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AnonymeLettres de la religieuse portugaise (fin du XVIIe siècle)LETTRE PREMIÈRE 

Considèremon amourjusqu'à quel excès tu as manqué deprévoyance. Ah malheureux ! tu as été trahiettu m'as trahie par des espérances trompeuses. Une passion surlaquelle tu avais fait tant de projets de plaisirsne te causeprésentement qu'un mortel désespoirqui ne peut êtrecomparé qu'à la cruauté de l'absencequi lecause. Quoi ? cette absenceà laquelle ma douleurtouteingénieuse qu'elle estne peut donner un nom assez funesteme privera donc pour toujours de regarder ces yeuxdans lesquels jevoyais tant d'amour et qui me faisaient connaître desmouvementsqui me comblaient de joiequi me tenaient lieu de touteschoseset qui enfin me suffisaient ? Hélas ! les miens sontprivés de la seule lumière qui les animaitil ne leurreste que des larmeset je ne les ai employés à aucunusagequ'à pleurer sans cessedepuis que j'appris que vousétiez enfin résolu à un éloignementquim'est si insupportablequ'il me fera mourir en peu de temps.Cependant il me semble que j'ai quelque attachement pour desmalheursdont vous êtes la seule cause : Je vous ai destinéma vie aussitôt que je vous ai vu ; et je sens quelque plaisiren vous la sacrifiant. J'envoie mille fois le jour mes soupirs versvousils vous cherchent en tous lieuxet ils ne me rapportent pourtoute récompense de tant d'inquiétudesqu'unavertissement trop sincèreque me donne ma mauvaise fortunequi a la cruauté de ne souffrir pas que je me flatteet quime dit à tous moments : CessecesseMariane infortunéede te consumer vainementet de chercher un Amant que tu ne verrasjamais ; qui a passé les Mers pour te fuirqui est en Franceau milieu des plaisirsqui ne pense pas un seul moment à tesdouleurset qui te dispense de tous ces transportsdesquels il nete sait aucun gré ? Mais nonje ne puis me résoudre àjuger si injurieusement de vouset je suis trop intéresséeà vous justifier : Je ne veux point m'imaginer que vous m'avezoubliée. Ne suis-je pas assez malheureuse sans me tourmenterpar de faux soupçons ? Et pourquoi ferais-je des efforts pourne me plus souvenir de tous les soins que vous avez pris de metémoigner de l'amour ? J'ai été si charméede tous ces soinsque je serais bien ingratesi je ne vous aimaisavec les mêmes emportementsque ma Passion me donnaitquandje jouissais des témoignages de la votre. Comment se peut-ilfaire que les souvenirs des moments si agréablessoientdevenus si cruels ? et faut-il que contre leur natureils ne serventqu'à tyranniser mon coeur ? Hélas ! votre dernièrelettre le réduisit en un étrange état : il eutdes mouvements si sensibles qu'il fitce sembledes efforts pour seséparer de moiet pour vous aller trouver : je fus siaccablée de toutes ces émotions violentesque jedemeurai plus de trois heures abandonnée de tous mes sens : jeme défendis de revenir à une vie que je dois perdrepour vouspuisque je ne puis la conserver pour vousje revis enfinmalgré moila lumièreje me flattais de sentir que jemourais d'amour ; et d'ailleurs j'étais bien aise de n'êtreplus exposée à voir mon coeur déchiré parla douleur de votre absence. Après ces accidentsj'ai eubeaucoup de différentes indispositions : maispuis-je jamaisêtre sans mauxtant que je ne vous verrai pas ? Je lessupporte cependant sans murmurerpuisqu'ils viennent de vous. Quoi ?est-ce là la récompenseque vous me donnezpour vousavoir si tendrement aimé ? Mais il n'importeje suis résolueà vous adorer toute ma vieet a ne voir jamais personne ; etje vous assure que vous ferez bien aussi de n'aimer personne.Pourriez-vous être content d'une Passion moins ardente que lamienne ? Vous trouverezpeut-êtreplus de beauté (vousm'avez pourtant dit autrefoisque j'étais assez belle) maisvous ne trouverez jamais tant d'amouret tout le reste n'est rien.Ne remplissez plus vos lettres de choses inutileset ne m'écrivezplus de me souvenir de vous. Je ne puis vous oublieret je n'oubliepas aussique vous m'avez fait espérerque vous viendriezpasser quelque temps avec moi. Hélas ! pourquoi n'yvoulez-vous pas passer toute votre vie ? S'il m'était possiblede sortir de ce malheureux Cloîtreje n'attendrais pas enPortugal l'effet de vos promesses : j'iraissans garder aucunemesurevous cherchervous suivreet vous aimer par tout le monde :je n'ose me flatter que cela puisse êtreje ne veux pointnourrir une espérancequi me donnerait assurémentquelque plaisiret je ne veux plus être sensible qu'auxdouleurs. J'avoue cependant que l'occasionque mon frère m'adonnée de vous écrirea surpris en moi quelquesmouvements de joieet qu'elle a suspendu pour un moment ledésespoiroù je suis. Je vous conjure de me direpourquoi vous vous êtes attaché à m'enchantercomme vous avez faitpuisque vous saviez bien que vous deviezm'abandonner ? Et pourquoi avez-vous été si acharnéà me rendre malheureuse ? que ne me laissiez-vous en reposdans mon Cloître ? vous avais-je fait quelque injure ? Mais jevous demande pardon : je ne vous impute rien : je ne suis pas en étatde penser à ma vengeanceet j'accuse seulement la rigueur demon Destin. Il me semble qu'en nous séparantil nous a faittout le mal que nous pouvions craindre ; il ne saurait séparernos coeurs ; l'amour qui est plus puissant que luiles a unis pourtoute notre vie. Si vous prenez quelque intérêt àla mienneécrivez-moi souvent. Je mérite bien que vouspreniez quelque soin de m'apprendre l'état de votre coeuretde votre fortunesurtout venezme voir. Adieuje ne puis quitterce papieril tombera entre vos mainsje voudrais bien avoir le mêmebonheur : Hélas ! insensée que je suisje m'aperçoisbien que cela n'est pas possible. Adieuje n'en puis plus. Adieuaimez- moi toujours ; et faites-moi souffrir encore plus de maux.




