tremblants quittent la plumeoiseuse ;
Le vigilant Girot court à lui le premier :
C'est d'un maître si saint le plus digne officier ;
Laporte dans le choeur à sa garde est commise :
Valet soupleau logisfier huissier à l'église.

Quelchagrinlui dit-iltrouble votre sommeil ?
Quoi ! voulez-vousau choeur prévenir le soleil ?
Ah ! dormezet laissez àdes chantres vulgaires
Le soin d'aller sitôt mériterleurs salaires.

Amiluidit le chantre encor pâle d'horreur
N'insulte pointdegrâceà ma juste terreur :
Mêle plutôtici tes soupirs à mes plaintes
Et tremble en écoutantle sujet de mes craintes.
Pour la seconde fois un sommeilgrâcieux
Avait sous ses pavots appesanti mes yeux ;
Quandl'esprit enivré d'une douce fumée
J'ai cru remplirau choeur ma place accoutumée.
Làtriomphant auxyeux des chantres impuissant
Je bénissais le peupleetj'avalais l'encens ;
Lorsque du fond caché de notresacristie
Une épaisse nuée à longs flots estsortie
Quis'ouvrant à mes yeuxdans un bleuâtreéclat
M'a fait voir un serpent conduit par le prélat.
Du corps de ce dragonplein de soufre et de nitre
Une têtesortait en forme de pupitre
Dont le triangle affreuxtouthérissé de crins
Surpassait en grosseur nos plusépais lutrins.
Animé par son guideen sifflant ils'avance :
Contre moi sur mon banc je le vois qui s'élance.
J'ai criémais en vain : etfuyant sa fureur
Je mesuis réveillé plein de trouble et d'horreur.

Lechantres'arrêtant à cet endroit funeste
A sesyeux effrayés laisse dire le reste.
Girot en vainl'assureetriant de sa peur
Nomme sa vision l'effet d'unevapeur :
Le désolé vieillardqui hait laraillerie
Lui défend de parlersort du lit en furie.
Onapporte à l'instant ses somptueux habits
Où surl'ouate molle éclata le tabis.
D'une longue soutane ilendosse la moire
Prend ses gants violetsles marques de sagloire ;
Et saisiten pleurantce rochet qu'autrefois
Leprélat trop jaloux lui rogna de trois doigts.
Aussitôtd'un bonnet ornant sa tête grise
Déjàl'aumuce en main il marche vers l'église
Ethâtantde ses ans l'importune langueur
Courtvoleetle premierarrive dans le choeur.

O toi quisur ces bords qu'une eau dormante mouille
Vit combattre autrefoisle rat et la grenouille ;
Quipar les traits hardis d'un bizarrepinceau
Mit l'Italie en feu pour la perte d'un seau ;
Museprête à ma bouche une voix plus sauvage
Pourchanter le dépitla colèrela rage
Que lechantre sentit allumer dans son sang
A l'aspect du pupitre élevésur son banc.
D'abord pâle et muetde colèreimmobile
A force de douleuril demeura tranquille ;
Mais savoix s'échappant au travers des sanglots
Dans sa bouche àla fin fit passage à ces mots :
La voilà doncGirotcette hydre épouvantable
Que m'a fait voir unsongehélas ! trop véritable !
Je le vois cedragon tout prêt à m'égorger
Ce pupitrefatal qui me doit ombrager !
Prélatque t'ai-je fait ?quelle rage envieuse
Rend pour me tourmenter ton âmeingénieuse ?
Quoi ! même dans ton litcruelentredeux draps
Ta profane fureur ne se repose pas !
O ciel !quoi ! sur mon banc une honteuse masse
Désormais me vafaire un cachot de ma place !
Inconnu dans l'égliseignoré dans ce lieu
Je ne pourrai donc plus être vuque de Dieu !
Ah ! plutôt qu'un moment cet affrontm'obscurcisse
Renonçons à l'autelabandonnonsl'office ;
Etsans lasser le ciel par de chants superflus
Nevoyons plus un choeur où l'on ne nous voit plus.
Sortons...Mais cependant mon ennemi tranquille
Jouira sur son banc de marage inutile
Et verra dans le choeur le pupitre exhaussé
Tourner sur le pivot où sa main l'a placé !
Nons'il n'est abattuje ne saurais plus vivre.
A moiGirotjeveux que mon bras l'en délivre.
Périssons s'il lefautmais de ses ais brisés
Entraînonsen mourantles restes divisés.

