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AnonymeLe manuscrit libertin anonyme n° 702 de la Bibliothèque Municipale de Douai

TRANSCRIPTION

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1°Dissertation sur le Sentiment des Betesl'Instinct et la RaisonContre les Cartésiens

2° Surla musique 3° de la sympathie et de l'antipathie 4° del'instinct dans bien des actions 5° arguments du Pirronisme 6°a mr. que l'ame n'est que sentiment 7° de la vraie et de lafausse gloire 8° de l'ame et de ce qu'elle devient aprèsla mort 9° des diff. religions d'hollande

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Sur leSentiment des Bêtes

Vne desplus celebres jnuentions de Décartesest sans doute celle del'ame des Bêtesqu'il faut auoüer que les Ecoliers ontsoûtenuë auec beaucoup d'espritparti- culierement vnd'entr'eux qui a fait vn excellent liure jntitulé L'Ame desBêtes. Quoique l'auteur ait renoncé a la gloireque cette jngenieuse composition deuoit lui donner dans son particependant on m'a dit que son nomqu'il n'a marqué que par vnA. et vn D.étoit Monsieur D'Armansonrefugiéen Hollande . Afin de ne point affoiblir ce qu'il auancejl pretendque les Cartesiensdans vn certain sensne nïent point que lesanimaux n'ayent des Sentiment. Mais on verra en quoi jls different del'homme. Premierementdit-ilce mot Sentirne signifieautre chose que la peinture de l'objet qui se fait sur la retine. 2°. On prend ce mot

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pour cequi est transmis dans le cerueau(dans les esprit animaux) al'occasion de diuers ébranlemensque l'objet suiuant sadifferencea jmprimé sur les filets de la Retine. Entroisieme lieu on le prend pour les [INTERL:] XX être mouuemensqui peuuent XX excités dans le corpsa l'occasion d'vn coursque les esprits animaux peuuent prendre en diuerses partiessuiuantles endroits ou le cerueau aura été ouuertparl'impression que l'objet a fait jusqu'a lui. { L'objet frape laRetine pleine d'esprits animauxces esprits sont repoussésvers le cerueau plein d'espritsles- quels étants repoussésaussijls se repercutent et se font vn passage par certains nerfsqui s'allongeant ou se retirant font faire certains mouuemens aucorps.} L'on auoüe donc que dans ces trois manieres les bêtessentent comme nousqu'elles voyent etc. car nous ne voyons etc. quede cette maniere ; c'est a dire par les esprits animauxque l'objet(je veux dire la lumiere qui se reflechit de l'objet) se poussejusqu'au cerueau. Mais pour nousoutre ces trois choses

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précedentesnous auons vne aperceuanceet vne pensée confuse de l'objet.Les Cartésiens pretendent que cette perceuance que nous auonsmanque aux bêteset c'est ce qui fait la differenceseloneuxentre nous et elles.

Dans lasuite du Liurenôtre Auteur explique auec beaucoup d'espritles actions des animaux qui paroissent les plus judicieuses et lesplus spirituellespar le seul ébranlement que les espritsfont dans le cerueause faisant certaines ouuertures par certainscanaux ; comme les eaux qui coulent par certains endroitset quiproduisent diuers jets-d'eaux. Lesquels esprits font faire par lemoyen des nerfs certains mouuemens au corpssans qu'il ait aucvneaperceuance de ce que cette action lui faitet de la mêmemaniere qu'vne montre qui marque exactement les heuressans qu'ellesacheni qu'elle ait aucvne perceuance de ce qu'elle fait. On ajoûteque si les hommes ont sû faire de telles machineset de plusmerueilleuses encoreon ne peut pas nier que le souuerain Ouuriern'ait pû et sû faire les

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machinesanimales telles que nous les voyons.

Ce n'estpas assés de direce qui n'est pas douteuxque Dieu a pûet les a sû faire. Jl faut prouuer que les bêtes sonttelles qu'on le pretendsans perception ni connoissance de cequ'elles font. Cela se prouuedisent-ilsde ce que la matiered'autant que matierene peut pas auoir de sentiment ni deconnoissance. Proprieté qui est reseruée a l'ameraisonnable de l'hommelaquélle non seulement sent par lemoyen du mouuement des esprits animauxcomme les bêtes ; maiselle perçoit et connoît l'action des objets.

Jl estvrai qu'il n'y a pas de doute que la matiereconsiderée commesimple matierene peut pas auoir cette perception des objetslesconnoîtreet en faire la difference. Mais pourquoi nepouroit-on pas dire que le Créateur qui tire l'ame de l'hommedu néant pour en faire vne substance sensible et connoissanten'ait fait aussi que la matiere qu'il a tiré du néantet a la quélle jl a donné la

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puissancede se mouuoir d'elle-même ; (car jl faut qu'il y ait quelquechose qui se meuue par sa propre force ;) pourquoidis-jenepouuons nous pas dire auec Platonqu'il lui a donné aussi lafaculté de sentir tous ses differens mouuemensdont ladiuersité fait celles des diuerses sensations. Pourquoi nepouroit-on pas dire encoreque cet esprit animal n'est pasabsolument purmais que la matiere grossiere contient beaucoup decette premiere matiere éteréelaquélle étantémûë par les objets fait le sentiment et laperception des animaux. Oh ! dira- t'oncela aproche trop l'animalde l'homeet l'opinion de Décartes fauorise la Religion.Comment donc ? La verité de nôtre Sainte Religion abesoin de l'apuy des philosophes pour se soûteniret la parolejnfaillible de Dieu ne lui sert de rien ? Dites plûtôtque pour soûtenir et faire passer cette opinion de Décarteson la apuyée sur la Religionafin qu'on la crût. Sansfaire des animaux ce qu'ils ne sont pasn'est-il pas plus juste decroire ce que la

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Religionnous enseigneque l'homme a vne ame jmmaterielle que Dieu créeexprés pour luiqui est libre d'agiret laquélleattend des recompenses ou des peines de ses bonnes ou mauuaisesactions.

Jeconuiens que les Cartesiens ont confondu la matiere et le corpsquisont deux choses trés differentes. La premiere matiere estjmmobileet par consequent jnsensible. A l'égard del'objection qu'on nous fait que la matiere est jncapable desentimentcette objectiondis-jene nous regarde pointpuisquenous auons montré la difference qu'il y a de la premierematiere mobiledu corps jmmobile qu'elle produit. D'ailleurs puisquela plupart des animaux sont organises comme les hommeset queceux-cy [INTERL:] XX ainsi que les premiers font XX les mêmesactions par les semblables ressorts des espritscette ressemblancepeut être vne preuue que les bêtes sententetconnoissent a peu prés comme les hommes. J'ai ditci-deuantque ce qui fait la difference entre l'homme et l'animal

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est l'ameraisonnable jmmortelle.

Voilaentr'autres chosesa mon auisce qu'il y a entre nous et les bêtes.Celles-cy ont la même structure que nousmais elles ne peuuentfaire autre chose que de suiure les jmpressions des sens. Elles ontvne carcassevn coeuret des visceres semblables aux nôtres ;vn cerueauou le sang en passant par ses fibres les plus subtiless'épure et se separe des corps grossiers qui y étoïentmêlés. Jl se forme par cette dépuration etfiltrationce qu'on apelle esprit animal sensiblequi est enquelque maniere semblable a l'esprit de vin. Cet esprit doncsuiuantqu'il est plus ou moins épuré des corpusculesgrossiersfait l'homme et l'animal plus sensible et plusconnoissant. Nos plus sauans Theologiens conuiennent que l'ameraisonnable étant enuironnée de cet esprit en est émûë; mais elle peut resister a ces mouuemens des sensque nous auonssans doute comme les animaux. Voilaje croisla difference qu'il ya de l'homme aux bêteslesquélles

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n'ayantpas d'autre ame que celle de la matiereelles sont contraintescomme dit l'auteur de l'ame des bêtesde faire ce que lesémotions des esprits causent dans la machine animaleconnoissant ce qu'elles font pour leur propre bien ou pour leur mal.Mais l'homme peut resister a ces émotions des espritsparcequ'il a vne autre sorte d'ame plus excellentecomme étantcrée jmmédiatement de Dieu pour lui seul. C'est ce quele St Esprit nous enseigneauquel nous deuons ajoûter plus defoiqu'a Decartes et ses sectateurspour jngenieux et spirituelsque puissent être leurs Paradoxes.

L'on dirapeut être qu'on ne sauroit trop aider la foiblesse humaine acroire ce qu'on enseigneet que cette opinion des Automates faitvoir la difference qu'il y a du sentiment des animaux d'auecl'excellence de nôtre ame. Jl est

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vrai ;maix ceux qui sont vicieux ne croyent pasparcequ'ils veulent êtreainsi et que la volupté a laquélle jls ont donéles possede. Nous voyons de reste tous les jours des gens quicroyentles- quels font comme s'ils ne croyoient pas. Jl est doncjnutile de leur faire connoîtrequ'ils ont vne ame jmmortellecapable de recompenses et de peines. Jls n'en font ni plus ni moins.Quoique la Foi viue soit le fondement de tousjls ont de la Foy ;mais cette viuacité de la Foyqui est vn don de Dieu et nonpas des philosophesleur manque. C'est ce qu'il faut precher auxhommeset non pas que les animaux ne connoissent point. Car étantpersuadés du contrairejls seront portés a croire quetout ce qu'on leur dit ne sont que des fablescomme est celle del'jnsensibilité des bêtes. Ce qui est dans le fond plusdangereux

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qu'utile ala Religion.

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Del'Jnstinct et de la Raison

Levulgaire dit communement que les animaux agissent par Jnstinctetl'homme par Raison. Cette opinion que l'on a suçéeauec le laitme fait croire qu'il faut détromperautantautant qu'il est possibleceux qui sont dans ce prejugé ; enfaisant connoître que ce qu'on apelle Jnstinct dans les bêtesn'est qu'vn sentiment qui est commvn à elles comme àl'hommelequel éloigné d'agir toûjours parRaisonn'âgit le plus souuent que par le même Jnstinct ;c'est a dire par de semblables sensations. Carcomme on la pûentendre par le discours précedentles sensations meuuent leshumeurs et les esprits a faire certaines actions.

Pourrendre la chose plus sensible il faut se ressouuenir de ce que ditAristote

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que l'ameen general (je ne parle point ici de cette ame que Dieu créeexprès pour l'hommelaquélle est d'vne autre nature)l'ame animaledis-jen'est autre chosesuiuant ce philosophequele principe de mouuement ; c'est à dire ce qui donne lemouuement au corpset qui le fait agir d'vne maniere ou d'autre.

Le corpsdonc se meut pour faire certaines actions de la maniere que l'ame estémûëlaquélle meut les corps ou elle estsuiuant les mouuemens qu'elle reçoitet dont elle est agitée.L'ame dont je parlen'est autre chose que l'esprit animalqui estformé des particules les plus subtiles du sang et des humeursqui se criblent dans le cerueauou ces liqueurs se subtilisent et seseparent de ce qu'elles ont de grossiercomme la farine se separe duson quand on la tamise et qu'on la fait passer par des trous forts

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subtils.Cet esprit animal est proprement ce que j'apelle substance Eteréelaquélle se meut par elle-même ; et par vne propriétéque Dieu lui a commvniquéenon seulement elle se meutmaiselle sent ses mouuemenset les manieres différentes dont elleest émûe. Si elle est agitée doucement et d'vnemaniere chatoüillantepar vne jnstitution Diuine de l'auteur dela Nature elle sent du plaisirce qui la porte à aimer et adesirer de s'vnir auec la chose qui lui fait plaisiret de jouïrd'elle par cette vnion. Mais si cet esprit animal au contraire estagité auec violenceet d'vne maniere façon pénibleet turbulenteelle sent ce trouble et cette violenceet par la mêmeJnstitution naturelle elle est portée a haïrce quicause cette agitation qui lui fait peine. Ce qui n'a pas besoin depreuuepuisque nous-mêmes ne sentons que trop cette verité: car la

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mêmemain qui nous chatoüille doucement les joüesnous fait vnsentiment de plaisir[INTERL:] sy et nous l'aimons ; mais lorsqueauec jmpe[INTERL:] apliquait tuosité elle...................... vn souflet sur le même endroitqui ycausât.... vn sentiment douloureuxalors on seroit portéa haïr ce qui nous cause cette douleur. Cette experience etgrand nombre d'autres que chacvn saitet qui ne sont pas douteusesont porté Aristippe a conclure que le plaisir vient d'vnmouuement doux et chatoüillantet que la peinequi est vndegré jnferieur a la douleurest produite par vn mouuementturbulent et âpre. Le premier de ces mouuemenssuiuant ce queje viens de direforme le plaisir et nous plaîtcomme l'autreproduit la peine qui nous déplaitet l'vn ou l'autre sontd'autant plus agreable ou déplaisantsuiuant les degrésdes mouuemens ou plus chatoüillans ou plus violenset qui sontles plus propres

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a formerle plus grand plaisirou la plus grande peine et douleurd'ouprouient le plus grand amourou la plus grande haine pour l'objetqui cause ce mouuement dans les esprits animauxqui sont dans lecorps qu'ils meuuent et qu'ils animent. Je ne crois pas manquerbeaucoup quand je diraique suiuant mon sentiment le plaisir et lapeine (ou douleur) sont les deux polessur lesquels roulent toutesles actions des corps anilés ; d'autant que les objets quinous causent ce sentiment de plaisirnous mennent a nous approcherd'eux et a les aimercomme au contraire ceux qui nous agitent auecviolencequi par consequent nous déplaisentceux-làdis-jenous repoussent et nous meuuent a nous éloigner d'euxpar la peine qu'ils nous causent. Je suis donc porté a croireque ce qu'on apelle Jnstinctn'est autre chose que le plaisirou lapeineque l'objet cause a quelqu'vn de nos sens. Ainsi

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quand jevois vn cheualvne brebisou autre animal dans vn Préquimange vne certaine herbeet qu'il en quite vne autre sans y toucher.Je crois que l'herbe qu'il mange chatoüille son odorat d'vnemaniere agréableet son goût encore d'auantage ; et quecelle qu'il quite lui cause vn sentiment désagréabletant à l'odorat qu'au goût. Ce que l'on ne peut pas nierde nous-mêmespuisque nous sommes portés par les mêmessensations a aimerou haïr certaines viandes. Lorsque je jettequelque chose a vn Chien[INTERL:] cet animal et que................ fleure auparauant ce [INTERL:] XX ai XX qu'il XXensuite si que je lui XX jetté.............. mange XX.................. .................... l'odorat y a trouué vnsentiment de plaisir. Je crois pas que l'on doiue dire que cela sefasse par vn simple Jnstinctmais parce que l'organe de l'odorat y atrouué du plaisiret ensuite le goût. Ce qui me lepersuade encore d'auantagec'est que si je jette a terre deux chosesdifferentes bonnes

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a mangerle Chien commence par les fleurer l'vne aprés l'autreet ilmange la premiere celle que j'aurois moi-même trouué lameilleure et la plus apetissante. Ce qui me fait croire non seulementles sensations du Chien semblables en quel- [INTERL:] XX mais quefaçon aux miennesXX .... qu'il âgit par le mêmejnstinct ou principe du plaisiret du plus grand plaisir qui me meutdans le momentque l'on prefere toûjours au plus petitlequelchatoüille plus foiblement que le grand ; de même que l'onhait plus fortementet qu'on füit auec plus d'empressement cequi fait vne plus grande peineque ce qui en cause moins. Voila cequi fait qu'on souffre [INTERL:] que souuentet .......... que l'oncherche même vne petite peinepour en éuiter vne plusgrande. On voitpar Exemplequ'vn homme trauaille tout le jourpour ne pas mourir de faim. Vn chien soufre [INTERL:] XX d'entrerbeaucoup de coupsplûtôt que XX dans vn feu ardent quipouroit le consommer .

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L'ane mêmequ'on croit le plus stupide des animauxparcequ'il est le pluspatientsoufre mille coups de bâtonplûtôt que devouloir auancer vn pas vers vn endroitdans lequel il peut seprecipiter en vn abîme. Cette preference du plus grand plaisirau moindreet la volonté de soufrir vne douleur moins fortepour en éuiter vne plus grandefont vne partie de ce qu'onapelle Raison naturelle de l'homme ou de la bête. C'estproprement en quoi consiste la Raison naturelle ; c'est àdire a chercher nôtre plus grand bienet a füir le plusgrand mal naturel. Ce que nous ne connoissons pas par d'autresmoyensque par le plus ou moins de plaisiret par le plus ou moinsde douleur. Remarqués que Dieu même dans l'étatpresent de la nature ne peut nous faire connoître ce qui est lebienque par le plaisir qu'il y a en quelque choseet ne sauroitnous proposer vne autre felicité dans le Paradis

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pour nôtreobeïssance que des plaisirs jnfinis et eternelsni nous menacerd'autres mauxque d'être chatiés par des peines et desdouleurs perpetuelles dans les Enfers. Par ou il paroîtéuidemmentà mon auisqu'on ne peut connoîtreni conceuoir d'autre bien dans l'état naturelque le plaisirqui n'est point suiui d'aucvne douleurni d'autre mal que la peineet la douleur qui n'est point suiuie d'aucvn plaisir. Donc le urai etparfait malest la pure douleur sans aucvn plaisiret le vrai bienest le plaisir sans aucvn mêlange de douleur. Ce qui se doitentendre dans l'état de natureet des plaisirs que les LoixDiuines ou humaines ne deffendent pointles magistrats faisantsucceder a leur deffensela douleur des prisons et les autreschâtimens dans la vie presenteque Dieu fait craindre encoredans la vie future.

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La Raisonnaturelle consiste donc dans le plaisir qui n'admet point de douleuret le mal dans la douleur qui n'admet point de plaisir. C'est vneffet de la Raison de s'abstenir des plaisirs qui sont précedésou suiuis de grandes douleurscomme c'en est vn de soufrir quelquepeine et quelque mediocre douleurpour arriuer vn jour a quelqueplaisir qui soit superieur a la peine qu'on a souffert. C'est encorecelui d'vne grande raisond'abandonner tous ou la plus grande[INTERL:] XX mediocres et partie des plaisirs XX passagers que l'onpeut goûter dans cette courte Viepour joüir aprésla mort des plaisirs éternels beaucoup plus grands.

Mais ilfaut remarquer vne autre chosec'est que l'objet qui vous cause leplaisirvous excite dans le même tems a le goûtersoitqu'il sorte de lui quelque chose qui meuue les esprits qui sont dansl'organe de quelque sens ; comme par Exemplelorsque les fuméesde quelque

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viandeviennent a chatoüiller l'odoratcela éxcite en vousl'apetit endormiet vne faim que vous n'auiés pas auparauant; où que la veüe d'vn beau jardin plein de fleurs et defontainesnon seulement vous jnspire du plaisirmais il semblequ'il vous éxcite a vous promeneret a jouïr de sa veüe.Je ne parle pas du plaisir que vous fait la ueüe d'vne personneaimablequi vous excite a jouïr de sa compagnieet dontl'absence même vous est facheusece que vous ne soufrésqu'auec vne peine plus ou moins grandea proportion du plaisir plusou moins vif que sa veüe vous a faitpeine que ceux qu'onapelle amoureux connoissent mieux que les autres. Quelque chosed'aprochant se peut dire d'vn son armonieux qu'on entend d'vn peuloinlequel semble vous attireret vous jnuiter a vous en aprocherpour en

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joüirplus a l'aise et plus en entier ; soit que ce second effet vienne dece que la nature ait jnstitué que le plaisir uous attireetfasse en nous vne espece d'jnstigation pour en joüir et chercherl'objetafin qu'il continuë dans nos esprits ce chatoüillementagréable. De manière que cette Jnstitution de nature(car on ne peut le raporter a d'autre cause) et cette especed'jnstigation que l'objet formevous attirant pour joüir duplaisir qu'il vous faitde ces deux motsdis-jed'jnstigationet d'jnstitution de notre nature dériue (a monauis) le mot d'Jnstinctcomme qui diroit jnstitution et jnstigationà joüir d'vn plaisir. Ce que la nature a jnstituéainsiet non pas d'autre raison. C'est ellecomme le dit Aristotequi a donné aux animaux la faculté de sentirleplaisir ou la peine. Mais il est à remarquer qu'outre lesorganes

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organesexterieursil y en a encore d'autres qui sont dans nôtrejnterieurparmis lesquels Epicure met la faim et la soifdont lesiege est dans l'estomac et dans le gozier. Ces sensations péniblessont faitescomme toutes les autres sensationspour notre bien ;d'autant que par le picotement de la faim nous sommes auertis quel'estomac est a vuïdeet qu'on a besoin de mangercomme legozier nous indique qu'on à besoin de boireet que par lemême Jnstinct ou jnstitution de nature nous agissons pour nousdeliurer de ces sensations péniblesen cherchant de quoimanger ou boiresuiuant l'jnstigation de la sensation de quelqu'vnde ces organesou de tous les deuxet cet Jnstinct est sans douteaussi commvn aux hommes comme aux animaux. Vn Cheualou autreanimalqui voit vn champ verdoyantdont l'herbe est tendre

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agreableet bonne a son goutil y court dans le moment si rien ne l'enempêchecomme l'homme qui voit vne Table seruie de metsagreable a son goût............ est excité a enmangerpar cette jnstigation que produit ce qui peut faire plaisirainsi que la Nature l'a Jnstitué.

Cependantvne des choses la plus digne de remarquec'est que non seulement lapresence de l'objet qui fait plaisir ou douleur produit cet effetprécedentmais l'jdée ou l'jmage du plaisir qu'il afait autrefois vous exciteet cause la même jnstigation a lecherchercomme s'il étoit present. Cette Jmage est ce qu'onapelle Souuenir ou memoiredont il semble que le cerueau soitl'organe particulierde même que l'oeil ou l'Oreille le sontde la veüe ou de l'ouye. Ce qu'il y a de plus admirable dans cetorganeest que les autres

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autressens ne voyentn'entendent etc. et ils ne font leurs operations quepar la presence de l'objet ; car l'oeil ne voit que ce qui sepresente deuant luil'oreille n'entend que lorsque le corpsresonnant agite l'airet le nés ne sent l'odeur que quandquelques exhalaisons s'éleuent du corps odoriferant vers cettepartie. Mais l'organe de la memoire voitentend etc. sans objetpresentse ressouuenant de ce qu'il a vûou entenduougoûtéet souuent auec le même plaisirou la mêmepeineque les choses ont fait à ces organes ou autres. Jl estexcité et il sent la même jnstigation pour en joüirencorecomme il l'a eû lorsqu'elles étoïentpresenteset cette jmageou jdéequ'on apelle memoire etreminiscencea vne semblable force pour l'exciter à leschercher afin d'en joüirou a les füir comme désagreablesde même que s'ils étoïent actuellement presens.

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Mais cequ'il faut remarquerc'est que la memoire ne se forme que par lessensations precedentesd'autant qu'on ne se souuient pas de ce qu'onn'a jamais senti. De maniere que le cerueau est l'organe du senscommvnc'est à dire l'endroit ou tous les sens aboutissent ;car tous les nerfset les esprits animaux dont ils sont remplisviennent du cerueau. Ce qui est vn des plus sublimes ouurages de lanature de voir ce qu'on ne voit pas mais qu'on a vûd'entendrece qu'on n'entend pointmais qu'on a entenduet de sentir les mêmesémotionsou a peu près semblablesque celles qu'on aressenti en les voyantou en les entendant etc. car on est aussiagreablement émû par l'jmage que le souuenir presented'vne belle et aimable personnecomme on est émû etjrrité par le souuenir de quelques mauuais discoursouépouuanté par l'jmage de

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quelquedanger qu'on a échappé. Les sensations précedentesproduisent la memoiresuiuant Aristotequand elles restentjmprimées dans le cerueau. Epicure nous donne quelqu'jdéede la maniere dont les sensations peuuent produire la memoire. Jlditce qui est trés probable et trés aparentquelorsque l'objet produit quelque sentimentcomme(par Exemple)quand vn [INTERL:] XX rouge corps XX fait le sentiment de cettecouleur dans l'oeilalors la lumiere qui se réfléchitdu corps rouge venant a frapper la retine ou est l'esprit animalelle répercute cet esprit vers le cerueauet par cetterépercussion dans la substance molle de cette partie se formevne espece de traceou de rigolequ'on peut apeller l'jmage de lacouleur rouge ; de la même maniere que sur le cuiureou sur leboison forme auec vn burin de lignes et des tracesqui désignentle visageou la figure de quelque chose. Or toutes les fois quel'esprit

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animalvient remplir ces tracesou rigoleson voit jnterieurement la mêmejmage de la chose dont quelque sens auoit été affectécomme lorsque l'on remplit les traces du cuiureou du bois grauéauec de l'encre ou autre liqueur coloréeen apliquant cecuiure sur vn papier ou vne toileon voit la même jmage quiest peinte ou grauée dans le cuiure. C'est a peuprésdit Epicure(et Décartes aprés lui) de cette maniereque la nature fait sentir par ce sens commvn ou tous les autres sensles mêmes affections et les mêmes desirs de joüirou de füir vn tel objet comme s'il étoit presentetc'est ce qu'on apelle memoire ou jmage de l'objetlaquélleproduit les mêmes affections comme s'il étoit present.