LETTREDEUXIÈME


VotreLieutenant vient de me direqu'une tempête vous a obligéde relâcher au royaume d'Algarve : je crains que vous n'ayezbeaucoup souffert sur la meret cette appréhension m'atellement occupéeque je n'ai plus pensé à tousmes maux ; êtes-vous bien persuadé que votre Lieutenantprenne plus de part que moi à tout ce qui vous arrive ?Pourquoi en est-il mieux informéet enfin pourquoi nem'avez-vous point écrit ? Je suis bien malheureusesi vousn'en avez trouvé aucune occasion depuis votre départet je le suis bien davantagesi vous en avez trouvé sansm'écrire ; votre injustice et votre ingratitude sont extrêmes: mais je serais au désespoirsi elles vous attiraientquelque malheuret j'aime beaucoup mieux qu'elles demeurent sanspunitionque si j'en étais vengée : je résisteà toutes les apparencesqui me devraient persuader que vousne m'aimez guèreet je sens bien plus de disposition àm'abandonner aveuglément à ma Passionqu'aux raisonsque vous me donnez de me plaindre de votre peu de soin : que vousm'auriez épargné d'inquiétudessi votre procédéeût été aussi languissant les premiers jours queje vous visqu'il m'a paru depuis quelque temps ! mais qui n'auraitété abuséecomme moipar tant d'empressementset à qui n'eussent-ils pas paru sincères ? Qu'on a depeine à se résoudre à soupçonnerlongtemps la bonne foi de ceux qu'on aime ! je vois bien que lamoindre excuse vous suffitet sans que vous preniez le soin de m'enfairel'amour que j'ai pour vous vous sert si fidèlementqueje ne puis consentir a vous trouver coupableque pour jouir dusensible plaisir de vous justifier moi-même. Vous m'avezconsommée par vos assiduitésvous m'avez enflamméepar vos transportsvous m'avez charmée par vos complaisancesvous m'avez assurée par vos sermentsmon inclination violentem'a séduiteet les suites de ces commencements si agréableset si heureux ne sont que des larmesque des soupirset qu'une mortfunestesans que je puisse y porter aucun remède. Il est vraique j'ai eu des plaisirs bien surprenants en vous aimant : mais ilsme coûtent d'étranges douleurset tous les mouvementsque vous me causezsont extrêmes. Si j'avais résistéavec opiniâtreté à votre amoursi je vous avaisdonné quelque sujet de chagrinet de jalousie pour vousenflammer davantagesi vous aviez remarqué quelque ménagementartificieux dans ma conduitesi j'avais enfin voulu opposer maraison à l'inclination naturelle que j'ai pour vousdont vousme fîtes bientôt apercevoir (quoique mes efforts eussentété sans doute inutiles) vous pourriez me punirsévèrementet vous servir de votre pouvoir : mais vousme parûtes aimableavant que vous m'eussiez dit que vousm'aimiezvous me témoignâtes une grande Passionj'enfus ravieet je m'abandonnai à vous aimer éperdument ;vous n'étiez point aveuglécomme moipourquoiavez-vous donc souffert que je devinsse en l'état où jeme trouve ? qu'est-ce que vous vouliez faire de tous mesemportementsqui ne pouvaient vous être que trèsimportuns ? Vous saviez bien que vous ne seriez pas toujours enPortugalet pourquoi m'y avez-vous voulu choisir pour me rendre simalheureuse ? Vous eussiez trouvé sans doute en ce Paysquelque femme qui eut été plus belleavec laquellevous eussiez eu autant de plaisirspuisque vous n'en cherchiez quede grossiersqui vous eût fidèlement aimé aussilongtemps qu'elle vous eut vuque le temps eut pu consoler de votreabsenceet que vous auriez pu quitter sans perfidieet sans cruauté: ce procédé est bien plus d'un Tyranattaché àpersécuterque d'un Amantqui ne doit penser qu'àplaire. Hélas ! Pourquoi exercez-vous tant de rigueurs sur uncoeurqui est à vous ? Je vois bien que vous êtes aussifacile à vous laisser persuader contre moique je l'ai étéà me laisser persuader en votre faveur ; j'aurais résistésans avoir besoin de tout mon amouret sans m'apercevoir que j'eusserien fait d'extraordinaireà de plus grandes raisonsque nepeuvent être celles qui vous ont obligé à mequitter : elles m'eussent paru bien faibleset il n'y en a pointqui eussent jamais pu m'arracher d'auprès de vous : mais vousavez voulu profiter des prétextesque vous avez trouvésde retourner en France ; un vaisseau partaitque ne le laissiez-vouspartir ? Votre famille vous avait écritne savez-vous pastoutes les persécutions que j'ai souffertes de la mienne ?Votre honneur vous engageait à m'abandonnerai-je prisquelque soin du mien ? Vous étiez obligé d'aller servirvotre Roisi tout ce qu'on dit de lui est vraiil n'a aucun besoinde votre secourset il vous aurait excusé.