A cesmotsd'une main par la rage affermie
Il saisissait déjàla machine ennemie.
Lorsqu'en ce sacré lieupar unheureux hasard
Entre Jean le choristeet le sonneur Girard
Deux Manseaux renommésen qui l'expérience
Pourles procès est jointe à la vaste science.
L'un etl'autre aussitôt prend part à son affront.
Toutefoiscondamnant un mouvement trop prompt
Du lutrindisent-ilsabattons la machine :
Mais ne nous chargeons pas tous seuls de saruine ;
Et que tantôtaux yeux du chapitre assemblé
Il soit sous trente mains en plein jour accablé.

Ces motsdes mains du chantre arrachent le pupitre.
J'y consensleurdit-il ; assemblons le chapitre.
Allez donc de ce paspar desaints hurlements
Vous-mêmes appeler les chanoinesdormants.
Partez. Mais ce discours les surprend et les glace.
Nous ! qu'en ce vain projetpleins d'une folle audace
Nousallionsdit Girardla nuit nous engager !
De notre complaisanceosez-vous l'exiger ?
Hé ! seigneur ! quand nos crispourraientdu fond des rues
De leurs appartements percer lesavenues
Réveiller ces valets autour d'eux étendus
De leurs sacrés repos ministres assidus
Et pénétrerdes lits aux bruits inaccessibles ;
Pensez-vousau moment queles ombres paisibles
A ces lits enchanteurs ont su les attacher.
Que la voix d'un mortel les en puisse arracher ?
Deuxchantres feront-ilsdans l'ardeur de vous plaire
Ce que depuistrente ans six cloches n'ont pu faire ?

Ah ! jevois bien où tend tout ce discours trompeur
Reprend lechaud vieillard : le prélat vous fait peur.
Je vous ai vuscent foissous sa main bénissante
Courber servilementune épaule tremblante.
Hé bien ! allez ; sous luifléchissez les genoux :
Je saurai réveiller leschanoines sans vous.
ViensGirotseul ami qui me reste fidèle:
Prenons du saint jeudi la bruyante crécelle.
Suis-moi.Qu'à son lever le soleil aujourd'hui
trouve tout lechapitre éveillé devant lui.

Il dit. Dufond poudreux d'une armoire sacrée
Par les mains de Girotla crécelle est tirée.
Ils sortent àl'instantetpar d'heureux efforts
Du lugubre instrument fontcrier les ressorts.
Pour augmenter l'effroila Discordeinfernale
Monte dans le palaisentre dans la grand'salle
Etdu fond de cet antreau travers de la nuit
Fait sortir le démondu tumulte et du bruit.
Le quartier alarmé n'a plus d'yeuxqui sommeillent ;
Déjà de toutes parts leschanoines s'éveillent
L'on croit que le tonnerre est tombésur les toits
Et que l'église brûle une secondefois ;
L'autreencor agité de vapeurs plus funèbres
Pense être au jeudi saintcroit que l'on dit ténèbres
Et déjà tout confustenant midi sonné
Ensoi-même frémit de n'avoir point dîné.

Ainsilorsque tout prêt à briser cent murailles
Louislafoudre en main abandonnant Versailles
Au retour du soleil et deszéphyrs nouveaux
Fait dans les champs de Mars déployerles drapeaux ;
Au seul bruit répandu de sa marcheétonnante
Le Danube s'émeutle Tage s'épouvante
Bruxelles attend le coup qui la doit foudroyer
Et le Bataveencore est prêt à se noyer.

Mais envain dans leurs lits un juste effroi les presse :
Aucun ne laisseencor la plume enchanteresse.
Pour les en arracher Girots'inquiétant
Va crier qu'au chapitre un repas les attend.
Ce motdans tous les coeurs répand la vigilance.
Touts'ébranletout sorttout marche en diligence.
Ilscourent au chapitreet chacun se pressant
Flatte d'un douxespoir son appétit naissant.
Maisô d'un déjeunervaine et frivole attente !
A peine ils sont assisqued'unevoix dolente
Le chantre désolélamentant sonmalheur
Fait mourir l'appétit et naître la douleur.
Le seul chanoine Evrardd'abstinence incapable
Ose encorproposer qu'on apporte la table.
Mais il a beau presseraucun nelui répond :
Quand le premier rompant ce silence profond
Alain tousse et se lève ; Alaince savant homme
Quide Bauny vingt fois a lu toute la somme
Qui possèdeAbéliqui sait tout Raconis
Et même entenddit-onle latin d'A-Kempis.