Aristote afort bien connu cette veritéque les sensations produisoientla memoirequoiqu'il ne dise pas comment.

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Jeraporterai vn passage de lui a ce sujetqui m'a toujours parûsi beauque je le crois digne de toute l'attention du Lecteur. C'estla naturedit-ilqui fait que les animaux ont du sentiment. (On nepeut dire autre chose sur ce point.) Mais les sensations restentjmprimées et grauées (dans le cerueau comme je l'aidit) en quelqu'vn ....[INTERL:] XX ce qu'on apelle et XX memoire seformeen d'autres elle ne se produit pointparcequ'elles ne restentpas. Jl arriue par là que quelqu'vns sont capables dePrudenceet d'aprendre certaines choses. Car la Prudence nes'aquiert pas sans aprendre (et sans se souuenir de certaines chosespassées). Or on ne peut pas aquerir la prudence sans aprendre(et sans le souuenir de ce qui s'est passé.) C'est ce qui estcause que quelques animaux sont plus capables de prudenceque ceuxqui n'ont pas de memoire. Or par la memoirelaquélle seforme par les sensations externeson aprend et on connoîtplus

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ou moinssuiuant qu'on a plus ou moins de memoire ; d'autant qu'on ne peut pasaquerir la prudenceni s'instruire sans aprendre (et sans memoire).C'est pourquoi les animaux qui ne peuuent pas entendre le son de lavoixcomme par Exemple les abeilleset autres semblables qui n'ontpas l'organe de l'oüye ne sont pas capables d'jnstructionni derien comprendre (par ce sens de l'oüyeMais ceux qui ontl'organe de l'oüyeet qui au surplus ont de la memoirejlspeuuent aprendre. Les autres animaux qui manquent de memoire agissentpar des Fantasie et par des memoires presentes. C'est a dire par lesjmages des choses presentes.) Jls n'ont pointou trés peud'experience ; mais le genre humainâgit par raisonnement etpar Arts. Car par la memoire l'experience se forme dans les hommes(et dans les

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animauxqui ont de la memoire.) D'autant que plusieurs memoires (ousensations) d'vne même choseforment vne experience(certaine.) C'est pourquoi l'experience est quasi semblable àl'art (en se resouuenant de plusieurs experiences ou sensations.)Carcomme dit Polus (chés Platon) l'experience fait l'artet l'jnexperience le hasard ; (d'autant que ceux qui n'ont pointd'experiencefont ce qu'ils font au hasard etc.

Par oul'on voit que le grand génie d'Aristote a bien compris que lamemoire se formoit par les sensations précédentes.[INTERL:] XX de ce philosophe Je crois qu'Epicure a pris d'Aristotela doctrine des jmages des choses qui se peignent dans le cerueaupuisqu'Aristote dit : Que la memoire se forme comme si on peignoitdans vne tableauec vn peinceaul'jmage de la chose qu'on sent ; demême les phantômes ou l'jmage de la

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chose sepeint en nous(dans le cerueau) ainsi qu'Epicure l'a montréplus au long. Car aux grands esprits(tel qu'étoit celuid'Epicure) il ne faut que peu de mots pour leur faire penserbeaucoup. C'est sur le peu qu'Aristote en a dit que ce dernier aformé son sisteme d'vne maniere plus claireque Décartess'est aproprié a son ordinairesans en faire honneur qu'a luiseul. Jl s'ensuit de làque la memoire est produite par lessensations. De quoi il y a vne preuue éuidentec'est qu'on nepeut se ressouuenir que des choses que les sens ont representé.

On peutpouuer que la memoire est vn organe comme l'oeil et l'oreille etc.d'autant que comme ceux qui n'ont point d'yeux ni d'oreillesnevoyent et n'entendent paset que semblablement les vns ont la veüeet l'oüye meilleure et plus finede même les vns ont plusou moins de memoire ;

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et ce quijmportec'est que comme la veüe et l'oüye se perdent enpartie ou tout a fait auec l'âgede même la memoire seperd peu à peua mesure que le cerueau qui en est l'organe sedurcit de maniere que les traces ou rigoles ne peuuent pas se formerfacilementcomme dans les personnes qui ont le cerueau tendre etmoûtels que sont les enfansqui ont par cette raisonbeaucoup plus de memoire que les gens âgés. Jl y a despersonnes qui ont perdu tout a fait la memoirecomme entr'autres vnphilosophe dont j'ai oublié le nomduquel l'Histoire raportequ'il auoit si bien perdu le souuenir de toutes chosesqu'il nepouuoit pas dire son propre nom.

Je croisqu'on peut être conuaincu par tout ce que je viens de direquele cerueau est l'organe de la memoireet que pour cela on l'apellele sens communparceque toutes les sensations

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aboutissenta cet organequi represente jnterieurement toutes les sensations queles autres sens ont experimentés et senti exterieurementdela maniere ou a peu prés que je l'ai dit.

Ce quin'empêche pas de dire auec Aristoteque la memoire ne soit vnepuissance de l'amecomme les sensations qui sont aussi despuissances ou facultés de l'amed'autant que le corps mort nesent et ne se ressouuient paset qu'il n'exerce aucune des facultésqu'exerce vn corps viuant et animé.

Par toutce que je viens de dire on peut être persuadé(jecrois) que l'ame n'est pas vne substance qui pense ; mais vnesubstance qui sent. Parceque toutes les operations que l'on attribuëà l'ame ne sont que des sensationset qu'on ne peut penserqu'aux chose que l'on a senti. C'est sur ce fondement qu'Aristote a

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définil'ameanima motiuum et sentitiuum est. Que l'ame est vnesubstance qui meut et qui sent . Car le corps animé ne se meutque par la vertu de l'ameet il ne sent que par elle. Je ne cite pasAristote si souuent pour m'apuyer de son autorité ; mais pourfaire voir que ce grand génieque les Cartésiensmeprisenta montré ce qu'eux-mêmes ne connoîtrontpeut-être jamais. Je conuiens pourtant auec euxque ce n'estpas l'autorité d'vn homme sauant qui doit rendre vne choseveritable ; mais c'est la verité mêmecomme il ledïsentqui doit faire la verité ; et je crois (si je neme trompe) auoir fait tous mes efforts pour montrer qu'Aristote a ditla veritéen expliquant ce qu'il auoit écrit vn peuobscurementcomme font tous les grands génieslesquelsentendant bien ce qu'ils disentils le disent en peut de motscroyant que tout

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le mondedoit l'entendre aussi facilement qu'eux.

C'est doncle plus ou le moins de memoirequi se forme comme je l'ai dit parles sensationsqui fait la difference d'vn animal a vn autre ; etque ceux qui ont le plus de memoireont aussi le plus de prudencelaquélle vient de l'experience. C'est pour cela qu'vn animalqui a repu dans vn champ semé de bledquand il en rencontrequelqu'vn qui soit en herbes'il se ressouuient du plaisir que cetteherbe tendre ou autre lui a fait en la mangeantalors il y courtnon pas par Jnstinctcomme disent quelques personnes ; mais parcequel'jmage du plaisir qu'il a experimenté par le goût sepresente a lui comme autrefoiset c'esta mon auisce qui formel'Jnstinct. Ainsi quand on jette vn morceau de viande a vn Chien dontil a déja mangéen la

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voyantseulementil y court d'abord et la mange.

De maniereque je suis persuadé que le mot d'Jnstinct n'est pas vn mot enl'airmais qui signifie vne jnstitution de la [INTERL:] laquélleNature...... a donné aux bêtes vn sentiment par lequell'objet produit en eux quelque plaïsir ou quelque peine ; par ouelles connoissent ce qui leur est bon ou mauuais ; et que si ellesont de la memoire sans que l'objet soit assés proche pour leurfaire vn tel sentimentelles le connoissent de loinse ressouuenantdu plaisir ou de la peine qu'vne telle chose leur a faite. C'estpourquoi lorsqu'vn animal court dans vn bon pâturageil n'ycourt pas comme vne piece de bois jnsensible ; mais parcequ'il seressouuient du plaisir qu'il y a trouuuéet que cette jmageagreable dont il se souuient produit en lui vn semblable plaisir etvn apetit d'en joüir

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comme il afait autrefois. Ayant montré que l'jmage de quelque chosequele souuenir nous presenteproduit a peu prés vne mêmesensationet le même désir de joüir du plaisirqu'on a goûté autrefois par son moyen.

Je disencore que c'est ce plaisir ou cette peinequi fait la Volontéde joüir ou de füir l'objet ; d'autant qu'elle est forméesuiuant Aristote qui a connu cette veritépar les mouuemensde volupté ou de peine que l'objet jnspire. Car l'ame étantmûë agreablementelle veut toûjours ce qui lui faitplaisira moins que la peine et la douleur plus grande ne le précedeou le suiue. Ce qui fait dire a notre philosopheque l'ame n'est mûeque par quelqu'apetit. Jntellectus (l'ame) -non videtur moueresine appetitu_. Jl dit encore que cet apetit est la cupiditéet la haïnequi forment et qui sont la

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mêmechose que la Volonté. Nam apetitus [MARGE:] anima[MARGE:] l 3. C. 7. est cupiditas jra atque voluntas. Etantcertain qu'on ne peut sentir de plaisir qu'on ne le veüilled'autant que simple plaisir ; comme on ne veut jamais la douleurd'autant que simple douleur. Quoiqu'on choisisse volontairement ladouleurpour joüir d'vn plus grand plaisiret que l'on quitele plaisir pour éuiter vne plus grande douleur.

Mais cetteproposition que l'apetit du plaisir forme la volonté d'enjoüircomme la haine de la douleur forme celle de la füir; cette propositiondis-jeme donne occasion de rechercher en quoiconsiste la Raison.

Je disdonc que l'on peut considerer la Raison en deux manieres. La premiereest la Raison speculatiuepar laquélle on paruient par leraisonnement des choses connuës a la connoissance de cellesqu'on ne connoissoit pas auparavant.

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C'estcette raisonsans doutequi rend l'homme beaucoup au dessus de tousles animaux. Comme lorsque Pitagore trouuapar Exempleque lesCarrés formés sur les deux côtés dutriangle étoïent égaux a celui que l'on formoitsur l'Hipotenuseou subsendante. Ce qui lui fût jnspirépour ainsi dire par la connoissance des ...... quarrés de cestrois nombres 3. 4. 5. ; car le carré de 3. est 9.et celuide 4. est 16.qui joints ensemble font 25.comme le carré de5. est 25. qui est égal au precedent. Dans laquélleespece de raison on peut mettre toutes les veritésGeometriqueet les conjectures phisiques ; mais ce n'est pas decelle-cy que j'entends parler ici. L'autre espece de raisondelaquélle il est questionregarde le bien-être delapersonneet on peut la définir : la connoissance que leraisonnement nous donne du bien ou du mal qui peut arriver d'vnetelle actionfondée sur cette jnstitution de natureouJnstinct

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naturelpar lequel chaque animal veut son propre bien et sa felicitépresente laquélle consistecomme on l'a ditdans lajoüissance du plaisir presentet dans la priuation de la peineet de la douleur presente. Car je crois avoir montré quel'homenon plus que l'animalne connoissent d'autre bien ni d'autremal naturelque le plaisir et la douleur. Jls aimentet ils veulentle premier ; mais ils abhorrent et ne veulent point l'autre.

Cependantla difficulté consisteen ce que les choses de ce monde sontmêlées de maniereque rarement on peut paruenir aquelque plaisirparticulierement quand il est grandsans soufrirquelque peine. Ce qui est encore pisc'est que souuent certainsplaisirs sont suiuis de peines et de douleurs fort grandes ; comelorsqu'on prend le plaisir de la vengeance en tuant son ennemiouqu'en mangeant et bûuant trop la santé en soufre. D'vn

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autre côtécertaines peines et douleurs produisent de grands plaisirstelssontpar Exempleceux qui trauaillent a aquerir des richessess'exposant a de grands dangersveillantet couchant sur la durepour paruenir a ce point d'être richesce qui les met ensuiteen état de joüir de tous les plaisirs que les richessespeuuent donner. Or c'est dans ce casou le bien et la plaisir estprecedé ou suiui de douleurs ; ou que la peine et la douleurproduiront des plaisirs ; c'est dans ce casdis-jeque l'hommeaussi bien que l'animal se trouuent souuent ambarassés. Carl'apetit du plaisir attireet l'on veut suiuant l'ordinaire leplaisir ; mais on ne veut point la peine et la douleur qu'on abhorre.Que fera t'on donc. Je dis que la plus forte sensation jnternel'emportera. D'autant que si l'apetit du plaisir futur est plusgrandl'on voudra la peine qui precede ou qui suit le plaisir. ParExemple lorsqu'on est

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amoureuxet qu'on a reçû vn rendés-vous fort tard dans vnesaison comme l'hiveron y courtet on soufre le froidle vent etla pluyedans l'jdée de joüir dvne volupté qu'onestime fort grande. On n'a même point d'égard et onpasse par dessus les suites facheuses qui peuuent arriversi l'onest surprisou qu'on sache que l'on và dans cette maison àheure jnduëet aux dépenses qu'il faut faire pourcorrompre les domestiques etc. Mais si l'apetit du plaisir estjnferieur aux peines précedenteson n'y va pointafin de nepoint essuyer ces jncommodités presenteset qui précedentle plaisir futur.

A proposde quoi il faut prendre garde que le present à d'ordinaireplus de force que le futurce qu'on voit particulierement dans ceuxa qui la Justice et les Magistrats font soufrir les tourmens de laQuestionpour leur faire auoüer la

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veritéde leurs crimes. Car il ne leur coûte pas plus de dire Nonque de dire Oüil'vn et l'autre de ces mots ayant lamême quantité de Lettres. Que cette difference qu'endisant Oüiils sont sûrs qu'ils seront rompus vifstourment qui leur causera des douleurs bien plus cuisantes que cellesqu'ils soufrent actuellement. Cependant la plus part disent Oüiparceque la douleur presente est plus forte que l'jdée de ladouleur futureet que celle même de la mort jnfame et honteusequ'ils sauent bien ne pouuoir éuiter s'ils auoüent. C'estla cause en partie de ce que les plaisirs presents de ce monde ontplus de force pour faire transgresser les Loix Divinesque lesplaisirs jnfinis et plus grands qu'on nous promet dans la vie futuren'en ont a ........ les faire observer. Parce que le bien ou le malpresentest d'ordinaire (quoique ce ne soit pas toûjours) plusfort que le futurd'autant

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d'autantque ce qu'on sent actuellementest plus sensible que la simple jdéeou jmage de ce qu'on soit sentir a l'avenir. Quoiqu'il [MARGE:] Gracede Dieu qui rend come present les préjugés du bienfutur. soit vrai que cette jmage de l'avenir soit tréspuissante en quelques personnesa qui Dieu donnecomme dit St.Augustinvne telle delectation des plaisirs éternelsqu'elleest superieure a tous les plaisirs de la terre. Carcomme je l'aijnsinüéon ne peut surmonter et quiter vn plaisirquepar l'assûrance de joüir d'vn plus grand ; ni soufrirvolontairement vne douleurque par le sentiment d'en évitervne plus grande. Ainsisi l'on ne sent vne jdée et vne foyviue des biens celestes ; les biens et les plaisirs ................terrestres qui sont presens l'emporteront toûjours. A moins queDieu ne nous jmprime cette jmage par vne foy viuelaquélleproduise en nous vn amour et vn desir des plaisirs Celestequi soitsuperieur a celui que nous auons naturellement pour les biens de cemonde.

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Je nefeindrai donc point de dire qu'on ne peut pas surmonter vne passionque par vne autre plus fortec'est à dire vne sensation plusfoible par vne autre plus fortecar les Passions ne sont que dessensations plus viues que les simples sensations ordinaires. Ce quise voit en ce que la veüe d'vne belle femme donne la passion del'amour a quelqu'vnsa quelqu'autres nonet il n'y a point defolieque ceux qui sont passionnés pour sa beauté nesoyent capables de faireafin de paruenir a sa joüissance. Jlen est semblablement de la colere. La même parole qui n'aurapoint fait d'effet dans vne personnejrritera si [INTERL:] cetfortement l'autrequ'il n'y aura point d'extremité ou il nes'expose pour venger l'jnjure qu'il pense auoir reçû parcette parole. Ce qui vient en partie

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dutemperament plus ou moins sensible et spiritueuxet par consequentplus facile a être ému aux jnsultes et aux jnjures. LesMedecins disent que celui qui abonde en flegme soufrira pluspatiemmentque l'autre en qui la bile prédomine sur lesautres humeurs : car la bile est plus jgnée et le flegme plusaqueuxet par consequent l'vn est plus facile a être émûet a s'enflâmer que l'autre. De maniere que cette sorte deRaisonqui prouient du temperamentest commune tant aux hommesqu'aux animaux. Ce n'est en effet qu'vne sensation plus ou moinsviuequi lorsquélle est dominante on conuient qu'il n'y aplus de raisonnement juste ni de Raison. La Raison est elle autrechosesuiuant Ciceronque la conclusion du Raisonnementd'ou cetteconclusion a pris le nom de Raison. Ce Raisonnement n'est-il pasformé par le souvenir

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dessensations précedentes. Par Exemple : Les sensations m'ontfait connoître que le feu cause de la douleur quand on y met lamainje conclus qu'il ne faut pas l'y mettresi je veux éviterle mal qu'il cause. C'est là la Raison du bien-être del'jndividu.

On apelleâgir contre la Raisonquand on âgit contre lesconnoissances de son propre bien. Par Exemple l'homme fort colere etcruelqui croit auoir reçû [INTERL:] dans le sang vneoffense qu'il faut venger .......................... de celui qui lafait ; cet hommedis-jesait et connoît bien que s'il donnela mort .............. à ce telil faudra qu'il fuye (s'il lepeut) aux poursuites de la Justice qui doit le punir. Qu'en fuyant ilperdra ses biensabandonnera ses amisses parenset les commoditésdont il joüissoit dans sa maison et auec sa famille. Cependantsi le sentiment de

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l'offenseest plus fortque celui que peuuent causer toutes les connoissancesprécedentes et le raisonnement qu'il fait sur ellesparlequel on concluoit que pour son bien il ne faut pas se vangermaissuporter l'offense. Si la passion et le sentiment de la vengeancedis-jeest plus fort et qu'il tuë son ennemiil agîtalors contre la raison de son plus grand bien. Ce qui arriue asséssouuent. Qu.... sert a vn amoureux de sentir que le raisonnementconclutqu'il faut quiter et s'éloigner de cette femme (ou lafemme de cet homme) qui le perd de biens et de reputationsanscompter la santé. Toutes ces connoissanceslui font faire vnraisonnementdont la conclusion tend à s'éloigner d'vntel objet ; mais la Raison aura beau crier et le tourmenter en vainil dira auec Sangaride :

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Pourvaincre cet amour je mets tout en vsageJ'apelle ma raisonj'animemon courage ; Mais a quoi servent tous mes soinsMon coeur en soufred'avantage Et n'en aime pas moins

Tous lesdiscours et tous les raisonnemens ne font effectiuement qu'augmenterla peinesans guerir la blessure. A quoi seruent les connoissancesde manquer a son deuoirquand la sensation et la passion est la plusforteelles ne font qu'aigrir le mal par la connoissance de la fautequ'on commet. Jl est vrai que la Raison est quelque fois victorieuse.Mais prenés garde qu'il y a quelqu'autre passion plus forteou d'ambitionou de crainte de quelque grand jnconuenient. Carl'homme est assés miserabledont la plus forte l'emporte sansdoute sur les [INTERL:]XX autres XX plus foibles. J'ai connu vn amantqui

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quita vnefille tout d'vn coupquoiqu'il en fût amoureux jusqu'a lafolie. Mais en ayant examiné la causeje trouuai que lapassion de la jalousie bien fondéeet la crainte de se ruinerauec elle furent les plus fortes causes. Quoiqu'il fût prêsd'expirer par l'absence qu'il se procuroit de l'objet aimécependant auec le tems il guérit de cet amourpar la forcedes deux autres passionsqui le firent raisonner de cette manierequ'elles produisirent a la place de l'amourle mépris etl'auersion. On peut dire la même chose de celui qui veut sevanger. Si la crainte du mal et l'amour du bien dont il joüitchés luisont plus fortes que la colereil agira enconsequence de la Raisonlaquélle conclût de soufrirplûtôt que de s'exposer a perirou du moins a endurerbeaucoup de peines. Si la passion de se conserver

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la vie estla plus forteon se laissera couper vn bras ou vne jambeet onsoufrira les operations les plus douloureuses pour viureou pourrecouurer la santé. Si l'ambition ou l'auarice sont les plusforteson soufrira d'vn Princed'vn Ministreet même d'vnamitoutes les jgnominies qu'on n'auroit pas souffert en d'autresoccasions au peril même de sa vie. Mais la passion de paruenirà vn certain pointou le désir d'ammasser desrichesses feront soufrir à cet hommece qu'il n'auroit passouffert si ces passions ne le dominoient.

D'ou ilparoît que cette Raison dont l'homme se pare n'est qu'vnesensation trés forteet qu'au surplus elle n'a aucun pouuoirpour le déterminer a âgir en consequence de son plusgrand bienque lorsque les autres passions se trouuent dominéespar celle-cyqu'on peut apeller Raison

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si lehazard veut que ce soit vne passion qui s'accorde auec nôtreplus grand bien. Ce qui ne se rencontrecomme je l'ait ditque parhazardet non pas par Raison. Mais pour faire voir encore plusclairement ce que c'est que la Raisonvous n'avés qu'aconsiderer un homme jvreles fumées d'vn peu de vin ontreduit a rien la raison de cet homme sauant qui raisonnoit si bien.Vn autreami de la crapuleet a qui elle cause des maladiesdouloureusesse résout de ne point manger et de viuresobrementpar le raisonnement qu'il fait en connoissance de son plusgrand bien. Cependans s'il se trouue a vne Table ou les mets excitentet meuuvent sa gourmandisejl en arriuera ce qui pouramais ilboira et mangera de toutes ses forces.

Jl fautvenir a vne preuue encore plus éuidentecomme est (àmon auis)

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celle d'vnhomme comme les autres qui deuient fou ; ce n'est qu'vn petitdérangement de l'organe du cerueauou bien vne alteration deshumeurs qui le feront deuenir furieuxou melancoliqueou plus gaiqu'il ne conuient à l'hommeou qui croira être ce qu'iln'est pasou de posseder ce qui n'est point a lui. Comme ce foû[INTERL:]lequel d'Athenesqui croyoit que tous les vaisseaux quientroient dans le Port étoïent à lui. Jl y en a eûvn semblable à Parisqui s'jmaginoit de même que lesFermes du Roy lui apartenoientet il demeuroit sur la porte ous'assemblent les Fermiers generauxpour prendre garde à ceuxqui pouroient frauder la f........ Ferme. Ce que les Fermiers mirenta profitlui donnant commissions auec des apointemens conuenablesafin qu'il prit garde aux fraude qu'on pouroit faire a ses fermiers.