J'eusseété trop heureusesi nous avions passé notrevie ensemble : mais puisqu'il fallait qu'une absence cruelle nousséparâtil me semble que je dois être bien aisede n'avoir pas été infidèleet je ne voudraispas pour toutes les choses du mondeavoir commis une action si noire: Quoi ? vous avez connu le fond de mon coeuret de ma tendresseetvous avez pu vous résoudre à me laisser pour jamaisetà m'exposer aux frayeursque je dois avoirque vous ne voussouvenez plus de moique pour me sacrifier à une nouvellePassion ? Je vois bien que je vous aimecomme une folle : cependantje ne me plains point de toute la violence des mouvements de moncoeurje m'accoutume à ses persécutionset je nepourrais vivre sans un plaisirque je découvreet dont jejouis en vous aimant au milieu de mille douleurs : mais je suis sanscesse persécutée avec un extrême désagrémentpar la haineet par le dégoût que j'ai pour touteschoses ; ma famillemes amis et ce Couvent me sont insupportables ;tout ce que je suis obligée de voiret tout ce qu'il faut queje fasse de toute nécessitém'est odieux : je suis sijalouse de ma Passionqu'il me semble que toutes mes actionset quetous mes devoirs vous regardent : Ouije fais quelque scrupulesije n'emploie tous les moments de ma vie pour vous ; que ferais-jehélas ! sans tant de haineet sans tant d'amourquiremplissent mon coeur ? Pourrais-je survivre à ce qui m'occupeincessammentpour mener une vie tranquille et languissante ? Ce videet cette insensibilité ne peuvent me convenir. Tout le mondes'est aperçu du changement entier de mon humeurde mesmanièreset de ma personne ; ma Mère m'en a parléavec aigreuret ensuite avec quelque bontéje ne sais ce queje lui ai réponduil me semble que je lui ai tout avoué.Les Religieuses les plus sévères ont pitié del'état où je suisil leur donne même quelqueconsidérationet quelque ménagement pour moi ; tout lemonde est touché de mon amouret vous demeurez dans uneprofonde indifférencesans m'écrireque des lettresfroides ; pleines de redites ; la moitié du papier n'est pasremplieet il paraît grossièrement que vous mourezd'envie de les avoir achevées. Dona Brites me persécutaces jours passés pour me faire sortir de ma chambreetcroyant me divertirelle me mena promener sur le Balcond'oùl'on voit Mertola ; je la suiviset je fus aussitôt frappéed'un souvenir cruelqui me fit pleurer tout le reste du jour : elleme ramenaet je me jetai sur mon litoù je fis milleréflexions sur le peu d'apparence que je vois de guérirjamais : ce qu'on fait pour me soulager aigrit ma douleuret jeretrouve dans les remèdes mêmes des raisonsparticulières de m'affliger : je vous ai vu souvent passer ence lieu avec un air qui me charmaitet j'étais sur ce Balconle jour fatal que je commençai à sentir les premierseffets de ma Passion malheureuse : il me sembla que vous vouliez meplairequoique vous ne me connussiez pas : je me persuadai que vousm'aviez remarquée entre toutes celles qui étaient avecmoije m'imaginai que lorsque vous vous arrêtiezvous étiezbien aise que je vous visse mieuxet j'admirasse votre adresseetvotre bonne grâcelorsque vous poussiez votre chevalj'étaissurprise de quelque frayeur lorsque vous le faisiez passer dans unendroit difficile : enfin je m'intéressais secrètementà toutes vos actionsje sentais bien que vous ne m'étiezpoint indifférentet je prenais pour moi tout ce que vousfaisiez : Vous ne connaissez que trop les suites de cescommencementset quoique je n'aie rien à ménagerjene dois pas vous les écrirede crainte de vous rendre pluscoupables'il est possibleque vous ne l'êteset d'avoir àme reprocher tant d'efforts inutiles pour vous obliger àm'être fidèle. Vous ne le serez point : Puis-je espérerde mes lettreset de mes reproches ce que mon amour et monabandonnement n'ont pu sur votre ingratitude ? Je suis trop assuréede mon malheurvotre procédé injuste ‹ ne melaisse pas la moindre raison d'en douteret je dois toutappréhenderpuisque vous m'avez abandonnée ;N'aurez-vous de charmes que pour moiet ne paraîtrez-vous pasagréable à d'autres yeux ? Je crois que je ne serai pasfâchée que les