N'endoutez pointleur dit ce savant canoniste
Ce coup partj'ensuis sûrd'une main janséniste.
Mes yeux en sonttémoins : j'ai vu moi-même hier
Entrer chez leprélat le chapelain Garnier.
Arnaudcet hérétiqueardent à nous détruire
Par ce ministre adroittente de le séduire :
Sans doute il aura lu dans son saintAugustin
Qu'autrefois saint Louis érigea ce lutrin ;
Ilva nous inonder des torrents de sa plume.
Il fautpour luirépondreouvrir plus d'un volume.
Consultons sur ce pointquelque auteur signalé ;
Voyons si des lutrins Bauny n'apoint parlé
Etudions enfinil en est temps encor ;
Etpour ce grand projettantôt dès que l'aurore
Rallumerale jour dans l'onde enseveli
Que chacun prenne en main lemoelleux Abéli.

Ce conseilimprévu de nouveau les étonne :
Surtout le grasEvrard d'épouvante en frissonne.
Moidit-ilqu'àmon âgeécolier tout nouveau
J'aille pour unlutrin me troubler le cerveau !
O le plaisant conseil ! Nonnonsongeons à vivre :
Va maigrirsi tu veuxet séchersur un livre.
Pour moije lis la bible autant que l'alcoran :
Je sais ce qu'un fermier nous doit rendre par an ;
Sur quellevigne à Reims nous avons hypothèque :
Vingt muidsrangés chez moi font ma bibliothèque.
En plaçantun pupitre on croit nous rabaisser :
Mon bras seul sans latinsaura le renverser.
Que m'importe qu'Arnaud me condamne oum'approuve ?
J'abats ce qui me nuit partout où je letrouve :
C'est là mon sentiments. A quoi bon tantd'apprêts ?
Du reste déjeûnonsmessieursetbuvons frais.

Cediscoursque soutient l'embonpoint du visage
Rétablitl'appétitréchauffe le courage.
Mais le chantresurtout en paraît rassuré
Ouidit-ille pupitre adéjà trop duré.
Allons sur sa ruine assurerma vengeance :
Donnons à ce grand oeuvre une heured'abstinence
Et qu'au retour tantôt un ample déjeûner
Longtemps nous tienne à tableet s'unisse au dîner.

Aussitôtil se lèveet la troupe fidèle
Par ces motsattirants sent redoubler son zèle.
Ils marchent droit aucoeur d'un pas audacieux.
Et bientôt le lutrin se fait voirà leurs yeux.
A ce terrible objet aucun d'eux ne consulte
Sur l'ennemi commun ils fondent en tumulte
Ils sapent lepivotqui se défend en vain ;
Chacun sur lui d'un coupveut honorer sa main.
Enfin sous tant d'efforts la machinesuccombe
Et son corps entr'ouvert chancelleéclate ettombe :
Tel sur les monts glacés des farouches Gélons
Tombe un chêne battu des voisins aquilons ;
Ou telabandonné de ses poutres usées
Fond enfin un vieuxtoit sous ses tuiles brisés.
La masse est emportéeet ses ais arrachés
Sont aux yeux des mortels chez lechantre cachés.


CHANTCINQUIEME
-


L'Aurorecependantd'un juste effroi troublée
Des chanoines levésvoit la troupe assemblée
Et contemple longtempsavec desyeux confus
Ces visages fleuris qu'elle n'a jamais vus.
ChezSidrac aussitôt Brontin d'un pied fidèle
Du pupitreabattu va porter la nouvelle.
Le vieillard de ses soins bénitl'heureux succès
Et sur le bois détruit bâtitmille procès.
L'espoir d'un doux tumulte échauffantson courage
Il ne sent plus le poids ni les glaces de l'âge;
Et chez le trésorierde ce pasà grand bruit
Vient éclater au jour les crimes de la nuit.