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Maisquitons les foûset parlons de ceux qui ne sont pas tout afait dans ce nombre. A quoi sert le raisonnement et la Raisonquidit à vn homme ambitieuxqu'il expose sa vie au dangermanifeste d'vne balle de mousquet ou de canonpour s'éleverau rand des braueset pour obtenir vne chargeet vn gouuernement.Si l'ambition est plus forte que la crainte de la mortjl affronteratous les dangers les plus perilleuxafincomme dit DespreauxDesa folle valeur embellir la Gazette. Pour m'apliquer ce que lemême Poëte dit ; Que me sert la Raisonquijncessamment me crie : N'écris plusgueris-toy d'vne étrangefolie. Certainement on ne peut guere trouuer

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de folieplus étrangeque celle de pretendre par ces écritsguerir le genre humain de la vanité qui est radicale a sanature. Je connois fort bien par le raisonnementqu'au lieu deprocurer ce remede necessaire à nôtre nature corrompuëj'irrite au contraire tous les viuans contre moitant hommeset cequi est encore pis les femmes. Je crois donc que ce n'est passeulement vne peine perduëmais vne fatigue employéeauec danger de m'attirer .......................... le public àdoset par dessus tous les prétendus Deuotslesquels dironttout au moins que je suis vn jmpiede vouloir abaisser l'homme a lanature des bêteset lui ôter la Raison qui est le plusbeau titre du genre humainen voulant persuader que cette raisondont on a fait tant de casn'est qu'vn sentiment animal. Je connoisque c'est

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vne foliede m'éloigner du chemin battu par les Cartesienset devouloir faire vne Philosophie oposée à la leurce quileur donnera vn beau champ de dire contre moitout ce qu'on peutdire d'vn hommequis'éloignant de leurs opinionsdit : Quel'ame n'est pas vne substance qui Pensemais qui sent.Proposition qui égale l'homme aux animauxque je faissensibles contre leur opinionau lieu que la premiere propositionfauorisoit la Religionqui ôtoit aux bêtes toute sortede connoissanceet les rendoit de simples machines sansconnoissancequ'on réseruoit pour l'home seul. A quoi meseruentdis-jetous les raisonnemens qui concluent cette raisonque je deurois aller par le grand chemin des Cartesiens que laplûpart des gens d'esprit suiuent aujourdhui

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quelqu'vnsa la verité suiuant les occasions seulement ; on dira de moice que Boileau dit de ce Predicateur : Qui méprise Cotinn'estime point son RoyEt n'aselon Cotinni Dieuni foyni Loy.Mais qu'il me soit permis de prier ceux qui me connoissent dedire avec le même Poëtepour ma deffense : Ce Censeurque l'on peint si noïret si terribleFût vn esprit fortsimpleami de l'équitéCherchant dans ses écritsla seule verité.

La follepassion de vouloir dire la verité et de vouloir faire l'hommed'espriten découurant des choses dont on ne s'est pas encoretrop auisé. Cette sotte passiondis-jequi n'est pasd'accord auec le raisonnement qui conclût de me taireme faitparler plus qu'il ne me conuient pour mon bien. Car

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enfin quepuis-je esperer de tous mes écritsque d'être tournéen ridicule ; et de celui-cy au lieu d'en tirer le profit que lavanité éxigeje vais au contraire par ce moyen mefaire des ennemis de tous les hommesparmi lesquels les plusdangereux seront sans doute les Dames et les Deuots. Dont le fiel estsi amer et si dangereux. Je conuiens donc malgré toutes cesconnoissances qui donnent lieu de former vn Raisonnement et vneRaison sage et prudente : Que la Raison en question ne sertde rien pour vaincre vne passion dominantece que l'experiencene confirme que trop pour nôtre malheur. Ceux qui disentautrementou ils trompentou ils veulent se tromper. [INTERL:]XX etqui conuiennent du faitD'autresde meilleure foy XX disent quepour vaincre cette nature corrompuë par les passions revoltéesil faut vne

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gracesurnaturelle pour les surmonter. Les Conciles mêmes ont declaréheretiquesceux qui pretendent qu'auec ses propres forces on peutvaindre les passionsqui sontcomme je l'ai ditdes sensationstrés fortes. Mais d'autant qu'il n'est question ici que dePhilosophie naturelle et non pas de Theologieje laisse auxTheologiens a disputer sur la Graceme suffisant d'avoir montréque les plus sages conuiennentque les passions fortes ne peuuentêtre dominées que par vne autre passion plus fortetelle que peut-être celle de la gloire et des plaisirséternels. Passion digne d'vn vrai Chrêtienet que Dieudonne (sans changer la Nature) a quiconque l'a meritéou aqui il lui plaitcomme il fit à St. Paulet aparamment ad'autres. Je persiste donc dans ma folle démonstrationquel'homme a vne ame sensible ;

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qu'iln'est qu'vn composé de passions ; et que la Raison qu'onpretend être en lui ne sert guere à autre chosequ'alui faire connoître le mal qu'il faitet a le tourmenter. Quece tourment est encore plus grandquand deux passions égalesle combattent au même tems : Par Exemple : La volupté dequelque plaisir terrestresoit de l'amour ou de la vengeanceetd'vne autre part la passion de joüir des plaisirs de la vieeternelle. Si au lieu d'âgir pour aquerir ceux-cyil âgitpour joüir des plaisirs de la terrequi le [INTERL:]vivementflattent plus ...................... dans ce moment que les plaisirsfuturs qu'il peut esperer dans le Ciel. Quélles peines nesoufre t'il pas de s'être laissé aller au penchant qu'ila eû pour le Vice. Son coeur est déchiré par laconnoissance de sa fautejl voit déja l'Enfer ouuert avec sesflâmmes vengeresseset des

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Demonsprêts à l'entraine dans les Abîmes des peineséternelles. Ces connoissances de son crime le déchirentjmpitoyablementet ce sont les vrayes furies qui l'agitent sans luidonner de relache.

Qu'on disedonc qu'il n'est pas vrai que les Peres des Conciles enseignent lesverités les plus certainesn'ont pas ordonné decroireque l'homme dans son état naturel ne peut avec sespropres forces naturelleset sans secours surnaturel dominer sesPassions ; comme aussi que la Raisonqui sonsiste dans laconnoissance du mal ou la passion l'entraînene lui sert derien. Je ne dis pas autre choseet je fais fais voir au surplus quedans l'état de Nature la raisonqui consiste dans la simpleconnoissance de son devoir et qui conclût qu'il faut abandonnerle vicene peut pas nous faire surmonter les passions

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qui nesont que des sensations trés fortesque par vne autre passionplus forte. Comme seroit celle d'vne gloire moderéeou autresemblableou bien celle du Paradisqui est la passion la plus digned'vn Chrêtienet en consequence de laquélle tant depersonnes pieuses quitent le mondedans l'jntention de trauaillervniquement à leur salut éternel.

Ainsi jecrois auoir montré éuidemment a ceux qui ne resistentpas a la Verité connuë : Que la Raison de l'homme est peude choseou rienpour âgir consequemment a ce qui est nôtreplus grand bienje ne parle pas seulement du bien surnaturelmaisdu naturel. Car vn homme bien amoureux ne quite pas sa maitressenivne femme son amantpar la connoissance de la perte de son bien etde son honneur :

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ni vnsoldat ambitieux ne quite pas la [INTERL:]XX de s'exposer guerreetne laisse pas XX en connoissance de causeaux dangers les pluséuidens de la mortou de se faire estropier. A moins que lapassion de l'honneurou encore mieux celle des plaisirs celestesnel'emporte sur la passion amoureuse. Comme le soldat ne laissera pasde s'exposer aux perilsa moins que la passion de se conserueroula crainte de la mortou autre semblableet mieux que tout cela laconnoissance que ce mêtier ne se concilie pas trop avec lapieté chrêtienne qui doit nous conduire au Cielneproduise ne lui vne sensation plus forte que l'ambition et le désirde s'élever.

Par ou ilsemble que j'ai raison de conclureque l'homme âgit suiuant cequ'il sent le plus fortement dans son jnterieurqui est l'ameetnon pas

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toûjourssuiuant ce qu'il pensea moins que le sentiment plus fort neproduise vne pensée plus fortequi forme vne Volontésuperieure ou plus forte. Je le repeteon veut toûjours ce quiplaît d'auantage dans le momentet jamais ce qui déplaîtle plus dans ce même temscomme je l'ai fait voir parl'Exemple de l'homme qui souffre les tourmens de la Justicelequelpour dire Ouyou Non. Enfin la Raison dont l'homme separe n'est rien. Car la Raison est toûjours vnique en elle-même; mais pour lui jl est toûjours jnégaljnconstantetcomme dit le sage DespreauxL'homme sans arrêt dans sacourse jnsenséeVoltige jncessamment de pensée enpensée ; Son coeur toûjours flotant entre mille embarasNe sait ni ce qu'il veutni ce qu'il ne veut pas.

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Jlcondamne au matin les sentimens du soir. Jmportun à toutautrea soi-même jncomodeJl change à tout momentd'esprit comme de modeJl tourne au moindre vent ; il tombe aumoindre choc ; Aujourd'hui dans vn Casqueet demain dans vn Froc.

Pourquoicela ; parceque l'amequi est suiuant Aristote vne substance qui semeut et qui sentl'amedis-jeest émûë par lesdifferens objetslesquels causent en elle les differentes sensationsqui la font voltiger de pensée en pensée. C'est aussile sentiment de Pitagorelequel veut que l'amequi est selon luivne substance mobilese meuue et soit facilement émûëpar les objetet [INTERL:]XX produit la diuersité de sesmouuemens XX ces differentes

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sensationsqui l'agitent et lui causent les diuerses penséesce quiarriue suiuant les differens mouuemens que les objetsou leursjmagesproduisent en elle. Car[INTERL:]XX suiuant ce que j'ai déjadit XX l'jmage d'vne offenseou d'vn objet aimablefait a peu présvn effet semblable comme si cela étoit present. Voila donc ceque c'est que l'hommesi glorieux du vain titre de Raisonnable ;mais je ne veux pas parler d'auantage de sa Raisonaimant mieuxrenuoyer le Lecteur à Boileaulequel auec des termes enjoüésen a fait vne Satire plus agreable et plus judicieuse que je nepourois faire ; car le dégoût que j'ai de moi-mêmeen considerant que je suis hommeme trouble l'esprit de manierequela plûme me tombe des mains.

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De laMusique.

La Musiqueet le son des jnstrumens n'est pas autre chose qu'vn mouuement del'air poussé par le gozierou agité de differentesfaçons par le tremoussement des cordes d'vn Jnstrument. A direla verité ceux qui ont jnuenté les jnstrumenset quiont enseigné a conduire la voix en certaines manieres quipussent mouuoir et temperer les passions ; ceux-làdis-jeont eû quelque chose de Diuin en euxqui leur a fait sentir etconnoître la force du chant et des tons. Jl est a croire qu'ilsauoïent premierement experimenté en eux-mêmeslaforce qu'ils se sont efforcés de faire sentir dans le coeurdes autres. Car il est certain que la Musique bien conduite peux nousjmprimer tous les sentimens de joyede tristessede viuacitéde fureur et autresqu'il plaira a vn habile joüeurd'jnstrumens ou a vne

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belle voixde nous jnspirer. Le musicien Thimoteius étoit si fort maitredes passions d'Alexandreque lorsqu'il vouloit il le mettoit enfureur. Pitagore disposoit le matin son esprit sur le Cistrede lamaniere qu'il jugeoit a propos d'être la plus grande partie dujour. La coûtume des Grecs étoit de faire ....conduirele soir son conuiue a sa maison par des joüeurs d'jnstrumens. Vnd'eux ayant rencontré quelques jurognes qui jnsultoient lespassansDamon musicienordonna a ceux qui étoïent aueclui de joüer suiuant la modulation Doriquece qui adoucit etattendrit de maniere ces Jnsolensqu'on passa outre sans receuoiraucun jnsulte de ces genslesquels étoïent restes commejmmobile a la tendre melodie de ces jnstrumens et de ce Chant.

On saitque les Anciens reduisoient la [MARGE:] Le DoriqueLe PhrigienL'EolienLe Lidien etc. Musique a cinq tonschacun desquels

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produisoitcertain effet. L'vn excitoit vne douce pudeuret éloignoit laLubricité. Tel [INTERL:]XX son étoit le XX Dorique. LePhrigien excitoit aux combats. L'Eolien apaisoit les troubles ducoeuret il donnoit vne quietude qui excitoit le sommeil. L'Jcstisreueilloit et animoit l'esprit des hommes grossierset le portoit ade grandes choses. Le Lidien donnoit de la force contre les disgraceset les contrarietés du sortet soulageoit l'ame lorsqu'elleétoit accablée par le malheur. La raisonphilosophique.. de ces effetsn'est pas difficile a 1rendreenconsiderant que la machine animale est pleine de vent ; car lesesprits animaux ..e sont qu'vne espece de ventsuiuant la vrayesignification du nom d'esprit. Le son ne consistant donc qu'adeterminer l'air a tremousser d'vne certaine maniereJl en resulteque cet air ainsi agitéagite aussi l'esprit jnterne de ceuxqui écoutentet les détermine a se mouuoir doucement

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[INTERL:]ouou viuementXX d'vne maniere lente et melancoliqueou auecjmpetuositéou auec tendresse suiuant que le Musicien poussel'airqui communique a l'esprit vn semblable mouuement. Car de mêmeque l'on voit par [INTERL:]XX lorsque l'experience commune que XX lacorde d'vn jnsrument qui est tenduë au ton d'vne autre cordequand on touche vne de ces cordes l'autre resone et se meutsemblablementc'est ainsi que l'air externe agitépar sesadulations communique de certaine maniere ses mouuemens a l'airjnternequi nous fait mouuoir et qui fait nos mouuemens et nospassions. Ce qu'il fait plus ou moins vitesuiuant les dispositionsparticulieres du temperament du sujetou du tems ou il entend lesond'autant que celui qui est disposé a la joye sera plusfacilement excité par vn son gaique celui qui est affligé.C'est pour cette raison que dans le tems des combats on excitel'esprit des soldats par le son des trompetesdes Tamboursou desautres jnstrumens

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afind'animer leur courageet les étourdir pour affronter pluscourageusement les dangers de la morten la donnant aux ennemis.C'est pour cela que les amans vont le soir sous les fenêtres deleurs belles conter [INTERL:]XX leur douloureux martireXX........................et auec des sons pathetiques exciter lapitié de celles qui leur sont cruellesou pour confirmer leurtendresse par de nouuelles protestations. Quoique les harangues deshabiles Orateurs ne paroissent pas auoir rien de la Musiquecependant l'arrangement de leurs paroles dans les periodeset le sonde leur voix ne laissent pas d'auoir vne force musicalequis'jnsinuë dans le coeur de ceux qui écoutentet lespersuade plus facilement a faire ce que l'Orateur veut. Ce qu'il nepersuaderoit pas si aisementsi le son de la voix joint a desparoles arrengées auec art et sonores ne faisoient pas vneffetquis'il n'étoit pas tout a fait musicaldu moins enaprochât fort. C'est par cette cause que si des parolesaccomodées a la

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musiquesont prononcées par vne belle voix auec des sons conuenableselles ont tant de force pour mouuoir les passionsparticulierementquand vne femme les dit a vn homme. Ce n'est pas d'aujourdhui qu'on avû des musiciennes assés laidesmais qui auoïentde trés belles voixrendre vn grand nombre d'hommes dupremier rang amoureux d'elles par le seul chantet par l'expressionviue de tons amoureux qui attendrissoient leurs coeursauec plus deforceque les belles personnes ne pouroient faire. Jl est certainque la plus grande partie des maladies de l'esprit se peuuent guerirou du moins soulagerpar la musique conuenable et contraire acertaines passions. C'est le sentiment d'Hipocrate. En effet on peutfacilement detourner quel- qu'vn de la tristesse qui l'accablepardes sons et par l'harmoniepouruû que cela s'execute auec lesconditions et auec l'art que Ciceron enseigne dans le traitéde la consolation ; c'est a dire qu'il ne faut pas

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commencerauprés d'vn homme affligé par vn ton gaimais aucontrairequi soit vn peu triste mêlé d'vne agreabledouceur[INTERL:]XX par des tons agreables et peu a peu chercher XXa passer jnsensiblement a vn ton joyeux. Les passions veulent êtreflatéeset si l'on commencoit par vn ton joyeuxcelafacheroit la personne triste. Mais vne fois que le son a commencéa mouuoir ses esprits tristesils suiuent facilement le son qui lesagite. Le Pere Nirimbery raconte de Henry IV. Roy de Dannemarkquevoulant voir l'effet d'vn musicien qu'on disoit exciter les passion avn degré extremejl le fit venir deuant lui et les grands deson Royaume. Le musicien commença par des sons graues al'attendriret ensuite peu a peu il réjoüit la compagniede maniere par des sons aigus et vifsque tous auroient vouludanser. Enfin redoublant par ses secousses plus viuesplusfrequenteset plus violentesjl transporta le Roy et ceux quiétoïent auec

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lui a vntel point de fureurque si le musicien n'auoit auparavant pouruûau danger il en seroit arriué vne espece de combat et la mortde plusieurs personnes ; mais ils furent arrêtés par lesgardeset parceque le musicien cessa ses sons. Sans parler de Saülqui étoit affligé ou par vne maladieou par vn malinesprit qui le tourmentoitce que David apaisoit par le son de saharpe. Ce qu'on voit être vn effet de la simple musique et nond'aucun miraclepuisqu'vn autre musicien que David employa Saülemploya au lieu de David faisoit le même effetcommel'Ecriture le ditprecisement : Que l'on conseilla le Roy dechercher vn autre musicienpour donner du remede et du soulagementau mal quand il le tourmentoit. Teophraste enseigne que les morsuresdangereuses de la Vipere peuuent se guerir auec de certains sonsaquoi je ne voudrois pas me fier tout a fait. Jl est bien plus certainque la picure de la Tarentule se

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soulagesi elle ne se guerit pas entierementpar certains tons particuliersau son desquels le malade danse tant que les forces lui manquentetqu'il tombe a terre à demi- mort trempé dans sa propresueurauec laquélle vne partie du venin se dissipe. Le PereKirker raporte qu'à Tarenteou ces dangereuses araignéessont frequentes[INTERL:]tomba malade [INTERL:]XX étant vnDocteur ........................................et XX visitépar vn medecinceluy-ci trouua le malade dans vne espece deLetargiequi le rendoit stupide a tout ce qu'il lui disoit. Apreslui auoir fait quelques remedes jnnutileset qui ne lui rendoientpoint le sentimentle medecin habile s'auisa de lui faire joüersur vn violon certain air qui plaît trés fort a ceux quisont mordus par cette bête. Auquel son le Docteur comme s'ils'éueilloit d'vn profond sommeil commença àouurir les yeuxet a sortir du Litse mettant a danser suiuant lesmouuemens de ce son. Ce qui fit connoître

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que lamaladie venoit de la picure de cette araignée qu'on apelleTarentuledont le poison est differentcomme on le peut voir aulong chés le Pere Kirkerqui en donne vne parfaiteconnoissance dans son traité de l'Art Magnetique.

Asclepiadesmedecin (au raport de Celsus) guerissoit la plûtpart desmaladies [INTERL:]XX guerit auec la seule musique. Xenocrate XX auecle même remede quelques personnes furieuses. Hismenius deThebes soulageoit auec la musique ses compatriotes malades. LesAnciens (suiuant Cajetan) faisoient enuironner le conuoy de ceuxqu'on portoit a leur derniere demeurepar des flûtesdeshaut-boiset d'autres jnstrumens vifs. Etant persuadés que sila personne n'étoit pas tout a fait morteelle seréueilleroit au son de ces jnstrumenset ne se laisseroit pasenterrer encore viuante. Jl est certain que la Musique et le son desjnstrumens peut guerir vn grand nombre de maladies

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particulierementcelles qui viennent du dérangement des esprits animauxenremettant par l'harmonie les mêmes esprits dans l'ordre et dansle mouuement qu'ils doiuent êtrea quoi l'habileté duMedecin doit beaucoup contribüer par sa discretion et par sonadresseen ajoûtant a propos aux remedes corporelsces autresspirituels. Mais la pratique de ces remedes est tout a fait abolieaujourd'huiaussi bien que plusieurs autres choses excellentesquicontribüent a la bonne disposition des hommes. Car la santéconsistant dans vn certain mouuement des espritsproportionnésaux humeurs auec lesquels ils sont mêlés. En mêlantle secours des remedes corporels auec les spirituelson pouuoitfaire en peu de tems ce que les medecins vulgaires ne font jamaisousi par hazard il le fontce n'est qu'en vn fort longtemset auecbeaucoup de peine et de douleur du côté du malade.

Mais enparlant des effets que la

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simphonieproduit sur les hommesje ne veux pas obmetre aussi de dire qu'elleâgit aussi sur les bêtesafin que l'on connoisse qu'ilest difficile de persuader que les Animaux n'ont point de sentiment.Le P. Niremberg assûre constamment que les Oursles Chevauxet les Chiens trouuent du plaisir a la musique . Vn fameux joüeurde Theorbe apellé le Moine assûroit vn de mes amisquetoutes les fois qu'il prenoit son Theorbe a dessein d'en joüerpour sa propre étudevne souris sortoit d'vn trou et semettoit a l'écouter auec attention. Les muletiers mettentnombre de sonnettes au tour du col de leurs muletsafin que cesbêtes sentent moins l'jncommodités du chemin et.............................. celle de leur chargeétantdiverties en partie par le son de ces clochettes qui leur plaisent.De nos jours le grand Duc de Florence donnant vn Operajlintroduisit vne danse de cheuauxlesquels dansoient regulierement

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[INTERL:]XXau son des instrumensXX la danse qu'on leur auoit enseignécomme on fait aux hommes.

Ce ne sontpas seulement les bêtes ; [INTERL:] certaines mais aussiquelques plantes qui donnent quelque marque de sentiment et deplaisir pour la musique. Aristote apuïe clairement l'opinion deceux qui tiennent que les Éponges sentent le son de lamusiqueen se redressant et s'éleuant parmi les autresplantes marines. Car quoique les plantes n'ayent pas l'organe dessens comme les animauxjl n'est pas jmpossible qu'elles ne sententd'vne autre maniere que ceux-là. Le Pere Acosta écritdu Brasil l'an 1650. qu'il y auoit dans le païs vne herbesingulierede laquélle si quelqu'vn aprochoitelles'entortilloit et se renfermoit en elle-même le mieux qu'ellepouuoitcomme si elle craignoit quelque danger ou jnsulte parl'aproche de l'homme ou de l'animal.

Je saisbien que ceux qui nient le

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sentimentdes animaux et encore plus celui des plantes dirontque quand mêmetout cela seroiton ne voit en cela même que des mouuemens.Qu'on ne nïe point les mouuemens differens des animauxnon plusque ceux des montres et des horloges ; mais qu'il s'âgit desauoir si les bêtes sentent et distinguent comme nous. Jeconuiens que cette dispute ne se peut terminer a moins quequelqu'animal ne parleet même il ne faut pas que ce soit vnPerroquetlequel conuainque ces Messieurs par ses parolesde ce queses actions nous prouuent asséset quand on n'est pointpréuenu par vne opinion aussi ridicule et si contraire au bonsensqui n'a pas besoin d'vn pareil prodige pour se déterminera croire que les betes sentent (du plus ou moins) comme nous.

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De laSimpatie et Antipatie.

Je suisporté a croire ce que dit Aristote des sensationsqu'il n'yen a aucune qui ne vienne de l'attouchement de quelque matiere. Ainsil'oeil étant touché de la Lumière produit lesdiuerses couleursselon le plus ou le moins vif attouchement.L'Oreille est ébranlée par l'agitation de l'airetsuiuant les diuers ébranlemens prouiennent les sons differens.De même l'odorat est formé par les corpusculesjnuisibles qui sortent du corps odoriferant. Le goût par lesliqueurs et les particules salines des viandes. Quoique toutes lessensations viennent de l'attouchementcependant sous le nom de Tactenous entendons quand quelque corpsde quelque nature qu'il soittouche la peau de quelq'vn de nos membresde maniere quel'attouchement soit assés fortpour produire vn mouuementdans les esprits qui sont dans les nerfs que la peau couure.

Or cetattouchement étant plus ou moins fort produit vn de ceseffetsou de quelque plaisirou de quelque peine. De façonque le plaisir se produitsuiuant Aristippepar vn

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mouuementqu'il apelle Lenisc'est a dire leger et chatoüillant.Mais le mouuement violentMotus asperproduit la peine et ladouleur. Aussi la lumiere du soleilsi agreable à l'oeil etqui lui fait voir les objetscette lumieredis-jel'jncommode sielle touche l'oeil auec violenceet que l'on regarde fixement cetastre pendant vn peu de tems. En effet on est ébloüi eton perd la veüe pendant vn peu de temset on la perd tout afait si l'on est trop de temscar alors il brûle et dérangela retine qui est au fond de l'oeilaussi bien que l'humeur vitréeet la [INTERL:] XX et repasse cristaline. De même si vne mainpasse XX doucement sur vne joüeelle y cause vn sentimentagreableet on apelle cela vne caresse. Mais si la main frape auecviolenceelle cause sur la joüeou autre partie du corpsvnsentiment douloureuxplus ou moins grandsuiuant la force et lavehemence du coup. Ce sont les effets generaux de toutes lessensations que de causer de la peine ou du plaisiroutre lasensation même conuenable a chaque organe.

Or lasimpatie n'étant qu'vn sentiment

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de plaisirque l'on reçoit de l'objet ; et l'antipatie vne auersion quel'on a pour l'objetje suis porté a croire qu'il y a quelquechose de semblable dans ce qu'on apelle simpatie et antipatie. Ladifficulté consisteen ce que l'on ne voit et qu'onn'aperçoit rien qui touche aucun de nos organesquand nousauons de l'amour ou de l'auersion pour quel- que chose. Mais nous nevoyons rien qui touche nos narineslorsque nous sentons l'odeuragréable d'vne fleurou la désagreable du soufreoude quelque matiere fecale. Cependt. il est certainqu'il y a descorpuscules qui s'exhalent de ces corps ; lesquels lorsqu'iln'exhalent plus rienle sentiment agreable ou désagreablecesseet la fleur ne sent plus rien quand elle est sechenon plusque les autres corps quand ils n'exhalent plus aucune vapeur. Commesans la lumiere on ne voit plus aucune couleur.