sentiments des autres justifient lesmiens en quelque façonet je voudrais que toutes les femmesde France vous trouvassent aimablequ'aucune ne vous aimâtetqu'aucune ne vous plut : ce projet est ridiculeet impossible ;néanmoinsj'ai assez éprouvé que vous n'êtesguère capable d'un grand entêtementet que vous pourrezbien m'oublier sans aucun secourset sans y être contraint parune nouvelle Passion : peut-êtrevoudrais-je que vous eussiezquelque prétexte raisonnable ? Il est vrai que je serais plusmalheureusemais vous ne seriez pas si coupable : je vois bien quevous demeurerez en France sans de grands plaisirsavec une entièreliberté ; la fatigue d'un long voyagequelque petitebienséanceet la crainte de ne répondre pas àmes transportsvous retiennent : Ah ! ne m'appréhendez point? Je me contenterai de vous voir de temps en tempset de savoirseulement que nous sommes en même lieu : mais je me flattepeut-êtreet vous serez plus touché de la rigueur et dela sévérité d'une autreque vous ne l'avez étéde mes faveurs ; est- il possible que vous serez enflammé parde mauvais traitements ? Mais avant que de vous engager dans unegrande Passionpensez bien à l'excès de mes douleursà l'incertitude de mes projetsà la diversitéde mes mouvementsà l'extravagance de mes Lettresàmes confiancesà mes désespoirsà messouhaitsà ma jalousie ? Ah ! vous allez vous rendremalheureux ; je vous conjure de profiter de l'état oùje suiset qu'au moins ce que je souffre pour vousne vous soit pasinutile ? Vous me fîtesil y a cinq ou six moisune fâcheuseconfidenceet vous m'avouâtes de trop bonne foi que vous aviezaimé une Dame en votre Pays : si elle vous empêche derevenirmandez-le-moi sans ménagement ? afin que je nelanguisse plus ; quelque reste d'espérance me soutient encoreet je serai bien aise (si elle ne doit avoir aucune suite) de laperdre tout à faitet de me perdre moi-même ;envoyez-moi son portrait avec quelqu'une de ses lettres ? Etécrivez-moi tout ce qu'elle vous dit ? J'y trouveraispeut-êtredes raisons de me consolerou de m'affligerdavantage ; je ne puis demeurer plus longtemps dans l'état oùje suiset il n'y a point de changement qui ne me soit favorable ?Je voudrais aussi avoir le portrait de votre frère et de votreBelle-soeur : tout ce qui vous est quelque chose m'est fort cheretje suis entièrement dévouée à ce qui voustouche : je ne me suis laissé aucune disposition de moi-même: il y a des momentsoù il me semble que j'aurais assez desoumission pour servir celle que vous aimez ; vos mauvais traitementset vos mépris m'ont tellement abattueque je n'osequelquefois penser seulementqu'il me semble que je pourrais êtrejalouse sans vous déplaireet que je crois avoir le plusgrand tort du monde de vous faire des reproches : je suis souventconvaincue que je ne dois point vous faire voir avec fureurcomme jefaisdes sentimentsque vous désavouez. Il y a longtempsqu'un Officier attend votre Lettre ; j'avais résolu del'écrire d'une manière à vous la faire recevoirsans dégoût : mais elle est trop extravaganteil fautla finir : Hélas ! il n'est pas en mon pouvoir de m'yrésoudreil me semble que je vous parlequand je vous écriset que vous m'êtes un peu plus présent : La premièrene sera pas si longueni si importunevous pourrez l'ouvrir et lalire sur l'assurance que je vous donne ; il est vrai que je ne doispoint vous parler d'une passion qui vous déplaîtet jene vous en parlerai plus. Il y aura un an dans peu de jours que jem'abandonnai toute à voussans ménagement : votrePassion me paraissait fort ardenteet fort sincèreet jen'eusse jamais pensé que mes faveurs vous eussent assezrebutépour vous obliger à faire cinq cents lieuesetà vous exposer à des naufrages pour vous en éloigner; personne ne m'était redevable d'un pareil traitement : vouspouvez vous souvenir de ma pudeurde ma confusion et de mondésordremais vous ne vous souvenez pas de ce qui vousengagerait à m'aimer malgré vous. L'Officier qui doitvous porter cette Lettre me mande pour la quatrième foisqu'il veut partir ; qu'il est pressant ! il abandonne sans doutequelque malheureuse en ce Pays.