Au récitimprévu de l'horrible insolence
Le prélat hors dulit impétueux s'élance
Vainement d'un breuvage àdeux mains apporté
Gilotin avant tout le veut voir humecté:
Il veut partir à jeun. Il se peigneil s'apprête;
L'ivoire trop hâté deux fois rompt sur sa tête
Et deux fois de sa main le buis tombe en morceaux ;
TelHercule filant rompait tous les fuseaux
Il sort demi-paré.Mais déjà sur sa porte
Il voit de saints guerriersune ardente cohorte
Qui tousremplis pour lui d'une égalevigueur
Sont prêtspour le servirà déserterle choeur.
Mais le vieillard condamne un projet inutile.
Nosdestins sontdit-ilécrits chez la Sibylle :
Son antren'est pas loin ; allons la consulter
Et subissons la loi qu'ellenous va dicter.
Il dit : à ce conseiloù la raisondomine
Sur ses pas au barreau la troupe s'achemine
Etbientôt dans le templeentendnon sans frémir
Del'antre redouté les soupiraux gémir.

Entre cesvieux appuis dont l'affreuse grand'salle
Soutient l'énormepoids de sa voûte infernale
Est un pilier fameuxdesplaideurs respecté
Et toujours de Normands à midifréquenté.
Làsur des tas poudreux de sacset de pratique
Hurle tous les matins une Sibylle étique :
On l'appelle Chicane ; et ce monstre odieux
Jamais pourl'équité n'eut d'oreilles ni d'yeux.
La Disette auteint blêmeet la triste Famine
Les Chagrins dévorantset l'infâme Ruine
Enfants infortunés de sesraffinements
Troublent l'air d'alentour de longs gémissements.
Sans cesse feuilletant les lois et la coutume
Pour consumerautruile monstre se consume ;
Etdévorant maisonpalaischâteaux entiers
Rend pour des monceaux d'or devains tas de papiers.
Sous le coupable effort de ta noireinsolence
Thémis a vu cent fois chanceler sa balance.
Incessamment il va de détour en détour.
Commeun hibousouvent il se dérobe au jour :
Tantôtlesyeux en feuc'est un lion superbe ;
Tantôthumbleserpentil se glisse sous l'herbe.
En vainpour le dompterleplus juste des rois
Fit régler le chaos des ténébreuseslois ;
Ses griffes vainement par Pussort accourcies
Serallongent déjàtoujours d'encre noircies ;
Et sesrusesperçant et digues et remparts
Par cent brèchesdéjà rentrent de toutes parts.

Levieillard humblement l'aborde et le salue
Et faisantavanttoutbriller l'or à sa vue :
Reine des longs procèsdit-ildont le savoir
Rend la force inutileet les lois sanspouvoir
Toipour qui dans le Mans le laboureur moissonne
Pourqui naissent à Caen tous les fruits de l'automne :
Sidèsmes premiers ansheurtant tous les mortels
L'encre a toujourspour loi coulé sur tes autels
Daigne encor me connaîtreen ma saison dernière ;
D'un prélat qui t'imploreexauce la prière.
Un rival orgueilleuxde sa gloireoffensé
A détruit le lutrin par nos mainsredressé.
Epuise en sa faveur ta science fatale :
Dudigeste et du code ouvre-nous le dédale;
Et montre-nouscet artconnu de tes amis
Quidans ses propres loisembarrasse Thémis.

LaSibylleà ces motsdéjà hors d'elle-même
Fait lire sa fureur sur son visage blême
Etpleine dudémon qui la vient oppresser
Par ces mots étonnantstâche à le repousser.

Chantresne craignez plus une audace insensée.
Je voisje vois auchoeur la masse replacée :
Mais il faut des combats. Telest l'arrêt du sort
Et surtout évitez un dangereuxaccord.

Làbornant son discoursencor tout écumante
Elle souffleaux guerriers l'esprit qui la tourmente ;
Et dans leurs coeursbrûlants de la soif de plaider
Verse l'amour de nuireetla peur de céder.

Pourtracer à loisir une longue requête
A retourner chezsoi leur brigade s'apprête.
Sous leurs pas diligents lechemin disparaît
Et le pilierloin d'euxdéjàbaisse et décroît.