Jl y aencore vne autre chose qui affecte nos sens que l'on ne connoîtpasmanque de reflexion. C'est que la beautéqui consistedans vne certaine simetrie des membresfait

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plaisiraux yeux ; de même que les beaux habitsles beaux meubles etc.qui flatent aussi la veüe. Le son de la voixet les discoursagreablespoliset flateurs font plaisirs a l'oreille. Si on nesent pas toûjours l'odeur que le corps transpireon sentsouuent la puanteur ou de l'haleineou des piedsou du goussetoude quelqu'autre partie du corps qui donne de l'auersionet par lamauuaise odeur sensibleon peut conjecturer que du corps que nousvoyons s'exhalent des espritsqui nous touchent et nous meuuentagreablement ou désagreablement. Les vapeurs des femmes surles hommeset des hommes sur les femmes sont encore plus fortes quecelles des autres animaux. Je crois .............. vrai ce quequelqu'vn a dit que s'il y auoit des microscopes ou des Lunettesassés fortesnous verions hommes et animaux enuironnésd'vn subtil nüage qui se répand aux enuirons. Mais commenous ne pouuons pas nous manger l'vn l'autres'il arriue que lesdeux bouches

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puissentse baiser(s'entend entre deux sexes differens) on sent vne especede plaisir different de celui des viandeslequel est encore plusgrand quand tous deux s'embrassentet que l'vn s'enueloppereciproquement dans le nüage de l'autreparticulierement quandles autres sens dont nous auons parlé ont disposé nosesprits a la simpatie.

Je suisdonc porté a croire que la simpatie vient du Tacte agreable denos senspar quelqu'vne des manieres que je viens de dire. Que siplusieurs de ces choses se trouuent concourir au même temsalors la simpatie est d'autant plus grandequ'vn plus grand nombrede causes agreables concourent à nous toucher et a émouuoirnos esprits animauxlesquels sont les principes et la baze de lasimpatie ou de l'antipatieet des sensations de l'homme et del'animal. A quoi il faut encore joindre les actions qui font plaisiret qui peuuent rejoüircomme sont les bienfaitsles promenadbons repasles promenades

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lesConcertset tous les temoignages d'estimed'amitieou d'amour.

Mais laplus grande simpatie est celle que nous auons pour nous-mêmeset ce que nous apellons amour propred'autant qu'il est certain quenous n'aimons rien autre chose que ce qui nous fait plaisiret quenous haïssons parfaitement ce qui nous fait quelque peine.

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Queplusieurs hommes agissent par Jnstinct en bien des choses.

Jl meseroit plus facile de montrer que les hommesqui se laissent alleraux plaisirs ou peines que les sens leur font sentirn'agissent quepar la même jnstitution de nature. Par Exemple celui qui a lessensations flatées par la bonne chereet plus encore parl'agrement qu'il trouue à boirejl boit tant qu'il s'enniurepire qu'vne bête. Comme aussi ceux qui sont fort flatésdes plaisirs de l'amourils ne pensent qu'a satisfaire cette passionbrutale par laquélle ils tombent souuent dans des miseresencore plus grandes que celle que le vin cause. De même celuiqui est né extrement auide des richesses tombe dans l'auaricelaquélle lui fait retenir l'argent qu'il possede auec plusd'auidité que son propre sang. Semblablement celui qui estfort sensible aux jnsultess'il en reçoit il court àla vengeancequelque

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malheurqui puisse lui en arriuer. Mais sans citer ces exemples de morale quine sont que trop frequenspuisqu'il est commun que les hommes selaissent dominer par leurs sensations sans écouter la raison.Je dis que Raphaël ou le Titien ne peignoient si bienque parJnstinct. Je veux dire que la Nature leur avoit donné vneconstruction jnterne d'organeset vne telle jmagination qu'ilsfaisoient ce qu'ils faisoientcomme l'araignée a en soi laproprieté d'auoir en elle vne substance propre a faire satoile.

Jl en estde même de tous ceux qui joüent excellement dequelqu'jnstrumentou qui excellent en quelqu'art ou mêtier.Car les Ecoliers auxquels ils montrent auec toute l'affectionpossiblea moins qu'ils n'ayent les mêmes dispositionsjnternes des organesils ne peuuent pas paruenir a la mêmeperfection. Quelque soin qu'ils se donnent pour celail faut que laNature ait jnstitué leurs organes et leurs sens de manierequ'ils puissent atteindre a la même éxcellence. J'en disautant des operations de l'esprit ; d'autant

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que celuiqui s'attachepar Exempleà la Geometrie ou à laPhilosophiefera des progrés dans ces sciencesqu'vn autrene fera pas. Car tout ce que nous auons dans Euclide a ététrouué par differens Geometresque celui-cy (Euclide) acompilé et arrangé dans l'ordre merueilleuxqu'vnautre n'auroit pû faire si bien que luifaute de cet Jnstinctdont nous parlons. S'il est permis de parler de soi-mêmecegoût que j'ai toûjours eû pour la Philosophie ; cegoûtdis-jen'est proprement qu'vn Jnstinct qui m'a portéa arranger sur le papiermal ou bienles choses qui me sont venüesdans l'jmagination. Je crois que sans ce goût pour les artsqu'on cultiuel'on reussit mal. Le plus ou le moins de goûtque l'on a pour faire quelque choserend l'homme plus ou moinshabile : quoiqu'il soit vrai qu'il faut que ce goût soit forméauec vn tel arrangement d'organesqu'ils fassent ce qu'on apelle bongoûtdifferent du

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simplegoût. Etant certain que quelqu'effort que l'on fasse pourparuenir a vne certaine perfection en quelqu'artsans l'Jnstinct telque nous le disonson ne fait rien qui vailleen quelque genre dechose que ce puisse être. C'est de ces dispositions naturellesque naît la facilité que l'vn a de faire certaineschosesqu'vn autre ne peut fairemême auec beaucoup de peineet d'aplication. Ce qui se doit entendre (a mon auis) non seulementdans les arts et dans les siencesmais même dans la morale ;car je connois des personnes qui auroient autant de peine a faire vnemauuaise actionque d'autres a en faire vne bonne. J'ai sûqu'il y a des gens qui ont le même plaisir a tuer vn hommequed'autres en ont a le faire. Temoin l'Histoire d'vn certain officierqui tua son hôte qui lui auoit fait plaisirlequel étantjnterrogé par vn de ses amis pourquoi il l'auoit faitil luirepondit : Que c'étoit parcequ'il n'y auoit rien de plusagréable pour luique de

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voirfaire à vn homme mourant les grimaces qu'il faisoit en rendantl'ame. Ce qui me feroit füir bien loinaussi bien que grandnombre d'autresde qui les organes sont disposés differemmentde ceux de ce monstre. Jl étoit semblable à Caligula[MARGE:] Tacite et Suetone dans la Vie de ce Prince. lequel ordonnoitau Boureau de tuer de tuer lentement ceux qu'il condamnoit àla mortafin de leur faire sentir qu'ils mouroient ; assitantlui-même avec plaisir a ce cruel spectacle. Ses sentimenscruels alloient jusqu'a vn tel point qu'il desiroit que le peupleRomain n'eût qu'vne seule tête pour pouuoir l'exterminertout d'vn seul coup. Dans ces monstres de la societe humaine les senssont en vne si mauuaise dispositionqu'ils n'ont rien qui aproche del'humanité. Ce qui a fait dire il y a longtemsGaudeantbene nati ; c'est à dire qu'il faut remercier Dieuquinous a fait naître auec de bonnes jnclinationset conformes ala societéparcequ'alors la Raison a moins d'efforts a fairepour surmonter

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lemalheureux penchantque la mauuaise jnstitution de nature se formeen nous. Quoiqu'il soit necessaire à la societé qu'il yait vn Boureau : n'est-il pas honteux a la nature humainequ'il yait vn homme qui fasse profession de tuer de sang-froid les hommesqui ne lui ont rien fait. Je ne veux point parler ici des Soldatslesquels pour cinq ou six sols par jourtüentet s'exposent ala mort qu'ils reçoiuent souuentpour qui ne leur en saitaucun gré.

Je finiscet article de l'Jnstinct qui pouroit nous mêner plus loinqu'il ne faut. Le peu que j'en ai dit peut mettre toute personnejudicieuse en cheminpour faire voir que la plûpart des hommes(si ce n'est pas tous) agissent plûtôt par Jnstinct encertaines choses(et par vn certains goût qui leur procure duplaisir a les faire) que par raison. Ce qui a fait dire au Poëte: Trahit sua quemque voluptas.

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LesArgumens du PirronismePour Vne Demoiselle qui vouloit aprendre LesPrincipes philosophiques de cette Secte.

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Argumensdont les Pirroniens se seruent pour prouuer que les Sens noustrompent ; et qu'ils ne nous font pas connoître ce que leschoses sont dans leur Naturelaquélle nous est absolumentcachée.

Jl fautexpliquer d'abord qu'ils n'ont pas nié l'existence de l'homme; mais seulement mis en doutesi tout ce qui nous paroît esttel qu'il nous semble.

Comme vndes principaux fondemens de la Doctrine de Xenophane et de sesconsors roûle particulierement sur ce point : Que les Sens noustrompentne nous montrant que certaines aparenceset non pas ce queles choses sont en elles- mêmes et dans la verité deleur essence ; nous commencerons par cet endroitqui

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est aussice que les Pirroniens soûtiennent le mieuxa peu présde la maniere suiuante.

S'il y aquelque marquedisent-ilspour connoître la Veritécedoit-être sans doute l'Euidence ; c'est-à-dire ce quenous connoissons par les Organes des Sens : Or l'Euidence ne peutêtre la marque de la Veritépuisque nous allonsmontrerque dans tout ce que les sens nous font connoîtrejln'y a rien qui soit vrai en soy : ou pour mieux dire qui soit telqu'il nous paroît.

Democritea été vn des premiers qui a ôté aux corpsles qualités essentielles qu'ils nous paroissent auoirnousmontrant qu'il n'y a rien qui soit chaud ni froid en soini sec nihumideni [INTERL:] XX ni lumineux ni coloréXX resonnant nidissonnantni odoriferant ni puantni acre ni doux ni amerni envn mot qui soit

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agréableou désagréable en soiou qui ait aucune des qualitésqu'il paroît auoir. Mais que toutes ces sensations prouenoientde la diuersité des jmpressions que les atômes faisoientsur les differens organesnous represen tant diuers Phantômesou Jmages à l'espritpar la Vertu [INTERL:] étoit del'Être Diuin qui ...... en eux ; c'est de la representation deces jmages ou Phantômesque vient le mot de Fantaisiedontles Pirroniens se seruent pour exprimer nos sensations. CertainementXenophanes et ses Sectateurs qui nioïent le mouuementet quivouloient que nous fussions dans le monde comme des statuësjmmobiles : ne pouuoient soûtenir l'aparence de tout ce qu'ilsdisoient qu'il nous sembloit faireque par la diuersité deces Phantômes ou jmages qui se representoient en nôtreespritpar la

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Vertu del'jntelligence qui est dans l'animal et dans les autres Êtresqui l'enuironnoient ; lesquélles jmages pouuoient âgirde loin sur lui comme de prés.

Quoiqu'ilen soit les Pirronienssans aprouuer ou desaprouuer la cause de nossensationsmontrent simplement contre ceux qui pretendent que toutce que les 9Sens nous representent est veritable ; jls montrentdis-jequ'ils nous trompent et qu'il n'y a rien de vraimais que cen'est seulement que des aparencesdes Phantomeset des jmages queles organes nous representent a leur mode.

Jls ontdes argumens generaux et particuliers pour prouuer ce qu'ilsauancent.

L'argumentgeneral est : Que suiuant le principe vniuersel de tous lesDogmatistes jl n'y a qu'vne seule et vnique substance

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qui est lepremier principe de toutes choses ; Que cette Substance n'étantni chaude ni froide en soini lumineuse ni tenebreuseni douce niamereet en vn mot n'ayant aucune qualité ou proprietéparticulieremais étant homogeneet d'vne seule Naturejls'ensuiuoit que toutes les differentes Sensations quéllesproduisoit dans nos sensétoïent des Jllusions et desimples aparences.

L'autrepreuue generale consistoit a considererque si vne chose étoitchaude ou froidedouce ou amereagréable ou désagréableet en vn mot si elle auoit quelque qualité ou proprietéqui fût veritablement en elleet dans sa nature particuliere.Cette qualité ou proprieté deuoit paroîtreetêtre la même pour tout le mondeen tous temsen touslieuxet en toutes occasions ; mais cela n'étant pointc'estvne marque certaine

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que lachose n'est pas en elle-même ce qui paroît àquelqu'vnspuisqu'elle ne semble pas telle a quelqu'autres : Parconsequent ce n'est qu'vne aparence des Sens.

De cespreuues generales ils descendent aux particulieresparcourant tousles organes des senset montrant en combien de maniere ils noustrompent ; Je raporterai seulement les principalesd'autant que l'onpeut voir tous les sentimens de cette Secte dans Sextus Empiricusqui [MARGE:] Jmprimé à Amsterdam en 1726 vient d'êtrenouuellement traduit (et fort bien) en nôtre langue. On peutconsulter aussi Diogene Laërcelequel semble auoir [MARGE:]Dans la Vie de Pirron fait l'abregé des Liures de SextusEmpiricus.

On peutcommencer cette preuue de la tromperie des sens par la Veüedela maniere suiuante.

Si lacouleur étoit quelque chose de veritableelle deuroitparoître la même

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a tous lesyeuxen tout tems et en tout lieuet en toutes sortes de distances; or cela n'étant pointil faut dire que la couleur n'estrien en elle-même.

Premierementles couleurs n'affectent point l'oeilet ne paroissent point a laveüe que moyennant la lumiere : or tout ce qui ne subsiste quepar le moyen d'vn autren'est rien en soi : Les couleurs nesubsistent que par la Lumieredonc elles ne sont rien parelles-mêmes. De plus suiuant les diuers degrés de lalumiere les couleurs sont differentesainsi le Bleu paroîtVerd la nuit a la lumiere d'vne bougieet les autres couleursparoissent differentes de ce qu'elles sont au grand jours. Le col dela Colomberepresente diuerses couleurssuiuant le plus ou le moinsde lumiere qu'il reçoit ; les nüages prennent toutessortes de couleurssuiuant qu'ils sont plus rares ou plus

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densesetsuiuant que le soleil les éclaire : On voit l'Jris qui seforme si bien colorée dans les nüées ; touteslesquélles couleurs changent et se dissipent peu a peusuiuant les differentes dispositions des nüées. Lesfruits prennent diuerses couleurs suiuant leur maturitéetles feüilles sont ou vertesou jaunesou feüille mortesuiuant les differens temset les dispositions de leur superficie.En vn mot on sait que rien n'est si changeant que la couleur de tousles corpsde maniere qu'on ne peut pas dire que la couleur qu'onvoit en eux soit quel- que chose de réel. Jl faut considererencore que si l'on regarde au trauers d'vn verre triangulairequelque corps que ce soitl'on voit sur eux la même couleur del'Jris celeste : ce qui doit faire comprendre que les differentes

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constructionsde l'oeil peuuent faire voir et les objets et leurs couleursdifferemment. Ainsi ceux qui ont la jaunissevoyent tout jaunecomme ceux qui regardent les objets a trauers d'vn verre jaune ourougelesquels voyent tout d'vne de ces deux couleurs. De plus si lacouleur deuoit être toûjours la même en quelquechoseelle deuroit l'être dans les Metaux : mais on saitqu'étant calcinés au feu ils prennent toutes sortes decouleurssans rien perdre de leur nature metallique. Ainsi le Plombqui est noirâtre ; deuient blancsi on le reduit a petit feuen poudre trés fineet forme ce qu'on nomme Ceruse : Que sil'on donne ...... vn plus grand feu a la même poudreelledeuient Jauneet si l'on augmente le feuelle prend vne couleurfort rouge ; enfin auec vn plus grand feu on la

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faitreuenir Plomb comme elle étoit auparauant. Jl en est de mêmedes autres metaux. Le Cuiure deuient Verd à l'humiditéle fer Roüille rouge : L'or même calcinéet reduiten Emailde Jaune qu'il estprend la couleur de Pourpredont lesOrfeures se seruent pour donner la couleur a leurs ouurages.

Si lalumiere est celle qui fait voir les objetselle empêche aumême tems la Vision. Car si l'on regarde trop longtems leSoleil ou la flâmeon est quelque tems sans rien voiret mêmeon peut perdre tout a fait la veüe. [INTERL:] XX absolumentAinsi on ne peut pas dire XX qu'elle soit l'jnstrument de la Vision :d'autant plus que la matiere de la Lumiere en elle- même n'estpoint lumineuseni chaude non pluspuisque la matiere premiere n'aaucune qualitéet elle ne produit

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cet effetque dans l'oeil seulet non pas dans le frontou dans l'oreillenien aucun autre organe des sens. La Lumiere donc n'est pas lumineuseen soi : mais c'est la disposition de l'organe qui nous la representetelle ; aussi bien que les differentes couleurs.

Jl y amême des animaux viuans qui sont luisans la nuitcommequelques versqu'on apelle Luisans en Franceet certaines mouchesen Jtalie ; lesquels étant morts ne luisent plus. Au contraireplusieurs poissonscomme le Harangle Merlanles Huîtresetplusieurs autressont fort lumineux dans les tenebres lorsqu'ilssont prêts de pourir. Le bois fait la même chose. LeDiamant même froté vn peu rudement est lumineux dans lestenebres.

Quedira-t'on de tant d'autres manieres dont le sens de la veüe noustrompe.

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Je me voisdans vn miroiret certainement je n'i suis pas. Suiuant mêmeque les miroirs sont concauesconuexesou oblongsjls font voirles jmages ou grandes ou petitesou longues ou courtes. De maniereque les animaux qui ont la prunelles differemment construiteetdissemblable a la nôtrevoyent les objets tout differemmentque nous ne les voyons. Dans la superficie plate d'vne toille ou d'vnmur la Peinture me fait voir des éloignemenset deséleuations qui paroissent sortir au dehors : des portraits quime trompent jusqu'au point de croire voir ces personnes viuantesquoiqu'il soit certain que toutes ces choses ne sont pas réellementainsi.

Cettetromperie des sens ne paroît pas moins dans l'organe de l'oüye.qui est-ce qui poura dire que le son ou le

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bruit soitquelque chose en lui-même ? Qui dira que dans le tremoussementdes cordes d'vn jnstrumentou dans le mouuement de l'airjl y aitce que l'oreille sentet cette armonie ou ce sonqui tantôtnous attendrittantôt nous attristeou nous égayeetqui excite diuerses passions dans nôtre coeur. Certainement ceque je sent n'est ni dans l'jnstrument ni dans l'aircar ni l'vn nil'autre ne peuuent me donner ce qu'ils n'ont pas.

C'est doncl'organe de l'oüye qui me fait cette jllusionet lequel merepresente et me fait sentir ce qui n'est ni dans l'air ni dans lesjnstrumens. Ajoûtés a cela que le même son fait duplaisir a quelqu'vns et de la peine a d'autres. Jl est a croireaussicomme on l'a dit des yeuxque ceux qui ont l'oreillediffemment construiteont vn sentiment

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differentdu sonet qu'ils entendent tout autrement les sons que nous ne lesentendons ; c'est ce qui fait qu'vn son plaît a l'vn et déplaita l'autre.

Jl en estde même de l'odorat. Qui dira que ce qui exhale de quelquecorps ait en soi cette odeur que je senset qu'il y ait dans cettematiere vniuerselle ces odeurs differentes que nous sentons. Le corpsmême duquel cette odeur sorten rend vne bien differente dansvn autre état. Carpar Exemplele Vin a vne odeur fortdifferentelors- [MARGE:] (a) Le Vin sortant de la cuue ou dupressoir ; c'est à dire le Vin doux. qu'il est apellémoust(a) ou vinou vinaigre. Les choses que nous mangeonsont vnefraichesou qu'elles commencent à pourir. odeur biendifferente lorsqu'elles sont Mais ce qui jmporte c'est que ni tousles hommes ni tous les animaux ne trou[INTERL:] pareil uent pas le............ agrément dans la même odeur. Celle-cydéplaît à l'vn

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et plaîtà l'autre. Celui-cy aime l'ambreou certaines fleurs. L'autrehait ces odeurset leur prefere celle de la Poix ou du soufre. Lescochonset les chiens mêmestrouuent vn fumet agreable danscertaines ordures. Le nés de plusieurs autres au contraireabhorre cette odeur : ce qui marque que l'odeur n'est rien enelle-mêmesinon vn phantôme de l'jmagination.

Jl fautdire la même chose du Goûtn'étant pas probableque ce que nous sentonset par le Goût et par l'Odoratsoitdans les particules mêmes du composé ; car si celaétoitelles ne changeroient jamaiset ne soufriroient pointd'alterationmais elle paroîtroient telles en tout temset entous lieux.

Ellesparoîtroient aussi les mêmes à

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toutessortes de personnes sensiblesce qui n'est assûrement pas.Sans allonger mon discourson sait combien il est difficile des'accorder la dessusde sorte qu'il a été ditqu'ilne faut pas en disputer. De gustibus non est disputandum. Jlfaut donc dire que toutes les sensations vienentdes dispositionsdifferentes de l'organe qui nous fait sentirce qui n'est réellementdans la matiere qui le toucheet qui par consequent nous fait croirece qui n'est pas en effet.

On tientle même argument pour les Qualités Elementaires. Si lachaleur étoit quelque chose en elle-mêmeelle feroit vneffet [INTERL:] XX et égal semblable XX sur tous les corpssensibles ; c'est a dire que tous la deuroient sentir de mêmeau même tems et a la [MARGE:] Ce qui n'est pas mêmedistance.

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Queplusieurs choses sont apellées d'vn certain Nom par l'Vsage ;Mais qu'elles ne sont pas telles en elles-mêmes.

LesPirroniens montrent que les Sens nous font croire que certaineschoses sont d'vne certaine maniereet que nous leur donnons certainsnoms jmpropresqui en effet ne leur conuiennent pas.

ParExemple : on dit qu'vne chose est grande et vne autre petite ;cependant les Pirroniens disent qu'il n'y a ni grand ni petit dans laNaturemais seulement qu'vn corps est dit grand comparé a vnautre plus petit : comme celui-cy qui est petitcomparé àvn autre plus petit deuiendra grand : et le grand deuiendra petitcomparé a vn autre plus grand. Ainsi il n'y a ni grand

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ni petitdans la Natureou pour mieux dire qui merite vn tel nom. D'autantplus encore qu'vne chose paroît petite de loinet qu'ellegrandit a mesure qu'elle s'aprocheou que l'on croit en aprocher.

Jl n'y apas non plus de droite ni de gauchecar ce qui ne subsiste point parsoi-même n'est rien. Or la droit n'est apelléeque parvn autre qu'on apelle la gauche : et celle-cy n'est apellée dece nomqu'a cause d'vne autre qu'on nomme la droite. Ainsi si vousôtés la droiteil n'y aura point de gaucheet si vousôtés la gauche il n'y a plus de droite.

Par lamême raison il n'y a point de milieucar si vous ôtésvn des côtés le milieu cessera de l'êtreet ilsera ou à droite ou a gauche.

Semblablementil n'y a point

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d'extremitéd'autant que si vous ajoûtés quelque chose al'extremitéelle cessera de l'être. Ainsi tout ce dontl'Être dépend d'vn autre n'est rien en soiet on nepeut connoître ce qu'il est. De maniere que le jour-mêmen'est rien en luipuisqu'il dépend de la presence du soleil ;comme l'obscurité n'est rien en elle-mêmen'étantque la priuation de la lumiere.

Jl n'y arien non plus qui soit beau ou laid en soy.

De mêmeil n'y a rien qui se puisse dire leger ou pesant en soipuisque cen'est que par comparaison d'vne chose a vne autreou d'vne quantitéa vne autre quantité ; ou bien suiuant les Lieux : carparExemplele Liege est dit pesant dans l'airet fort leger dans l'eau: c'est donc l'air

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qui rendle Liege pesantcomme l'eau le rend leger. Donc il n'est ni leger nipesant en lui-mêmeet nous ne sauons pas ce qu'il seroit horsde ces elemens ; d'autant moinsque tous les corps sont égalementen repos sur le globe de la terre. De plus vn corps est censépesantpar comparaison a [INTERL:] XX d'vn égal volume vnautre XX moins pesantcar en le comparant auec vn autre de semblablevolume plus pesantil sera nommé leger. Donc en lui-mêmeil n'est ni pesant ni legerpuisque sa dénomination et sonêtre dépend ou du lieu ou il estou de la comparaisonauec vn autre.