Adieujen'ai plus de peine à finir ma Lettreque vous n'en avez eu àme quitterpeut-êtrepour toujours. Adieuje n'ose vousdonner mille noms de tendresseni m'abandonner sans contrainte àtous mes mouvements : je vous aime mille fois plus que ma vieetmille fois plus que je ne pense ; que vous m'êtes cher ! et quevous m'êtes cruel ! vous ne m'écrivez pointje n'ai pum'empêcher de vous dire encore cela ; je vais recommenceretl'Officier partira ; qu'importequ'il partej'écris pluspour moi que pour vousje ne cherche qu'à me soulager ; aussibien la longueur de ma lettre vous fera peurvous ne la lirez pointqu'est-ce que j'ai fait pour être si malheureuse ? Et pourquoiavez-vous empoisonné ma vie ? Que ne suis-je née en unautre Pays ? Adieupardonnez-moi ? Je n'ose plus vous prier dem'aimer ; voyez où mon destin m'a réduite ? Adieu.




LETTRETROISIÈME


Qu'est-ceque je deviendraiet qu'est-ce que vous voulez que je fasse ? Je metrouve bien éloignée de tout ce que j'avais prévu: j'espérais que vous m'écririez de tous les endroitsoù vous passeriezet que vos lettres seraient fort longues ;que vous soutiendriez ma Passion par l'espérance de vousrevoirqu'une entière confiance en votre fidélitéme donnerait quelque sorte de reposet que je demeurerais cependantdans un état assez supportable sans d'extrêmes douleurs: j'avais même pensé à quelques faibles projetsde faire tous les effortsdont je serais capablepour me guérirsi je pouvais connaître bien certainement que vous m'eussieztout à fait oubliée ; votre éloignementquelques mouvements de dévotion ; la crainte de ruinerentièrement le reste de ma santé par tant de veilleset par tant d'inquiétudes ; le peu d'apparence de votre retour: la froideur de votre Passionet de vos derniers adieux ; votredépartfondé sur d'assez méchants prétexteset mille autres raisonsqui ne sont que trop bonneset que tropinutilessemblaient me promettre un secours assez assurés'il me devenait nécessaire : n'ayant enfin à combattreque contre moi-mêmeje ne pouvais jamais me défier detoutes mes faiblessesni appréhender tout ce que je souffreaujourd'hui. Hélas ! que je suis à plaindrede nepartager pas mes douleurs avec vouset d'être toute seulemalheureuse : cette pensée me tueet je meurs de frayeurquevous n'ayez jamais été extrêmement sensible àtous nos plaisirs. Oui : je connais présentement la mauvaisefoi de tous vos mouvements : vous m'avez trahie toutes les fois quevous m'avez dit que vous étiez ravi d'être seul avec moi; je ne dois qu'à mes importunités vos empressementset vos transports : vous aviez fait de sang froid un dessein dem'enflammervous n'avez regardé ma Passion que comme unevictoireet votre coeur n'en a jamais été profondémenttouché ; n'êtes-vous pas bien malheureuxet n'avez-vouspas bien peu de délicatessede n'avoir su profiter qu'encette manière de mes emportements ? Et comment est-il possiblequ'avec tant d'amour je n'aie pu vous rendre tout à faitheureux ? Je regrette pour l'amour de vous seulement les plaisirsinfinisque vous avez perdus : faut- il que vous n'ayez pas voulu enjouir ? Ah ! si vous les connaissiezvous trouveriez sans doutequ'ils sont plus sensibles que celui de m'avoir abuséeetvous auriez éprouvé qu'on est beaucoup plus heureuxetqu'on sent quelque chose de bien plus touchantquand on aimeviolemmentque lorsqu'on est aimé. Je ne saisni ce que jesuisni ce que je faisni ce que je désire : je suisdéchirée par mille mouvements contraires : Peut-ons'imaginer un état si déplorable ? Je vous aimeéperdumentet je vous ménage assez pour n'oserpeut-êtresouhaiter que vous soyez agité des mêmestransports : je me tueraisou je mourrais de douleur sans me tuersi j'étais assurée que vous n'avez jamais aucun reposque votre vien'est que troubleet qu'agitationque vous pleurezsans cesseet que tout vous est odieux ; je ne puis suffire àmes mauxcomment pourrais-je supporter la douleur que me donneraientles vôtresqui me seraient mille fois plus sensibles ?Cependant je ne puis aussi me résoudre à désirerque vous ne pensiez point à moi ; et à vous parlersincèrementje suis jalouse avec fureur de tout ce qui vousdonne de la joieet qui touche votre coeuret votre goût enFrance. Je ne sais pourquoi je vous écrisje vois bien quevous aurez seulement pitié de moiet je ne veux point devotre pitié ; j'ai bien du dépit contre moi-mêmequand je fais réflexion sur tout ce que je vous ai sacrifié: j'ai perdu ma réputationje me suis exposée àla fureur de mes parentsà la sévéritédes lois de ce Pays contre les Religieuseset à votreingratitudequi me parait le plus grand de tous les malheurs :cependant je sens bien que mes remords ne sont pas véritablesque je voudrais du meilleur de mon coeuravoir couru pour l'amour devous de plus grands dangerset que j'ai un plaisir funeste d'avoirhasardé ma vie et mon honneur ; tout ce que j'ai de plusprécieuxne devait-il pas être en votre disposition ?Et ne dois-je pas être bien aise de l'avoir employécomme j'ai fait : il me semble même que je ne suis guèrecontente ni de mes douleursni de l'excès de mon amourquoique je ne puissehélas ! me flatter assez pour êtrecontente de vous ; je visinfidèle que je suiset je faisautant de choses pour conserver ma vieque pour la perdre. Ah ! j'enmeurs de honte : mon désespoir n'est donc que dans mes Lettres? Si je vous aimais autant que je vous l'ai dit mille foisneserais-je pas morteil y a longtemps ? Je vous ai trompéc'est à vous de vous plaindre de moi : Hélas ! pourquoine vous en plaignez-vous pas ? Je vous ai vu partirje ne puisespérer de vous voir jamais de retouret je respire cependant: je vous ai trahije vous en demande pardon : mais ne me l'accordezpas ? Traitez-moi sévèrement ? Ne trouvez point que messentiments soient assez violents ? Soyez plus difficile àcontenter ? Mandez-moi que vous voulez que je meure d'amour pour vous? Et je vous conjure de me donner ce secoursafin que je surmonte lafaiblesse de mon sexeet que je finisse toutes mes irrésolutionspar un véritable désespoir ; une fin tragique vousobligerait sans doute à penser souvent à moimamémoire vous serait chèreet vous seriezpeut-êtresensiblement touché d'une mort extraordinairene vaut-ellepas mieux que l'état où vous m'avez réduite ?Adieuje voudrais bien ne vous avoir jamais vu. Ah ! je sensvivement la fausseté de ce sentimentet je connais dans lemoment que je vous écrisque j'aime bien mieux êtremalheureuse en vous aimant que de ne vous avoir jamais vu ; jeconsens donc sans murmure à ma mauvaise destinéepuisque vous n'avez pas voulu la rendre meilleure. Adieupromettez-moi de me regretter tendrementsi je meurs de douleuretqu'au moins la violence de ma Passion vous donne du dégoûtet de l'éloignement pour toutes choses ; cette consolation mesuffiraet s'il faut que je vous abandonne pour toujoursjevoudrais bien ne vous laisser pas à une autre. Ne seriez-vouspas bien cruel de vous servir de mon désespoirpour vousrendre plus aimableet pour faire voir que vous avez donné laplus grande Passion du monde ? Adieu encore une foisje vous écrisdes lettres trop longuesje n'ai pas assez d'égard pour vousje vous en demande pardonet j'ose espérer que vous aurezquelque indulgence pour une pauvre insenséequi ne l'étaitpascomme vous savezavant qu'elle vous aimât. Adieuil mesemble que je vous parle trop souvent de l'état insupportableoù je suis : cependant je vous remercie dans le fond de moncoeur du désespoir que vous me causezet je déteste latranquillitéoù j'ai vécuavant que je vousconnusse. Adieuma Passion augmente à chaque moment. Ah ! quej'ai de choses à vous dire !