Loin dubruit cependant les chanoines à table
Immolent trente metsà leur faim indomptable.
Leur appétit fougueuxparl'objet excité
Parcourt tous les recoins d'un monstrueuxpâté ;
Par le sel irritant la soif est allumée:
Lorsque d'un pied léger la prompte Renommée
Semant partout l'effroivient au chantre éperdu
Conterl'affreux détail de l'oracle rendu.
Il se lèveenflammé de muscat et de bile
Et prétend àson tour consulter la Sibylle.
Evrard a beau gémir durepas déserté
Lui-même est au barreau par lenombre emporté.
Par les détours étroitsd'une barrière oblique
Ils gagnent les degrésetle perron antique
Où sans cesseétalant bons etméchants écrits
Barbin vend aux passants lesauteurs à tout prix.

Làle chantre à grand bruit arrive et se fait place
Dans lefatal instant qued'un égale audace
Le prélat etsa troupeà pas tumultueux
Descendaient du palaisl'escalier tortueux.
L'un et l'autre rivals'arrêtant aupassage
Se mesure des yeuxs'observes'envisage ;
Uneégale fureur anime les esprits :
Tels deux fougueuxtaureauxde jalousie épris
Auprès d'une génisseau front large et superbe
Oubliant tous les jours le pâturageet l'herbe
A l'aspect l'un de l'autreembrasésfurieux
Déjà le front baissése menacent des yeux.
Mais Evrarden passant coudoyé par Boirude
Ne saitpoint contenir son aigre inquiétude ;
Il entre chezBarbinetd'un bras irrité
Saisissant du Cyrus unvolume écarté
Il lance au sacristain le tomeépouvantable.
Boirude fuit le coup : le volume effroyable
Lui rase le visageetdroit dans l'estomac
Va frapper ensifflant l'infortuné Sidrac.
Le vieillardaccabléde l'horrible Artamène
Tombe aux pieds du prélatsans pouls et sans haleine.
Sa troupe le croit mortet chacunempressé
Se croit frappé du coup dont il le voitblessé.
Aussitôt contre Evrard vingt championss'élancent ;
Pour soutenir leur choc les chanoines'avancent.
La Discorde triompheet du combat fatal
Par uncri donne en l'air l'effroyable signal.

Chez lelibraire absent tout entretout se mêle :
Les livres surEvrard fondent comme la grêle
Quidans un grand jardinàcoups impétueux
Abat l'honneur naissant des rameauxfructueux.
Chacun s'arme au hasard du livre qu'il rencontre :
L'un tient l'Edit d'amourl'autre en saisit la Montre ;
L'unprend le seul Jonas qu'on ait vu relié ;
L'autre un Tassefrançaisen naissant oublié.
L'élèvede Barbincommis à la boutique
veut en vain s'opposer àleur fureur gothique :
Les volumessans choix à la têtejetés
Sur le perron poudreux volent de tous côtés:
Làprès d'un GuariniTérence tombe àterre ;
LàXénophon dans l'air heurte contre un laSerre
Oh ! que d'écrits obscursde livres ignorés
Furent en ce grand jour de la poudre tirés !
Vous enfûtes tirésAlmerinde et Simandre :
Et toirebutdu peupleinconnu Caloandre
Dans ton reposdit-onsaisi parGaillerbois
Tu vis le jour alors pour la première fois.
Chaque coup sur la chair laisse une meurtrissure :
Déjàplus d'un guerrier se plaint d'une blessure.
D'un le Vayer épaisGiraut est renversé :
Marineaud'un Brébeuf àl'épaule blessé
En sent par tout le bras unedouleur amère
Et maudit le Pharsale aux provinces sichère.
D'un Pinchêne in-quarto Dodillon étourdi
A longtemps le teint pâle et le coeur affadi.
Au plusfort du combat le chapelain Garagne
Vers le sommet du frontatteint d'un Charlemagne
(Des vers de ce poème effetprodigieux)!
Tout prêt à s'endormirbâilleet ferme les yeux.
A plus d'un combattant la Clélie estfatale :
Girou dix fois par elle éclate et se signale.
Mais tout cède aux efforts du chanoine Fabri.
Ceguerrierdans l'église aux querelles nourri
Est robustede corpsterrible de visage
Et de l'eau dans son vin n'a jamaissu l'usage.
Il terrasse lui seul et Guilbert et Grasset
EtGorillon la basseet Grandin le fausset
Et Gerbais l'agréableet Guerin l'insipide.