[INTERL:]raison Par la même .......... on ne peut pas dire qu'il y aitrien qui soit veritablement Vîte ou Lent en soini fort nifoibleni superieur ni jnferieurni large ni étroitni longni courtni subtil

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ni épaiscar toutes ces choses et autres semblables ne receuant leur êtreque par comparaison a vn autreelles changeront a tout moment denature. Ainsi le foible deuient fortcomparé a vn autre plusfoible ; l'jnferieur deuient superieurcomparé a vne autrechose plus basseet ainsi du reste.

Jl n'y aaucune chose non plusdisent- ilsqui soit veritablement bonne oumauuaise en soi. Cela est éuidenten ce que la mêmechose qui est bonne et salutaire a l'vnest mauuaise et dangereuse avn autre ; et ce qui jmportec'est que la même chose sera[INTERL:] a vn tel bonne vn jour .................... hommeou a vntel animalet dans vn autre elle sera mauuaise : ce qui vient desdifferentes constructions des temperamens et des organesou desdispositions journalieres dans lesquélles on se

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trouue.Les Poissons ne sauroient viure que dans l'eauet meurent àl'air. Au contraire les Oiseaux et les autres animaux y meurent en ydemeurant seulement quelques minutes. Cependant il y en a ...... quisont jndifferemment et dans l'eau et sur la terre. Pour lanourriturela Ciguë est mortelle à la plûpart desanimauxnéanmoins la Caille s'en engraisse. On guerit leRossignol de plusieurs maladies en lui faisant manger des Araignéesdesquélles le Singe est aussi fort auide et il s'en trouuebienet cependant elles sont fort dangereuses et mêmemortelles a la plus grande partie des autres animaux. Le Vin mêmeen certaine quantité fortifie et égaye. En plus grandequantité il rend stupide et sans forceet fait perdre de plusla connoissance

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connoissanceet la Raison. De même ce qui est vn remede et guerit l'vntuël'autre ; et même il guerit vne fois et fait mal vne autre.Ainsi toutes les choses qu'on dit être bonnesne le sont qu'encertaine quantitéen certains temset a certaines personnes.Cependant ce qui est veritablement bon en soidoit l'être entout temsen tous lieuxet a toutes sortes de personnesce quin'étant pas pointon ne peut pas dire qu'vne chose soit bonneou mauuaise en [INTERL:] XX elle-mêmeXX ......maisseulement par rapport a vne autre ; et par consequent nous jgnoronssa veritable nature.

Jl en estde même de toutes les choses sensiblesqu'on apelle agreablesou désagreables : Les memes couleurs ne plaisent pas égalementa tous les yeux. Le même son plaît aux vns

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et déplaîtaux autreset jl y en a même qui n'aiment point le chant etl'harmonie. J'en ai vû qui aimoient mieux le son des Clochesque celui d'vne Viole ou de quelqu'autre jnstrument mélodieux; d'autres qui veulent le grand bruitcomme la plûpart aimentvne certaine moderation. La Diuersité des goûts estencore plus grande pour les odeurs. L'on sait que quelques odeursfont mal a certaines personneset que d'autres ne peuuent en soufriraucuneou bien seulement des puantes. La même diuersitése trouue dans les goûts du Palaixvne chose semblableparoissant trop saléeou trop acreou trop douce aux vnspendant qu'elles ne le paroît pas assés aux autres : Jly en a même qui trouuent le Vin amer et qui ne peuuent pas enboirece qui est commun

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a ceux quiont la fieure. Lesquélles diuersités ne peuuent venirque des differentes constitutions des Organesqui nous represententles chose d'vne maniere ou d'vne autre. Jl n'y a donc rien qui soitagréable ou désagreable en soipuisque s'il étoittel par natureil le seroit également a tousen tous temset en tous lieux. Ce qui est d'autant plus vraique ce qui nousplaisoit dans vn temsne nous plaît plus dans vn autreetsouuent même nous déplait ; comme nous aimons dans vntemsce qui nous déplaisoit dans vn autre.? D'ou l'on peutconclure que les choses dont la dénomination et les proprietésdépendent d'vn autrec'est à dire des dispositionsparticulieres de celui-cy ou de celui-làde ces chosesdis-jeleur veritable nature est jnconnuë. C'est pour cela que

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quandquelqu'vn ditqu'vne chose est douce ou amerequ'vne chose estgrande ou petiteou que l'on affirme ou que l'on nïe quelquepropositionet que le Pirronien répond que cela peut-êtreet qu'il reste en suspensjl ne faut pas croire qu'il ait si grandtort. Carcomme on la ditla même chose peut être douceà l'vn et amere à l'autre : et le même corps peutpetre grand et petitagréable ou désagréablesuiuant les raports et les dispositions differentes des choseset deceux qui en jugent.

De toutceciet de plusieurs autres choses semblables que j'obmets pourabregerjls concluoient qu'il n'y auoit rien de vraiet que tout cequi nous paroissoit étoit fauxet vne jllusion des Sens. Cardisoient-ilsou toutes

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chosessont veritablesou toutes sont fausses : ou bien quelqu'vnes sontveritableset quelqu'autres sont fausses. Or par tout ce que nousauons diton peut conclûre qu'il y en a plusieurs qui sontfausses ; n'étant pas vraipar Exempleque certaines chosessoïent agreables en soipuisqu'elles sont agréables auxvns et désagréables aux autres. Mais s'il y a seulementquelques choses qui soyent vrayeset quelqu'autres faussescommentpourrons-nous les distinguer ? Jl n'y a que deux moyens pour celaoupar les Sensou par le raisonnement : Quant aux Sens nous auons vûqu'ils nous trompent en toutet qu'ils ne nous découurent pasla verité des choses. Quant au raisonnement et a la Raison onsait(et je l'ai fait voir fort au long dans quelques Traitésparticuliers) qu'on ne peut pas s'accorder facilement

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sur leschoses disputableset qu'il n'en résulte qu'vne simpleopinionet par consequent l'jncertitude de la Verité :puisque ce qui paroît probable et même éuident àl'vnne paroît point probable à l'autre ; et de pluscontraire à l'éuidence.

Cependanton dira qu'il faut s'en raporterdans les choses disputablesaujugement de quelques personnesqu'on croit capables d'en juger. Maison demande quélles sont ces personnes ? C...... Tout homme quijuge peut être jugé par vn autrecelui-cy par vn autreet ainsi à l'jnfini. Car chacun a droit de juger : et on nerenonce pas aisement ni a son droit ni a sa propre raison. Quantest-ce d'ailleurs que sur la même choselorsqu'on l'examine depréson trouue qu'on puisse faire vn jugement si vniuerselet si vnanime que plusieurs

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n'endisconuiennent pas ? Les vns veulent qu'on s'en tienne auconsentement du plus grand nombre. Ce qui est vn discours fort sot :Car ou poura-t'on auoir le jugement de tous les hommes du monde.Quand même on pouroit l'auoiron verroit que chaque nationjugeroit suiuant son propre goûtet qu'elle même neseroit pas d'accord. Les autres veulent qu'on juge par les Sensetquelqu'vns rejettent le jugement des sensvoulant qu'on se serue dela seule raisonou de l'jmagination de ce qu'on aperçoit ;par consequent le jugement deuïent jncertainpar toutes cesdifferentes manieres de [INTERL:] Car juger............................... non seulement vn homme ne conuient pastoûjours auec le sentiment des autres hommesmais il neconuient pas auec lui-mêmeaprouuant aujourd'hui ce qu'ildésaprouuoit hieret qu'il aprouue ou désaprouueencore vne autre fois

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dans lasuite. Par toutes ces raisons et plusieurs autresle jugement estjncertainet cela fait que nous jgnorons la verité : parconsequent il n'y a point de jugement a faire sur les choseslesquélles restent toûjours dans l'jncertitude et dansle doute.

On diraqu'il y a des signesou des marques par lesquélles on peutconnoître la verité. On répond de mêmequeces marques ou signes de la verité nous sont jndiquésou par les Sensou par le raisonnementou par l'jmagination. Maisnous venons de voir qu'il n'y a rien de sûr ni de certain dansce que les Sensou la Raisonou l'jmagination peuuent nousjndiquer. Jl n'y a donc aucun signeni aucune marque certaine de laverité.

Par cesargumenset autres semblables qu'on peut voir dans les auteurs

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que j'aicités au commencementjls mettoient toutes choses en doutejusqu'a douter de pluss'il y auoit dans la Nature vne Causeefficienteet s'il y auoit vne generation et vne corruption deschoses : car se seruant des raisons de Parmenidesde Melissusetdes autres pour mettre en doute qu'il y eût vn mouuement dansle mondejls pouuoient nier et la Cause efficienteet la generationet la corruption des Êtres.

Jlsmettoient même en doutes'il y auoit dans la Nature vnesubstance materielle qui formoit les diuers composéscommeaussi que cette matiere fût vn Être étendu etjmpenetrable. Si l'étenduë materielledisoient-ilséxistoitet qu'elle fût vn être veritableelleseroit composéeou de points mathematiquesou de pointsphisiques jndiuisiblestels que sont les atômes de Democriteet d'Epicure ;

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ou bien depoints diuisibles a l'jnfinicomme PlatonAristoteles Stoïcienset leur sequelle l'assûrent. Or l'étenduëmaterielle ne peut pas être composée de pointsmathematiquessi l'on veut supposer qu'elle soit vn être Réelet existant ; d'autant qu'on sait bien que les points mathematiquesne sont Rienet qu'ils n'existent que dans l'jmagination. La matierene peut pas être non plus composée de pointsjndiuisiblescatr tout ce qui a vn milieu et des extremitésjl paroît qu'il peut être diuiséet cela parprogression a l'jnfinipuisque les parties diuisées peuuentencore l'êtreayant des extremités et vn milieu. D'vneautre part il ne paroît pas que ces points puissent êtrediuisés à l'jnfinin'étant pas possible qu'vnpoint finicontienne des points ou des parties jnfinies. Par ou ilparoît que l'étenduë materielle

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que l'onjmagineou n'éxiste pas ; ou bien s'il y a quelque substancequi éxiste pour former les Êtres de l'Vniuerssa Naturene peut être connuë et elle reste dans l'jncertitude.

Voila vnepetite partie des argumens que les Pirroniens fontpour montrer quel'éuidence que les Sens semblent nous donnerest forttrompeuse et jncertaine pour connoître quélle est lanature des choseset ce qu'elles sont en elles-mêmes.

[INTERL:]quelqu'autres Quant a ce que Parmenides et ........ ............veulentqu'on se serue de la Raison pour découurir la Verité; Ratio dirimat discrimina rerum : Jls se moquent delui et de tous ceux qui qui ont tant dogmatiséen éleuantsi haut la Raison humainejusqu'au point d'apeller l'homme AnimalRaisonnablepar l'excellence de sa Raison. Pour montrer qu'onpeut douter que l'homme ait

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plus deRaison que les bêtesils se liguent contr'euxauec ceux quiont auancé qu'il n'y a pas plus de difference entre l'homme etles autres animauxcomme il y en a d'vn Chien à vn Boeufouvn [INTERL:] XX c'est à dire du plus au moins. Lion ; XX Quel'homme agissant par les mêmes principeset par le mêmeJnstinct [INTERL:] auancer que les bêteson peut fort bien................ que s'il semble être capable d'vn plus grandnombre d'actionsce n'est pas à dire pour cela qu'il ait vneautre Raison : car quoique le Chien paroisse plus parfait que leLimaçonparce qu'il est capable d'executer des choses quel'autre ne sauroit fairecependant il n'est pas fait d'vne autrepâte que le Limaçonet tous les deuxaussi bien quel'hommesont formés de la même substance et des mêmesprincipeset ils ont pour fin de toutes leurs actionsleur proprebienqui est la Raison

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Vniuersellede tous les Viuans. Sextus Empiricus và jusqu'a cet excésd'extrauagancede vouloir prouuer qu'vn chien a peut être plusde perfection que l'homme. On montre dans la suiteque la Raisonhumaine prise dans le sens qu'on lui donne communementn'est pasdifferente de celle des bêteset par consequent elle n'a pasplus de force pour diriger nos actions que les leurs : et que l'onpeut dire auec certitudeque les vns et les autres agissons touségalement par vn pur Jnstinct de Nature.

On peutvoir le reste de cette Doctrine dans les auteurs dont nous auonsparléafin de connoître plus clairement tous leségaremens de l'esprit de l'hommece qui pouroit plus queautre chose faire douter de sa Raison.

[FOLIO 68vvide]

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A Monsieur....Que l'Ame n'est que sentiment ; Et que l'Homme n'âgit quepar les sensations.

OüiMonsieurje le soûtiendrail'Homme n'âgit point parRaisonet c'est vne hipotése qui vous paroîtranouuelle ; mais quoiqu'il en soit je veux le démontrer auecvne éuidence jncontestable.

Monopinion est donc que c'est vn vain titre qu'on donne àl'hommeen disant par distinctionqu'il âgit Raisonnablement; au contraire je veux prouuer qu'il n'âgit seulement que parles sensationscomme aussi que son ame est vne substance qui Sent(ce qui est oposé au sentiment de Décartes) etlaquélle âgit

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suiuantles sensations.

Pour vousmontrer encore plus éuidemment que l'Ame n'est qu'vnesubstance qui sentil faut vous souuenir de l'origine que nous luidonnons auec PlatonAristoteet les autres Academiciens. Je veuxdire qu'elle prouient d'vne substance (la premiere matiere) qui semeut par elle-mêmelaquélle sent les mouuemensetcomme elle est mûë.

Mais pourvenir à l'examen de ce que j'auance contre l'opinion communec'est à dire que la Nature de l'ame est de sentiret d'âgirpar les sensations. Je dirai donc qu'vne Passion ne peut êtrevaincuë que par vne autre passionou par vne autre sensationplus forte . Par Exemple l'Orgüeil de paroître superieuraux autrespeut-être surmonté par la passion del'Auarice ; celle-cy par l'amourou par la volupté de quelquebien sensible ; et enfin la

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passionamoureuse par la crainte plus forte de la depenseou de se ruinerauec vne belle : c'est pourquoi ceux en qui l'auarice domine sontrarement amoureux. L'homme colerique ne se contient(quelquefois)que par la sensation de la crainte du mal qui peut lui arriuers'ilfait éclater sa colere autant que ses sentimens bilieux ledemandent. Vn Glouton ou vn Jurogne ne se contientque lorsque quela crainte des jncommodités que la débauche causeoule mépris qu'on aura pour lui étant regardécomme vn jurognesera la plus forte des sensations ; car si leplaisir de la bonne chere et du vin est superieuril se laisseraaller à la veüe de ce qui peut contenter les apetits desa volupté. De maniere qu'on peut conclure : Que lasensation qui est la plus forte dans le momentl'emportesur celle qui est plus foible dans le même tems.Je dis qui est plus forte ou plus

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foibledans le moment ; d'autant qu'il y a des momensdans lesquels il setrouue que la sensation la plus conforme à nôtre plusgrand bien est la plus fortece qui a fait croire et qui persuadeencore aujourd'hui que l'homme âgit par Raisonsur quoi on setrompe en se flatant. Afin qu'il ne reste aucun doute sur ce quej'auanceje vais vous expliquer en deux mots ce que je pense sur cequ'on apelle Raisondont on fait tant de bruitet en quoi elleconsiste.

Je croisque vous conuiendrés auec moiMonsieurque la Raison neconsiste qu'a faire des actionslesquélles puissent nousprocurer nôtre bienet même nôtre plus grand biennaturel ; comme aussi d'éuiter le malet encore d'auantage leplus grand mal. Mais il faut remarquer que dans ce monde l'homme neconnoît point d'autre bien naturelque le plaisir que quelquechose lui fait ; et qu'il regarde comme vn mal

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natureltout ce qui lui fait peineou douleur. De façon que leplaisir ou la peinesont les deux pôlessur lesquels roûlenttoutes les actions humaines. En effet il n'y a point d'éloquencequi puisse persuader à vn homeque la douleur d'autant quedouleurest vn bien ; et que le plaisir d'autant que simple plaisirne soit pas vn bienmais vn mal. Dieu même ne peut prometre àl'homme d'autres biensen recompense des [INTERL:] XX l'amour demaux qu'il aura souffert pour XX luique des plaisirs éternelsdans le Paradis ; ni châtier ceux qui ont transgresséses ordresque par des maux et des douleurs eternelles dans lesEnferspriuant encore en même tems ces malheureux de tout leplaisir dont on pouroit joüir en le voyantet en l'aimant commeses perfections le meritent.

Etant doncvrai que les biens naturels ne nous sont connusque par le plaisirque les objets font aux sens ; de même que nous

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neconnoissont les mauxque par la douleurou par la peine (qui est vndegré de douleur) que les sens reçoiuent des objest :Que semblablement les biens et les maux surnaturels sont ceux qu'onconçoit par le raisonnement que l'ame peut receuoir aprésla mort[MARGE:] On verra Dieuon entendra etc. lesquels on sefigure être semblables en partie a ceux que nous goûtonspar les sens. Jl en résulte que l'ame ne pouuant êtremûëni mouuoir le corps a faire certaines actionsquepour goûter le plaisir ou füir la douleur ; 1jl enrésultedis-jeque naturellement parlant l'ame ne peutmouuoir le corps a faire ce qu'on apelle bienou pour füir lemalqu'en consequence des sensations presentes ; parcequesuiuantSt. Augustinnous sommes contraints de suiure les mouuemens del'amelaquélle suit le plaisir comme un bien naturelet füitla douleur comme vn mal naturel. De plus les objets agreables oudésagreables qui sont presens et sensiblesmeuuentd'ordinaire

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l'ame plusfortement que ceux qui sont éloignés. C'est ce quifaitet c'est proprement la cause qu'on âgit plus frequemmentpour obtenir les biens et les plaisirs que les sens trouuent presensque d'âgir en consequence pour aquerir les surnaturels qui sontéloignés ; a moins que Dieu par sa misericorde jnfiniene donne à l'ame vne jmage si viue et si forte des plaisirssurnaturels éloignésqu'alors l'ame remplie del'esperance des biens éternelsabandonne les plaisirs presenset passagerspour joüir des biens et des plaisirs futurs queDieu nous promet dans le Paradis. C'est aussi en quoi le mêmeSt. Augustin fait consister la Gracec'est à dire que Dieudonne à l'ame vne delectation des plaisirs surnaturels siforteque tous les plaisirs terrestres soyent regardés etméprisés comme jnferieurs et de peu de duréepar consequent peu de chose en comparaison. Laquélledelectation étant purement vne grace de Dieuqu'il accordesuiuant l'ordre de ses jugemens secretsou

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selon lesmerites de quelqu'vnc'est pour cela qu'on lui a donné le nomde Gracequi est vn don et vne faueur particuliere dutrés-haut. Je conclus donc de ceci que Dieu ne change pas laNature qui est son ouuragemais qu'il se sert des moyens naturelspour conduire ses créatures aux fins qu'il se propose. Ainsiil donne à l'ame vne plus grande sensation jnterieure devoluptépour la faire âgir en consequence du plus grandplaisird'autant qu'elle n'âgit que par les sensationsn'étant elle-même que sensation.

Ceci n'estqu'vne courte analise de ce que je veux vous faire voir dans touteson étenduë. Cela passe les bornes ordinaires d'vneLettreet demande vne conuersation toute entierepour vouspersuader non seulement de ce que j'auancemais que je suis trésetc.

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Sur leSentiment des Animaux contre les Cartesiens.

Le sauantJ. D'Armanson a fait vn petit liurejntitulé La Bêtetransformée en machinedans lequel il s'efforce deprouuer deux choses. La premiere que si [MARGE:] Pag. 2. elle estcapable de connoissance et de passionil n'y a point de Dieu. 2.Que si l'ame de la bête est mortellela nôtre n'estpas jmortelle. Ce sont là ses paroles. Certainement cesdeux propositions font tant d'horreurje ne dis pas à vnChrétienmais a toute personne senséequ'on aimemieux accorder l'jnsensibilité des bêtessans rienexaminerque de pouuoir mettre aucun doute sur les consequencesqu'il en veut tirer ; et ce d'autant plusque les preuues qu'il endonne sont quasi toutes fondées sur des principes de Religionlaquélle rend la Philos quand elle parlela Philosophie estmuette. Cependant il

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conuientque si l'on admet dans les animaux le moindre degré deconnoissance de joyede tristessede hained'amouret de toutesles autres passions qu'on leur attribuë(ce sont ses paroles)il faut leur accorder vne ame. Or si nous en jugeons par les sensjlest visibleet on ne peut nier sans douter .......... qu'ils n'ayenttoutes les passions que les sensations jnspirent. Ceux qui lescroyent ainsine leur accordent qu'vne ame sensitiuelaquéllene và pas jusqu'a raisonner comme les hommes. C'est pourquoije croirois que sans blesser la Religionet sans nier Dieu etl'jmmortalité de l'ameon peut leur accorder la prérogatiuede sentir ce qui leur est bonà quoi se terminent toutes lesfacultés de leur ame sensitiue.

Je croisqu'on peut suiure cette opinion en sûreté de Consciencepuisque le Saint Concile de Trenten'a pas ôté auxanimaux le sentiment ; mais il a bien

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donnéà l'homme vne autre ame plus parfaite que Dieu crèeexprés pour lui dans le tems de sa generation : Car l'ame desbêtes tire son origine de la matiere premiereque lesAcademiciens ont crû qui se meûtet sent quéllese meût et la maniere dont elle est mûë. L'ame del'homme peut raisonneret par les choses sensibles s'éleuer ala connoissance de son créateuraussi bien qu'à cellede l'jmmortalité de cette ame mêmechoses à quoiles animaux ne peuuent éleuer leurs sensa quoi se terminentleurs connoissanceslesquélles ne vont pas plus loin qu'a cequi regarde leur bien et leur malet de connoître l'objet aueclequel ils peuuent multiplier leur especeétant éuidentqu'on ne peut pas leur dénier cette connoissanceayant sur cepoint plus de raison que plusieurs hommes abominables.

Jl estvrai aussi que cet auteur tâche de montrer sur la fin de sonsecond discours

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comme lemouuement du sang et les esprits animaux étant mûs decertaine maniereles bêtes font certains mouuemens couenablesà la machine. Mais il est a craindre comme disoit legrand Prince de Condéque par ces démonstrationsqui font également mouuoir l'homme le corps humainlequeln'agit que par les mouuemens du sang et des esprits animaux (quand laRaison ne les arrête pas) l'on n'aproche trop l'homme del'animalau lieu de l'en éloigner.

Jeconuiens que les objets presens peuuent mouuoiret meuuent en effetnon seulement l'animalmais l'homme aussileur jnspirant certainsapetitsen conformité desquels ils se meuuent et ilsagissent. Cependant il est difficile de persuaderque quand vnanimal âgit pour vne fin éloignée et sans objetpresentil n'est pas faciledis-jede faire croire qu'il âgitsans connoissancecomme quand l'araignée fait sa toile pourprendre la mouche

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et qu'ellese tient cachée pour l'attendre et pour s'en emparer ; ou quequelques autres animaux font leurs provision come la fourmiel'abeilleet plusieurs autres animaux pour passer leur hiuerobseruant certaine oeconomie et police conuenable a leur bien-être.Jl n'y a point d'objet present qui meuue l'araignéeni lafourmieni l'abeilleet il est difficile de croire que tout sefasse aueuglement et sans connoissance.

Que sil'on dit que c'est par un Jnstinctque le souuerain a donné àcet animal. Outre que j'ai tâché de faire voir en vnTraité particulieren quoi consiste l'Jnstinct. Je demandepourquoi le souuerain Ouurier n'a pû donner vne ame materielleet sensible aux bêtes come il a pû donner àl'homme vne autre espece d'amejmmaterielle et raisonnante. Je nevois pas pourquoi sur la foy de Décarteson veut mettre destermes a la puissance et à la Sagesse Diuineet qu'en

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donnant vnsentiment et des connoissances terminées aux bêtesonveüille que cette croyance soit contraire a l'existence de Dieuqui n'en esta mon auisque plus grand et plus saged'auoir pûet sû faire cette difference entre les bêtes et leshommes.