LETTREQUATRIÈME


Il mesemble que je fais le plus grand tort du monde aux sentiments de moncoeurde tacher de vous les faire connaître en les écrivant: que je serais heureusesi vous en pouviez bien juger par laviolence des vôtres ! mais je ne dois pas m'en rapporter àvouset je ne puis m'empêcher de vous direbien moinsvivement que je ne le sensque vous ne devriez pas me maltraitercomme vous faitespar un oubliqui me met au désespoiretqui est même honteux pour vous ; il est bien juste au moinsque vous souffriez que je me plaigne des malheursque j'avais bienprévusquand je vous vis résolu de me quitter ; jeconnais bien que je me suis abuséelorsque j'ai penséque vous auriez un procédé de meilleure foiqu'on n'aaccoutumé d'avoirparce que l'excès de mon amour memettaitce sembleau- dessus de toutes sortes de soupçonset qu'il méritait plus de fidélitéqu'on n'entrouve d'ordinaire : mais la dispositionque vous avez à metrahirl'emporte enfin sur la justiceque vous devez à toutce que j'ai fait pour vous ; je ne laisserais pas d'être bienmalheureusesi vous ne m'aimiezque parce que je vous aimeet jevoudrais tout devoir à votre seule inclination ; mai je suissi éloignée d'être en cet étatque jen'ai pas reçu une seule lettre de vous depuis six mois :j'attribue tout ce malheur à l'aveuglementavec lequel je mesuis abandonnée à m'attacher à vous : nedevais-je pas prévoir que mes plaisirs finiraient plus tôtque mon amour ? Pouvais-je espérerque vous demeureriez toutevotre vie en Portugalet que vous renonceriez à votre fortuneet à votre Payspour ne penser qu'à moi ? mes douleursne peuvent recevoir aucun soulagementet le souvenir de mes plaisirsme comble de désespoir : Quoi ! tous mes désirs serontdonc inutileset je ne vous verrai jamais en ma chambre avec toutel'ardeuret tout l'emportementque vous me faisiez voir ? maishélas ! je m'abuseet je ne connais que tropque tous lesmouvements qui occupaient ma têteet mon coeur n'étaientexcités en vous que par quelques plaisirset qu'ilsfinissaient aussi tôt qu'eux ; il fallait que dans ces momentstrop heureux j'appelasse ma raison à mon secours pour modérerl'excès funeste de mes déliceset pour m'annoncer toutce que je souffre présentement : mais je me donnais toute àvouset je n'étais pas en état de penser à cequi eut pu empoisonner ma joieet m'empêcher de jouirpleinement des témoignages ardents de votre passion ; jem'apercevais trop agréablement que j'étais avec vouspour penser que vous seriez un jour éloigné de moi : jeme souviens pourtant de vous avoir dit quelquefois que vous merendriez malheureuse : mais ces frayeurs étaient bientôtdissipéeset je prenais plaisir à vous les sacrifieret à m'abandonner à l'enchantementet à lamauvaise foi de vos protestations : je vois bien le remède àtous mes mauxet j'en serais bientôt délivrée sije ne vous aimais plus : maishélas ! quel remède ;nonj'aime mieux souffrir davantageque vous oublier. Hélas! cela dépend-il de moi ? Je ne puis me reprocher d'avoirsouhaité un seul moment de ne vous plus aimer ; vous êtesplus à plaindre que je ne suiset il vaut mieux souffrir toutce que je souffreque de jouir des plaisirs languissantsque vousdonnent vos Maîtresses de France : je n'envie point votreindifférenceet vous me faites pitié : Je vous défiede m'oublier entièrement : Je me flatte de vous avoir mis enétat de n'avoir sans moi que des plaisirs imparfaitset jesuis plus heureuse que vouspuisque je suis plus occupée.L'on m'a faite depuis peu Portière en ce Couvent ; tous ceuxqui me parlentcroient que je suis folleje ne sais ce que je leurréponds : Et il faut que les Religieuses soient aussiinsensées que moipour m'avoir crue capable de quelquessoins. Ah ! j'envie le bonheur d'Emanuel et de Francisque ; pourquoine suis-je pas incessamment avec vouscomme eux ? je vous auraissuiviet je vous aurais assurément servi de meilleur coeurje ne souhaite rien en ce mondeque vous voir : au moinssouvenez-vous de moi ? je me contente de votre souvenir : mais jen'ose m'en assurer ; je ne bornais pas mes espérances àvotre souvenirquand je vous voyais tous les jours : mais vousm'avez bien apprisqu'il faut que je me soumette à tout ceque vous voudrez : cependant je ne me repens point de vous avoiradoréje suis bien aise que vous m'ayez séduite :votre absence rigoureuseet peut-être éternellenediminue en rien l'emportement de mon amour : je veux que tout lemonde le sacheje n'en fais point un mystèreet je suisravie d'avoir fait tout ce que J'ai fait pour vous contre toute sortede bienséance : je ne mets plus mon honneuret ma religionqu'à vous aimer éperdument toute ma viepuisque j'aicommencé à vous aimer : je ne vous dis point toutes ceschoses pour vous obliger à m'écrire. Ah ! ne vouscontraignez pointje ne veux de vousque ce qui viendra de votremouvementet je refuse tous les témoignages de votre amourdont vous pourriez vous empêcher : j'aurai du plaisir àvous excuserparce que vous aurezpeut-êtredu plaisir àne pas prendre la peine de m'écrire : et je sens une profondedisposition à vous pardonner toutes vos fautes. Un OfficierFrançais a eu la charité de me parler ce matin plus detrois heures de vousil m'a dit que la paix de France étaitfaite : si cela estne pourriez-vous pas me venir voiret m'emmeneren France ? Mais je ne le mérite pasfaites tout ce qu'ilvous plairamon amour ne dépend plus de la manièredont vous me traiterez ; depuis que vous êtes partije n'aipas eu un seul moment de santéet je n'ai aucun plaisir qu'ennommant votre nom mille fois le jour ; quelques Religieusesquisavent l'état déplorableoù vous m'avezplongéeme parlent de vous fort souvent : je sors le moinsqu'il m'est possible de ma chambreoù vous êtes venutant de foiset je regarde sans cesse votre portraitqui m'estmille fois plus cher que ma vieil me donne quelque plaisir : maisil me donne aussi bien de la douleurlorsque je pense que je ne vousreverraipeut-êtrejamais ; pourquoi faut-il qu'il soitpossible que je ne vous verraipeut- êtrejamais ?M'avez-vous pour toujours abandonnée ? Je suis au désespoirvotre pauvre Mariane n'en peut pluselle s'évanouit enfinissant cette Lettre. Adieuadieuayez pitié de moi.




LETTRECINQUIÈME


Je vousécris pour la dernière foiset j'espère vousfaire connaître par la différence des termeset de lamanière de cette Lettreque vous m'avez enfin persuadéeque vous ne m'aimiez pluset qu'ainsi je ne dois plus vous aimer :Je vous renverrai par la première voie tout ce qui me resteencore de Vous : Ne craignez pas que je vous écrive ; je nemettrai pas même votre nom au-dessus du paquet ; j'ai chargéde tout ce détail Dona Britesque j'avais accoutumée àdes confidences bien éloignées de celles-ci ; ses soinsme seront moins suspects que les miens ; elle prendra toutes lesprécautions nécessairesafin de pouvoir m'assurer quevous avez reçu le portrait et les bracelets que vous m'avezdonnés : Je veux cependant que vous sachiez que je me sensdepuis quelques joursen état de brûleret de déchirerces gages de votre Amourqui m'étaient si chersmais je vousai fait voir tant de faiblesseque vous n'auriez jamais cru quej'eusse pu devenir capable d'une telle extrémité ; jeveux donc jouir de toute la peine que j'ai eue à m'en sépareret vous donner au moins quelque dépit : Je vous avoue àma honte et à la vôtreque je me suis trouvéeplus attachée que je ne veux vous le direà cesbagatelleset que j'ai senti que j'avais un nouveau besoin de toutesmes réflexionspour me défaire de chacune enparticulierlors même que je me flattais de n'être plusattachée à vous : Mais on vient à bout de toutce qu'on veutavec tant de raisons : Je les ai mises entre les mainsde Dona Brites ; que cette résolution m'a coûtéde larmes ! Après mille mouvements et mille incertitudes quevous ne connaissez paset dont je ne vous rendrai pas compteassurément. Je l'ai conjurée de ne m'en parler jamaisde ne me les rendre jamaisquand même je les demanderais pourles revoir encore une foiset de vous les renvoyerenfinsans m'enavertir.