Deschantres désormais la brigade timide
S'écarteetdu palais regagne les chemins :
Telleà l'aspect d'unloupterreur des champs voisins
Fuit d'agneaux effrayésune troupe bêlante ;
Ou tels devant Achilleaux campagnesde Xanthe
Les Troyens se sauvaient à l'abri de leurstours
Quand Brontin à Boirude adresse ce discours :

Illustreporte-croixpar qui notre bannière
N'a jamais en marchantfait un pas en arrière
Un chanoine lui seul triomphant duprélat
Du rochet à nos yeux ternira-t-il l'éclat?
Nonnon : pour te couvrir de sa main redoutable
Acceptede mon corps l'épaisseur favorable.
Viensetsous cerempartà ce guerrier hautain
Fais voler ce Quinault quime reste à la main.
A ces motsil lui tend le doux ettendre ouvrage.
Le sacristainbouillant de zèle et decourage
Le prendse cacheapprocheetdroit entre le syeux
Frappe du noble écrit l'athlète audacieux.
Maisc'est pour l'ébranler une faible tempête
Le livresans vigueur mollit contre sa tête.
Le chanoine les voitde colère embrasé :
Attendezleur dit-ilcouplelâche et rusé
Et jugez si ma mainaux grandsexploits novice
Lance à mes ennemis un livre quimollisse.
A ces mots il saisit un vieil Infortiat
Grossi desvisions d'Accurse et d'Alciat
Inutile ramas de gothiqueécriture
Dont quatre ais mal unis formaient lacouverture
Entouré à demi d'un vieux parcheminnoir
Où pendait à trois clous un reste de fermoir.
Sur l'ais qui le soutient auprès d'un Avicenne
Deuxdes plus forts mortels l'ébranleraient à peine :
Lechanoine pourtant l'enlève sans effort
Etsur le couplepâle et déjà demi-mort
Fait tomber àdeux mains l'effroyable tonnerre.
Les guerriers de ce coup vontmesurer la terre
Etdu bois et des clous meurtris et déchirés
Longtempsloin du perronroulent sur les degrés.

Auspectacle étonnant de leur chute imprévue
Leprélat pousse un cri qui pénètre la nue.
Ilmaudit dans son coeur le démon des combats
Et del'horreur du coup il recule six pas.
Mais bientôt rappelantson antique prouesse
Il tire du manteau sa dextre vengeresse ;
Il partetde ses doigts saintement allongés
Bénittous les passantsen deux files rangés.
Il sait quel'ennemique ce coup va surprendre
Désormais sur sespieds ne l'oserait attendre
Et déjà voit pour luitout ce peuple en courroux
Crier aux combattants : Profanesàgenoux !
Le chantrequi de loin voit approcher l'orage
Dansson coeur éperdu cherche en vain du courage :
Sa fiertél'abandonneil trembleil cèdeil fuit.
Le long dessacrés murs sa brigade le suit :
Tout s'écarte àl'instant ; mais aucun n'en réchappe ;
Partout le doigtvainqueur les suit et les rattrape.
Evrard seulen un coinprudemment retiré
Se croyait à couvert del'insulte sacré :
Mais le prélat vers lui fait unemarche adroite
Il l'observe de l'oeil ; et tirant vers ladroite
Tout d'un coup tourne à gaucheet d'un brasfortuné
Bénit subitement le guerrier consterné.
Le chanoinesurpris de la foudre mortelle
Se dresseetlève en vain une tête rebelle ;
Sur ses genouxtremblants il tombe à cet aspect
Et donne à lafrayeur ce qu'il doit au respect.
Dans le temple aussitôtle prélat plein de gloire
Va goûter les doux fruitsde sa sainte victoire ;
Et de leur vain projet les chanoinespunis
S'en retournent chez euxéperdus et bénis.


CHANTSIXIEME


Tandisque tout conspire à la guerre sacrée
La Piétésincèreaux Alpes retirée
Du fond de son désertentend les tristes cris
De ses sujets cachés dans lesmurs de Paris.
Elle quitte à l'instant sa retraite divine
La Foid'un pas certaindevant elle chemine ;
L'Espéranceau front gai l'appuie et la conduit ;
Etla bourse à lamainla Charité la suit.
Vers Paris elle voleet d'uneaudace sainte
Vient aux pieds de Thémis proférercette plainte :