Quant amoi je crois que les animaux sententqu'ils ont quelque connoissancelimitée de leur étataussi bien que de ce qui leur estbon ou mauuais. Je ne vois pas que cette opinion me porte améconnoître Dieuau contraireje suis porté aadmirer de plus en plus sa sagesse et sa puissanceet je suispersuadé que ceux qui seront de mon sentiment n'en seront pasmoins Catholiquesni moins Orthodoxes. C'est pourquoisi je tachede rendre aux bêtes ce que Décartes et ses sectateursleur ont ôtéet que Dieu leur a donnéje necrains pas que les gens raisonnables me taxent la dessus. D'autantplus que la Religion

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Chrêtiennen'a pas besoin de mensonges manifestes pour prouuer ses veritésdes- quélles on pouroit doutersi on le vouloit apuyer de cequi est faux.

[FOLIO 75vvide]

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De laVraïe et Fausse Gloire

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De lavraïe et de la fausse Gloire.

Avant-Propos.

L'Hommeest vn animal naturellement glorïeuxc'est pourquoi il n'estpas étonnant qu'il aspire a la gloire. Jl aspire a ladominationou du moins a n'être pas dominéainsi iln'est pas merueilleux qu'il répugne a être soûmis.C'est sa propre méchanceté qui la contraint a lasoûmisionet il s'est forgé lui-même des chaînespar les Loix qu'il s'est jmposéne se croyant pas assésfort pour resister a tous les autres qui aspiroient comme lui adominer. Tous cherchent donc autant qu'ils peuuent la superioritéet cependant il faut être soûmis pour éuiterd'être tout a fait esclave des plus forts. Mais si leparticulier ne peut pas auoir la domination

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sur tousjl veut dominer au moins dans sa maisonsur sa femmesur sesenfanssur ses domestiqueset s'il ne peut pas l'auoir au dehorsautant qu'il souhaitejl affecteautant qu'il lui est possiblel'estime et la gloire d'être distingué du commun deshommes.

Pourparuenir a cette fin chacun s'y prend comme il peutet chacun yemploye les talens que la Natureou la fortune lui ont donnés.Ceux a qui la naissance donne des Titres jllusoirespretendentd'être estimés par cet endroit. Quelqu'vns font leursefforts pour auoir vn Cordonou Bleu ou Rougequi les fasserespecter. D'autres trauaillent pour paroître auoir des espritsplus lumineux et plus sauans que les autres. En vn mot chacun aspirecomme il peuta la gloire et a la superiorité.

Mais jevois peu de personnessi je

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ne metrompequi employent les vrais moyens pour aquerir la veritablegloire ; et ceux qui en ont de trés facilesjl me semblequ'ils ont recours a ceux qui sont extraordinaireslesquels leurattirentau lieu de la vraye gloirede la honte et du mépris.

C'estpourquoi j'ai resolu d'examiner les moyens les plus proprespourparuenir a la gloire que nous affectons tous auec tant d'ardeur. Afinque ce discours soit plus clairen parlant des moyens qui donnentl'honneur et la veritable estimeje raporterai en même temsceux qui leur sont contraires. Ce qui poura empecher de se tromper(je le souhaite) ceux qui se dérangent du chemin qui mênea la veritable gloire ; et les engager par la à suiure la voyedroitequi conduit a l'estime des particuliers et du Public engeneral.

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Pour peuqu'on y prenne gardeet qu'on ne marche pas auec les yeux fermésou attentifs a d'autres objetson poura facilement reconnoîtrele droit chemin. Jl nous est marqué par les Loix qui fontl'honnête hommeque tous ceux qui ont eû quelqueEducationou frequenté le monde ont apris.

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De laVraïe et de la fausse Gloire.

Lapremiere Loy de l'honneurest celle que la situation des choses nousprescrit ; Je veux dire qu'étant nés pour êtresujetsjl faut s'accomoder a cette situations . La vraye gloire doncconsiste a être bon Citoyen. Le bon Citoyen est celui quichercheautant qu'il lui est possiblele bien de la Societéet de la patrie ou il demeure. Si sa fortune est obscureil suffitde ne rien faire qui trouble la paix et la tranqüillitépubliqued'être soûmis aux Lois de sa nation ; etd'assister suiuant son pouuoir les particuliers qui ont besoin delui. S'exposer mêmes'il le fautpour la deffence de ceuxqu'on veut oprimeret auxquels il peut donner quelque secoursconuenable. Le bon Citoyen est celui qui reuere son Princeou dumoins qui ne fait pas profession publique de le haïret de luinuire.

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Par cesmoyens il s'attire l'estime et l'amour des Citoyens et du Princeetil se fait vn chemin sûr aux charges et aux emplois.

La fausseest celle de chercher (par vn excés de folie) la gloire ouelle n'est pas. Cest à dire par des chemins détournéset par lesquels il est quasi jmpossible de la trouueret a la placede la quélle on trouue la perte de l'honneurdes biensetsouuent même de la vie. Tels sont ceuxquipour fairefortunecherchent ...... a se rendre odieux soit au Prince ou àla Patrieen causant des reuoltes et des troublesse faisant Chefsde partiset autres choses semblablesdans lesquéllesdifficilement on peut reussird'autant que l'on ne peut pas executerses desseins tout seulet qu'il faut confier son secret a d'autresdans la compagnie dequelspar la même raison de faire fortunejl y en a toûjours quelqu'vn qui prend le chemin le plus

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court etle plus sûrqui est de reueler au Princeou aux Magistratsles desseins qu'on a. D'ailleurs soit par des discoursou par desmaniereson se rend suspectet on donne lieu aux Superieurs deveiller sur vôtre conduiteet même de vous faire donnerdans les pieges qu'on vous tend Comme cela est dangereuxchacun doity prendre grandeet ceux qui ont beaucoup a perdredoiuent sedetourner le moins de la vraye gloire et du chemin le plus sûrqui nous mêne à ellelequel est de s'attacher le plusqu'on peut au Princeet de seruir l'Etat du mieux qu'il estpossible.

La Foy estvn Don de Dieu. Si l'on ne croit pasil faut au moins faire semblantde ne pas mépriser la Religion qu'on professe dans vn païs.En voici la raison : c'est que la Religion bien entenduë a pourfin de rendre l'homme vertueux ; et elle est donnée etcultiuée pour mettres'il est possiblequelque frein auxpassions dereglées

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etvicieuses. Car les Preceptes que la Religion prescrit et consacresont ceux-là mêmes que la Societé éxige del'honnête homme ; c'est a dire de n'être point jnjustede ne point prendre le bien d'autruipayer ce qu'on doitne pointperuertir les femmes d'autruine point deshonnorer personneoumettre du trouble dans les famillesn'être point menteurJurogneblasphemateurescroc etc. ; mais fidelcharitableamicordialgenereux enuers ceux qui meritent quelqu'assistanceet envn mot ne faire mal a personne dans la vieles bienset l'honneurqui sont les trois biens naturels dont on fait cas. C'est la finprincipale de la Religionet celui-là est veritablementReligieuxet vrayement honnête hommequi suit ces Regles.

Jeconuiens donc que la Religion ne consiste pas proprement dans leCulte exterieur : mais il ne faut pas non plus le [INTERL:] XX quel'on voitmepriserd'autant que ce Culte exterieur XX

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fait jugerde l'jnterieurqu'on ne voit pas toûjours. L'on en tire mêmevne consequence naturelleque celui qui méprise la Religionméprise ses precepteset par consequent la Vertu. Je ne dispas qu'on ne puisse être vertueux sans croiremais qu'on donnelieu de le penser. D'ailleurs les hommes qui sont soûmis a ceque la Religion enseignecroyent qu'on les jnsulte et qu'on lesregarde comme des sotslorsqu'ils pratiquent ce Culte qui estordonné ; ce qui les jrrite et les porte a se vanger par vnmépris outrageanten vous décriant par tout comme vnscelerat et vn jmpie. Jl faut de la circonspection dans le publicetplus particulierement auec ceux qui croyent l'opinion que la Religionordonne. Si l'on en a vne autreon peut se relacher vn peu ; Plûtôtcomme [INTERL:] XX et par complaisanceXX en doutant qu'en assûrant.Le Scrupule choque les Jmpiescomme l'jmpieté les Deuots : Jlfaut être vn Protée en fait de Religion. C'est donc vne

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[MARGE:]En brauant la deuotion publique On s'attire le nom d'jncredule et parconsequent qui n'a ni Foi ni Loycome l'on dit fausse gloire que defaire profession publique de ne rien croire et de mepriser laReligion ? Qu'en coûte t'ilsi l'on a quelque penchantaux vicessi ce n'est de se taire et de les cacher ? Que coutet'il encore de faire quelques actions de Culte exterieurcommed'aller a la Messeet d'auoir du Poisson sur sa Table les joursmaigresreprimer la colereles juremens etc. et si la foiblessehumaine entraîne a la volupté charnellejl faut plûtôtcacher ce foible que d'en faire parade. Ces choses ne sont pasdifficiles quand on aspire a la vraye gloireou que du moins l'onfüit le blâme. On peut manger gras sans marquer de méprispour la Loy : et comme la Messe est vne action publiqueet quine dure pas demie-heurel'on fait bien de paroître modeste etattentif au Sacrifice.

Rien n'estdonc si malque de ne se pas faire voir dans les Eglises ; mais

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encoreplus mal de s'y faire voir auec cet air de mépris des autelsque plusieurs par affectentcomme s'ils brauoient la Diuinitéque les autres croyent. C'est jnsulter publiquement la deuotion detous les assistanset au lieu de la gloire qu'on croit aquerir parces actions de mépris de la Religionl'on aquiert la hainepubliqueet on vous publie par tout comme si vous étiésvn scelerat.

La vrayegloire consiste donc dans vn honnête milieude ne pas affecterl'hipocriteni de mépriser le credule ; mais comme ditTacitede tenir un état moderéen n'affectant pas debrauer les Dieuxni d'affecter vne deuotion outrée.

Aprésauoir vû ce qu'on doit à Dieuau Princeet à laPatrieil est bon de voir ce que l'on se doit a soi-même.

Jl y a desgens qui mettent leur gloire à auoir peu de soin de leur

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bienetd'autres qui font gloire de le dissipersans autre consideration quecelle de satisfaire les passions presentes. Mais la vraye gloireconsiste a conseruer d'vne certaine maniere le bien que la fortune ouvne loüable jndustrie leur a donné. Jl est [INTERL:] XXsoin de glorieux a un homme d'auoir XX son biende voir ce qu'ilfaut faire pour le conserueret mêmes'il est possibledechercher a l'augmenter par de bonnes voyes. Car celui qui n'augmentepas son bienil le trouue a la fin diminüé par vnejnfinité d'accidens qui arriuent dans la vie. Le plus sûret le plus glorieux moyenet qui donne la reputation d'vn hommesageconsiste a mesurer combien la depense qu'on peut faireauec lebien qu'on a. Je crois qu'il faut partager son reuenu en troisparties. On en peut mettre la moitié dans la depensenecessaire et conuenable a son étaten comptant la Tablelesdomestiquesl'Ecurieses habits et ceux

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de sondomestiqueleurs gagesLoïers de maison etc. Pour l'autremoitié il la faut encore diuiser en deux autres. L'vne pourl'employer aux plaisirs courants. L'autre la garder soigneusement enreserue pour les dépenses d'honneurde voyageset autressemblables qui arriuent assés ........ souuentaussi bien quecertains accidens jmpréuûs ou de maladiesou demalheurscontre lesquels l'argent comptant est vn grand rempart.Outre la gloire et l'estime qu'on aquiert par cette conduite sage(et d'être regardé comme vn foû et vn étourdien faisant autrement) jl en reuient encore plusieurs grandesvtilités. La premiere c'est qu'ayant toûjours l'argent ala mainon aura au moins vn tiers de bon marché en tout cequ'on achepte . La seconde qu'on aura toûjours le meilleur ;car ce qu'vn marchand n'a pasl'autre le donne ; et chacun fait sesefforts

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pours'attirer vne si bonne pate. 3°. On sera [MARGE:] La Tabletoûjours bien servis ; d'autant que ne prenant point a creditjl n'y a point d'excuse a ceux qui acheptentd'être obligésde prendre ce qu'on peutou qu'on a pû trouuer. 4°. LeDomestique sera toûjours excellent étant bien payé.5°. On n'aura pas le chagrin honteux d'auoir des Créanciersa sa porteou de leur faire cession de ses bienset viure de cequ'ils voudront bien laisser joüir. 6°. Se trouuant toûjoursen argent comptanton poura toûjours faire et se satisfaire entout ce que l'on voudra. Prenant néanmoins bien garde de nejamais toucher a ce quartqu'on a dit reseruer pour les besoinsjmportans. Accumuler tous les ans vn quart nouueaud'autant que letrop d'argent ne nuit paset qu'on peut en tout cas l'employer aquelque aquisition vtiledont on poura disposer en vne occasioncomme si c'étoit

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del'argent comptant. Car le 7°. auantage qu'on tirera de cetteconduitequi fait meriter le nom de sagec'est que dans vneoccasion on trouuera à emprunter sur ce bien ................de même que sur les autresnon seulement sa valeurmaisencore d'auantagesans auoir recours aux vsuriers dont l'on ne saitque trop quelles sont les extorsions ruineuses. Le 8°. auantageest enfin la gloire qu'on en tireen ce que tout le monde chante lesLoüanges d'vn tel hommeet on regardera sa maison comme vnemaison bien reglée. Celui qui la regle ne sera pas regardécomme vn foûmais comme vn homme sage et prudent dans sesactionslequel se [INTERL:] XX conuient conduit comme il XX àvn homme raisonnableet non pas comme vne tête sans ceruelle.Par ce moyen son reuenu augmentera en dépensant moinset enjoüissant d'vne plus grande abondanceet tout meilleurpar lesraisons qu'on a dit. De plus

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ayanttoûjours de l'argent comptantnon seulement il poura enemployer quelque peu en liberalitésqui lui aporteront del'honneur et de la gloire : mais il aura l'esprit en reposayant vnecuirasse d'or pour se defendre contre les coups jnopinés de lafortune.

Quand mêmeon trouueroit bonnes ces verités jncontestableset qu'on semît en état de les pratiquer exactement a la Lettre.Elles seront toûjours renuersées en vn jnstantsi l'onpretend joüer. Jl y a des personnes qui croyent qu'il estglorieux qu'on dise qu'vn tel a perdu de grosses sommes : Quant a moije crois qu'il est plus glorieux que l'on dise qu'il les a gagnées.Je dis mieuxen disant qu'il est glorieux qu'vn homme riche fasseconnoître et publiequ'il n'a pas besoin de gagnermaisseulement qu'il a besoin de ne pas perdre beaucoup. Jl y a troissortes de gens dans les jeux.

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Lespremiers sont ceux qui sont maitres du jeulesquels joüent desang froid et seulement pour gagner : Jls ont l'art de se possederen se retirant dans le malheur auec peu de perteet de gagnerbeaucoup dans la fortune. Ceux-cy rodent comme les Eperuiers pourgriper les tendres oiseaux. Jls sauent qui sont ceux qui ne sepossedent pointet qui joüent noblement. Jl y en a d'vneseconde espece qui joüent pour l'auidité du gainquijoüent même assés bienmais qui ne se possedentpas dans le malheur. Jl y a vne troisiéme especelaquélleest la dupe de touset particulierement de joüer(car c'est vndes plus grands arts) jls joüent pour se diuertirparcequ'ilsaiment le jeu : Ces personnes peuuent bien gagner quelquefoismaisil faut a la longue qu'elles soyent la proye des autres ; et ce qui a[INTERL:] XX c'est ...... vn pur malheur est de pisc'est que cesgens se persuadent que XX lorsqu'ils perdentparcequ'ils ont gagné

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quelquefois.Je le repetele jeu est vn mêtier et vn art des plusdifficilescar non seulement il faut sauoir trés bien cemêtiermais le fin de l'art consiste a se posseder de maniereque l'on sache distinguer quand la fortune nous ritet alors lapousser a proposet distinguer quand elle nous est contrairepournous retenir et ne rien hazarder ; enfin de sauoir se retirerégalement auec le gainet ne point pousser la perte parl'esperance de se raquiter. En vn mot rien n'est si difficile que lemêtier du jeucar non seulement il le faut bein sauoirmaisil faut sauoir se rendre maitre de la fortuneen la conduisantsuiuant ses capriceset en même tems suiuant nôtrevolonté.

Le plussûr est pourtant quand on a du bien de ne le point abandonnerau gré de la fortunecar le plus adroit et

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le plussagepeut manquer vn jour de sagesseet se ruiner. Comme lesExemples sont jnfiniscela n'a pas besoin de preuue ; d'autant plusqu'il ny a guere de personnes qui n'en ayent fait quelqu'experienceet qui ne connoissent les embaras dans lesquels le jeu peut nousjetter. La plus grande sûreté est de füir les lieuxou l'on joüe gros jeucar l'apetit est souuent excitépar la veüe des viandesquoiqu'on n'ait pas de faim. [INTERL:]XX absolument

Je nepretend pas XX ........ qu'vn homme du monde ne joüe jamaisjlfaut bien viure auec les autresdont la plus grande partie ne sauentque dire ni que fairesi ce n'est de joüer. Maiscomme je l'aiditil faut euiter les endroits ou l'on joüe gros jeuet joüerseulement auec les personnes qui joüent par vne espece decommercequi est aujourdhui

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ainsiétabli dans le monde. L'on perd quel- quefoison gagne dansd'autreset a la fin de l'année la perte ou le gain estmediocre. Ce mediocre se doit toûjours prendre sur la portiondes plaisirs couranssans jamais toucher a cette portion destinéespour les grands éuenemens laquélle doit êtresacrée.

J'auoüequ'il faut se contenir vn peuet ne pas donner carriere a la passion; mais la réflexion des jnconueniens dans lesquels le jeu nousmênepeuuent quelquefois déterminer la raison de nôtreplus grand bien. En faisant au surplus attention que ce n'est pas vnegloire de perdre son bienmais que c'en est vne grande de leconserueret de se tenirpar ce moyendans l'état heureuxde n'auoir pas besoin des autres hommeset que

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ceux-cy aucontraire ayent plûtôt besoin de nous.

Rien nedonne plus de gloire que la Liberalité ; mais il faut biencomprendre ce que c'est que d'être liberal. Celui qui depensedans la vanité d'auoir vne bonne table et bien seruiequiétalle le faste des équipages et des Liuréesqui depense beaucoup auec les femmes et auec ceux qui seruent sesdébauchesqui se pare auec des habits magnifiques et qui faitvoir des meubles et des tapisseries superbes ; celui-làdisjepeut bien s'apeller voluptueuxd'autant qu'il n'épargnerien pour sa propre volupté : jl peut s'apeller encorefastueux et vaind'autant qu'il veut paroître par la pompe deses habitsde ses Liuréeset de ses équipages. Maisveritablement Liberal est celui

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qui payece qu'il dit sans qu'on le lui demande. Liberal est celui a qui on nesauroit faire le moindre plaisirqu'il n'en donne des marques dereconnoissance par quelque petit don. Liberal est celui qui faisantcas de la vertuet des bonnes qualités ou il les trouueleurdonne des marques de son estime par des secours conuenables. Liberalest celui qui se seruant de quelqu'ouurier excellentet qui le sertbien dans son artnon- seulement lui paye ce qu'il a promismaisqui lui donne aussi quelque marque d'estime par vne petitegratification. Liberal est celui qui cherche son ami et l'honnêtehommeet qui lui donne quelque secours s'il en a besoin. Liberal estcelui qui s'jnforme si tout le monde est content satisfait dedant etdehors la maison. En

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En vn motla vraye Liberalité consiste a recompenser la vertuet nonpas la débauche. Ces personnes vers lesquélles j'ai ditqu'on doit vser de Liberalitésont autant de trompetes quichantent ses loüangeset la vraye gloire qu'il aquiert par cesmoyens. Le reste n'est que vanité.

La vrayegloire consiste a se couurir de vertuset a se faire estimer par sesqualités personnelles. L'honneur doit être le premiermobile de nos actionset l'homme noble doit soûtenir saqualité sans jnsolence.

La faussegloire consiste a se parer d'habits magnifiques ; estime qui ne passepas au dela de l'étoffe.

Quélledifference de voir vn homme estimable habillé proprementmaissans parure et sans affectationlequel

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s'attirela veneration d'vn chacun par ses qualités personnelleset decelui qui n'attire que les yeux et non pas l'estime par lamagnificence de sa parure. Jl a beau se donner la torture pour sefaire distinguersi l'jnterieur n'y repond pason dira toûjoursde lui : Vn âne chargé d'or ne laisse pas que debraire ; c'est à dire d'être toûjours vnebête.

La vrayegloire est d'être estimécomme on la ditparcequ'on enest digneet que cette estime nous fait honneur.

La faussegloire est celle qu'on s'attire par les carossesles Liuréesetc. On admire et on estime ces Liurées et ces carosses ; maison estime peu celui a qui cela apartienton le regarde au contrairecomme vn foû.

Ce n'estpas vne gloire que de vanter

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lanoblesse et le rang que donne la naissancec'est declarerl'obligation que l'on a d'être meilleur et plus vertueux queles autres. Les ayeux qui ont aquis vn nom dans l'Etat par leurmeritene font pas le nôtre si nous ne les jmitons. Que sertd'être sorti d'vn sang illustresi on le deshonnore. Se vanterde noblessec'est vne fausse gloirea moins que le public ne nousdeclare noble par nos actions.

Lanaissance ne donne pas le droit d'être jnsolentpiquant etjmperieux. Elle doit enseigner au contraire a être plushumainset a auoir plus de douceur auec tout le monde. Les hommesdoiuent être plus humains que les bêteset le nobleéleué au dessus des autres hommesle doit êtreaussi par l'humanité et par la douceur. C'est vne faussegloire que ces airs d'jmpatiencede

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hauteur etde brutalitélesquels conuien[MARGE : J'entens lespaysansdomestiquesetc. [INTERL:] XX animaux et au comun des nentXX aux .............. hommes qui aprochent le plus de leur nature.

En un motla politessela douceuret l'humanité font vne partie de lagloire de l'homme de qualité. La fausse consiste a se fairedisitnguer par la brutalitépar l'jnsolenceet par lacruauté.

La vrayegloire d'vn homme de naissance consiste a sauoir beaucoup de choseset d'exceller en quelqu'vne qui nous distingue. Jl faut que celui quiest né auec beaucoup de commodité pour le faire sachetoutes chosesafin de se rendre different des hommes ordinaires dequi il veut se distinguercar c'est le sauoir qui nous distingue.Frequenter les sauansles attirer dans sa maisonassaisonner lesrepas et la conuersation par des entretiens spirituelsc'étoitla

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maniere deviure des héros Romains et des grands Capitainescomme CesarPompéeScipionLucullus etc. aussi bien que des Senateurs etautres grandscomme CiceronBrutusCassiusMarc-AntoineHortentiusVarron etc. La conuersation des hommes sauansou de ceuxqui excellent en quelqu'artjnstruisent mieux et plus facilement queles Liures. Le sauoir n'empêche pas la volupté ; maiselle l'excuse et la rend honnêtedonnant à l'homme cequi lui apartientqui est la scienceet à l'animal ce quiest de l'animal. La fausse gloire de certains hommes consiste a sevanteret a se faire honneur d'être plus voluptueuxpluslascifet plus grand bûueur que les autres. Cesar et Alcibiadeétoïent les plus voluptueux hommes de leur temsmais enfaisant des grandes actions on a pardonné a leurs vices. On

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a regardéleurs deffauts comme des foiblesses humaineset leurs vertus commeétant au dessus du commun des hommes.

La beautéla parure de la personneet celle des chambressont des choses quiconuiennent aux femmeslesquélles n'ont pas d'ordinaired'autre moyen pour se faire estimer. Mais on ne le pardonne pas auxhommes qui peuuentet qui doiuent auoir d'autres qualitéspour se faire estimer.

La vrayegloire est de se faire [INTERL:] XX nobleset respecter par desmanieres XX .............. par............................................................ l'amourde ceux auec lesquels nous frequentons. Il faut en les aimantrespectanten les aimantet en les seruantleur montrer comme ilfaut aimer et respecter vn bienfaiteur. La fausse gloire est de sefaire respecter par des

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airs dehauteurde fiertéet des manieres farouchesqui aliennentles espritset vous font haïr et füir.

La vrayegloire consiste à fréquenter des gens au dessus denouset des personnes qui nous honorent par leurs vertus ; et l'onsera estimé du public même en nous declarant jnferieurs.La fausse gloire est de viure auec de la canaillesur [INTERL:]laquélle lesquels nous puissons auoir quelque superioritéet auec des gens méprisés du public.

Comme lesfemmes font plus de la moitié du monde. La vraye gloireconsiste a leur plaire. Jl faut affecter quelque modestie dans lepublicet marquer qu'on les estime toutes et le sexe en general. Jlfaut s'entretenir [INTERL:] en general auec elles XX d'vne manieregracieuseet s'exprimer par des regards auec celles qui plaisent leplus. Mais il faut que

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l'estimeet la politesse se repande sur touteset que toutes soyent contentesde nous.