Je n'aibien connu l'excès de mon Amour que depuis que j'ai voulufaire tous mes efforts pour m'en guérir ; et je crains que jen'eusse osé l'entreprendresi j'eusse pu prévoir tantde difficultés et tant de violences. Je suis persuadéeque j'eusse senti des mouvements moins désagréables envous aimant tout ingrat que vous êtesqu'en vous quittant pourtoujours. Je n'ai éprouvé que vous m'étiez moinscher que ma passionet j'ai eu d'étranges peines à lacombattreaprès que vos procédés injurieuxm'ont rendu votre personne odieuse.

L'orgueilordinaire de mon sexe ne m'a point aidée à prendre desrésolutions contre vous : Hélas ! j'ai souffert vosmépris ; j'eusse supporté votre haine et toute lajalousie que m'eut donnée l'attachement que vous eussiez puavoir pour une autrej'aurais euau moinsquelque passion àcombattremais votre indifférence m'est insupportable ; vosimpertinentes protestations d'amitiéet les civilitésridicules de votre dernière lettrem'ont fait voir que vousaviez reçu toutes celles que je vous ai écritesqu'elles n'ont causé dans votre coeur aucun mouvementet quecependant vous les avez lues : Ingratje suis encore assez follepour être au désespoir de ne pouvoir me flatter qu'ellesne soient pas venues jusques à vouset qu'on ne vous les aitpas rendues. Je déteste votre bonne foivous avais-je priéde me mander sincèrement la vérité ? Que ne melaissiez-vous ma passion ; vous n'aviez qu'à ne me pointécrire ; je ne cherchais pas à être éclaircie; ne suis-je pas bien malheureuse de n'avoir pu vous obliger àprendre quelque soin de me tromper ? et de n'être plus en étatde vous excuser ? Sachez que je m'aperçois que vous êtesindigne de tous mes sentimentset que je connais toutes vosméchantes qualités : Cependant (si tout ce que j'aifait pour vous peut mériter que vous ayez quelques petitségards pour les grâces que je vous demande) je vousconjure de ne m'écrire pluset de m'aider à vousoublier entièrement ; si vous me témoigniezfaiblementmêmeque vous avez eu quelque peine en lisant cette lettrejevous croirais peut-être ; et peut-être aussi votre aveuet votre consentement me donneraient du dépit et de la colèreet tout cela pourrait m'enflammer : Ne vous mêlez donc point dema conduitevous renverseriezsans doutetous mes projetsdequelque manière que vous voulussiez y entrer ; je ne veuxpoint savoir le succès de cette lettre ; ne troublez pasl'état que je me prépareil me semble que vous pouvezêtre content des maux que vous me causez (quelque dessein quevous eussiez fait de me rendre malheureuse) ; Ne m'ôtez pointde mon incertitude ; j'espère que j'en feraiavec le tempsquelque chose de tranquille : Je vous promets de ne vous point haïrje me défie trop des sentiments violentspour oserl'entreprendre. Je suis persuadée que je trouverais peut-êtreen ce Pays un Amant plus fidèle et mieux fait ; mais hélas! qui pourra me donner de l'amour ? La passion d'un autrem'occupera-t-elle ? La mienne a-t-elle pu quelque chose sur vous ?N'éprouvé-je pas qu'un coeur attendri n'oublie jamaisce qui l'a fait apercevoir des transports qu'il ne connaissait paset dont il était capable ; que tous ses mouvements sontattachés à l'Idole qu'il s'est faite ; que sespremières idées et que ses premières blessuresne peuvent être ni guériesni effacées ; quetoutes les passions qui s'offrent à son secours et qui fontdes efforts pour le remplir et pour le contenterlui promettentvainement une sensibilité qu'il ne retrouve plusque tous lesplaisirs qu'il cherche sans aucune envie de les rencontrerneservent qu'à lui faire bien connaître que rien ne luiest si cher que le souvenir de ses douleurs. Pourquoi m'avez-vousfait connaître l'imperfection et le désagrémentd'un attachement qui ne doit pas durer éternellementet lesmalheurs que suivent un amour violentlorsqu'il n'est pasréciproqueet pourquoi une inclination aveugle et une cruelledestinée s'attachent-ellesd'ordinaireà nousdéterminer pour ceux qui seraient sensibles pour quelqueautre.

Quand mêmeje pourrais espérer quelque amusement dans un nouvelengagementet que je trouverais quelqu'un de bonne foij'ai tant depitié de moi-mêmeque je ferais beaucoup de scrupule demettre le dernier homme du monde en l'état où vousm'avez réduite : et quoique je ne sois pas obligée àvous ménagerje ne pourrais me résoudre a exercer survous une vengeance si cruellequand même elle dépendraitde moipar un changement que je ne prévois pas.

Je cherchedans ce moment à vous excuseret je comprends bien qu'uneReligieuse n'est guère aimable d'ordinaire : Cependant ilsemble que si on était capable de raisonsdans les choixqu'on faiton devrait plutôt s'attacher à elles qu'auxautres femmes ; rien ne les empêche de penser incessamment àleur passionelles ne sont point détournées par millechoses qui dissipent et qui occupent dans le monde ; il me semblequ'il n'est pas fort agréable de voir celles qu'on aimetoujours distraites par mille bagatelleset il faut avoir bien peude délicatessepour souffrir (sans en être audésespoir) qu'elles ne parlent que d'assembléesd'ajustements et de promenades ; on est sans cesse exposé àde nouvelles jalousies ; elles sont obligées à deségardsà des connaissancesà des conversations: qui peut s'assurer qu'elles n'ont aucun plaisir dans toutes cesoccasionset quelles souffrent toujours leurs maris avec un extrêmedégoûtet sans aucun consentement ? Ah ! qu'ellesdoivent de défier d'un Amant qui ne leur fait pas rendre uncompte bien exact là-dessusqui croit aisément et sansinquiétude ce qu'elles lui disentet qui les voit avecbeaucoup de confiance et de tranquillité sujettes àtous ces devoirs ! Mais je ne prétends pas vous prouver par debonnes raisonsque vous deviez m'aimer ; ce sont de trèsméchants moyenset j'en ai employé de beaucoupmeilleurs qui ne m'ont pas réussi ; je connais trop bien mondestin pour tacher à le surmonter ; je serai malheureuse toutema vie ; ne l'étais-je pas en vous voyant tous les jours : Jemourais de frayeur que vous ne me fussiez pas fidèlejevoulais vous voir à tous momentset cela n'était paspossiblej'étais troublée par le péril que vouscouriez en entrant dans ce Couvent ; je ne vivais pas lorsque vousétiez à l'arméej'étais au désespoirde n'être pas plus belle et plus digne de vousje murmuraiscontre la médiocrité de ma conditionje croyaissouvent que l'attachement que vous paraissiez avoir pour moi vouspourrait faire quelque tort ; il me semblait que je ne vous aimaispas assezj'appréhendais pour vous la colère de mesparentset j'étais enfin dans un état aussi pitoyablequ'est celui où je suis présentement ; si vousm'eussiez donné quelques témoignages de votre passiondepuis que vous n'êtes plus en Portugalj'aurais fait tous mesefforts pour en sortirje me fusse déguisée pour vousaller trouver ; hélas ! qu'est-ce que je fusse devenuesivous ne vous fussiez plus soucié de moiaprès quej'eusse été en France ? quel désordre ? quelégarement ? quel comble de honte pour ma famillequi m'estfort chère depuis que je ne vous aime plus. Vous voyez bienque je connais de sens froid qu'il était possible que je fusseencore plus à plaindre que je ne suis ; et je vous parleaumoinsraisonnablement une fois en ma vie ; que ma modérationvous plairaet que vous serez content de moi ; je ne veux point lesavoirje vous ai déjà prié de ne m'écrirepluset je vous en conjure encore.