Viergeeffroi des méchantsappui de mes autels
Quila balanceen mainrègle tous les mortels
Ne viendrai-je jamais entes bras salutaires
Que pousser des soupirs et pleurer mesmisères !
Ce n'est donc pas assez qu'au mépris detes lois
L'Hypocrisie ait pris et mon nom et ma voix ;
Quesous ce nom sacrépartout ses mains avares
Cherchent àme ravir crossesmitrestiares !
Faudra-t-il voir encor centmonstres furieux
Ravager mes états usurpés àtes yeux !
Dans les temps orageux de mon naissant empire
Ausortir de baptême on courait au martyre.
Chacunplein demon nomne respirait que moi :
Le fidèleattentif auxrègles de sa loi
Fuyant des vanités la dangereuseamorce
Aux honneurs appelén'y montait que par force :
Ces coeursque les bourreaux ne faisaient point frémir
A l'offre d'une mitre étaient prêts à gémir;
Etsans peur des travauxsur mes traces divines
Couraientchercher le ciel au travers des épines.
Maisdepuis quel'Eglise eutaux yeux des mortels
De son sang en tous lieuxcimenté ses autels
Le calme dangereux succédantaux orages
Une lâche tiédeur s'empara des courages
De leur zèle brûlant l'ardeur se ralentit.
Sousle joug des péchés leur foi s'appesantit :
Le moinesecoua la cilice et la haire
Le chanoine indolent apprit àne rien faire ;
Le prélatpar la brigue aux honneursparvenu
Ne sut plus qu'abuser d'un humble revenu
Et pourtoutes vertus fitau dos d'un carrosse
A côtéd'une mitre armorier sa crosse ;
L'Ambition partout chassal'Humilité ;
Dans la crasse du froc logea la Vanité.
Alors de tous les coeurs l'union fut détruite.
Dansmes cloîtres sacrés la Discorde introduite
Y bâtitde mon bien ses plus sûrs arsenaux ;
Traîne tous messujets au pied des tribunaux.
En vain à ses fureursj'opposai mes prières ;
L'insolenteà mes yeuxmarcha sous mes bannières.
Pour comble de misèreun tas de faux docteurs
Vint flatter les péchés dediscours imposteurs ;
Infectant les esprits d'exécrablesmaximes
Voulut faire à Dieu même approuver tous lescrimes.
Une servile peur leur tint lieu de charité
Lebesoin d'aimer Dieu passa pour nouveauté ;
Et chacun àmes piedsconservant sa malice
N'apporta de vertu que l'aveu deson vice.

Pouréviter l'affront de ces noirs attentats
J'allai chercherle calme au séjour des frimas
Sur ces monts entourésd'une éternelle glace
Où jamais au printemps leshivers n'ont fait place.
Maisjusques dans la nuit de mes sacrésdéserts
Le bruit de mes malheurs fait retentir les airs.
Aujourd'hui même encore une voix trop fidèle
M'ad'un triste désastre apporté la nouvelle :
J'apprendsquedans ce temple où le plus saint des rois
Consacratout le fruit de ses pieux exploits
Et signala pour moi sapompeuse largesse
L'implacable Discorde et l'infâmeMollesse
Foulant aux pieds les loisl'honneur et le devoir
Usurpent en mon nom le souverain pouvoir.
Souffriras-tumasoeurune action si noire ?
Quoi ! ce templeà ta porteélevé pour ma gloire
Où jadis des humainsj'attirais tous les voeux
Sera de leurs combats le théâtrehonteux !
Nonnonil faut enfin que ma vengeance éclate:
Assez et trop longtemps l'impunité les flatte.
Prendston glaiveetfondant sur ces audacieux
Viens aux yeux desmortels justifier les cieux.

Ainsiparle à sa soeur cette vierge enflammée :
La grâceest dans ses yeux d'un feu pur allumée.
Thémis sansdifférer lui promet son secours
La flattela rassure etlui tient ce discours :

Chèreet divine soeurdont les mains secourables
Ont tant de foisséché les pleurs des misérables
Pourquoitoi-mêmeen proie à tes vives douleurs
Cherches-tusans raison à grossir tes malheurs ?
En vain de tes sujetsl'ardeur est ralentie ;
D'un ciment éternel ton Eglise estbâtie
Et jamais de l'enfer les noirs frémissements
N'en sauraient ébranler les fermes fondements.
Aumilieu des combatsdes troublesdes querelles
Ton nom encorchéri vit au sein des fidèles.
Crois-moidans celieu même où l'on veut t'opprimer
Le trouble quit'étonne est facile à calmer ;
Etpour y rappelerla paix tant désirée
Je vais t'ouvrirma soeurune route assurée.
Prête-moi donc l'oreilleetretiens tes soupirs.