La vrayegloire c'est de joüir d'elles sans le faire connoître. Lafausse gloire est de les brutaliser comme superieurse donner desairs jmportanset de tirer vanité par son jndiscretion deleurs faueurs amoureuses.

Enfin pourparuenir a la veritable gloire il faut vn peu d'artet cet artdemande de l'esprit et du sauoir. L'esprit consiste a pouuoirconnoître auec qui l'on vitpour s'accomoder auec tout lemonde. Jl faut que l'esprit et le sauoir soit vniuerselet onl'aquiertcomme on l'a diten frequen tant toutes sortes de sauans.Jl faut donc auoir de l'esprit et du sauoirpour raisonner de toutauec tout le monde ; c'est a dire parler auec vn chacun de ce qui estde sa connoissance.

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DePolitique auec les politiquesde belles Lettres auec les Lettrésde Philosophie auec les philosophes etc. Et s'ils sont moins sauansque vousles ramêner a vos sentimens par des principes connuset qu'on ne puisse pas désauoüerou en faisant valoirleurs raisons par d'autres dont ils ne s'étoïent pasauisés. Jl n'y a rien qui flate tant celui auec qui vous étesen conuersationque de trouuer vn homme qu'il croit être deson sentimentet qui aprouue ce qu'il dit au lieu de le contrarier.La fausse gloire est d'être contrariantet de disputer deschoses qu'on ne sait pas ou bien mediocrement. Jl faut toûjoursmontrer de la soûmisson et de l'estime pour ceux qui excellenten quelqu'Artquand même vous les verriés manifestementdans l'erreur. En un mot la fausse gloire est presomptueuse et

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jnsolentela vraye gloire est humbledouce et fondée en vrai Sauoir.

[FOLIO91bis vide]

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TraitéDe l'AmeEt De ce qu'elle deuient aprés la mort.

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De l'Ameet de ce qu'elle deuient aprés la mort.

Si l'onpouuoit connoître la nature de l'ameet quélle est sasubstancepeut-être qu'il ne seroit pas jmpossible dedéterminer ce qu'elle deuient aprés la mort. Mais parmalheur nous sommes bâtis de façon que nous ne pouuonsconnoître que par les Sens ; et comme l'ame n'est pas soûmiseaux sensjl en arriue qu'on ne peut la connoîtreque par leseffets qu'elle produit. C'est ce qui a fait dire à Heracliteaprés de longues reflexions sur la nature de l'ameque quandon mediteroit toute la vie pour la connoîtrece seroit vneoccupation jnnutile et sans fruit.

La plusgrande partie des philosophescomme ThalesPitagorePlatonet

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plusieursautres qui en ont voulû dire quelque chosel'ont définievne substance qui se meut d'elle-même et parconsequent toûjoursayant égard a ce qu'elle faitmouuoir le corps auquel elle est vnie ; et qu'en étantseparéele corps reste jmmobile. Sans raporter les sentimensde ceux qui ont ditque c'étoit vn assemblage proportionnédes Elemenset autres opinions ; sans citer ces sentimensdis-jeon peut auancerque non seulement elle fait mouuoir lescorpsmais qu'elle les fait vegeter et croîtreet de plus sentir. C'est pourquoi Straton a ditque l'amen'est autre chose que le sentiment ; d'autant que les corps mortsn'ont point de sentimentnon plus que de mouuement. Ce qu'il y a deplus(ce qui fait la difficulté de connoître la naturede l'ame) c'est qu'elle ne sent point sans les organes

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conuenablesà certaines sensationsqu'on a reduites a cinq ; c'est àdire la veüesl'oüyel'odorâtle Goûtet leTacte. Quoique néanmoins toutes les sensations se fassent parquelque mouuement et par quelque tacte des esprits qui sont dansl'organeet c'est de cet attouchement que résulte lesentiment : La Lumiere agitant les esprits de l'oeill'air ceux del'oreilleles vapeurs des corps odoriferans ceux des narineslescorpuscules des viandes ou des liqueurs ceux de la Langue et dupalaix ; et les corps plus grossiers ceux de la peau. CependantEpicure met encore le sentiment de la faim et de la soifquiconsiste dans les humeurs qui piquotent le ventriculeou le gozier.Sans parler du sentiment de la volupté charnellelequelconsiste dans la friction des

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organesou de l'organe de la generation. Mais comme jl y a quelque mouuementdans toutes les sensationscela a porté Platon a dire aprésles autresque l'ame est vne substance qui se meutd'elle-même et qui sent qu'elle se meut : a quoij'ajoûterois volontierspour éclaircir d'auantage cettematierequ'elle sent aussi les diuerses manieres dont elle semeutet dont elle mûëce qui fait lesdifferentes sensations.

De manierequil semble que la définition de Platon et de Stratonqui ontdit que l'ame est vne substance [INTERL:] mieux qui Sentvaut XX que celle de Décartes qui la définit vnesubstance qui Pense. Car quelque chose qu'on puisse direon nepense point aux choses qu'on n'a pas sentiet on ne raisonne

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que surles jmages que la memoire (qui est vn organe plus merueilleux que lesautresplacé dans le cerueaulequel rassemble toutes lesactions des autres organes) nous represente. Ce raisonnement se faiten comparant vne sensation auec l'autre. Lorsque les jmages dessensations précedentes se forment dans le Cerueaucelas'apelle Penserlaquélle pensée se forme par lemouuement des esprits animauxqui voltigent dans les fibres et dansles traces que les sensations ont formées dans le cerueaucomme Epicure l'a dit long- tems auant Décartes. Si l'onexamine donc de prés la nature de l'amejl semble qu'on peutconclure auec Platonque c'est vne substance qui se meut et qui sentqu'elle se meut. Cependant comme il n'y a point de mouuement réelsans

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quelquematiere ou corpsil en resulteroit que l'ame seroit materielle etcorporelle. Néanmoins il est visible que le corpsd'autantque simple corps ne sent pointquoiqu'il se meuue ou qu'il soit mû.Du moins nous ne pouuons pas connoître qu'il soit capable desentimentparce que pour sentir il ne suffit pas d'auoir vne amemais il faut auoir des organes propres à certaines sensations.Car quoiqu'vn homme ou autre animal viuant ayent vne amejls nevoyent pas sans yeuxet n'entendent pas sans oreilles ; et mêmeils ne voyent et n'entendent pointsi les organes sont bouchésde maniere que l'esprit animalqui est corporelne puisse semouuoir ou être mû facilement dans ces organespourfaire la sensation conuenable à cet organe.

L'on voitdonc que quoique la nature

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de l'amesoit de se mouuoiret d'être (comme dit Platon apres Pitagore)toûjours en mouuement. Qu'en se mouuant elle se represente atout moment quelque chose de ce que les sens lui ont representé(lequel effet se [INTERL:] XX le moyen de produit par XX l'organe dela Memoire) qui [INTERL:] nomme Comme on est ce qu'on apelle pensée................. [INTERL:] quand on compare les apelle raisonner.................................... [INTERL:] XX que ...... penséesl'vne auec l'autreet XX par le souuenir du bien ou du mal que leschoses passées ont produitl'on juge de ce qui peut arriuer al'auenirsi l'on fait ou l'vne ou l'autre chose ; ce qui s'apelleRaison ; c'est a dire raisonner et conclure par le raisonnement. Carla Raisoncomme le dit Ciceronn'est que la conclusion del'argument formé par le raisonnement. Quoique ces chosesdis-jeet plusieurs autres semblablessoyent des operations quidériuent du mouuement que les esprits animaux materiels fontdans

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l'organedu cerueau : cependant le simple mouuement de ces esprits materielset corporelsne pouuant pas produire ces effets que nous apellonssentirconnoîtreet discerner la difference qu'il y a d'vnobjet à l'autrecela a fait dire à Aristote ; quel'Ame est quelqu'autre chose que le simple mouuement des espritscorporelsque nous apellons Animaux. Parceque c'est par leurmouuement que se produit le sentiment et la connoissance. Cephilosophe donc a dit que l'Ame n'étoit pas le mouuement desesprits animauxmais ce qui faisoit mouuoir ces esprits. Jl a mêmeapellé l'Ame le Principe du mouuementcomme aussi quelquechose de Diuinet d'jncorporel. Non pas que l'ame fût tout afait jncorporelled'autant qu'elle est vnie et jnseparable du corps; mais parce que ce n'est pas le corps qui se meut(pour parlerjuste) lequel sent ; mais ce qui fait mouuoir est proprement

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l'ameetce qui produit le mouuement est quelque chose de Diuinet dedifferent du corps. En effet comme le premier moteur ou le principede tout mouuement est Dieuon a pû dire que l'ame étoitquelque chose de Diuinet vne substancequi est (par abstraction)tout a fait jncorporelle. Cette opinionqui aprochoit le plus denôtre Religiona été suiuie et enseignéefort longtemset elle est encore soûtenuë dans les Ecolesou l'on enseigne la philosophie Peripateticienne. Décartesayant depuis défini l'ame vne substance qui Penseceux quin'ont pas fait beaucoup de reflexion sur ce qu'on ne peut penserqu'aux choses qui ont été representéesou quisont actuellement representées par les Sens ; ceux-làdis-jeont crû que l'acte de la pensée étoitquelque [INTERL:] XX de tout a fait chose XX d jmmaterieletdifferent du sentiment : quoique ce ne soit qu'vne action de lamemoirequi represente ce qu'on a senti.

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C'estpourquoi Messieurs de Port-Royal connoissant la difficultéetvoulant soûtenir la Doctrine de Decartes qui paroissoitfauoriser la Religionjls ont écrit contre cet axiome reçûet dont Aristote a si bien prouué l'éuidence : Quel'Entendement (l'ame) ne connoît et ne conçoit rien quepar le moyen des sens. Nil jn jntellectu quod non fuerit in sensu.Car quoiqu'il soit vrai qu'il y a plusieurs actions de l'Amelesquélles ne paroissent auoir aucune connexion auec lessensations ; cependant quand on les considere bien sans preuentionon voit (comme Mess.rs de Port Royal l'ont vû) que tout roûlesur les sensations passées ou presentes. Jl est vrai que leraisonnement et la dispute [MARGE:] Il y a aussi diuers organesjnternes de la memoireou les sensations reuiennentet qu'on apellePenséesjmagesjdées etc. [FIN DE LA MARGE] mêmesemble quelque chose de different des sensations ; mais il est facilede montrer que tout roulle sur ce que nous auons sentisoit presentou passé.

Par toutce que je viens de dire

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[INTERL:]XX que on peut conclureXX quoique les vns aprouueront l'opinion deThalesou celle de Pitagorede Stratonde Platonou d'Aristote ;on peut conclureque ce n'est au fond que de pures opinionsdontl'vne plaira a quelqu'vnet ne plaira pas a d'autres. Que la veritéla plus probable est celle d'Heraclite : Qu'on ne connoîtpointet qu'on ne peut pas connoître quélle est lanature de l'ame ; quoique nous connoissions ses effetset riend'auantage. C'est pourquoi on ne peut rien affirmer sur son essencesi ce n'est des opinions plus ou moins aparentésetlesquélles plairont a l'vn et non pas a l'autre. De maniereque ne pouuant pas sauoir au vrai ce que l'ame est en elle- mêmejl est difficilepour ne pas dire jmpossiblede deuiner ce qu'elledeuient après la mort de l'animal. Jl n'y a eû jusqu'apresent que des opinions

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surlesquélles la Religion a empieténous contraignantd'en croire vne.

LesAnciens qui raisonnoient plus justes que Décartes sur lesprincipes des chosesont consideré que les animaux donnanttoutes les marques de sentiment et de connoissance comme les hommesil faloit dire que comme il y a vn principe general d'ou prouiennenttous les corpsjl y auoit aussi vn principe vniuersel qui animoitles corps qu'on apelle animéset que ce principe étoitcette force motrice qui animoit et qui faisoit mouuoir toute lanaturenon pas au hazardcomme disoit Epicuremais auecconnoissanceet par des Loix jmmanquables et certaines. C'est cetteforce agente et motrice qu'ils apelloient l'Ame generale de touteschoses et de l'Vniuerset qu'ils reconnoissoient [MARGE:] Cicer.Acad. Quest. L. 1. [FIN DE LA MARGE] proprement comme Dieu. Quamvim

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Animumdicunt esse Mundiquem Deum apellant. Nous-mêmes nousapellons Dieu le premier Moteur. C'est sur ce fondement qu'Aristote aditque l'ame est le principe de mouuement et ce qui fait mouuoir ;Cette force motrice qu'ils disoient être dans la matierepremiereet qui étoit quelque chose de different de lamatiere des élémensquoiqu'elle fût sans lamatiere des Elemensétoit l'ame vegetale ou animalelaquélleen mouuant produisoit differens effetsselon le mélange deselemens et suiuant la disposition des organes : Voyant par les yeuxdes corps qui en auoyentou entendant par les oreillesfleurant parle nés etc. Comme cette ame étoit vn principe vniverselqui formoit l'ame particulierede même que la matierecorporelle étoit vn principe général quiproduisoit les

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corpsparticuliersl'vn et l'autre de ces principes étoit éternelet ne périssoit point aprés la destruction du corpsmais chacun se reunissoit a la masse vniuerselle d'ou il étoitvenû. La terre à la terrel'humidité àl'humiditél'air a son elementet le feu ou la matiere laplus subtile eteréese reûnissoit à l'Eter. Demaniere que rien ne se perdoit ni ne s'anéantissoit de cesprincipes. C'est sur ces fondemens que Pitagore et Platon ont auancéqu'aprés la mortl'ame particuliere se reunissoit a l'AmeVniuerselle de laquélle elle étoit prouenuë. C'estaussi dans ce sens qu'ils ont dit qu'elle étoit jmmortellec'est à dire qu'elle ne s'anéantissoit pasparcequec'étoit vn principe vniuersel qui se mouuoit de lui-mêmeet que les principes des choses sont éternels etjmperissables. C'est pourquoi Ciceron voulant prouuer

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l'jmmortalitéde l'amejl se sert de cet [INTERL:] XX que je viens de raporter ;argument XX ; je veux dire que le principe étant jmperissablel'ame qui en prouenoit étoit jmperissable et jmmortelle. Jeraporterai mot à mot son argumentlequel a parû si beauà ce grand hommequ'il la repeté plus d'vne fois dansses écrits. Le voici.

Ce qui semeut toûjours par lui-mêmeest éternel. Ce quidonne le mouuement a vn autre en l'agitantquand celui qui l'agitecesse de l'agiteril est necesaire que celui qui est mû cessede se mouuoir. Jl n'y a donc que ce qui se meut de soi lui- mêmeet par sa propre forcequi ne manque jamais en lui parcequ'elle luiest naturellelequel ne cesse jamais de se mouuoir ; et il est ausurplus la source et l'origine du mouuement des autres qu'il meutetqui n'ont pas vn mouuement

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propre. Orle principe n'a point d'origine. Car c'est du principe que touteschoses prouiennent. Le principe ne vient d'aucune chose ; d'autantque s'il prouenoit d'vn autre il ne seroit pas principe. Que s'il nenaît pointjl ne peut jamais mourir. Car si le principe venoità s'éteindreil ne pouroit pas renaître et êtrereproduit par vn autreet il ne seroit point principe s'il venoitd'vn autre principe. S'il venoit a perir rien ne se pouroit plusproduireparceque toutes choses doiuent venir de quelque principe.Cela fait que le principe du mouuement est ce qui se meut delui-mêmeet non pas par vn autre. Celui-là ne peut ninaître ni mourir. Que le Ciel et l'Vniuers sombreet quel'ordre de la nature s'anéantissele principe existeratoûjourset rien ne poura empêcher qu'il ne se meuue parsa propre force.

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Etant doncvisible que ce qui se meut par sa propre vertu est éternel.Qui poura nier cette nature aux ames. Tout ce qui est mû etagité par vn autre est jnanimé ; et ce qui estveritablement animése meut de [INTERL:] XX ce qui estsoi-mêmeet par sa propre vertuXX C'est la propre nature del'ame. Que si cela est certainil est certain aussi que l'ame estéternelle et jmmortelle. L'ame sent donc (ajoûte Ciceronaprés Platon) qu'elle se meutet elle sent qu'elle se meutpar sa propre vertu et qu'elle ne peut jamais cesser de se mouuoird'ou vient l'éternité et l'jmmortalité de l'ameparce qu'elle est le principe du mouuement qu'elle donne au corpsdans lequel elle demeure.

CetArgument prouue sans doute fort bien l'existence éternelle del'ame qui sent qu'elle se meutet prouue de même aussi que sonéxistence ne peut pas cesser ;

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mais celan'ôte pas la difficultéqui consiste en ce que la mêmeéternité est attribüée a la matierecorporellelaquélle est aussi le principe de tous les corps.Rien ne se perd dans la nature vniuerselleni ce qui fait le corpsni ce qui fait l'ame. Comme le corps en se corrompant se mêle ala masse vniuerselle et corporellejl n'est pas jmpossible que(suiuant le sentiment de Pitagore) cette substance qui forme l'amene se reûnisse à l'ame generale du monde d'ou elle estémanéeet de laquélle prouiennent toutes lesames vegetales et animales qui sont aussi jmmortelles.

Cettedifficulté a été connuë par tous ceux quil'ont consideréeet même par [INTERL:] voulant St.Augustinqui .......... accomoder la croyance de l'ame et mettre vnedifference entre celle des hommes et des animauxjl a crûqu'on deuoit dire que Dieu créoit

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exprésl'ame de l'homme etc. : C'est pourquoi les Peres de l'Eglise dans le3e. Concile de Constantinople ont définique l'ame de l'hommeétoit crée de Dieu et tirée du néant.Sans quoi elle viendroit de l'ame ou du Principe vniuersel du mondecomme celle de tous les autres corps qui ont quel- qu'espece d'ameétant visible qu'elle âgit differement dans les corpssuiuant leur organisationet le mêlange des elemensqu'onapelle temperament. Mais cette Création nouuelle des ames ases difficultés à l'égard du péchéoriginel[INTERL:] XX lui-même comme St. Augustin XX entrouuoitquoique dans le Concile que nous auons cité on aitsuiui le sentiment auquel ce St. Docteur étoit portéet lequel est le plus propre a faire vne distinction de l'ameraisonnableen ne la faisant pas venir d'vn principe vniuersel etcommun aux autres animaux.

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Décartesa encore mieux faiten nyant que les bêtes ayent aucunsentiment ni connoissance. C'est ce qui a fait que cette opinionfauorisant la Religion a été embrassée auecquelqu'auiditéquoique contraire a toutes les aparences dusens-commun.

L'on peutdonc voir par tout ce que je viens de direqu'il n'y a sur vn telarticle que des opinions philosophiqueslesquélles sontfixées au dogme de la création de l'ame humaineauquelnous deuons aquiescer. Captivantes jntellectum in obsequium Fidei.

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A Madamede ....Sur les differentes Religions d'Hollande.

Le detailque vous me demandésMadameexigeroit pour le moins vnvolume ; cependant pour obeyr à vos ordresje vais tâcherde le faire le plus succintement qu'il me sera possibleet autantque les bornes d'vne Lettre le peuuent permettre.

Je vousdirai donc que la principale Religion d'Hollande est la Caluinistequ'on apelle communement en France Huguenotte ; mais cependant laliberté est pour toute autre. La Lutherienne y est fort ample.Jl y a aussi dans les Prouinces vnies(à ce qu'on dit) vntiers de Catholiques Romains. On y trouue beaucoup de Juifsaussibien que des Armeniens et des Moscouites qui suiuent l'EgliseGrecquede même que des Turcs et des Persansquoique cesderniers soient en petit nombre. Les originaires du païs sontdiuisés en plusieurs sectes differentes ; Les Huguenots-mêmessont diuisés entr'eux sur

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certainspoints. Car Voëtius soûtenoit plusieurs vetillesentr'autres : Que l'on ne doit pas admetre à la Cêneceux qui prêtent à vsure ; Qu'il faut obseruerauec soin le jour du repos ; éloigner des biensEcclesiastiques les personnes jnutiles à l'Eglise et àl'Etat ; ne celebrer aucun jour de Fêtespas mêmePâquesNoël etc. ; Qu'il faut dire PierreJean etc. etnon pas St. pierreSt Jean etc. Enfin de mêner vne vie trésseuere.

DesMares au contraire le combatoit en tout.

Cocceïus(qui étoit de leur tems) les reûnit par les nouuellesopinions qu'il proposoitet qu'il publia en partie. Jl étoitsauant dans l'Ecritureet il auoit fait vn sisteme de plusieursvisions de la Loy du Vieux et du Nouueau Testament. Entr'autresjldit : Que les Fidelles pendant qu'il n'y a auoit que la promessepar laquélle le Verbe s'engageoit a payer pour le Pechéd'Adamdans ce temsdit-illes seuls fidelles obseruateurs de laLoyétoïent sauués. Jesus ayant

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payédepuistous les fidelles sont sauués. Jl attend vn nouueauRegne de Jesus-Christsous lequel tous les Jnfidelles serontconuertis etc.

LesLutheriens sont aussi diuisés entr'euxprincipalement enAllemagnecar en Hollande ils suiuent assés rigidement lavraye Doctrine de Luther. Cependant ces derniers different assésde ceux d'Allemagnedu Danemarket de Suede. Premierement en cequ'ils ne se seruent pas de la Confession auriculaire : 2°.Point d'jmagesni d'habitssacerdotaux dans les Eglises : 3°.Aucun ordre des Prêtrescomme DiacresSoudiacres etc. ; maisde simples Ministres.

LesArminiens et les Demontrans. Leur grand point gissoitsur la Predestinationou Prescience de Dieu qu'il soûtenoient.On ne les reconnoît plus à present. Vorstius etEpiscopius y ont inseré la plus grande partie des erreurs desSociniens.

LesSociniens nïent la Diuinité de Jesus-Christl'existence du St. Espritle Peché Originel ; la satisfactionde Jesus Christ ; le retablissement du même corps des fidellesou

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resurectionauec le même corps. Leurs assemblées publiques sontdéfenduësmais ils passent pour Arminiens. Ce sont defort bonnes genspieuxsauans dans l'Ecriture quoique jgnorantsd'ailleurs. Jls sont zelés pour l'Vnité de Dieu lePereetc.

LesArminiens d'aujourd'hui disent : Que la Doctrine de la Trinitédes personnes dans vne seule essencen'est point necessaire ausalut. Qu'il n'y a point dans l'Ecriture aucun precepte qui ordonned'adorer le St. Espritni d'exemple qu'il ait étéadoré. Les Sociniens disentque ce n'est que la VertuDiuine qu'on exprime par ce mot. Les Arminiens prétendentque Jesus-Christ n'est pas vn Dieu égal au Pere. (Lessociniens soûtiennent qu'il est crée et adoptépar grace.) Jls éuitent le mot de satisfaction deJesus-Christ pour nos pechés. Cependant Espiscopus dit :Qu'il a satisfait jusqu'a vn tel pointqu'il a rendu Dieu propicea tout le genre humain. Que Dieu n'ayant plus de colereil ne resteplus d'jnimitiéhormis contre ceux qui refusent d'embrasserla grace de Jesus-Christ. Jls

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prêchentauec grand soin la tolerance de toutes les opinions des Chrêtienssoûtenant que tous s'accordent dans les points essentielsetque n'étant pas possible de décider quélle estla Religion la plus veritablela plus pure etc.il faut parconsequent que tous forment comme Chrêtiens vn mêmecorpset s'aimer comme freres. Jls aportent l'exemple desPharisiensSaducéensEsséens etc. qui alloient tousau même Templequoiqu'ils differassent dans leurs opinions. Envn mot tolerer toutes celles des Chrêtiens. Jl y en a encorequelqu'vns qui suiuent la Doctrine ancienne d'Arminiusmais le restesuit les sentimens que nous venons de raporter.

LesBrouinistes. Sont separés des Eglises d'Angleterre etd'Allemagnenon pas pour les Dogmesmais par la maniere dugouuernement. Jls refusent également celui des Presbiterienset des Episcopaux. Jl ne veulent pas se joindre aux Eglises desautresparcequ'ils ne sont pas assûrés de la probitédes membres ; et qu'on admet dans la communion des pecheurs etc. Jlscondamnent la Benediction

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desMariagesd'autant qu'ils disent que c'est vn Contrat purementciuildont la confirmation dépend du Magistrat. Jls neveulent pas qu'on baptise les enfans de ceux qui ne sont pas membresde l'Egliseou qui n'ont pas soin des enfans. Jls rejettent toutformulaire de prieresmême le Paterqui n'estace qu'ils pretendentqu'vn Exemple pour prier. Jls rejettentaussi l'vsage des Clochesdes Eglisesparticulierement decelles qu'ils disent auoir été consacrées àl'jdolatrie.