N'avez-vousjamais fait quelque réflexion sur la manière dont vousm'avez traitéene pensez-vous jamais que vous m'avez plusd'obligation qu'à personne du monde ? je vous ai aimécomme une insensée ; que de mépris j'ai eu pour touteschoses ! Votre procédé n'est point d'un honnêtehommeil faut que vous ayez eu pour moi de l'aversion naturellepuisque vous ne m'avez pas aimée éperdument ; je mesuis laissé enchanter par des qualités trèsmédiocresqu'avez- vous fait qui dût me plaire ? quelsacrifice m'avez-vous fait ? n'avez-vous pas cherché milleautres plaisirs ? avez-vous renoncé au jeuet à lachasse ? n'êtes-vous pas parti le premier pour aller àl'Armée ? n'en êtes-vous pas revenu après tousles autres ? Vous vous y êtes exposé follementquoiqueje vous eusse prié de vous ménager pour l'amour de moivous n'avez point cherché les moyens de vous établir enPortugaloù vous étiez estimé ; une lettre devotre frère vous en a fait partirsans hésiter unmoment ; et n'ai-je pas su quedurant le voyagevous avez étéde la plus belle humeur du monde ? Il faut avouer que je suis obligéeà vous haïr mortellement ; ah ! je me suis attirétous mes malheurs : Je vous ai d'abord accoutumé a une grandepassionavec trop de bonne foiet il faut de l'artifice pour sefaire aimeril faut chercher avec quelque adresse les moyensd'enflammeret l'amour tout seul ne donne point de l'amour ; vousvouliez que je vous aimasseet comme vous aviez formé cedesseinil n'y a rien que vous n'eussiez fait pour y parvenir ; vousvous fussiez même résolu à m'aimers'il eut éténécessaire ; mais vous avez connu que vous pouviez réussirdans votre entreprise sans passionet que vous n'en aviez aucunbesoinquelle perfidie ? Croyez-vous avoir pu impunément metromper ? Si quelque hasard vous ramenait en ce paysje vous déclareque je vous livrerai à la vengeance de mes parents. J'ai véculongtemps dans un abandonnement et dans une idolâtrie qui medonne de l'horreuret mon remords me persécute avec unerigueur insupportableje sens vivement la honte des crimes que vousm'avez fait commettreet je n'ai plushélas ! la passion quim'empêchait d'en connaître l'énormité ;quand est-ce que mon coeur ne sera plus déchiré ? quandest-ce que je serai délivrée de cet embarras cruel ?Cependant je crois que je ne vous souhaite point de malet que je merésoudrais à consentir que vous fussiez heureux ; maiscomment pourrez-vous l'êtresi vous avez le coeur bien fait.Je veux vous écrire une autre Lettrepour vous faire voir queje serai peut-être plus tranquille dans quelque temps ; quej'aurai de plaisir de pouvoir vous reprocher vos procédésinjustes après que je n'en serai plus si vivement touchéeet lorsque je vous ferai connaître que je vous mépriseque je parle avec beaucoup d'indifférence de votre trahisonque j'ai oublié tous mes plaisirs et toutes mes douleursetque je ne me souviens de vous que lorsque je veux m'en souvenir ! Jedemeure d'accord que vous avez de grands avantages sur moiet quevous m'avez donné une passion qui m'a fait perdre la raisonmais vous devez en tirer peu de vanité ; j'étais jeunej'étais créduleon m'avait enfermée dans cecouvent depuis mon enfanceje n'avais vu que des gens désagréablesje n'avais jamais entendu les louanges que vous me donniezincessammentil me semblait que je vous devais les charmes et lebeauté que vous me trouviezet dont vous me faisiezapercevoirj'entendais dire du bien de voustout le monde meparlait en votre faveurvous faisiez tout ce qu'il fallait pour medonner de l'amour ; mais je suisenfinrevenue de cet enchantementvous m'avez donné de grands secourset j'avoue que j'en avaisun extrême besoin : En vous renvoyant vos Lettresje garderaisoigneusement les deux dernières que vous m'avez écriteset je les relirai encore plus souvent que je n'ai lu les premièresafin de ne retomber plus dans mes faiblesses. Ah ! qu'elles mecoûtent cheret que j'aurais été heureusesivous eussiez voulu souffrir que je vous eusse toujours aimé.Je connais bien que je suis encore un peu trop occupée de mesreproches et de votre infidélitémais souvenez-vousque je me suis promis un état plus paisibleet que j'yparviendraiou que je prendrai contre moi quelque résolutionextrêmeque vous apprendrez sans beaucoup de déplaisir; mais je ne veux plus rien de vousje suis une folle de redire lesmêmes choses si souventil faut vous quitter et ne penser plusà vousJe crois même que je ne vous écriraiplussuis-je obligée de vous rendre un compte exact de tousmes divers mouvements ?