Vers cetemple fameuxsi chers à tes désirs
Où leciel fut pour toi si prodigue en miracles
Non loin de ce palaisoù je rends mes oracles
Est un vaste séjour desmortels révéré
Et de clients soumis àtoute heure entouré
Làsous le faix pompeux de mapourpre honorable
Veille au soin de ma gloire un hommeincomparable
Aristedont le Ciel et Louis ont fait choix
Pourrégler ma balance et dispenser mes lois.
Par lui dans lebarreau sur mon trône affermie
Je vois hurler en vain lachicane ennemie ;
Par lui la vérité ne craint plusl'imposteur
Et l'orphelin n'est plus dévoré dututeur.
Mais pourquoi vainement t'en retracer l'image ?
Tu leconnais assez : Ariste est ton ouvrage.
C'est toi qui le formasdès ses plus jeunes ans :
Son mérite sans tache estun de tes présents.
Tes divines leçonsavec lelait sucées
Allumèrent l'ardeur de ses noblespensées.
Aussi son coeurpour toi brûlant d'un sibeau feu
N'en fit point dans le monde un lâche désaveu;
Et son zèle harditoujours prêt àparaître
N'alla point se cacher dans le sombres d'uncloître.
Va le trouverma soeur a ton auguste nom
Touts'ouvrira d'abord en sa sainte maison.
Ton visage est connu de sanoble famille.
Tout y garde tes loisenfantssoeursfemmefille.
Tes yeux d'un seul regard sauront le pénétrer;
Etpour obtenir touttu n'as qu'à te montrer.

Làs'arrêta Thémis. La Piété charmée
Sent renaître la joie en son âme calmée.
Ellecourt chez Ariste ; Et s'offrant à ses yeux :

Que mesertlui dit-elleAriste qu'en tous lieux
Tu signales pour moiton zèle et ton courage
Si la Discorde impie à maporte m'outrage ?
Dans ces mursautrefois si saintssirenommés
A mes sacrés autels font un profaneinsulte
Remplissent tout d'effroide trouble et de tumulte.
Deleur crime à leurs yeux va-t-en peindre l'horreur :
Sauve-moisauve-les de leur propre fureur.

Elle sortà ces mots. Le héros en prière
Demeure toutcouvert de feux et de lumière.
De la céleste filleil reconnaît l'éclat
Et mande au même instantle chantre et le prélat.

Musec'est à ce coup que mon esprit timide
Dans sa courseélevée a besoin qu'on le guide.
Pour chanter parquels soinspar quels nobles travaux
Un mortel sut fléchirces superbes rivaux.

Maisplutôttoi qui fis ce merveilleux ouvrage
Aristec'est àtoi d'en instruire nôtre âge.
Seul tu peux révélerpar quel art tout puissant
Tu rendis tout-à-coup lechantre obéissant.
Tu sais par quel conseil rassemblant lechapitre
Lui-mêmede sa mainreporta le pupitre ;
Etcomment le prélatde ses respects content
Le fit du bancfatal enlever à l'instant.
Parle donc : c'est à toid'éclaircir ces merveilles.
Il me suffit pour moi d'avoirsupar mes veilles
Jusqu'au sixième chant pousser mafiction
Et fait d'un vain pupitre un second Ilion.
Finissons.Aussi bienquelque ardeur qui m'inspire
Quand je songe au hérosqui me reste à décrire
Qu'il faut parler de toimon esprit éperdu
Demeure sans paroleinterditconfondu.

Aristec'est ainsi qu'en ce sénat illustre
Où Thémispar tes soinsreprend son premier lustre
Quandla premièrefoisun athlète nouveau
Vient combattre en champ clos auxjoutes du barreau
Souvent sans y penser ton auguste présence
Troublant par trop d'éclat sa timide éloquence
Lenouveau Cicérontremblantdécoloré
Chercheen vain son discours sur sa langue égaré :
En vainpour gagner tempsdans ses transes affreuses
Traîne d'undernier mot les syllabes honteuses ;
Il hésiteil bégaie; et le triste orateur
Demeure enfin muet aux yeux du spectateur.