LesJndependans doiuent leur naissance aux Brouinistes. Jlsdisent que chaque Eglise a en elle-même de quoi se gouuerner etqu'elle n'a pas besoin de consulter vne autre ni de faire desSinodeset si on en fait ce n'est que comme pour entendre le conseild'hommes sageset non comme obligés a suiure leur conseil.(On detruit par là l'vnité des sentimens et des ritesd'vne seule Eglise en plusieurs membres.) Jls sont pourtant d'accordjusqu'a present des points de la Religion Huguenottesuiuant laconfession de foy qu'ils ont presentée à Londres en1651.

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LesAnabaptistes d'Hollande s'apellent Mennonitesnomqu'ils tirent de Menon chef de cette secte né dans la Frise.Ce Menon a rejetté les entousiasmes et les reuelations desAnciens Anabaptistesaussi bien que leur opinion touchant le regnede Jesus-Christ qu'ils vouloient fonder par les armes. Jl a établide nouueaux dogmes. Ses disciples croyentsuiuant ce qu'il aauancéqu'il n'y a que le nouueau Testament qui soit laregle de la foy et de la Religion. Qu'en parlant du Peredu Fils etdu St. Esprit il ne faut pas se seruir du terme de Personnesou deTrinité. Que les premiers hommes n'ont pas étécrées justes et saints. Qu'il n'y a point de pechéoriginel. Que Jesus n'a point tiré sa chair de la substance deMariemais de l'essence du Pere. Que la Parole ou le Verbe n'a pasété changé en hommeou qu'il l'ait aportédu Ciel ; mais qu'on ne sait pas d'ou il la pris etc. Que l'Vnion dela nature Diuine et humaine en Jesus s'est faite de maniereque laDiuine a été rendüe non- seulement visiblemaissujette aux souffrances

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et àla mort. Qu'il n'est pas permis aux Chrêtiens de jureroud'exercer aucune charge de Judicature Ciuileny de se seruir del'Epéepas même pour punir les méchantsou defaire la guerre pour quelque sujet que ce soit. Qu'il n'est pointpermis aux ministres de la Parole de receuoir aucun salaire de leurpeine. Qu'il ne faut point baptiser les petits enfans. Que les amesdes hommes se reposent aprés leur mort dans vn lieu jnconnujusqu'au jour du jugement.

CesMennonites se sont encore partagés en plusieurs sectes. Ceuxde Flandres sont d'vne extreme rigueuret ils excomunient ceux deleur secte pour des fautes très legeres ; et ils croyent qu'iln'est pas permis de mangerde boireou de contracter avec eux. Surce principe ils arrachent les femmes des marisles enfans des peresetc. Ceux de Frise au contraire sont fort relachésetreçoiuent tous dans leur communionc'est pourquoi on lesapelle Stercorurÿ. Les autres se sont

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aussiseparés pour des choses trés legerescomme par Exempleles Mammilaryparcequ'vn jeune homme ayant manié lagorge d'vne fille qui lui étoit accordée en mariageonvouloit pour celà l'excommunier. Vn autre parti soûtenoitque Non. Cela fit vn schisme ; et ceux de la rigueur apellerent lesautres Mammillary. Tous les jours ils se diuisent ; et ceuxqui se separentse joignent a quelqu'autre parti des mêmesmennonites.

Plusieursdes Mennonites ont embrassé la plus grande partie des opinionsdes Sociniensou des Arriens touchant la Diuinité deJesus-Christ.

Jlsprêchent tous la tolerance des sectes que les Arminiensdemandent. Jls croyent qu'il ne faut pas rejetter de leur Egliseaucun homme qui vit pieusement et qui reconnoît l'Ecriture pourla Parole de Dieu. Ceux-cy s'apellent GalenistesdeGalenus Medecin d'Amsterdam.

LesArriens. jl y en a grand nombreet vne partie des Sociniensembrassent

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leuropinion. Jls croyent que le Verbe auoit été créeauant toutes les Créatures. Que Dieu s'en étoit seruidans l'ancien temsquand il auoit quelque chose a annoncer auxPatriarcheset aux Prophetes. Que ce Verbe par vn anéantissementvolontaireauoit animé le corps de Jesus-Christ sans autreame. Jls croyent que toutes les ames des hommes étoïentdes esprits subsistant auant leurs corps ; et qu'ils prenoient le nomd'amelorsqu'ils animoient les Corps. Sandius Polonoïs aretabli l'Arianisme : et prouue dans vn liure que tous les Peresdepuis les Apôtres jusques à Arriusont eû lesmêmes sentimens touchant la Trinité.

LesBorellistes de Borelfrere d'vn ambassadeur de ce nom auprésdu Roy Loüis XIV. La plus grande partie d'entr'euxtiennentpour les opinions des Mennonites ou Anabaptistes. Jls ont choisi vnevie trés seuereet charitable. Jls ont en auersion toutes lesEglisesLiturgiesvsage des sacremensprieres publiques etc. Jlssoûtiennent que toutes les Eglises aprés la mort des

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Apôtresont degeneré de ce qu'ils ont enseignéparceque lesDocteurs humains ont donné diuerses jnterpretations àl'Ecriturequi est la seule verité : voulant faire passerleurs Liturgiesconfessions de foy etc. comme jnfaillibles. Jlssoûtiennent qu'il ne faut lire que la pure parole de Dieusansy rien ajoûter. Qu'en vne assemblée de Chrêtiensou l'on ne trouue que des gens de cette natureils y doiuent êtreadmis comme fidelles. Car l'vn n'en sait pas plus que l'autre.

LesEnthousiastesQuaquers ou Trembleurssont fortrigideset particulierement sur la mortification de la chair.Jls ne veulent que l'Ecriture. Mais ils disent qu'elle est morteamoins qu'elle ne soit animée par l'esprit Diuin et jnterieurque chacun a en soiet que cet esprit est le vrai Docteur. Que ceuxqui reçoiuent cet esprit sont vnis à Dieuet faits desDieux. Dans leurs assembléesils demeurent longtems assissans parler ou remuerattendant vne heure

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oudeuxque cet Esprit vienne les animer : alors (et les femmes mêmes)ils parlent suiuant l'jnspiration. Jls censurent les autresChrêtiens. Jls déclament contre les vices. Jls défientles autres a dire mieux qu'euxce qui donne souuent lieu a degrandes contestations. S'ils ne sont pas jnspirésils seretirent tous sans rien dire.

LesLibertinschacun a son sentiment particulier. La plûpartcroyent qu'il y a vn seul esprit de Dieu qui est dans tous lesviuantslequel est répandu par toutqui est et vit danstoutes les creatures. Que la substance et l'jmmortalité denôtre amen'est autre chose que cet esprit Diuin. Que Dieului-même n'est autre chose que cet Esprit ; Que les amesmeurent ou se dissipent auec le corps. Que le peché n'estrienque ce n'est qu'vne simple opinion qui s'éuanoüitpouruû qu'on n'en tienne compte. Que le Paradis et l'Enfer sontdes jllusions Politiquespour empêcher les hommes detransgresser les Loix Ciuileset les retenir dans l'obeissance etc.

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LesChercheurs. Jls conuiennent qu'il y a vne veritableReligionenseignée par Jesus-Christ et par les Ecrituresmais que personne ne sait quélle est la bonne entretoutes celles qui ont été et sont. Jls meditent lesEcritureset prient Dieu auec ardeur de leur jnspirer quélleest la bonneaussi bien que ce qu'ils doiuent faire. Jlstrouuent a redire a chaque secte en particulieret y trouuentquelque chose de defectueuxce qui fait qu'ils les rejettenttoutes. Jls meurent ainsi en cherchant.

SpinosaJuif de naissance. Jl paroît auoir pour but principal dansson traité la destruction de toutes les Religionsetparticulierement la Judaïquesur laquélle est fondéele Christianisme. Jl veut jntroduire l'Atheïsmele Libertinageet la liberté de toutes les Religions dans son TraitéTheologus Politicus. Jl

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soûtientqu'elles ont été toutes jntroduites pour l'vtilitéque le Public en reçoitafin que tous les Citoyens viuenthonnêtement en obeissant aux Magistrats. Qu'on doit s'adonner ala vertu sans aucune esperance de recompensemais pour l'excellencede la vertu en elle- mêmeet pour les auantages que ceux quila suiuent en reçoiuent dans cette vie. Jl ne dit pasouuertement dans son Liure l'opinion qu'il a de la Diuinitéquoiqu'on la conjecture ; cependt. il fait assés clairemententendre dans ses discoursque Dieu n'est pas vn Être doüéd'jntelligencejnfiniment parfaitet heureuxcomme nousl'jmaginons : mais que ce n'est autre chose que cette vertu de laNaturequi est répandüe dans toutes les créaturesetc.

Jl y aencore quelqu'autres petites sectes de peu de consequencedont ledetail seroit trop longet même jnnutiled'autant qu'ellesdériuent de la plûpart des

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principalesdont j'ai parlé. D'ailleurs je m'aperçois que vous vousennuyésaussi bien que moid'être entretenuë silongtems de rêveries et de sotises humaines. C'est pourquoi jefinis en vous assurant que etc.

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A Monsieurde ....

Jl estvraiMonsieurque toutes les societés policées ontvne Religion. Jl n'est pas douteux non plus que la fin de laReligionest de rendre à l'Être souuerain la pratiqued'vn hommage respectueuxet d'obseruer les preceptes et les reglesde bien viure dans sa sociétéque chaque Religionet le peuple Religieux croyent être émanées deDieu-même. Cependant il est étonnant que tous les hommesayant vne même fin d'honnorer Dieuet de viure honnêtemententr'euxnéanmoins ils se haïssent et deuiennent ennemismortelss'ils ne s'accordent pas dans la précision des mêmespratiques. Ce qui est encore plus étonnantc'est que l'on sehaïssequ'on se fasse facilement la guerreet qu'on s'expose as'entretuerpour le premier point de la croyance des misteresou duCulte different ; et qu'on se soufre facilement pour l'jnfraction desPreceptes ; qui sont la veritable fin que la Religion

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proposeet qui regardent la vie honnête et juste. On se contente demurmurer les vns aux autres ; mais on ne se fait point la guerre :même l'jnfraction des preceptes et le desordre des moeursseroit bien plus grandsi les Magistrats seculiers ne s'oposoient audesordre des hommespour les obliger de cacher en partie leursforfaitset mettre quelque frein a la licence que l'ambitionlavangeancel'auidité des richesse et les voluptés de lachair(entr'autres vices) pouroient produire dans les societés.

J'aisouuent recherché la cause d'ou peut prouenir cette fureur deshommes contre les autres hommespour la diuersité desopinions et des misteresqu'ils n'entendent pas pour la plûpartaussi bien que pour la pratique du Cultequi n'est pas l'essentielde la Religion ; et que d'vne autre part ils se suportent facilementsur l'jnobservance des Preceptesqui sont bien plus essentiels etplus jmportans a la societé : De cela j'en ai trouuédeux

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causesprincipales. La Premiere estque quasi tout le monde penchant atransgresser quelqu'vn des preceptes : on soufre le peché del'autre(pouruû qu'il ne nous offence pas) afin qu'on tolerele nôtre ; et comme les Medecins de la Comedieon passe àl'vn la saignéeafin qu'on nous accorde l'Antimoine. Laseconde estque ceux mêmes qui gouuernent et reglent laReligion étant dans le cas des autresils ne sont pas siseueres a condamner (ceux qui reconnoissent leur autorité) surle point du relachement des preceptes de la morale ; mais ils sonttrés rigoureux a châtier (autant qu'ils le peuuent) ceux[MARGE:] (a) La croyance et le Culte [FIN DE LA MARGE] qui manquentaux deux autres points(a) sur lesquels les hommes se regardentcomme des jmpies et des sceleratsquand même dans la moraleils seroient gens de bien.

Si l'oncherche pourquoi cela : jl semble qu'il y a deux causesvnenaturelleet l'autre artificielle. La naturelle a deux principes. Lepremier est fondé sur

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ce qu'il asa source dans l'ambition et dans le désir de la superioritéou du moins de n'être pas jnferieur. Le second estque nousauons tous quelqu'auersionet du mépris pour tous ceux qui nesont pas de même auis que nous. Cela paroît dans toutesles occasionsmême les plus petitesou l'on nous contreditet c'est assés pour passer pour vn foû et pour vnextrauagantque d'être seul d'vn auis contraire aux autresquoiqu'on prouue par des raisons éuidentes et conuaincantesqu'on a raison de contredirede penserou de faire autrement que ceque les autres font ou pensent. On la vûet on le voit encoredans les opinions et les disputes des Ancienset des modernesphilosophes. Les premiersainsi que les derniers font encoreaujourd'huise haïssoient et se décrioient l'vnl'autrepar des calomnies mêmes très atrocesquoiqu'ilne fût question que d'opinions et de sistemes de philosophiepeu jmportans. En vn mot l'homme veut être en toutautantqu'il peutsuperieur aux autres. Jl veut même qu'on pensecomme luisi l'on veut

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êtrede ses amis. Voila cette cause naturelleque chacun peut considererdans toute son étendüeme suffisant de la faireconnoître.

A l'égardde la cause artificielleje croirois volontiers qu'elle est a peuprés la même ; c'est a dire cette enuie d'êtresuperieur aux autresqui fomente dans les moins simples certainesopinionset lesquels s'en faisant chefs et deffenseursfournissentdes raisons aux Jdiotspour soûtenir vne opinion qu'ils ontembrasséeou qu'ils ont succée auec le lait.

Par cemoyen ces gens d'esprit s'érigent en chefs de parti et enmaitres de la Religionils aquierent du creditobtiennent desemplois sur la conduite du peuplelequel les respecte et les reuerecomme des demi-Dieux ; et par ce moyen ils aquierent de bons biens etdes commoditésdesquélles ils jouïssent a leuraise et suiuant leurs propres jnclinationsmais quasi tous comme lesautres hommesles vns auec vn peu plus de retenüeles autresmoinset plusieurs sans aucun menagementlesquels en vsent comme lemauuais richeparticulierement lorsqu'ayant obtenu de gros beneficesils ne veulent plus qu'en joüir.

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Cela faitdonc qu'étant comme les autres hommesils ne sont pas siausteres contre ceux qui manquent à l'obseruance des Preceptes; mais ils sont fort attentifs qu'ils ne croyent autrement que cequ'ils veulent qu'on croyeet qu'on offre ou qu'on suiue vn autreCulte que celui qu'ils ont établi. Car autre que cettecroyance et ce Culte leur donne la joüissance paisible des biensqu'ils possedentils aquiérent encore par ce moyen laparfaite soumission des autres hommeslesquels s'ils y manquentilssont declarés jmpieset comme tels poursuiuis jusqu'a lamortsous pretexte qu'ils pouroient peruertir les autres ; mais eneffetparcequ'ils pouroient par ce moyen soustraire les autres deleur domination absoluëet du respect qu'ils veulent qu'on aitcomme ils disent) pour leur caracterequ'ils se communiquent l'vn al'autreauec vn peu d'huîleet vn de leurs soufletsqu'ilsdisent être Diuin.

Laprincipale et quasi vnique attention donc de ces Messieursconsisteà se rendre les hommes soûmisaussi bien qu'a leurfaire croire que leurs paroles et leurs décisions sont cellesde Dieuet que ceux qui ne les croyent pas sont ses ennemiset parconsequent ils doiuent

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êtreregardés comme de propres ennemisayant des opinions quiétant contraires a celles dont on est déja jmbûon les croît d'autant plus facilement.

C'est parce moyen qu'ils entretienent la discorde entre le genre humainetentre les peuples qui ne les reconnoissent pas pour arbitres de leurspropres pensées. Faites ce que je vous dis(disent-ils) et ne prenés pas garde a ce que je fais.Mortifiés vouset ne considerés pas si je vis dans leLuxedans la crapuleou dans d'autres voluptés. Sur toutemployés vos richesses à nous les donnercar nous lesdistribüerons aux jndigenset par là vous serésheureux dans l'autre monde ; pendant que nous joüirons decelui-cy. Tués et massacrés s'il en est besointousceux qui pensent autrement que nous ne pensons.

A ceteffet on a établi un Tribunal d'Jnquisitionnon des moeursmais de la Croyance et du Cultedans lequel on s'enquiertsi l'on aquelqu'autre opinion sur ce pointque celle qu'ils ordonnent. Sil'on trouue des refractairesa moins qu'on ne se soûmetteparl'horreur que ces Messieurs ont de répandre du sangonles brûle vifs.

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Cettesubordination aueuglechacun la demande a son tour suiuant saDignité. Le simple Prêtre et les Curés veulent lerespect et la soumission absolüe de leurs paroissients. LEsEuêquesoutre la soûmission du peupleveulent aussicelle de tous les Prêtres et les Cures. Le Pape qui pour êtreEuêque de la Capitale de l'Empire s'est érigé enDieu visible sur terre et a fait receuoir ses paroles comme desOraclespeu à peu s'est arrogé l'obeïssance et lasoumission aueugle des Euêques d'Jtalie et d'Espagnea demiceux d'allemagneet ne lui restant plus que la Franceil veutencore la soûmetre a la même obeïssance.

Les Moinesen jmposent aussi d'vn autre côtépar leur habit et parles aparences d'vne vertu austereils ont fait en sorte de partagerce credit et cette autorité au dessus des simples prêtreset ils ont tâché même ne la pouuant auoir sur lesCurés et moins encore sur les Euêquesqui d'accord ontresisté pour ne se pas laisser enleuer vne si precieuseprerogatiue ; jls ont tachédis-jede s'exempter de lasoûmission des prêtres et des Euêquesse mettantsous celle du Pape qui les protege contre les Prêtresseculiersparticulieremt. les Mendians et Jesuiteslesquels de leurpart rendent de loin vne entiere obeissance au Pape et tous lesseruices qu'ils peuuentson autorité mettant la leur acouuert des autres Pretres. Je suis etc.

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A Monsieurle ....

Monsieurjl n'y a pas à douter que le sisteme Jndienen tant quesisteme religieux ne soit aussi deffectueux que tous les autres :Tous les Cultes que l'on voudra établirne pouuant l'êtrequ'arbitrairementet conformement au génie des peuples pourqui on le fera. La chose ne se pouuant executer sans établirdes ministres de ce Cultequelque simple et quelque philosophiqueque soit le Sisteme dans son origineil se chargera bientôt demille absurdités de détailqui grossiront tous lesjour d'âge en âgeparceque la cause de la corruptionsubsistera toûjours. Nous voyons ce qui est arriué àla Chine pour le culte des Esprits ou des formeset pour celui desAncêtresquoique depuis des milliers de siecles le Rite en aitété reglé par des Loix qui entroient dans lemoindre détailque l'on ait choisi pour Prêtres lesMagistrats mêmeset que des Tribunaux seueres ayent veilléa s'opposer aux jnnouations. La Religion Jndienne en tant queReligion a été sujette a de plus grans jnconueniens

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pour auoirété liurée à la Poësie et aux fablesde ces Moines du païsdont l'jmagination est encore plus forteque celle de Therese et de Marie d'Agreda . Cependant si l'on y aregarde de présleurs austerités generales sereduisent a des bains et a des ablutions frequentespratique nonseulement agreablemais encore necessaire dans ce païs brûlant.L'abstinence de la viande n'est pas vne grande peine dans ce païsou les fruitsles Legumeset le Rissont trés communs ettrés nourissans. L'Estomac a peine à digerer la viande.Celle de Boeufqui est celle dont l'abstinence est ordonnée àtout le mondeest trés mal-saineet de mauuais goût del'aueu de Bernier. D'ailleurs le païs ne pouuant nourir deChevauxles boeufs sont les seules bêtes de chargeet lesseules voitures. Jls ne sont pas même en grand nombreet lesJndiens sont aussi étonnés de voir que nous nousnourissons de cet animalque nous le sommes d'entendre dire que lesTartares nourissent des chevaux pour les manger. Ce que je trouue deplus beau dans les sisteme Jndienc'est le fondementc'est ladoctrine jnterieure dans laquélle

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ilsenseignent qu'il n'y a qu'vn seul Êtrequ'vne seule substancesusceptible d'vn grand nombre de modalitéesqui forment tousles Êtres particuliers que nous voyons. Êtres quicommencent et qui finissentquoique leur matiere premiere et leurselemens subsistent necessairementparce qu'ils participent del'existence generale. Ce qu'ils expliquent par la comparaison d'vnmorceau de Cirequi change successiuement de figure sous differenscachets et dans differens moules.

Quand àla question que vous proposés : Si l'Etre souuerain veut vnCulteet quel il est. Vous me permetrés de vous en fairevne autre. L'Etre souuerain a t'il vne volonté ànôtre maniereet comment est-il distingué de nous etdes êtres particuliers ? Comment peut-il vouloir quelque chosede nousque nous puissions faire ou ne pas faire. Je vous auoüeque cette question me paroît jnsoluble. Veut-il que nousfassions autre chose que ce que nous faisons ? Nous sommes doncjndépendans de luiet il y a quelque chose de plus puissantque luiet nous sommes cette chose. Dans cette suposition ildeuient jndigne de tout culte par son

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jmpuissance.Si nous ne faisons que ce qu'il veutcomme il veut tout ce quiarrivele Culte est jndifferent et jnutile. Ainsi nous deuonsnous tenir en repos. Quand a la Lettre d'Hipocrate à Damageteje l'ai luë plusieurs foisd'autant qu'elle est en mapossession ; mais quoique l'Auteur paroisse auoir pensé justesur toutes ces matieresc'est vn predicateur moraliste qui n'a auoüéla verité qu'en fuyantet qui la enuelopée d'vnejnfinité de choses qui l'obscurcissent au pointque c'esttout ce que peuuent faire ceux qui ont les yeux déja bienouuerts que de l'entreuoirpour les autres ils ne soupçonnerontrien de ce qui y est caché. J'en ay vû qui croyantbonnément cette Lettre d'Hipocraten'étoïent passcandalisés de ce qui s'y trouuoit d'vn peu durmais aucontraire s'édifioient beaucoup de ce qu'ils croyoient y voirde bon. Pour reuenir a cette pretenduë Lettre d'Hipocratesonprincipe du Culte prouincial étoit celui des Romainsles plustolerans de tous les hommeshors pour les Religions contraires a lasocieté ; c'est à dire pour les Religions jnsociableset persecutantes comme celle des [INTERL:] XX sisteme du Juifsauquel le XX Culte prouincial ne conuient

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nullement.Jls croyoient bien que Dieu vouloit être adoré en Judéed'vne certaine manieremais pour les autres peuples s'ils ne s'ensoucioit pasc'est qu'il les regardoit comme des gens damnésd'auance. A l'égard de Pitagoreson Sisteme est Jmpenetrablepour moi. Jl y a des choses qui me le feroient regarder come vnprofond philosophemais il y en a d'autres en plus grand nombre quime le font prendre pour vn superstitieuxqui s'étoit chargéde toutes les superstitions grosses et menuës des peuples chéslesquels il avoit étéet il faut auoüer que dumoins ses disciples étoïent deuenus l'opprobre de laphilosophieabstinencesjeûnespurificationssacrificesEuocations et conjuration des Génies et des Demonsvertuscabalistiques des Nombresfigures talismaniquesMagieDiuinationen vn mot toutes les croyances du vulgaire leur étoïentbonnes. Tels étoïent PorphireJambliqueApollonius deThianesDamasciuset vn grand nombre d'autresqui ont étéles plus zelés deffenseurs du Paganisme contre les premiersChrêtienslesquels proposoient

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vneReligion assés senséepar comparaison a celle quiregnoit alors. Je vous demande pardon de mon peu de respect pourPitagoreau cas que je me trompeje ne refuse pas d'êtrejnstruitce sera vn sujet de controuerseet vous ne vous plaindrésplus que nous somes trop d'accord pour ne nous pas ennuyer ensemble.

Quant àce que vous dites de l'jdée de l'Être Sûpremegrauée dans nos coeursje ne suis pas tout a fait de vôtreauissi par cette jdée vous entendés celle que lesphilosophes Theologiensen ont fabriquée. Nous auons bienl'jdée d'vne cause qui produit tous les effets dont noussommes témoinsmais si nous raportons celle des effetsgeneraux éloignés a vne cause metaphisique abstraite etgeneralec'est par vne fausse philosophie et par vn raisonnementparesseux qui accomode nôtre orgüeil. L'jdée queles Nations ont eû de la Diuinitéou des Diuinitésn'a jamais été philosophique. Les Dieux étoïentdes Etres semblables a nousou du moins analogues à nôtrenaturequi produisoient jmmediatement les effets les plus naturelset ceux dont la cause est plus aisée a démêler.Quand au culte

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je n'enconnois point d'autreque l'obseruation exterieure des Loix de sonpaïssans laquélle on ne peut être en repos dansla Societé. Je suis etc.

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